23ème Dimanche – Année A – 6 septembre 2020 – Évangile de Matthieu 18, 15-20

Évangile de Matthieu 18, 15-20

La vie en Église

La décision cruciale est prise et Jésus ne se reprendra jamais : en route vers Jérusalem, à trois reprises, il réitère à ses disciples l’annonce de sa passion. Celle-ci est nécessaire (« il faut ») mais elle n’est point un terme final, elle portera du fruit ainsi que, dès le départ, Jésus l’a affirmé à Simon : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église et la puissance de la mort n’aura pas de force contre elle » (16, 18).

L’Église (en grec : ek-klesia = appelé à sortir hors) sera donc l’œuvre du Christ qui appellera des personnes à sortir (librement) de leurs autres idées pour confesser cette même foi et devenir ainsi comme des pierres vivantes d’une communauté universelle.

Cette communauté mondiale se concrétisera dans des cellules locales appelées elles aussi « des Églises ». Saint Paul écrit sa lettre « à l’Église de Dieu qui est à Corinthe ». Les premières générations n’ont jamais construit de bâtiments sacrés : « aller à l’Église » signifiait se rendre à la réunion de la communauté, laquelle se tenait dans la maison d’un de ses membres.

Mais en dépit de la sévère réprimande à Pierre, les disciples n’ont pas compris les annonces du maître : on le voit bien par la question qu’un jour ils lui posent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume de Dieu ? ». Ils demeurent convaincus que Jésus le Messie ne peut pas être tué : à Jérusalem il va triompher et inaugurer le Royaume dont il a toujours annoncé la venue. Et eux, les élus, ils seront les chefs. Alors quelle sera leur hiérarchie ? On devine que la promotion de Simon-Pierre fait grincer des dents certains : le groupe est taraudé par l’envie et le goût du pouvoir. Matthieu rapporte, dans son chapitre 18, le 4ème discours de Jésus.

Le Discours sur la vie dans l’Église (Matt 18)

Jésus ne développe pas un portrait de son Église, il ne détaille pas sa structure ni son organisation. Aux hommes de le faire selon les conditions de lieux et de temps. Mais il inculque les deux attitudes de base absolument indispensables pour qu’une Église soit authentique, subsiste et remplisse sa mission.

La première, c’est le refus de la volonté de puissance (18, 1-14) et malheureusement la liturgie saute toute cette partie. En réponse à la question des disciples, Jésus place un enfant au milieu du groupe : « Le plus grand, c’est celui qui se fera petit comme cet enfant. Si vous ne devenez pas comme lui, vous n’entrerez même pas dans le Royaume ». Et il poursuit par une sévère mise en garde contre le dédain que certains se permettraient à l’égard des petits croyants : ce serait un scandale épouvantable. Il vaut mieux s’amputer le corps que de faire perdre la foi à un croyant fragile.

Et une petite parabole montre que Dieu est comme un berger qui cherche la dernière brebis de son troupeau qui s’est égarée. Il fait tout pour la retrouver et il la ramène plein de joie. « Votre Père veut qu’aucun de ces petits ne se perde ». Le dernier des derniers est l’objet d’un amour absolu et unique. Les « chefs », ceux qui savent n’ont pas à se hisser sur un piédestal.

2de Partie du Discours : le Pardon. (18, 15-35)

La seconde attitude indispensable qui sert de socle à l’Église, c’est l’absolue nécessité du pardon. Puisque Dieu est comme un Bon Berger passionné de sauver chacun, comment nous, simples disciples, devons-nous agir lorsque nous voyons qu’un frère s’est égaré ?

Nous lisons aujourd’hui la première partie de ce texte (18, 15-20) qui traite du péché contre la communauté. C’est pourquoi il ne faut pas lire « une faute contre toi » comme certains manuscrits l’ont ajouté par erreur. Le péché entre personnes sera vu dimanche prochain. Jésus propose une démarche que l’on appelle « la correction fraternelle » et elle n’est pas simple à pratiquer.

Si ton frère a commis un péché, va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.

Au point de départ, il ne faut jamais oublier qu’il s’agit d’un « frère » que la communauté a accueilli en tant qu’appelé, lui aussi, par le Christ. Il n’est pas membre d’une équipe, numéro anonyme d’une association, collaborateur que l’on renvoie pour incompétence. Il est animé par l’Esprit, membre du Corps du Christ, brebis égarée mais cherchée par le Père.

Cela le rend très précieux et en même temps souligne sa responsabilité : par sa faute, qui n’est pas précisée, il perturbe la vie de la communauté, il abîme sa réputation, il gêne la mission. On ne va pas le convoquer chez le patron, on ne va pas causer un esclandre en rapportant à tous son méfait. « Savez-vous bien ce que X…a fait ?… » : pratique courante et désastreuse.

Jésus nous enseigne la conduite à suivre: le témoin qui a constaté le péché cherche d’abord à avoir un entretien seul à seul avec l’intéressé. Sans précipitation, il attend le moment propice quand les tempéraments sont au calme. Et posément, sans en remettre, il montre à l’autre sa faute. Ce dernier peut la reconnaître, confesser qu’il faisait du tort et s’engager à se convertir. Une poignée de mains chaleureuse scellera la victoire de la vérité et de la fraternité.

S’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes afin que l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins.

Il est possible que l’autre se cabre et refuse de changer d’attitude. Dans ce cas, on cherche un ou deux disciples qui eux aussi estiment que la faute doit être corrigée et, à un moment convenable, sans irritation, on reprend un conciliabule. L’accord des trois témoins pourra amener le pécheur à être enfin convaincu de changer.

S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église.

S’il y a un nouvel échec, alors il sera nécessaire d’exposer le problème à la communauté (l’Église) qui pourra débattre, prouver au coupable que sa faute est inadmissible et qu’il est impératif pour lui de modifier son comportement.

S’il refuse d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain.

Après les trois démarches et les sollicitations répétées sans effet, alors il faudra bien déclarer au coupable qu’il ne peut plus participer aux assemblées car sa faute déforme l’Évangile, défigure l’aspect de l’Église. L’Église ne méprise personne : elle souffre qu’un de ses membres ne veuille pas consentir à la conversion qu’elle juge, elle, indispensable. Elle ne se prétend pas parfaite, elle ne rassemble pas que des membres impeccables sinon elle serait dure et pharisienne. Mais il y a de l’intolérable.

Cette sentence de renvoi ne signifie pas que cet homme soit rejeté et condamné : Jésus n’a-t-il pas dit qu’il n’était pas venu pour les justes mais pour les pécheurs ? N’a-t-il pas présenté son Père comme un pasteur qui ne cesse jamais de chercher la brebis égarée ? Voilà pourquoi l’Église doit aimer cet égaré et tout faire pour lui montrer qu’il est toujours attendu, qu’il manque aux autres et qu’il sera toujours accueilli avec joie.

Dans la prière et au nom de Jésus

Ce procédé de la correction fraternelle, pour être juste et échapper aux jugements personnels et trop hâtifs, doit se faire avec beaucoup de prière et la volonté d’agir réellement au nom de Jésus. D’où la finale solennelle :

Je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. Encore une fois, je vous le dis : si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quelque chose, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis là au milieu d’eux.

Si on agit dans ce climat, alors les disciples peuvent être sûrs que Dieu avalisera leur décision. Le pouvoir confié naguère à Pierre sera exercé de manière communautaire. C’est Jésus qui rassemble son Église : elle doit expressément se serrer contre lui afin de pouvoir exercer cette tâche ardue en toute justice.

Conclusion

Dans la 1ère lettre aux Corinthiens, on voit Paul très fâché : il a appris que la communauté tolère en son sein un pécheur notoire et il annonce qu’il procédera à l’exclusion: « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain fait lever toute la pâte ? » (1 Cor 5, 1). Il faut prendre garde à la contamination du mal.

Cette correction qui était praticable en ces premiers temps de petites communautés, l’est-elle encore aujourd’hui ? Les personnes qui viennent à la célébration du dimanche ont-elles conscience d’être une « Église » ? Les conditions actuelles font que beaucoup « vont à la messe » mais pas « à leur assemblée ». On va ici ou là selon les besoins. On peut être « pratiquant régulier » et ne jamais connaître ceux qui sont des voisins mais jamais « des frères ». On ignore totalement que l’on devrait former une communauté où l’on se connaît, où l’on se soutient, où tous se sentent responsables de la mission capitale de libérer l’humanité du mal par la grâce du Messie.

L’Église ne fait rien – dit la rumeur publique. Le changement est urgent.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

La conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église

Présentation par Mgr. Ripa ( extraits)

La Congrégation pour le Clergé vient de publier une instruction sur « la conversion pastorale de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église ». Elle veut concrétiser, dans la vie de l’Église, l’impulsion que le Pape François ne cesse de donner en invitant à la « sortie missionnaire » (La joie de l’Évangile, n. 20-24).

« Allez ! De toutes les nations faites des disciples :» (Mt 28, 19-20). L’Église cesserait d’exister si elle n’était pas missionnaire.

Pourtant, dans un certain nombre de communautés chrétiennes, la pratique de la foi consiste surtout à vivre ensemble et à recevoir les sacrements. Certains ont tendance à réduire la mission à l’envoi au loin de prêtres et de religieuses. D’autres considèrent qu’elle est l’affaire du curé de la paroisse et de quelques laïcs qui donnent de leur temps. Il leur suffit que la messe dominicale soit assurée, que leurs enfants aillent au catéchisme, que les baptêmes, les mariages et les obsèques soient célébrés quand ils le demandent.

Ils ont cantonné leur foi dans la sphère de leur vie privée et dans quelques pratiques sacramentelles.

La conversion pastorale

Le Pape François ne cesse de rappeler que l’annonce de la foi est une exigence inscrite dans la grâce du baptême. On ne peut pas être vraiment chrétien si on ne fait pas siens « les sentiments du Christ » (Phil 2, 5) qui est envoyé par le Père pour que tous aient la vie.

Il en est de même pour l’Eucharistie, moment essentiel pour la constitution de la communauté paroissiale qui accueille la présence vivante et salvifique de son Seigneur. L’Eucharistie « contient tout le trésor spirituel de l’Eglise, c’est à dire le Christ lui-même », raison pour laquelle elle est « la source et le somment de toute l’évangélisation ». Chaque baptisé, chaque participant de l’Eucharistie doit devenir acteur de l’annonce du Christ à ceux qui l’entourent.

Quelle conversion exige cette perspective si fondamentale ! C’est ce qu’on appelle la « conversion pastorale », inséparable de la nouvelle évangélisation.

En de nombreux pays, la déchristianisation massive de la société se poursuit depuis des décennies, si bien que ce ne sont pas seulement des personnes qui s’éloignent de la foi, mais des générations entières qui n’ont pas entendu le nom de Jésus. « Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience », écrit le Saint Père dans La joie de l’Évangile (n. 49), c’est que cette multitude qui est faite pour Dieu, souvent sans le savoir, est affamée, et « Jésus nous répète sans arrêt : “Donnez-leur vous-mêmes à manger” (Mc 6, 37) ».

Il est urgent que chaque communauté chrétienne entende cette parole du Seigneur et accepte de quitter les rives du lac pour sortir « au large », en « eaux profondes » (cf. Lc 5, 4), à la rencontre de ceux qui se sont éloignés du Christ ou qui ne le ne connaissent pas.

Ce dynamisme, qui repose sur « un choix clairement missionnaire » (n. 5), doit être le premier critère pour vérifier l’authenticité d’une vie chrétienne et d’une action pastorale.

Tel est l’esprit qui sous-tend cette Instruction. Avant même d’envisager des questions canoniques, elle développe une vérité de base : l’Esprit Saint pousse l’Eglise, chaque communauté paroissiale, chaque baptisé, à se renouveler en retrouvant le dynamisme originel qui rend compte des débuts de l’Eglise et que les apôtres Pierre et Jean ont ainsi exprimé devant le Sanhédrin : « Quant à nous, il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Ac 4, 20).

L’Instruction s’emploie donc à montrer comment concrétiser, jusque dans ses formes canoniques, l’esprit missionnaire de l’Église dans la réalité des communautés chrétiennes.

A SUIVRE

Vatican, 20 juillet 2020
Mgr Andrea Ripa
Sous-Secrétaire Congrégation pour le Clergé

Le texte intégral de l’Instruction et celui de Mgr Ripa
est disponible sur le site « Eglise catholique de France » 28 août 2020

Après son succès sur France 3, Thérèse de Lisieux débarque dans les kiosques

Sainte Thérèse de Lisieux n’en finit décidément pas de faire l’actualité. Après l’émission à succès sur France 3 à heure de grande écoute le 4 mai dernier, place à la Une du magazine Secrets d’Histoire en kiosque dès ce jeudi 20 août.

L’émission « Secrets d’Histoire » de Stéphane Bern consacrée à Thérèse de Lisieux diffusée le 4 mai dernier a réuni quelque 2,45 millions de téléspectateurs, soit 10% de part d’audience. Un beau carton que la production a décidé de reproduire en la déclinant en magazine, à raison de quatre numéros par an et quelques hors-séries. C’est donc dans le nouveau numéro sorti ce jeudi 20 août que l’on retrouve en Une la petite Thérèse.

Cette annonce a réjoui de nombreux fans de l’émission, comme on peut le découvrir sur la page Facebook de l’émission, avec déjà des centaines de messages enthousiastes. « Enfin une bonne nouvelle qui va arriver dans ma boite aux lettres », « je vais courir l’acheter », « Reçu ce matin dans ma boîte à lettres ! Je sais ce que je fais de ma soirée », écrivent les uns, alors qu’une autre téléspectatrice témoigne « Je suis justement en train de lire « Histoire d’une âme » écrite par sainte Thérèse , suite à l’émission sur elle ». Après un succès d’audience, un succès de presse écrite ?

Site Aleteia 21 8 2020

“Le désespoir d’un prêtre est quelque chose de particulièrement triste”

Interview de Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes

Sur Twitter, vous écrivez : « En deux jours, j’apprends le suicide de deux prêtres que je connais, de la même génération (la cinquantaine). Des pasteurs donnés à leur ministère. Alors pourquoi ? Nous, les responsables, avons-nous su entendre leur souffrance? »…

J’ajouterais une troisième question. En apprenant le deuxième suicide, j’ai tout de suite pensé à ce qu’avait dit Mgr Lebrun, à la suite de celui de Jean-Baptiste Sèbe, prêtre de son diocèse, il y a deux ans : « Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? » « Avons-nous su entendre leur cri ? »

La première question que les gens nous posent, c’est si nous avions remarqué des points d’ombre… Ce qui m’amène à la question suivante : ne sommes-nous pas tellement préoccupés par des problématiques d’administration ecclésiale, que nous ne sommes plus assez attentifs aux personnes ? Je ne mets personne en cause, cette question je me l’adresse d’abord à moi-même. Il faut bien reconnaître que nous sommes confrontés à des situations difficiles dans beaucoup de diocèses.

Nous sommes travaillés par notre conscience épiscopale qui nous interroge sur notre mission d’évangélisation : comment parler à tous ceux qui se sont éloignés ? Avec quels moyens ? C’est un souci noble ! Mais ayant à ce point l’esprit et le cœur pris par cette lourde charge, avons-nous un coin de disponibilité dans notre tête et notre cœur pour penser à nos plus proches collaborateurs ? ……….

Faut-il alléger les évêques d’une partie de leur charge pour qu’ils retrouvent une plus grande disponibilité ?

Dans sa Lettre au peuple de Dieu, le pape François dit aux chrétiens qu’ils doivent prendre part à la mission de l’Église. Il est moins difficile à l’évêque d’assumer sa mission dès lors que le peuple y prend part, encore faut-il aussi qu’il le permette. Il ne suffit pas de s’entourer de collaborateurs de confiance, il faut aussi faire confiance à ceux qui nous sont donnés, confiance aussi dans le sacerdoce des baptisés pour ce qui est des laïcs.

C’est-à-dire ?

Je perçois bien que beaucoup de chrétiens se préoccupent des prêtres et je leur rends hommage pour cela, mais les prêtres s’appuient-ils suffisamment sur les laïcs ? Surtout dans les moments difficiles, savent-ils s’appuyer sur eux ? Il persiste parfois une sorte de réserve : là où il y a des rapports simples, où les laïcs ont pris conscience de leur responsabilité dans la participation à la vie de l’Église, les choses vont bien. Mais quand la distance demeure, quand les laïcs se perçoivent comme « au service » du prêtre, comment voulez-vous que le prêtre puisse se confier à ceux qui travaillent avec lui ?

Que vous disent les prêtres que vous rencontrez du malaise actuel ?

Les prêtres souffrent de l’image de l’Église et de l’image des prêtres. Ils en souffrent parce que les gens qui sont plus à distance ne font pas dans le détail : c’est l’ensemble des prêtres qui est coupable des abus commis par certains. Répondre à cette accusation ne sert à rien, car l’institution est coupable aussi, il faut le reconnaître, et chercher à se justifier ne changera pas l’opinion publique. Les prêtres souffrent aussi de la désaffection un peu générale. Pendant la crise sanitaire, beaucoup de prêtres ont pris conscience du lien qui les unissait à leurs fidèles chrétiens.

Il n’en reste pas moins : quel sens l’Église a-t-elle pour les gens ? Il y a quelque chose de neuf à construire dans cette relation. On parle d’un monde nouveau après le confinement, mais c’est à nous de le créer par nos efforts. C’est une mission stimulante. J’aimerais transmettre cette espérance aux prêtres et aux chrétiens.

Cet enthousiasme, beaucoup de prêtres qui ont mis fin à leurs jours, l’avaient : qu’est-ce qui a pu éteindre cela ?

C’est le grand mystère. Cela peut être lié à des chutes de tension spirituelle, à un trop fort degré de solitude, à une trop grande fatigue, à un excès de travail, à la lourdeur du travail… Il y a des antidotes : la prière, la fraternité entre prêtres et la proximité avec les laïcs vers qui on est envoyés, le sport, la vie sociale, des lectures. Mais chacun le gère à sa façon. On ne peut pas donner de conseils. Le droit canon préconise un mois de vacances mais chacun le gère selon ce qu’il est.

N’y aurait-il pas une réflexion à mener en urgence au niveau de l’Église de France?

Cette question, nous nous la posons déjà, mais il reste encore du travail, c’est évident… Le désespoir d’un prêtre est quelque chose de particulièrement triste : quelque chose de beau est abîmé, et c’est tout le corps qui souffre.

Publié dans La Vie – le 27/08/2020 – Extraits

22ème Dimanche – Année A – 30 août 2020 – Évangile de Matthieu 16, 21-27

Évangile de Matthieu 16, 21-27

Le Disciple marche derrière Jésus

L’Évangile de ce jour enchaîne sur la scène lue dimanche passé et inaugure solennellement la nouvelle étape de la mission de Jésus par une annonce ahurissante :

« A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué et, le 3ème jour, ressusciter.

Cette décision qui a dû faire l’effet d’une bombe doit être clairement expliquée : pourquoi donc Jésus prend-il consciemment cet horrible chemin de mort ? Rappelons-nous sa prise de conscience. D’un côté, ses intrusions en pays païen lui ont permis de rencontrer des gens qui, comme la maman cananéenne, étaient tout prêts à croire à lui et qui imploraient « les miettes » de ce Juif qui pouvait les sauver, eux aussi.

D’autre part, dans son peuple Israël, dont il sait être le Messie, il se heurte à l’opposition de plus en plus violente de certaines autorités religieuses. Des Scribes et des Pharisiens, spécialistes des Écritures et se targuant de former le peuple, ont transformé la Loi en un carcan d’observances minutieuses et de prescriptions durcies. Ainsi un sabbat est certes un jour consacré par Dieu mais pourquoi, à la synagogue, interdire à Jésus d’y guérir un infirme ? Un règlement ne peut passer avant l’amour de l’homme. Laver les plats et se laver les mains est certes une tradition respectable mais les juges qui surveillent son application ont parfois le cœur rempli de pensées de méchanceté et de rancune. Où est la véritable pureté que Dieu demande ? Les païens sont certes des idolâtres mais faut-il a priori les condamner sans appel et leur fermer l’accès à Dieu ?

Bref ces juges auto proclamés ont transformé la Loi de Dieu en un joug intolérable. Au lieu de libérer l’homme, elle l’écrase, le culpabilise, le rend malheureux car il n’est jamais « en règle ». Et certaines autorités deviennent bouffies de suffisance et d’orgueil. Les clercs dominent.

La décision de Jésus

« Jésus montre à ses disciples qu’il lui faut monter à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des autorités… ».

Attention ! Nous sommes à l’opposé de la tragédie grecque où le héros est manipulé par les forces obscures et irrépressibles, une fatalité qui le jette vers le malheur. Jésus n’est pas Œdipe. Dans la Bible, « il faut » ne désigne pas la volonté d’un Dieu pervers qui envoie son Fils au plus horrible des supplices. Jésus sait que Dieu a refusé qu’Abraham immole son fils Isaac et il connaît par cœur les Écritures qui interdisent formellement à Israël la pratique païenne du sacrifice des enfants.

Quand Jésus dit « il faut », cela signifie qu’il a longuement prié, il a longuement réfléchi à la situation esquissée ci-dessus : le Messie d’Israël doit sauver le monde donc il doit au préalable libérer la Loi de ses entraves, de ceux qui en ont fait leur propriété et l’ont déformée en un code aliénant. Il faut aller au cœur du problème : à Jérusalem, au Temple, là où siègent les maîtres. Et – ô paradoxe – si la pauvre Cananéenne était prête à croire à Jésus, ces maîtres au contraire le traiteront comme un perturbateur dangereux.

Donc Jésus ne dit pas qu’il faut monter à Jérusalem pour souffrir. Mais il décide d’y monter pour accomplir le projet de Dieu : y proclamer la liberté qu’il annonce depuis son baptême en Galilée. Par conséquence il doit dénoncer les dérives et l’hypocrisie de certains dirigeants et, au nom de Dieu, les appeler à se convertir, à changer de comportement. Le sabbat est pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. La justice vis-à-vis des pauvres l’emporte sur le luxe des bâtiments sacrés. Ce que Dieu veut, c’est l’amour et la compassion et non des hécatombes d’animaux.
Du coup l’affrontement sera terrible et finira dans l’atrocité : le grand Tribunal inflexible arrêtera et fera condamner cet homme accusé de blasphème contre la Loi. Nul n’est moins apte à se convertir que celui qui se croit chargé de convertir les autres.

Mais Jésus ne s’enferre pas dans l’échec : il sait que s’il accomplit le projet de son Père, celui-ci lui rendra la vie. Si le Fils est rejeté par le temple de pierres, il sera accueilli dans le Temple de l’Amour éternel.

Réaction satanique de Pierre

Sans tarder une minute, Jésus met sa décision en pratique et se met en marche vers Jérusalem. Évidemment le brave Pierre, sous le choc, ne peut s’empêcher d’intervenir : « On ne te tuera pas, non, nous te défendrons ! ».

Pierre le prit à part et se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur, cela ne t’arrivera pas ! ». Mais lui, se retournant dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan, tu es un scandale sur ma route, tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celle des hommes ».

Et la « pierre de fondation » devient pierre d’achoppement (« scandale » désigne une aspérité du chemin sur laquelle on trébuche). Le « pape » devient un satan comme celui qui, au désert, avait tenté de faire prendre à Jésus des moyens de puissance. Nous imaginions un diable cornu aux pieds fourchus: certains ont porté la tiare et des pantoufles écarlates ! Terrible tentation du pouvoir, du prestige, de la violence. « Projets d’hommes ! » dénonce Jésus. Et il ouvre les yeux des disciples sur ce qui les attend : le contraire.

Le serviteur n’est pas plus grand que le Maître

Alors Jésus dit aux disciples : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera.
Car quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il le paye de sa vie ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ?

Jésus n’a pas donné d’ordre : « Si quelqu’un veut …! ». La foi n’est pas un code : elle est une suivance, une relation, une réponse libre, une décision toujours reprise de suivre Jésus selon le chemin de l’Évangile. Cela ne va pas sans résistance car, comme Pierre, nous sommes englués dans nos « pensées d’hommes » et Jésus nous presse d’y renoncer, d’adopter une vision contraire à celle que le monde nous inculque : chercher le bonheur, le plaisir, la possession, l’honneur, les satisfactions de toutes sortes.

Du coup le disciple deviendra un « original » qui remet l’ordre en question, un empêcheur de danser en rond. Il s’attirera sarcasmes, puis critiques acerbes, puis menaces et même peut-être condamnation. Il perdra son masque de brave homme pieux, un peu retardé. Il expérimentera que « porter sa croix » n’est pas s’astreindre à des privations, s’infliger des pénitences, se faire souffrir mais c’est subir les jugements des autres, être rejeté par certains milieux, rater une belle carrière. Il lui sera pénible de devoir non seulement accepter mais « prendre sa croix »: agir ce qui est subi, donner ce qui est arraché, offrir ce qui est enlevé.

Mais en regardant ce monde travaillé par un effort colossal de se sauver lui-même par les prodiges, les découvertes, l’accumulation de biens, la variété des jouissances, tout en marginalisant sinon en niant toute Présence transcendante et en ignorant le salut proposé par l’Évangile, le disciple ne verra-t-il pas un monde qui tourne en rond et qui étouffe par manque de sens profond ?

Qui veut sauver sa vie (par un ego ampoulé, par le rejet de l’autre, par le pouvoir et la ruse) la perd. Au contraire le disciple qui s’engage derrière Jésus sait que la croix qui le tue positive son existence. Si la vie sur terre n’est pas une « pâque », un passage, est-elle autre chose qu’un phénomène biologique ? Il faut choisir, disait Jean Guitton : « La Grâce ou l’absurde ».

Et le prisonnier de l’absurde, comment s’en sortira-t-il ? Titres de noblesse, célébrité, fortune, intelligence, puissance : il n’a rien qui puisse le libérer, rien qui puisse payer son salut. Sauf …. ?

Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père : alors il rendra à chacun selon sa conduite »

Sauf ce Jésus de Nazareth qui sait qu’on va le méconnaître, le condamner et l’exécuter de manière ignominieuse sur la croix mais qui sait qu’il est le Messie, le Fils de Dieu, que son Père lui rendra la Vie et qu’il sera le Fils de l’Homme, le Juge qui viendra dans la Gloire. La perspective nous fait trembler mais elle est la seule issue qui nous certifie que l’humanité n’est pas prisonnière de la loi de la jungle mais éclairée par la loi de l’amour. Et l’espérance nous jette à genoux devant ce juge qui, au fond de l’abîme où les hommes l’ont jeté, a murmuré : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font ».

Conclusion

Le pape François ne cherche pas à convertir le Kremlin ou la Maison blanche ; il ne tonitrue pas contre la décadence des mœurs ; il ne hurle pas des discours apocalyptiques sur les menaces divines. Il travaille à remettre de l’ordre dans la Curie où rôde le serpent de la corruption.
Et inlassablement, il nous presse, nous chrétiens, de sortir de nos routines pour devenir de vrais disciples qui suivent Jésus. Faire enfin de nos assemblées des communautés joyeuses et accueillantes, lutter pour le service des pauvres et nous engager pour le salut de la planète : tel est son axe. C’est sans doute pourquoi certaines Éminences rouges, au lieu de ronronner, rongent leur frein. Il est dangereux d’aller à Jérusalem (au Vatican). Mais c’est là que l’avenir du monde se joue.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

U.S.A. : L’Eglise veut renouer avec les jeunes

Fin juillet, l’épiscopat américain a lancé un processus de dialogue d’un a avec les jeunes. Fortement décrédibilisée par la crise des abus sexuels, l’Église catholique cherche à redevenir attractive auprès d’une jeunesse qui s’éloigne d’elle massivement.

« C’est sûr qu’aujourd’hui beaucoup de jeunes préfèrent regarder Netflix plutôt que d’aller à la messe ». « Notre Eglise est bien vivante. Mais elle doit revoir ses codes et ses propositions pour rejoindre les attentes de notre génération » (B. Ocampo). Dans une étude de 2018, le Centre de Recherche statistique avait établi que seuls 10 % des 18-29 ans considéraient que la religion donnait du sens à leur existence – contre 30 % des plus de 65 ans.

Crise de confiance à l’égard de l’institution empêtrée dans les scandales, sécularisation croissante, incompréhension autour de l’enseignement de l’Église sur la sexualité… : les facteurs de désertion sont multiples. Des « clubs » athées se sont même constitués dans les lycées et universités.

« Il y a aujourd’hui une génération perdue pour notre Église » (Mgr Barron, évêque auxiliaire de Los Angeles, célèbre théologien). Comment ramener les jeunes ? Il mise notamment sur les réseaux sociaux qui offrent « des opportunités colossales pour atteindre ceux qui ne viennent plus dans nos paroisses. « Ils sont pleins de doutes, d’anxiété, de questions existentielles…« Nous n’avons pas tant besoin de programmes que de groupes d’amis capables de parler avec franchise de la foi, du regard de l’Église, y compris sur les chemins sensibles comme la sexualité…

« Nos paroisses doivent apprendre à être accueillantes pour les jeunes. Ils n’y font pas l’expérience du sens communautaire, contrairement à ce qui se voit dans les Églises évangéliques … Alors qu’ils se sentent très concernés par le sort des pauvres, des migrants, les enjeux environnementaux, nous devons enfin être en mesure de leur faire des propositions en phase avec leurs aspirations de justice sociale » (Thomas Reese , jésuite)

Journal La Croix 11 08 2020

Le train de la vie

par JEAN D’ORMESSON

« À la naissance, on monte dans le train et on rencontre nos parents.
Et on croit qu’ils voyageront toujours avec nous.
Pourtant, à une station, nos parents descendront du train,
nous laissant seuls continuer le voyage…

Au fur et à mesure que le temps passe,
d’autres personnes montent dans le train.
Et elles seront importantes :
notre fratrie, nos amis, nos enfants, même l’amour de notre vie.

Beaucoup démissionneront
(même éventuellement l’amour de notre vie),
et laisseront un vide plus ou moins grand.

D’autres seront si discrets
qu’on ne réalisera pas qu’ils ont quitté leurs sièges.

Ce voyage en train sera plein de joies, de peines,
d’attentes, de bonjours, d’au-revoir et d’adieux.

Le succès est d’avoir de bonnes relations avec tous les passagers
pourvu qu’on donne le meilleur de nous-mêmes.

On ne sait pas à quelle station nous descendrons,
donc vivons heureux, aimons et pardonnons.

Il est important de le faire
car lorsque nous descendrons du train,
nous ne devrons laisser que de beaux souvenirs
à ceux qui continueront leur voyage.

Soyons heureux avec ce que nous avons
et remercions le ciel de ce voyage fantastique.
Aussi, merci d’être un des passagers de mon train.

Et si je dois descendre à la prochaine station,
je suis content d’avoir fait un bout de chemin avec vous.

Je veux dire à chaque personne qui lira ce texte
que je vous remercie d’être dans ma vie
et de voyager dans mon train.

Jean d’Ormesson

21ème Dimanche – Année A – 23 août 2020 – Évangile de Matthieu 16, 1

Évangile de Matthieu 16, 13-20

Tu es le Messie Fils :
Tu es Pierre

Depuis l’exécution de son maître Jean-Baptiste, Jésus bouge beaucoup et notamment il s’aventure quelques fois hors de sa Galilée. On le devine en recherche. Il fait ainsi trois expériences sur la foi.

D’abord, chez les Cananéens qu’on lui avait dépeints comme exécrables, il rencontre une femme qui lui donne une foi admirable ; pour la foule qui accourt vers lui avec ses misérables, il ressent la même miséricorde qui le poignait naguère devant ses compatriotes, il guérit leurs infirmes et même il répète pour eux la grande distribution de pains si bien que ces païens « rendaient gloire au Dieu d’Israël »(15, 31).

Par contre, dans son propre pays, il a des accrochages de plus en plus vifs avec certains maîtres de la Loi qui le surveillent et le criblent de critiques. Il dénonce leur religion hypocrite, braquée sur des observances extérieures alors que leur cœur n’obéit pas à Dieu. Excédé, il les plante là pour aller ailleurs (16, 4) et il apprend à ses disciples de grandement se méfier de ces faux maîtres.

Et enfin on le voit agacé par ses propres disciples qui, après des mois de compagnonnage, ne comprennent pas encore ce qu’il veut. « Gens de peu de foi !» leur lance-t-il (16, 8). Néanmoins il ne les renvoie pas et il continue à supporter et à former ceux qui consentent à le suivre, si balourds soient-ils !

C’est alors que Matthieu note un nouveau déplacement où a lieu une scène capitale. Près d’une ville païenne en construction, Jésus va révéler sa propre fondation. Pour la première fois, le mot « Église » arrive.

A Césarée de Philippe

L’endroit est magnifique : au sud Liban, aux pieds des monts Hermon dont plusieurs sommets dépassent les 2000 m. s’ouvrent, parmi une végétation luxuriante, les sources du fleuve Jourdain qui descend vers le lac de Galilée puis serpentera tout au sud vers Jéricho et la Mer morte. On y adorait depuis des siècles le dieu Pan, maître de la nature, et le roi Philippe, fils d’Hérode le grand, y avait lancé les travaux de refondation d’une ville qu’il appela Césarée, centre important de la civilisation gréco-romaine.

Jésus contemple le spectacle: la magnificence de la création de Dieu, la source de l’eau dans laquelle il a reçu sa vocation, la beauté de la ville et le génie des constructeurs. Il observe les hommes qui, comme partout, cherchent le bonheur et l’amour et sont toujours rattrapés par la mort, il aime ses disciples, pauvres galiléens un peu effarés devant ce nouveau monde.

A l’écart, Jésus rassemble ses disciples pour leur annoncer la grande décision qu’il vient de prendre : il s’agit du tournant majeur de l’Évangile.

Mais qui est donc ce Jésus ?

Dites-moi : qui suis-je pour les gens ?
Pour les uns, tu es Jean-Baptiste ; pour d’autres Elie ; pour d’autres Jérémie ou un prophète »
Et vous, que dites-vous ? Pour vous qui suis-je ? »

Depuis ses débuts, Jésus intrigue. Qui donc au fond est cet ancien charpentier de Nazareth qui surprend tout le monde par ses enseignements et ses guérisons spectaculaires ? On imagine qu’il serait peut-être un ancien prophète revenu à la vie. Mais il ne suffit pas de rapporter des rumeurs, de s’appuyer sur des on-dit : « Ma mère m’a dit…Le curé m’a appris que…Dans ma famille, on est catholique… ».

Devant Jésus chacun doit se prononcer de façon tout à fait personnelle et libre. La foi ne peut demeurer une vague opinion gardée secrète. Elle doit se dire en « Je ». C’est pourquoi Jésus accule les siens. Spontané comme toujours, Simon bondit :

Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant.
Jésus lui déclara : Heureux es-tu, Simon, fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela mais mon Père qui es aux cieux. Et moi je te déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la mort ne l’emportera pas sur elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux.

Jésus en effet est apparu comme un prophète, un successeur d’Isaïe, Jérémie, Jean-Baptiste, ces hommes qui se disaient envoyés par Dieu pour dénoncer les péchés et appeler à la conversion. Mais un prophète n’est qu’un porte-parole, souvent contesté : il ne peut que rappeler les lois de Dieu, admonester, secouer ; il reste un moraliste, un homme qui fait la leçon et qui sera suivi par d’autres qui reprendront ses oracles.

Mais proclamer Jésus est le Messie est un passage à un tout autre niveau. Le « Meshiah » (en grec Christos) est le mystérieux envoyé, le « oint » unique que Dieu a promis afin d’ouvrir le temps définitif du lien de grâce entre Dieu et son peuple. Un prophète marque une étape : le Messie clôt la révélation en bonheur. Jésus est le Fils, il a un lien unique avec Dieu qui est vivant et qui donne la vie.

A cause de cette confession de foi, Jésus proclame la béatitude de Simon car s’il a pu la dire, ce n’est pas à la suite d’un raisonnement, mais par un don du Père. « Chair et sang », c.à.d. les moyens humains restent impuissants à atteindre cette découverte. Alors puisque le pauvre pêcheur du lac a donné à Jésus son nom de Messie-Fils, celui-ci, en retour, peut donner à Simon son nouveau nom. Il sera Pierre, la première pierre de fondation sur laquelle Jésus va construire son Église.

Le roi Philippe devait être tout fier d’édifier une ville somptueuse en l’honneur de l’empereur César mais cette ville sera détruite et finira en ruines. Jésus, lui, proclame qu’il va construire une cité d’hommes et de femmes qui assumeront la confession de Pierre et cette Cité sera pour toujours hors d’atteinte des assauts des puissances maléfiques.

Car le Messie Fils du Dieu vivant non seulement enseignera, prophétisera mais il donnera la Vie éternelle à ceux qui croient en lui. Tous seront des « pierres » qui ajustées par la foi constitueront son Eglise.

En grec « ek-klesia » désigne le groupe qui est sorti à la suite d’un appel ». Être dans l’Église, c’est savoir que l’on a répondu à l’appel de Dieu pour former une communion qui a été retirée de la rigueur de la morale, de la tristesse du désespoir, de la fatalité des forces du mal.

Pierre ne sera pas le portier du ciel comme on le dit souvent. En Israël, les docteurs de la Loi avaient, dit-on, le pouvoir de lier et de délier c.à.d. de préciser ce que la Loi interdit et permet : il s’agissait d’être en règle à l’égard de règles minutieuses. Dans l’Église, Pierre recevra un pouvoir basé sur la confession de la foi.

Une fin énigmatique

Si le bonheur est de partager la confession messianique de Pierre, ne faut-il pas immédiatement se disperser pour répandre cette Bonne nouvelle ? Pas du tout. Jésus termine sa révélation par un interdit absolu :

« Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Messie ».

Dans un Israël humilié, occupé par une armée étrangère, le Messie était souvent imaginé comme le libérateur tout puissant, le descendant de David triomphant. Présenter Jésus comme Messie (Christ) risquait fort de provoquer l’insurrection populaire violente. Or Jésus va poursuivre en annonçant un Messie radicalement différent : ce sera l’évangile du prochain dimanche. Une bombe !

Le Pape

La TOB (Traduction œcuménique de la Bible) note les interprétations différentes de ce texte.

« Cette déclaration de Jésus à Pierre correspond au rôle éminent que Pierre a joué aux premiers jours de l’Église :
1er appelé par Jésus, 1er de la liste des apôtres réunis au cénacle (Ac 1, 13), 1er à faire l’annonce de l’Évangile à la Pentecôte (Ac 2, 14), nommé pasteur des brebis par le Ressuscité (Jn 21, 15)…

La tradition catholique se réfère à ce texte pour fonder la doctrine selon laquelle les successeurs de Pierre héritent de sa primauté. La Tradition orthodoxe considère que, dans leurs diocèses, tous les évêques confessant la vraie foi sont dans la succession de Pierre et de celle des autres apôtres.

Tout en reconnaissant la place et le rôle privilégié de Pierre aux origines de l’Église, les exégètes protestants estiment que Jésus ne vise ici que la personne de Pierre.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

20ème Dimanche – Année A – 16 août 2020 – Évangile de Matthieu 15, 21-2

Évangile de Matthieu 15, 21-28

La femme qui a ouvert Jésus au monde

Coïncidence : au moment où une terrible catastrophe vient de ravager sa capitale, l’évangile nous raconte le passage de Jésus au sud du Liban. C’est seulement la seconde fois qu’il sort de sa Galilée : la première fois, il avait essayé vers l’est, en Transjordanie, mais les habitants l’avaient renvoyé (8, 28). Maintenant il monte au nord-ouest vers la côte de la Méditerranée, où se trouvent les deux ports célèbres, Sidon et Tyr.

Selon la coutume des maîtres, Jésus marche en tête, suivi du groupe de ses disciples, quand tout à coup des cris d’une femme éplorée éclatent à son adresse. Comment connaît-elle cet étranger ? Toute la région côtière est un lieu de communications commerciales intenses : il est possible que des voisins galiléens ont reconnu Jésus et ont appris à la femme qu’il était un guérisseur célèbre dans leur pays et même tenu par certains comme un messie royal.

Jésus était sorti vers la région de Tyr et Sidon. Voici qu’une Cananéenne, sortie de ces territoires, criait : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est tourmentée par un démon.».

Dans son récit, Marc nommait cette femme une « Phénicienne » puisque c’était le nom du pays à l’époque. Matthieu, lui, l’appelle « Cananéenne » selon le nom antique de toute cette région côtière où vivaient des peuples que les descendants d’Abraham avaient supplantés à cause du culte de leurs idoles et de leurs mœurs perverties. Leur mauvaise réputation était telle que si les autorités d’Israël acceptaient la conversion d’étrangers – qui devenaient alors des « prosélytes »-, elles interdisaient d’accueillir des « Cananéens » exclus à jamais.

La femme le sait-elle ? Peu importe : son enfant va très mal, aucun médecin, aucune prière n’ont pu obtenir de résultats. Si ce voyageur opère des guérisons, alors de grâce qu’il intervienne : poliment elle se glisse derrière les disciples, elle crie, elle supplie, elle pleure.

Mais Jésus ne lui répondit rien. Les disciples s’approchent de lui et lui demandent : « Renvoie-la : elle nous poursuit de ses cris » . Et Jésus lui lance: « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël ».

Cela nous paraît bien étrange. Pourquoi ce silence, ce refus ? A son baptême, Jésus a accepté sa vocation et il semble l’avoir comprise comme messie d’Israël. C’est pourquoi, en donnant ses consignes de mission à ses apôtres, il leur a interdit d’aller vers les païens et même chez les samaritains. « Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël »(10, 6). Aussi les apôtres trouvent-ils normal de renvoyer cette cananéenne condamnée par leur religion, qui les agace de ses cris et bouleverse le charme de leur excursion.

Ce que femme veut

Mais la maman affolée ne se laisse pas démonter : au lieu d’abandonner, elle remonte en hâte tout le groupe des disciples et son attitude d’adoration arrête la marche de Jésus.

Elle vient se prosterner devant Jésus: « Seigneur, viens à mon secours ».
Jésus répond : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens ».
« C’est vrai, Seigneur, mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».
Jésus répond : « Femme, ta foi est grande : que tout se fasse pour toi comme tu le veux ».
Et à l’heure même, sa fille fut guérie.

L’adjectif « petits »atténue un peu la rudesse de l’expression usuelle en Israël sur ces « chiens de cananéens » (cet animal en ce temps était méprisé) mais Jésus persiste : il a reçu mission de nourrir et soigner son peuple par la Parole de la Bonne Nouvelle. Subtile la femme saisit l’expression au bond et justifie sa demande : nous, les non Israélites, ne pouvons-nous quand même pas bénéficier des « miettes » de ton pouvoir ? Alors Jésus, touché, admire sa foi, sa confiance : elle est exaucée.

Quelle est cette « foi » ?

Cette maman souffre énormément : elle cherche le salut de son enfant. Sa foi est amour, compassion.
Elle a cru que sa fille n’était pas irrémédiablement condamnée et que son appel au secours pouvait obtenir sa guérison. Sa foi est espérance, elle croit que la prière a du pouvoir.
Elle a d’abord cru les anonymes qui lui ont un peu révélé qui était ce Jésus inconnu.
Elle est « sortie » (mot de Matthieu) pour rencontrer l’inconnu.
Elle a supporté le silence puis le premier refus de Jésus. Et cependant elle a répété sa demande sans se laisser décourager.
Elle a bravé les grognements des disciples qui faisaient tout pour la remballer.
Elle s’est prosternée en attitude d’adoration, multipliant ses supplications devant celui qu’elle reconnaissait comme « Seigneur ».
Elle a reconnu qu’effectivement le salut vient de la descendance royale de David et que les Israélites en avaient la priorité.
Et elle a suggéré que la force du salut opère aussi par contrecoup parmi les nations païennes, même dans un peuple catalogué comme maudit à jamais.

Et ainsi (répète Matthieu) Jésus, lui aussi, est « sorti », non seulement de son pays mais surtout de la conception d’un Israël, peuple élu, réceptacle de tous les privilèges divins et auquel il faut s’agréger pour obtenir le salut.

D’ailleurs naguère à Capharnaüm, il avait été touché par la supplication d’un centurion romain qui lui avait dit : « Dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri ». Ce qui avait provoqué son admiration : « Jamais vu pareille foi en Israël ». Et il avait annoncé que bien des païens viendront au festin du Royaume tandis que des héritiers en seront exclus » (8, 10).

A la fin de l’évangile, le Ressuscité enverra ses disciples dans le monde entier : (28, 18)

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples… »

L’officier romain et la maman cananéenne, parce que l’amour faisait la force de leur intercession, ont fissuré le mur qui séparait Israël et les nations : ils ont aidé Jésus à comprendre qu’il était le Sauveur du monde entier.

Pourquoi donc Jésus est-il « sorti » pour aller au Liban ?

Dans la scène précédente, Matthieu nous a appris que des grands maîtres de la Loi sont descendus de Jérusalem en Galilée pour enquêter sur cet énigmatique Jésus.

Ils attaquent : « Tes disciples mangent sans se laver les mains : ils transgressent la tradition ! ». Jésus contre-attaque : « Et vous, vous transgressez le commandement de Dieu en apprenant aux gens qu’ils peuvent éviter de secourir leurs vieux parents en leur déclarant qu’ils ont consacré cet argent pour le temple ! Par votre tradition, vous annulez la Parole de Dieu ».

Et il explique à la foule : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur mais ce qui en sort car cela vient du cœur : mauvaises intentions, vols, injures, meurtres, adultères… ».

Jésus débusque la dérive pharisienne de la mentalité légaliste. On absolutise un comportement bénéfique (se laver les mains) mais, pour obtenir un bénéfice financier, on trahit sans vergogne un commandement de Dieu (l’amour des parents). On cherche une pureté extérieure mais on est aveugle sur l’impureté gravissime du cœur humain qui rumine mépris, détestation de l’autre, colère, trahison, racisme, orgueil…

En colère, Jésus leur lance : « Hypocrites ! Isaïe avait raison de dire au nom de Dieu : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes »( Is 29, 13)

Matthieu ne le précise pas mais il est possible que, excédé par ce pharisaïsme qui, sous figure pieuse, trahit la Volonté de Dieu, Jésus ait décidé de se rendre chez les païens. Et en ce pays d’idolâtrie impure de Canaan qu’on lui avait dit maudit, il va rencontrer une pauvre femme qui lui fait confiance en implorant la seule chose qui importe : le salut de sa fille, c.à.d. de son avenir. Le Liban dévasté va-t-il demander les miettes de l’Évangile pour trouver un avenir ?

Conclusion

Tyr et Sidon étaient les hauts lieux du commerce en Méditerranée, célèbres pour leur opulence, leur luxe, la puissance de leurs fortifications, leurs installations portuaires. Mais une enfant allait mourir. Notre Occident dans sa superbe n’est-il pas le Canaan d’aujourd’hui ? Que devient sa jeunesse ? Elle ne sera pas sauvée par des méticulosités religieuses, par des maîtres inspecteurs. Mais par celui qui répond aux cris du malheureux.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Frei Betto, dominicain brésilien, accuse Bolsonaro de «génocide»

Le théologien de la libération brésilien Frei Betto accuse de «génocide» le gouvernement du Brésil, en rapport à la façon dont il gère la crise du coronavirus dans le pays. Dans une lettre ouverte, le dominicain estime que le président populiste de droite Jair Bolsonaro a voulu l’hécatombe actuelle.

Pour Frei Betto, Jair Bolsonaro a spéculé sur le fait que la mort des personnes âgées et malades soulagerait le système de retraites et les fonds de l’assurance maladie. «Bolsonaro a toujours été obsédé par la mort», écrit le théologien brésilien. Il rappelle une interview télévisée de 1999 dans laquelle Bolsonaro déclarait : «Les élections ne changeront rien dans ce pays! Malheureusement, cela ne changera que si un jour nous entrons dans une guerre civile ici et faisons le travail que le régime militaire n’a pas fait: tuer 30’000 personnes».

Pas de respect pour la vie humaine

Le président a mené une «politique nécrophile», car il était soucieux de sauver l’économie aux dépens de la vie humaine. Pendant ce temps, les peuples indigènes du Brésil sont «décimés» par les attaques contre leur culture et leur environnement.
Le texte a été relayé par plusieurs médias au Brésil. «S’il-vous-plaît, diffusez le plus largement possible cette nouvelle du crime contre l’humanité», écrit le religieux dominicain. Les responsables de ces actions au Brésil, ainsi que les entrepreneurs et investisseurs impliqués, devraient selon lui être amenés devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève et la Cour internationale de justice de La Haye.

Frei Betto, victime de la dictature

Frei Betto a longtemps été un opposant à la dictature (1964-1985), dont le président fait ouvertement l’éloge. Il a été emprisonné pendant deux ans, dans les années 1970, pour ses opinions. En 2013, l’Unesco l’a honoré pour son engagement en faveur des droits de l’homme et de la justice sociale. (cath.ch/kna/rz)

Les évêques étrillent «l’économie qui tue» de Bolsonaro

Dans une lettre ouverte, 152 évêques du Brésil critiquent durement la politique menée par le président d’extrême droite Jair Bolsonaro et le gouvernement. Ils fustigent notamment l’inertie de l’État face à la pandémie de coronavirus.

«Nous sommes des évêques de l’Église catholique de diverses régions du Brésil, en profonde communion avec le pape François et son magistère et en pleine communion avec la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), Nous écrivons cette lettre au peuple de Dieu, interpellés que nous sommes par la gravité du moment que nous vivons, sensibles à l’Évangile et à la doctrine sociale de l’Église, et désireux que l’on puisse surmonter cette phase de tant d’incertitudes et de souffrances du peuple».

Un gouvernement «incapable»

Les évêques critiquent également «les discours anti-scientifiques qui tentent de normaliser les souffrances de milliers de morts de la Covid-19», considérant ces décès comme le «fruit du hasard ou une punition divine (…)». Les prélats perçoivent clairement «l’incapacité et l’inhabileté du gouvernement fédéral à affronter cette crise». Les évêques n’hésitent pas à qualifier «d’actes contre la démocratie» certaines mesures ou prises de position du gouvernement de Jair Bolsonaro, notamment dans les domaines de l’éducation, l’usage des armes à feu, ou encore à travers la diffusion de fake news. Pour eux, «la politique de l’actuel gouvernement ne met pas la personne et le bien commun au centre de tout». Au contraire, «elle défend plutôt les intérêts d’une ‘économie qui tue’, centrée sur le marché et le profit à n’importe quel prix».

La lettre divise l’Église

Cette lettre ouverte a créé de profondes dissensions  au sein de l’Église brésilienne. Les critiques de l’action gouvernementale n’ont pas été du goût de l’aile la plus conservatrice de l’institution, qui a d’ailleurs demandé à ce que ce courrier soit soumis à une analyse du Conseil permanent de la CNBB.

(Source : cath.ch/jcg/rz)

Fête de l’Assomption – année A – 15 août 2020

En relisant le Concile Vatican II
Constitution sur l’Église – Chap. 8 : Marie (extraits)

La Vierge immaculée, préservée de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers…

La maternité de Marie se continue sans interruption jusqu’à la consommation définitive de tous les élus.

En effet, après son Assomption au ciel, son rôle dans le salut ne s’interrompt pas. Par son intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la Patrie bienheureuse…

Le Culte authentique à Marie

Marie est légitimement honorée par l’Église d’un culte spécial. De fait, depuis les temps les plus reculés, la bienheureuse Vierge est honorée sous le titre de « Mère de Dieu » et les fidèles se réfugient sous sa protection, l’implorant dans tous leurs dangers et leurs besoins.

Ce culte présente un caractère absolument unique : il n’en est pas moins essentiellement différent du culte d’adoration qui est rendu au Verbe incarné, au Père et à l’Esprit-Saint. Mais il est éminemment apte à le servir.

Que les fidèles se souviennent qu’une dévotion véritable ne consiste pas dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité ni dans une vaine crédulité. La vraie dévotion procède de la vraie foi qui nous conduit à reconnaître la dignité éminente de la Mère de Dieu, et nous pousse à aimer cette Mère d’un amour filial, et à poursuivre l’imitation de ses vertus.

Dans le ciel où elle est déjà glorifiée corps et âme, la Mère de Jésus représente et inaugure l’Église en son achèvement dans la siècle futur ; sur cette terre, en attendant la venue du jour du Seigneur. (2 Pi 3, 10), elle brille déjà comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage.

Que tous les fidèles adressent à la Mère de Dieu et des hommes des supplications instantes afin qu’elle continue d’intercéder près de son Fils jusqu’à ce que toutes les familles des peuples soient enfin heureusement rassemblées dans la paix et la concorde en un seul Peuple de Dieu… »

19ème Dimanche – Année A – 9 août 2020 – Évangile de Matthieu 14, 22-33

Évangile de Matthieu 14, 22-33

Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur

Un soir, en pleine campagne, une foule reçoit à manger gratis, elle est rassasiée et constate en outre des surplus abondants: on s’attend donc à une explosion, un débordement d’enthousiasme. Pas du tout. La suite du récit de Matthieu surprend : aucune réaction. Jésus renvoie les gens chez eux et ordonne à ses disciples de retraverser, seuls, le lac tandis que lui monte dans la montagne.

C’est chez saint Jean que nous trouvons l’explication. Constatant le miracle qui vient de se produire, les gens, sidérés, en concluent que ce Jésus est le Messie attendu depuis des siècles, donc ils décident de le proclamer roi sur le champ. Effrayé, Jésus s’enfuit dans la montagne (Jean 6, 15).

Infantilisme de l’humanité : le bonheur, c’est recevoir tout, tout de suite, pour rien. Satisfaction immédiate des besoins. Donnez-moi ou je hurle. Terrifiant mirage de la société de consommation C’était la première tentation insinuée par le satan et que Jésus avait tout de suite sèchement rejetée. Il faut sortir du temps du biberon, des bisounours, pour entrer péniblement dans l’âge adulte où l’homme doit gagner son pain à la sueur de son front.

Et il est encore mille fois plus pénible d’accéder à l’âge spirituel où l’homme décide de construire une société où l’on partage nourriture et biens. C’était l’enseignement du pique-nique : veiller à la faim de chacun. Alors on ne vote plus, comme des gros naïfs, pour des politiciens qui promettent mirages, augmentations, avantages de toutes sortes mais en faveur d’hommes vrais qui appellent à créer ensemble une société de droit et de justice pour tous. « Je vous promets du sang et des larmes ». Du coup ils ne sont jamais élus.

Jésus a vu tout de suite le péril mortel de l’idolâtrie : être applaudi à tout rompre, hissé sur le podium comme le bienfaiteur de l’humanité, une vedette. Et il a perçu la tentation de ses disciples tout fiers de parader comme ses collaborateurs et qui frémissaient déjà à la perspective de participer au couronnement imminent de leur maître. Jésus brise la belle unité du pique-nique champêtre et il renvoie tout le monde.

Aussitôt Jésus obligea les disciples à remonter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Et, après avoir renvoyé les foules, il monta dans la montagne pour prier à l’écart. Le soir venu, il était là, tout seul.

Qu’est-ce qu’être le Messie, le Sauveur des hommes ? Suffit-il d’une politique honnête, de la médecine, de la guérison des maladies, du service humanitaire ? Quel est le projet de Dieu ? Le Fils veut écouter son Père. La montée est symbole d’élévation, d’éloignement du brouhaha pour s’enfoncer dans la solitude, le silence et remettre tout son être devant Dieu. Jésus va passer toute la nuit là-haut. La prière n’est pas une fuite, un passe-temps mais un accouchement de notre vocation. C’est de son Père que le Fils doit apprendre comment sauver l’humanité.

L’Église dans la tempête

La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils disaient : «  C’est un fantôme ! » et la peur leur faisait pousser des cris. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! C’est moi ! N’ayez pas peur ! ».

En effet le lac de Galilée est parfois secoué par des turbulences de vents contraires ; d’ailleurs Matthieu nous avait déjà raconté comment Jésus, réveillé par les disciples, avait menacé la tempête d’un mot, ce qui avait ramené le calme et provoqué la question des hommes : « Qui est-il pour que même les vents et la mer lui obéissent ? » (8, 27). Mais ici la scène est beaucoup plus stupéfiante et tout lecteur achoppe sur un exploit incroyable : marcher sur la mer ! Certains ont même fait des recherches afin de découvrir un endroit du lac où le fond affleurait presque à la surface, ce qui avait permis à Jésus de faire croire à cette supercherie.

Laissons ces balivernes et bien plutôt sautons à la fin de l’évangile qui va nous donner la clef de l’énigme. En effet nous y découvrons un étonnant parallèle avec notre texte.

Un étonnant parallèle

Jésus partage des pains à la foule.
Pâque : Jésus partage un pain et une coupe avec ses seuls disciples et déclare : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. »

Il refuse d’être un roi nourricier.
Il revendique le titre de Messie, Fils de Dieu : il est condamné à mort.

Il disparaît dans la montagne pour prier son Père.
Il disparaît dans la mort mais « passe » dans la gloire de son Père.

La nuit : la barque des disciples est violemment secouée.
Les disciples sont épouvantés par la croix et la disparition de Jésus. C’est la tempête.

A l’aurore, Jésus vient. Il domine l’abîme, comme s’il était d’une autre condition.
A l’aurore, le Ressuscité vient, portes closes.

Affolés les disciples le prennent pour un fantôme.
Les disciples croient voir un esprit (Luc 24, 37).

Il les apaise : « Confiance ! C’est Moi. »
« Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, vous connaîtrez que Je Suis. »

Matthieu ajoute une prophétie pour Pierre, le n° 1 des apôtres :

Il veut aussi marcher sur l’eau. Secoué par le vent, il a peur et coule. Jésus le sauve : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »
Téméraire, il avait dit : « Moi je donnerai ma vie pour toi ». Au tribunal, il coule dans le Reniement : « Je ne connais pas cet homme ». Jésus le sauve par son pardon : « Paix mes brebis ».

Finale

« Quand Jésus et Pierre sont remontés dans la barque, le vent tomba. Les hommes dans la barque se prosternèrent : « Vraiment tu es Fils de Dieu ». Après la traversée, ils touchèrent terre à Génésareth. Les gens le reconnurent, on prévint la région et on lui amena tous les malades. On le suppliait de les laisser toucher la frange de son vêtement. Et tous ceux qui la touchèrent étaient guéris ».

Conclusion

L’exécution barbare de Jean-Baptiste a marqué un tournant dans la vie de Jésus et l’a orientée vers sa fin. Certes sa mission comporte encore des œuvres de bienfaisance : une religion résignée aux malheurs des hommes et tâchant de les consoler par des discours pieux et des promesses pour l’au-delà serait une odieuse aliénation, une cause majeure d’athéisme.

C’est pourquoi, à la suite de leur Seigneur, les premiers disciples ont accompli des œuvres semblables. Et à notre époque acharnée à dénoncer les crimes de l’Église (qui sont souvent réels), il faut répéter aux jeunes, qui en ignorent tout, que les Églises chrétiennes sont très probablement l’organisme le plus important de toutes les institutions humanitaires internationales.

Mais hôpitaux et œuvres de solidarité : est-ce suffisant ? Dans les évangiles, le même verbe peut se traduire « guérir ou sauver ». De quel mal l’homme doit-il être guéri / sauvé ?…Un homme guéri et en parfaite santé va-t-il être un vrai homme ?

Après l’avertissement de l’assassinat de Jean-Baptiste, les événements n’étaient plus des miracles pour l’admiration des naïfs ou les sarcasmes des incrédules mais des « signes » dont il fallait peu à peu percer le message.

Le repas dans l’herbe n’était plus seulement un pique-nique populaire mais l’annonce d’un futur repas où le pain serait la présence d’un Messie qui donne sa vie et qui dès lors est Seigneur.

La prière nocturne sur la montagne présageait la prière d’angoisse de Gethsémani puis la disparition de Jésus que la croix avait élevé dans la gloire de son Père.

La traversée de la mer dans la tempête et la marche sur les eaux prophétisaient un passage autrement tragique, celui du Messie qui passe la mort pour accéder à une vie nouvelle.

Alors, à celui qui perçoit son appel : « Confiance, n’ayez pas peur, c’est moi », il est offert d’avoir la grâce de passer l’abîme, d’être sauvé de toute mort.

Si les disciples, passagers de « la barque », confessent « Tu es le Fils de Dieu », alors ils peuvent se diriger vers tous les rivages du monde afin d’y révéler un peu de la Présence (« la frange ») de Celui qui parfois guérit mais toujours sauve.

Pourquoi Martin Heidegger, incroyant, considéré comme le plus grand philosophe du 20ème siècle, a-t-il tout à coup déclaré dans son ultime interview au journal « Der Spiegel » : « …..Seul un dieu peut sauver ». ??? … Énigme qui interroge encore aujourd’hui. Les disciples, naïfs bénéficiaires du pique-nique, ont dû connaître la disparition du maître, le bouleversement de la croix, l’apparition qui les comblait de paix pour comprendre la profondeur du mal qui ronge l’humanité et que seul « le Fils de Dieu » peut sauver.

Frère Raphaël Devillers, dominicain