L’Église a besoin de jeunes comme la terre a besoin de pluie

par Faustine Arduin, correspondante ZENIT pour les JMJ

Le week-end tant attendu avec le Saint-Père, sommet de cette semaine des JMJ à Lisbonne, est enfin arrivé. Une foule immense de 1,5 million de jeunes pèlerins a convergé tout le samedi sur le Campo di Graça, un parc de 90 hectares près du Tage et de locéan, pour deux jours qui marqueront notre vie. 

L’attente dans la chaleur fut longue au Parque Tejo – nous étions arrivés sur place au tout début de l’après-midi pour être bien placés et accueillir le pape François à 20h45 – mais nos efforts une fois de plus furent récompensés. Son visage rayonnant sur les écrans géants nous réconfortait et nous donnait vraiment l’impression que nous étions attendus ici depuis toujours. Les propos que le pape a improvisés lors de la veillée, directement sortis de son cœur, m’ont beaucoup touchée : il nous a parlé de « la joie missionnaire ». Nous sommes faits pour la joie, la vraie joie du chrétien qui a rencontré Jésus. Et, en même temps, nous sommes faits pour la mission, nous devons partager ce que nous avons vécu durant ces deux semaines de JMJ, porter cette joie au monde sans peur de témoigner. 

Le pape nous a dit que nous devions puiser « dans les racines de joie » des personnes qui nous ont guidés dans la foi et dans l’amour : nos parents, nos grands-parents, nos professeurs, nos prêtres, nos amis. Nous avons fait une minute de silence pour nous remémorer ces personnes qui ont marqué notre vie. Nous-mêmes devons devenir des racines de joie pour les autres en les rencontrant et en dialoguant avec eux, nous a demandé le pape. En avançant avec cette joie au cœur, nous rencontrerons des échecs au milieu des ténèbres du monde mais les racines sont là, ancrées, pour nous relever : « le problème nest pas de tomber mais de rester à terre ». 

Nous devons également relever les autres : « la seule fois où nous pouvons regarder quelquun de haut en bas, cest pour le relever » a insisté le Saint-Père. C’est ce que Jésus a fait. L’adoration du très Saint-Sacrement, au milieu d’un silence poignant, m’a profondément marquée. Dieu s’est manifesté aux jeunes jusque dans sa création où nous avons eu la chance d’assister à un magnifique coucher de soleil, de voir une lune rougeoyante se lever et, dimanche matin, d’observer le soleil monter lentement depuis le Tage. Et une fois de plus la beauté des chants de la chorale, de la chorégraphie des danseurs et même de drones écrivant dans le ciel étoilé en différentes langues la phrase clé des JMJ : « Lève-toi » ont participé à rendre cette soirée exceptionnelle.

Messe de clôture : « rayonner, écouter, ne pas craindre »

La nuit fut courte mais que de grâces ! La messe de clôture et d’envoi des JMJ en cette fête de la Transfiguration était magnifique ! Les trois points évoqués par le Saint-Père ont une nouvelle fois résonné en moi : nous devons rayonner, écouter, ne pas craindre. 

D’abord rayonner. Qu’est-ce qui nous fait rayonner ? Ce ne sont pas les projecteurs, l’argent, la gloire, mais Jésus qui nous rend lumineux et quand nous agissons avec amour, « en accueillant Jésus pour apprendre comme lui ». Lorsque l’on vit comme des égoïstes, la lumière s’éteint en nous. Jésus fait de nous des fils lumineux capables d’éclairer les obscurités de ce monde et nos propres échecs. 

Deuxième verbe : Écoutez-le. Le Saint-Père nous a dit qu’il s’agissait du résumé de notre vie : « Tout ce que nous devons faire dans notre vie se trouve là, dans lÉvangile et la Parole de Dieu. » « Écoutez-le », phrase du Père donnée aux apôtres lors de la Transfiguration. 

Enfin le troisième verbe évoqué par le pape « Ne crains pas », cette phrase tant de fois répétée dans la Bible. Il s’agit des derniers mots prononcés par Jésus lors de la Transfiguration. Nous avons souvent peur de ne pas pouvoir réaliser certaines choses dans nos vies, nous a dit le pape, pourtant il suffit de s’abandonner et de s’engager car Jésus connaît tout de notre cœur et nous accompagne à chaque instant : « L’Église a besoin de jeunes comme la terre a besoin de pluie » nous a déclaré le Saint-Père. « Soyez sans crainte. Encouragez-vous. N’ayez pas peur ! » 

Les Journées mondiales de la jeunesse 2023 de Lisbonne s’achèvent mais nous revenons en France avec des cœurs brûlants et la « joie missionnaire » de la Vierge Marie !

19ème dimanche – 13 août 2023 – Évangile de Matthieu 14, 22-33

Évangile de Matthieu 14, 22-33

Marcher sur ses peurs

La première question qu’il me semble convenir de se poser face à un récit tel celui que nous venons d’entendre où Jésus marche sur l’eau, c’est celle de la réalité des faits : Jésus a-t-il effectivement marché sur l’eau ?

Examinons les deux possibilités : est-ce un récit imagé – une parabole – qui nous parle de Jésus ou, véritablement, les événements se sont-ils déroulés comme le présente le récit ?

Si Jésus a effectivement « marché sur l’eau » et si Pierre a pu pendant un temps le faire aussi, alors le récit nous dit que notre foi, si elle est suffisante, nous permet de marcher sur l’eau. Une lecture littérale de ce récit est à rapprocher d’une lecture littérale d’un autre passage de l’Évangile de Matthieu (21, 21) : « Si vous avez la foi et si vous ne doutez pas, […] vous pourrez dire à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, et cela se produira. ».

Pensez-vous que votre foi vous permettra un jour d’espérer qu’une montagne se jette dans la mer ? Pensez-vous pouvoir un jour marcher sur l’eau ?

Une lecture littérale de ces textes ne dit pas grand-chose, sinon qu’elle nous parle d’une foi surhumaine, inimaginable et inaccessible. Une lecture littérale ne nous parle plus de nous, d’un Dieu qui vient nous rejoindre. Au contraire, elle nous présente la véritable foi comme quelque chose d’impossible. S’il faut attendre de voir des montagnes se jeter dans la mer ou de pouvoir marcher sur l’eau pour être sauvés, alors l’Évangile n’est plus une Bonne Nouvelle.

Examinons dès lors l’autre hypothèse : celle d’un récit qui nous parle en images des réalités spirituelles qui nous traversent.

Dans la Bible, la mer est le symbole de la peur et de la mort ; contrairement à la source qui est un symbole d’espérance et de vie. On se souvient bien sûr du récit du Déluge où Dieu se repent d’avoir fait l’homme puisqu’il est plein de malice. On se souvient aussi du récit de l’Exode, où Dieu fend la mer en deux parts pour que le peuple échappe à pied sec à l’emprise du Pharaon. Dans d’autres passages, la mer est le repère des monstres marins : Léviathan ou la baleine qui avale Jonas. Et dans le Nouveau Testament, il est fait mention des naufrages de Paul.

Il faut bien se rendre compte que, jusqu’à une époque très récente, peu de gens savaient nager. La noyade était une des principales causes de mortalité par accident. Tous avaient un peur immense des eaux profondes. Et même la navigation se faisait par cabotage, s’éloignant rarement des côtes.

On comprend dès lors que le récit nous enseigne que la foi triomphe de la peur. Jésus qui marche sur l’eau, c’est l’image du Christ qui surmonte toute peur. D’ailleurs lorsque Pierre se mit à le suivre sur l’eau, le texte nous dit que « voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! ».

Il me semble que cette deuxième lecture, nous parle infiniment plus de la puissance de Dieu que la lecture littérale. C’est parce que la foi nous délivre de toute peur que Jésus apparaît véritablement comme un sauveur en toute circonstance ; et pas seulement comme un maître-nageur qui viendrait nous secourir alors que l’on se noie.

L’Évangile n’est pas tant un manuel de natation mais bien un écrit spirituel qui nous parle de délivrance universelle. La peur nous fait nous enfoncer dans la mort et la foi nous permet de surmonter toutes les circonstances tragiques de la vie. Voilà le véritable enseignement de ce récit.

« Non habbiate paura ! » s’était écrié le pape Jean-Paul II dans l’homélie inaugurant son pontificat. « N’ayez pas peur ! ». Ces mots s’adressaient aux chrétiens au-delà du rideau de fer, et ils ont été prophétiques : le mur de Berlin est finalement tombé. « N’ayez pas peur ! » ; ayez foi dans la salut que vous propose le Christ.

Les chrétiens de Pologne étaient terrassés par la peur de l’empire soviétique et ils avaient certainement de véritables raisons d’avoir peur. « N’ayez pas peur ! » leur rappela le pape ; croyez en la force de votre foi ; croyez en la puissance de Dieu qui passe à travers vous. Et de fait, nous savons aujourd’hui que les chrétiens de Pologne qui ont entendu ce message ont pris leur destin en main ; ont fini par renverser des montagnes ; qu’ils ont obtenu l’impossible.

La peur est le moteur qui nous conduit en Enfer. Car l’Enfer c’est d’être enfermé et rien n’enferme mieux que la peur. C’est la peur qui maintenait les populations de l’est en prison ; c’est la peur qui encore aujourd’hui nous fait nous barricader et c’est encore la peur qui nous fait envisager d’ériger des remparts et des murs, là où la foi et l’Évangile nous commandent pourtant de bâtir des ponts.

Quelles sont mes barricades, mes remparts de protections ? Quelles sont en moi les peurs que le Christ doit encore rejoindre ? Les peurs qui m’enferment ; desquelles j’ai besoin d’être délivré, sauvé ? Voilà des questions pour aujourd’hui.

« Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : ‘Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur !’ »

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Transfiguration du Seigneur – 6 août 2023 – Évangile de Matthieu 17, 1-9

Évangile de Matthieu 17, 1-9

Le visage de lumière

Cas unique dans son évangile, Matthieu rapporte la scène de la transfiguration de Jésus en référence précise avec l’épisode précédent : « 6 jours après… ». Il y a donc un lien entre les deux. Que s’est-il donc passé alors ? Un événement considérable, qui marque le grand tournant de la vie de Jésus.

Alors que Pierre venait de dire sa conviction que Jésus était le Messie, Matthieu précise que ce moment marque un nouveau « commencement » dans la mission de Jésus :

« A partir de ce moment, Jésus Messie commença à montrer à ses disciples qu’il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des Anciens, des Grands Prêtres et des Scribes, être mis à mort et, le 3ème jour, ressusciter ».

Coup de tonnerre ! Le Messie exécuté par les autorités religieuses ? Pierre, incrédule, ose réprimander son maître d’envisager pareille éventualité mais Jésus rejette sèchement son apôtre: « Arrière, Satan ! Tu es pour moi un scandale ! Tu penses comme un homme et pas comme Dieu ! ». Et au lieu de se rétracter, il proclame : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive ».

Convertir le monde ou l’Église

Matthieu a précisé le lieu de cette révélation : au nord d’Israël, dans un des plus beaux endroits de Galilée, la région verdoyante des sources du Jourdain, où le roi Philippe a fait surgir une ville nouvelle, Césarée, signe de la grandeur et du rayonnement de la civilisation gréco-romaine.

Cette civilisation païenne avec ses temples, ses statues d’idoles, son luxe, ses écoles de philosophie, ses gymnases, ses théâtres, ses champs de course fait frémir de rage les orthodoxes juifs excédés de voir ces maudits païens souiller la Terre sainte depuis plus de 90 ans. Mais Jésus, au lieu d’appeler sur cette ville la terrible colère de Dieu, n’en dit pas un mot et se tourne vers la capitale de son peuple, Jérusalem, où se dresse le Temple, la Maison de Dieu. C’est elle qu’il va appeler à la conversion. Pourquoi ?

Parce qu’il ne faut pas maudire la lourdeur de la pâte mais activer la force fermentatrice du levain. Parce qu’il ne faut pas pester contre les ténèbres mais augmenter la lumière. Parce que c’est sans doute au cœur du pouvoir (religieux et politique) qu’est serré le frein qui empêche l’évangélisation.

Evidemment cet appel à l’auto-conversion bute sur des résistances bétonnées: Jésus en a eu des signes depuis longtemps et beaucoup l’ont prévenu : si tu viens faire ta mission à Jérusalem, les responsables du Temple refuseront ton message, verront en toi un blasphémateur et décideront ta perte.

Mais Jésus a pleine confiance en son Père : puisqu’il lui a déclaré : « Tu es mon Fils bien aimé », il ne peut absolument pas l’abandonner. Lui-même vient de « faire sa conversion » : après avoir, pendant des mois, donné des enseignements, des gestes de pardon, des soins de guérison, maintenant il doit SE DONNER. Pour que le monde passe de l’égoïsme à l’amour, de la guerre à la paix, il est nécessaire d’abord que lui, le Messie, PASSE PAR LA MORT DANS LA VRAIE VIE.

Résolu, en toute conscience, il prend le chemin de Jérusalem : il a accepté la croix, il va recevoir la Lumière glorieuse.

6 jours après : la Transfiguration

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.

Entré sur ce chemin dont il connaît l’issue épouvantable, Jésus sent plus que jamais la nécessité de s’accrocher dans la prière : c’est bien dans ce but qu’il monte dans la solitude (Luc 9, 28). Alors que la nuit descend sur la montagne, ses trois apôtres le voient changer : ses traits tendus s’apaisent, son visage crispé s’illumine. La transfiguration n’est pas un prodige gratuit, un miracle spectaculaire mais le rayonnement de la Présence divine qui l’habite. Son intimité avec Dieu est telle qu’elle l’imprègne totalement. Son Père lui offre un présage de sa victoire finale : oui il le sortira de l’abîme de la mort et lui donnera la Vie divine.

On comprend donc le lien : « 6 jours avant », il avait annoncé sa mort inéluctable : aujourd’hui il reçoit la lumière de la résurrection. Au centre de l’évangile palpite la prophétie de Pâques.

C’est par cette « pâque », ce passage de la mort à la lumière qu’aboutira le projet de Dieu du salut des hommes. L’apparition de Moïse et d’Elie signifie que la Loi et la Prophétie conduisent à la Pâque de Jésus. Ce que nous appelons « Ancien Testament » n’est pas dépassé : il est le chemin que nous avons à parcourir pour, enfin, comprendre ce qu’est l’amour de Dieu.

Faire la maison de Dieu ou être dans sa maison ?

Pierre alors dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie ». Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

Pierre est bien notre portrait. Il était désemparé et scandalisé par l’annonce de la croix : maintenant il voudrait s’installer dans le bonheur du camping à la montagne, tout fier de dresser des abris pour Jésus et les Saints. Mais Dieu lui apprend que l’essentiel n’est pas d’abord de construire des églises mais d’être englobé dans l’unique Demeure divine.

Quand Jésus accepte de donner sa vie pour les hommes et qu’il apparaît dans la lumière de la résurrection, l’Esprit de Dieu – symbolisé par la Nuée – descend et rassemble autour de Lui les hommes et les femmes de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance. Dans l’obscurité de la foi, tous forment une unique Eglise, une unique communauté où tous sont illuminés par le Visage de Jésus Seigneur.

Pas la vision mais l’audition : écouter et suivre

La voix de Dieu répète ce qu’elle disait au baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » mais elle ajoute à l’intention des disciples: « Ecoutez-le ». Qu’a-t-il dit ? Ce qu’il a dit « 6 jours avant » : il faut monter à Jérusalem, annoncer l’Evangile, être tué par les hommes et être ressuscité par le Père. Et celui qui veut être disciple doit prendre ce même chemin.

Le Père confirme donc l’annonce stupéfiante et met fin à ce moment d’extase dans la solitude : les disciples retrouvent Jésus dans son état naturel.

La vision était éphémère : comme toujours dans la Bible, l’essentiel c’est l’écoute en son sens profond : faire attention, assimiler un message et décider de le mettre en pratique. L’écoute n’est pas une information, un passe-temps, une distraction mais l’obéissance, l’engagement à vivre tout de suite la volonté de Dieu.

Il faut redescendre dans la plaine et poursuivre le chemin vers Jérusalem. Ce serait peine perdue que de raconter cette vision à la foule : la vérité, la lumière, c’est le chemin à prendre derrière lui.

Conclusion

Pour aller jusqu’au bout de notre chemin et affronter les difficultés, pour suivre Jésus en portant notre croix comme il nous l’a demandé, il nous est nécessaire de prier, de nous enfoncer dans la solitude et là, dans le silence, tremblant de peur encore, regarder le Visage de Lumière.

Mais la vision béatifique ne dure pas. Le Père nous invite à suivre son Fils bien-aimé et à l’écouter, à obéir à son enseignement, à aller là où nous ne voudrions pas aller.

A travers la croix, nous le retrouverons ressuscité et nous serons avec Lui dans le temple de son corps de Lumière.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain

17ème dimanche – 30 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 13, 44-52

Évangile de Matthieu 13, 44-52

Le Trésor caché des Paraboles

Nous terminons aujourd’hui la série des 8 paraboles ( et non 7 comme j’avais écrit par erreur) : en plein centre de l’évangile de Matthieu, elles tentent de révéler ce qu’est ce mystérieux « Règne de Dieu » que Jésus annonce. Contrairement à ce que dit la lecture liturgique, les 4 dernières sont adressées non à la foule mais aux disciples, en privé, « à la maison » (13, 36) : la foule incrédule ne pourrait comprendre.

5ème Parabole : Le Trésor

Le Royaume de Dieu est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert. Il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète le champ.

Aujourd’hui encore, à l’occasion de fouilles ou de grands travaux, on met à jour des amas de pièces de monnaie que des propriétaires avaient jadis enfouies dans un coin de leur propriété pour les protéger des voleurs et dont ils n’avaient pas révélé l’endroit de la cachette à leurs descendants. C’est ainsi, raconte Jésus, qu’un ouvrier agricole a été engagé dans un domaine et tout à coup, alors qu’il est seul, sa charrue heurte une jarre contenant un trésor énorme. Fou de joie devant cette trouvaille exceptionnelle et imprévue, l’homme vend tout ce qu’il a et achète le champ.

La Loi prévoyait que, dans ce cas, découvreur et propriétaire du champ se partagent la valeur mais Jésus, sans l’approuver, écarte le problème de la malhonnêteté afin de centrer sur l’idée qui lui importe. Dans le flux des événements qui se bousculent, une réalité nouvelle est cachée, invisible, mais celui qui a la grâce de la découvrir, celui qui accueille la semence de la Parole de Jésus est bouleversé par cette valeur infinie qui le transporte d’une joie folle. Sa foi nouvelle ne se range pas, comme une opinion religieuse, à côté des autres. La plénitude qui le submerge le pousse à renoncer à tout. Il n’entre pas dans le Royaume de Dieu à coup de sacrifices et de renoncements : au contraire il découvre le Royaume au sein de son travail comme un don gratuit et il en est tellement comblé qu’il abandonne tout le reste.

Ainsi les pêcheurs du lac avaient écouté l’appel de Jésus : « Venez à ma suite… » et ils avaient tout laissé, famille et métier, pour le suivre (4, 20). Au contraire, plus tard, le jeune homme qui possédait de grands biens n’aura pas le courage de vendre ses biens et il se détournera de Jésus, l’air tout triste (19, 22). Respect scrupuleux de Dieu pour notre liberté.

Est-ce à dire que la conversion à l’Évangile oblige toujours au dépouillement total ? Tout le Nouveau Testament manifeste que, sauf l’exception des collaborateurs missionnaires, les convertis continuaient à assumer leurs obligations conjugales, familiales et professionnelles. Toutefois la parabole du semeur les mettait en garde contre la pression des sollicitations mondaines et l’obsession de la richesse qui empêchent la fructification du bon grain.

6ème Parabole : La Perle

Le Royaume de Dieu est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède et il achète la perle.

Cette parabole fait paire avec la précédente mais ici il s’agit d’un riche négociant qui tient un commerce de luxe pour la clientèle huppée et qui circule partout à la recherche des plus belles perles. Jusqu’au jour de la plus bluffante des découvertes : il en avait vu des belles, des admirables, mais jamais comme celle-ci. Extraordinaire. Évidemment le prix est astronomique ! Qu’importe. Emporté par l’enthousiasme, il décide de vendre tous ses biens afin de se procurer cette merveille.

Découvrir le Règne de Dieu dans la personne de Jésus, être empoigné au fond du cœur par la révélation des profondeurs infinies de l’Évangile, être appelé à recevoir la Vie du Père : seuls les convertis qui ont longtemps erré dans la boue et les ténèbres peuvent, dans les larmes et l’allégresse, bégayer leur stupeur devant la découverte des Béatitudes et de la croix glorieuse. La Bonne Nouvelle appelle au don total.

« Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui …Dieu est si grand. Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ». (Charles de Foucauld)

Beau soufflet pour ceux qui considèrent la foi comme un peu de confiture pour adoucir les moments difficiles de la vie, avec des rites que l’on pratique sans raison et que l’on abandonne sans regret.

Damien qui débarque chez les lépreux, Kolbe qu’on laisse mourir de faim et de soif dans un bunker nazi, Soljenitsyne envoyé casser des cailloux dans l’hiver impitoyable de Sibérie, les 21 jeunes chrétiens coptes décapités parce qu’ils refusaient d’adhérer à l’islam, ne sont pas des héros. Celui qui a découvert la perle incomparable de Jésus est prêt à tout perdre car la mort la lui donne pour l’éternité.

7ème Parabole : Le Filet

Le Royaume est encore comparable à un filet qu’on jette dans la mer et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et on rejette ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les Anges viendront séparer les méchants des justes et les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Le Royaume est une réalité dynamique, en cours perpétuel de construction car Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tim 2, 4) et son projet est de nous rassembler tous ensemble dans son amour. Mais l’histoire sera toujours le lieu d’affrontements de nos tensions contraires. Les premières paraboles du semeur et de l’ivraie ont déjà expliqué que des hommes gardent leur cœur endurci, ne se laissent pas convertir par l’Évangile, qu’ils se livrent au travail destructeur, hostilité, haine, égoïsme. Bons et mauvais se côtoient, la liberté fait basculer d’un côté ou de l’autre. Le temps autorise vraie conversion ou dépérissement.

Jésus réitère sa mise en garde contre la tentation d’opérer le tri nous-mêmes et tout de suite. Nous n’en avons pas le droit. Le jugement aura bien lieu mais au moment fixé et selon un discernement dont nous sommes incapables. L’histoire reste le temps du travail de la pêche et non du rejet des pécheurs, le temps de la patience et non de la condamnation, le temps de la miséricorde et non du mépris. N’oublions pas que le bon Berger cherche sans relâche à retrouver la brebis égarée (18, 12), car il est venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (9, 13)

8ème Parabole. : Le Scribe du Royaume

Jésus dit aux disciples : « Avez-vous compris tout cela ? ». – Oui, répondent-ils. Et il ajoute : «  C’est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume de Dieu est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien ». Quand Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là.

Matthieu conclut ce chapitre par une 8ème comparaison non plus à propos du Royaume mais, très discrètement, à propos de son propre travail. Depuis la destruction du 1er temple et l’invasion des puissances étrangères, la Torah, le livre des Écritures, avait pris une importance centrale dans la foi d’Israël : des experts, appelés scribes, l’étudiaient sans arrêt et l’expliquaient au peuple afin qu’il la pratique fidèlement.

Matthieu serait donc un scribe, « devenu disciple du Royaume » et qui a mis toute son intelligence et sa perspicacité à montrer comment l’histoire d’Israël se prolonge bien dans celle de Jésus, comment celui-ci, loin d’être un blasphémateur qui démolit la Loi, au contraire « l’accomplit ». D’où les nombreuses citations de son évangile : « ..ceci arriva afin que s’accomplit… ». Torah, Prophètes, Jésus constituent ensemble un trésor inépuisable dont Matthieu est fier d’extraire des explications toujours nouvelles.

« Avez-vous compris ? » : ce verbe a une énorme importance chez Matthieu et il signifie beaucoup plus qu’une simple connaissance ou même une érudition intellectuelle. Il s’agit de prendre-en soi, comme un sillon accueille le grain, comme le levain pénètre la pâte, avec la volonté de se laisser travailler par le message. Si je me permets une nouvelle parabole : il ne suffit pas d’être au courant mais de se brancher sur un courant qui va changer la vie.

Conclusions

« Avez-vous compris ? » : à présent la question nous est adressée, à vous et à moi. Ces historiettes apprises au catéchisme et écoutées dans la routine liturgique n’ont pour beaucoup guère d’importance. Or il s’agit bien de l’annonce centrale de Jésus : « Convertissez-vous : le Règne de Dieu s’approche » et c’est pour cette raison que Matthieu les a placées au cœur même de son livre. Apprenez-en la liste, faites-vous une synthèse. Pas plus que Matthieu vous ne pourrez donner une définition précise du Règne de Dieu mais vous verrez que les projecteurs des paraboles éclairent le sens de l’histoire et la vôtre. Il nous faut encore et toujours écouter, ouvrir les sillons de nos cœurs endurcis, arracher le mal qui s’insinue, laisser croître les jeunes pousses de la foi et, pour cela, écarter tout ce qui nous encombre. Seul celui qui accepte le renouveau « comprend ». Car le Règne de Dieu est toujours en train de venir.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain

16ème dimanche – 23 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 13, 24-43

Évangile de Matthieu 13, 24-43

L’éclat de la patience

Au sens littéraire, une parabole c’est la projection dans des réalités concrètes – des troupeaux, des récoltes, des petites histoires du quotidien – non pas de notions abstraites, mais de réalités spirituelles proprement indicibles : le Royaume de Dieu est comme un banquet de noces ; la foi comme une graine de moutarde ou comme la volonté de voir une montagne se jeter dans la mer. Il est ultimement vain de chercher à poser un regard spéculatif sur les réalités divines. Le Royaume de Dieu, la foi ne sont finalement pas objets de science. On ne peut en parler qu’à travers des images. En nous plongeant dans des réalités quotidiennes et éminemment concrètes, comme aime tant à le faire la culture hébraïque, la parabole nous dit l’actualité du Royaume de Dieu – lui aussi : quotidien et éminemment concret. Ainsi, la parabole nous dit quelque chose de la réalité du Royaume – son caractère actuel et concret – autant que son caractère proprement indicible – elle reste une image qu’il faut interpréter.

La Parabole du bon grain et de l’ivraie aborde le thème de la patience de Dieu. On a, par le passé, torturé des générations de chrétiens avec le fait que Dieu voit tout. On trouve encore, dans nos églises, la représentation d’un œil inséré dans un triangle : Dieu – le triangle symbolise ici la Trinité –, Dieu voit tout. Et je crois que c’est vrai : Dieu sonde en permanence les cœurs et les reins. Il voit tout. Mais c’est trop peu de dire cela. Dieu certes voit tout, mais il ne pose sur nous qu’un regard de tendresse et de patience. Oui, toujours, mon péché l’affecte mais Lui ne voit en moi que l’espérance. Voilà le caractère indicible de la parabole : le jugement de Dieu n’est pas comme le jugement des hommes.

Pour tous, il y aura finalement une sentence qui tombe. Il y aura pour chacun de nous une fin des temps, un moment où nous n’aurons plus la capacité d’agir, et donc d’encore nous convertir. Mais tant que dure la vie, dure la patience de Dieu.

Ce n’est pas comme ça que nous-mêmes nous jugeons. Notre tendance est plutôt de vouloir directement arracher du sol la mauvaise herbe, d’extirper le mal – l’ivraie qui pousse au milieu de nous. Face au mal et à la souffrance, nous sommes impatients. Nous cherchons bien souvent à punir, ou à nous punir. Nous posons sur celles et ceux qui nous entourent – sur nous-mêmes aussi – des jugements que nous peinons à réviser, à mesure d’ailleurs du mal qui est fait. C’est le temps de l’impatience. Et trop vite nous condamnons, nous-mêmes ou autrui. Nous perdons patience. Dieu jamais.

Dieu n’oublie jamais que nous ne sommes pas les seuls responsables du mal qui passe à travers nous. La parabole dit que c’est l’ennemi du semeur qui répand l’ivraie. Nous ne sommes pas responsables de tout le mal qui nous affecte ; nous sommes simplement responsables de le laisser passer à travers nous, de le laisser croître en nous, de lui donner de l’ampleur voire de le répercuter sur d’autres. Nous ne sommes pas la cause première du mal. Pour le dire avec des mots enfantins : c’est Adam qui a commencé. Ceci déjà, donne à tout le monde des circonstances atténuantes. A cet égard, le récit du Péché originel est autant celui de la condamnation de l’homme à mourir que le récit de notre exonération partielle : nous ne sommes jamais les seuls responsables des maux que nous affectent.

Dieu n’oublie jamais non plus que, pour une part, nous faisons rempart au mal. Nous sommes capables d’affronter une part de souffrance ; tous nous avons une certaine endurance, une capacité de résistance et même de résilience. Tous, face au mal, nous sommes capables de patience. D’une certaine patience …

La patience de Dieu est le reflet de sa force. C’est parce qu’il domine tout que Dieu est patient. « Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose » dit le Livre de la Sagesse (12, 16). Notre impatience vient du sentiment que nous avons de ne pas maîtriser la situation. Notre impatience est le reflet de notre faiblesse. Elle survient lorsque le mal a dépassé la limite – notre limite. Alors nous préférons arracher les épis d’ivraie avant qu’ils ne germent encore.

La patience est la mesure du temps que nous accordons à la conversion. « Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain – le texte grec dit « philanthrope » – à tes fils tu as donné une belle espérance : après la faute tu accordes la conversion » (Sg 12, 19). Ainsi, l’impatience est signe de désespérance.

Ceci nous donne des jalons pour notre propre progression spirituelle. Là où je suis impatient, là se loge mon désespoir. Quels sont les comportements que je ne tolère pas ? Et pourquoi particulièrement ceux-là alors que je parviens à en accepter d’autres ? Parce que là se loge mon désespoir. Quels types de personnes ai-je tendance à juger et condamner, à vouloir extirper ? Là se loge mon désespoir. Quel sont les maux du monde que j’ai tendance à ne pas supporter ? Là se loge mon désespoir.

On apprend beaucoup sur soi-même d’une réflexion sur la patience. Nos lieux d’impatiences sont précisément les endroits qui sont appelés à la conversion, les événements sur lesquels nous avons perdu le regard bienveillant de Dieu ; ce qui nous affecte intimement, les maux qui nous rongent.

A contrario, la patience est le signe de la présence en nous du règne de Dieu. C’est dans la patience que nous voyons le mieux, par contraste avec le mal que nous subissons, que le regard de Dieu passe à travers nous. La patience est le signe que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à nous ; qu’il vit déjà en nous et qu’il rayonne en nous vers les ténèbres.

Une attitude spirituelle prudente me semble être de considérer avec une certaine objectivité nos lieux d’impatiences, parce qu’ils définissent concrètement, pour nous, une zone de conversion.

Mais l’attitude spirituelle nécessaire est de nous réjouir de la capacité de patience dont nous disposons tous. Certes à des degrés divers, mais résolument là. La quête des trésors de patience que nous pouvons trouver en nous est un des plus beaux regards que nous puissions poser sur nos vies.

Car la patience est le signe le plus contrasté de l’Amour qui s’affronte au mal. Et qu’en notre patience ultime, se trouve le témoignage le plus éclatant du règne de Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Le pape exhorte les religieux à la «patience courageuse»

Loin de rester «immobiles dans la nostalgie du passé» ou de se complaire dans les lamentations, les religieux doivent poursuivre leur route avec une «patience courageuse», a déclaré le pape François, lors d’une homélie prononcée le 2 février 2021 en la basilique Saint-Pierre de Rome à l’occasion de la 25e Journée mondiale de la vie consacrée.

L’Évangile racontant la Présentation de Jésus au Temple présente à travers la figure de Syméon en quoi consiste la patience, a soutenu le pape. Se montrer patient ne consiste pas à tolérer les difficultés et ne doit pas être perçu comme un «signe de faiblesse», a-t-il ajouté. Bien au contraire, la patience est «la force d’âme qui nous rend capables de porter le poids des problèmes personnels et communautaires, qui nous fait accueillir la diversité de l’autre, ou encore qui nous fait rester en chemin même quand l’ennui et l’acédie nous assaillent».

«La patience nous aide à nous regarder nous-mêmes, nos communautés et le monde avec miséricorde», a affirmé le pontife argentin en appelant les consacrés à se demander s’ils accueillaient cette vertu dans leur vie. «Nous ne pouvons pas rester immobiles dans la nostalgie du passé, nous limiter à répéter les choses de toujours» ou se complaire dans les lamentations du quotidien, a-t-il insisté. Les religieux ont «besoin de la patience courageuse», qui les rend capables «d’explorer de nouvelles routes, de chercher ce que l’Esprit Saint» suggère.

Vie communautaire: le Seigneur ne nous appelle pas à être solistes

Concrètement, il existe trois lieux dans lesquels cette patience doit s’incarner, a-t-il exprimé, le premier étant la vie personnelle. Dans la vie consacrée, «il peut arriver (…) que l’espérance s’use à cause des attentes déçues» car notre travail ne produit pas les fruits attendus. Dans un tel cas, «nous devons être patients avec nous-mêmes et attendre avec confiance les temps et les manières de Dieu», a suggéré le pontife. Dieu est fidèle à ses promesses, et en faire mémoire permet de se souvenir de nos rêves sans céder à la tristesse intérieure et au découragement. La tristesse intérieure est un ver qui nous ronge, a-t-il appuyé.

Cette patience doit également être pratiquée dans le cadre de la vie communautaire, a poursuivi le pape, les relations humaines n’étant pas toujours pacifiques au sein d’un couvent, d’une famille. Au lieu de vouloir trouver une solution immédiate à certains conflits, il faut parfois savoir «attendre un moment meilleur pour s’expliquer dans la charité et dans la vérité». Jamais nous ne pourrons faire un bon discernement si notre cœur est agité, a-t-il insisté.

«Dans nos communautés cette patience réciproque est nécessaire», a-t-il observé: supporter signifie en effet «porter sur ses épaules la vie du frère ou de la sœur, même ses faiblesses et ses défauts». Le Seigneur «ne nous appelle pas à être solistes», a déclaré le pontife, mais à faire partie d’un chœur, qui parfois détonne, mais doit toujours essayer de chanter ensemble».

Le pape a également préconisé cette vertu vis-à-vis du monde. La patience peut aider les religieux à ne pas «rester prisonniers» des lamentations sur le manque de vocations par exemple. Certains sont des «maîtres» dans l’art de se lamenter, a-t-il déploré.«Parfois il arrive qu’à la patience avec laquelle Dieu travaille le terrain de l’histoire et de notre cœur, nous opposions l’impatience de celui qui juge tout, tout de suite» et perdions l’espérance, a mis en garde le pape en jugeant que de nombreux religieux étaient touchés par ce mal.

Le Saint-Père a enfin rappelé que le motif d’espérance des chrétiens est de savoir que Dieu attend chacun sans jamais se lasser: «quand nous nous éloignons il vient nous chercher, quand nous tombons à terre il nous relève» . Il nous enseigne la résilience, a expliqué le pontife. La patience est une manière par laquelle Dieu répond à notre faiblesse pour nous donner le temps de changer, a-t-il résumé en citant l’un de ses théologiens préférés, Romano Guardini.

Article paru sur cath.ch, site du Centre catholique des médias suisses, le 03.02.2021

Qu’est-ce que la générosité chrétienne ?

La générosité est la disposition de cœur qui conduit à donner ou à se donner, ainsi que l’acte, ou les actes, qui concrétisent cette disposition. Il y a générosité lorsqu’un don exprime une largesse et qu’il est librement consenti, dans le souci de l’autre. Une personne est généreuse de cœur ou dans ses jugements si elle fait une large part à autrui. Un acte est généreux si, par-delà tout calcul, il privilégie l’autre. Il le sera aussi s’il dépasse la mesure de ce qui, dans une situation donnée, est considéré comme normalement requis ou attendu.

La générosité, pour exister, doit exprimer une liberté: c’est ce qu’exprime le mot proche de «libéralité». Donner par contrainte extérieure n’est pas faire acte de générosité, même si le don est important. Il faut un minimum de choix personnel pour qu’il y ait générosité. La générosité peut cependant procéder d’un sens du devoir, ou d’une obligation intérieure, pour peu que le don qui en résulte exprime un choix assumé. La générosité, pour subsister comme telle, doit être orientée vers l’autre. Un don effectué comme un investissement personnel, ou dans le but d’en obtenir un retour, n’est pas une générosité. La générosité requiert une dimension de gratuité, même si un retour peut en résulter.

La générosité peut être motivée par le souci de la justice. Mais les deux ne se confondent pas. La justice vise à attribuer à chacun ce qui lui revient, ou qui lui est dû. La générosité donne ce qui appartient à celui qui donne, ou qui manque à celui qui reçoit. « Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles.» La justice a un aspect objectif, universel et réfléchi; elle s’impose à tous. La générosité est plus subjective, plus singulière, plus spontanée ; elle doit procéder d’une libre décision. La générosité est souvent une expression de l’amour. Mais on peut être généreux sans aimer: par refus de l’injustice, par dégoût du malheur, par mauvaise conscience. Certains se demandent si l’on peut qualifier de générosité les actes accomplis en faveur de ceux que l’on aime déjà : aimer ses enfants, ses amis, est-ce être généreux? Tout le monde n’est-il pas capable de générosité, quand il est porté vers l’autre dans la joie et la plénitude qu’apporte l’amour?

Ces questionnements traduisent le fait que l’amour contient, en lui-même, toutes les vertus: être parfait dans l’amour, c’est être parfait dans toutes les vertus. La générosité est ainsi contenue dans l’amour: le don fait partie de l’amour au point qu’il semble que là où il y a amour, on n’a plus à souligner la générosité. Par contre, sans générosité, l’amour s’affaiblit et s’étiole. L’amour, pour exister, a besoin de s’exprimer par le don, et il s’y renouvelle. La générosité a donc sa place dans l’amour, en tant que «supplément d’âme» et que langage relationnel. Dieu, dans sa grâce, préserve pour ceux qui l’aiment, des espaces pour la générosité. S’il nous demande de l’aimer de tout notre cœur, il ne prescrit pas toutes les modalités de cet amour. Il y a place, ainsi, pour de libres expressions de l’amour, pour un langage de générosité envers Dieu et le prochain qui s’oppose à un service calculateur et minimaliste (2 Cor. 8: 1-5). Mais cette libre expression de l’amour pour Dieu et le prochain se vit toujours dans l’humilité et la conscience que la générosité de Dieu est absolument première et englobante : nous ne pouvons offrir que ce que nous avons d’abord reçu (1 Chr. 29: 14).

Il y a place, aussi, pour une générosité du peuple de Dieu qui dépasse les comportements personnels. Certaines lois instituées par Dieu pour Israël, en faveur des plus faibles, sont très généreuses, au regard des pratiques des autres peuples contemporains. Si Dieu invite l’individu à la générosité, il veut aussi que son peuple, en tant que peuple, soit généreux.

Extrait du livre Une approche biblique de la générosité (CNEF)

15ème dimanche – 16 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 13, 1-9

Évangile de Matthieu 13, 1-9

Les grandes semailles inutiles

Vous avez compris, dans cette parabole, que celui qui sème, c’est Dieu ; ce qu’il sème c’est sa Parole et que l’endroit où il sème, c’est en nous.

Dieu sème en dehors du champ, sur le chemin et les oiseaux viennent picorer les graines ; comme en nous, parfois, un esprit mauvais détruit sa parole d’Amour. Qui ne se souvent pas avoir dit des méchancetés alors qu’il n’était plus lui-même ? véritablement hors de lui ?

Dieu sème là où il n’y avait pas beaucoup de terre ; comme nous disons parfois qu’une parole entre par une oreille et sort par l’autre. Dieu a beau nous donner des signes d’Amour, nous ne les percevons pas. Et peut-être avons-nous déjà été confrontés à des gens dont nous avons voulu le bien et qui ne l’ont pas compris.

Dieu sème là où il y a des ronces ; on l’écoute, mais que surviennent les difficultés, les drames et, parfois, on étouffe en nous le commandement d’aimer. C’est la cas des gens qui souffrent, qui ont peur, qui voient tout en noir et ne parviennent à plus rien aimer le monde. Parfois même plus leur propre vie.

Dieu sème aussi dans la bonne terre. Alors sa Parole s’incarne véritablement en nous et son Amour, à travers nous, donne du fruit. C’est le cas des personnes rayonnant de l’Amour de Dieu, des personnes heureuses dans leur foi.

A lire cette parabole, ne peut-on pas penser que Dieu est un très mauvais semeur ? Il sait qu’il sème sur le chemin, là où il n’y a pas assez de terre et parmi les ronces. C’est ce que Jésus nous dit.

Je ne sais pas si vous vous souvenez d’une émission qui s’appelait « Les grands travaux inutiles » de Jean-Claude Defossé ? C’est un peu l’impression que nous avons : Dieu fait de grandes semailles inutiles ! A quoi bon semer parmi les ronces ou là où on sait que rien ne poussera ? A quoi bon gaspiller des graines dans des endroits qui ne donneront aucune récolte ? A quoi bon aimer ceux qui ne nous aiment pas ?

Bien sûr, à semer partout, on finit bien par récolter quelque chose. C’est ce que nous dit la première lecture : comme la pluie ne retourne pas aux cieux sans avoir fécondé la terre « ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat. » Mais à quoi bon arroser en dehors de la bonne terre ? Dans ce même évangile de Matthieu, plutôt (Mt 5, 45), il est dit : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » et c’est avec cette image qu’il nous demande d’aimer nos ennemis. Pourquoi ?

Pourquoi être gentil avec les méchants ? Pourquoi rester doux avec les sévères ? Pourquoi encore aimer ceux qui ne sont pas aimables ? Pourquoi encore donner de l’attention et du soin quand, humainement, tout semble perdu ? A quoi bon aimer puisque nous n’en retirerons rien ?

Parce que l’amour qui fonctionnerait sur un principe de donnant-donnant, un amour qui ne se donnerait que lorsque c’est utile, un amour qui chercherait toujours son profit – je t’aime lorsque tu m’aimes et je ne t’aime pas lorsque tu ne m’aimes pas – ce n’est pas vraiment de l’amour ; c’est du commerce, de l’échange, un amour calculateur, sans générosité.

Que Dieu sème parmi les ronces ou là où il n’y a pas de bonne terre est le signe de son abondante générosité. Dieu aime ceux qui ne l’aiment pas. Dieu aime ceux qui font le mal. Dieu aime ceux qui sont perdus. Dieu aime ceux qu’il ne sert à rien d’aimer. Dieu nous aime, même lorsque nous ne nous aimons pas.

Et cette absolue générosité de Dieu, ces grandes semailles parfois inutiles, sont pour nous le signe d’une immense espérance. Parce que la mauvaise terre c’est parfois nous. C’est vrai que nous sommes parfois sourds, incapables d’apprécier l’amour que d’autres nous donnent. C’est vrai que nous sommes parfois parmi les ronces, pris d’un esprit mauvais qui rejette les paroles aimables. C’est vrai que nous sommes parfois submergés par la souffrance et que l’amour ne prend plus en nous racines.

Ce que nous enseigne la parabole du semeur c’est que dans toutes ces situations, nous sommes aimés par Dieu. Ce que nous enseigne la parabole du semeur c’est de garder espoir, même si nous ne percevons plus rien de lui. Garder espoir si la souffrance nous fait parfois oublier son amour. Garder espoir même si nous pensons que c’est inutile et que nous sommes perdus.

Dieu est le champion des grands travaux inutiles : il sème là où personne ne pense qu’il puisse encore y avoir du fruit. Alors même que tout semble voué à l’échec, Dieu, lui, garde espoir et sème encore l’Amour.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

14ème dimanche – 9 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 11, 25-30

Évangile de Matthieu 11, 25-30

Trouver la paix

Le propos des lectures de ce dimanche est certainement de trouver la paix. Dans l’Évangile, Jésus dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » Dans la première lecture , le prophète Zacharie annonce la venue d’un roi libérateur qui « brisera l’arc de guerre, et proclamera la paix aux nations. » (Zacharie 9, 10) – ce roi que nous le discernons comme le Christ. Enfin, nous verrons que dans l’Épître au Romains, s. Paul nous donne le moyen de la paix.

L’évangile de Mathieu introduit le passage que nous venons de lire par toute une série de guérisons : le serviteur d’un centurion, un paralytique, deux possédés. L’évangéliste a précédemment montré que Jésus apaisait les éléments : la tempête, la mer. Enfin, juste avant la lecture d’aujourd’hui, Jésus a comparé la rencontre avec Dieu à un banquet de noces. Enfin, voici la paix : « devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. » En substance, le Christ nous dit : le Royaume de Dieu est plus accessibles aux humbles qu’aux sages et aux savants ; je suis cette présence divine, venez à moi et vous trouverez la paix.

Matthieu lui-même a été guéri par le Christ. Il était, en effet, collecteur d’imports – ces gens sont alors détestés comme le sont les traîtres en temps de guerre – et Jésus l’a ressuscité socialement. Même riche, il est de ces tout-petits, de ces gens méprisés, auxquels Jésus propose de faire banquet. « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. »

Décodons donc toute cette dynamique de l’Évangile de Matthieu pour notre vie spirituelle aujourd’hui.

Les éléments que Jésus apaise représentent ici les causes de nos peurs : la mer est agitée comme notre cœur ; la tempête est celle de notre esprit. Ce que l’Évangéliste nous dit : c’est que Jésus est maître des éléments qui parfois nous effrayent et que, si parfois ils se déchaînent, néanmoins ils lui obéissent. Jésus, par sa parole, apaise en nous les tempêtes.

Dès lors, il guérit toutes les infirmités : les possédés qui sont évidement des réprouvés, mais aussi les maladies honteuses comme les lèpres ou la paralysie que tous considéraient comme le signe du péché. Enfin, il sauve même le serviteur d’un centurion, ç’est-à-dire d’un oppresseur, ce qui est un sacrilège aux yeux de beaucoup. Peut-être pouvons-nous ici trouver quelque similitude avec Jésus qui lave les pieds de Judas. Le centurion le reconnaît lui-même : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri » – paroles que nous redisons tous au moment de communier. Jésus, en effet, se préoccupe des gens « indignes ».

Plus que par de grands discours savants et sages, c’est parce qu’on a été relevé par le Christ, parce qu’il nous a, quelque part, touché dans notre indignité que la rencontre avec Dieu nous apparaît comme une fête, un banquet de noces. S’épouser, c’est se sentir aimé malgré ses défauts, d’un amour qui les guérit. L’amour de Dieu n’est pas moindre. On mesure l’exaltation d’un lépreux, d’un possédé, d’un collecteur d’impôts qui reviennent à la vie.

Alors comment trouver cette paix, ce sentiment de noces éternelles que donne le Christ. S. Paul l’explique aux Romains : il s’agit de ne plus vivre selon la chair, mais selon l’Esprit. Ce que l’Église a trop longtemps interprété comme la nécessité de tuer les passions de la chair, promouvant une fausse image de la paix comme celle d’une absence de sentiments, calme et paisible comme une mer d’huile.

Il ne s’agit pas de frustrer les passions, les sentiments qui nous viennent, ni même le plaisir que nous ressentons – tout cela sont aussi des dons de Dieu. Il ne s’agit pas de frustrer nos désirs et nos sens, il s’agit qu’il y ait en nous un esprit supérieur qui les gouverne et domine nos passions. La frustration ne fait qu’augmenter l’errance des passions. Ce n’est pas la frustration de nos désirs, mais leur accomplissement par le Christ que nous espérons. Comme il gouverne la mer, la tempête et les vents, Il est possible que nos passions lui obéissent, à mesure d’ailleurs que l’Esprit Saint vivra en nous et c’est alors que nous trouverons la paix.

Le joug le Christ nous demande de porter, le fardeau sous lequel parfois nous peinons, c’est tout simplement la vie, avec ses désirs et ses passions. Et c’est la croissance spirituelle – la vie en plénitude – qui rend ce joug facile à porter, ce fardeau léger.

Viens, Seigneur, toucher nos désirs et de nos passions. Fais que ce soit ton esprit qui les gouverne et rends-nous, comme toi, doux et humbles de cœur. Alors nous trouverons la paix.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Personne ne peut se sauver tout seul

« Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre. Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit » (Première Lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 5, 1-2).

L’Apôtre Paul invitait par ces mots la communauté de Thessalonique à rester ferme dans l’attente de la rencontre avec le Seigneur, les pieds et le cœur sur terre, capable de porter un regard attentif sur la réalité et les événements de l’histoire. C’est pourquoi, même si les événements de notre existence semblent tragiques et que nous nous sentons poussés dans le tunnel sombre et pénible de l’injustice et de la souffrance, nous sommes appelés à garder le cœur ouvert à l’espérance, en faisant confiance à Dieu qui se rend présent, nous accompagne avec tendresse, nous soutient dans notre fatigue et, surtout, guide notre chemin. C’est pourquoi saint Paul exhorte constamment la communauté à veiller, en recherchant le bien, la justice et la vérité : «Ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres» (5, 6). C’est une invitation à rester en éveil, à ne pas nous enfermer dans la peur, la souffrance ou la résignation, à ne pas céder à la distraction, à ne pas nous décourager, mais à être au contraire comme des sentinelles capables de veiller et de saisir les premières lueurs de l’aube, surtout aux heures les plus sombres.

(…) Après trois années de pandémie, l’heure est venue de prendre le temps de nous interroger, d’apprendre, de grandir et de nous laisser transformer, tant individuellement que communautairement ; un temps privilégié pour se préparer au « jour du Seigneur ». J’ai déjà eu l’occasion de répéter qu’on ne sort jamais identiques des moments de crise : on en sort soit meilleur, soit pire. Aujourd’hui, nous sommes appelés à nous demander : qu’avons-nous appris de cette situation de pandémie ? Quels chemins nouveaux devons-nous emprunter pour nous défaire des chaînes de nos vieilles habitudes, pour être mieux préparés, pour oser la nouveauté ? Quels signes de vie et d’espérance pouvons-nous saisir pour aller de l’avant et essayer de rendre notre monde meilleur ?

Après avoir touché du doigt la fragilité qui caractérise la réalité humaine ainsi que notre existence personnelle, nous pouvons dire avec certitude que la plus grande leçon léguée par la Covid-19 est la conscience du fait que nous avons tous besoin les uns des autres, que notre plus grand trésor, et aussi le plus fragile, est la fraternité humaine fondée sur notre filiation divine commune, et que personne ne peut se sauver tout seul. Il est donc urgent de rechercher et de promouvoir ensemble les valeurs universelles qui tracent le chemin de cette fraternité humaine. Nous avons également appris que la confiance dans le progrès, la technologie et les effets de la mondialisation n’a pas seulement été excessive, mais s’est transformée en un poison individualiste et idolâtre, menaçant la garantie souhaitée de justice, de concorde et de paix. Dans notre monde qui court très vite, les problèmes généralisés de déséquilibres, d’injustices, de pauvretés et de marginalisations alimentent très souvent des troubles et des conflits, et engendrent des violences voire des guerres.

Tandis que, d’une part, la pandémie a fait émerger tout cela, nous avons fait d’autre part des découvertes positives : un retour bénéfique à l’humilité ; une réduction de certaines prétentions consuméristes ; un sens renouvelé de la solidarité qui nous incite à sortir de notre égoïsme pour nous ouvrir à la souffrance des autres et à leurs besoins ; un engagement, parfois vraiment héroïque, de tant de personnes qui se sont dépensées pour que tous puissent mieux surmonter le drame de l’urgence.

Il a résulté de cette expérience une conscience plus forte qui invite chacun, peuples et nations, à remettre au centre le mot « ensemble ». En effet, c’est ensemble, dans la fraternité et la solidarité, que nous construisons la paix, que nous garantissons la justice et que nous surmontons les événements les plus douloureux. En effet, les réponses les plus efficaces à la pandémie ont été celles qui ont vu des groupes sociaux, des institutions publiques et privées, des organisations internationales, s’unir pour relever le défi en laissant de côté les intérêts particuliers. Seule la paix qui naît de l’amour fraternel et désintéressé peut nous aider à surmonter les crises personnelles, sociales et mondiales.

Dans le même temps, au moment où nous osions espérer que le pire de la nuit de la pandémie de Covid-19 avait été surmonté, une nouvelle calamité terrible s’est abattue sur l’humanité. Nous avons assisté à l’apparition d’un autre fléau : une guerre de plus, en partie comparable à la Covid-19 mais cependant motivée par des choix humains coupables. La guerre en Ukraine sème des victimes innocentes et répand l’incertitude, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour tout le monde, de manière étendue et indiscriminée, y compris pour tous ceux qui, à des milliers de kilomètres de distance, souffrent des effet collatéraux – il suffit de penser aux problèmes du blé et du prix du carburant.

Ce n’est certes pas l’ère post-Covid que nous espérions ou attendions. En effet, cette guerre, comme tous les autres conflits répandus de par le monde, est une défaite pour l’humanité entière et pas seulement pour les parties directement impliquées. Alors qu’un vaccin a été trouvé pour la Covid-19, des solutions adéquates n’ont pas encore été trouvées pour la guerre. Le virus de la guerre est certainement plus difficile à vaincre que ceux qui affectent l’organisme humain, car il ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur, du cœur humain, corrompu par le péché (cf. Évangile de Marc 7, 17-23).

Que nous est-il donc demandé de faire? Tout d’abord, de nous laisser changer le cœur par l’urgence que nous avons vécue, c’est-à-dire permettre à Dieu, à travers ce moment historique, de transformer nos critères habituels d’interprétation du monde et de la réalité. Nous ne pouvons plus penser seulement à préserver l’espace de nos intérêts personnels ou nationaux, mais nous devons y penser à la lumière du bien commun, avec un sens communautaire c’est-à-dire comme un « nous » ouvert à la fraternité universelle. Nous ne pouvons pas continuer à nous protéger seulement nous-mêmes, mais il est temps de nous engager tous pour guérir notre société et notre planète, en créant les bases d’un monde plus juste et plus pacifique, effectivement engagé dans la poursuite d’un bien qui soit vraiment commun.

Pour y parvenir et vivre mieux après l’urgence de la Covid-19, nous ne pouvons pas ignorer un fait fondamental : les nombreuses crises morales, sociales, politiques et économiques que nous vivons sont toutes interconnectées. Ce que nous considérons comme étant des problèmes individuels sont en réalité causes ou conséquences les unes des autres. Nous sommes appelés à relever les défis de notre monde, avec responsabilité et compassion. Nous devons réexaminer la question de la garantie de la santé publique pour tous ; promouvoir des actions en faveur de la paix pour mettre fin aux conflits et aux guerres qui continuent à faire des victimes et à engendrer la pauvreté ; prendre soin, de manière concertée, de notre maison commune et mettre en œuvre des mesures claires et efficaces pour lutter contre le changement climatique ; combattre le virus des inégalités et garantir l’alimentation ainsi qu’un travail décent pour tous, en soutenant ceux qui n’ont pas même un salaire minimum et se trouvent en grande difficulté. Le scandale des peuples affamés nous blesse. Nous devons développer, avec des politiques appropriées, l’accueil et l’intégration, en particulier des migrants et de ceux qui vivent comme des rejetés dans nos sociétés. Ce n’est qu’en nous dépensant dans ces situations, avec un désir altruiste inspiré par l’amour infini et miséricordieux de Dieu, que nous pourrons construire un monde nouveau et contribuer à édifier le Royaume de Dieu qui est un Royaume d’amour, de justice et de paix.

En partageant ces réflexions, je souhaite qu’au cours de la nouvelle année, nous puissions marcher ensemble en conservant précieusement ce que l’histoire peut nous apprendre. Je présente mes meilleurs vœux aux Chefs d’État et de Gouvernement, aux Responsables des Organisations internationales, aux Leaders des différentes religions. À tous les hommes et femmes de bonne volonté, je leur souhaite de construire, jour après jour en artisans de la paix, une bonne année ! Que Marie Immaculée, Mère de Jésus et Reine de la Paix, intercède pour nous et pour le monde entier.

Pape François,
message à l’occasion de la 56e Journée de la Paix, le 1er janvier 2023.

13ème dimanche – 2 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 10, 37-42

Évangile de Matthieu 10, 37-42

Nous sommes des Envoyés

Les instructions sur la mission constituent le 3ème des 5 grands enseignements du Seigneur dans s. Matthieu: c’est dire l’importance du sujet avec tous les détails pour en souligner la valeur et mettre en garde contre de fausses manières de la concevoir.

Très vite Jésus a prévenu les disciples que leur mission se heurtera toujours à des opposions. Si des personnes offriront l’hospitalité à ceux qui leur annoncent la Bonne Nouvelle, au contraire, et bien plus souvent, les envoyés buteront sur des refus nets, non seulement de simples moqueries mais une hostilité endurcie.

« Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ». Comme Caïphe et Pilate l’ont fait contre Jésus, le pouvoir religieux et le pouvoir politique se ligueront pour arrêter les envoyés. Ne craignez pas, console Jésus : ce sera pour vous l’occasion de rendre témoignage de moi car l’Esprit inspirera votre défense.

Et même au coeur des familles, la foi brisera les liens : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive ».

Et finalement ( c’est la lecture de ce dimanche-ci), le discours se termine par une série de 10 petites phrases construites de la même manière : « Celui qui … » – qu’il faut traduire aujourd’hui « celui ou celle qui » . Cela signifie qu’il n’y a pas de différence de culture, de richesse, de sexe, d’âge : quiconque est concerné sans exception. Donc que la répétition de la formule ne cache pas la gravité des effractions.

L’amour pour Jésus l‘emporte sur l’affection familiale

Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ;
celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.

L’appel à la foi s’adresse à toute personne et exige une réponse libre. Or les membres d’une même famille peuvent donner un réponse différente. Si bien que la peur des brouilles familiales et le désir de demeurer bien unis forment parfois un terrible obstacle. Dès la première génération, on a des exemples de parents qui ont dénoncé leur enfant qui s’était converti. La foi en Jésus provoque parfois de douloureuses déchirures.

Suivre Jésus entraîne de perdre sa vie

Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
Celui qui a trouvé sa vie la perdra ;
celui qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.

L’option pour Jésus peut entraîner de devoir porter sa croix, de supporter des souffrances pénibles. En effet la foi n’est pas une vague piété intérieure : croire c’est suivre c.à.d. lire l’évangile et le mettre en actes selon sa condition. Les exemples des autres et le martèlement de la publicité exercent une énorme pression pour offrir les multitudes de biens qui nous sont proposés en surabondance. Tant de chrétiens tombent dans la tentation : ils trouvent leur vie dans la pratique répandue chez tant d’autres….et ils la perdent ! On ne joue pas avec les exigences de l’évangile. Des refus sont obligatoires. Mais « qui perd gagne ».

L’accueil d’un missionnaire est celui même du Christ

Celui qui vous accueille m’accueille ;
et celui qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.

Celui qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ;
celui qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.

Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche,
à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense.

Un missionnaire n’est pas un « représentant de commerce », un porteur d’un message. Celui qui l’accueille accueille le Seigneur en personne et même, en recevant le Fils, il reçoit le Père.
La foi ne se dégrade pas au fil des générations : nous avons la même foi que les premiers apôtres. Si bien que les croyants d’aujourd’hui auront la même récompense. Même celui qui offrira un verre d’eau par compassion pour un missionnaire s’en verra récompensé. Cette finale du discours souligne la valeur essentielle de tout écho d’Evangile.

Ensuite le récit de Matthieu reprend en montrant Jésus repartant pour aller prêcher : « Or quand Jésus eut achevé de donner ces instructions, il partit enseigner et prêcher ». Si bien que la grande instruction est encadrée par la mission de Jésus son grand modèle.

La Bonne Nouvelle n’est pas annoncée

Tous les médias (journaux, radios, tv …) sont remplis des mauvaises nouvelles que l’actualité nous jette à profusion : guerres, séismes, inondations, crise climatique, hausse des prix….Mais quand même et toujours, ils nous rapportent des bonnes nouvelles : Renault sort un nouveau modèle, le prix des piscines est en baisse, les agences de tourisme proposent des voyages dans des lieux mirifiques, l’équipe de football a remporté un championnat, le marché du luxe en France a généré 1400 milliards de revenus en 2022. Ainsi console-t-on un public qui, sans cela, serait écrasé par les malheurs.

Et les médias chrétiens ? Eux aussi sont remplis des mauvaises nouvelles mais où les voit-on proclamer « LA BONNE NOUVELLE » ? Ils parlent de nouvelles méthodes de catéchisme, de pèlerinages, de séjours en abbaye, de nominations d’évêques, de scandales ecclésiastiques, de chute des pratiquants…

Mais quand annoncent-ils : « Jésus a offert sa vie sur la croix, son Père l’a ressuscité. Croyez-le et vous serez pardonnés de vos pêchés, l’Esprit-Saint vous remplira de sa vie et de sa lumière, nous entrerez en communion et vous deviendrez le Corps du Christ, promis à la résurrection ».

Voilà bien la plus surprenante, la plus formidable annonce de l’histoire et elle doit atteindre le plus de personnes possibles.

Oui mais c’est là, direz-vous, la prédication à faire dans les églises. Pas du tout. Pourquoi faudrait-il aller à la messe pour entendre l’Evangile ? Alors ceux qui ne voient que les médias ordinaires seraient condamnés à n’entendre que les malheurs des crises ? Beaucoup n’ont donc même pas l’occasion d’offrir un verre d’eau à celui qui évoque le nom de Jésus ? Cela montre que nous restons encore en régime de chrétienté, quand le christianisme imbibait encore la vie sociale et qu’il suffisait de gérer l’Eglise et de distribuer les sacrements.

Le verbe essentiel est « Proclamer la Bonne Nouvelle ». Donc ce n’est pas un message déjà connu, ni une recommandation rituelle ou morale, ni une annonce triste.

Le kérygme (proclamation publique d’une nouvelle ) n’est jamais vu comme « déjà fait ». Sinon Coca Cola, Rolex, Arial et autres firmes cesseraient de tambouriner leurs marques.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain

La Messe en Latin ne sauvera pas l’Eglise

par Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de « La Croix »

On a trouvé la solution ! Pour sauver l’Eglise de la disparition annoncée, il faut du « sacré », de « la messe en latin », et des « discours plus classiques » que les questions de société. Et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes… Je caricature à peine. C’était la teneur de certains commentaires qui ont circulé, succès du pèlerinage traditionaliste de la Pentecôte à l’appui, après la publication d’une enquête par « La Croix » sur les jeunes catholiques qui vont aux JMJ, montrant l’attachement de ces derniers pour les formes plus classiques de la foi.

A vrai dire, voilà bien 25 ans que l’on nous explique la même chose, et avec les mêmes mots ou presque….Une génération, la fameuse « génération conciliaire », aurait, avec Vatican II, échoué à maintenir le catholicisme à son niveau. Et il faudrait donc revenir à des célébrations plus classiques, voire en latin, et à une pratique plus intérieure, moins « sociale ». Dans les années 1990-2000 on opposait déjà cette même génération conciliaire à ce qui était alors vu comme « l’avenir » de l’Eglise de France, la communauté s. Jean ou celle des béatitudes, par exemple, qui, elles, justement, tenaient un discours plus classique, proposaient des célébrations plus traditionnelles, une liturgie très soignée.

Pa question de critiquer aujourd’hui un peu facilement ces mouvements, mais alors qu’ils étaient présentés comme la solution, force est de reconnaître qu’ils ne l’ont pas été plus que d’autres. (…)

Alors s’il faut vraiment aujourd’hui désigner un coupable, soyons cohérents, et disons que c’est la « faute à tous ces mouvements nés avec Jean-Paul II. Sauf que justement cela n’a aucun sens. Ce n’est la faute à personne…ou du moins pas de cette manière.

La manie d’accuser une partie des catholiques – et reconnaissons que depuis 30 ans les conciliaires en ont pris pour leur grade – est le meilleur moyen de refuser de voir le problème. (…)

Le coupable, s’il y en a un, c’est la rupture anthropologique considérable que nous avons connue à partir des années 1950, et qui a complètement bouleversé notre rapport au divin, au corps, aux institutions.

Le modèle d’une institution ecclésiale mobilisée uniquement autour des célébrations dominicales et des grands sacrements de la vie (naissance, mariage, mort) ne tient plus dans notre société sécularisée. Ou ne peut qu’attirer qu’une petite partie de la population. La grande majorité des jeunes – et des moins jeunes d’ailleurs – ne s’y retrouvent plus.

Non qu’il ne soit pas important que le christianisme puisse encore trouver des moyens d’expression, de transmission, que l’Evangile continue d’être lu et prié. Au contraire !

Mais sans doute faut-il accepter d’autres manières de prier, de se rassembler, de se retrouver, de s’engager. Plutôt que de se perdre en accusations réciproques et stériles, nous devons plutôt faire preuve de créativité – ce que Benoït XVI avait théorisé – et oser être différents, pluriels, sans modèle unique, en oubliant les étiquettes de cathos réactionnaires ou progressistes.

Car quel est l’enjeu ? Que l’Eglise « marche » bien, ou bien que nous soyons tous collectivement plus fidèles à l’Evangile ?

Isabelle De Gaulmyn – La Croix hebdo – 3 06 2023