Dimanche de la Résurrection – Année B – 4 avril 2021 – Évangile de Marc 16, 1-8

Évangile de Marc 16, 1-8

Pâques n’est pas la fête du Printemps

Alléluia Christ est ressuscité !

Énorme, époustouflante, incroyable, la nouvelle continue de retentir et de se répandre dans toutes les nations en dépit des efforts de la société qui fait tout pour confondre Pâques avec la fête du printemps. Œufs enrubannés, poussins jaunes et lapins bleus, vacances et voyages, orgie de chocolat : quel rapport avec le vrai sens du mot tel que l’Évangile le révèle ? Grande fête, oui, mais non pour se réjouir de la venue de la chaleur après le froid mais pour célébrer la victoire de la Vraie Vie sur le péché et la mort.

Une Foi assaillie de Doutes

Les Écritures ne nous cachent pas les énormes difficultés contre lesquelles a buté la nouvelle que le crucifié constaté mort sur la croix et mis au tombeau était « relevé ». Loin de présenter un récit identique bien argumenté pour convaincre les lecteurs par l’unanimité, les évangélistes déjà laissent deviner leur embarras à évoquer quelque chose qui dépassait tout. Les mots manquaient. Cléophas et tant d’autres sans doute refusaient de croire les femmes et rentraient chez eux. Pierre et tous les apôtres avaient beau certifier mille fois qu’ils avaient vu le Ressuscité, leur collègue Thomas ne cédait pas. Alors si déjà Pape et Cardinaux échouent, ne nous étonnons pas de ne pas toujours y arriver avec nos enfants.

Une Foi qui grandit sous les Critiques

Au fond, l’étonnant n’est pas que l’ensemble de la population de l’époque n’ait pas cru à la Résurrection mais plutôt que certains aient accepté cette Nouvelle qui était non seulement stupéfiante mais aussi très compromettante. Les disciples n’ont certes pas monté un scénario pour attirer les lecteurs et devenir des auteurs à succès. Les apôtres, ont-ils réussi à convaincre toutes leur familles ? Prétendre que Jésus, jugé et condamné par le Sanhédrin, le grand Tribunal d’Israël, à la mort la plus ignominieuse, était vivant par la grâce de Dieu, c’était accuser ce tribunal d’erreur monstrueuse, de blasphème. Affirmer la Pâque de Jésus vous rendait suspect aux yeux des autorités, vous marginalisait.

D’autre part, si le Préfet Ponce Pilate avait condamné Jésus à la croix, c’était donc qu’il le tenait pour un agitateur, un révolutionnaire qui voulait soulever le peuple contre les occupants romains. On ne crucifiait que pour motif politique grave : les co-crucifiés avec Jésus n’étaient pas des larrons, des bandits, des voleurs mais des résistants, auteurs d’attentats contre l’armée. C’est pourquoi lancer la nouvelle de Jésus ressuscité était pour Pilate le fait d’un groupe dangereux qu’il fallait surveiller de près. Ces fous n’allaient-ils pas reprendre l’insurrection que l’on avait réussi à mater en exécutant leur chef ?

Dire que Jésus était un thaumaturge qui avait effectué des guérisons, qu’il était un prophète qui avait lancé le merveilleux message des Béatitudes et qui avait été injustement condamné, à la manière de Jean-Baptiste, n’engageait à rien et ne gênait personne. Mais annoncer que Dieu avait pris son parti, qu’il n’était pas réanimé simplement mais qu’il était « réveillé », « relevé », vivant dans ses disciples et poursuivant son œuvre en eux et par eux devenait hautement subversif et dangereux.

De Nouvelles Communautés

Nous aurions aimé que les premières générations racontent plus en détail l’évolution des choses après la Pâque de Jésus (sans doute au printemps de notre année 30). Nous n’avons que le témoignage de quelques écrits rassemblés dans le Nouveau Testament  mais quelle richesse inépuisable ! Ce jour et ce temps pascal constituent un moment propice pour revitaliser notre foi au contact de ceux qui, les premiers, ont été transfigurés par elle. Quelles conséquences entraînait la nouvelle foi pascale ?

Les croyants ne s’acharnent pas à prouver que Jésus est ressuscité, ils n’exhibent pas des reliques, ils n’organisent pas des pèlerinages au Golgotha, ils ne reconstituent pas « le chemin de croix ». Ils ne représentent pas des crucifix, ils ne cherchent pas à apitoyer en insistant sur les souffrances (horribles) du Christ. Le Christ est vivant, il nous rassemble en son amour donc on le représente comme « le Bon Berger » qui guide sur les chemins de la vie et porte sur ses épaules la brebis blessée par ses péchés.

Les croyants, d’office, par le rite du baptême, intègrent une communauté – que Paul appelle en grec « ekklésia » c.à.d. l’assemblée de personnes qui ont été « tirées-hors » du monde de l’absurde et de la mort. « L’Église qui est à Corinthe…à Thessalonique…à Rome ». Mais si dispersées soient-elles, ces Églises constituent ensemble l’unique et universelle « Église de Dieu », comme des cellules d’un Corps qui est le Corps vivant du Christ Seigneur. Pierre appellera les chrétiens des « paroïchoï », des personnes qui habitent à côté des autres. Car s’ils semblent mener la vie ordinaire, ils sont malgré tout différents. Bientôt on parlera donc de la « paroisse ».

Le monde de l’époque voit apparaître une réalité que l’on n’a jamais vue car, en Grèce, une « église » est le rassemblement des citoyens qui ont droit de vote, sans les femmes et les esclaves.. Paul fait prendre conscience de cette merveille : « Tous, vous êtes par la foi fils de Dieu en Jésus-Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme. Car tous vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ » (Gal 3, 26). Jamais personne n’avait écrit chose pareille.

La foi en la résurrection unit par-delà tous les clivages sociaux, culturels, économiques. On peut se lancer seul dans une recherche de spiritualité ou dans la lecture de l’évangile mais la foi dans le Ressuscité vous aimante dans la communion avec tous les autres croyants. Plus tard, déçus par leur paroisse où se juxtaposaient des anonymes, des jeunes partiront fonder des communautés monastiques.

Les croyants n’essaient pas d’expliquer ce qu’est le corps ressuscité du Christ : ils le sont. Du moins ils essaient de l’être, de le devenir de plus en plus. Ne demandez pas des apparitions ou des preuves, disent-ils : voyez des hommes et des femmes qui, lentement, péniblement, apparaissent comme « le Corps du Christ ».

La foi pascale se traduit non par la dévotion ni par la perfection morale mais par la charité fraternelle. Celle-ci n’est pas automatique, elle se demande par le don de l’Esprit-Saint qui est le fruit de Pâques. Et elle se réalise peu à peu par les efforts conjugués de chacun. La communauté se tricote : « Un point à l’endroit, un point à l’envers : une remarque dure, un mot de tendresse ; une colère, une demande de pardon ; un rejet, une rencontre… ».

Toutes les lettres des Apôtres reviennent sans arrêt sur ce leitmotiv : « Par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres » (Gal 5, 13) – « Comblez ma joie en vivant en plein accord » (Phil 2, 2) – « En toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l’amour » (Eph 4, 2) – « Jésus a donné sa vie pour nous : nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jn 3, 16), etc.

Cette insistance manifeste non seulement l’importance essentielle de ce lien mais aussi à quel point cette pratique est difficile. Il n’est pas aisé de faire rouler les pierres qui nous séparent. Mais n’était-ce pas l’unique commandement du Seigneur : « Comme je vous ai aimés, vous devez, vous aussi, vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 34) ?.

La Nouvelle Semaine : le Dimanche

Ce qui surprenait également l’entourage, c’était de voir des Juifs ne plus fréquenter leur synagogue et des païens ne plus adorer les idoles de la cité afin de se réunir ensemble le premier jour de la semaine juive. C’était, disaient-ils, en ce jour que les femmes avaient eu les premières apparitions du Ressuscité.

« Aller à l’église » ne signifiait pas se rendre dans un édifice sacré car les premières générations ne bâtirent jamais de chapelle. Les réunions hebdomadaires se tenaient dans la maison d’un chrétien et le Seigneur, par sa Parole et son Pain, ressuscitait la communauté toujours blessée par les divisions.

C’était donc « le jour du Seigneur », en latin domenica dies. Le « dimanche » est bien une des premières inventions chrétiennes. Tout de suite Pâques n’a pas été une fête annuelle mais une célébration hebdomadaire. Jour du Seigneur, jour de l’écoute de sa Parole, de la fraction de son Pain, du partage de sa Coupe. Donc jour de la communion en Église et de la communion eucharistique. Jour de la Réconciliation et de la Paix. Jour de la Joie.

Résurrection de Jésus et la nôtre

« La foi de Pâques a pour moi le mérite de nommer : elle dit l’horreur et l’injustice de la mort, elle dit aussi vers quel Dieu je m’avance…Trop souvent la résurrection a été annoncée dans une perspective individualiste. Or la résurrection est un acte de communion ou elle n’est pas. Je ne serai pas relevé seul, mais avec les autres.

Dans la foi biblique, on ne ressuscite jamais pour soi, mais avec d’autres et pour Dieu. Ma mort est personnelle. Je devrai l’affronter seul. A la résurrection, je découvrirai quantité de sœurs et de frères. »

(Daniel Marguerat : « Résurrection. Une histoire de vie » – éd. Du Moulin)

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Avec Dieu rien n’est perdu

Pape François – Vigile de Pâques 2020 (1ère partie)

« Après le sabbat » (Mt 28, 1) les femmes allèrent au tombeau. C’est ainsi qu’a commencé l’Évangile de cette Veillée sainte, avec le sabbat. C’est le jour du Triduum pascal que nous négligeons le plus, pris par la frémissante attente de passer de la croix du vendredi à l’alléluia du dimanche. Cette année, cependant, nous percevons plus que jamais le samedi saint, le jour du grand silence.

Nous pouvons nous retrouver dans les sentiments des femmes en ce jour. Comme nous, elles avaient dans les yeux le drame de la souffrance, d’une tragédie inattendue arrivée trop vite. Elles avaient vu la mort et avaient la mort dans leur cœur. A la souffrance s’ajoutait la peur : leur arriverait-il, à elles aussi, la même fin qu’au Maître ? Et puis les craintes pour l’avenir, tout à reconstruire. La mémoire blessée, l’espérance étouffée. Pour elles c’était l’heure la plus sombre, comme pour nous.

Mais dans cette situation les femmes ne se laissent pas paralyser. Elles ne cèdent pas aux forces obscures de la lamentation et du regret, elles ne se renferment pas dans le pessimisme, elles ne fuient pas la réalité. Elles font quelque chose de simple et d’extraordinaire : dans leurs maisons elles préparent les parfums pour le corps de Jésus. Elles ne renoncent pas à l’amour : dans l’obscurité du cœur, elles allument la miséricorde.

La Vierge, le samedi, jour qui lui sera dédié, prie et espère. Dans le défi de la souffrance, elle a confiance dans le Seigneur. Ces femmes, sans le savoir, préparaient dans l’obscurité de ce samedi « l’aube du premier jour de la semaine », le jour qui aurait changé l’histoire. Jésus, comme une semence dans la terre, allait faire germer dans le monde une vie nouvelle ; et les femmes, par la prière et l’amour, aidaient l’espérance à éclore.

Combien de personnes, dans les jours tristes que nous vivons, ont fait et font comme ces femmes, en semant des germes d’espérance !Avec de petits gestes d’attention, d’affection, de prière.

Pâques donne droit à l’espérance

A l’aube, les femmes vont au sépulcre. Là l’ange leur dit : « Vous, soyez sans crainte. Il n’est pas ici, il est ressuscité » (vv.5-6). Devant une tombe, elles entendent des paroles de vie… Et ensuite elles rencontrent Jésus, l’auteur de l’espérance, qui confirme l’annonce et dit : « Soyez sans crainte » (v. 10). N’ayez pas peur, soyez sans crainte : voici l’annonce d’espérance. Elle est pour nous, aujourd’hui. Ce sont les paroles que Dieu nous répète dans la nuit que nous traversons.

Cette nuit nous conquerrons un droit fondamental, qui ne nous sera pas enlevé : le droità l’espérance. C’est une espérance nouvelle, vivante, qui vient de Dieu. Ce n’est pas un simple optimisme, ce n’est pas une tape sur l’épaule ou un encouragement de circonstance. C’est un don du Ciel que nous ne pouvons pas nous procurer tout seuls. Tout ira bien, disons-nous avec ténacité en ces semaines, nous agrippant à la beauté de notre humanité et faisant monter du cœur des paroles d’encouragement. Mais, avec les jours qui passent et les peurs qui grandissent, même l’espérance la plus audacieuse peut s’évaporer. L’espérance de Jésus est autre. Elle introduit dans le cœur la certitude que Dieu sait tout tourner en bien, parce que, même de la tombe, il fait sortir la vie.

La tombe est le lieu d’où celui qui rentre ne sort pas. Mais Jésus est sorti pour nous, il est ressuscité pour nous, pour apporter la vie là où il y avait la mort, pour commencer une histoire nouvelle là où on avait mis une pierre dessus. Lui, qui a renversé le rocher à l’entrée de la tombe, peut déplacer les rochers qui scellent notre cœur.

Par conséquent, ne cédons pas à la résignation, ne mettons pas une pierre sur l’espérance. Nous pouvons et nous devons espérer, parce que Dieu est fidèle. Il ne nous a pas laissé seuls, il nous a visité : il est venu dans chacune de nos situations, dans la souffrance, dans l’angoisse, dans la mort. Sa lumière a illuminé l’obscurité du sépulcre : aujourd’hui il veut rejoindre les coins les plus obscures de la vie.

Sœur, frère, même si dans ton cœur tu as enseveli l’espérance, ne te rends pas : Dieu est plus grand. L’obscurité et la mort n’ont pas le dernier mot. Confiance, avec Dieu rien n’est perdu. (…………..)

François

Dimanche des Rameaux – Année B – 28 mars 2021 – Évangile de Marc 11, 1-10

Évangile de Marc 11, 1-10

Semaine Sainte : Mode d’Emploi

Beaucoup n’auront sans doute pas l’occasion aujourd’hui de prendre part à la procession des Rameaux et à l’Eucharistie ni d’obtenir le brin de buis traditionnel. Mais le défaut de la pratique rituelle peut et doit nous permettre une réflexion approfondie sur la semaine exceptionnelle que nous commençons et au cours de laquelle nous allons faire mémoire de la semaine qui a changé le cours de l’histoire.

La foi chrétienne est historique et entraîne non une acquisition de vertus mais une certaine manière de vivre le temps. Essayons brièvement d’évoquer la succession de ces jours anciens pour apprendre à vivre avec foi nos jours présents.

Dimanche : L’accueil du Roi

Pourquoi Jésus entre-t-il aujourd’hui à Jérusalem ? Parce que c’est le moment où chaque famille doit acheter un agneau pour la fête. Jésus, lui, fonce au temple, en chasse les animaux et éparpille les piles d’argent. Car Dieu n’a nul besoin de ce genre de sacrifices. Ce qu’il veut, c’est que l’homme obéisse à sa volonté. Par son geste, Jésus excite la haine : en en étant la victime il sera le véritable et unique Agneau pascal.

La foule, par son accueil royal au fils de David, ne comprend pas le signe de l’âne par lequel Jésus voulait montrer qu’il n’est pas un conquérant mais le roi pacifique qui vient supprimer le commerce des armes et bâtir la paix entre toutes les nations.

Est-ce bien cela que nous célébrons ce dimanche ? Accueillons-nous un messie doux et humble, qui œuvre lentement et patiemment à nous pacifier ? Qui demande à ceux qui le portent d’être des ânes butés qui marchent lentement et ont surtout de grandes oreilles pour écouter leur Seigneur ?

Lundi – Mardi – Mercredi : Le Questionnement

Chaque famille devait vivre avec son agneau pendant 3 ou 4 jours et le surveiller avec attention afin de voir s’il n’était pas atteint d’une malformation ou d’une affection qui rendrait son sacrifice invalide. On voit dans les évangiles que, effectivement, en ces jours, toutes les autorités d’Israël espionnent Jésus et le criblent de questions pour le tester et le dévaloriser aux yeux du peuple : faut-il payer le tribut à Rome ? Croit-il à la résurrection ? Quel est le plus grand commandement ?…Chaque fois Jésus répond juste et la foule se réjouit.

Ces premiers jours sont donc ceux du questionnement. Quelles sont mes difficultés de croire ? Est-ce que je m’applique à enraciner ma foi, mon espérance, ma charité ? Ai-je raison de croire en Jésus ? Si oui pourquoi ? Pourquoi vais-je à la messe ? Comment est-ce que je la vis ? Puis-je rendre raison de ma foi à ceux qui la critiquent ? Quel est le rapport de durée entre mes temps de divertissement et mes temps où je prie, où je cherche à m’informer sur ma foi ? La foi se purifie et se renforce par les cribles où elle passe.

Jeudi : Le Repas

Jérusalem est bourrée de pèlerins et chaque famille termine les préparatifs. La joie monte d’heure en heure car la libération jadis des esclaves hébreux va être célébrée comme la certitude de toutes les libérations que YHWH a promises à son peuple. Il est capital de transmettre cet héritage aux nouvelles générations : tous les parents se sont appliqués à préparer leur progéniture. Il y va de la transmission de l’héritage : on est responsable devant Dieu. Le « seder pessah » commence et va durer toute la nuit.

Jésus et ses disciples se rendent dans la maison où un ami leur a tout préparé pour le repas. Les conversations vont bon train, les convives mangent de bon appétit quand tout à coup le maître murmure une annonce qui glace les cœurs : « Un de vous va me trahir »…Ensuite il accomplit les gestes rituels du pain et du vin mais en disant : « Ceci est mon corps…Ceci est mon sang… ». Qu’a-t-il voulu dire ? Quelle est son intention ?…

Très vite, les premiers disciples vont se rappeler l’ordre de Jésus – « Faites cela en mémoire de moi » – et ils célébreront « le repas du Seigneur », « la fraction du pain ». Cette pratique sera l’un des quatre piliers de la vie de l’Église. Or la crise nous jette dans une situation totalement imprévue qui, nous l’espérons, trouvera assez vite une issue.

Quoiqu’il en soit, ce jeudi, nous nous souvenons de ce jour. De l’immense tristesse de Jésus regardant son ami qui va de suite aller le livrer à ses ennemis. De sa compassion envers ses disciples qui rivalisent pour affirmer leur fidélité inébranlable et qui, dans quelques heures, l’abandonneront à ses bourreaux. Ceux-ci, il en est sûr, vont le prendre, le maltraiter, le condamner, le tuer. Mais en réalité, par fidélité à la mission de son Père et par amour des hommes, ici maintenant c’est lui qui « donne son corps » à ses amis. Ensemble, en communauté, ils continueront d’être le Messie qui apporte au monde la justice et la paix.

Nous souhaitons toujours des messes allègres, réconfortantes, enthousiastes qui nous remontent le moral. Ce soir, la première Eucharistie nous en rappelle le prix. Elle nous annonce que le croyant va à la messe aussi pour se donner, pour rencontrer des voisins qui ne l’aiment guère, qui peut-être le trahiront. Pouvons-nous échapper à ce que notre Seigneur a vécu lui-même ?…

Vendredi : Cruauté des hommes et Tendresse de Dieu

Clous dans les nerfs des bras ; flagellation ; couronne épineuse ; moqueries. Défilé des ignominies dont nous sommes capables. Les plus hauts prélats manigançant un procès invalide. Le Préfet romain signant l’arrêt de mort d’un prisonnier dont il a reconnu l’innocence. Des simples soldats maltraitant un prisonnier ligoté. La populace manipulée appelant à la mort d’un homme accueilli peu avant comme un roi…. Au croisement du supplice le plus barbare inventé par la haine des hommes et de la lumière de la Miséricorde de Dieu, le Fils, le Frère de tous, l’Innocent pantelant.

Son cadavre repose dans une grotte proche, derrière une grosse pierre roulée.

« Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal 2, 20). « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » (Rom 8, 35). La profondeur du mal en nous se perd dans l’abîme de la tendresse de Dieu. Journée de connaissance, de reconnaissance. D’écoute des hurlements des hommes que l’on torture, des femmes que l’on viole, des enfants que l’on détruit. Et la rage de deviner les rires exécrables des jouisseurs, indifférents aux malheurs des hommes.

Consolation : quelques femmes sont demeurées jusqu’au bout près de la croix. Elles ont tout vu, tout retenu. Dans beaucoup de paroisses, seules, elles demeurent.

Samedi : Le Vide

La fête se poursuit à Jérusalem. Très rares sont ceux qui ont appris que l’on a exécuté le Galiléen. On se résigne : « A nouveau un espoir disparu. Ce sont toujours les gros qui l’emportent. Prions pour que vienne enfin le Messie … ». Chez les disciples, c’est l’abattement, l’incompréhension, les ténèbres, les larmes. Et la torture de la culpabilité : nous ne l’avons pas défendu, nous sommes des lâches.

Si tout se termine ici, alors courons vite faire nos achats, jouissons d’améliorer notre confort, préparons un excellent repas, cherchons à faire des placements avantageux, partons dès que possible en vacances. Les enfants vont bien, la fin de la crise se dessine. Quoi d’autre ?…

Mais quelque chose se prépare : Rendez-vous au Dimanche suivant …

Conclusion

Je n’ignore évidemment pas que vous avez tous vos obligations familiales et professionnelles et que vous ne pouvez passer cette semaine dans la prière et la réflexion religieuse. Il reste que, dans la situation actuelle et devant les défis immenses lancés à l’Église, celle-ci ne peut continuer avec des laïcs simplement honnêtes et assidus passifs de cérémonies. Covid-19, réchauffement climatique, menace écologique, progression de la pauvreté, régression de la pratique rituelle, perte de la transmission vers la jeunesse… : il serait blasphématoire de se résigner, de se juger irresponsable.

Retourner à la source : Jésus et Pâques. Reprendre le Livre des évangiles. Lire, relire, interroger le texte, poser des questions, ouvrir des échanges. Prier l’Esprit de nous éclairer, de nous introduire dans la profondeur, de nous donner la force de mettre en pratique ce que nous avons découvert.

Que Jésus ait compris que pour sauver le monde, il n’y ait pas d’autre issue que de vivre ce qu’il a vécu : il y a là un fait majeur, bouleversant. La croix : pourquoi ? et pour quoi ?

Voici la semaine décisive où, plus que jamais, chaque croyant doit regarder celui qui a été élevé pour vivre et nous dispenser l’Amour miséricordieux de notre Père.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

« Que se taisent les armes »

L’appel à la paix du pape François en Irak

Le pape François est arrivé, vendredi 5 mars, en Irak. Une première pour un souverain pontife dans ce pays ravagé par les guerres et désormais confronté à la pandémie.

L’avion transportant l’évêque de Rome de 84 ans, qui avait déclaré venir en « pèlerin de la paix », a atterri à Bagdad, point de départ d’une visite de trois jours durant laquelle il tendra aussi la main aux musulmans en rencontrant, dans la ville sainte de Najaf, le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse pour de nombreux chiites d’Irak et du monde. Le président irakien Barham Saleh a accueilli le pape François en « invité apprécié », tandis que le souverain pontife argentin disait avoir « attendu longtemps » sa visite, la première de l’histoire d’un pape en Irak, qui abrite l’une des plus anciennes communautés chrétiennes au monde.

« Que se taisent les armes ! Que la diffusion en soit limitée, ici et partout ! », a lancé, vendredi, le pape François en Irak, pays déchiré depuis 40 ans par la violence. « Que cessent les intérêts partisans, ces intérêts extérieurs qui se désintéressent de la population locale. Assez de violences, d’extrémismes, de factions, d’intolérances ! », a martelé le souverain pontife. 

Le pape François a notamment dénoncé les « barbaries insensées » du groupe État islamique en 2014 contre la minorité yazidie, dont des milliers de femmes ont été réduites à l’esclavage sexuel. « Je ne peux pas ne pas rappeler les Yazidis, victimes innocentes de barbaries insensées et inhumaines, persécutés en raison de leur appartenance religieuse dont l’identité même et la survie ont été menacées », a-t-il dit dans un discours aux autorités irakiennes.

Il a, en outre, plaidé devant les autorités irakiennes pour que « personne ne soit considéré comme citoyen de deuxième classe » dans un pays musulman où les chrétiens ne sont plus que 1 % des 40 millions d’habitants. « Il est indispensable d’assurer la participation de tous les groupes politiques, sociaux et religieux, et de garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens », a-t-il ajouté. Le pape François a également appelé à « lutter contre la plaie de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité » au début de sa visite en Irak, l’un des pays les plus corrompus au monde. 

Il s’est ensuite rendu à la cathédrale Notre-Dame du Secours perpétuel à Bagdad, visée à la veille de la Toussaint 2010 par la prise d’otages la plus sanglante contre des chrétiens d’Irak qui a fait 53 morts. Le pape a ainsi salué la mémoire de « nos frères et sœurs morts […] et dont la cause de béatification est en cours ». « Je vous remercie, frères évêques et prêtres, d’être demeurés proches de votre peuple, en le soutenant », a-t-il ajouté. La communauté chrétienne d’Irak est passée de près d’un million et demi de membres en 2003 à moins de 400 000 aujourd’hui mais, a poursuivi le pape, « la communauté catholique en Irak, bien que petite comme une graine de moutarde, (doit continuer) à enrichir la marche du pays dans son ensemble ».

5ème dimanche de Carême – Année B – 21 mars 2021 – Évangile de Jean 12, 20-33

Évangile de Jean 12, 20-33

L’Heure est venue

Dimanche prochain, Marc nous racontera l’événement de l’entrée à Jérusalem de Jésus accueilli comme un roi, fils de David, par la foule agitant des feuillages. Terrible malentendu : on sait ce qui s’ensuivra. Aujourd’hui Jean, éclairé par l’Esprit et l’expérience de plusieurs années supplémentaires avec sa communauté, nous montre comment la foi relit l’événement. Jésus n’a pas été victime d’un complot.

L’appel des Païens

A l’approche de la grande fête de la Pâque, Jérusalem est submergée par une foule immense de pèlerins venus de tous les pays afin de célébrer, pendant huit jours, la mémoire de l’exode, de la libération des esclaves hébreux. L’espérance est grande car cette Pâque antique est le gage de toutes les libérations ultérieures que Dieu a promises à son peuple. Ne serait-ce pas cette année que le Messie va venir ? …

Or parmi cette multitude se trouve un certain nombre de « Grecs », c.à.d. de païens qui, sceptiques devant la mythologie régnante, ont été attirés par la religion juive. Le pur monothéisme, l’adoration d’un Dieu irreprésentable, la grandeur de la morale de la Torah impressionnaient beaucoup d’esprits. Toutefois la majorité refusait la circoncision, rite pourtant indispensable de la conversion, ainsi que le régime casher de l’alimentation, le repos du sabbat et autres observances. Accueillis comme des prosélytes, ils fréquentaient la synagogue de leur ville, priaient les psaumes et même participaient aux grands pèlerinages annuels.

Quelques-uns de ces Grecs, intrigués par ce cortège improvisé autour d’un inconnu, accostent des disciples qui transmettent leur demande à Jésus : « Des Grecs voudraient te voir » – c.à.d. te rencontrer, avoir une entrevue avec toi, te connaître. Ce simple appel résonne pour Jésus comme un moment capital :

L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit.

Dès le début et tout au long de l’évangile, Jésus a répété que « son Heure » n’était pas venue, l’heure que son Père a fixée pour qu’il aille au point culminant de sa mission. Cette Heure mystérieuse sonne au cadran de l’histoire.

En effet Jésus n’est pas dupe de l’accueil enthousiaste dont il est l’objet. Son peuple lui a toujours demandé des guérisons corporelles et à présent il l’acclame comme roi, fils de David, envoyé par Dieu. Il ne comprend pas le signe de l’âne que Jésus a monté et qui doit leur rappeler la prophétie : « Réjouis-toi, Jérusalem, ton roi s’avance vers toi, humble, monté sur un âne. Il brisera les armes de guerre et proclamera la paix pour toutes les nations. Sa domination sera universelle » (Zach 9, 9).

C’est pourquoi Jésus prévoit ce qui va arriver : les autorités, affolées par l’éventualité d’un soulèvement qui provoquerait la répression impitoyable par les Romains et des destructions, vont devoir réagir au plus vite et supprimer ce faux messie, cause involontaire de cette effervescence.

Mais d’autre part, à travers la demande des Grecs, Jésus perçoit l’appel déchirant de tous les peuples du monde qui voudraient « voir Jésus », qui sont eux aussi en recherche de Dieu et de libération, de justice et de paix.

Ainsi, paradoxe suprême, en acceptant par amour la mort que les autorités de son peuple vont lui infliger, Jésus ne doute pas que son Père lui rendra la Vie. Du coup la mission, dégagée de tous les interdits qui l’enfermaient dans les limites d’Israël, pourra franchir toutes les frontières et s’accomplir jusqu’aux confins du monde. Tous les païens pourront voir Jésus. Il sera le grain de blé qui tombe dans la mort, qui resurgit et « donne beaucoup de fruit ». Telle est bien « l’Heure » où le Fils de l’homme va être glorifié.

Destin identique du disciple

Il est frappant que, immédiatement, Jésus enchaîne en s’adressant à ses disciples tout fiers de goûter l’ivresse de ce succès populaire et rêvant déjà de victoire et d’honneur :

Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache la garde pour la Vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive. Là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

Jésus cherche à éteindre leur faux espoir. Ils ne seront pas des ministres dans quelques jours ni, plus tard, les croyants bénéficiaires de l’œuvre accomplie par leur Maître et se contentant de rappeler son souvenir. Chacun d’eux devra faire mémoire de Jésus en fuyant les honneurs mondains, en subissant l’hostilité et en donnant leur vie. Le chrétien n’est serviteur de Jésus qu’en le suivant sur le chemin du don de soi. Mais c’est alors qu’ il pourra être certain de recevoir l’Honneur du Père.

L’agonie en public

Au cœur de la foule en liesse, Jésus prend donc conscience que son Heure arrive et qu’elle sera nécessairement d’abord celle de sa mort. L’horreur le saisit, tout son être en est bouleversé, Et Jean anticipe ici la scène de l’agonie que Marc situe plus tard au mont des Oliviers :

Maintenant je suis bouleversé. Que dire ? Dirai-je : « Père, délivre-moi de cette Heure » ?…Mais non puisque c’est pour cela que je suis venu à cette Heure….Père, glorifie ton Nom.

Une voix vint du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore » ».

Comment imaginer l’épouvante du Fils de l’homme devant la perspective de la mort ? Il serait porté à supplier comme nous : « Pas cela ! Délivre-moi ». Mais il rejette la tentation non par stoïcisme mais parce que, en vivant sa Pâque, il va permettre à l’humanité de connaître le vrai Dieu Amour. Sa prière se transfigure : non plus « sauve-moi » mais « Pour ta Gloire ». La Gloire du Père, il n’a cherché que cela dans sa vie. Elle est rejet des idoles et du culte hypocrite, des caricatures du divin, de l’égocentrisme et de l’orgueil.

La Croix sera Élévation

Jésus dit à la foule : « Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre : c’est pour vous. Maintenant ce monde est jugé. Maintenant le prince de ce monde va être jeté bas ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ». Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

L’Heure de Jésus Sauveur qui est l’Heure de la Glorification du Père est par conséquent l’heure du jugement. Le monde était sous la coupe d’une mystérieuse puissance, appelée satan, diable, accusateur qui manipulait les humains à se dresser les uns contre les autres, à se haïr, à se déchirer. Mais ce « prince » va dégringoler de son piédestal idolâtre parce que Jésus, par son amour infini, va monter sur le trône royal. Oui les hommes vont l’exhiber, pantin sanguinolent, sur la hauteur du Golgotha : mais cette élévation crucifiée sera son couronnement glorifié.

Alors « élevé de terre, il attirera tous les hommes ». Certes il restera pour beaucoup la victime dérisoire, le fou, l’illuminé. Mais ceux qui, comme Nicodème, « font la vérité », luttent contre l’égoïsme et la haine et cherchent le Dieu véritable, regarderont le crucifié, seront bouleversés par cet amour et, à la source de son cœur transpercé, ils boiront le pardon et la Vie divine. Éternellement la Croix sera le carrefour où Dieu nous attend pour nous unir dans la fraternité.

Identité et Mission

Éternel et grave problème. L’Église doit être le peuple de Dieu qui vit très fidèlement l’Évangile – ce qui la distingue du monde. Mais son Seigneur lui a ordonné de répandre l’évangile et de faire des disciples dans toutes les nations. Si elle durcit les marques de son identité par des exigences et des rites figés, elle se ferme comme une citadelle. Si la passion de l’évangélisation l’emporte, elle est tentée de gommer ses caractéristiques et de devenir, comme dit François, une O.N.G., une œuvre philanthropique.

On ne souligne pas assez l’incroyable audace des premières générations chrétiennes quand les Juifs – qui étaient majoritaires – acceptèrent de ne plus imposer aux « Grecs » convertis la circoncision, les interdits alimentaires, le sabbat et autres pratiques. Certes « ça a chauffé » au cœur des assemblées où des Juifs refusaient catégoriquement ces concessions qui contredisaient la Loi sacro-sainte: les « Actes des Apôtres » et la lettre aux Galates de Paul suggèrent l’âpreté des affrontements qui furent très durs.

De même en 1962, lorsque le brave pape Jean XXIII eut l’idée géniale de convoquer un concile, les débats ont été virulents avec certains de la Curie qui s’accrochaient à ce qu’ils appelaient faussement « la tradition ». Heureusement le sens missionnaire l’a emporté : réforme de la liturgie guindée, proclamation de la liberté de conscience, dialogue avec les religions, sacerdoce des laïcs…

Et si notre carême en temps de virus nous provoquait à nous interroger ? Pourquoi tant de pratiquants nous ont-ils quittés ? Pourquoi tant de jeunes, perdus, trouvent-ils l’Église inutile ?

Comme les disciples, transmettons au Seigneur l’appel de la multitude : « Ils voudraient te voir ».

Que garder ? Que lâcher ? Que réformer sans trahir ?

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

« Croire quand même »

Le père Joseph Moingt était un des grands théologiens jésuites de notre temps.
Il est décédé le 28 juillet 2020 à Paris à l’âge de 104 ans.
Il est l’auteur de dizaines d’ouvrages.
Un des derniers : « Croire quand même » regroupe de libres entretiens sur le passé et l’avenir du catholicisme.

EXTRAITS

L’Évangile ne donne pas de préceptes de religion, il apprend aux hommes à vivre en hommes (p.83)

Je vois souvent des amis à qui je dis : « Faites des groupes, des communautés ; évitez les ruptures bruyantes qui n’aboutissent à rien ; gardez même si possible des contacts avec l’Institution et faites Église autrement ; et puis, bon, vous verrez bien ce qui arrivera » (p. 85)

D’abord, ne demandez pas « à quoi ? » mais « à qui ? » il faut croire ; on ne croit pas à des vérités abstraites tombées du ciel, on croit en Dieu qui s’est manifesté et continue à se manifester de telle et telle façon (p.161)

Bien sûr, on entre en conflit avec le monde. Qu’est-ce que le monde si ce n’est la tendance de l’univers à se replier sur lui-même. Le monde, c’est la force d’inertie, c’est la répétition du même, le chacun pour soi, le plus possible de biens et de jouissances pour moi aujourd’hui et tant pis pour les autres et pour ceux qui viendront après nous. C’est ce qui détourne mon regard du pauvre qui est là. C’est ça le monde, l’esprit du monde. C’est de vouloir arrêter l’évolution, et tout canaliser à son profit.

Le combat contre l’esprit du monde durera jusqu’à la fin des temps. Le prologue de l’évangile de Jean montre que la création, à ses débuts, fut la lutte de la lumière contre les ténèbres. Cela n’a pas changé, car la création est un processus ininterrompu. Du fait qu’il y a lumière, il y a aussi ténèbres.

La foi, c’est de croire que les ténèbres n’arrêtent pas la lumière. Pourquoi ? Parce que Jésus est venu dans nos ténèbres et qu’il est la lumière qui luit dans ce monde. Cela veut dire qu’il détruit toutes les forces de mort, les forces de vieillissement, d’inertie, de pesanteur, qui empêchent le monde de se développer, de devenir un univers ouvert. (p.240)

Dans l’Église ancienne, les chrétiens recevaient l’enseignement des apôtres au cours du repas eucharistique. Plus on donnera de l’importance à la lecture et au partage d’évangile, plus on évitera l’écueil du ritualisme et mieux on comprendra ce qu’on appelle la « présence sacramentelle » de Jésus (p.198)

Joseph Moingt : « Croire quand même »
éd. Champs essais – 9 euros.

4ème dimanche de Carême – Année B – 14 mars 2021 – Évangile de Jean 3, 14-21

Évangile de Jean 3, 14-21

Dieu a tant aimé le Monde

Lorsque Jean, à la fin du 1er siècle de notre ère, écrit son évangile, la grande majorité des Juifs, traumatisée par la destruction de Jérusalem et du temple en 70, refuse toujours la foi en Jésus ; on a même interdit l’accès aux synagogues à leurs compatriotes convertis. Des apôtres et des disciples ont été persécutés et même exécutés. Cependant la mission chrétienne poursuit son expansion fulgurante dans le monde: Barnabé, Paul, Tite et beaucoup d’autres ont fondé partout des communautés où païens et juifs communient dans la même foi en Jésus Messie et Seigneur.

Jean, qui est juif, et sa communauté sont provoqués par l’Esprit-Saint à une réflexion permanente pour approfondir la connaissance de Jésus et ils poursuivent des débats passionnés avec les nouveaux dirigeants d’Israël qui sont pharisiens. C’est ainsi que Jean, dans un dialogue entre Jésus et Nicodème, un notable, montre la grandeur infinie du Christ Seigneur et donc l’abîme entre la foi chrétienne et la conception pharisienne. La lecture de ce jour ne donne que la seconde partie de cet entretien.

L’Élévation glorieuse du Fils de l’Homme en croix

La Bible raconte un curieux épisode de l’exode : lors de leur pénible route dans le désert, les esclaves hébreux, ayant critiqué Dieu, campèrent en un lieu infesté de serpents brûlants (c.à.d. venimeux). Moïse intercéda : il fit faire une effigie de serpent en airain qu’il dressa sur une hampe et celui qui regardait le serpent avait la vie sauve » (Nombres 21, 4). Cette pratique curieuse choqua plus tard un sage professeur qui expliqua : « C’était un gage de salut qui leur rappelait ton commandement. Quiconque se retournait était sauvé, non par l’objet regardé, mais par Toi, le Sauveur de tous » (Sag 16, 6). Le salut n’est pas magique : le regard provoquait la conversion à la Loi et donc le salut.

Jean, qui connaît bien cette effigie du serpent, symbole de la médecine partout répandu, pousse à fond sa signification ultime :

« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé afin que tout homme qui croit ait par lui la Vie éternelle ».

En effet Jésus, au Golgotha, a été crucifié en hauteur sur le bois de la croix. Cette exécution cruelle a donc été « son élévation »- au double sens du mot. Celui que l’on considérait comme un horrible blasphémateur condamné pouvait être vu maintenant, par la foi, comme le glorieux Fils de l’homme annoncé par le prophète. Celui qui le voit ainsi, qui croit en lui, reçoit le pardon des morsures mortelles de ses péchés et est rempli de Vie divine.

Raison de la Croix : l’Amour

Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas mais il obtiendra la Vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé »

C’est la première fois qu’apparaît le verbe « aimer » dans Jean et c’est pour évoquer l’amour de Dieu pour nous. « Dieu est amour » dira plus tard la 1ère lettre de Jean. Dieu n’est pas un pervers qui exigea la mort de son Fils comme victime. Par amour, il a envoyé son Fils non pour souffrir mais pour nous faire passer dans son royaume de paix et de justice. Hélas les hommes n’ont pas voulu. Le Fils n’a pas capitulé, il a voulu accomplir sa mission jusqu’au bout et, comme les hommes voulaient le prendre, il s’est donné, il a offert sa vie. La croix ne dit pas qu’il faut souffrir mais « qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».

Les hommes ont tué Jésus comme s’il était un danger de mort. Ils l’ont dressé sur le mât de la croix pour que les passants « voient » ce qu’il ne faut pas faire. Jean a compris l’inverse : Jésus a accepté de prendre la place du serpent afin que les croyants, qui le comprennent dans sa vérité, voient en lui un Seigneur vivant et qu’ainsi ils vivent. Extraordinaire transfiguration d’un signe. La croix qui supprime l’homme devient un signe positif.

La croix n’est pas l’anéantissement du mal : elle apparaît même comme sa victoire mais en fait – dans la foi – elle est victoire de la Vie sur la mort par la miséricorde de Dieu… A la fin de son évangile, Jean reconnaît qu’il n’a raconté que « des signes » mais que le but unique, essentiel, vital, cosmique, urgent, de son écriture était

« pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la Vie en son nom » (20, 31)

Y a-t-il Jugement ?

Si le don du Fils par son Père, qui s’est traduit par le don total du Fils sur la croix, est la manifestation d’un Dieu « qui a tant aimé le monde », peut-on en conclure dès lors que nous ne sommes plus jugés ? Absolument pas. Nous ne passons plus devant un juge qui compte nos fautes : nous nous jugeons nous-mêmes.

Celui qui croit échappe au jugement ; celui qui ne veut pas croire est déjà jugé parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

Et le jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

En effet tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière de peur que ses œuvres ne lui soient reprochées.

Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, de sorte que ses œuvres sont reconnues comme des œuvres de Dieu ».

Déjà dans son prologue, Jean avait dit : « Au commencement était le Verbe…Il était la vraie lumière…il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli »(1, 11). Jésus est bien venu dans le peuple le mieux à même de le connaître, il a été tout à fait transparent, sans ambition de puissance ou de lucre, aimant chacun et proposant clairement la vérité à vivre pour un monde juste.

Hélas, les gens n’ont demandé que la guérison corporelle  ; un de ses disciples l’a livré ; les autres l’ont lâchement abandonné ; leur chef l’a renié ; le grand tribunal du Sanhédrin a monté un procès tronqué ; le préfet romain a reconnu l’innocence de son prisonnier et l’a fait condamner à mort ; les simples soldats ont été des bourreaux ricaneurs. Oui, la croix a été dérision, horreur impitoyable, lâcheté, barbarie. Parce que l’humanité – même formée par la Loi de Dieu et pratiquant le culte du temple – reste gangrenée par l’égoïsme, l’orgueil, l’envie. Elle rejette celui qui lui présente le chemin étroit de l’amour fidèle et universel, du partage, du pardon indéfini.

Pour cette humanité plongée dans les ténèbres et qui, même contre son gré, « fait le mal », la brèche vers la lumière est offerte et il faut ici rectifier la traduction liturgique : « celui qui fait la vérité ».

Il ne suffit donc pas de rêver d’être meilleur, de prendre de bonnes résolutions, de méditer des hautes pensées, de pratiquer davantage de vertus et de rites, de revendiquer paix et justice. Maintenant la vérité apparue dans le comportement et l’enseignement de Jésus éclate dans son mystère pascal, dans sa mort donnée pour notre pardon et dans sa résurrection qui nous donne l’Esprit.

« Faire la vérité », c’est se décider à vivre selon l’évangile qui n’est plus un code mais une personne. C’est venir à Jésus, le regarder pour le connaître comme « lumière de la vie », c’est se laisser aimer par un Dieu père qui aime tellement ses enfants.

Dans le cheminement du notable pharisien, Jean donne un exemple de ce que signifie « faire la vérité ». Au point de départ, Nicodème, parce qu’il a été témoin de quelques guérisons, soupçonne en Jésus un envoyé de Dieu, il vient de nuit le rencontrer mais il achoppe sur son enseignement.

Mais plus tard, lorsque grands prêtres et pharisiens projetaient d’arrêter et supprimer Jésus, Nicodème osa demander que l’on procédât au préalable à un interrogatoire en règle. Il se fit vertement rabroué (7, 45…).

A la Pâque suivante, quand Jésus fut crucifié, Nicodème fit apporter 100 livres d’aromates pour oindre le corps – magnificence royale qui était signe que le notable, s’il n’avait pu empêcher ce procès expéditif, avait « fait la vérité » en affrontant ses collègues. Il était passé de la nuit à la lumière.

Conclusion

Le crucifix n’est pas masochisme, apologie de la souffrance. Il est au premier regard le plus horrible signe de la haine qui peut habiter les cœurs, même des plus hauts personnages, et de la lâcheté qui rôde dans nos cœurs de croyants.

Mais Jean nous en révèle la signification profonde : il est la preuve que « Dieu aime tant les hommes ». Désormais il est dressé dans l’Église comme le grand signe de l’Amour miséricordieux de notre Père. Quiconque fait la vérité et voit le visage du Sauveur est guéri. Saint Paul lançait fièrement : « Pour moi jamais d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus Christ » (Galates 6, 14)

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Hors de la Messe, pas de Salut ?

……. Comment assumer en vérité, c.à.d. de manière évangélique, notre mission de chrétiens dans le monde ? Un monde agité de peurs, de colères, de frustrations. Où la peste de la désinformation et de la manipulation des esprits est aussi active que le virus. Où l’islamisme radical recrute gaillardement pour semer la terreur. Où le quotidien de beaucoup de Français sur fond d’un pandémie sans fin est la peur du chômage, de la misère, de bouleversements, qui laissent la jeunesse tragiquement aux prises avec un lendemain sans avenir.

Or c’est bien dans cette conjoncture qu’il s’agit de vivre en chrétien, d’être porteur d’espérance contre toute espérance, témoin du Ressuscité face à de multiples désespoirs et aux succès insolents de la mort.

Qui contestera qu’il nous faut puiser notre fidélité et notre énergie à partir de la source, c.à.d. du Christ ? Qui contestera que la vie sacramentelle est la modalité la plus naturelle de cette relation ?

A condition cependant de ne pas laisser contaminer cette vérité par les étroitesses qui voudraient qu’il n’y ait de vie chrétienne qu’à fréquenter les églises selon les protocoles du temps ordinaire. Et qui prétendraient en particulier assigner la relation au Christ à une participation dévote à la messe célébrée par des prêtres en présentiel ou en virtuel …(…)

Certes c’est bien l’Eucharistie qui fait l’Église, en même temps que celle-ci la célèbre. Mais il est faux de prétendre que l’Eucharistie épuise les moyens par lesquels un chrétien partage la vie du Christ et a part à sa mission.

Une Église de Disciples autour de la Parole

La cessation provisoire de l’Eucharistie pourrait être l’occasion salutaire pour tous de reprendre conscience que la Parole de Dieu est, de façon tout aussi nécessaire, table de vie. Et qu’il suffit que deux ou trois soient réunis au nom du Christ, ouvrent ensemble les Écritures, pour que le marcheur anonyme du chemin d’Emmaüs leur soit présent, et que se renouvelle l’illumination des cœurs qui devrait être le préalable de toutes les fractions du Pain célébrées dans l’Église.

Belle occasion en fait d’expérimenter à neuf l’Église comme communauté de « disciples ». De se rappeler mutuellement que l’on n’est pas chrétien en se recroquevillant sur l’entre-soi, mais en sortant comme le Christ en sortie d’Évangile.

Car la mission d’un chrétien a un nom que nous ne pouvons ignorer en ces jours de « Tous frères »du pape François. C’est la fraternité ! Loin d’un plat humanisme, la première lettre de Jean nous apprend qu’elle est la vérification de l’amour de Dieu et, par conséquent, en christianisme, une réalité à densité mystique ! Tout comme elle est l’antidote à nos replis, qui ne font que conforter la relégation des croyants dans la sphère privée.

Ne nous leurrons pas, la véritable fidélité aujourd’hui n’est pas dans la défense crispée de pratiques auxquelles nous tenons légitimement mais qui, dans leurs formes traditionnelles, sont en train de s’effondrer.

Elle a à voir plutôt avec une confiance et une générosité qui nous rendent créatifs de nouvelles formes de vie communautaire. Dans une solidarité avec une société remplie d’urgences, qui est le lieu où les chrétiens ont rendez-vous avec Celui dont ils reçoivent leur vie et leur mission .

Monique BAUJARD, doctorante en théologie et
Anne-Marie PELLETIER, bibliste,
dans « La Croix » du 9.11.20

3ème dimanche de Carême – Année B – 7 mars 2021 – Évangile de Jean 2, 13-25

Évangile de Jean 2, 13-25

Pas de trafic dans la Maison du Père

Bien que Marc, comme aussi Matthieu et Luc, raconte la scène de la purification du temple, ce n’est pas sa version mais celle de Jean -écrite bien plus tard – que nous écoutons aujourd’hui et il l’a profondément approfondie. Au lieu de se passer lors de l’Entrée des Rameaux, Jean l’anticipe et la situe dès le début de la mission de Jésus. D’emblée le heurt avec les plus hautes autorités du temple commence. En outre Jean en fait une révélation stupéfiante du mystère de Jésus, vrai Temple.

Jésus le perturbateur

Descendu dans les eaux du Jourdain, baptisé par Jean, comblé de l’Esprit, suivi de ses premiers disciples, Jésus remonte vers la Galilée et, aux noces de Cana, il effectue son premier signe. De là il descend à Capharnaüm sur les bords du lac mais très vite il repart pour monter à Jérusalem. Remarquez comme ces petites notations géographiques attirent déjà l’attention sur le mouvement de « montée-descente », caractéristique de la Pâque que Jésus va vivre.

La Pâque approche : des multitudes de pèlerins convergent dans l’allégresse vers Jérusalem pour y fêter, pendant 8 jours, la libération de l’esclavage et consommer l’agneau pascal, gage des libérations futures. Et tous chantent la splendeur du nouveau Temple. Certes il a été commandité par l’ancien roi Hérode, criminel et mégalomaniaque et les travaux d’achèvement n’en finissent pas, mais il est la Maison de Dieu, le centre d’Israël, le lieu le plus sacré du monde et où se rend le seul culte authentique.

En entrant par la porte orientale, on découvre tout de suite l’immense cour bordée de colonnades. Mais surprise, elle ressemble à une foire : dans la cohue, derrière leurs petites tables, les changeurs permettent d’obtenir la monnaie pour payer l’impôt du temple et à côté, des marchands vantent les qualités de leurs bêtes. Quelle cacophonie : beuglements et bêlements des animaux, cris et disputes des marchands, débats acharnés pour obtenir des réductions de prix… Alors qu’il y avait toujours eu des marchés de ce genre en ville, l’ancien grand prêtre Hanne, beau-père de Caïphe le grand prêtre en exercice, avait décidé d’ouvrir un nouveau marché à l’intérieur même du temple et nul n’ignorait que la location des emplacements leur rapportait des revenus considérables. Plusieurs grandes familles sacerdotales étaient connues pour leur cupidité.

Jésus entre avec ses disciples et devant ce cirque, il est saisi de fureur : il tresse un fouet avec des débris de cordes pour chasser les animaux (Jésus ne s’en prend évidemment pas aux personnes), renverse les tables et éparpille les piles de monnaie. Il n’accuse pas les marchands de profits malhonnêtes mais d’être à cet endroit.

« Ne faites pas de la Maison de mon Père une maison de trafic »

Lors de son baptême, Jésus a entendu Dieu l’appeler « mon Fils bien-aimé » et, en signe, la colombe de l’Esprit est descendue librement sur lui. Ce Temple géré par les prêtres est donc la maison de son Père : il en est responsable. Ce trafic défigure, profane l’image de Dieu : il est scandaleux que l’accès à Dieu passe par le commerce et les tractations financières. Que des riches puissent offrir de gros animaux afin d’obtenir leur pardon alors que les plus misérables manquent de tout. Pour entrer près de Dieu, l’argent ne peut s’accumuler : il doit rouler, s’éparpiller, se partager. On ne paie pas pour obtenir l’Esprit : Ouvrez la cage aux oiseaux ! On n’achète pas la grâce : par définition elle est « gratuite ».

Vers le Nouveau Temple

L’esclandre causée par cet inconnu provoque évidemment l’effervescence, la stupeur, le scandale. Qui est ce type ? Il se prend pour un prophète : il doit expliquer son acte.

– Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais ? 
– Détruisez ce temple et en 3 jours, je le relèverai !
– ?? Il a fallu 46 ans pour bâtir ce temple et toi, en 3 jours, tu le relèverais ??!! 

La réponse de Jésus est évidemment incompréhensible, à la limite de l’absurde. Jean reconnaît que les disciples n’en ont compris la signification que bien plus tard, lorsque Jésus a été ressuscité des morts. Et elle ouvre sur une révélation prodigieuse.

Ce fameux Temple que Hérode avait voulu pour défier les siècles aura en effet une destinée éphémère : en l’an 66 de notre ère, excédés par les Romains, ces maudits païens qui souillaient la terre sainte, écrasés par les exactions de plusieurs gouverneurs, pressurés par les taxes et impôts de tous genres, persuadés d’avoir réuni la quantité d’armes nécessaire, les mouvements révolutionnaires juifs commencèrent. Ils conduisirent à une guerre terrible qui finalement, en l’an 70 (40 ans après la mort du Christ) s’acheva par l’écrasement, la destruction de Jérusalem et l’incendie du temple. Désastre total !

Mais alors que le peuple d’Israël était épouvanté (plus de temple, donc plus de sacerdoce, donc plus de sacrifices possibles, plus de purification des fautes), les communautés chrétiennes avaient eu la révélation d’un nouveau temple.

Le Corps ressuscité de Jésus est le Saint des Saints du nouveau Temple, éternel, indestructible. Il n’est pas construit de matériaux de pierres, de cèdres et de marbres, il n’est pas localisé sur la carte. Et tous ceux qui croient en Jésus, qui adhèrent à lui par la confiance et la pratique de son commandement, deviennent des « pierres vivantes » de ce temple. En Jésus mort et ressuscité se rend le culte authentique ; se découvrent le Père qui fait miséricorde à ses enfants, le Fils qui est l’agneau offert pour le pardon des péchés, l’Esprit qui, comme une colombe, protège ses enfants de toute calamité.

Le travail de mémoire

A deux reprises, Jean évoque dans son récit le rôle de la mémoire. Lorsque Jésus, après son acte violent, lance à ses adversaires en furie : « Ne faites pas de la Maison de mon père une maison de trafic », Jean note que ses disciples se rappelèrent la parole de l’Écriture : « L’amour de ta maison fera mon tourment ». Dans ce psaume 69, un juste persécuté par ses ennemis dit que son zèle pour le temple lui amènera toujours de grandes souffrances. L’intervention de Jésus le conduira à la mort.

La seconde fois, quand Jésus lance la phrase incompréhensible « En 3 jours je le relèverai », Jean note :

« Quand il ressuscita des morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela : ils crurent aux prophéties de l’Écriture et à la Parole que Jésus avait dite ».

De même, à l’entrée des Rameaux, Jean dira que c’est après la résurrection, que les disciples se rappelèrent et comprirent pourquoi Jésus était monté sur un âne (12, 16).

Des passages de l’évangile ou de la bible peuvent, au premier regard, nous sembler incompréhensibles. De même des événements de notre vie nous bousculent, nous remplissent de peur. Nous ne voyons pas ce que tout cela veut dire. Déconcertés, certains s’éloignent de la foi. Tout s’éclaire (pas toujours tout de suite) si nous invoquons l’Esprit que Jésus a promis et dont il a expliqué un des rôles essentiels :

Le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon Nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit…Il vous fera accéder à la Vérité tout entière (16, 13)

Jésus n’a rien écrit, les apôtres n’ont rien noté mais ils ont gardé le souvenir de qu’il a fait et dit. L’Esprit du Christ ressuscité les amènera à pénétrer la signification profonde de ses actes. C’est en amenant ainsi à la compréhension progressive de la réalité de Jésus et du sens des choses dans leur rapport avec lui que l’Esprit enseigne toutes choses (note de la Tob sur ce verset 14, 26). Le travail de mémoire excite la foi.

Conclusions

Déjà, bien avant la disparition du temple d’Hérode, Paul rappelait aux Corinthiens ce qu’il leur avait enseigné : « Vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous …Donc tout est à vous mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu » (1 Cor 3, 16 ; 2 Cor 6, 16).

Et la 1ère lettre de Pierre affirmait : « Vous aussi, comme des pierres vivantes, vous êtes édifiés en maison spirituelle pour constituer une sainte communauté sacerdotale, pour offrir des sacrifices spirituels agréables à Dieu par Jésus Christ » (1 Pi 2, 4)

L’Église perd sa crédibilité lorsqu’elle est corrompue par les affaires de trafic…

Sommes-nous « pleins de zèle », engagés dans un travail perpétuel de purification et conscients de l’hostilité qu’il provoquera ? … Appelons l’Esprit dans la prière afin qu’il nous éclaire davantage sur le mystère de la Résurrection et nous conduise vers la Vérité…Notre culte est-il authentique ?…

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Amour de Dieu et Amour du Prochain, Culte et Justice

Le contrat d’Alliance de Dieu avec Israël est résumé par les dix Commandements écrits sur deux Tables : les devoirs envers Dieu et ceux envers le prochain. Ils sont inséparables. Une des grandes tentations d’Israël est d’édifier des sanctuaires magnifiques, de rendre à Dieu un culte généreux, régulier …mais qui tolère injustices graves et exploitation des pauvres. Le Seigneur ne supporte pas ce culte hypocrite et il envoie des Prophètes pour le dénoncer et appeler à la conversion urgente. Quelques exemples :

Le Prophète AMOS

Vers – 750, Amos, bouvier du royaume de Juda, reçoit mission d’être prophète de Dieu dans le royaume de Samarie. La prospérité y a provoqué un enrichissement mais aussi des injustices criantes.

« Dans vos assemblées il n’y a rien qui me plaise, dit le Seigneur ; vos sacrifices de bêtes grasses, j’en détourne mes yeux. Éloigne le bruit de tes cantiques ! Que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent ! …Rétablissez le droit au tribunal ».

Le grand prêtre du temple convoque Amos : « Va-t’en, voyant ! Retourne au pays de Juda ! Ne prophétise pas ici, c’est le temple royal ! ».

Le Prophète ISAÏE

Quelques années plus tard, le grand prophète Isaïe se lève à Jérusalem et, lui aussi, dénonce avec violence un culte hypocrite qui tolère l’exploitation des pauvres.

« Écoutez la Parole du Seigneur. Que me fait la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié…Cessez d’apporter de vaines offrandes ! Je n’en peux plus des forfaits et des fêtes ; je déteste vos solennités. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas ; vos mains sont pleines de sang ! …

Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, recherchez la justice, faites droit à l’orphelin, prenez la défense de la pauvre veuve….Comment Jérusalem est-elle devenue une prostituée, la cité qui était fidèle et juste ?…Tes chefs sont des rebelles, complices des voleurs. Ils aiment les pots-de-vin, ils ne rendent pas justice au pauvre… » (Is 1)

Le vrai Jeûne

Après la destruction de Jérusalem et du premier temple, au retour du long exil à Babylone, les Judéens sont malheureux, ils organisent des jours de lamentation et de prière pour obtenir le soutien de Dieu. Et ils se lamentent de n’être pas exaucés. Mais un disciple d’Isaïe dénonce l’hypocrisie de ces jeûnes :

« Parole du Seigneur. Vous dites : « Que nous sert de jeûner si tu ne le vois pas ? »…Or le jour de jeûne, vous savez tomber sur une bonne affaire, vous brutalisez vos ouvriers. Vous jeûnez mais vous cherchez querelles et disputes et vous frappez le malheureux !

Le jeûne que je préfère c’est : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui sont écrasés, partager ton pain avec l’affamé, héberger les pauvres sans abri, habiller celui est nu. Ne te dérobe pas devant celui qui est ta propre chair…

Alors tu appelleras et le Seigneur répondra. Ta lumière se lèvera, le Seigneur te guidera sans cesse… » (Is 58)

Le surplus de piété envers Dieu
ne compensera jamais le manque de pitié pour le frère

Carême : Temps de Réflexion

Pape François : « Un Temps pour changer »
(éd. Flammarion 2020)

Dans son carême au désert, le but de Jésus n’était pas d’abord le jeûne mais la réflexion. Comment remplir ma mission ? Quelles options rejeter ? Quelles décisions prendre ?

Être homme, c’est donner sens à sa vie. D’où des priorités à prendre. Chaque aujourd’hui est une réponse à Dieu et un engagement pour l’homme.

Pendant la crise, le pape François a réfléchi à sa vocation et à la mission de l’Église. Écrit en langage très simple, abordant nos problèmes les plus dramatiques et les plus urgents, son livre peut devenir notre source de réflexion. Que faire en temps de covid-19 ?

Extraits :

« Nous devons prendre conscience de notre je-m’en-foutisme, et nous ouvrir aux bourrasques qui nous parviennent maintenant de tous les coins du monde…Bien sûr nous hésitons. Face à tant de souffrances, qui ne reculerait pas ? Il n’y a pas de honte à trembler un peu. Nous nous sentons à la fois inaptes à la tâche et appelés à l’accomplir.(p. 36)

Cette crise démasque notre vulnérabilité, expose les sécurités fausses sur lesquelles nous avions construit nos vies (p. 48)

Un signe d’espoir dans cette crise est le rôle prépondérant des femmes…Je pense à ces femmes économistes…Leur appel à une révision des modèles que nous utilisons pour gérer les systèmes économiques…Je vois des idées formées à partir de leur expérience dans la périphérie, reflétant une préoccupation concernant l’inégalité délirante entre des milliards de personnes dans une extrême pauvreté et le 1 % le plus riche possédant la moitié des richesses financières du monde …(p.96 ss)

Le but n’est pas de partager les miettes de notre table, mais à cette table de faire une place à chacun. La dignité des personnes appelle la communion : partager et multiplier les biens, participer ensemble au bien de tous (p.165)

Laisse-toi entraîner, secouer, défier…Lorsque tu sentiras le déclic, arrête-toi et prie. Lis l’Évangile si tu es chrétien. Ou crée simplement un espace en toi pour écouter. Ouvre-toi…décentre…transcende…Et ensuite agis. Appelle , rends visite, offre tes services…(p. 202)