Fête de la Sainte Trinité – 4 juin 2023 – Évangile de Jean 3, 16-18

Évangile de Jean 3, 16-18

Révélation de l’Amour

L’année liturgique n’est pas une ritournelle rythmée par une cérémonie : elle raconte la découverte progressive la plus essentielle pour l’histoire des hommes et elle nous y entraîne. Y a-t-il un dieu ou des dieux ? Aujourd’hui, après l’évocation successive de Jésus, de sa mort, de sa résurrection, de son Ascension et de la Pentecôte, l’Église proclame la conviction dans laquelle ces événements l’ont ancrée : Dieu est unique en trois Personnes. « Trinité » : le mot est bien abstrait pour désigner le foyer de la Vie, il ne dit rien à la multitude. Le philosophe Emmanuel Kant écrivait au 18e siècle : «  De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Est-ce exact ? !

Dans l’antiquité, tous les peuples étaient religieux, ils avaient leurs dieux, les nommaient, érigeaient leurs statues, les priaient avec ferveur. Un seul se distinguait : le petit peuple Israël, tant de fois écrasé, assurait que tous ces faux dieux étaient des idoles creuses et inertes, qu’il n’y avait qu’un Dieu, irreprésentable, et qui avait fait une Alliance avec lui. Basée sur les dix Paroles fondamentales, cette Alliance devait être répandue dans le monde entier.

Ce Dieu s’était révélé comme une personne qui parle, il avait dit son nom : « Je suis qui je suis – YHWH » qu’on ne pouvait prononcer. Aussi chaque hébreu était – et reste aujourd’hui encore – tenu d’affirmer deux fois par jour la confession de foi (le shemah) : «  Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force…Tu répéteras ces paroles à tes fils… »( Deuter 6,4). Beaucoup d’autres lois suivaient avec notamment : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Hélas, la contagion de l’idolâtrie, toujours dénoncée violemment par les prophètes comme un danger mortel, demeura toujours présente au sein du peuple élu.

Qui est Jésus ?

Un jour, au milieu de ce peuple, « né d’une femme », membre d’une famille, artisan de village, paraît Iéshouah-Jésus de Nazareth. il se fait baptiser par le prophète Jean-Baptiste. Après une retraite au désert, il remonte en Galilée et commence à circuler à travers les villages en annonçant : « Le Royaume de Dieu s’approche : changez de vie ». Les foules peu à peu se pressent : on écoute cet enseignement nouveau, on implore les guérisons de malades, des disciples se joignent à lui. Qui est-il ? Tout de lui est d’un homme : il a soif, il est fatigué, il se fâche, il pleure son ami défunt, il prie.

Mais du neuf stupéfie : s’il est fidèle à la récitation du shemah, Jésus confie qu’il prie Dieu comme son Père et dit : « Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler »(Matt 11, 27). Confidence inouïe : quelle est donc cette relation privilégiée ?…

Jésus soutient les plus pauvres, il conjoint les deux commandements : « Tu aimeras Dieu de tout ton être » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais il ne se révolte jamais contre les Romains païens. Par contre il dénonce l’hypocrisie du culte au temple de Jérusalem qui ne fait pas respecter le droit et la justice, il critique l’arrogance des scribes, la vanité et l’enrichissement des grands prêtres. L’hostilité contre lui se durcit. A la fête de la Pâque, il brave le danger, l’étau se referme sur lui, il tremble d’agonie. Arrêté, condamné, il est exécuté sur une croix. Tous les disciples, en dépit de leurs belles déclarations, s’enfuient. La pierre est roulée. Tout est fini. Était-ce un prophète martyr ? …Au lendemain des festivités pascales, les milliers de pèlerins retournent dans leurs pays. Caïphe et Ponce Pilate sont contents : on a évité l’insurrection. Tout est calme à Jérusalem.

Rebondissement : Il est ressuscité !

Maintenant il nous faut sauter plusieurs années et arriver aux « Actes des Apôtres » de Luc (années 85 ?) et aux textes de Jean ( fin du 1er s. ?) en regrettant la brièveté de ces souvenirs qui évoquent la révolution la plus profonde qui vient de se produire et qui va changer l’histoire du monde.

Peu de temps après le drame, les disciples réapparaissent sur la scène publique et proclament la nouvelle stupéfiante, inouïe, incroyable : « Jésus qui était mort est ressuscité, et non réanimé : il est revenu vers nous en nous montrant ses plaies, source de son pardon, il est le Fils du Père, il nous a promis l’Esprit. Il a disparu en retournant vers son Père qui l’avait envoyé, l’Esprit nous a saisis et nous a chargés d’annoncer cette nouvelle à toutes les nations. Celui qui croit est pardonné de ses fautes et il devient réellement fils du Père ».

Ces gens ne sont pas des érudits capables d’élaborer une théorie théologique, ce sont des gens du peuple, sans éloquence et sans moyens. Ce sont des Juifs farouchement attachés à la confession d’un Dieu unique mais qui proclament sans contradiction: « Que toute la maison d’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ ce Jésus que vous, vous aviez crucifié » (Ac 2,36). Traduit devant le haut tribunal où siègent Hanne et Caïphe, Pierre lance : « Jésus, il n’y a aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à notre salut ». Là est le salut du monde.

Les juges sont sidérés par l’assurance de cet homme sans instruction et on lui interdit d’enseigner le nom de Jésus mais Pierre répond : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 12)

Les apôtres parviennent à convertir certaines personnes et notamment ceux que l’on appelle « les craignant Dieu », des païens qui admiraient la grandeur de la foi juive supérieure au paganisme et sont frappés par l’assurance des disciples. Les obstacles qui les rebutaient – circoncision, nourriture casher – ne leur sont plus imposés.

Par contre la grande majorité du peuple refuse d’accepter ce message qui lui paraît contradictoire : on lance des sarcasmes, on s’irrite contre ces fabulateurs qui paraissent introduire trois dieux et renversent le monothéisme farouche d’Israël. Très vite certains apôtres sont arrêtés, menés au tribunal, jugés, flagellés, condamnés. Luc raconte qu’ils sont très honorés de partager le sort de leur Seigneur.

Les apôtres ne cherchent pas les classes aisées, les esprits distingués, les gouvernants : ils s’adressent à tous, aux gens les plus simples. Ils ne comptabilisent pas le nombre des convertis, ils ne s’inquiètent pas d’accroître leurs revenus, ils mènent une vie dangereuse. Certes des convertis apostasient mais bon nombre tiennent bon. Et que font-ils ? Ils fondent des petites communautés locales. On entre dans l’Eglise par le baptême qui très vite se fait « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matth 28,19). La mission est universelle : des groupes de disciples se dispersent dans les nations voisines. Rien n’arrête l’élan missionnaire ni ne parvient à éteindre la joie profonde des disciples convaincus de vivre avec le Père, le Fils, et. l’Esprit, la révélation suprême.

La foi évangélique crée la paix du monde

Il est faux d’affirmer que la foi en la Trinité est inutile : cette révélation est en effet essentielle. Les apôtres proposaient leur message sans aucune pression, en respectant la liberté de chacun. Mais ils appelaient les convertis à faire une communauté fraternelle. Pour eux, « aller à l’église » ne signifiait nullement se rendre dans un bâtiment sacré pour y vivre des rites hiératiques puisqu’ils n’ont jamais bâti ni chapelle, ni église : mais cela signifiait « je me rends à la réunion de la communauté » qui se tenait dans la maison de l’un d’entre eux. Et puisque Jésus était réapparu le lendemain du sabbat, cette réunion hebdomadaire se faisait le premier jour de la semaine, jour du Seigneur, donc dimanche. « Eglise » en effet veut dire « ceux qui sont appelés hors ». Hors de chez eux, hors de la manière païenne de vivre. Le jour où le corps de Jésus était vivant, la communauté des croyants dispersés se reconstituait en « corps vivant de l’Église ».

Dans cette communion, chacun sait qu’il est pardonné de ses péchés, que Dieu est son Père, qu’il a reçu l’Esprit d’amour divin et que tous les autres, si différents soient-ils de lui, sont ses frères et sœurs qui, comme lui, ressusciteront. L’amour trinitaire l’étreint afin qu’il aime chacun de ses frères de la même manière.

Silencieusement mais de façon réelle, alors le Royaume est commencé et chacun est membre du Corps du Christ. Les « églises » fraternelles partagent le Pain de Vie qui les rend un. Elles sont des cellules de paix, les prémices de la paix mondiale. Trop peu d’entre nous en prennent conscience et ne vivent qu’une habitude rituelle sans impact social.

Comment chercher la foi trinitaire ?

Être scandalisé par une société régie par la violence, qui favorise les grands et écrase des millions de pauvres. L’histoire est-elle une histoire de fous, sans signification ?(Shakespeare). Acceptons-nous de rester sous le règne animal ?…Lire et relire les évangiles : s’interroger sans cesse sur le personnage unique qu’est Jésus de Nazareth. Comment expliquer cette assurance, cette audace des premiers disciples, leur joie sous les attaques ? Ne pas craindre d’oser se démarquer de l’opinion courante aujourd’hui. Pourquoi la foi chrétienne est-elle la plus persécutée ? Pourquoi compte-t-elle plus de martyrs que jamais ?

Un concile a proclamé un dogme mais les disputes continuèrent. Les débats et les recherches se poursuivront toujours.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Échec de la transmission de la religion dans les familles chrétiennes

Le journal « La Croix » du 5 mai commente une récente enquête de l’INSEE.

Les résultats sont implacables : la part des catholiques continue de chuter en France : de 43 % en 2012 à 20 % en 2022. 51% de la population entre 18 et 59 ans déclarent ne pas avoir de religion. Le catholicisme reste la première religion ; l’Islam progresse de 10 %. La progression la plus spectaculaire est celle des évangéliques : 9 % en 10 ans.

76 % des musulmans disent que la religion a beaucoup ou assez d’importance pour eux – contre 27 % des catholiques et 39% des autres chrétiens.

Tandis que la reproduction familiale est forte dans l’Islam (91 %) et le judaïsme (84 %) , les familles chrétiennes transmettent moins leur croyance à leurs enfants.

« Si dans les familles, rien n’a été fait pour redonner de la valeur à la pratique, notamment celle de la messe, en trois générations les pratiquants font des enfants non pratiquants qui eux-mêmes ont des enfants non chrétiens » 

Les familles juives et musulmanes transmettent beaucoup mieux la religion à leurs enfants que les catholiques. 91 % des personnes élevées dans des familles musulmanes, et 84 % dans des familles juives, continuent à se revendiquer de la religion de leurs parents, contre seulement 67 % de celles élevées par des parents catholiques. Cette forte reproduction familiale s’expliquerait surtout par l’éducation religieuse au sein de la famille.

Comment allons-nous réagir à cette nouvelle ?

Dimanche de Pentecôte – 28 mai 2023 – Évangile de Jean 20, 19-23

Évangile de Jean 20, 19-23

L’Esprit qui brûle en nous

Il y a des chrétiens pour qui l’Esprit-Saint n’est jamais comme une langue de feu, c’est-à-dire un langage que nous percevons, et qui nous enflamme.

Nous savons tous qu’en nous, il y a des mots et des idées qui se bousculent. Et nous savons tous aussi que parmi ces idées certaines nous attristent, d’autres nous réjouissent, d’autre encore nous emportent le cœur et l’âme. Il y a des mots, des phrases, des sons que nous percevons et qui nous portent vers la plénitude, l’élévation de tout notre être et parfois même l’extase ; des mots qui provoquent une jubilation esthétique intense – déjà les mots « Je t’aime » sont de ceux-là.

Et bien, il y a des chrétiens pour qui les mots qui émanent de l’Esprit même de Dieu ne sont jamais de telles langues de feu, ne suscitent en eux aucun embrasement, ni même de joie particulière.

Certainement, ils ont des désirs, des êtres et des passions qui les enflamment … mais pas Dieu. Ce sont des chrétiens purement rationnels, pour qui Dieu est finalement toujours une idée, un concept et jamais une rencontre, une personne qui les aime, quelqu’un dans leur vie. Ils ont la foi, ils croient en un être suprême, mais ce Dieu n’est jamais un « tu » auquel ils s’adressent. Il est trop loin.

Il y a aussi des chrétiens pour qui le seul esprit qui leur parle c’est le leur ; des chrétiens qui n’écoutent qu’eux-mêmes, des chrétiens qui croient que Dieu parle comme eux – et qui ont même tendance à l’affirmer – des chrétiens qui pensent détenir la vérité – bien sûr, la leur.

Et puis il y a les chrétiens pour qui la religion est spiritualité : c’est-à-dire un embrasement de l’esprit, par un Esprit avec lequel on dialogue. Un « tu » qui nous parle dans le cœur et auquel on répond ; un « tu » que l’on retrouve quand on lit la Bible, un « tu » que l’on sait voir présent dans ceux qu’on aime, un « tu » qui, lui-même, s’exprime parfois à travers nous.

Il y a des chrétiens que le « Je t’aime » entendu de Dieu embrase et comble de joie ; qui jubilent de l’Amour de Dieu qui s’exprime ; qui non seulement ont conscience de cet Amour mais bien plus le ressentent et l’éprouvent ; un peu comme l’amour s’éprouve entre ceux qui s’aiment : des langues de feu brûlantes comme le sont les mots des amoureux entre eux ; ceux que se chuchotent parents et enfants quand ils s’embrassent.

L’Esprit de Dieu cherche à tous nous parler. Pas à nous tenir un discours ; pas à nous donner des leçons ; pas simplement à exprimer une pensée que nous pourrions trouver intéressante ou belle ou adéquate. Non ! à nous parler de la manière la plus complète qui soit ; avec des mots qui changent et emportent celles et ceux à qui ils s’adressent ; avec des mots brûlants qui nous attirent. Dieu veut nous attirer à lui avec une Parole qui touche à l’essentiel de nous-mêmes. A notre profond désir d’aimer et d’être aimés.

On ne comprend bien l’image des langues de feu qui tombent sur les disciples que si l’on sait soi-même à quel point on peut brûler du désir d’amour et à quel point Dieu désire rencontrer ce désir. On ne comprend bien l’image des apôtres qui parlent désormais toutes les langues que si l’on se rend compte de l’universalité de ce désir d’amour et aussi de l’universalité des réponses qui y sont apportées. Quelle que soit notre langue maternelle, partout dans le monde, l’amour et la tendresse s’expriment de la même manière, avec les mêmes gestes, les mêmes élans du cœur, les mêmes marques d’affections.

Alors certains me diront, c’est très bien tout ce discours sur l’Esprit Saint qui nous parle d’Amour mais moi je ne l’entends pas comme ça. Pire, repensons au cas de Mère Teresa pour qui Dieu était bel et bien un « tu » auquel elle s’adressait mais qui, toute sa vie, est restée dans la nuit, sans percevoir de réponse de la part de Dieu … Et qui est pourtant devenue sainte !

Je crois en effet qu’une extrême confrontation à la souffrance, une vie qui s’affronte au malheur au point de concevoir – à juste titre – un profond sentiment personnel d’impuissance, peuvent nous empêcher de voir l’amour de Dieu à l’œuvre parmi les hommes. C’est difficile, dans la souffrance ultime, de ressentir encore l’Amour de Dieu.

Mais c’est alors peut-être, comme Sainte Teresa – et comme le Christ sur la croix qui a aussi vécu ce sentiment d’abandon – c’est peut-être qu’on devient un être non plus qui entend Dieu mais un être qui ne fait plus que dire Dieu par sa vie. Finalement Teresa, comme le Christ, ne sont plus que le cri d’Amour de Dieu face à la souffrance ultime.

La Pentecôte c’est le don fait à l’Humanité de pouvoir véritablement entendre Dieu comme le Christ a entendu son Père. Et le fruit de la Pentecôte c’est de pouvoir exprimer à notre entourage cet amour infini de Dieu pour l’Humanité. S’il le faut, en n’étant seulement plus qu’un cri.

La Pentecôte c’est recevoir l’Esprit d’Amour qui permet de se relever en toutes circonstances.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Pourquoi Jésus donne-t-il à l’Église le « pouvoir des clés » ?

Jean-Thomas de Beauregard, op

Le privilège divin confié à des hommes pécheurs d’ouvrir ou de fermer les portes du Ciel paraît exorbitant. Par ce « pouvoir des clés », Jésus donne à l’Église une réponse de confiance à un acte de foi.

Au serviteur de Dieu qui doit remplacer le gouverneur indigne, le prophète Isaïe promet la clef de la maison de David (Is 22, 19-23). S’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Quelques siècles plus tard, Jésus confie à Pierre les clés du Royaume des Cieux. Tout ce que Pierre aura lié sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce qu’il aura délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 13-20). La tradition de l’Église a toujours lu ces deux textes ensemble. Dans les deux cas, Dieu transfère une prérogative proprement divine à un homme. Ce privilège divin transféré à un homme et à ses successeurs, c’est ce qu’on appelle le pouvoir des clés : Pierre et ses successeurs peuvent donner l’accès au Ciel ou le refuser. En particulier, les ministres de l’Église ont le pouvoir de pardonner les péchés au nom de Dieu, et peuvent aussi refuser l’absolution ou prononcer l’excommunication le cas échéant.

Un pouvoir exorbitant

Cela paraît un pouvoir exorbitant. Comment Dieu qui, seul, sonde les reins et les cœurs, peut-il confier à des hommes, pécheurs de surcroît, une responsabilité aussi écrasante ? Pardonner les péchés et donc donner l’accès au Ciel, mais aussi fermer les portes du Ciel à certains en refusant l’absolution ou en prononçant l’excommunication ? Aucun homme ne semble capable de juger de ces choses aussi bien que Dieu !

Et il est bien vrai que si ça n’avait tenu qu’aux Apôtres, et aux premiers chrétiens, jamais l’Église ne se serait accordée à elle-même un tel pouvoir. C’était d’ailleurs totalement inconcevable dans l’univers mental d’un juif de l’époque. Mais précisément, l’Église n’y est pour rien ! L’Évangile ne laisse aucun doute : c’est Jésus qui, par un acte solennel, a voulu remettre à Pierre et à ses successeurs le pouvoir des clés. Si Jésus n’avait pas pris cette initiative surprenante, il ne serait venu à personne l’idée incongrue de réclamer un tel pouvoir. Mais il faut bien comprendre ce dont il s’agit.

Le choix de l’incarnation et de la miséricorde

D’abord, c’est la logique même de l’Incarnation. Dieu se donne par et dans l’humanité du Christ. Et le temps de l’Église est celui de la présence du Christ et de l’Esprit médiatisée par des hommes. On peut trouver ça fou, et imprudent. Mais c’est le choix de Dieu que d’avoir voulu communiquer sa grâce, de manière ordinaire, en passant par des hommes, faillibles et pécheurs. Par amour, Dieu a voulu associer les hommes à son dessein de salut, en prenant le risque d’une coopération très imparfaite. Et le trésor des sacrements est ainsi livré aux mains des hommes. C’est un risque, mais c’est un beau risque.

Ensuite, il faut remarquer qu’il y a une asymétrie complète entre le pouvoir de pardonner d’une part, et le pouvoir de refuser l’absolution ou le pouvoir d’excommunier d’autre part. Tous les confesseurs le savent : quelle que soit la gravité du péché, et même si le repentir du pénitent est imparfait, la règle générale est la miséricorde. Le pardon est presque toujours donné. L’absolution accordée est la norme, et le refus d’absolution l’exception. Aucun confesseur ne refuse l’absolution sans la conviction ferme, fondée sur des éléments probants, qu’il n’y a de la part du pénitent aucun repentir réel ni désir de conversion. Et dans le doute, c’est toujours la miséricorde qui prime.

Au service de la vie

Le pouvoir des clés que Jésus a voulu remettre entre les mains de l’Église ressemble donc bien plus aux bras ouverts d’une mère aimante, ou aux bras ouverts de Jésus en Croix, qu’à l’œil sourcilleux d’un douanier ou d’un gendarme. La main du prêtre est faite pour bénir et pour pardonner. Au demeurant, l’Église sait trop, et les prêtres en son sein, que nul ne saurait se considérer le propriétaire d’un tel pouvoir, que nul ne saurait en disposer selon un bon plaisir despotique et arbitraire. Le pouvoir des clés est au service de la vie : il s’agit de communiquer la vie divine autant qu’elle peut l’être, autant que les hommes sont capables de la recevoir.

Un acte de foi

À la vérité, l’expression traditionnelle de « pouvoir des clés » gagnerait à être purifiée. On y sent toute l’influence du droit romain, et de la société médiévale. Bien sûr, le droit a toute sa place dans l’Église : c’est la garantie de la justice. Et il y a un anti-juridisme prétendument évangélique qui n’est qu’une naïveté sans rapport avec l’enseignement de Jésus. C’est une des leçons que les scandales des dernières années au sein de l’Église nous auront apprises : le droit, lorsqu’il est clair et vraiment appliqué, protège le faible et fournit un cadre pour que l’Esprit-Saint puisse se déployer et souffler là où il veut ; l’absence de droit, au contraire, livre le faible à la tyrannie de l’arbitraire, de la subjectivité et de l’affectivité, et favorise toutes les contrefaçons de l’Esprit-Saint par lesquelles Satan fait son œuvre parmi les chrétiens.

Mais lorsque Jésus remet les clés à Pierre, la portée juridique évidente de l’acte ne doit pas faire oublier son contexte et sa symbolique. Jésus ne remet les clés à Pierre qu’après que celui-ci l’a confessé comme « le Christ, le fils du Dieu vivant ». Le pouvoir des clés n’est donné que parce qu’il y a eu un acte de foi, et un acte de foi fondé sur l’amour. La remise des clés est une réponse d’amour à une déclaration d’amour,une réponse de confiance à une confession de foi. La remise des clés, c’est d’abord la reconnaissance d’une intimité inouïe, d’un amour plus fort que tout. 

Le signe d’une intimité profonde

Même les couples de notre postmodernité déboussolée le savent : lorsque Cunégonde choisit de donner un double des clés de son appartement à Gontran, c’est le signe qu’une étape a été franchie dans l’intimité mutuelle, c’est un acte de confiance totale. Certes, Jésus n’est pas un adolescent attardé qui se cherche des étapes intermédiaires avant l’engagement du mariage, mais la symbolique de la remise des clés reste la même : c’est d’abord le signe d’une intimité profonde. Donner les clés de sa maison, c’est toujours un peu donner les clés de son cœur. En donnant à Pierre les clés du royaume des Cieux, en confiant à l’Église l’accès à sa propre demeure éternelle, Jésus manifeste sa confiance et son amour.

Autrement dit, la remise des clés, qui est un pouvoir, est un signe d’amour au service de la vie. En confiant le pouvoir des clés à l’Église, Jésus manifeste que l’Église n’est pas une réalité qui lui est extérieure : elle est le prolongement visible de son action dans le monde ; elle est son Épouse qui partage donc avec lui toute sa vie et toutes ses prérogatives ; elle est un autre Lui-même, ce Christ-total dont parlait saint Augustin.

Les mains de l’Église comme les mains du Christ

Là encore, cela paraît fou ! À ne poser qu’un regard sociologique sur l’Église, on voit mal ce qui pourrait justifier une telle confiance. Mais le Christ et son Esprit travaillent au cœur même de l’Église, de l’intérieur. Les clés du Royaume n’ont pas été remises à l’Église comme une conséquence d’un retrait du Christ et de l’Esprit, comme si le Christ et l’Esprit avaient déserté ce monde et laissé l’Église orpheline. Non, les clés du Royaume sont entre les mains de l’Église comme entre les mains mêmes du Christ et de son Esprit, qui continuent d’agir à travers elle et en elle pour communiquer aux hommes la vie même de Dieu. 

7ème dimanche de Pâques – 21 mai 2023 – Évangile de Jean 17, 1b-11a

Évangile de Jean 17, 1b-11a

La Grande Prière de Jésus

Chaque année, après avoir célébré le départ de Jésus (Ascension) et en attendant la venue de l’Esprit (Pentecôte), à juste titre nous écoutons la grande prière finale de Jésus à son Père du chapitre 17 de s. Jean. Ce dimanche, nous en entendons la première partie mais il est fortement recommandé d’en prier l’entièreté.

La nuit du grand enseignement

Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit :

Pendant 4 chapitres (de 13 à 16), Jésus a longuement enseigné ses disciples parce qu’il voulait les aimer jusqu’à la fin, aux deux sens du mot : sens temporel (jusqu’au terme de sa vie) et sens qualitatif (l’intensité extrême).

A ces pauvres hommes, il a montré son amour en s’agenouillant devant chacun et en leur lavant les pieds et il leur a enjoint de faire de même entre eux. Il leur a annoncé l’imminence de son départ, il les a prévenus qu’ils allaient connaître refus et persécutions mais l’Esprit-Saint qu’ils allaient recevoir leur donnerait la force de tenir. La sortie subite de Judas jeta un froid et laissa présager la tragédie tandis que le présomptueux Pierre se faisait renvoyer à sa faiblesse.

Oui il les aime, ces quelques jeunes qu’il a appelés dans leurs divers milieux et qui, malgré tout, ne l’ont pas quitté. Après les avoir longuement regardé, tout à coup Jésus se tait. Levant la tête vers le haut (symbole du ciel), Jésus exprime une longue prière. Car l’horizontale de la fraternité ne tient que tenue par la verticale divine.

Père, l’heure est venue !

Jésus n’a jamais tracé sa vie selon ses plans et les circonstances. Dès son appel au baptême et lors de sa longue retraite au désert, son Père lui a confié la plus grande mission de l’histoire. La prière constante le mettait sans arrêt au diapason de son Père sans jamais manquer d’un iota.

Ce plan du Père était marqué par des étapes. Dès le début, à Cana, le don du vin de l’alliance n’était qu’un signe, ce n’était pas l’heure ; de même, à la 2ème Pâque, lorsque la foule, rassasiée de son pain, voulait le couronner roi, Jésus se déroba. Ici à présent, Jésus en est conscient : au cadran de l’histoire telle que Dieu la veut, l’Heure a sonné. L’ombre de la croix se profile mais il fera de son exécution la « Glorification ».

Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie.
Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.

Cette croix dont il sait l’inexorable certitude, il faut le répéter, n’est pas le châtiment d’un Dieu courroucé mais l’obéissance du Fils qui ne peut ni fuir ni se taire et qui se donne. Jésus en est sûr : le Père va glorifier son Fils en même temps que le Fils va glorifier son Père. L’horrible et infâme mise à mort sera l’authentique et définitive « Pâque » : le passage à la vraie vie quand l’amour va jusqu’à se laisser mettre en croix.

Cette Révélation ultime du Dieu Père et de Jésus son Fils offrira aux croyants la Vie éternelle. Non la longévité ni la réanimation mais « la Vie » qui consiste à connaître, c.à.d. à communier au Père et au Fils.

Merveille : l’ignominie du pire supplice et la peur de la mort vont devenir, au regard de la foi, le foyer de l’Amour du Père, de l’amour du Fils pour son Père et de son Amour pour les hommes.

Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.

Jésus, sans vanité, peut l’affirmer : son « oui » donné au baptême, il ne l’a jamais repris. En toute fidélité, il a, de jour en jour, exécuté l’œuvre que son Père lui proposait et qu’il approfondissait sans cesse dans une inlassable prière.

C’est pourquoi nous avons toujours à lire, relire, méditer l’évangile. Car certains se targuent trop facilement de « connaître » Jésus et Dieu.

Mais maintenant, par sa Pâque, le Fils peut demander à son Père de lui offrir cette Gloire qu’il avait avant l’existence du monde. Dès la première page, le Prologue l’affirmait : «  Au commencement était le Logos…et le Logos était Dieu…Tout fut par lui… » (Jn 1 1). « Maintenant je vais à celui qui m’a envoyé » avait-il déjà dit (16, 5).

J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole.
Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.

Impossible de ne pas remarquer la répétition du verbe « donner » (pas moins de 16 fois dans ce chapitre 17). Indicible humilité de Jésus libre de tout instinct de propriété ! Il sait que tout lui est donné, il reçoit et il donne. Ses paroles sont celles que son Père lui a soufflées ; ses disciples ne sont pas le fruit de son choix mais un don de son Père ; il ne se vante pas de ses enseignements ni de ses guérisons…Joie du coeur simple, conscient de tout recevoir et heureux de donner tout.

Prière pour les disciples

Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi.
Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

La foi n’est pas un acquis définitif qu’il suffirait de gérer. Jésus sait par quelle terrifiante épreuve ces hommes vont passer et dont ils n’ont aucune idée, il présage leur désarroi, leur fuite en dépit de leurs belles déclarations de fidélité. Ils vont traverser une tourmente dans laquelle leur foi va manquer de sombrer. Ensuite beaucoup les traiteront de lâches…puis de mythomanes. Aussi Jésus supplie le Père pour eux.

Comprenons bien pourquoi Jésus dit ne pas prier pour le monde : il ne s’agit pas de l’humanité comme telle mais des individus blindés dans leur égoïsme, leur dureté de coeur, leur cupidité.

Jésus prie pour les disciples car ils sont un cadeau du Père : ils ont reconnu la valeur divine des paroles de Jésus, ils ont fini par voir en Jésus plus qu’un homme, plus qu’un prophète, mais le Messie Seigneur.

Maintenant Jésus prend son départ, le mécanisme de la trahison est en route, les autorités sont décidées. Jésus vient vers son Père : eux demeurent dans le monde. Donc ils vont devoir témoigner de tout ce qu’ils vont vivre.

Et l’essentiel – ce sera le sujet de la suite de la prière – ce sera qu’ils restent unis. « Père, qu’ils soient UN comme nous sommes UN » (17,11)

Prière pour la multitude des croyants

Et enfin la prière de Jésus s’évasera aux confins de l’histoire et du cosmos ; Il prie pour tous ceux qui croiront en lui.

« Je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croient en moi : que tous soient UN comme toi, Père tu es en moi et que je suis en toi : qu’ils soient en nous, eux aussi pour que le monde croie que tu m’as envoyé « (17, 20)

Conclusions

Nous prions mal, nous prions trop peu mais le Seigneur Jésus prie sans interruption pour nous afin de nous attirer dans la Gloire du Père. Quelles babioles, les « gloires » de la terre !

Croire trouver la paix par des conquêtes, des victoires, des traités de paix, des armes sophistiquées, des inventions… : tout cela est un leurre. C’est le coeur de l’homme qui doit être guéri. Et personne ne peut s’engager pour les autres.

Indispensable condition première de la mission : notre unité dans l’amour du Père et du Fils. « Qu’ils soient UN comme le Père et le Fils sont UN ». On est loin des poignées de main et des belles proclamations. Ce n’est qu’à cette profondeur divine que la paix du monde est possible.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Henri de Lubac

1896 – 1991

Né à Cambrai. Blessé à la guerre (s’ensuivront de lourdes souffrances toute sa vie). Jésuite. Ordonné prêtre en 1927. Professeur de théologie fondamentale aux Facultés de Lyon. En 1938 paraît son grand livre « Catholicisme », prélude d’une œuvre immense qui comprendra une 50aine d’ouvrages dont « Surnaturel » qui suscitera débats et critiques. Lance avec le père Daniélou la célèbre collection des « Sources chrétiennes ». Enfin reconnu, il est nommé expert au concile. Cardinal en 1983. Mort le 4 9 1991.

Les évêques français ont demandé l’ouverture de la cause de sa béatification. Le Pape a approuvé.

A la suite de « Paradoxes », « Nouveaux Paradoxes » est une œuvre marginale de réflexions : en voici quelques extraits.

Nouveaux Paradoxes

Nos idées vieillissent avec nous, c’est pourquoi nous n’y prenons pas garde, et nous sommes tout étonnés que des esprits plus jeunes n’en tombent pas amoureux comme nous. (p.12)

La sincérité est comme le bonheur et peut-être comme la beauté : on ne la trouve qu’en ne la cherchant pas. On n’est sincère qu’en n’y pensant pas. (p.36)

En nous rappelant à l’intérieur, l’Evangile nous rappelle incessamment à la vérité des rapports humains, cette vérité que trahissent fatalement toutes les idéologies et toutes les politiques (p.41)

L’une des pires trahisons de l’Evangile : sous les dehors de la charité, couvrir et consommer l’injustice (p.57)

Vais-je refuser le verre d’eau à mon frère, en lui disant que je suis occupé à retrouver le sens de Dieu ? (p.60)

A chaque mouvement de charité sincère, l’Evangile triomphe, déjà le christianisme est efficace (p.61)

Un seul moyen d’être heureux : non pas ignorer la souffrance, et non pas la fuir : mais accepter sa transfiguration…Le vrai bonheur ne peut-être que le résultat d’une alchimie. (p.71)

« Si ton âme est troublée, va à l’église, prosterne-toi et prie. Si ton âme reste encore troublée , va trouver ton père spirituel, assieds-toi à ses pieds, et ouvre-lui ton âme. Et si ton âme est toujours troublée, alors retire-toi dans ta cellule, étends-toi sur ta natte, et dors » (p.72)

Quand vraiment on souffre, on souffre toujours mal (p.73)

Nouveaux Paradoxes – éd. du Seuil

Neuvaine au Saint-Esprit

« Jésus ressuscité dit à ses disciples : «  Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous : vous serez alors mes témoins à Jérusalem et jusqu’aux extrémités de la terre »

Quittant la colline du mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem. Ils montèrent dans la chambre haute où ils se retrouvèrent. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et André ; Philippe et Thomas ; Barthélemy et Matthieu ; Jacques, fils d’Alphée, Simon le zélote et Jude, fils de Jacques.

Tous unanimes étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus.

…Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble…Comme un violent coup de vent survint…Une flamme de feu se posa sur chacun deux. Ils furent tous remplis d’Esprit-Saint …Ils sortirent et tous étaient émerveillés de les entendre annoncer les merveilles de Dieu » ( Actes des Apôtres 1, 8-14…2,1-13)

Bien que la liturgie ait privilégié la période de 40 jours de carême, préparation à Pâques, c’est bien les neuf jours de prière qui préparent le don essentiel de l’Esprit, prélude à l’envoi en mission.

Nous vous proposons un moment de prière et de méditation pour chacune des étapes.



LA PREMIERE PENTECÔTE CHRÉTIENNE

1er jour : Non pas faire mais recevoir

On nous apprend à nous préparer à la fête de Pâques en faisant un bon carême : pendant 40 jours, faire des petits sacrifices, nous priver de friandises et d’apéritifs, manger du poisson le vendredi. Hélas ce programme de conversion n’apporte guère de changement à notre vie habituelle et nous retombons dans nos travers.

Les premiers apôtres ont été contraints à davantage de privations car la vie itinérante à la suite de Jésus entraînait bien des renoncements. Pourtant ils aimaient beaucoup leur maître, ils écoutaient avec attention son enseignement, ils assuraient qu’ils lui resteraient toujours fidèles. Même saint Pierre affirmait de façon péremptoire : « Je donnerais ma vie pour toi » et il demeurait sceptique quand Jésus lui répliquait : « Cette nuit même tu me renieras trois fois »(Jean 13, 38). Or en effet lorsque Jésus fut arrêté, ce fut la grande débandade des Douze et Pierre le téméraire jura même ne pas connaitre ce prisonnier.

Vouloir se changer, s’échiner à faire sa statue est une illusion partout répandue et s’appelle pharisaïsme, lequel n’est pas un défaut juif mais universel. Croire qu’à coup de décisions, on va finir par s’améliorer, à correspondre à son idéal, à se rendre meilleurs que les autres, cela ne cache-t-il pas un orgueil caché ?

Mais voici la merveille ! Ce Jésus qui avait été exécuté de la façon la plus horrible et la plus humiliante revient vivant vers ses amis. Il ne déchaîne pas sa colère contre eux, il ne les foudroie pas pour châtier leur lâcheté, il ne les rejette pas pour choisir d’autres hommes plus courageux. Au contraire, plein de douceur, il les salue : « Paix à vous » et il leur montre ses plaies : voici la source de mon pardon.

Pendant quelques jours, Jésus leur apparaît, les persuade qu’il est bien vivant, qu’ils ne sont pas victimes d’une illusion, qu’il est bien le Fils de Dieu son Père qui l’a ressuscité et a fait de lui le Sauveur du monde. En effet les hommes sont prisonniers du mal et ils ont besoin d’être sauvés, d’être libérés du péché et de recevoir la vie divine.

Alors que les Apôtres guettent l’apparition foudroyante et subite du Royaume de Dieu, Jésus les dissuade : « Vous n’avez pas à connaître les temps que Dieu a fixés mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem puis jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 7).

Jésus les emmène au mont des Oliviers et il disparaît. Les apôtres reviennent en ville avec des certitudes : Jésus est le Fils qui est entré dans la communion éternelle du Père, il reviendra à un moment inconnu. L’œuvre capitale de l’histoire s’est accomplie : nous allons attendre la force de l’Esprit pour la diffuser.

En ce premier jour de la Neuvaine, nous nous retrouvons dans la même situation. Oui nous nous sommes souvent trompés, nous vivons dans une Église qui pèche parfois gravement, nous avons manqué d’élan, nous avons trop cru en nous-mêmes. Mais le Seigneur croit en nous et ne nous rejettera jamais. Compatissons aux immenses souffrances d’un monde qui oublie Dieu et adore des idoles. Soyons certains que seule la puissance de l’Esprit peut sauver l’humanité du mal. Mais à condition que des femmes et des hommes le demandent, l’accueillent, deviennent ses instruments.

2ème jour : Unis dans la prière

Impossible d’imaginer l’état dans lequel se trouvaient ces premiers disciples lorsque Jésus a disparu. Quelle aventure ils avaient vécu en si peu de temps ! Toutes leurs conceptions s’étaient effondrées comme château de cartes. Nul n’aurait imaginé pareille histoire : mais elle était vraie. Comme Jésus leur avait recommandé : il fallait attendre la venue de la puissance de l’Esprit de Dieu.

« Quittant le mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem. A leur retour, ils montèrent dans la chambre haute où ils se retrouvèrent. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et les autres… Tous unanimes étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus » (Ac 1, 12)

Saint Luc ne dit pas qu’ils s’enfoncent dans la solitude, qu’ils sortent de cette ville qui a tué leur Maître, ni qu’ils jeûnent ou demeurent en silence. Non. ils prient. Non pas chacun dans son coin. Non pas en intercalant de petits moments de méditation au sein de la vie ordinaire. Mais ensemble et dans une pièce à l’étage, à l’écart du brouhaha. « Tous unanimes » : une âme, un seul coeur. Luc répétera ce mot à plusieurs reprises. Finies leurs chamailleries, leurs rivalités sur les préséances, leurs rêves de grandeur humaine. Ils sont ensemble. Et comme Judas a disparu, on élit Matthias afin de reconstituer le groupe des Douze, symbole des 12 tribus d’Israël.

Il y a là également quelques femmes, sans doute celles qui accompagnaient déjà Jésus sur les routes, qui étaient présentes à la croix, qui découvrirent le tombeau vide et reçurent les premières le message de sa résurrection…sans être crues par les Douze. Des frères et des membres de la famille de Jésus qui au début croyaient que Jésus avait perdu la tête (Mc 3,21) sont là aussi.

Et surtout Luc note la présence de Marie, la mère de Jésus. C’est par elle que tout avait commencé : elle pouvait raconter l’Annonciation, comment elle s’était donnée et, par la force de l’Esprit, avait reçu la présence en elle de Jésus. Que de choses elle put apprendre aux disciples.

Nous aussi maintenant nous attendons dans la prière, assurés sur le fondement des Douze, protégés par l’amour de Marie, tous les cœurs unis dans la même tension. Aucun délai n’a été fixé. Nous méditons sur ce que nous avons vécu, nous nous rappelons les enseignements de Jésus. Et nos cœurs répètent : « Viens Esprit Saint ».

3ème jour : Le souffle de l’Esprit

Or, au 10ème jour de l’attente, Israël fête justement le don de la Loi à Moïse au mont Sinaï. Comme c’est le 50ème jour après la Pâque, on l’appelle « Pentecôte » qui, en grec, signifie « 50ème ». Précisément c’est alors que l’événement extraordinaire s’accomplit: l’Esprit-Saint vient saisir le petit groupe réuni dans la chambre haute.

Tout à coup un coup de vent violent surgit et comme des flammes de feu apparaissent sur chacun d’eux. « Ils furent tous remplis de l’Esprit-Saint et se mirent à parler d’autres langues…A la rumeur, la foule se rassembla et on s’interrogeait : « Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?…Qu’est-ce que cela veut dire ?…Certains ricanaient : « Ils sont pleins de vin doux ! ».

Que fait donc l’Esprit ? On ne peut le décrire mais seulement évoquer son action par des images. Il est une force telle un coup de vent violent qui soulève et emporte ceux qui le reçoivent, il est un feu qui se manifeste par des flammes, des langues de feu, signes qu’il donne la force de parler. Il ouvre les portes du local, il fait dégringoler les retraitants et il les projette dehors, en pleine rue, au milieu de la foule.

Des Juifs de tous pays sont venus en pèlerinage et Luc s’amuse à souligner leur stupeur – « …en plein désarroi…déconcertés…émerveillés…tous déconcertés…dans leur perplexité… » – car chacun entend ces disciples dans sa langue. Luc veut montrer que dès l’abord l’Église est universelle. Jésus est l’unique Sauveur du monde, il faut l’annoncer dans toutes les nations, il ne faut surtout pas attendre un individu ou un système qui sauverait l’humanité – ni Hitler, ni Mao, ni la science, ni la société de consommation, ni la fortune.

« Ils proclamaient les merveilles de Dieu » : l’Esprit permet de proclamer sans peur toutes les merveilles que Dieu accomplit pour nous en Jésus.

Cherchant une explication, certains supposaient qu’ils avaient bu du vin doux. Signe que l’Esprit n’assomme pas comme l’alcool mais fait jubiler d’une douce allégresse.

Certes l’Esprit ne nous évitera jamais de suivre des cours de langue. Mais attendons qu’il nous bouge, nous fasse sortir, nous comble de joie pour rencontrer tous les hommes dans le dialogue de la paix offerte par Jésus.

Il nous guérit de tout racisme et de tout repli sur nous-mêmes.

4ème jour : L’Esprit fait lancer l’Évangile

L’Esprit-Saint donne une joie nouvelle et il fait parler. Au nom du groupe bienheureux, Pierre, le chef, explique aux gens ce que l’Esprit vient de leur faire comprendre : c’est la proclamation pleine d’assurance de la bonne Nouvelle.

« Comprenez ce qui se passe. Par le prophète Joël, Dieu avait jadis annoncé que, dans les derniers jours, il répandrait son Esprit sur toute chair : quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Eh bien, Jésus, cet homme, selon le plan de Dieu, vous l’avez livré en le faisant crucifier par les païens. Mais Dieu l’a ressuscité. David, dans un psaume, disait déjà : « Tu n’abandonneras pas ma vie au séjour des morts ». Or David est mort et son tombeau est chez nous mais il était prophète et il a vu d’avance la résurrection du Christ.

Oui Jésus est ressuscité, nous en sommes tous témoins. Glorifié par Dieu, il a reçu du Père l’Esprit-Saint promis et il l’a répandu comme vous le voyez et entendez….Que tout Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié ».

On se rappelait bien ce Jésus condamné, comme blasphémateur, crucifié par Pilate, et enseveli au Golgotha. Mais son aventure était finie. Or voici que nous assistons à une scène jamais vue. Au lieu de s’enfuir par crainte des poursuites, au lieu de se lamenter sur l’horrible mise à mort de leur maître, les anciens disciples de ce Jésus bondissent de joie. L’inimaginable plan de Dieu s’est ainsi réalisé : les Écritures sont accomplies. Jésus est vivant, dans la gloire de Dieu, il est le Messie, le Seigneur.

A cette annonce, beaucoup d’auditeurs se sont éloignés, incrédules. Mais quelques-uns ont été bouleversés : « Ce Pierre n’a pas l’air fou ! Que devons-nous faire ? ».Pierre répond : « Convertissez-vous et recevez le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. La promesse est pour vous et tous ceux que Dieu appellera. »

Ainsi d’emblée l’Église témoigne, dans la concorde, la joie, et avec une totale assurance. Telle est l’œuvre majeure de l’Esprit : unir et illuminer les esprits, conduire à la compréhension du plan de Dieu, donner la force de parler. Et tout cela dans une visée universelle. Tenons bon dans l’attente. L’Esprit est un don.

5ème jour : Les quatre piliers de la Communauté

Comment vit-on lorsque l’on a reçu l’Esprit ? On demeure là où l’on est, on poursuit sa vie familiale et ses activités professionnelles mais chaque nouvelle communauté « persévérait dans l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du Pain et les Prières ». Selon Luc, ce sont les 4 piliers indispensables sur lesquels nous allons réfléchir ces derniers jours.

La foi chrétienne ne se réduit pas à croire en Dieu ni en un sentiment religieux ni en une vague croyance héritée en famille. Elle naît et s’entretient par la confiance en la prédication de Pierre et des Apôtres : ils demeurent à jamais les témoins dont il faut écouter le message. C’est l’Évangile, la Bonne Nouvelle qui nous comble de certitude, de clarté, d’admiration, de Vérité et de Vie.

Jamais personne au monde n’a parlé comme Jésus : il éclaire le chemin de la vie, il donne un sens à notre existence. A la suite des Apôtres, nous sommes scandalisés par sa mort ignominieuse sur la croix mais l’Esprit nous donne d’entrer dans ce mystère de Pâques, de comprendre que Jésus a donné sa vie et que son Père l’a ressuscité. Grâce à l’Esprit, Jésus est présent en chacun de nous, il nous pardonne nos péchés et il nous remplit de la Vie divine.

La lecture des évangiles n’est pas une répétition fastidieuse d’épisodes connus mais la source inépuisable de découvertes nouvelles, la découverte du Bon Berger qui nous conduit sur les chemins de la vie, qui nous cherche lorsque nous nous nous égarons, qui nous ramène à l’Église pour être un avec le Christ.

En ces temps de crise où prolifèrent les mensonges et où des multitudes disent ne plus avoir la foi, il est capital que nous demandions l’Esprit : lui seul nous donnera confiance, certitude, l’audace de parler. L’Évangile est le trésor que beaucoup attendent.

6ème jour : Persévérer dans la charité

La foi en l’Évangile provoque la communion des croyants car le commandement essentiel de Jésus est « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et pour distinguer cet amour de l’affection amicale et plus encore de l’attrait érotique, les chrétiens ont appelé « agapè », cette charité qui les liait en une commune-union. « Celui qui veut être grand qu’il soit comme un enfant…Mettez-vous au service les uns des autres… ».

Au début, à Jérusalem, certains allaient même jusqu’à vendre leurs biens afin de partager avec leurs frères démunis, d’autres ne travaillaient plus, car ils étaient persuadés que Jésus allait revenir bientôt. Ce système fit faillite et la petite communauté tomba dans le désastre si bien que Paul fut obligé d’effectuer de longs voyages pour aller demander aux communautés de Grèce et de Macédoine de venir en aide à leurs frères d’origine.

Jésus n’a pas précisé la date de son retour : le travail et la propriété privée restent nécessaires. A condition que les frères pratiquent le soutien effectif des plus démunis d’entre eux. Attention au danger de l’argent et de la cupidité qui brisent la communion.

Cet impératif de communion nécessaire n’est pas facile à observer. On le remarque d’emblée dans les lettres de Paul qui abondent en exhortations répétées. Sans cesse il supplie ses correspondants à se réconcilier, de ne pas garder de rancune, de reprendre le dialogue, d’accepter leurs divergences, de ne pas rivaliser pour occuper les places de commandement, de respecter les plus petits. Oui la communion fraternelle est un travail permanent, une construction toujours à reprendre mais indispensable. « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur » dit Jean ( I Jn 4,20).

C’est pourquoi l’Esprit-Saint est indispensable : il est la force divine qui nous libère de nos égoïsmes et peut nous unir dans une réelle communion. « Frères vous avez été appelés à la liberté. Mais par l’amour mettez-vous au service les uns des autres…Car le fruit de l’Esprit est amour, paix, patience, bonté, bienveillance…Conduisons-nous sous l’impulsion de l’Esprit » ( Gal 5,13).

Esprit-Saint, donne-nous la liberté de l’amour fraternel.

7ème jour : Persévérer dans la Fraction du Pain

Après le week-end (qui est vendredi/samedi), les chrétiens ont donné un nom au premier jour de la semaine : en latin « domenica dies », qui a donné notre mot « DIMANCHE », Jour du Seigneur. C’est en ce jour en effet que Jésus ressuscité est apparu aux disciples. Dans la nouvelle mesure du temps, la semaine commence donc par la réunion des chrétiens qui, dans l’allégresse, se rassemblent pour écouter la Parole de Jésus, prier et partager son Pain de Vie. Réconciliés, comblés de sa miséricorde, ils peuvent alors s’engager dans les jours suivants afin de travailler à former des familles fidèles et de développer le monde sur les chemins de la paix.

Si, au contraire, nous considérons que le travail est l’occupation principale, avec ses recherches de confort, le poids pesant de ses soucis et de ses échecs, nous finissons la semaine éreintés, nous nous hâtons d’avoir une petite messe monotone, sans joie, sans vraies rencontres ; et comme les autres, nous courons éperdument à la recherche de divertissements et de restaurants gastronomiques.

Dimanche est le phare, la Source, le Jour du Ressuscité, la communion des frères et sœurs. Ensemble, nous manifestons à tout le monde que le Christ est vivant, que nous sommes les membres de son Corps, que sa Parole enseigne le chemin de la Vérité, que le partage de son Pain nous rend UN. L’Esprit nous comble d’assurance, de joie, de la fierté de croire et nous devenons une Église qui évangélise.

Depuis quelques années, des multitudes de baptisés ont abandonné la pratique dominicale. Ne les critiquons pas, remettons-nous en question. Si peu que nous soyons, cherchons ensemble à sortir de nos routines, perdons notre piété morose et individualiste. Notre grand jour n’est pas le vendredi de la croix mais le Dimanche de la Vie et de la paix.

8ème jour : Être assidus aux prières

Le dernier pilier – non moins important que les autres – est de persévérer dans la prière, thème que Luc a fortement souligné dans ses deux livres.

Jésus priait beaucoup, surtout lorsqu’il devait prendre une décision grave : il voulait absolument obéir aux ordres de son Père. Il a appris à ses disciples le magnifique « Notre Père ».

Donc nous serions bien mufles de ne pas nous adresser à notre Père dans la confiance et de le réduire à un St. Nicolas pour recevoir des cadeaux. Un baptisé serait bien goujat de ne pas s’adresser à Jésus qui a offert sa vie pour lui pardonner tous ses péchés. Un chrétien serait bien médiocre s’il n’obéissait pas à l’ordre ultime du Ressuscité : « Priez et attendez l’Esprit qui vous remplira de la force divine ».

La prière n’est pas un rabâchage de formules, un appel pour quémander une grâce. Elle est relation filiale, christique, spirituelle, l’âme de notre âme, un dialogue comme nous en avons en couple. Ou en famille. Elle est d’abord louange, adoration. Et aussi reconnaissance, gratitude, remerciement. Et aussi demande.

Remarquons que la messe du dimanche est le déroulement de ces quatre actions : écouter la Parole, vivre la communion fraternelle, partager le Pain de vie, prier pour l’Église et le monde.

9ème jour : Avec l’Esprit, témoins de Jésus

Nous voici à la veille de la grande célébration. Ne frétillons pas d’impatience dans l’espoir que surviennent demain des miracles ou des changements spectaculaires. La journée sera sans doute la même que les autres. Mais la prière n’est jamais perdue et elle a des effets que l’on ne remarque pas tout de suite.

Le don de l’Esprit n’a pas effacé le souvenir de la trahison des disciples mais il leur a donné la force de pardonner à leur tour. Ils vont comprendre qu’ils sont les membres du Corps du Christ : tous différents mais ne faisant qu’un. Ils vont être critiqués, jugés, condamnés : nul ne pourra éteindre leur joie. L’élan universel les emportera : il faut annoncer la victoire de la vie par le Ressuscité.

Et répéter sans cesse : « Viens Esprit-Saint ».

Raphaël Devillers, dominicain, Liège

6ème dimanche de Pâques – 14 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 15-21

Évangile de Jean 14, 15-21

Les voix intérieures

Au début de son discours d’adieu et comme nous l’avions découvert les dimanches précédents, Jésus a appelé tous ses disciples à croire en lui ; à croire qu’il est dans le Père et que le Père est en lui. Ensuite il les a exhortés à avoir une confiance absolue, à espérer toujours : oui, il va nous préparer une place dans la demeure de son Père. Et il continue maintenant en invitant vivre de son amour. « Croire en moi, c’est m’aimer » : dit Jésus. Cet amour n’est pas un sentiment éphémère, qui va et qui vient, mais c’est l’accueil des commandements qu’il nous a donnés. Il est donc important, essentiel même, de s’informer, de connaître l’enseignement de Jésus, de nous plonger dans sa vie et donc dans l’Évangile, de se mettre encore et toujours à l’écoute de la Parole.

Souvent, Jésus a donné des commandements à ses disciples : priez… veillez… ne cherchez ni l’argent, ni les premières places. Et encore : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » ou « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voilà le cœur de ce que Jésus nous demande. Et il nous le demande tout en nous laissant une liberté totale : « si vous m’aimez » … Jésus ne force pas, n’impose pas, mais il nous invite. À chacun de répondre selon sa générosité de cœur envers lui.

Certains d’ailleurs vont refuser, comme le jeune homme riche de la parabole, et Jésus le laissera partir … Des disciples vont décider de se séparer de Jésus. Certains, comme Judas, vont même le trahir. Et pensons à Pierre qui, par trois fois, le reniera. Cependant, toujours, comme le Père dans la parabole du Fils prodigue, Jésus accueille celui qui revient à lui : l’amour de Jésus est un amour parfaitement libre et donc libérateur.

Et pour nous venir en aide, pour nous aider au commandement d’aimer, toujours au cœur de son discours d’adieux, Jésus nous fait une promesse, celle de nous envoyer un défenseur. À tous les disciples inquiets, fragilisés, incapables de se défendre, de rester fidèles jusqu’au bout – et il y a là quelques ressemblances avec nous-mêmes –, Dieu va envoyer le Paraclet, qui est un terme issu de la Bible en grec, d’un verbe qui signifie ‘appeler quelqu’un auprès de soi’. C’est donc un Esprit conseiller, un avocat ou encore un interprète que Dieu nous envoie et que Jésus promet.

Voici l’Esprit, le Souffle d’amour entre Jésus et son Père qui vient vers nous, auprès de nous, en nous. C’est lui que notre foi appelle ; c’est lui qu’il convient d’accueillir de tout notre cœur. Nous devenons ainsi des hommes et des femmes animés par une force extraordinaire, capables de reconnaître que Jésus est en son Père autant qu’il est en nous et nous en lui. Jésus est plus qu’une grande figure du passé : il est l’incarnation de l’Amour parfait. Avec les Apôtres, nous pouvons affirmer que Jésus vivant est revenu vers nous, non pas comme un prophète que l’on suit ou comme un maître de sagesse que l’on écoute, mais comme une présence réelle intérieure qui, à son tour, nous donne la Vie nouvelle en abondance, nous réjouit et nous emporte. Depuis Pâques, nous avons découvert que, plus qu’un grand prophète ou un messie politique, Jésus est le Fils vivant en son Père : que c’est parce qu’il vit en nous que nous, nous vivons vraiment.

Mais comment reconnaître en nous la voix de l’Esprit Saint ? Parce que, parmi toutes les petites voix qui nous parlent intérieurement, certaines nous trompent et nous égarent ? Comment discerner la voix de Dieu ? C’est tout de même un peu plus compliqué que ce que nous donnent à voir les dessins animés : un petit ange à gauche ; un petit diable à droite qui nous parlent à l’oreille.

Bien sûr, quand survient en nous une parole qui évoque l’Évangile – et c’est d’ailleurs pour ça qu’il faut bien s’en imprégner – nous pouvons nous y fier. Dans le même ordre d’idée, lorsque surgit en nous une pensée qui nous donne un sentiment de grande paix, nous pouvons la suivre. Si le conseil des voix intérieures nous incite à mieux aimer, là aussi, il est assurément bon.

Mais parfois la petite voix de l’Esprit Saint est une voix qui bouscule, qui dérange et même nous perturbe ; une voix qui va à l’encontre de nos propres idées ou désirs ; une voix qui veut nous emmener là où nous ne souhaiterions peut-être pas forcément aller ; une voix qui nous invite à faire ce que nous ne ferions peut-être pas. C’est alors plus difficile de l’entendre, de la comprendre et de l’accepter. Et nous pourrions facilement l’étouffer. L’Esprit nous laisse libre, y compris libre de nous tromper.

On parvient à discerner la voix de l’Esprit-Saint en prenant l’habitude d’écouter nos petites voix intérieures et en prenant le temps de réfléchir à leur propos. Pourquoi telle idée me vient-elle ? Et pourquoi me vient-elle si souvent ? C’est à force de chercher à comprendre ce qui motive les voix qui nous parlent intérieurement que nous parvenons à discerner celles qui viennent de Dieu, de celles qui viennent de nous-mêmes ou celles qui viennent d’un esprit encore plus mauvais. Enfin, nous pouvons prier Dieu de nous éclairer sur les intentions de nos petites voix intérieures.

Prenons dès lors le temps de l’écoute, créons cet espace qui va permettre à l’Esprit Saint d’agir en nous, de déployer ses dons de sagesse, de conseil et de force, ses dons d’intelligence et de piété. Habités par le désir de nous transformer de l’intérieur, nous entrerons alors en dialogue avec celui qui veut faire en nous sa demeure, un lieu de rencontre et de dialogue intimes.

C’est ainsi, par cette œuvre de l’Esprit en nous, que la vie et les paroles de Jésus resteront actuelles, toujours personnelles, et que nous reconnaîtrons qu’il vit en nous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Que nous offre la vie selon l’Esprit ?

P. Sylvain Gasser, assomptionniste

De nombreux chrétiens, notamment issus de la mouvance charismatique, proclament haut et fort la présence de l’Esprit. Ils aiment à en confesser l’effusion dans leur vie et dans leurs groupes de prière. Là où se tisse la communion, là où s’élève la prière, là où surgit la guérison, là où abondent les prophéties, là où s’émancipent les langues, là est l’Esprit de Dieu. Mais la vie selon l’­Esprit nécessite-t-elle de connaître chacune de ces expériences?

Tirer l’Esprit uniquement du côté de la présence et de l’évidence est une façon de biaiser son identité et sa mission véritables. Le Souffle saint est « l’inobjectivable » par excellence. Il réalise la communion mais il marque aussi les écarts. Il maintient la distance entre Dieu et l’homme, entre l’homme et le cosmos. Il invite à respecter les différences. Sa présence n’est pas interférence. Attention au fusionnel et au confusionnel !

Quand nous essayons de comprendre le monde, nous sommes en droit de nous demander si l’Esprit y a sa place. Nous souhaiterions des signes évidents et nous ne recueillons que de maigres indices. Et nous entendons s’élever la petite musique de Jean : « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va » (3, 8). Insaisissable Esprit au souffle nomade! La liberté de l’Esprit ne finit pas d’étonner et de déjouer toute planification. Elle rompt la propension de l’homme à n’ouvrir ses oreilles qu’aux manifestations bruyantes et spectaculaires, elle brise la croyance accordée aux puissances de toute sorte qui empêchent d’ouïr « le murmure d’un fin silence » (1 R 19, 12). Ainsi le Souffle aiguise la soif.

Résistant à la fringale d’une expérience sensible de Dieu, nous avons cependant besoin de l’Esprit pour marcher vers la vérité. La venue du Règne de Dieu est le travail de l’Esprit, si bien que ce que nous découvrons comme vérité est toujours l’impact de l’Esprit dans l’histoire. Mais, selon la tradition biblique, cette vérité est de l’ordre de la promesse, non de l’évidence possédée. Dans cette épreuve du repérage de l’Esprit, « le premier de tous les vicaires du Christ » (cardinal Newman) est la conscience. Le problème moral d’aujourd’hui n’est pas le nombre de ceux qui n’écoutent pas le pape ou ne suivent pas les commandements de l’Église, mais le nombre de ceux qui ne suivent pas leur conscience, souffle de Dieu intérieur à leur expérience.

Une telle vie discernée dans l’Esprit offre à la conscience un chemin de liberté. Elle sonde et interroge le forum intime de la conscience sous la vigilance du Verbe, elle permet à l’homme de se livrer à l’énergie ténue mais bien réelle de l’Esprit de Dieu en soi. « Il vient un temps où l’homme doit prendre une position qui n’est ni prudente, ni politique, ni populaire mais doit la prendre parce que sa conscience dit qu’elle est juste » (Martin Luther King). Le supplément d’âme et d’esprit que nous appelons pour notre société n’est peut-être que le sursaut enflammé de notre conscience.

5ème dimanche de Pâques – 7 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 1-12

Évangile de Jean 14, 1-12

Tous prêtres

Le 5ème dimanche de Pâques est, chaque année, l’occasion de réfléchir, méditer et prier pour les ministères dans l’Église. La première lecture nous racontait l’institution des sept premiers diacres, la lettre de Pierre nous parlait du sacerdoce chrétien et l’Évangile nous explique que, grâce au Christ, nous avons tous notre demeure auprès de Dieu.

Le diacre est celui qui est chargé par l’Église de ce qu’on appelle le « service des tables ». Et sans doute son rôle le plus visible est-il celui de dresser l’autel pour célébrer la messe. Et puisque nous disons que la Parole de Dieu est, pour nous, une nourriture, il convient que ce soit lui aussi qui lise l’Évangile. Mais le diacre a aussi un rôle moins visible et tout aussi important : le service de la charité de l’Église. Le livre des Actes des Apôtres raconte que « les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées ». Dans l’antiquité, être veuve était un drame parce que seuls les hommes pouvaient accéder à un salaire. Être veuve signifiait devoir mendier et ne pouvoir vivre que de la générosité des autres. En fait, l’institution des diacres, c’est l’institution du tout premier service social de l’Histoire. Et c’est sans doute surtout à cause de ce service – qu’on appelle la diaconie – que l’Église a eu beaucoup de succès dans les premiers temps. Ce n’est pas tant parce qu’elle avait de belles idées ou un joli message – bien que ce soit important – mais c’est parce qu’elle s’est fait tout de suite un devoir de s’occuper des petites gens. Le diacre est à l’image du Christ qui prend soin des pauvres, des malades et de ceux qui ont faim. C’est tout cela qu’on appelle le service des tables.

Le prêtre, lui, est chargé de « présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ » dit la Lettre de Pierre. D’abord le sacrifice de lui-même dans la prière. Le rôle essentiel du prêtre c’est de prier pour la partie du peuple de Dieu qui lui est confiée. Au fond, le prêtre c’est celui qui vit en permanence dans la demeure de Dieu, qui parle de Dieu au peuple ou du peuple avec Dieu.

A bien y regarder, si on se borne à cette définition, elle convient à tous les baptisés. Nous sommes tous invités à offrir des prières et à sacrifier de nous-même pour tous ceux qui nous sont confiés. Nous sommes tous appelés à vivre dans la « demeure de Dieu ». Nous pouvons tous diriger la prière au sein de nos familles, groupes d’amis, etc. Nous pouvons tous bénir ceux qui nous entourent. Nous pouvons tous faire du catéchisme à ceux qui voudraient grandir dans la foi. Nous pouvons tous lire, méditer, nous former et prier pour ceux que Dieu nous confie. On peut lire l’Évangile en famille, on peut simplement montrer à ses enfants, à ses proches qu’on prie pour eux. Voilà ce qu’est « être prêtre ».

L’onction baptismale a fait de nous des Christs, c’est à dire des prêtres, des prophètes et des rois. Prêtres dans le sens que le baptême nous rends aptes d’offrir nous-mêmes des sacrifices et à conduire la prière ; prophètes parce qu’il nous permet, des signes actuels, de mieux entrevoir l’avenir ; rois parce qu’une foi adulte rend capable de se gouverner soi-même. La perspective de l’avenir et le gouvernement adulte, nous les envisageons assez bien. Mais la prêtrise de tout baptisé ?

Remarquons enfin que la distinction prêtre, prophète et roi implique que le gouvernement ou le discernement de l’avenir n’appartiennent pas qu’aux prêtres.

Ainsi, à coté du sacerdoce commun à tous, il y a aussi les prêtres ordonnés, ceux dont la mission est toute entière d’offrir des « sacrifices spirituels, agréables à Dieu », ceux dont la vocation est de faire de leur vie une incessante prière pour le peuple. C’est pourquoi l’Église attend d’eux un certain professionnalisme religieux dont elle pose les conditions, notamment celle du célibat, comme signe d’un cœur à demeure au près de Dieu.

Je gage que toutes les questions qui agitent fort l’Église en ce moment, notamment relatives au statut des prêtres seraient bien vite apaisées si chacun voulait bien se souvenir que chaque baptisé est en soi prêtre. On ne résoudra pas les problèmes d’emprise ou de vocations par le mariage des prêtres, ces réponses sont trop simplistes et assurément fausses. De même, les revendications pour l’ordination des femmes, qui ne sont que des revendications de pouvoir – lesquelles sont légitimes mais confondent ici prêtre et roi, dans ce qui reste une vision cléricale du sacerdoce. Quiconque revendique l’ordination sacerdotale l’envisage sous l’angle du prestige et du pouvoir alors qu’en réalité il s’agit, à la suite du Christ, de s’offrir soi-même en sacrifice, de choisir la position de serviteur jusqu’au don de sa vie, laquelle n’est certainement pas une position enviable.

Le seul véritable prêtre c’est le Christ : « personne ne va vers le Père sans passer par [lui] » et, à sa suite, nous sommes tous prêtres, appelés à lui rendre un culte par nos vies. Aux prêtres ordonnés, il ne reste finalement que l’intendance des sacrements. Le reste – le gouvernement, les perspectives d’avenir, le témoignage de foi apporté au monde – tout cela appartient au peuple de Dieu. « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »

Je vous en prie, soyez tous prêtres dans la vie de tous les jours : allez dire aux gens que vous priez pour eux, que vous êtes prêts à vous sacrifier pour eux.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Baptisés – Tous prêtres, prophètes et rois

Lettre pastorale de Mgr Jean Legrez, op.,
Archevêque d’Albi
Extraits

Le sacerdoce du Seigneur Jésus consiste à s’offrir lui-même : « Quand il s’offre pour notre salut, il est à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (Préface de Pâques, V). Configuré au Christ par le baptême, être prêtre devient l’apanage de chaque baptisé. « Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont « re-nés » non d’un germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la Parole du Dieu vivant (cf. 1P 1, 23), non de la chair, mais de l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3, 5-6), ceux-là constituent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant maintenant le Peuple de Dieu. » (1P 2, 9-10) » (LG n°9) Saint Jean- Paul II, développant la pensée du Concile, a précisé dans son exhortation apostolique Christifideles Laici : « Le baptême signifie et produit une incorporation mystique mais réelle au Corps crucifié et glorieux de Jésus. Par le moyen du sacrement, Jésus unit le baptisé à sa mort pour l’unir à sa résurrection, le dépouille du « vieil homme » et le revêt « de l’homme nouveau », c’est-à-dire de Lui-même. » (CL n°12) Déjà dans sa première épître, l’apôtre Pierre s’adressant aux baptisés écrivait : « Soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. » (1P 2, 5)

Saint Jean-Paul II décrit avec précision le sacerdoce commun des fidèles dans la même exhortation : « Les fidèles laïcs participent à l’office sacerdotal, par lequel Jésus s’est offert Lui-même sur la Croix et continue encore à s’offrir dans la célébration de l’Eucharistie à la gloire du Père pour le salut de l’humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l’offrande d’eux-mêmes et de toutes leurs activités (cf. Rm 12, 1-2). Parlant des fidèles laïcs, le Concile déclare : « Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1P 2, 5) ; et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l’oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d’adoration. » » (CL n° 14)

Ainsi, il est clair qu’il ne s’agit pas pour les fidèles laïcs d’imiter tel ou tel aspect des activités d’un ministre ordonné. Comme le prêtre dans l’Ancienne Alliance est celui qui offre au Temple le sacrifice, l’office sacerdotal de chaque baptisé consiste d’abord et avant tout dans l’offrande de toute son existence en union avec le Christ. Par le baptême, nous sommes devenus enfants de Dieu, appelés à vivre à la manière du Fils premier-né, le Christ, en imitant donc son obéissance au Père jusque dans sa passion et sa mort sur une croix. Jésus est le grand prêtre parfait qui, par son offrande, a obtenu pour l’humanité une libération définitive : « Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 14). C’est l’Esprit Saint, obtenu en faveur des croyants par la Pâque du Christ, qui les rend capables d’entrer dans les sentiments de Jésus et d’offrir à leur tour leur vie au Père en union avec lui et comme lui.

Cet acte d’offrande, auquel chaque baptisé est appelé, embrasse tous les aspects de son existence, se vit dans la prière et culmine dans une participation active à chaque eucharistie spécialement lors de l’eucharistie dominicale. « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, les fidèles offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent une part originale dans l’action liturgique. » (LG n° 11) Chaque jour, au Temple de Jérusalem, le prêtre, matin et soir, offrait un sacrifice et laissait brûler l’encens dont la fumée parfumée montant vers le Ciel était l’expression de la confiance d’Israël en son Dieu et de son abandon à sa Providence. Le Christ offrant sa vie sur la croix s’inscrit pour une part dans la tradition des sacrifices de l’Ancienne Alliance, mais d’une manière tout à fait nouvelle puisque par le don de son propre sang, non plus celui d’animaux, son sacrifice est d’une efficacité absolue.

Être prêtre consiste à s’unir de tout son être aux sentiments du Christ accomplissant la volonté du Père sur la croix pour le salut du monde. À vue humaine, cela paraît impossible, mais je constate dans la vie des saints que lorsqu’ils choisissent de remettre totalement leur vie à Dieu, ils vivent dans la joie et portent du fruit. « Père, entre tes mains je remets mon esprit » : la dernière parole de Jésus en croix, devient le maître mot de tout baptisé et exprime parfaitement l’exercice du sacerdoce commun des fidèles.

Saint Pierre l’écrit dans sa première épître « à ceux qui sont choisis par Dieu » ; c’est-à-dire les fidèles du Christ : « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1P 2, 9) Par une vie offerte, le baptisé exerce le sacerdoce commun des fidèles et, simultanément, il fait déjà connaître le salut accordé par l’unique grand prêtre, Jésus-Christ.

Pascal et la Proposition Chrétienne

Extraits de l’Avant-Propos

« … La perplexité et le doute qui marquent toujours plus profondément la conscience de soi des Européens (…)…tient pour une large part, il me semble, à une cause qui n’est pour ainsi dire jamais mentionnée : les Européens ne savent que penser ni que faire du christianisme. Ils en ont perdu l’intelligence et l’usage. Ils ne veulent plus en entendre parler…

Elle (l’Europe) a décidé de naître à nouveau. A nouvelle naissance, nouveau baptême, ce sera un baptême d’effacement. Elle déclare publiquement, elle le prouve par ses actions : l’Europe n’est pas chrétienne, elle ne veut pas l’être. Elle veut bien être autre chose, elle est entièrement ouverte à toutes les autres possibilités, elle veut bien même n’être rien, n’être que le possible de tous les possibles, mais elle ne veut pas être chrétienne.

C’est à peu près au mitan du XVIIème siècle que la grande, l’énigmatique décision a été prise, la décision de construire le Souverain, l’Etat souverain.

C’est à ce moment-là et dans cette conjoncture que fut repensée et reformulée par Blaise Pascal, sous une forme fragmentaire et inachevée mais singulièrement puissante, ce que j’appelle la proposition chrétienne, entendant par là l’ensemble lié des dogmes ou mystères chrétiens, en tant qu’ils sont offerts à la considération de notre entendement et au consentement de notre volonté, et qu’ils entraînent une forme de vie spécifique…

L’œuvre de Pascal est l’objet d’une tradition critique particulièrement riche. Il est l’un de nos auteurs les plus continûment et les plus judicieusement et savamment commentés. Je n’ai pas prétendu apporter une contribution significative à cette tradition critique. J’ai cherché l’aide et l’appui de Pascal pour retrouver les termes exacts et ressaisir la gravité et l’urgence de la question chrétienne – celle de la foi chrétienne, de la possibilité de la foi chrétienne.

Y a-t-il quelque détour, quelque artifice à employer la force de plus fort que soi pour poser la question la plus personnelle ? C’est en tout cas cette question qui est l’objet de ce livre.

P. Manent : Pascal et la proposition chrétienne
Éd. Grasset – 24 euros

Autres ouvrages de l’auteur :

  • La loi naturelle et les droits de l’homme ( coll. Que sais-je ?)
  • Situation de la France (éd. D.de Brouwer 2015)
  • Montaigne. La vie sans loi (éd. Flammarion 2014 – Champs poche 2021)
  • Les métamorphoses de la cité. Essai sur la dynamique de l’Occident (éd. Flammarion 2010. – Champ 2012)