14ème dimanche – Année B – 4 juillet 2021 – Évangile de Marc 6, 1 – 6

Évangile de Marc 6, 1 – 6

Jésus Méconnu parce que Trop Connu

Émerveillés par la guérison de la femme et surtout par la réanimation de la petite fille de Jaïre, les spectateurs devaient sans doute supplier Jésus de prolonger son séjour parmi eux: il y avait tant de malades à guérir. On l’adulerait, on le comblerait de cadeaux, on l’inviterait partout. Mais Jésus n’est pas du genre à s’attarder sur la scène afin de goûter les applaudissements de ses « fans ». Il n’est pas venu pour réaliser des « exploits » ni pour se laisser enfermer dans une réputation. Tournant le dos aux supplications, Jésus « sort de là » (il s’agissait peut-être de Capharnaüm au bord du lac) et décide de se rendre dans son village, Nazareth. Dans Marc, Jésus est toujours en train de sortir de quelque part pour aller ailleurs. Il n’a pas de temps à perdre.

Jésus chez les siens

Sorti de là, Jésus se rendit dans son lieu d’origine, et ses disciples le suivirent. Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue.

Marc n’a rien dit de l’enfance de Jésus et a commencé son évangile par le baptême conféré par Jean-Baptiste : Jésus s’y était présenté venant de Nazareth, petit village sans histoire, et il devait avoir environ une trentaine d’années. On s’était étonné de ne pas voir revenir le charpentier et plus encore quand la rumeur s’était répandue : Jésus circulait dans les villages au bord du lac, il proclamait que le Règne de Dieu s’approchait, il opérait des guérisons et des exorcismes. Des foules nombreuses venaient de partout pour l’écouter.

Aujourd’hui, pour la première fois, l’enfant du village est de retour. Comme d’autres l’ont fait avant eux, les responsables de la synagogue invitent le revenant à prendre la parole lors de l’assemblée du prochain sabbat. La synagogue est bondée, le chant des psaumes retentit puis le silence est total quand le célébrant invite Jésus à monter à la tribune pour lire une page d’Écriture et « enseigner ».

« Enseigner » : telle est l’œuvre fondamentale de Jésus depuis ses débuts à la synagogue de Capharnaüm (1, 21) : Marc le répète à 15 reprises mais, curieusement, il ne précise jamais l’objet de cette prédication. Il note seulement sa nouveauté : « Jésus parle avec autorité ». Cela ne signifie pas que Jésus crie ni commande comme un chef mais, à la différence des scribes, il ne s’appuie pas sur des citations de maîtres reconnus pour valider ses affirmations. Sa Parole tient sa force d’elle-même.

Jésus scandalise

De nombreux auditeurs, frappés d’étonnement, disaient : « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains ? N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » Et ils étaient profondément choqués à son sujet.

La plupart des assistants connaissent très bien Jésus : certains jouaient avec lui quand il était enfant, ils ont grandi avec lui dans le village. Ils ont bien connu son père Joseph qui lui a transmis son métier et qui est mort il n’y a guère, ils connaissent sa mère Marie, ses frères et ses sœurs. On sait qu’il y a débat sur cette famille : l’Église catholique croit que Jésus est fils unique de Marie et que « frères et sœurs » sont en fait ses cousin(e)s.

D’autres prennent les nominations à la lettre.

Toujours est-il que Jésus, comme chacun de nous, est cadré parmi les siens et dans sa profession. Tous savent qu’il est un homme ordinaire, qu’il n’a reçu que l’instruction habituelle sans faire d’études supérieures. Contrairement aux affirmations de certains farfelus, il n’est jamais parti en Égypte ou ailleurs pour être initié à un savoir ésotérique ou apprendre des formules magiques.

Alors comment se fait-il que son enseignement révèle une telle sagesse ? Par quel pouvoir réalise-t-il ces guérisons qui ont eu tant de témoins ? Le prédicateur que l’on découvre ne correspond absolument pas à la connaissance que l’ensemble du village a de lui. Et loin de se réjouir de ce changement, on est choqué, on le trouve anormal. Le scandale est général.

Jésus leur disait : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa parenté et sa maison. »

Et là il ne pouvait accomplir aucun acte de puissance; il guérit seulement quelques malades en leur imposant les mains. Et il s’étonna de leur manque de foi.

Le constat de Jésus devant ce mur d’incrédulité est dur, notamment pour la famille dont Marc avait déjà pointé les résistances. A Capharnaüm, « des gens de sa parenté vinrent pour s’emparer de lui car ils croyaient qu’il avait perdu la tête » (3, 21). Marc enchaîne avec le jugement des scribes : « Il a le diable au corps »(3, 22). Et il poursuit avec le retour de sa mère et de ses frères qui, empêchés par la foule, font appeler Jésus et, au lieu d’obéir, celui-ci répond sèchement : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui font la volonté de Dieu » (3, 35).

Après Marc, Matthieu et Luc adouciront quelque peu cette critique en supprimant « sa parenté ».

Et la preuve que Jésus n’est pas un magicien qui opère des exploits pour manifester sa puissance et s’attirer des disciples, c’est qu’il est seulement réduit à guérir de rares malades par l’imposition des mains. Il y a un lien profond entre son action et la foi : si celle-ci manque, si elle n’est qu’attente d’un spectacle, si elle tient Jésus enfermé dans l’idée qu’on se fait de lui, elle empêche l’action. La non-foi, le scepticisme ne permet pas la guérison puisque le but de celle-ci est précisément de révéler la connaissance profonde de Jésus.

Les siècles ont passé et la grande majorité de la « patrie » de Jésus – Israël – ne l’a toujours pas reconnu. Mais nous-mêmes, les bons catholiques, n’avons-nous pas tendance, nous aussi, à enfermer Jésus dans un certain portrait ? L’éducation familiale, le catéchisme nous ont inculqué quelques idées, la pratique de certains rites, une moralité honnête mais acceptons-nous que Jésus passe, repasse et nous entraîne toujours ailleurs, toujours plus loin ? Ne sommes-nous pas arrêtés à une conception figée ? Nous voulons que l’Église demeure celle que nous avons découverte dans l’enfance, que l’Évangile reste un message tel que nous l’avons accepté jadis ? Si Dieu est venu dans l’histoire, c’est bien pour nous montrer que la fidélité est dans le changement.

Martin Luther disait : « Il vaut beaucoup mieux pour toi que le Christ vienne par l’Évangile. S’il entrait maintenant par la porte, il se trouverait chez toi, et tu ne le reconnaîtrais pas ».

Primat de l’Enseignement

Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant.

Ni fier de son succès à Capharnaüm ni découragé par son échec à Nazareth, Jésus reprend son itinérance et à chaque occasion, il enseigne. Invité dans les synagogues, il commente les Écritures : à l’instar des prophètes, il montre comment Dieu réalise son projet dans l’histoire, il encourage à obéir à sa volonté, il dénonce les manques de justice, défend les droits des pauvres. Il se situe dans le droit fil des prophètes qui rappelaient les exigences de la Loi.

Au bord du lac et partout où des gens l’interpellent, il ne perd aucune occasion de parler du Royaume. Il ne fait pas des conférences à un public d’intellectuels, il s’adresse aux gens de tous milieux, sans exiger ni argent ni test de moralité. Lui, le simple charpentier, il a plus que les maîtres le génie des paraboles. Le grain de blé, une lampe, le sel, le rapport des ouvriers à leur patron, même la filouterie d’un intendant, la fugue d’un fils : les moindres réalités du quotidien, les petits événements de la vie lui servent, bien mieux que les abstractions des scribes, à introduire dans la réalité du Royaume de Dieu.

La prédication est un énorme point faible de notre Église. Alors que le monde a prodigieusement changé, que le champ des connaissances s’est élargi, que les études bibliques ont ouvert à de nouvelles lectures des Écritures, que des religions diverses se rencontrent, des multitudes de pratiquants en restent à un vague sentiment religieux et n’écoutent pas ce que Pierre disait aux premiers chrétiens : « Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte » (1 Pi 3, 15).

L’Eucharistie n’est pas qu’un moment sacré où l’on consacre et consomme le Pain et le Vin : elle est un repas familial auquel le Christ nous invite. La moindre politesse est de se sentir très honoré d’y être invité, de se presser pour y arriver à l’heure, d’attiser son désir d’écouter la Parole qui éclaire, Les paroissiens se doivent de demander des conditions d’écoute parfaite, de se plaindre de lectures incompréhensibles. Le peuple peut-il s’exprimer en-dehors des chants ? La question se pose depuis longtemps.

Des multitudes de pratiquants prennent énormément de temps devant leur écran, pour s’informer de politique ou de sport, se distraire devant les « séries », être à l’affut des annonces publicitaires. Combien s’abonnent à des médias chrétiens qui les renseignent sur la vie de l’Église, les aident à réfléchir sur les enjeux de la foi aujourd’hui ?

J’assume ma part de responsabilité dans les défaillances de l’ « enseignement » de l’Église puisque j’ai été accepté dans l’Ordre des Frères Prêcheurs.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Véronique Devise, à la tête du Secours catholique France

Véronique Devise, 56 ans, doit succéder ce mardi 15 juin à Véronique Fayet à la présidence du Secours catholique. Originaire du Pas-de-Calais, cette assistante sociale de formation est réputée pour son écoute et son efficacité.

Quand on lui parle de ce nouveau poste à la tête du Secours catholique elle désamorce d’un sourire : « Au Secours catholique on ne prend pas de responsabilité, on répond à un appel ». Elle y voit surtout « l’aboutissement de quinze ans d’engagement au sein du Secours catholique ». « J’ai dit oui pour continuer à lutter contre la pauvreté et ses causes mais j’ajouterai avec les pauvres. Avec et à partir des pauvres ».

Quinze ans au Secours catholique

Véronique Devise, 56 ans, mère de quatre enfants et grand-mère de bientôt cinq petits-enfants, a constamment choisi d’orienter sa vie vers les plus démunis. Par son métier d’assistante sociale d’abord, qu’elle exerce depuis une trentaine d’années. elle travaille en milieu hospitalier en pédiatrie, où elle accompagne des familles avec des enfants atteints de maladie incurable. Puis enchaîne avec une expérience dans une structure d’insertion professionnelle, une autre d’aide à la personne et une dernière consacrée à l’accueil des personnes handicapées.

« Les parents étant souvent en situation de pauvreté, quand on a des enfants porteurs d’un handicap, parfois le handicap a une origine sociale et non génétique. Elle prend son origine dans la pauvreté des familles …Je trouvais qu’on ne comprenait pas toujours assez la complexité de ces familles que l’on condamnait un peu vite. »

Une vie professionnelle riche, tournée vers les plus fragiles, à laquelle il faut ajouter ses nombreuses activités bénévoles et associatives. Bénévole dans une prison elle a par la suite lancé un groupe de parole pour les personnes atteintes de longue maladie incurable.

« Et les orientations du Secours catholique permettent vraiment de réfléchir à comment accompagner, comment remettre les gens debout ». Véronique parle calmement, doucement. « Si on regarde dans les évangiles, songez que les trois-quarts des textes sont liés à des personnes exclues ! ». Parmi les figures qui l’inspirent on retrouve saint François d’Assise « qui a su défendre les plus pauvres avec une grande humilité ». Mais aussi le pape François « qui a connu toutes les pauvretés dans son pays et qui a une profonde sensibilité aux plus pauvres ».

« Pour moi c’est le vrai message : l’Église doit aller aux périphéries et notamment dans ces lieux où personne ne va », reprend-t-elle.

L’ancien Président du Secours catholique de 2008 à 2014, François Soulage, a lui aussi marqué Véronique Devise. « En voyant sa manière d’agir en tant que chrétien au niveau politique, j’ai réalisé qu’il fallait que je travaille cela, que je réussisse à assumer et témoigner de mes convictions religieuses ». D’ailleurs, pas question pour elle d’enlever le terme « catholique » du nom de l’association. « Dans le Secours catholique, le « catholique » est important ! On se pose régulièrement la question de l’enlever mais cela dit quelque chose de qui nous sommes. Il faut l’assumer tout simplement. »

C’est la parabole du Bon Samaritain que Véronique évoque spontanément lorsqu’on lui demande un passage de la Bible qui l’a nourri particulièrement. « Il y a deux messages importants dans ce texte », détaille-t-elle. « Je retiens que le plus important est d’aller vers son prochain, vers la personne souffrante ». « Ensuite, tout simplement, nous ne sommes pas seul. Le Bon Samaritain fait appel à l’aubergiste. Au Secours catholique nous fonctionnons en réseau, nous ne sommes pas isolés les uns des autres. Dans les situations les plus complexes on a besoin des autres. Seul, on ne peut y arriver ».

Deux certitudes fondatrices pour Véronique Devise : « Il ne faut pas réduire les personnes à leurs difficultés, leurs fautes ou leurs incompréhensions. En chacun de nous on peut appeler ce fond de l’homme qui est bon et qui peut donc nous donner l’espérance que le monde sera meilleur demain. Et je pense qu’il est en route ».

(Dans Aleteia 16 juin 2021)

Échos du Monde

82,4 millions, c’est le nombre de personnes fuyant les guerres, les persécutions et les exactions, souligne le rapport annuel l’Agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) publié vendredi 18 juin. Ce chiffre, qui compte le nombre de réfugiés, de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et de demandeurs d’asile, est deux fois plus élevé qu’il y a dix ans. Aujourd’hui, 1% de l’humanité est déplacé et il existe deux fois plus de « personnes déracinées » qu’il y a dix ans quand le nombre total atteignait environ 40 millions. (in Aleteia 20 6 21)

17 juin, Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse, l’Unicef alerte. En Afrique, plus de 220 millions d’enfants et leurs familles ne disposent pas d’eau potable. L’impact est croissant: 58 % des enfants d’Afrique orientale et australe et 31 % des enfants d’Afrique occidentale et centrale vivent dans des zones où la vulnérabilité à l’eau est élevée, voire extrêmement élevée. La situation ne fera qu’empirer, car le changement climatique entraîne des phénomènes météorologiques extrêmes et imprévisibles et la croissance démographique a des répercussions sur les ressources en eau en raison de l’augmentation de la demande et de la concurrence pour l’eau. (Cathobel 18 6 21)

Terre solidaire. Comité catholique contre la faim – En Amérique latine, 1 % des plus riches concentrent 40 % des richesses. Ils ne partagent qu’à 3, 8 % des recettes publiques. L’Amérique latine est la région la plus inégalitaire du monde.- Il est impérieux d’instaurer un impôt sur la personne. – Notre action de solidarité repose sur des partenariats avec des organisations locales. Chaque année, nous avons un impact positif sur la vie de plus de 2, 4 millions de personnes dans le monde. (Communiqué 23 6 21)

Gand – Belgique. Une professeur de l’université a ouvert la première clinique belge pour chats et chiens obèses. Nombre d’animaux de compagnie souffrent en effet de surpoids (Journal « La Libre » 28 05 21).

13ème dimanche – Année B – 27 juin 2021 – Évangile de Marc 5, 21- 43

Évangile de Marc 5, 21- 43

O Mort, où est ta victoire ?

( 1 Cor 15, 55)

Après l’enseignement des paraboles, les miracles de Jésus se succèdent : dans la barque chahutée sur le lac de Galilée, Jésus d’un mot intime à la tempête l’ordre de se calmer. Puis en terre païenne de Décapole, Jésus rencontre un fou furieux qui rôde dans les cimetières, se taillade le corps, échappe à toute tentative de le maîtriser : d’un mot encore Jésus exorcise l’homme de son instinct de mort et transforme sa violence en douceur. Mais la liturgie saute ce récit pittoresque et enchaîne aujourd’hui avec la suite : Jésus et ses disciples repassent le lac et, de retour en Galilée, il réalise deux miracles : il guérit la femme souffrant de pertes de sang puis – sommet du récit – il rend même la vie à une fillette morte.

J’emploie à tort le mot « miracle » car ce terme n’est presque jamais employé par l’évangéliste. En effet il ne s’agit pas d’actions d’éclat que l’on regarde, que l’on « ad-mire » de l’extérieur ou qui laissent plus ou moins sceptique. A la différence des historiens et des journalistes qui multiplient les notations pour nous convaincre de la véracité des faits relatés, Marc ne fait aucun effort pour nous prouver que « ça s’est bien passé comme cela ».

D’emblée il a affiché son dessein: il est un évangéliste qui écrit dans les années 70 à Rome dans le but de montrer que l’homme ordinaire Jésus n’est pas seulement un prophète ni un guérisseur mais qu’il est le Messie, le Fils de Dieu – donc celui devant qui toute personne doit prendre sa décision ultime. Et Marc connaît la fin de l’histoire : la passion et la résurrection de Jésus. Il rédige et compose son récit, certes basé sur le réel, mais qui rend raison de sa foi personnelle et qui invite le lecteur, en toute liberté, à partager cette confiance exceptionnelle.

Comme dit un exégète, la question n’est pas : « Est-ce que ça s’est passé comme cela ? » mais « pourquoi est-ce écrit de telle façon ? ». Car c’est alors que la foi n’est plus seulement une connaissance indécise donc inutile mais devient une rencontre personnelle donc un engagement qui change la vie. L’Évangile n’est plus le titre d’un livre mais la Bonne Nouvelle qui me libère et me fait vivre.

Selon un procédé dont Marc use à plusieurs reprises, les deux récits de la fillette et de la femme sont placés « en sandwich » : le premier commence puis est interrompu par le second pour se poursuivre ensuite.

L’Appel du père angoissé

De retour en Galilée, Jésus est accueilli par la foule heureuse qui se presse autour de ce grand guérisseur. Tout à coup un responsable de synagogue, nommé Jaïre, tombe à ses pieds et le supplie avec insistance : « Ma petite fille est près de mourir : viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive ». Jésus s’en va avec lui : une foule nombreuse l’écrasait dans la ruelle étroite.

Le contact de la Femme hémorroïsse

Une femme qui souffrait d’hémorragies depuis 12 ans et qui avait dépensé tous ses biens chez des médecins sans aucune amélioration, avait appris ce qu’on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. Elle se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée ». A l’instant sa perte de sang s’arrêta, elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus s’aperçut qu’une force était sortie de lui. Il se retourna : « Qui a touché mes vêtements ? ». Ses disciples lui disent : « La foule te presse et tu demandes : qui m’a touché ? ». Il regardait tout autour de lui. La femme, craintive et tremblante, vint se jeter à ses pieds et lui dit la vérité. Mais il lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée : va en paix et sois guérie de ton mal ».

L’état de cette femme la rend rituellement impure donc tout contact avec autrui lui est interdit. Elle est désespérée par l’échec de tous les soins donc elle se sent glisser vers la mort puisque son sang, sa vie, la quitte. Elle ne semble pas avoir jamais rencontré Jésus mais elle croit les récits qui lui ont parlé de ses dons de guérisseur. Elle risque tout et, sans même oser prononcer une supplication, elle croit (un peu magiquement ?) qu’il lui suffit de toucher la frange de son vêtement. Sur le coup elle se sent guérie ! Or Jésus a expérimenté la différence entre les gestes des fans qui se battent pour toucher le vêtement de leur idole et l’acte croyant d’une malade qui espère bénéficier de la puissance guérisseuse de Jésus.

Aussi il renvoie la femme en distinguant les effets : « Tu es guérie dans ton corps » mais surtout, plus profondément « ta foi t’a sauvée : va en paix ». Le salut comporte – parfois – la guérison corporelle mais de façon plus intégrale, en réponse à la foi-confiance en la personne de Jésus, il remplit de la plénitude de la paix messianique.

La Réanimation de la Fillette

Là-dessus surviennent des gens de chez Jaïre qui lui annoncent le malheur : sa petite fille vient de mourir donc il est vain de faire venir Jésus près d’elle. Mais Jésus le rassure : « Sois sans crainte : crois seulement ». A la maison, c’est la grande désolation : selon la coutume, les pleureurs et pleureuses éclatent en grandes manifestations de deuil et poussent des cris de lamentation.

Jésus, imperturbable, les rassure : « Pourquoi ces cris ? L’enfant n’est pas morte : elle dort ». Il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère et trois disciples, Pierre, Jacques et Jean, s’approche de la couche, saisit la main de l’enfant et lui dit : « Talitha Qoum » (ce qui signifie en araméen « Fillette, réveille -toi »). Aussitôt la fillette se releva et se mit à marcher. Elle avait 12 ans.

Sur le coup tous furent bouleversés. Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache ; et il leur dit de donner à manger à la fillette.

On croyait donc que le pouvoir de Jésus ne valait que pour les malades et handicapés : ici on découvre qu’il peut également « réveiller, relever » un mort. Ces deux verbes serviront plus tard à désigner « la résurrection » de Jésus mais ici il faut plutôt parler de la « réanimation » de la fillette. Comme Luc racontera la réanimation du fils de la veuve de Naïn, et Jean de la réanimation de Lazare. Ces trois personnes bénéficient d’un sursis, d’une prolongation de leur vie terrestre tandis que la « résurrection » de Jésus le fera passer dans la Vie divine tout autre. Marc termine à nouveau par ce qu’on appelle l’ordre du « secret messianique ». La foule en effet voit dans ces miracles des « preuves » que Jésus est le messie qu’on imagine puissant, invincible, capable de soulever la révolte du peuple. Or Jésus refuse catégoriquement cette conception : la finale avec la passion, la croix et la résurrection révèlera un Messie Sauveur tout autre.

Le Pouvoir de Jésus sur la mort

Qu’a donc voulu nous dire Marc par ces récits où la mort plane ? Pour comprendre, relisons l’ensemble des deux chapitres 4 et 5.

MARC 4, 1-34 – Les paraboles constituent l’enseignement fondamental pour entrer dans la compréhension du Règne de Dieu qui vient avec Jésus. Il faut écouter, laisser sa Parole pénétrer dans nos cœurs, la préserver de la destruction, l’accepter minuscule mais animée de puissance et promise à un épanouissement extraordinaire. La foi est écoute confiante : le croyant offre sa vie pour son développement.

4, 35-41. – Comme la moisson est exposée aux pires intempéries, la vie du croyant rencontre des orages, des tempêtes où la confiance, mise à l’épreuve par le silence de Dieu qui semble sourd à nos appels de détresse, risque de faire naufrage. Mais il faut « relever » le Christ par nos supplications et il nous sauvera de tout péril.

5, 1-21 – La foi n’est pas une croyance privée, une religion consolatrice mais aurore de lumière pour l’humanité entière.

D’abord elle bute sur la violence de l’homme, sur cette ambition, cette envie d’écraser les autres, cette rage de se battre et de faire la guerre. Même au nom de Dieu. « Gott mit uns » : blasphème épouvantable. Le Messie est Paix : il chasse « les cochonneries » dans l’abîme de la mort. Mais hélas, la plupart ne veulent pas changer. Jésus n’a fait qu’un seul converti : cela suffit.

5, 25-34. – Puis la foi rencontre la femme porteuse de la vie et parfois rejetée dans la faiblesse et l’impureté. Pourtant, avant l’homme, elle ose, elle brave les interdits qui la jettent à l’écart. Elle ne se perd pas dans les grands discours : simplement en silence elle cherche le contact. Comme les autre femmes de l’évangile, elle guette Jésus, se jette à ses pieds, l’écoute en silence, trouve la vie dans sa personne.

5, 35-43. – Puis la foi rencontre l’enfant, élan de vie et de joie, et cependant menacé parfois par les adultes. Affreux scandale de la mort qui fauche une promesse de renouveau. La foi sanglote: « Talitha qoum ». Et même si l’enfant ne se réveille pas, la foi éplorée sait que Jésus lui offrira mille fois plus : il le ressuscitera avec lui.

Dans tous ces épisodes, la mort rôde. De page en page, de dimanche en dimanche, Marc nous fait peu à peu pénétrer dans le mystère de Jésus. Il purifie nos conceptions, nous entraîne dans son combat, secoue notre apathie. Le consumérisme nous endort : la foi nous réveille et nous relève.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Pape François : La lutte contre le blanchiment d’argent

Le 8 octobre 2020, le pape François a adressé un discours aux experts du Comité du Conseil de l’Europe (Moneyval) – en mission depuis la fin du mois de septembre au Vatican afin d’évaluer les mécanismes contre le blanchiment d’argent -, soulignant que leur travail lui tenait « particulièrement à cœur ». Travail qu’il estime « étroitement lié à la protection de la vie, à la coexistence pacifique du genre humain sur la terre et à une finance qui n’opprime pas les plus faibles… ».

Dans la suite de son discours, s’appuyant sur l’exhortation Evangelii gaudium et la toute récente encyclique Fratelli tutti, le pape François a considéré nécessaire de « repenser notre relation à l’argent ».

Affirmant notamment que, dans certains cas, « il semble que l’on ait accepté la prédominance de l’argent sur l’homme ». Ainsi, afin d’accumuler des richesses, « on ne contrôle pas sa provenance » ou « les activités plus ou moins licites qui sont à son origine et les logiques d’exploitation qui peuvent lui être sous-jacentes » a-t-il estimé. De ce fait, « il arrive que dans certains milieux l’on touche de l’argent et que l’on se salisse les mains de sang, du sang de nos frères ».

Après avoir rappelé que « Jésus a chassé les marchands du temple » et qu’il a enseigné que l’« on ne peut pas servir Dieu et la richesse », le pape François a constaté que lorsque « l’économie perd son visage humain, on ne se sert pas de l’argent, mais on sert l’argent ».

« Il s’agit de l’une forme d’idolâtrie contre laquelle nous sommes appelés à réagir, a-t-il poursuivi, en reproposant l’ordre rationnel des choses qui reconduit au bien commun ».

« L’argent doit servir et non gouverner ! », a-t-il insisté.

Voulons-nous (sérieusement) changer le monde ?

par Bertrand BADRE

Bertrand Badré a été directeur général financier de la Banque mondiale. Dans son nouveau livre, il demande si la crise peut donner l’opportunité de modifier le système actuel en dépassant la logique du profit à court terme. ( « Voulons-nous changer le monde ? » – éd. Mame – 17 euros) – Extraits :


« Ne gâchons pas l’occasion donnée par cette crise comme nous l’avons fait avec la précédente. C’est maintenant que nous pouvons remettre le « système » au service de la planète et de ses habitants…

Nous sommes à une époque de transition, une de celles où le monde se réorganise et peut basculer. Il ne faut pas nous cacher la tête dans le sable, mais au contraire regarder et affronter les défis qui se posent à nous. Ce n’est pas un mouvement spontané : quand nous sommes du bon côté du système, nous n’avons guère d’intérêt à agir.

Mais la question sociale est au cœur de l’après crise. Elle ne peut plus être dissimulée ou ignorée…Les inégalités sont à l’origine d’une exaspération chaque jour plus difficile à gérer dans nos démocraties, où chaque voix pèse le même poids. Si nombre d’entre nous ont le sentiment de ne pas être écoutés et pris en compte, nous allons au-devant de graves conflits.

La question environnementale demeure par ailleurs intacte, malgré le léger mieux temporaire permis par le confinement de la planète. A quel prix ! A la question du réchauffement climatique se sont ajoutées celles de l’effondrement de la biodiversité, de l’utilisation des terres, des océans…

Il est encore temps de faire face à ces questions, sans dramatiser mais en reconnaissant la nécessité de le faire…Il ne faut pas avoir peur de commencer…

Après avoir été un moteur puissant, le modèle « néolibéral » qui a irrigué notre société depuis les années 1980 avec toutes ses règles – normes comptables et prudentielles, modes de rémunération, reporting des institutions, etc. – a trouvé ses limites …

La question qu’il nous faut nous poser aujourd’hui est de savoir comment abandonner un système prédateur à court terme, au profit d’un autre orienté vers la pérennité. De passer d’une logique d’optimisation à une obligation de résilience…De le faire évoluer de « faire du profit pour l’actionnaire » à « trouver des solutions profitables aux problèmes de la planète et de ses habitants…

Non pas condamner le profit, mais l’inscrire dans la durée et l’utilité. Ce profit ne doit pas être une fin en soi, mais devenir un moyen en vue d’une fin : le bien commun. Le saut est radical… »

12ème dimanche – Année B – 20 juin 2021 – Évangile de Marc 4, 35 – 41

Évangile de Marc 4, 35 – 41

Vous n’avez pas encore de foi ?

Dès ses premières lignes, Marc avait pointé la mission essentielle de ce Jésus inconnu venu à l’improviste et circulant à travers les villages au bord du lac de Galilée : PROCLAMER.

« Il proclamait : Le temps est accompli et le Règne de Dieu s’est approché ! Convertissez-vous et croyez à l’évangile » (1, 15).

Déclaration fondamentale qui doit tester nos prières, nos attitudes, notre travail paroissial. Dieu va accomplir sa promesse, l’événement le plus important de l’histoire du monde va se réaliser : Dieu va remplacer le règne des idoles, de la violence, du mensonge, de la cupidité par son Règne de paix. Ne guettez pas une intervention fulgurante : librement changez de mentalité et de comportement. Si vous croyez, si vous faites confiance, si vous acceptez, vous entrez dans la Bonne Nouvelle. Le petit livre de Marc ne sera plus une vie de Jésus mais Évangile, LA Bonne Nouvelle de la réussite de votre existence.

Ensuite Jésus ENSEIGNE ce qu’est le Règne de Dieu. Celui-ci est mystérieux, il bouleverse nos conceptions, n’occupe pas de territoire, ne bouleverse pas l’organisation du monde. Réalité vivante il ne peut se définir de façon abstraite mais être évoqué en images : c’est pourquoi Jésus use de paraboles qui ne sont certainement pas des illustrations à l’usage des enfants mais un véritable « enseignement » qu’il importe d’ «écouter » avec la plus grande attention. Elles incitent à se rapprocher de Jésus afin de le questionner et d’en recevoir la richesse de signification. La liturgie nous a rapporté les deux dernières d’une série de 5 (Mc 4, 1-34).

Mais Jésus ne se contente pas de parler : il AGIT. Paroles et actions sont liées au point que Marc enchaîne immédiatement : « Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit aux disciples … ». La journée des paraboles est suivie du récit de 4 actes de puissance de Jésus : en traversant le lac, il calme la tempête ; chez les païens, il guérit un démoniaque : de retour il sauve une femme puis une fillette.

La Parole montre que l’Évangile est une proposition qui respecte la liberté : l’homme peut acquiescer, refuser, renier, revenir. L’Action prouve que le Règne de Dieu n’est pas une idéologie, une idée religieuse ou morale, une conception évanescente, une promesse aléatoire. Sans action, l’évangile pourrait être une aliénation religieuse ; sans Parole une œuvre de bienfaisance humanitaire.

La Tempête Apaisée

Après une journée harassante d’enseignement et de débats avec la foule et ses disciples, Jésus pourrait profiter d’une nuit de repos : au contraire, sans plus attendre, comme si la tâche pressait, il décide de gagner la rive orientale du lac qui se situe en territoire de Décapole, donc en terre païenne. « Passons sur l’autre rive ». Car la Bonne Nouvelle, si elle est née en Israël doit traverser les frontières, et toujours « passer ». On sait l’importance du thème de la « pâque » qui signifie « passage ».

Obéissants, les disciples – dont plusieurs sont des pêcheurs du lac – tirent l’embarcation. Voyant cela, certains auditeurs des paraboles à leur tour les suivent dans d’autres barques, mais Marc n’en parlera plus.

Tout à coup, en pleine nuit, survient un phénomène assez fréquent sur le lac de Galilée : il est secoué par des vents contraires, les vagues enflent, les souffles tourbillonnent, la tempête grossit et menace. Le naufrage est possible.

« Survient un grand tourbillon de vent. Les vagues se jetaient sur la barque, au point que déjà la barque se remplissait. Et Jésus, lui, à l’arrière, sur le coussin, dormait. Ils le réveillent : « Maître, cela ne te fait rien que nous périssions ? Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : «  Silence ! Tais-toi ». Le vent tomba et il se fit un grand calme.

Jésus leur dit : «  Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi ? ». ils furent saisis d’une grande crainte et ils se disaient entre eux : « Qui donc est-il pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Si votre ado vous affirme qu’il ne croit pas à cette histoire, que c’est une légende inventée par ses disciples, que répondrez-vous ? Vous assurerez que vous y croyez parce que c’est écrit dans l’évangile, parce que l’Église transmet ce texte depuis des siècles. Et si ces arguments restent sans valeur pour votre jeune et qu’il se braque dans son incrédulité, qui l’emportera ? Chacun risque de camper sur sa position.

Et remarquez que Marc n’a pas fait beaucoup d’efforts pour convaincre ses lecteurs de la véracité du fait. Comme s’il savait que toute insistance est superflue : le fait a eu lieu il y a si longtemps, les témoins ont disparu, il n’y a pas de preuve péremptoire. Comment persuader ?

Qu’est-ce que la vérité du récit ?

Relisons le texte avec attention et surtout n’oublions pas à quelle date il a été écrit. Les spécialistes datent l’évangile de Marc vers les années 70 à Rome où les chrétiens sont en proie à la persécution et où certains s’interrogent sur leur foi et leur persévérance.

Par les paraboles, Marc leur rappelle que le Royaume de Dieu vient par la Parole de Jésus qui est comme une semence lancée au cœur de leur être : elle peut disparaître, ne pas germer faute de soin, être étouffée par les soucis mondains. Mais si le cœur est bon, elle poursuit sa croissance secrète, sa fragilité est promise à un développement certain, comme le grain de sénevé devient un arbuste, comme le gland devient un chêne.

Ensuite Marc, dans sa façon de raconter la tempête apaisée, veut montrer sa signification prophétique : elle était déjà signe du « passage » de Jésus.

Car il ne voulait pas changer sa religion mais la libérer de certaines prescriptions qui l’enfermaient comme dans un carcan inadmissible aux païens. Les autorités y ont vu une attaque contre la Loi et l’ont considéré comme un perturbateur, un blasphémateur. La tempête des reproches, des critiques, du mépris, de la haine s’est levée et l’ont entraîné à l’arrestation, la condamnation et la mort.

Écrasés, abasourdis, emportés par l’ouragan, les disciples ont eu l’impression d’être engloutis par le naufrage, de couler dans l’abîme. Le Maître avait disparu, il se taisait, ne disait plus rien. Le dernier mot était à la mort.

Mais non, Jésus était vivant, il était le maître des éléments, son Père pouvait le « réveiller », le remettre debout de sorte qu’il pouvait sauver ses disciples de la panique, du désespoir, de l’incrédulité. Alors, en retrouvant Jésus, ils devaient s’interroger : « Pourquoi avons-nous été terrorisés ? pourquoi n’avions-nous pas la foi ? ». Et finalement se poser la question : « Mais qui donc est cet homme appelé Jésus, que nous écoutions comme un maître, que nous suivions comme un sage ? ». Dorénavant nous ne pouvons plus nous arrêter à cette conception, nous devons poursuivre notre recherche : « Qui donc est-il ? »

Finalement la question n’est pas : « Jésus a-t-il ou non calmé la tempête ? » mais « Qui est Jésus qui nous libère de la peur, qui pardonne nos faiblesses, qui nous permet de traverser toutes les épreuves et même d’affronter la mort ?». Tous les évangiles sont animés par l’interrogation fondamentale : quelle est l’identité profonde de Jésus ? Marc répondait dès sa première phrase.

Ce récit nous interpelle également sur notre mission. Pourquoi est-il si urgent de « passer sur l’autre rive », de quitter notre installation tranquille, notre ronron habituel afin de rejoindre la périphérie, comme répète notre pape ? Pourquoi cette entreprise est-elle bousculante, chahutée, dangereuse même ? Pourquoi la nuit, les ténèbres, les vents contraires, les éléments déchaînés ? Pourquoi tout se ligue-t-il pour nous décourager et nous faire renoncer ?

Et pourquoi Jésus dort-il au milieu d’une telle agitation ? (idem dans les récits parallèles de Matt 8, 24 et Luc 8, 23). N’est-ce pas la question angoissée que les lecteurs de Marc se posaient ? Ils étaient heureux de s’être convertis, ils expérimentaient le bonheur de croire, ils ne faisaient de tort à personne, rendaient service, aidaient les pauvres et les malades…et voilà que le Pouvoir se déchaînait contre eux, les arrêtait, les jetait en prison, parfois les condamnait aux pires supplices ! Pourtant ils priaient, se lamentaient, poussaient des cris vers le ciel…Et pas de réponse. Jésus se taisait. Comme s’il dormait…Comme s’il n’existait pas !! Du coup, la foi de certains faisait naufrage.

La réponse de Jésus : « Pourquoi avez-vous si peur ? Vous n’avez pas encore de foi » nous presse de nous interroger sur nos affirmations parfois bien superficielles sinon enfantines : « Moi, je crois. Je suis un croyant ».

L’épreuve nous oblige à jeter par-dessus bord nos enfantillages.

« A la faveur de la tempête est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos égo toujours préoccupés de leur image. Reste manifeste, une fois encore, cette appartenance commune à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères » (Pape François – suite de la citation supra).

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Consulter largement les Laïcs

« …A l’origine, le mot synode vient de « sun » (ensemble)– ce qui veut dire que toutes les voix, toutes les sensibilités doivent être entendues- et odos (chemin) – ce qui implique qu’aucune décision ne surplombe la route. Il faut pouvoir avancer sans questions taboues, en mettant tout sur la table pour discerner. Cela nécessite de ne pas rester tout le temps dans l’entre-soi, avec les mêmes personnes notamment aux postes décisionnaires. Cela n’obère en aucune façon la responsabilité et la charge des évêques, c’est une autre manière de faire Église.

Il y a un problème lié à ce qu’est en train de devenir l’Église de France : seuls 34 % des baptisés se disent aujourd’hui catholiques, et cela ne dit rien de leur attachement à l’institution. Parmi eux 2 % sont pratiquants. Quand on parle de consulter les catholiques, de qui parle-t-on ? On ne peut pas imaginer que l’Église aille de l’avant en ne consultant que ces 2 %.

Elle doit se donner les moyens d’aller au-delà. Et, pour cela, il faut revenir, en faisant le deuil de la fixité, à des choses simples, avec l’introduction de l’altérité, et avec elle la diversité des positions, des paroles, des états de vie dans l’institution. C’est un retour à l’Évangile magnifique à tenir.

… Jusqu’à présent, beaucoup de bonnes volontés, parmi les baptisés, ont été découragées car seules les tâches administratives ou caritatives leur étaient assignées. Or de nombreux catholiques sont capables et prêts à se retrousser les manches pour des initiatives de transformation ecclésiale, dans lesquelles leur voix aurait de l’importance.

Il faut donc que les laïcs de toutes sensibilités, qui représentent 99 % de la tribu, soient impliqués dans le fonctionnement de l’Église, de haut en bas. Qu’ils soient consultés partout. …

Journal La Croix 21 05 2021 – extraits

Foi et Religion dans une société moderne

Mgr De Kesel, archevêque de Bruxelles

L’Eglise semble traverser une longue crise. Comment décririez-vous l’état du christianisme en Belgique ? Est-il en train de disparaître ?

Non je suis absolument convaincu que ce n’est pas le cas. Il s’agit de bien comprendre la crise et l’épreuve que les catholiques traversent. A la suite de la modernité, qui commence pour moi le 24 octobre 1648 avec la Paix de Westphalie qui institue la tolérance religieuse, le christianisme a perdu son statut de religion culturelle.

Certains voient dans la perte de ce statut, puis dans la sécularisation, l’origine de tous nos maux. Je ne partage pas cet avis. Le christianisme ne peut pas être pleinement lui-même lorsqu’il est la religion hégémonique. Que l’Église traverse donc une crise est indéniable, mais affirmer qu’elle s’achemine vers sa fin est inexact. Elle a changé de statut et doit être à l’écoute des signes des temps pour repenser la façon d’accomplir sa mission. Je suis donc persuadé que la sécularisation offre à l’Église une place plus ajustée à ce qu’elle doit être…

( Cardinal J. De Kesel, archevêque de Malines-Bruxelles – vient de publier « Foi et religion dans une société moderne (éd. Salvator) – interview dans « La Libre » 26 05 21)

Fête du Corps et du Sang du Christ – Année B – 6 juin 2021 – Évangile de Marc 14, 12 – 26

Évangile de Marc 14, 12 – 26

Célébration et Adoration

Sur la colline qui s’élève en face de notre couvent de Liège se dresse la Collégiale St Martin où Sœur Julienne, augustinienne du mont Cornillon, inspirée, disait-elle, par une révélation, obtint, en 1246, l’instauration d’une nouvelle fête en l’honneur de l’Eucharistie, bientôt appelée « la Fête-Dieu ». Le pape Urbain IV en étendit la célébration à l’Église universelle en 1264.

Le besoin populaire de « voir » et d’adorer l’Hostie consacrée, qui avait débuté très tôt, avec le rite de l’élévation qui suit la consécration, se développa dès lors de façon très spectaculaire. De même que l’on avait inventé des processions où l’on transportait des reliquaires avec les restes des martyrs, on inventa de même des processions du Saint-Sacrement. D’abord réservées au jour de la Fête-Dieu, elles furent organisées aussi aux grandes solennités et aux fêtes paroissiales.

Une grande Hostie consacrée, sous deux verres transparents, était exhibée à travers la ville, entourée d’un grand concours de prélats, de prêtres, de religieuses, de personnalités politiques et le peuple en liesse chantait des cantiques dont le fameux « Tantum ergo » reste le plus célèbre. Les « ostensoirs » connurent un développement considérable avec des ornements d’argent, d’or, de pierres précieuses et prirent souvent la forme du soleil. Puis on organisa des « Expositions du Saint-Sacrement » dans les églises.

Avec la Réforme de Luther, les « protestants » contestent la conception de la présence réelle : cela provoque les « catholiques » à défendre le réalisme eucharistique en multipliant les professions de foi en la Présence permanente du Christ. Le 17ème siècle sera appelé « le siècle de l’exposition fréquente » tant on y célèbre des « Adorations perpétuelles » et « Adorations réparatrices ». On en viendra même parfois à célébrer la messe devant le Saint Sacrement exposé dans un grand ostensoir au milieu de l’autel – « top-messe » que l’Église finira par interdire.

Création de chefs-d’œuvre musicaux et d’œuvres d’art, d’artisanat et de vêtements liturgiques prestigieux : les effets de la dévotion en l’Eucharistie ne s’arrêtent pas là. Toutes ces pratiques ont en effet soutenu la foi du peuple et encouragé ses manifestations communautaires. Surtout elles ont incité les fidèles à la prière, à l’adoration prolongée, à l’action de grâces. Combien de Saints et de Saintes, jusqu’au père de Foucauld et mère Térésa, ont été fidèles à demeurer en prière, des heures et des heures, devant le tabernacle, et ils ont souligné les immenses bienfaits spirituels qu’ils en retiraient.

Mais que voulait Jésus lors de son ultime repas ?

Jésus monté à Jérusalem voit que, de jour en jour, l’étau se referme sur lui: les autorités sont décidées à le mettre à mort. Vient le jour où l’on immole un agneau que chaque maison consommera le soir au cours d’un long et joyeux repas où l’on fera mémoire de la fin de l’esclavage et de la sortie des Hébreux d’Égypte. Un disciple anonyme a préparé chez lui une pièce à l’étage où tout est prêt pour le repas.

Jésus et les siens suivent le rituel prévu, chantent des psaumes, commentent ensemble les péripéties de la première Pâque en Égypte, rendent grâce à Dieu qui a promis de toujours libérer son peuple et de lui envoyer un messie. Mais, au lieu de la consommation de l’agneau préparé – dont la présence n’est même pas mentionnée -, Marc raconte l’initiative tout à fait déconcertante de Jésus :

Pendant le repas, Jésus prit le pain, prononça l’action de grâce, le partagea et le leur donna en disant : « Prenez, ceci est mon corps ». Puis prenant la coupe de vin et rendant grâce, il la leur donna et ils en burent tous. Il dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, répandu pour la multitude. Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au jour où je boirai un vin nouveau dans le Royaume de Dieu ».
Après le chant final d’action de grâce, ils partirent pour le mont des Oliviers. (où Jésus va être capturé).

La « messe fondatrice » a donc lieu dans une maison d’habitation, un lieu privé. Le propriétaire anonyme représente sans doute tous les fidèles qui, par la suite, inviteront la petite communauté croyante chez eux. Rien n’évoque la solennité du sacré et le hiératisme du temple. Pourtant il ne s’agit pas d’un repas normal où des hommes fraternisent autour d’un table. Ce repas s’inscrit dans une histoire, l’histoire de l’Alliance que Dieu veut nouer avec l’humanité. Jadis les Hébreux étaient sortis d’Égypte, sans combat, la nuit même où ils immolaient et mangeaient un jeune agneau – seule victime de l’aventure. Ensuite au mont Sinaï, Dieu avait fait alliance avec eux sur la base des Tables de la Loi et Moïse avait scellé l’alliance en aspergeant le peuple avec le sang des animaux immolés. Ainsi ils avaient pu se mettre en marche vers. la terre promise

Ici, ce soir, à Jérusalem, on passe du régime carné au régime végétal, de l’extérieur (la Loi écrite) à l’intérieur (manger du pain, boire du vin),. Un seul sera victime : Jésus qui sera exécuté le lendemain par les hommes mais qui, lors du repas, manifeste qu’il est conscient de se substituer à l’agneau. « On ne me prend pas la vie mais je la donne ». Ainsi a lieu la « pâque » véritable, le passage de la libération politique d’un peuple à la libération du péché des croyants de toutes nations et de toutes cultures.

A ses disciples qui parfois se jalousaient, voulaient punir les grands pécheurs, exterminer les païens vicieux, refonder un Israël libre et puissant, Jésus, en leur offrant le partage du pain et du vin, leur propose de commencer par l’essentiel : se laisser pardonner, s’aimer les uns les autres dans le partage, la simplicité, la non-violence, la paix, l’entente universelle. Mais ils ne le pourront que s’ils comprennent que l’ombre de la croix planait sur leur repas et que Jésus est l’unique Agneau qui, par amour pour eux, offre la libération, fait tomber les chaînes de leur orgueil et de leurs rancunes et inscrit dans les cœurs la loi nouvelle des Béatitudes.

Sur la table il n’y avait qu’un pain que Jésus a rompu et il a offert un morceau à chacun. Il n’y avait qu’une coupe de vin qui est passée de l’un à l’autre. Symbole manifeste du but de l’Eucharistie : réunir les convives qui viennent de tous horizons. Paul l’avait tout de suite compris : « Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, nous sommes tous un seul corps, car tous nous participons à cet unique pain » (1 Cor 10, 17). Nous n’allons pas à la messe pour nous recueillir, chacun dans notre coin, et demeurer juxtaposés en un simulacre d’assemblée : nous nous y rendons au contraire pour nous laisser « cueillir » ensemble par l’unique miséricorde du Seigneur.

La présence bien réelle du Christ se manifeste lorsque employé et patron, vieux et jeune, directeur libéral et syndicaliste de gauche, professeur et cancre acceptent de se laisser réunir. Non pour changer de conviction, ni encore moins par hypocrisie, mais pour « réaliser » que l’essentiel de la valeur d’un homme se situe à un niveau beaucoup plus profond que nos tempéraments, notre statut social, nos options diverses et légitimes.

Ah si, au 19ème siècle, lors de la révolution industrielle, les prêtres avaient refusé d’installer les notables en toilette, au premier rang, dans de belles stalles vernies arborant des plaquettes à leur nom, tandis que les pauvres ouvriers restaient dans le fond, debout, tortillant leurs casquettes sans rien comprendre du charabia employé !?…Ah, si en Amérique latine aujourd’hui… ?!…« Présence réelle » n’est pas seulement une notion dogmatique discutée : elle est aussi sociale nécessaire.

La « présence réelle » ne reporte pas dans un passé révolu ni ne procure des sensations pieuses ni ne fige dans un présent instantané: elle annonce un lendemain de souffrances car « mon corps » et « mon sang » seront séparés – signe de mort – et les « communiants » ne le resteront que s’ils acceptent le sacrifice de leur égo. Mais elle promet l’entrée dans le Royaume de Dieu où l’on s’enivre du Vin nouveau de l’Alliance éternelle. A travers les ténèbres du Golgotha, la présence réelle fait entrevoir la Lumière de la Résurrection.

Dans son récit du repas pascal, Marc ne mentionne que les dons du pain et du vin mais, comme il a été dit ci-dessus, la soirée était longue, avec des enseignements, des dialogues, des prières. Rappelons-nous également le récit d’Emmaüs où la fraction du pain ne vient qu’après de longues heures de marche, de discussions, de réflexions sur l’interprétation des Écritures. Nous payons encore la longue désaffection vis-à-vis des Écritures qui a sévi pendant des siècles dans l’Église catholique : les lectures et la prédication étaient « l’avant-messe » facultative. Quel sacrilège ! Dire que l’on croit au Christ en refusant d’écouter sa Parole, n’est-ce pas transformer l’église en un fastfood ? Recevoir l’Eucharistie, c’est d’abord manger la Parole puis s’engager à vivre ce que Jésus que l’on aime vient de nous apprendre.

Conclusion

Très vite les premiers disciples ont compris la nécessité de répéter ce repas du Seigneur. Non à l’anniversaire du printemps mais chaque semaine, au jour de la Résurrection, lendemain du sabbat, 1er jour de la semaine. Car l’Église ne pouvait subsister qu’en étant fidèle à 4 pratiques fondamentales (Ac Ap 2,42) :

« Les disciples étaient assidus à l’enseignement des apôtres (lecture et discussion sur l’Évangile) et la communion fraternelle (amour, service, réconciliation, soutien aux plus démunis), à la fraction du pain (le repas pascal qui ressoude la communauté autour de son Seigneur) et aux prières (action de grâce au Père par le Fils dans l’Esprit ».

Les restes du pain fractionné étaient conservés avec soin afin d’être offerts aux grands malades et aux mourants comme viatique pour l’ultime voyage vers le ciel.

En ce moment où les mesures sanitaires vont sans doute être allégées, allons-nous réfléchir ensemble : comment mieux célébrer le repas du Seigneur ? Des menaces pires que le virus menacent, le Christ nous envoie pour sauver les hommes. Montrons-leur ensemble sa « présence réelle ».

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Le Concile Vatican II l’avait dit

La participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie.(§ 14)

Dans la célébration, la sainte Écriture a une importance extrême…Il faut promouvoir ce goût savoureux et vivant de l’Écriture ( § 24)

La participation active des fidèles doit l’emporter sur la célébration individuelle et quasi privée (§. 27)

La principale manifestation de l’Église consiste dans la participation plénière et active de tout le peuple de Dieu, surtout dans la même Eucharistie, dans une seule prière (§ 41)

Les paroisses représentent l’Église visible établie dans l’univers…Il faut travailler à ce que le sens de la communauté paroissiale s’épanouisse, surtout dans la célébration communautaire de la messe du dimanche. (§ 42)

Les deux parties qui constituent la messe, c.à.d. la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles constituent un seul acte de culte…Il faut participer à la messe entière, surtout les dimanches (§ 56)

Le jour du Seigneur, ou dimanche,…les fidèles doivent se rassembler …Ce jour est le jour primordial qu’il faut inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne jour de joie et de cessation de travail… Ce jour est le fondement et le noyau de toute l’année liturgique (§ 106)

Constitution de la Liturgie – Vatican II – 4 décembre 1963

« L’Eglise traverse une crise »

Josef De Kesel, cardinal de Belgique

Voici quelques-uns des passages marquants du livre.

Vers la fin de l’Eglise?

« Que l’Église traverse une crise est indéniable, mais qu’elle s’achemine vers sa fin est inexact. Il vaut mieux essayer de comprendre les signes des temps et accepter de plein gré le changement de situation. L’Église devra dans ce but repenser la façon d’accomplir sa mission et se positionner dans la société. »

Une crise parmi d’autres?

« Que l’Église ait connu au cours de son histoire d’autres crises ne relativise donc en rien la crise que nous traversons aujourd’hui. Celle-ci est d’ailleurs unique et jusqu’ici inédite. C’est la première fois que l’Église se trouve devant un tel défi. Avant l’avènement de la modernité, on ne mettait jamais en question le bon droit d’une religion. À l’époque de l’Antiquité, l’Église a annoncé l’Évangile dans un monde où la religion y était une évidence. Ce n’est plus le cas pour nous aujourd’hui. »

Les églises se vident-elles?

« On entend constamment dire dans les médias et dans l’opinion publique que les églises se vident. On sous-entend par-là que la foi et l’Église sont sur le déclin. On mentionne toujours que beaucoup de gens quittent l’Église. Je répondrais à cela: beaucoup ne quittent pas l’Église, ils n’y sont jamais entrés. Et je dirais en plus: il n’est pas possible que toutes les églises soient pleines. Il y a des églises pleines et des églises qui sont fort fréquentées, mais bien sûr pas toutes. L’infrastructure, avec ses nombreuses églises, a été conçue pour une époque où tous ou la grande majorité de la population se rendaient à l’église. »

A quoi sert l’Église?

« Pourquoi Dieu veut-il un peuple ? Pourquoi rassemble-t-il des personnes en communautés, en Église ? La réponse à cette question nous permet déjà d’apercevoir ce qu’est une Église. Nous avons déjà insisté sur cet aspect : c’est le désir de Dieu qu’il puisse disposer des lieux sur cette terre où il est reconnu et aimé. Où il peut déjà partager et vivre l’alliance avec ceux qu’il a lui-même appelés à l’existence. »

Paru dans Cathobel 25 05 2021