5ème dimanche de Carême – 26 mars 2023 – Évangile de Jean 11, 1-45

Évangile de Jean 11, 1-45

Lazare

Vous savez sans doute que l’Évangile de Jean est un récit très construit : à la fois une œuvre littéraire, un traité de théologie et un témoignage. Pour le comprendre, il faut apprendre à décoder les nombreuses figures de styles, quantité d’images et autres structures rythmiques. Alors seulement on peut en appréhender le sens et le voir comme une œuvre unifiée, un tout. Vous savez aussi qu’il est le plus tardif des quatre évangiles et qu’il offre donc un regard plus distancié. Plus spirituel aussi.

Parmi les figures de styles, il y a les sept signes que Jésus accomplit avant la Pâque, qui vont de l’eau changée en vin à Cana à la résurrection de Lazare qui en est le point d’orgue – sept étapes qui développent, en croissant, la compréhension de l’événement pascal.

Ce récit de la résurrection de Lazare est lui-même très construit. Et il offre un enseignement théologique particulièrement dense. Par ses similitudes avec la mort et la résurrection de Jésus, il éveille les disciples à la compréhension de ce qui va suivre. Une question se pose dès lors : est-ce, de la part de Jean, une image – une sorte de parabole – ou Lazare est-il véritablement revenu de la mort ?

Il vous apparaîtra peut-être évident que Marthe, Marie et Lazare – frère et sœurs – préfigurent la toute première « communauté chrétienne », les premiers croyants, avec les apôtres, à être cités par leur nom. Ensemble, ils forment l’embryon de l’Église. Dès lors, la résurrection de Lazare n’est-elle pas un récit imagé, là pour enseigner que le salut à venir concerne toute l’Église ?

Nous savons que le judaïsme aime les images concrètes – le chameau qui passe par le chas d’une aiguille – et ces images particulièrement concrètes sont là pour nous faire prendre la mesure de ce qui se joue. Personne pourtant, n’envisage concrètement de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Cette idée du récit comme une parabole est renforcée par les nombreuses incises théologiques évoquées plus haut. Clairement, Jésus apparaît ici comme un théologien qui délivre un enseignement, au centre duquel se trouve la phrase : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Ainsi, au cœur du récit, se trouve ce qu’on appelle le kérygme, le centre de la foi chrétienne, ce que nous rappelons dans chaque Credo : Jésus est mort et ressuscité et quiconque croit en lui vivra de même.

Mais d’autre part, il n’y a pas de doute que Marthe et Marie soient des personnes concrètes. Elles sont citées par les quatre évangiles. Par ailleurs, le récit met très fort l’accent sur les sentiments qui traversent Jésus : il est saisi d’émotion ; il est bouleversé ; il se met à pleurer. C’est, de tout l’évangile, l’endroit où l’on voit le Jésus le plus concret, le plus humain face à la mort. Alors ? Image ou réalité ?

Déblayons donc, dans notre archéologie du texte, la couche théologique supérieure pour mettre à jour le récit lui-même ; penchons-nous concrètement sur l’histoire.

Certes, elle offre quelques parallèles avec la résurrection du Christ qu’elle annonce, mais ils ne sont pas si nombreux que cela : il s’agit bien entendu du relèvement d’un mort ; il y a la pierre roulée devant la tombe, mais c’est à peu près tout.

Les différences sont plus nombreuses. Les événements se déroulent sur quatre jours contre trois pour la résurrection du Christ ; et surtout, Lazare finira par mourir de nouveau. En outre, il faut encore le débarrasser des bandelettes et du suaire qui le recouvrent, alors que linge funéraire du Christ apparaîtra soigneusement plié. La résurrection de Lazare, finalement, ressemble à une résurrection inachevée.

Maintenant posons-nous la question : pourquoi Jésus pleure-t-il ? On apprend pourtant dès le début du récit qu’il sait que Lazare ressuscitera. Il dit d’emblée : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » et, plus loin : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Quel sens y a-t-il donc à penser que Jésus pleure son ami mort ? Aucun !

Jésus ne doute pas que Lazare vivra, mais il est le seul. La lamentation de Marie se présente comme une constante tout au long du texte « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Et c’est alors que Jésus pleure. Et qu’il ressuscite Lazare. Partiellement.

J’ose une hypothèse : Jésus pleure, non pas parce que Lazare est mort, mais parce que la foi de ses disciples les plus proches est encore dramatiquement incertaine – théologique, certes, mais pas encore pratique – parce qu’ils doutent encore de leur propre salut. Jésus réalise alors qu’il faudra qu’il meure et qu’il ressuscite lui-même ; que seule sa présence aimante et son enseignement n’ont pas suffit ; qu’il faudra la Pâque pour qu’on le croie.

Ensuite il scande : « Enlevez la pierre » ; « Lazare, viens dehors ! » ; « Déliez-le, et laissez-le aller » comme pour dire : il vous reste à faire pour être délivrés de la mort. N’enfermez personne dans un tombeau ; ne prononcez la mort d’aucun !

Dans son encyclique « Laudato Si », au paragraphe 199, le Pape écrit : « On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. » On ne peut pas plus soutenir avoir compris la mort, pouvoir en juger. Nos pensées là aussi sont limitées.

Alors finalement répondons à notre question : ce récit présente-t-il des faits ou s’agit-il d’une illustration imagée du Credo ? Je crois qu’il faut tenir les deux : c’est à la fois une image très concrète comme aime en invoquer la culture juive, une illustration de l’enseignement théologique de Jésus. Mais croire qu’il est impossible qu’existe un Lazare qui réellement ressuscite, c’est préserver l’aspect purement théorique de notre foi. Ce pourquoi, justement, Jésus pleurait.

N’enfermons jamais personne dans la mort – et surtout pas nous-même –, c’est le signe le plus tragique de la désespérance. Au contraire, ouvrons tout ce que nous avons pu concevoir comme tombeaux, délions nos morts – y compris ce qui est mort en nous – et laissons-les aller vers Dieu.

C’est l’heure de déposer au pied de la Croix, nos deuils qui doivent encore ressusciter.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

3ème dimanche de Carême – 12 mars 2023 – Évangile de Jean 4, 5-42

Évangile de Jean 4, 5-42

La soif de Dieu

Avez-vous remarqué que, dans cet Évangile où Jésus, exténué, demande à la Samaritaine : « Donne-moi à boire », jamais il ne boit ? Dans le récit, jamais sa soif à lui, n’est étanchée.

Et, avez-vous remarqué le contraste qu’il y a avec la première lecture ? Dans le désert, le peuple souffrait de la soif. Et Moïse récrimine contre lui : « Que vais-je faire de ce peuple ? Encore un peu, et ils me lapideront ! ». Et que fait Dieu ? Il leur donne à boire. Lui ne tergiverse pas : même si, comme le dit l’Écriture, le peuple assoiffé lui cherche querelle, Dieu fait immédiatement jaillir une source d’un rocher. Au-delà de nos mécréances, Dieu commence par combler nos besoins les plus immédiats. Ils me maudissent parce qu’ils ont soif ? Voici à boire …

On interprète souvent cet Évangile – et le texte nous y invite d’ailleurs – en présentant l’Esprit comme une source d’eau vive, qui étanche notre soif spirituelle : « celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle ». Et Paul nous incite à faire le lien avec le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte : « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné alors que nous n’étions encore capables de rien ». L’amour de Dieu, voilà l’eau vive que l’Esprit nous donne comme il donnait de l’eau sortie du rocher aux Hébreux dans le désert.

Mais qui se préoccupe de la soif de Dieu ?

Il y a un parallélisme troublant à faire entre le Jésus qui dit « Donne-moi à boire » à la Samaritaine et le Christ en croix dont Jean nous dit, plus loin, au chapitre 19, que « sachant que tout, désormais, était achevé, pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, il dit : « J’ai soif. »

En quoi l’étanchement de la soif de Jésus accomplit-il l’Écriture ? Est-ce simplement pour faire, au moment de la crucifixion, une référence parlante à la complainte du juste couvert d’insultes dans le psaume 70 ? ou est-ce véritablement l’étanchement de la soif de Jésus qui accomplirait les Écritures ?

L’Évangile d’aujourd’hui nous donne la réponse. Je vous ai quelque peu induit en erreur en vous disant que jamais la Samaritaine n’étanchait la soif de Jésus. Elle le fait, en tous cas elle lui donne à boire de cette eau vive qui est de le reconnaître comme Christ et de le glorifier comme Messie auprès des siens. Jésus dit alors à ses disciples : « Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur. » La moisson du jour c’est la foi de la Samaritaine. La reconnaissance, voilà ce qui étanche la soif de Dieu.

Jésus ajoute : « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » Si nous disons que l’eau vive est l’amour de Dieu que l’Esprit nous donne, étancher la soif de Dieu revient à lui rendre cet amour.

Nous apaisons la soif de Dieu lorsque nous l’aimons, nous sommes des sources d’eaux vives pour Dieu lorsque nous lui rendons témoignage. Chaque vie donnée au Christ est un flot étanchant la soif d’amour de Dieu. Chaque Eucharistie, chaque prière, chaque offrande, chaque don de soi est de l’eau pour la soif d’Humanité qu’éprouve Dieu.

Oh bien sûr, nos offrandes sont imparfaites, notre prière est faible et le don de nous-même est rarement limpide. La soif de Dieu n’est jamais pleinement étanchée des flots de notre amour que nous mêlons toujours quelque peu du fiel de notre péché.

Mais sur la croix, Jésus prit tout de même l’eau mélangée de vinaigre et dit « Tout est accompli ». Il suffit de ça : lui donner à boire de nous-même, même si notre breuvage est quelque peu amer ou corrompu.

Que le jaillissement de notre foi soit pour Dieu un étanchement véritable et que notre Carême nous aide à rendre la boisson un peu moins vinaigrée. Car Dieu a soif de notre amour.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Qu’est-ce que la soif de Dieu ?

Une conférence de Gemma Serrano
au Collège des Bernardins

Grégoire de Nazianze nous dit, au IVe siècle, que « Dieu a soif que l’on ait soif de lui ». Dieu est lui-même un amoureux désir. Nous lisons dans les psaumes « Je te cherche, mon âme a soif de toi » Ps 63, 2. L’homme est en quête de Dieu et désire le voir.

Comment penser ces deux versants de la relation de désir et de quête entre Dieu et l’homme ? Quel est notre désir ? Comment cette soif prend le contre-pied d’une connaissance rassasiée ? De quelle traversée nous parle ce désir ?

Nous essayerons de comprendre comment nos vies sont sillonnées par cette soif propre et cette soif d’Autrui.

Visionner la conférence

Gemma Serrano est Professeur extraordinaire de théologie fondamentale et dogmatique à la Faculté Notre-Dame et Co-directrice du département de recherche Humanisme numérique du Collège des Bernardins.

2ème dimanche de Carême – 5 mars 2023 – Évangile de Matthieu 17, 1-9

Évangile de Matthieu 17, 1-9

La Transfiguration

Si l’on s’en réfère à la quarantaine inaugurale de Jésus, le carême n’est donc pas d’abord un temps d’ascèse et de mortifications, mais la reprise de conscience d’une révélation bouleversante : par Jésus, nous sommes devenus, par adoption, des enfants de Dieu. Du coup, avec lui, nous sommes chargés de la mission vitale d’étendre le Royaume de l’amour dans l’humanité tout entière.

Cette vocation divine nous laisse libres si bien que nous devons combattre les méthodes séduisantes mais diaboliques de l’accomplir. La vie devient un combat contre ce qui pourrait nous paraître comme des évidences : assouvir la cupidité, hypnotiser par le spectacle, écraser par la violence. Le carême est donc un recentrement de nous-mêmes afin de mener une vie conforme à l’évangile de Jésus. Ce combat n’est jamais clos : la résistance à ce projet va se durcir et même provenir du milieu religieux.

Car Jésus, avec audace, ne cesse de dénoncer des cérémonies formalistes et des pratiques minutieuses qui semblent honorer la gloire de Dieu sans entraîner la justice et l’amour du prochain. Prêtres du Temple et laïcs pharisiens sont très vite exacerbés par ce paysan sans titre qui annonce la venue du Royaume de Dieu : c’est un imposteur qui a fait un pacte avec le diable, un gourmand qui profite de toutes les occasions de se goinfrer. Ce n’est pas possible qu’il soit le messie sauveur annoncé par les Écritures.

A nouveau Jésus plonge dans la prière, cherche la lumière de l’Esprit et un jour, il annonce le grand tournant qu’il va prendre. « Je monte à Jérusalem, on me haïra, on me mettra à mort mais mon Père me rendra la Vie et le Royaume naîtra. Quiconque veut être mon vrai disciple devra lui aussi prendre le même chemin et porter la croix du refus ». Abasourdis, sans comprendre, les apôtres acceptent de le suivre. C’est ici que nous rejoignons l’Evangile de jour.

La Transfiguration

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s’entretenaient avec lui.

Parce qu’il a accepté de prendre cette terrible décision, pour l’encourager à poursuivre et en offrir le signe aux trois grands disciples, la présence divine du Père étreint le Fils. Son visage qui était crispé par la terreur se détend, rayonne de beauté et de paix. Le don total de son corps lui attire la lumière ; la pesanteur s’épanouit dans la grâce.

Les deux grands personnages de l’histoire, représentant la Loi et les Prophètes, apparaissent aux disciples. Tous les deux sont allés sur la montagne pour prier et écouter Dieu, la face de Moïse rayonnait, tous les deux ont lutté avec ardeur pour l’honneur de Dieu, mais tous les deux avaient encore employé la violence.

A présent, ils viennent s’incliner autour de Jésus et ils reconnaissent sa valeur ultime, sa suprématie. Ils parlaient à Jésus, ajoute Luc, de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem. Oui, c’est bien toi le Sauveur messianique ; par ta croix et ta résurrection, tu vas accomplir l’exode définitif. Non d’un pays à un autre ni le fait d’un peuple particulier. Mais la libération de l’humanité entière hors de l’esclavage du péché.

Pierre prit la parole : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».

Ebloui par la vision, Pierre souhaiterait prolonger ce moment de vision qui le comble de bonheur mais il demeure dans un monde de la division et il voudrait arrêter l’histoire. Dieu va faire éclater sa tentation.

Il parlait encore lorsqu’une nuée lumineuse les recouvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ».

Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : «  Redressez-vous, n’ayez pas peur ».

Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.

Dans la Bible, la Nuée représente la présence de Dieu. Le choc de sa venue provoque un certain recul car notre état de pécheur nous plonge dans la peur. Mais Jésus Seigneur nous relève, nous re-suscite. Devant Dieu nous retrouvons notre stature d’homme debout et nous découvrons notre état. Ce n’est pas d’abord aux hommes de construire des maisons de Dieu mais au contraire c’est Dieu qui spirituellement réunit sous son ombre tous les croyants. Abraham et Jacob, Moïse et Isaïe, Pierre et Paul, François et Dominique, Marie et Madeleine… : en Jésus enfin la communion est possible. Il ne faut plus rêver d’extase, de phénomène miraculeux mais faire converger tous nos regards sur Jésus, l’homme. Reconnu Seigneur, Jésus nous unifie

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne avant que le Fils de l’homme ne soit ressuscité d’entre les morts ».

Les visions sont fugitives, les extases éphémères : elles ne sont offertes que pour encourager à poursuivre la route jusqu’au bout, à affronter l’opposition. Pour le moment, il serait dangereux de propager que Jésus est bien le Messie car la foule n’est que trop portée à attendre un sauveur glorieux qui par la force, écrase les ennemis et elle déclencherait l’insurrection – ce qu’elle fera en l’an 66 et la révolte s’achèvera par la guerre et la destruction de Jérusalem et du Temple.

Bientôt, après la résurrection pascale et le don de l’Esprit, alors les apôtres pourront et devront certifier à tous vents que Jésus est bien l’authentique et l’unique Sauveur du monde qui utilise les méthodes qu’il avait choisies lors de son baptême.

Carême : Temps de conversion

L’Eglise nous presse de « faire pénitence » oui mais au sens premier de meta-noïa, conversion, retournement.

Le premier dimanche nous a replacé devant la révélation qui change notre vie : par le passage dans l’eau du baptême, Dieu nous a adoptés comme ses enfants. Méditons et n’oublions jamais le don de cette nouvelle identité spirituelle. Faisons confiance à notre Père qui ne nous abandonnera jamais et nous fera toujours miséricorde.

Par conséquent nous avons à réfléchir longuement dans la prière sur la mission reçue. Assumer votre mission, débusquer les fausses méthodes de laisser advenir le Royaume, rejeter les méthodes du monde, oser nous démarquer. Ne nous étonnons pas que le carême soit un temps de lutte acharnée pour écarter les tentations. Si votre fils refuse l’Evangile, montrez-lui que notre monde qui le rejette aussi s’enlise dans l’injustice, écrase les pauvres, se déchire dans la barbarie des guerres, détruit la planète. Mais votre affirmation ne sera valable que si vous pouvez lui montrer des communautés paroissiales qui, en effet, ont fait les options de Jésus Sauveur. Privons-nous de dessert mais surtout prenons du désert.

Le deuxième dimanche nous replace devant le mur de l’échec et provoque une prière plus torturée. Pourquoi refuse-t-on le message pacifique et miséricordieux ?…Pourquoi cette surdité à l’évangile ?…Comme Jésus montait dans la montagne, exhaussons notre vision et notre réflexion vers notre Père du ciel. Peut-être avec quelques autres, prions.

Comme Jésus, soyons attristés que tant de gens honnêtes, baptisés, et même des responsables de l’Eglise se cabrent devant toute proposition de changement et nous en veulent pour oser toucher à l’ordre établi alors que celui-ci montre ses insuffisances.

Alors, comme Jésus, au lieu de demeurer entre nous et nous lamenter sur l’incroyance, au lieu de nous plaindre d’être nous-mêmes des pécheurs (ce qui est exact), prions pour prendre la décision de secouer des structures moribondes, de démasquer la piété hypocrite qui ne donne pas de fruit.

Pour ne pas imposer nos idées personnelles ni nous décourager trop vite, une seule solution. Essentielle ! Regarder Jésus. Etre émerveillé par ce personnage unique. Recevoir sa Lumière. Pénétrer la magnifique déploiement du projet de Dieu qui va d’Abraham à Moïse puis Elie, Isaïe…Jean-Baptiste et, au sommet Jésus messie…puis Pierre, Paul, Marie-Madeleine…..des milliards de saints…

L’entreprise sera laborieuse, échouera souvent mais elle ne pourra capituler. Il faudra « prendre sa croix », être la cible éventuelle des moqueries, être condamnés comme aventuriers et menteurs. La Vérité sonne toujours à son heure. Notre chemin aboutira au calvaire pour rebondir dans l’élan éternel de Pâques.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

1er dimanche de Carême – 26 février 2023 – Évangile de Matthieu 4, 1-11

Évangile de Matthieu 4, 1-11

Carême : Tournant de la Foi

Depuis mercredi (puisque les dimanches sont exclus du compte), nous voici à nouveau entrés dans la période de 40 jours appelée « carême » (le latin quadragesima signifie 40). Le mot évoque tout de suite privations, petits sacrifices anodins, air triste et compassé. Il faut aller plus profond : « en quarantaine » : donc pour discerner le mal, changer notre point de vue, nous convertir, prendre un tournant dans notre vie de croyant. Il nous faut aller à Pâques.

Lorsque Jésus s’est rendu au fleuve Jourdain pour entendre le nouveau prophète, savait-il ce qui allait lui survenir ? Après avoir écouté longuement les exhortations tonitruantes de Jean qui annonçait la prochaine venue du Règne de Dieu, il descendit dans le gué et tout à coup il fit une expérience bouleversante. Il entendit une Voix céleste qui lui disait : « Tu es mon Fils bien-aimé » et l’Esprit-Saint l’imprégna tout entier.

Tandis que les gens, après avoir confessé leurs fautes, se rhabillaient et retournaient à leur vie ordinaire, Jésus, lui, s’enfonça dans la région désertique afin de réfléchir à l’impact de la révélation qu’il venait de recevoir. L’heure avait sonné d’accomplir sa mission : seul, dépourvu de moyens, que dois-je faire ? Dieu n’a rien précisé. Il entra « en quarantaine » dans la solitude et le silence total afin d’échapper à l’agitation du monde, mener une vie frugale pour se concentrer sur l’essentiel. L’enjeu était capital : rien moins que changer la face du monde, guérir l’humanité pécheresse. Un homme pour la planète entière !

C’est alors qu’une autre voix, tel un serpent, s’insinua et lui présenta les trois manières les plus évidentes d’agir afin d’accomplir sa tâche.

  • Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains.

Les hommes ne seront-ils pas heureux s’ils sont assurés de nourriture gratuite, s’ils peuvent consommer de manière surabondante et variée ? Ce serait la fin des soucis, des angoisses, du travail éreintant. Un paradis où l’on peut se promener en paix, où l’on agit comme on veut. Illusion satanique, réplique Jésus.

  • Jésus répondit : Il est écrit : « Ce n’est seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ».

Laissés à eux-mêmes, les hommes ne pourront jamais s’abstenir du mal. Leur coexistence n’est possible que s’ils acceptent de se laisser instruire par Dieu. S’ils se font eux-mêmes la loi, ils se dresseront les uns contre les autres. Même s’ils reconnaissent que frapper, voler, haïr est mal, ils le feront quand même, convaincus que le mauvais penchant qu’ils ont est malgré tout un bienfait pour eux. Mettre son bonheur dans les nourritures terrestres, c’est demeurer sous le règne animal régi par la loi de la jungle : le plus violent, le plus pervers l’emporte.

  • Le démon emmène Jésus à Jérusalem, au sommet du temple : Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas car il est écrit « Dieu donnera ordre à ses anges, ils te porteront de peur que ton pied ne heurte une pierre ».

Notre autre grand rêve : nous élever au règne des anges. Échapper à la lourde pesanteur qui nous colle au sol, pouvoir planer, voguer dans l’azur, échapper aux chutes, aux échecs. Croire en Dieu pour qu’il ne nous arrive rien de grave. Nouvelle illusion, démasque Jésus.

  • Jésus lui déclara : Il est aussi écrit : «  Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ».

L’univers a été créé avec ses lois et nous devons les observer. C’est grâce à cette obéissance que nous avons pu, à la suite de calculs et d’expérimentations, nous échapper vers les planètes. Mais nous ne pouvons défier Dieu de résoudre nos problèmes, exiger de lui qu’il fasse un miracle pour nous tirer d’embarras, nous dispenser du travail. Certes Jésus a accompli des guérisons mais elles furent peu nombreuses, jamais accomplies pour faire du merveilleux, réalisées comme à contrecœur car il ne voulait pas forcer notre liberté.

  • Le démon l’emmène alors sur une très haute montagne et lui fait voir le monde avec sa gloire. Il lui dit : «  Tout cela, je te le donnerai si tu te prosternes pour m’adorer ».

Le pire : user de moyens diaboliques, diviser, encourager l’envie, la cupidité, la frénésie sexuelle, la traite des êtres humains, le trafic des drogues, éliminer les faibles, imposer la violence, déclencher des guerres, attiser les conflits. Hélas – l’histoire et l’actualité récente nous le montrent – des multitudes sont prêtes à foncer derrière des menteurs et rêvent d’empire, de gloire. Et toujours au prix exorbitant de victimes, de ruines, de massacres, de ravages. Et toujours pour retomber de son piédestal. Le communisme de Staline a fait le goulag, le nazisme du Führer a culminé à Auschwitz, le capitalisme risque de conduire le monde à la destruction finale. Et l’histoire semble ne rien nous apprendre : il y a toujours des foules hypnotisées par les promesses diaboliques de gloire et de bonheur.

  • Alors Jésus lui dit : Arrière, Satan ! Il est écrit : «  C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras et c’est lui seul que tu adoreras ».

Toute la Bible raconte l’histoire d’un petit peuple à qui Dieu apprend à se méfier, comme de la peste, de l’idolâtrie et qui, en dépit des appels des prophètes, n’y parvient guère. Jésus, comme ceux-ci, répète la déclaration solennelle de Dieu : « J’ai mis devant toi la vie et la mort : choisis la vie ». La foi n’est pas une pommade religieuse pour adoucir un peu les peines de la vie. Adorer un Dieu unique, n’adorer que lui, ne céder à aucune autre pression, se savoir aimé infiniment et porté à aimer indéfiniment. On ne discute pas avec satan, on ne cherche pas de compromis avec lui : on le chasse. Notre société glorifie « les idoles » : qu’elle prenne garde, c’est un signe de décadence.

  • Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de Jésus et ils le servaient.

Jésus a vaincu les trois tentations fondamentales auxquelles toutes les autres se rattachent. Son Père l’a laissé libre et maintenant il l‘assure de son aide. Ce combat lui a permis de clarifier son engagement et il va commencer sa mission.

  • Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en Galilée. Quittant Nazareth, il vint habiter à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée…. A partir de ce moment, il commença à proclamer : «  Convertissez-vous : le Règne de Dieu s’est approché. »

Par crainte d’une insurrection, le roi Hérode fait arrêter le prophète gêneur …et Jésus n’use pas de la force pour libérer son maître. Devant le danger, il fuit vers le nord et s’installe dans la province d’Israël marquée par la présence romaine. Son ministère débute au contraire des suggestions diaboliques : pauvre, seul, il circule dans les villages et utilise un moyen pauvre – parler – pour s’adresser à des pauvres. Mais en effet avec lui Dieu vient changer l’humanité non de manière spectaculaire avec armes et trompettes mais avec un appel pressant : « Changez de conception, n’adorez que Dieu ».

Nouveau Tournant

Mais que se passe-t-il alors ? Le jeune Prophète se heurte à une opposition farouche : non celle des grands pécheurs ni celle des Romains païens, mais bien celle des hommes qui se prétendent les plus pieux : pharisiens, prêtres, scribes ! Très vite leur hostilité se durcit, leurs attaques se multiplient, leurs menaces se précisent : « Cet individu a le diable au corps »…

Jésus de plus en plus prie pour pénétrer la volonté de son Père et recevoir la force de l’accomplir jusqu’au bout. Il ne peut ni se taire ni édulcorer ses exigences. La Vérité du Royaume est en jeu, il lui faut accomplir sa mission jusqu’au bout. Il monte au coeur d’Israël, le Temple, et dénonce le formalisme des liturgies, la fausse piété et la vanité des hauts responsables. Leur conduite et leur enseignement ne construisent pas une société basée sur le droit et la justice. Loin de mener le peuple à Dieu, ils le détournent de lui. L’issue est évidente : ce sera la condamnation et la croix. Mais l’infinie miséricorde de la victime, qui est bien le Fils, l’ouvre à la Vie nouvelle de son Père. A Pâques, le mystérieux Royaume est ouvert.

Autant les disciples étaient fiers de suivre un maître qui, par ses miracles, attiraient les foules, autant ils se braquèrent lorsque celui-ci leur annonça l’issue inéluctable de la croix, non par l’obligation de la souffrance mais à cause de la dureté des hommes. Au dernier moment ils l’abandonnèrent et s’enfuirent. Mais le Ressuscité revint vers eux et l’Esprit les combla enfin de la lumière, de la paix, de l’assurance : c’était eux d’abord qui devaient être convertis

Notre Carême

Baptisés souvent dès l’enfance, élevés dans la pratique des rites, nous ne remarquons pas que notre foi est tiède, routinière. Or elle n’est pas un opium pour nous tranquilliser. Le carême que nous n’avons pas fait au baptême, nous sommes appelés chaque année à le faire car on n’est pas chrétien une fois pour toutes. Comme les apôtres, nous renâclons devant le combat à mener, la croix que nous refusons de prendre.

Nous voulons, avec le Seigneur, changer le monde ? Commençons par nous changer et changer l’Eglise.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Dimanche des Rameaux – Année C – 10 avril 2022 – Évangile de Luc 10, 28 – 40

Évangile de Luc 10, 28 – 40

La Joyeuse Entrée du Roi

Aujourd’hui Jésus parvient au terme de cette longue montée qu’il a décidée il y a plusieurs semaines à Césarée, tout au nord-est, à la frontière du monde juif avec la civilisation païenne et qu’il a annoncée aux disciples. Il est très conscient : je souffrirai beaucoup, ils me mettront à mort mais mon Père me rendra la vie. Pâle, les traits tirés, mais résolu, il s’est mis en route en prévenant : quiconque veut être mon disciple doit prendre le même chemin. En route il poursuit sa mission : enseigner, guérir quelques malades. Un soir, dans sa prière, son Père lui donne un signe lumineux de la future transfiguration de ce pauvre corps qui va être défiguré. Les disciples ne comprennent toujours pas mais ils le suivent quand même.

Au moment où nous allons commémorer ce drame qui a changé la face du monde, nous restons, avouons-le et n’en soyons pas surpris, perplexes, assaillis de questions. Ne vivons pas des liturgies routinières, osons rompre avec la multitude des tentations mondaines, prenons le temps de réfléchir, de méditer le récit de la Passion de Luc, battons-nous avec les obscurités du texte.

N’oublions pas que notre vie a valeur et est sauvée dans la mesure où nous aurons essayé de vivre cet enseignement car « Celui qui veut être mon disciple … ». Cette histoire n’est pas une lecture mais un itinéraire à prendre.

Pourquoi aller à la mort ? Qui est coupable ? Pas Jésus

Jésus n’est pas monté à Jérusalem pour y souffrir. Il n’est pas suicidaire et est libre de cette « pulsion de mort » que le Dr Freud a décelée en nous. Butant très vite contre la résistance des scribes, des pharisiens et des grands prêtres qui l’épiaient, il a expérimenté la montée de la haine. Il est monté pour dénoncer la fausseté d’un temple dont la splendeur était le fruit des exactions et des crimes d’Hérode. Il avait vu depuis longtemps, à la suite des prophètes Amos et Isaïe, que le culte fastueux avec ses sacrifices rigoureusement célébrés, était stérile. Il déployait son faste mais son spectacle ne changeait pas le mode de vie des participants, il ne convertissait pas les cœurs.

Faussement vrai, il était donc dangereux en donnant des assurances factices. En outre, Jésus, comme tout le monde, savait la vanité, la cupidité de certaines grandes familles sacerdotales. Et il ne supportait plus un temple qui refusait son entrée à des malades sous prétexte qu’ils étaient pécheurs, et qui bannissait « les autres », les païens. Ce n’est pas la nécessité de la souffrance qui a jeté Jésus dans le combat mais la volonté d’accomplir la mission de son Père : faire sauter ce verrou qui l’empêchait de se réaliser dans les temps nouveaux qui s’ouvraient alors.

Pas Dieu

Ce n’est pas Dieu qui a voulu la mort de son fils, lui qui a strictement interdit ce sacrifice à Abraham ainsi que tout sacrifice d’êtres humains. YHWH n’est pas un Moloch implacable qui exige réparation de toute faute à son égard. Son dessein, confié à Jésus, est de faire advenir son Royaume. Et dès le désert, Jésus a rejeté les procédés diaboliques pour choisir ceux de Dieu : pauvreté, douceur, refus de la violence armée. Mais l’obstacle majeur était le système du temple, tel qu’il fonctionnait, et ses responsables. C’est cela qu’il fallait donc dénoncer, ce qui par conséquent ne pouvait entraîner que le durcissement et la haine. Jésus a choisi la mission jusqu’au bout plutôt que la démission. « Qui perd sa vie la gagne ».

Pas les Juifs

Ce n’est pas le peuple de Jérusalem qui est responsable. A l’approche de la Pâque la ville était surchargée par l’arrivée continuelle de dizaines de milliers de pèlerins ravis de retrouver leur ville sainte. Ces gens de Corinthe, d’Alexandrie, de Rome, de Syrie ne connaissaient absolument pas ce Jésus et leurs familles avaient fort à faire pour les accueillir, veiller à l’hospitalité et les nourrir. Combien de personnes ont-elles participé à la Joyeuse Entrée du Galiléen ? Des zélotes qui attendaient le signal de la révolution, des spectateurs emballés par les miracles, des gens manipulés par les grands-prêtres…

Pas « Les Grands Prêtres »

Par convention et habitude, on parle des « grands prêtres ». Mais les récits montrent que le procès n’a pas respecté les normes juridiques et a été expédié en hâte par Caïphe et quelques autres. Les rabbins d’aujourd’hui disent que la sentence n’était absolument pas valable. Et les évangiles racontent que certains prélats, comme Nicodème ou Thomas d’Arimathie, sympathisaient avec Jésus. On ne peut pas dire que « le sanhédrin » a condamné Jésus.

Pas les Romains

Et les Romains ? Dans les années 70-80, lorsque les premiers évangiles paraissent et évoquent les souvenirs, les pharisiens, qui dirigent la foi après la destruction du temple et la disparition du clergé, sont les grands adversaires de leurs compatriotes qui se sont convertis à la foi nouvelle. C’est pourquoi les évangélistes noircissent leur portrait jusqu’à la caricature et ils chargent « les Juifs » de la responsabilité de la mort de Jésus.

D’autre part, comme les nouvelles communautés se répandent partout et se présentent comme les héritières d’un juif très contesté qui a été condamné à la mort ignominieuse de la croix (supplice réservé aux révolutionnaires) par le préfet Pilate, les évangiles insistent fortement sur la pression des prêtres juifs. De même ils insistent fortement sur les réticences de Pilate qui refusait l’exécution de ce Jésus. Car partout les Romains restaient perplexes et méfiants vis-à-vis de cette nouvelle secte qui se présentait comme fondée par un crucifié : ces nouveaux chrétiens n’étaient-ils pas aussi des révolutionnaires ? Il fallait donc insister sur leur obéissance à l’ordre.

La Croix est le passage dans l’amour de la Vie

Tout cela n’explique pas tout mais permet de rejeter des idées et des pratiques qui ont gangrené le message évangélique.

Le christianisme n’est pas une apologie de la souffrance. Les récits de la Passion montrent les horribles tortures infligées à Jésus mais sans y insister de façon masochiste. La première représentation de la croix date du 4ème siècle ; dans les catacombes, on montre Jésus le Bon Pasteur conduisant son troupeau, ou rapportant la brebis perdue, ou s’entretenant avec la Samaritaine, ou partageant les pains. Il est Source d’Eau Vive, Lumière divine. « Soyez toujours dans la joie, réjouissez-vous » répétait Paul.

Hélas plus tard des Saints et des Saintes vont développer une dévotion des plaies, s’infliger des souffrances, exhiber des crucifiés sanglants. Des chefs d’œuvre de peintures vont devenir populaires …dans l’oubli de la résurrection. La psychologie moderne a mis à nu ces tendances perverses qui nous tentent mais ce dolorisme a fait des ravages.

Conclusion

Jésus, le fils ayant reçu la mission essentielle, obéit aux indications de son Père qui les donne dans les Écritures. On y raconte qu’après des siècles d’esclavage, Dieu a décidé de libérer son peuple :

« Ce mois de Nissan sera pour vous le premier des mois…Le 10 de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille : une bête sans défaut, mâle, âgée d’un an. Vous la garderez jusqu’au 14ème jour (pour tester sa bonne santé). On l’égorgera au crépuscule. On prendra du sang, on en mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons. On mangera la chair cette nuit-là, cuite au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères…Vous la mangerez en hâte, la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. C’est la pâque du Seigneur. Je « passerai » par-dessus vous. Ce jour vous servira de mémorial… » (Ex 12).

Jésus vIent accomplir les Écritures : il sait qu’il est l’Agneau. Donc il a calculé son voyage afin d’entrer à Jérusalem le 10 nissan. De même que l’on devait examiner l’agneau pendant 3 jours afin de constater son parfait état, Jésus va être criblé de questions par tous les spécialistes et nul ne parviendra à le prendre en défaut. Aussi le 14, il se donnera à manger à ses disciples comme pain sans levain. Puis il se livrera et ses ennemis le mettront à mort.

Ce qui signifie qu’il faudrait sans doute célébrer « le lundi des rameaux »

Son sang répandu sera pour les disciples le grand signe : ils seront libérés de l’esclavage des observances, du légalisme, de la culpabilité, du nationalisme étroit, du péché qui les rendaient esclaves et ils pourront s’élancer dans le monde entier annoncer la bonne Nouvelle du Royaume universel de la liberté.

Comment n’être pas ébloui par cet accomplissement historique ? Mais Jérusalem n’a pas reconnu celui qui entrait. Il voulait un chef libérateur et il était monté sur un âne. Comme au baptême une colombe était descendue sur lui. Aussi le 14, la foule a rejeté les rameaux, serré les poings et hurlé « A mort ».

Cette année encore, nous entendrons : Nous voulons des œufs, des poussins et du chocolat.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

4ème dimanche de carême – Année C – 27 mars 2022 – Évangile de Luc 15

Évangile de Luc 15

Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?

Contrairement à son maître Jean-Baptiste, Jésus d’emblée s’est mis à circuler dans les villes et villages de Galilée ; prophète pauvre, il dépendait de la générosité des habitants. Luc le montre ainsi prêt à entrer chez un centurion romain, mangeant avec des pécheurs, invité chez des pharisiens. Ceux-ci étaient très scandalisés par sa joyeuse commensalité avec des gens que la Loi interdisait de fréquenter : n’était-ce pas paraître approuver leur conduite ?

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole : … »

En fait Jésus va raconter « les trois paraboles de la miséricorde » : celle du berger qui remarquant qu’une brebis s’est égarée, déploie tous ses efforts pour la retrouver, et plein de joie, invite ses amis pour un joyeux festin ; celle de la femme qui, affolée, cherche sa drachme perdue, fouille partout, la retrouve, organise un joyeux festin ; et enfin la troisième, la plus célèbre, dénommée souvent « du fils prodigue », mais qui est plus justement la parabole du Père prodigue, la seule lue aujourd’hui.

Les trois paraboles sont donc une réplique contre les pharisiens qui « récriminent », ce qui est un péché grave, déjà dans l’Exode où il pointe une opposition au Dessein de Dieu. En voulant protéger la Loi derrière des murs de prescriptions et de rites, et en abandonnant les pécheurs à leur sort, ils font de la religion une forteresse. Ils se croient les élus et en fait ils s’enferrent dans le moralisme, ils veulent faire leur salut par eux-mêmes. Leur bonne conscience les rassure et ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils manquent à l’essentiel : la miséricorde. L’autre, le perdu, ne leur cause aucun souci, il ne leur manque pas.

Ainsi Jésus justifie sa conduite : si un berger veut à tout prix retrouver sa brebis perdue, si une femme s’acharne à retrouver son argent égaré, a fortiori Dieu ne veut pas qu’un seul homme se perde. Il m’a envoyé, comme son Fils, pour chercher le perdu, le retrouver et fêter en communauté son retour.

Le péché

« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir ». Et le père leur partagea son avoir ».

Il réalisa son avoir, partit pour un pays lointain et dissipa son bien dans une vie de désordre. Mais une grande famine survint et il commença à se trouver dans l’indigence. Il se mit au service d’un citoyen de ce pays qui l’envoya garder les porcs. Il aurait bien voulu se nourrir des gousses que mangeaient les porcs mais personne ne lui en donnait.

Que s’est-il donc passé ? Le cadet n’en peut plus, il étouffe dans cette grande demeure, il a envie de vivre, de partir au loin. La stature de son père lui pèse car demander son héritage, c’est désirer la mort du père, refuser d’être un fils qui dépend, vouloir diriger sa vie propre. Ne plus être un fils qui doit obéir et toujours demander, avoir à soi, être seul maître de ses décisions. Vivre, jouir de la vie, profiter sans interdits, être adulte.

Mais le pays lointain, la société sans Dieu, révèle tôt ou tard ses limites. Notre jeune homme n’a eu avec les femmes que des rencontres passagères, il n’a pas trouvé d’épouse. Dépenser son argent, consommer : on est vite las des plaisirs. Si l’on tombe dans l’indigence, un homme vous exploite. Et si vous manquez, « personne ne vous donne ». Derrière le clinquant et les paillettes, la société est impitoyable.. Loin de la source de l’amour, on est livré à la concurrence, la jalousie, la solitude. Et l’homme y glisse dans la mort inéluctable.

La conversion

Rentrant en lui-même, il se dit : « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi ici je suis perdu. Je vais aller chez mon père et lui dirai : « Père, j’ai péché envers Dieu et contre toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme un ouvrier ». Il alla vers son père.

Sorti de chez son père, il était donc sorti de lui-même pour s’éclater dans la foire aux divertissements. Ayant perdu son avoir, il se met à la recherche de son être. Il ne regrette pas le chagrin qu’il a pu faire à son père lequel reste quelqu’un à qui on doit demander, une autorité qui donne. Mais au moins il prend conscience « j’ai péché ». Et il revient en arrière, plein d’amertume de l’échec subi.

Et alors éclate la merveille, un des plus beaux passages de la bible, la révélation du vrai Dieu.

« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : « Père, j’ai péché, je ne mérite plus d’être appelé ton fils… ». Mais le père dit aux serviteurs : « Vite, apportez la première robe, habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons, festoyons car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».

Quelle révélation du vrai Dieu ! Non un tout puissant courroucé, qui exige des prosternements et prépare un châtiment. Non même un Dieu qui a pitié. Mais un Père qui aime et qui est pris aux entrailles (on comprend pourquoi le récit ne parle pas de mère). D’où sa hâte : insupportable de voir son fils en haillons ! Chaque jour il scrutait l’horizon : tout de suite il a reconnu la petite silhouette. Il accourt vers lui et sans faire nul reproche, il le prend dans ses bras et l’embrasse.

Et il lui offre les symboles de ce que son fils cherchait : la dignité (robe), l’autorité (alliance),la liberté (sandales). La conversion d’un pécheur doit évidemment se fêter : festin pour tous, mangeons, jouons de la musique, chantons. Un homme mort est ressuscité ! Et c’est mon fils ! Toutes les idoles de Dieu s’effondrent !

L’aîné pharisien

Son fils aîné était aux champs. A son retour, s’approchant de la maison, il entendit de la musique et des danses. Il appelle un serviteur qui lui dit : « Ton frère est arrivé et ton père a tué le veau gras parce qu’il est en bonne santé ». Alors en colère, il refusa d’entrer. Son père sortit l’en prier mais il répliqua : « Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres. Tu ne m’a jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui ! ». Alors le père lui dit : « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se réjouir parce que ton frère était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé ».

Fort de café quand même ! Vous faites tout votre possible pour être un fidèle observant, vous luttez contre les tentations, vous multipliez les sacrifices, vous êtes un pilier d’église….Et voilà un autre qui a quitté les rangs pour mener une vie de patachon et qui tout à coup revient, et on organise une fiesta comme s’il était un héros.

Scandale, non ?

C’est que ce n’était pas un autre mais un fils de Dieu comme vous, donc un frère. Ne le cataloguez pas comme un jouisseur dont au fond vous êtes un peu jaloux mais comme un malheureux qui était en train de couler vers la mort. Le péché n’est pas un plaisir défendu mais une maladie mortelle. Au fond les frères ne s’aimaient pas, ils ne se parlaient pas, l’un ne manquait pas à l’autre.

Et c’est alors que le cadet a pris conscience : jadis il avait la même vision du père que son frère. Tous les deux le voyaient comme un donneur d’ordre, un chef qui donnait des ordres et multipliait les interdits. La foi leur paraissait une aliénation. Si l’aîné acceptait ce régime d’obéissance, où l’on accomplit son devoir pour mériter un jour la récompense, lui, le cadet, n’a pas eu cette force, il étouffait sous ce régime. C’est maintenant, avec l’accueil bouleversant, les larmes et la joie de son père, qu’il découvre, enfin, l’authentique visage de Dieu. Il est son Père, il est Amour, il est Miséricorde. Et lui, et son frère, et tous les croyants sont et demeurent ses fils. Sauf s’ils renient cet état, car la foi est toujours option libre.

Le perdu s’est converti parce que le péché le menait à la mort ; l’observant doit apprendre maintenant à se convertir lui aussi. Et hélas, l’histoire finit mal. Le père qui était sorti pour aller à la rencontre du cadet, sort à nouveau pour inviter l’aîné à participer au banquet…et ce dernier se braque dans son refus. Il voulait bien accepter un règlement mais pas l’amour qui pardonne tout à son frère.

Paul de Tarse était d’abord à l’image de l’aîné, fou furieux devant ces nouvelles communautés où se côtoyaient observants et anciens pécheurs, où Pierre participait à de joyeux repas aux côtés de Marie Madeleine et de Zachée. Il a fallu qu’il rencontre le Christ vivant pour qu’il comprenne que le Vrai Fils, Jésus, avait accompli le désir du Père : il était allé jusqu’au bout pour rejoindre les pires pécheurs dans leur péché, leur misère, et sa joie était de les repêcher. Les « aînés » ne l’ont pas accepté et l’ont supprimé.

Mais le Père a retrouvé ce Fils unique qui était mort et qui était devenu vivant afin d’ouvrir le banquet de l’Eucharistie : celle-ci n’est pas la récompense des meilleurs mais le joyeux repas de tous les pécheurs pardonnés. 

« Tous ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau » (Apoc)

Fr Raphael Devillers, dominicain.

3ème dimanche de carême – Année C – 20 mars 2022 – Évangile de Luc 13, 1-9

Évangile de Luc 13, 1-9

Signes pour une conversion

« Oh que Jésus parle bien ! On n’a jamais entendu d’aussi belles paraboles ! Dommage que mon mari n’était pas là : ça lui aurait fait du bien ! …Ah si nos dirigeants voulaient bien appliquer ce qu’il dit… » : l’effervescence était grande lorsque Jésus passait et prêchait dans un village. Et surtout quand il avait accompli l’une ou l’autre guérison de malades ou d’handicapés. On l’acclamait, on était fier de l’inviter à la maison, on rêvait d’un nouveau monde. Mais qui se sentait concerné ? Qui prenait pour lui ses instructions ?… Qui commençait à vivre comme il l’exigeait ?

Jésus, lucide sur ces compliments superficiels, nous répète aujourd’hui que l’écoute doit entraîner l’acte, que l’Évangile n’est pas un projet irréalisable, un horizon incertain, un programme réservé à une élite.

Luc nous présente son exhortation en 4 parties : les deux premières ne sont pas lues en liturgie.

1. Reconnaître le temps aujourd’hui

Jésus dit aux foules : « Quand vous voyez un nuage se lever au couchant, vous dites : « La pluie vient », et elle arrive. Quand le vent souffle du midi, nous dites : « Il va faire très chaud »et ça arrive. Hypocrites, vous savez reconnaître l’aspect de la nature, comment ne savez-vous pas reconnaître le temps présent ?

Le bulletin météo dans les médias attire, on le sait, un intérêt considérable : « Beau temps : je vais travailler au jardin…Chéri, on annonce de la pluie : prends ton parapluie… ». Tel type d’annonce provoque en conséquence telle sorte de comportement. Eh bien, poursuit Jésus, pourquoi n’en faites-vous pas autant avec ce qui se passe maintenant ? Vous êtes, au sens biblique, des « hypocrites » : vous m’acclamez, vous paraissez m’approuver mais vous ne changez pas de conduite.

2. Régler ses problèmes tant qu’il est temps

« …Quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, tâche de te dégager de lui en chemin, de peur que l’on ne te traîne devant le juge qui te livrera au garde qui te jettera en prison….Tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime ».

Il arrive que, même entre chrétiens, des contentieux éclatent et l’imbroglio est tel qu’ils décident de s’en remettre à un juge. Mauvaise solution car l’un ou l’autre pourra le payer très cher. Il est bien préférable et urgent de stopper la procédure et de rouvrir le débat afin arriver à un arrangement, même boiteux.

La situation est bien plus grave envers Dieu : qui que tu sois, tu as certainement commis des péchés et tu ne veux pas les reconnaître. Or tu parviendras un jour devant Dieu, le juste Juge. Aujourd’hui moi, Jésus le Sauveur, je passe parmi vous : tu peux devant moi reconnaître tes fautes, si nombreuses et si lourdes soient-elles, et t’engager sincèrement à éviter ces chutes et à vivre comme je le demande. En effet le Fils de l’homme a pouvoir de remettre les péchés. Profite donc sur le champ de la grâce qui t’est offerte, comme elle l’est à tous.

3. Le malheur n’est pas un châtiment de Dieu

A ce moment survinrent des gens qui lui rapportèrent l’affaire des Galiléens surpris en train d’offrir un sacrifice et exécutés par Pilate. Il leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que les autres pour avoir subi un tel sort ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.

Et ces 18 personnes sur lesquelles la tour de Siloé s’est effondrée et qu’elle a tuées, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière ».

Tout au long de son histoire ancienne, Israël se débat avec « le problème du mal » : s’il arrive malheur à quelqu’un, c’est sans doute que Dieu veut ainsi le punir de sa faute. Par contre l’homme heureux et enrichi mérite sans doute la récompense de Dieu. La rétribution temporelle permettait ainsi de sauver la justice de Dieu.

On connaît les cris de révolte de Job écrasé tout à coup par une terrible série de désastres qui lui enlèvent ses enfants, ses biens, sa santé. Ses amis, de grands sages, sont persuadés, selon la tradition, qu’ il paie ainsi des péchés qu’il ne veut pas avouer. Job est fou furieux et hurle son bon droit. « Pourquoi moi ? »

Ainsi alors qu’on parlait des Galiléens qui avaient été surpris par les Romains en train d’offrir un sacrifice (pour la libération) et qui avaient été exécutés, certains y voyaient une faute que Dieu avait châtiée. Jésus se dresse avec force contre ce diagnostic délirant. Et il évoque un fait-divers tragique récent : si une tour s’était effondrée, il ne fallait pas y voir une punition de Dieu contre les constructeurs. Donc que les mamans, énervées par la désobéissance de leur bambin en larmes, cessent de lui lancer : « Le bon Dieu t’a puni ! ».

Le passage à ne jamais oublier pour nous désencombrer de ces supputations est celui de Jean 9, 3 : Devant un mendiant né aveugle, les apôtres demandent à Jésus : « Qui donc a péché pour qu’il soit dans cet état ? ». Et Jésus à nouveau bondit : « Ni lui ni ses parents. C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ». Le « Pourquoi ? » est laissé à la médecine ou au hasard et devient le « Pour quoi …? ». Le malheur de l’homme est cause de l’action pour celui qui le rencontre.

Donc conclut Jésus, cessez de débattre sur la culpabilité des victimes et décidez : si de telles choses arrivent, comment dois-je vivre ? Le bulletin d’informations de la tv doit devenir pour le chrétien un appel à la formation à la foi, à la décision, au changement.

4. La Parabole du Figuier

Jésus dit une parabole : « Un homme avait une vigne plantée dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il encore qu’il épuise la terre ? ». Mais l’autre lui répondit : « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Si non, tu le couperas ».

Souvent, au cœur de leur vignoble, les propriétaires plantaient un figuier dont l’ombrage des larges feuilles permettait des pauses rafraîchissantes aux ouvriers mais qui surtout offrait des fruits succulents. A quoi bon alors laisser un figuier stérile ? Mais l’intendant intervient et propose un dernier délai en retravaillant l’arbre.

Depuis que les prophètes (Isaïe 5, Jér 2, 21) avaient comparé Israël à une vigne magnifique que Dieu avait choisie et comblée de bienfaits, il était courant de comparer le temple de Jérusalem au figuier planté au centre. Reprenant cette comparaison, Jésus explique que le propriétaire, Dieu, est ulcéré : ce temple, avec ses prélats, son faste, ses sacrifices, ses illuminations a belle apparence mais il ressemble à un figuier stérile. Tout le système fonctionne mais ne produit pas des croyants qui construisent une société de droit et de justice. Comme le figuier, le temple n’est pas un élément décoratif mais doit produire des fruits.

Mais voilà que survient le Fils et, plein de miséricorde, il propose une année où il va tout faire pour opérer le changement. Certes ça fera mal, ses propos seront tranchants, ses exigences secoueront, il tancera vertement les responsables du culte, il dénoncera leur hypocrisie, il fouaillera dans les consciences assoupies. Mais tout cela pour sauver l’arbre avec une certaine espérance : « Peut-être donnera–il du fruit ??? ».

Hélas on refusera la conversion et le perturbateur finira cloué sur un arbre mort. Tandis que la révolte juive entraînera la destruction de Jérusalem et de son temple, la croix deviendra paradoxalement l’arbre de vie. La Bonne Nouvelle libérée franchira toute frontière et donnera des fruits dans tous les pays jusqu’à la fin du monde.

Conclusion

Le carême est un temps de repentance, de prise de conscience de nos fautes mais attention de nous limiter à un vague sentiment de culpabilité. Il vaut mieux parler de temps de conversion, mot qui traduit l’hébreu « shoub » qui signifie retourner, changer de direction. Il s’agit de décider de rompre avec tel comportement, de s’engager sur une autre route. Travail incessant, sans cesse à reprendre vu notre faiblesse, et qui nous démarque du comportement de la multitude toujours emportée par les trois tentations.

Aujourd’hui Jésus nous exhorte à déceler les signes de Dieu dans les événements. La météo, les procès, les guerres, les accidents : tous les événements peuvent nous solliciter à nous convertir pendant qu’il en est temps. Ne nous contentons pas « d’être au courant » : courons pour revenir sur le chemin de la vraie Vie.

Et ne nous fions pas aux succès de nos liturgies et de nos rassemblements : ce qui seul importe, c’est que nous donnions du fruit. Au sens vrai, un « pratiquant » n’est pas un pilier d’église mais quelqu’un qui met en pratique, dans toute la mesure de ses forces, ce qu’il apprend dans l’Évangile et dans l’actualité.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

2ème dimanche de carême – Année C – 13 mars 2022 – Évangile de Luc 9, 28-36

Évangile de Luc 9, 28-36

Visage de Lumière

En rejetant les tentations – c.à.d. les fausses solutions au malheur des hommes – Jésus va évidemment décevoir les foules qui demandent, comme toujours, la satisfaction des jouissances terrestres, la bonne santé et l’élimination des ennemis. En outre par son comportement (il mange avec les pécheurs, il supporte les païens), par ses déclarations scandaleuses (il pardonne les péchés), ses critiques acerbes de certaines pratiques religieuses et sa dénonciation de l’hypocrisie et de la cupidité des grands prêtres, il est très vite objet de suspicion, de colère, d’hostilité, de haine.

Aussi lorsqu’il décide de quitter la Galilée et de monter à Jérusalem pour y poursuivre sa mission, il est sans illusion : « Ils me feront souffrir, ils me mettront à mort ». Mais je ne serai pas un innocent victime d’une erreur judiciaire ni un prophète martyr : Dieu m’a assuré que je suis son Fils, donc il me rendra la vie. Parce que je donnerai ma vie terrestre par amour de l’humanité, mon Père me donnera la Vraie Vie, la Vie éternelle, que je partagerai avec tous ceux qui me font confiance et prennent le même chemin que moi. C’est l’amour total qui est la victoire sur ce que Freud décèlera comme « le désir de mort » que toutes les tentations cachent et seront toujours impuissantes à vaincre.

Lorsqu’il fait cette annonce, pour la première fois, à ses disciples, ceux-ci sont complètement abasourdis. Mais faisant fi de leur résistance, Jésus se met en marche vers la capitale. Ils le suivent quand même.

Le Signe de la Gloire éternelle

« Or environ 8 jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et monta sur la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante. »

Omise par la lecture de ce jour, la notation temporelle est rare donc importante pour Luc : elle signifie qu’il y a un lien entre les deux épisodes. Le Fils vient de déclarer publiquement qu’il accomplira sa mission jusqu’à la mort : son Père confirme et lui donne le signe de la gloire qui l’attend : son visage rayonne de la Gloire et la Lumière divine l’investit tout entier. La prière souligne l’attachement profond entre le Père et le Fils.

Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : Moïse et Elie, apparus en gloire, parlaient de son exode qui allait s’accomplir à Jérusalem.

Les deux plus grands personnages, Moïse qui a donné la Loi et Elie le Prophète combattant farouche contre l’idolâtrie, sont vivants dans la sphère de la Gloire divine. Ils reconnaissent la supériorité de Jésus et le confirment dans sa décision : dans la capitale sa mort va accomplir l’ultime et définitif « exode ». Moïse avait guidé la sortie hors de l’esclavage d’Égypte : la croix va réaliser la libération de la prison du péché et l’entrée dans le royaume de Lumière. Non plus pour un seul peuple mais pour l’humanité.

Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil mais, s’étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui se tenaient avec lui. Or comme ceux-ci se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : «  Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie ». Il ne savait pas ce qu’il disait.

N’ayant pas la force de tenir dans la prière, les apôtres basculaient dans la nuit quand un sursaut les saisit. Aveugles, ils commencent à voir : symbole du passage de Pâque quand Jésus, le premier, « se réveillera » de la mort. Pris de bonheur, Pierre voudrait prolonger cette extase mais il est encore dans l’ancien monde où Jésus demeure dans la lignée de la Loi et des Prophètes.

Comme il parlait ainsi, survint une Nuée qui les recouvrait. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient. Et il y eut une voix venant de la nuée qui disait : «  Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu : écoutez-le ».

Quand Jésus est dans Gloire divine, l’Esprit-Saint descend et englobe en lui et autour de lui tous les croyants de la Première et de la Nouvelle Alliance. Il ne s’agit plus de vénérer séparément les grands personnages, de construire des temples en leur honneur, mais de se laisser prendre tous ensemble dans l’Esprit insaisissable. Avec Jésus glorifié, tous les croyants deviennent le Temple spirituel, l’Église universelle qui assume tous les temps et les lieux.

Pris dans l’Esprit de Lumière et de Vie, les croyants peuvent entendre la voix du Père qui reprend ce qu’Il avait déclaré à Jésus lors de son baptême, mais cette fois en s’adressant aux disciples et en les pressant de faire confiance à Jésus : « Mon Fils bien-aimé : écoutez-le ». C’est-à-dire : lorsqu’il vous dit qu’il est messie, qu’il sera mis à mort mais qu’il passera dans la Gloire divine, écoutez cet enseignement. Cette marche à la mort vous paraît absurde, inimaginable et cependant c’est la seule voie possible pour accomplir le sauvetage de l’humanité. Du coup vous vaincrez les tentations : se figurer qu’il suffit de combler de biens, faire la guerre, éblouir par du merveilleux. Mais en aimant jusqu’au don total, le Fils opère le passage de la mort à la Gloire

Au moment où la voix retentit, il n’y eut plus que Jésus seul.

Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu ».

Fugitive est la vision. Subitement les disciples se retrouvent avec Jésus « seul », l’homme ordinaire, qui se lève et redescend la montagne absolument décidé à monter sur le mont Sion. Les apôtres, intrigués, le suivent mais se gardent de raconter ce moment étrange qu’ils viennent de vivre : de toutes façons cela ne convaincrait personne.

Prélude au Mystère Pascal

Il est intéressant de relire l’ensemble de tout ce passage de Luc : de 9, 12 à 9, 43

  • Un soir, Jésus, avec quelques pains des apôtres,  nourrit une grande foule: « il les bénit, les rompit, les donna ». Chacun est rassasié. Partage gratuit, sans conditions, dépassant les fossés sociaux.
  • A l’écart, Jésus prie. Pour la première fois Pierre le confesse comme « le Messie ». Jésus annonce qu’il va à Jérusalem, qu’il sera mis à mort par les autorités, mais il ressuscitera. Il prévient que tout vrai disciple doit prendre le même chemin.
  • 8 jours après, Jésus prie. Le Père donne un signe de vérification : Jésus rayonne de la Gloire divine. L’Ancien Testament le confirme dans ce qui sera son « exode », la sortie du mal dans la lumière.
  • Le jour suivant, Jésus guérit un enfant épileptique et le rend à son père.
  • Jésus calme l’émerveillement des foules et annonce, pour la 2ème fois, sa passion proche.

La succession est parlante : souper de partage du pain béni (« eucharistie ») — annonce de la croix — prélude de la résurrection. – guérison et restitution des générations dans la paix.

Ainsi au cœur du temps de mission de Jésus, « le mystère pascal » se préfigure : messe , souffrance, joie nouvelle, réconciliation. Le temps de la vie terrestre est le temps de la découverte et de l’entrée dans « le mystère pascal ».

Lors des récentes inondations et aujourd’hui dans le désastre de la guerre en Ukraine, avez-vous remarqué le comportement des foules ? Sans être commandés, par réaction spontanée du cœur, des gens se déplacent, même très loin et ils offrent hospitalité, soins, argent et marchandises. Et leur visage montre leur satisfaction : ils donnent, ils se privent et ils sont surpris par le bonheur qui les prend.

Pourquoi donc l’humanité est-elle si lente à comprendre le message de l’Évangile toujours confirmé par les événements ?…Écoute donc, Vladimir !!

Je relis l’émouvant discours d’adieu de Paul aux chrétiens de Milet à qui il annonce qu’il monte à Jérusalem et qu’il y sera tué :

« Je sais qu’après mon départ, des loups féroces s’introduiront parmi vous. De vos rangs surgiront des hommes aux paroles perverses qui entraîneront les disciples à leur suite…Veillez donc.

Rappelez-vous que, pendant trois ans, je n’ai cessé de conseiller chacun de vous. Maintenant je vous remets à Dieu…Je n’ai convoité l’argent ou l’or ou le vêtement de personne. Mes mains ont pourvu à tous mes besoins. C’est en peinant qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles de Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).

Madame, qui pataugez dans les cosmétiques les plus coûteux, rappelez-vous l’authentique rayonnement du visage.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

1er dimanche de carême – Année C – 27 février 2022 – Évangile de Luc 4, 1-13

Évangile de Luc 4, 1-13

Les Choix Fondamentaux

Depuis mercredi, nous sommes donc entrés dans la période de carême : à part les anciennes générations, qui sait encore ce que ce mot signifie ? Il évoque la tristesse en commençant par « jour des cendres » et en imposant privations et sacrifices. Quel est donc le sens de tout cela aujourd’hui ?

En fait carême désigne « une quarantaine », mot très employé aujourd’hui suite à l’épidémie du covid, marquant un temps d’observation pour déceler les indices de contamination et échapper au mal. Ainsi le carême est une période de réflexion sur notre manière de vivre notre engagement chrétien : est-ce que nous nous préservons du mal ? Luttons-nous réellement contre les tentations que la société nous inflige ? Nous décidons-nous à rectifier nos dérives ? Vraiment le problème ne se réduit pas à la privation de quelques friandises mais à la réussite de notre VIE ! La question n’est pas : que vais-je faire pour Dieu ? mais qu’est-ce que Dieu veut faire de moi ? Est-ce que j’obéis à sa volonté ?

Jésus a été tenté

Certains accusent encore la foi d’être une aliénation, une obéissance aveugle. Absolument pas. La foi rend libre : assaillie de critiques, sujette à des dévoiements elle appelle sans cesse à des décisions. Pendant des années, Jésus mena l’existence d’un simple charpentier de village, sans rien d’exceptionnel. Puis un jour, comme beaucoup de voisins, il se rendit à l’écoute du nouveau prophète et là ce fut le choc : sortant du baptême, il entendit une voix du ciel : « Tu es mon Fils bien-aimé : aujourd’hui je t’engendre ». Il comprit : Dieu mon Père m’instaure pour inaugurer « aujourd’hui » son Royaume. Mais comment ? Aucun programme, aucune directive. Il lui fallait inventer. La Force, l’Esprit de Dieu ne nous manipule pas mais nous plonge au cœur de notre liberté donc de nos choix.

C’est pourquoi Jésus entra « en carême » : il s’enfonça dans le désert et la solitude totale pour être seul avec Dieu, se contentant de l’eau de puits et de la maigre nourriture de quelques arbustes. Mais le désert n’est pas un temps de loisirs ou de douce piété : le démon y rode, force mystérieuse acharnée à détruire le projet de Dieu et à tuer l’homme. Sa voix fielleuse insinue d’alléchantes propositions.

« S’il est vrai que tu es le Fils de Dieu », tires-en les conséquences : je vais t’indiquer les moyens les plus efficaces pour réaliser ce Royaume.

1ère tentation : Être comblé par le monde

« Change donc ces pierres en pains » : c.à.d. que l’humanité soit comblée par la matière, les biens de ce monde. Qu’elle croit combler son désir de Vie en assouvissant ses besoins. Que son bonheur d’avoir toujours mieux et plus le satisfasse, le remplisse. Jamais assez. Jouir des nourritures terrestres, s’évader dans les alcools et les drogues, planer à la découverte des merveilles de la création, inventer les nouvelles liturgies des concerts et des sports, dans les « temples » gigantesques de la consommation, adorer « les idoles » du chant ou du foot, s’acharner au profit maximum, se trémousser jusqu’à la transe, rêver d’ascension dans le ciel étoilé…L’argent est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Sèchement Jésus réplique : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute Parole de Dieu ».

Oui certes, l’homme est un consommateur obligé et rien n’interdit les plaisirs de la table et des divertissements. Mais ce qui lui donne la vraie vie, c’est de jouir des biens de ce monde comme Dieu le demande, c’est d’écouter la voix de son désir profond. Jésus acceptera des invitations partout mais il restera pauvre, il dénoncera avec vigueur la fascination de l’argent qui remplit d’orgueil, détruit la justice, lamine les pauvres. Et il commandera à ses disciples de régler leur existence autour du simple repas où, toutes nations et toutes classes sociales mêlées, ils mangeront un morceau du même pain. Ainsi seront-ils libérés de l’idolâtrie et deviendront un seul Corps.

2ème tentation : La violence du pouvoir

« Vois le monde : Je te donnerai tout le pouvoir sur ces royaumes car cela m’appartient et je le donne à qui je veux … Si tu te prosternes devant moi ! ».

Après l’avoir, la soif du Pouvoir. Pharaonique chez certains ! A tous les stades, les hommes ont besoin d’organisation, de hiérarchie de pouvoirs afin de maintenir l’ordre. Mais ce démon assure qu’il est le maître de la politique et qu’il assure le succès de ceux qui cèdent à ses directives : ambition démesurée, perte des scrupules, acharnement à écraser l’autre, à gravir les échelons, à comploter en toute perversité, à imposer ses ordres, à utiliser les ruses et les violences nécessaires. Terrifiante ivresse du Pouvoir ! Le monde a-t-il connu un seul jour sans guerre ?

Horrifié, Jésus rejette vivement cette idolâtrie meurtrière : « « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu et c’est lui seul que tu adoreras ».

Dieu ne s’impose pas, il respecte notre liberté. Son projet est de nous sauver du mal qui fait notre malheur, de nous faire entrer dans son Royaume de justice, de joie, de paix mais c’est à chacun de choisir son chemin. Pactiser avec le démon en cédant à ses sollicitations, en prétendant vouloir le bonheur des foules, est un leurre, un mensonge, une chute dans l’abîme. Les idéologies modernes n’ont-elles pas conduit aux pires des massacres, au goulag, à la shoah ???? Jésus refusera l’usage de toute violence, il parlera, expliquera, ne forcera personne, invitera chacun à découvrir son Père. Victime de la violence des puissants, c’est en se donnant par amour qu’il deviendra effectivement Roi.

3ème Tentation : La Séduction

« Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi du haut du temple puisqu’il est écrit que Dieu ordonnera à ses anges de te garder ».

Il n’y a pas que la violence physique : plus subtilement il existe une façon de subjuguer les foules : les ravir par le merveilleux, les séduire par l’inimaginable. Planer sans nulle protection et atterrir indemne sur l’esplanade du temple où s’agglomèrent les foules, voilà un spectacle qui va éliminer toutes les objections et les y faire entrer en proclamant qu’elles croient. Les gens doutent mais il suffit que l’on parle d’un miracle, d’un fait inexplicable, et ils courent. Ils voudraient une religion du pouvoir, qui protège de toute chute, qui permet des exploits, qui guérit sur commande. Enfantillage !

L’homme ne peut sommer Dieu d’accomplir une intervention ; il ne peut pas solliciter sa Toute-Puissance dans un but spectaculaire et magique !  Une dernière fois, Jésus repousse la tentation faussement religieuse. Lui-même certes a accompli quelques miracles (une trentaine selon les évangiles) mais jamais pour épater et forcer l’adhésion. Ce n’était jamais des gestes ostentatoires pour se mettre en valeur mais des actes inspirés par la miséricorde devant la souffrance des hommes. Lorsque des pharisiens lui proposèrent de faire sur le champ un miracle afin qu’il puissent croire, il se rebiffera tout de suite. Et d’ailleurs on remarque ses réticences croissantes devant le merveilleux et il cessera d’en faire jusqu’à refuser de descendre de la croix.

Rendez-vous au Golgotha

« Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon s’éloigna de Jésus…jusqu’au moment fixé ! ».

Ainsi ces trois tentations résument toutes les autres : combler l’homme par des biens uniquement terrestres, imposer la foi par l’usage de la violence, l’insinuer par des moyens magiques. On ne supprime pas Dieu et on ne l’utilise pas à son service. Ainsi, lors de son « carême » au désert, Jésus a pris ses options fondamentales.

Il va commencer sa mission avec une seule arme : la Parole ; avec un seul moyen : la pauvreté ; une méthode : la fidélité à l’humble condition humaine. Vrai Fils de Dieu, il va demeurer faible, humble. Il ne se servira pas de Dieu pour réaliser sa mission mais il sera son serviteur.

Sans titre de gloire, sans nulle pression, sans flatterie, il ira par les chemins, il choisira comme collaborateurs des hommes ordinaires dont il supportera la faiblesse. Mais rien ni personne ne l’arrêtera, il ne fera aucune concession, il affrontera le bloc de ses adversaires sans jamais faillir. Il sera encore tenté même par des gens très pieux, même par Pierre qu’il repoussera comme un « satan ». Consciemment il marchera au rendez-vous final, « au moment fixé » , où le Satan déchaînera toute sa force pour le jeter dans la fournaise de la haine. Mais le feu de son amour en sera exacerbé et la croix mortelle deviendra son trône. Nu et pitoyable, il ne sera pas anéanti mais victorieux. « Père, pardonne-leur » : le Royaume sera inauguré.

Notre Carême

Le carême est donc un temps de combat. Un temps de réflexion pour débusquer les idéologies courantes mais mortifères. Pour chercher de tout cœur à mieux connaître la volonté de Dieu en relisant les Écritures. Pour rejeter les propositions enjôleuses qui promettent le bonheur et mènent à la mort. Pour constituer des communautés d’entraide. Pour nous préparer à vivre le mystère de Pâques.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Carême : Temps de Réflexion

Pape François : « Un Temps pour changer »
(éd. Flammarion 2020)

Dans son carême au désert, le but de Jésus n’était pas d’abord le jeûne mais la réflexion. Comment remplir ma mission ? Quelles options rejeter ? Quelles décisions prendre ?

Être homme, c’est donner sens à sa vie. D’où des priorités à prendre. Chaque aujourd’hui est une réponse à Dieu et un engagement pour l’homme.

Pendant la crise, le pape François a réfléchi à sa vocation et à la mission de l’Église. Écrit en langage très simple, abordant nos problèmes les plus dramatiques et les plus urgents, son livre peut devenir notre source de réflexion. Que faire en temps de covid-19 ?

Extraits :

« Nous devons prendre conscience de notre je-m’en-foutisme, et nous ouvrir aux bourrasques qui nous parviennent maintenant de tous les coins du monde…Bien sûr nous hésitons. Face à tant de souffrances, qui ne reculerait pas ? Il n’y a pas de honte à trembler un peu. Nous nous sentons à la fois inaptes à la tâche et appelés à l’accomplir.(p. 36)

Cette crise démasque notre vulnérabilité, expose les sécurités fausses sur lesquelles nous avions construit nos vies (p. 48)

Un signe d’espoir dans cette crise est le rôle prépondérant des femmes…Je pense à ces femmes économistes…Leur appel à une révision des modèles que nous utilisons pour gérer les systèmes économiques…Je vois des idées formées à partir de leur expérience dans la périphérie, reflétant une préoccupation concernant l’inégalité délirante entre des milliards de personnes dans une extrême pauvreté et le 1 % le plus riche possédant la moitié des richesses financières du monde …(p.96 ss)

Le but n’est pas de partager les miettes de notre table, mais à cette table de faire une place à chacun. La dignité des personnes appelle la communion : partager et multiplier les biens, participer ensemble au bien de tous (p.165)

Laisse-toi entraîner, secouer, défier…Lorsque tu sentiras le déclic, arrête-toi et prie. Lis l’Évangile si tu es chrétien. Ou crée simplement un espace en toi pour écouter. Ouvre-toi…décentre…transcende…Et ensuite agis. Appelle , rends visite, offre tes services…(p. 202)

1er dimanche de Carême – Année B – 21 février 2021 – Évangile de Marc 1, 12-15

Évangile de Marc 1, 12-15

La Bonne Nouvelle du Carême

« Le carême » ? Il est fort probable que ce mot ne signifie rien pour les jeunes générations – en partie d’ailleurs parce qu’il a, pour les anciennes, un sens biaisé : « un temps triste où il faut tirer la tête et se priver de petits plaisirs tels que manger du chocolat ou boire un apéritif ». Enfantillages.

Le mot « carême », du latin quadragesima, ne signifie donc pas « sacrifice » mais « une quarantaine », un laps de temps (que la pandémie a remis en usage…en l’écourtant) pour définir une période de surveillance en vue de la guérison.

Marc nous parle du seul carême de Jésus : moment capital où il a pris ses options fondamentales de mission. Reconstituons le texte, que la liturgie a écourté, parce qu’il montre la cause de ce carême.

Un appel d’espérance

« Jésus vient de Nazareth et se fait baptiser par Jean dans le Jourdain. Quand il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer, l’Esprit, tel une colombe, se poser sur lui et une voix du ciel dit : « Tu es mon Fils bien-aimé : je t’ai élu ». Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert. Pendant 40 jours, il est tenté par satan. Il est avec les bêtes sauvages et les anges le servent. ».

Une rumeur a donc atteint le petit village : on raconte qu’un prophète a surgi là-bas pas loin de la Mer Morte. Combien de Nazaréens se sont déplacés pour aller l’entendre ? D’abord était-ce un véritable envoyé de Dieu ou un illuminé comme il s’en présentait régulièrement ? Pouvait-on encore espérer quelque chose après tant d’années d’occupation païenne et de silence de Dieu ? Et puis il fallait trimer dur pour gagner sa vie …

Jésus, lui, se décide : il laisse là sa mère et son atelier et se met en route.

Au commencement donc il y a l’espérance du changement. On peut trouver mille excuses pour accepter l’état des choses, se résigner à l’injustice dominante, à la misère des petits. On peut trouver farfelus et utopistes ceux qui évoquent un renouveau, un autre monde. « On a tout essayé, monsieur ! Demeurons dans notre cocon, protégeons-nous des embarras et prions beaucoup pour que Dieu intervienne un jour… ». Or Dieu appelle au changement par la voix de certains prophètes mais nous fermons les oreilles.

Le carême, c’est d’abord oser rêver, oser sortir. Contempler son jardin inerte et être sûr que bientôt il explosera de couleurs. Croire aux lendemains qui chantent. Après des jours de labeur.

Être avant faire

Au Jourdain, les groupes de pèlerins affluent de jour en jour : ils écoutent et approuvent Jean, demandent à être baptisés puis repartent à la maison. Aussi contents que nous à la sortie de la messe. A son tour, Jésus descend dans l’eau, en remonte et tout à coup le choc ! Une voix lui parle : « Tu es mon Fils bien-aimé ».

L’artisan aux mains calleuses, sans titres ni argent ni diplômes, est bouleversé de s’entendre appelé avec un tel amour. Son corps ruisselle de l’eau du fleuve: son cœur est submergé par un océan de miséricorde. Tant d’hommes se gonflent en multipliant les « Moi je » parce que personne ne leur a dit : « Tu es ». Combien d’enfants n’ont pas entendu la voix qui les aurait construits : « Tu es mon fils bien-aimé ».

Alors se laisser apostropher par l’Église qui vous traite de tas de poussière et pauvre pécheur, qui vous somme de vous convertir d’urgence (ce que, comme moi, vous essayez de faire depuis des années sans jamais y parvenir), qui vous assure que les plaisirs sont des péchés et qu’il faut donc s’en priver : on comprend que les candidats ne se pressent pas pour entendre cette « mauvaise nouvelle ».

Le carême, c’est entendre la voix que nous oublions toujours, que Paul répétait à ses baptisés qui n’osaient y croire:

« Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous ramène à la peur mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et vous pouvez crier : « Abba – Papa » (Rom 8, 15)

Quelques années plus tard, Jean écrivait de même :

« Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne nous reconnait pas : il n’a pas découvert Dieu » ( 1 Lettre de Jean 3, 1)

Que faire ?

« Tu es mon Fils bien-aimé ». La formule est celle de l’investiture royale : aujourd’hui tu es responsable de mon Règne. Aucun commandement n’est donné, nulle précision sur l’action à entreprendre. « Tu es mon Fils » est ta seule lumière, ta seule force. Ta liberté.

L’Esprit donne au fils un unique désir : accomplir la volonté de son Père qui est de sauver les hommes de leur malheur. Quand ? Tout de suite. Aussitôt. Comment ? Il faut chercher, réfléchir. Seul et longtemps. Il ne faut surtout pas se priver de désert.

« Aussitôt l’Esprit le souffle au désert … 40 jours … tenté par satan ». La tentation n’est pas un mal : elle est le prix de la liberté. Le fils n’est pas un pantin programmé : il doit s’enfoncer dans la solitude pour éviter d’être la proie des influenceurs. Il opte pour la sobriété afin d’expérimenter que l’homme vit davantage de l’écoute de la parole de Dieu que de l’assouvissement de ses besoins. Et la faim lui permet d’entendre l’immense clameur des affamés du monde.

Le carême n’est donc pas un temps de développement personnel, d’élévation mystique, de maîtrise des distractions dans la prière, de lectures pieuses anodines. Le combat est terrible, instigué par un adversaire mystérieux qui s’acharne à séparer père et fils, à faire douter de l’amour, à pousser l’humanité dans la mort. Il est aux dimensions de l’enjeu : cosmique. Le fils n’entend plus son père, des perspectives séduisantes l’assaillent, des doutes rôdent comme des fauves : faut-il augmenter le niveau de vie des gens ? séduire en faisant miroiter les mirages du merveilleux, en montant des spectacles ? employer la force, la violence ???

Le carême est désert, solitude. C’est dans le feu du combat que la foi se purifie, que les justes décisions se forgent, que l’engagement affine ses certitudes.

La Mission

Enfin le carême n’est pas une parenthèse mais un tremplin. Tout seul, le Fils a pris ses options fondamentales ; tout seul il remonte dans sa Galilée. L’artisan ne retourne pas dans son atelier de Nazareth : il n’a plus qu’un outil : sa parole. Et il s’en va de village en village, proclamant la Bonne Nouvelle, pressant chacun et chacune de rectifier de manière de vivre, de croire à l’amour universel du Père et promettant la venue de son Royaume.

Nos Carêmes

Il a suffi d’un carême à Jésus : son engagement était tellement radical qu’en peu de temps, il l’a accompli. Les hommes, opposés farouchement, l’ont mis à mort : le Père l’a mis en Vie. Tout était achevé. La méditation de son carême éclaire les nôtres qui apprenons par là à nous convertir au mystère pascal.

Point de départ : pas seulement être informé et se plaindre de l’état du monde mais écouter les Jean-Baptiste, les voix prophétiques qui appellent au changement social, au renouveau de l’Église.

Ne pas chercher l’action à faire car le sauvetage de l’humanité n’est pas œuvre humaine. Mais retrouver son être : écouter le Père qui ne cesse de nous redire « Tu es mon enfant bien-aimé ». Avec tes péchés.

« Soufflé » par l’Esprit, entrer dans le silence, la pensée et la frugalité. Lutter contre les assauts des médias racoleurs, le torrent des informations qui déforment, le bavardage incessant de ceux qui sont « au courant », « en prise » avec l’actualité et qui n’éclairent personne.

Se rendre compte, enfin, que le gaspillage des uns affame la multitude des autres. Que « l’achat est un acte moral » (Benoit XVI)

Prier comme on se bat. Car les maux dénoncés nous habitent, trouvent en nous une connivence. Cela s’appelle « les tentations ». Cesser de rêver à « la tête vide », au doux sourire sur un visage de marbre.

Jusqu’à une certitude : « Jésus avait raison. Mon Seigneur et mon Dieu. Sauveur unique de l’humanité. Parce qu’elle est amour, la croix est la gloire ». Il faut le dire. Marcher vers Pâques.

Maintenant que notre hiver s’achemine vers le printemps, le carême prépare l’Église à venir. Il est Bonne Nouvelle, Évangile.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.