Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

La disparition du Diable


Année C — 14e dimanche du Temps Ordinaire — 6 juillet 2025

Évangile selon saint Luc 10, 1-12.17-20

Combien de fois n’avons-nous nous pas entendu cette citation de l’Évangile « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux » ? Souvent pour appeler à prier pour les vocations. Nous avons tous une vocation religieuse. Tous nous sommes appelés à être les ouvriers de notre vie spirituelle. Comme les relations d’amour, la vie spirituelle se travaille, s’entretient. Un peu comme on cultive un jardin. Dis-moi, est-il beau le jardin de ton âme ?

Qu’est-ce que le Royaume de Dieu dont Jésus nous demande de proclamer la proximité ? Est-ce simplement la perspective d’un Paradis au-delà de la mort ? Ce Royaume que Dieu nous présente comme un banquet de noces auquel il ne cesse de nous inviter est-il seulement celui de la fin des temps ? Est-ce cela, la fin des temps, que le Christ nous annonce toute proche ?

Le Règne de Dieu, c’est celui de son Amour. Et si le Christ insiste tant pour dire qu’il s’est rendu tout proche de nous, c’est parce qu’il est accessible dès à présent. Il nous est possible de vivre d’un amour divin, de la plénitude de l’Esprit Saint, dès ici-bas. Il est possible que le jardin de notre âme soit un magnifique jardin et notre vie en ce monde un perpétuel banquet de noces où l’on célèbre l’amour entre les personnes.

Mais parfois dans notre jardin, il y a des mauvaises herbes, des ronces qui l’envahissent, comme parfois dans notre cœur ne coule pas le vin magnifique de l’amour mais le vin aigre du ressentiment, du mépris voire de la haine. Parfois, au lieu de nous laisser gagner par l’Esprit Saint, notre âme se fait envahir par un esprit mauvais et, au lieu de trouver la paix du cœur, nous souffrons et nous perdons espoir. A force, ces ronces dans notre âme, ce vinaigre qui coule parfois en nous, ces mauvais états d’esprit, le ressentiment, le mépris, la haine qui nous envahissent peuvent susciter le découragement – le jardin de notre âme n’est alors plus entretenu – ou pire, la dépression – et notre jardin est alors laissé à l’abandon …

Ainsi, on comprend que, pour trouver la paix de l’âme, il faut lutter contre ces assauts d’esprits mauvais. Voilà le rôle de l’ouvrier pour la moisson : désencombrer les âmes de tout ce qui les assaille, les étouffe et les fait dépérir. Et tous, nous sommes appelés à le faire. C’est le sens de l’exclamation des disciples : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »

On ne parle plus beaucoup du Diable ni des démons aujourd’hui. Un peu comme si tous ces discours qui parlent d’Enfer étaient d’un autre temps – des images archaïques, au fond, pour effrayer les gens simples …

Dans le discours de l’Église, le Diable a disparu dans les années 1970. C’est un phénomène qui a commencé plus tôt. Sans doute, après les horreurs de la Seconde guerre mondiale, était-il plus difficile de prêcher sur l’Enfer. Mais on constate qu’à partir des années 70, presque plus aucun livre de théologie ne paraît sur les anges et les démons ; les homélies qui évoquent le Diable et l’Enfer deviennent rarissimes. L’obsession était alors celle du sens – tout alors devait avoir un sens – et ce dont on ne comprenait plus le sens, il fallait l’évacuer. Adieu l’encens, adieu toutes les dévotions populaires, adieu les élans mystiques, adieu les miracles, adieu les dogmes incompréhensibles ! L’évacuation du mystère au sein du discours de l’Église est, pour ma part, la principale cause de la désertification de nos assemblées. Pour rejoindre le plus de monde possible, il fallait tout simplifier, tout rationaliser, tout expliquer, tout psychologiser. Se voulant accessibles, les discours religieux sont devenus spirituellement plats, n’évoquant plus les mystères d’une relation affective avec Dieu. A nos ambons, le relationnel humain a pris le pas sur le spirituel. Je crois fort en l’urgence de reprendre le discours mystique, sinon nous ne sommes plus qu’une philosophie du vivre ensemble, ce qu’un bon repas convivial peut sans doute mieux réaliser qu’une messe.

Le Diable existe, l’Enfer existe et il nous arrive d’être assaillis par des démons. Si nous voulons que des expressions telles que « vivre un enfer » ou « faire face à ses démons » aient un sens, il faut bien que « enfer » et « démons » aient quelque réalité. De même, quand on parle d’élans diaboliques ou de pulsions démoniaques, on comprend bien qu’il s’agit de réalités qui nous dépassent. Il y a des gens qui vivent un enfer, il y a des gens qui sont sous l’emprise d’esprits mauvais, nous-mêmes il nous arrive d’être assaillis par de mauvais sentiments.

Le Christ, par le don de l’Esprit Saint, nous a donné tous pouvoirs sur les assauts d’esprits mauvais. « Les esprits vous sont soumis » dit Jésus. Les démons qui nous assaillent n’ont que le pouvoir que nous leur laissons. Ils peuvent certes nous faire de terribles suggestions – ainsi la tentation n’est pas un péché – mais Dieu nous donne aussi la force spirituelle, son Esprit d’Amour, pour y faire face et résister.

Vous avez le pouvoir de rendre vie aux personnes dépressives, par amour.
Vous avez le pouvoir de consoler celles qui sont en deuil, par amour.
Vous avez le pouvoir de faire taire tous les élans de haine, d’apaiser toutes les peurs, d’assécher toutes les larmes, par amour.
Vous avez le pouvoir de chasser tous les démons, par amour.
Vous avez ce pouvoir pour les autres, et vous l’avez pour vous-mêmes.

« Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » dit Jésus. On peut certes le comprendre comme la méchanceté du monde qui refuse la parole de Dieu et persécute celui qui en témoigne. Mais on peut aussi le comprendre comme ‘Je vous envoie combattre les loups qui assaillent votre âme’.

La spiritualité chrétienne est un sport de combat. Et c’est un beau combat. La paix du cœur est à ce prix : lutter patiemment, assaut après assaut, contre les attaques d’esprits mauvais qui parfois nous emportent. C’est ainsi que nous verrons sortir de notre âme pulsions de haine, de mépris, de désespérance, de désordres affectifs et comportementaux.

Donne-nous de croire, Seigneur, que nous pouvons triompher de tout esprit mauvais, grâce à la puissance mystérieuse de ton Amour et que c’est ainsi que nous sommes sauvés.

« Le Royaume de Dieu est tout proche de vous ».

— Fr. Laurent Mathelot OP


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