Fête de la Sainte Trinité – Année B – 30 mai 2021 – Évangile de Matthieu 28, 16-20

Évangile de Matthieu 28, 16-20

Trinité : La Fête – Dieu

Attribuée longtemps à la solennité du Saint-Sacrement – que nous fêterons dimanche prochain -, la dénomination « Fête-Dieu » conviendrait sans doute mieux à la célébration de ce jour.

« Dieu » : le mot sans doute le plus bizarre de notre vocabulaire puisqu’il désigne une réalité que personne n’a jamais vu. Dans le dictionnaire, il est rangé dans les « noms communs ». L’écrire avec une majuscule est donc une option de foi : certains croient que Dieu est quelqu’un, une personne. Et aujourd’hui l’Église chrétienne célèbre avec joie la solennité de ce Dieu qu’elle affirme Vivant et même en « Trois Personnes ». Le processus pour arriver à cette proclamation fut très long et mouvementé. Il y eut d’abord le combat d’un petit peuple du Proche-Orient pour se dégager du polythéisme partout répandu et arriver à confesser qu’il n’y a qu’un Dieu, non représentable et indicible, YHWH qui s’est révélé comme « Je suis celui qui suis ». Tout Juif croyant, jusqu’à aujourd’hui, prononce matin et soir la confession fondamentale : « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». On souhaite mourir en murmurant ce « EHAD » (UN).

Telle fut la foi inébranlable de Jésus le Juif qui révéla à ses disciples qu’il appelait YHWH « Abba- Père » et qu’ils pouvaient eux aussi le prier comme ses enfants. Condamné pour blasphème, Jésus fut exécuté sur une croix. Or ses disciples, qui l’avaient abandonné, reparurent peu après : loin de se lamenter, comme les élèves pleurant la mort de leur maître, ils se manifestaient pleins de joie, affirmant que Jésus était Vivant, Seigneur et qu’il leur avait envoyé l’Esprit de Dieu. Ils n’ignoraient pas les dangers qu’ils couraient mais aucune menace ne les faisait taire. Convaincus de la valeur universelle du salut et obéissant à l’ordre de leur Seigneur, ils décidaient de franchir toutes frontières et de s’enfoncer dans l’immense Empire païen afin d’y apporter la Bonne Nouvelle, l’Évangile.

La conviction radicale de ces quelques hommes et femmes est sans doute le grand événement du siècle. Elle empêche de liquider l’affaire Jésus comme une légende (cf le texte de l’incrédule Marcel Gauchet paru ici récemment). Dès le début la recherche sur l’identité de Jésus commença.

Jésus ayant été crucifié sans doute en l’année 30 de notre ère, déjà en l’an 50, Paul, un ancien pharisien qui avoue avoir persécuté les premiers apôtres à Jérusalem (Gal. 1, 13), fonde une communauté en Macédoine. Il lui écrit ensuite une lettre d’un intérêt capital, car il s’agit du premier document chrétien conservé et il commence comme ceci : « Paul, Silvain et Timothée à l’église des Thessaloniciens qui est en Dieu Père et le Seigneur Jésus Christ. A vous grâce et paix »(1 Th 1, 1). La petite communauté est, en même temps, « en Dieu-Père et en Jésus-Seigneur !!» : stupéfiante affirmation. Aucun rabbin n’aurait osé dire : « …en YHWH et Moïse ». Ni aujourd’hui un imam :« …en Allah et Mohammed)».

En l’an 55, Paul termine sa 2me lettre à la communauté de Corinthe par la célèbre bénédiction qui clôt encore nos célébrations eucharistiques : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (2 Cor 13, 13). Trois ensemble !

Dans les années 80, Matthieu termine son évangile par l’envoi qui témoigne de la pratique de l’Église à son époque : (Matt 28, 19 : évangile de ce dimanche)

« De toutes les nations faites des disciples :
les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
leur apprenant à pratiquer tout ce que je vous ai prescrit.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps »

Fin du siècle, Jean ouvre son livre de façon solennelle : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu…Et le Verbe fut chair… » et il le conclut en expliquant pourquoi il a écrit son évangile : « Ces signes ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20,31)

Tous ces textes ont été rédigés par des Juifs, farouches monothéistes. Et qui savaient que cette foi coûtait cher : on a lapidé Etienne, on a décapité Jacques, Néron a fait brûler comme des torches les chrétiens de Rome, Pierre et Paul ont été exécutés, etc….Les 22 premiers papes (comme on les appelle plus tard) mourront tous de mort violente. Qui a osé dire que l’évangile est « un document conservateur » ?

Finalement qui est Jésus ? Il était plus simple, plus « normal » de dire qu’il était un prophète, un homme juste que Dieu avait élu pour en faire le messie. Et l’Esprit ? Comme le mot hébreu le dit (rouah), on pouvait le définir comme le Vent, le souffle de Dieu, une force inspiratrice. Mais ces formules ne rendaient pas compte des données fournies par le Nouveau Testament. La recherche fut ardue. L’Église se développa non seulement attaquée par l’État persécuteur, mais aussi déchirée par la tempête des débats interminables, des affrontements d’une violence qui bafouait parfois la douceur évangélique. Des schismes éclatèrent. Il fallut la convocation des grands conciles pour qu’enfin apparaissent les grandes formules des credos.

Un seul Dieu en trois Personnes égales. C’est dire que Dieu est communion, qu’il est Amour. Dans les années 1960, plus de la moitié, parfois ¾ des occidentaux, dans des églises combles, chantaient, en latin, cette profession de foi. En peu de temps, la situation a complètement changé.

Un paysage religieux en pleine évolution

Deux sociologues chrétiens viennent de publier un livre : « La religion dans la France contemporaine » où ils analysent le changement impressionnant qui s’est produit en ces derniers temps.

En 1961, 70 % des Français se déclaraient catholiques ; en 2020, 32 %. Par contre les autres religions (islam, judaïsme, bouddhisme) sont passées de 2 à 10 %. En 1981 : 9 % d’athées convaincus ; en 2021, 21 % mais il y a plus d’agnostiques que d’athées. L’indifférence religieuse a progressé de 18 à 37 %. On laisse chaque individu choisir. Les frontières croyance/incroyance sont poreuses. Avoir une religion est devenu un non-conformisme. Cependant on ne croit plus que le progrès de la modernité va causer la dissolution de la religion. On vit dans un « désenchantement généralisé » : on ne croit plus en Dieu mais non plus dans la politique, l’économie, les médias, etc.

On vit une configuration tout à fait nouvelle et paradoxale : 25 % des sans religion croient en Dieu ; 20 % des catholiques ne croient pas en Dieu !!!. Il y a toutes les nuances. Un anthropologue disait avec humour : « Il n’y a que les incroyants qui croient que les croyants croient ». La religion n’est plus seulement un pourcentage de pratiquants mais une recherche de signification, une façon de dire le monde et l’homme.

La foi chrétienne, une façon de vivre

Chute de la pratique religieuse, du nombre de prêtres, fermeture des couvents : toutes les statistiques sont à la baisse si bien que certains parlent même de l’effondrement de l’Église sinon même de sa disparition proche. Ne faudrait-il pas au contraire parler d’un retour à la normale ? Quand Jésus enseignait aux siens qu’ils sont le sel de la terre, le levain dans la pâte, il les prévenait du rôle vital de leur mission mais ne rêvait pas d’une Église majoritaire et imposante. Le danger qui la menaçait, c’est d’être affadie, de ne plus donner le goût de Dieu, ou de ne pas être assez mêlée au monde pour l’aider à sortir des ornières de l’égoïsme et de l’hostilité.

De même l’apôtre Paul ne demande jamais à ses communautés si elles ont « fait des conversions », si elles comptent davantage de membres. Son insistance permanente est d’inciter fortement et sans arrêt à devenir une meilleure communauté où tous les membres forment un seul corps, où l’on s’aime les uns les autres, où l’on aide les plus démunis, où l’on vit dans la joie. C’est la puissance de la charité fraternelle qui est missionnaire, là où chacun est considéré comme enfant du Père, où chacun aime Jésus le Christ qui a donné sa vie pour lui, où l’on prie ensemble dans la joie offerte par l’Esprit.

Nous vivons désormais dans un monde où toutes les idées, toutes les opinions, toutes les croyances se répandent et se heurtent. Il importe beaucoup de préciser en qui et en quoi « on croit » ou « on ne croit pas ». Jésus lui-même ne s’est pas heurté aux Romains idolâtres, il n’a pas jeté l’anathème sur les prostituées : au contraire il a été détesté et rejeté par des pieux Pharisiens, par des pratiquants comme les grands prêtres.

La modernité s’est dressée sur le rejet des vieilles croyances moyenâgeuses ( ?) remplacées par la Déclaration des Droits de l’homme et la devise « liberté-égalité -fraternité » (curieux : devise ternaire, elle aussi !). Il n’a pas fallu longtemps pour que des penseurs incroyants reconnaissent leur faillite et appellent à une refondation. En effet si « liberté » signifie refus des limites, déchaînement des besoins, boursouflure de l’ego, elle empêche la liberté (« certains sont plus égaux que d’autres » G. Orwell). Et ne parlons plus de fraternité.

La foi chrétienne est aussi à trois termes : non des mots abstraits mais des Personnes. Le Fils nous libère de l’aliénation du péché et des prisons de la rancune ; il nous révèle que nous sommes égaux puisque enfants du même Père et donc que nous pouvons, par l’Esprit, pratiquer la fraternité et nous aimer les uns les autres.

Dans un monde dévasté par la crise sanitaire et même menacé de disparition, vivre la foi aux Trois est la condition de l’avenir.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Sortir de la légèreté

Le père Pierre de Charentenay sj, ancien rédacteur en chef de la revue Études, apporte son éclairage sur la crise sanitaire actuelle et invite à “reconsidérer la légèreté de nos existences” pour nous préparer sérieusement à faire face à la crise climatique à venir.


Nous avons vécu de manière bien légère, imprudente, inconsciente depuis les grands conflits mondiaux du siècle dernier.

On pouvait tout faire, prendre l’avion pour aller trois jours aux Maldives, commander sur Internet n’importe quel plat ou n’importe quel instrument, manger des fraises en janvier, visiter toutes les capitales d’Europe, et fêter le mariage de son cousin d’Amérique à Honolulu, etc. C’était le temps de la liberté totale, faire ce que je veux quand je veux, sans contrainte, y compris celle de mourir quand je l’ai décidé.

C’était le temps de la légèreté, où tout est possible sans limite grâce à la puissance de la technique qui avait supprimé les barrières.

Mettre des Limites

Eh bien, non. Ce n’est pas la vie réelle, même si nous en avions rêvé. Il n’y a pas de monde sans limite. Le coronavirus nous le rappelle de manière si violente [1] qu’il faut réagir en prenant des mesures extrêmes et immédiates. Imagine-t-on 4 milliards de personnes confinées ! Imagine-t-on notre espace personnel cloisonné par “des gestes barrières” pendant des semaines !

La crise climatique nous dit la même chose mais autrement [2]. Il faut mettre des limites à nos voyages, à notre consommation, à nos productions !

La différence entre les deux est que nous avons compris, peut-être un peu tard, que le virus nous mettait en danger de mort immédiate, ce que nous ne pouvons pas supporter. Donc, on agit, “quoi qu’il en coûte” ! Alors que la crise climatique se déroule sur un moyen terme qui nous laisse le temps de discuter, de polémiquer, en un sens de ne rien faire qui nous dérange sérieusement. Nous ne voulons pas entendre l’avertissement de la crise écologique parce que les délais sont longs et l’urgence moindre.

Ces deux catastrophes, sous des modes différents, nous font entrer dans le monde des contraintes. On avait oublié qu’elles pouvaient exister, emportés et grisés par tout ce que nous avions inventé, qui nous rend la vie si facile, quand tout va bien. Il a bien fallu obéir et rester confinés, encore que, on a tout essayé et parfois réussi à éviter la contrainte, même au temps du virus et de l’urgence absolu : un million de parisiens ont décidé qu’ils seraient plus forts et plus libres en s’enfuyant dans leur résidence secondaire.

L’agent pathogène : pas le virus, l’homme !

Demain, nous ne changerons pas du tout au tout. Je n’y crois pas et le danger est bien de reprendre notre rythme d’avant dès que possible, dès que la contrainte médicale et étatique sera allégée. Les industriels sont sur les starting blocs. Car la dynamique du développement, des entreprises et du profit est puissante. Elle est visible. 

Ce qui est moins visible mais tout aussi puissant, c’est le désir du consommateur qui veut garder son style de vie, ses facilités. C’est cette double dynamique qui épuise notre planète ; les ressorts de notre épuisement, ce sont les choix de chacun, la liberté qu’on veut garder et la légèreté de nos existences. Car “l’agent pathogène dont la virulence terrible modifie les conditions d’existence de tous, ce n’est pas du tout le virus, ce sont les humains !” [3].

Ce virus vicieux est un clin d’œil mortifère sur ce qui sera plus grave encore, car la crise climatique touchera la terre entière et fera des millions de morts. Nous pourrions profiter de cette occasion pour reconsidérer la légèreté de nos existences, leur irresponsabilité. Alors lentement, s’il importe d’abord de sécuriser notre vie dans l’immédiat, nous pourrons progressivement nous préparer sérieusement à faire face à la crise climatique en reconstruisant ce que nous ne voulons pas, des barrières.

Reprendre conscience des limites et redonner du poids à l’existence.

[1] Bill Gates nous avait prévenu il y a 5 ans. Personne ne l’a entendu.

[2] Pierre de Charentenay, Face à la crise climatique, Éditions Chemins de dialogue, avril 2020.

[3] Bruno Latour, Le Monde, 25 mars 2020.

Article paru dans la revue jésuite « Études » – Publié le 18 mai 2020. –

Repris dans « Tout est lié » 20 5 2021 (toutestlie.catholique.fr) : webzine écologie catholique.

Fête de la Pentecôte – Année B – 16 mai 2021 – Évangile de Jean 15, 26 – 16, 15

Évangile de Jean 15, 26 – 16, 15

L’Alliance nouvelle dans l’Esprit

Lundi passé, 50 jours après la fête de Pessah (mémoire de la Pâque, la sortie d’Égypte), nos frères juifs ont fêté Shavouôt (Les Semaines) qui commémore le jour où Dieu, au mont Sinaï, a fait Alliance avec Israël et lui a donné sa Torah. Ce mot que l’on traduit par « Loi » a un sens beaucoup plus large que « code légal » : il signifie un enseignement qui indique la véritable manière de vivre selon Dieu. Inaugurée par les Dix Paroles (déca-logos), l’Alliance a été scellée par l’aspersion du sang des sacrifices et, unanime, la foule exultant de joie s’est engagée à obéir à YHWH : « Toutes les paroles que le Seigneur a dites, nous les pratiquerons » (Ex 24, 4).

L’Échec de la Loi

Après la marche dans le désert, Israël est entré dans la terre que YHWH lui a donnée, il est devenu un petit peuple libre avec une capitale, Jérusalem, une dynastie royale issue de David, un beau temple fondé par Salomon où le culte était célébré avec régularité et magnificence par les prêtres et les lévites. Louons YWH, chantons des cantiques à la gloire de notre Dieu qui nous a comblés de si grands bienfaits.

Hélas, si le culte était observé scrupuleusement, par contre les relations sociales connaissaient des déchirures profondes : certains accumulaient des propriétés et laissaient d’autres dans la misère, des handicapés étaient abandonnés à leur sort, des juges se faisaient acheter. Aussi des prophètes se succèdent pour dénoncer ces abus et rappeler les engagements pris au Sinaï. On connaît le cri célèbre d’Amos, le premier dont on a conservé la prédication véhémente : « Je déteste vos pèlerinages, dit le Seigneur, rien ne me plaît dans vos offrandes ! … Mais que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent » (Am 5,21).

Hélas les prophètes ont beau tonitruer, pointer les maux sociaux, appeler à la conversion, annoncer le jugement de Dieu, menacer de catastrophes : rien n’y fait ! On vénère la Loi, on l’étudie, on la commente,…mais on la bafoue jusqu’aux plus hautes sphères politiques et sacerdotales. Comme si quelque chose la rendait impraticable.

587 av. J.C.: le roi ayant refusé de payer son tribut de vassal, Nabuchodonosor survient, ravage Jérusalem, détruit le temple, déporte la cour royale et une grande partie de la population à Babylone. Comme tant d’autres peuples dans la région, Israël risque bien de se dissoudre et de disparaître de la scène. Or un nouvel empereur se dresse, Cyrus le Perse : en -539, il conquiert Babylone et, magnanime, renvoie toutes les populations déportées dans leur pays. Toutefois Israël demeurera englobé dans une province de l’empire perse.

Annonce de l’Alliance Nouvelle dans l’Esprit

C’est vers cette époque que deux prophètes profèrent des oracles inédits, tout à fait extraordinaires. Alors qu’au début ils avaient dénoncé les vices de leur peuple et appelé à la conversion, voici qu’ils annoncent, tout au contraire, comme « la conversion » de Dieu.

JEREMIE : « Des jours viennent où je conclurai avec la communauté d’Israël une Nouvelle Alliance. Elle sera différente de l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères…Je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être ; Ils me connaîtront tous…Je pardonne leur crime » ( 31, 31)

EZECHIEL : «  Ce n’est pas à cause de vous que j’agis, maison d’Israël, mais bien à cause de mon saint Nom que vous avez profané…Je vous rassemblerai de tous les pays et vous amènerai sur votre sol. Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs ; je vous purifierai de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un Esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois… » (36, 22)

De retour au pays, les déportés rebâtissent un nouveau temple et surtout, avec Ezra, ils collectent les anciens manuscrits et commencent à constituer le Livre des Écritures. Mais les grands conquérants se succèdent : avec Alexandre le Grand (- 332), Israël est emporté dans la civilisation qu’on appellera hellénistique puis, avec Pompée (- 63) il est intégré dans l’immense Empire romain. Et plus aucun prophète ne surgit ! Pourquoi ce long silence de Dieu ?… Nous a-t-il abandonnés à nos ennemis ? Le paganisme va-t-il triompher ?

Enfin un prophète survient, Jean le baptiseur, mais il s’efface et désigne son successeur : un simple menuisier de village. Jésus annonce la venue du Règne de Dieu, opère exorcismes et guérisons et dénonce lui aussi la cupidité des nantis et l’oubli des pauvres, le culte superficiel et l’hypocrisie des dirigeants. A la veille de la fête de la Pâque, il est arrêté, jugé, condamné et exécuté sur la croix. Ses rares disciples ont disparu.

La Nouvelle Pentecôte

Mais très vite ces disciples réapparaissent. Ils ne se sont pas enfuis dans les villages et ils semblent transformés. Ils ne se lamentent pas sur le destin horrible de leur maître : au contraire ils affirment joyeusement que Jésus est ressuscité, que Dieu l’a fait Seigneur et qu’ils ont reçu l’Esprit qu’il avait promis de leur envoyer. Maintenant ils ont mission d’annoncer cette Bonne Nouvelle à Israël puis à toutes les nations du monde.

Luc a bien compris l’importance capitale de cet événement qui est un tournant dans l’histoire d’Israël et qui doit changer la face du monde : il situe à la Pentecôte (d’un mot grec qui signifie 50ème et qui rappelait le don de la Loi écrite) le don de l’Esprit-Saint. La Nouvelle Alliance est accomplie. Comme l’avaient annoncé Jérémie et Ézéchiel, il ne s’agit pas d’un nouveau code qui proposerait des exigences édulcorées. La Passion et la Résurrection du Christ ont révélé les profondeurs inimaginables de l’amour de Dieu. L’Esprit change le cœur du croyant, le remplit d’une force qui le rend capable, enfin, de pratiquer la volonté de Dieu.

Pierre et les autres chantent les merveilles de Dieu. L’Évangile, bien avant d’être un livre, est une proclamation, une joyeuse annonce : nous avons reçu, par grâce, la force de l’Esprit de Dieu, nos péchés sont pardonnés, nous pouvons, dans la joie, nous aimer les uns les autres et réaliser l’amour fraternel qui résumait toute la Loi. Vous qui nous écoutez, croyez aussi que Jésus a donné sa vie pour vous faire miséricorde, rejoignez-nous, vous recevrez le baptême et l’Esprit vous introduira dans la Nouvelle Alliance.

Qu’est donc la Nouvelle Alliance, la Bonne Nouvelle ? Elle consiste essentiellement dans le don de l’Esprit reçu par la foi en Jésus Seigneur.

Un écrit extérieur ne justifie pas l’homme devant Dieu. Saint Augustin cite saint Paul : « La lettre tue et l’esprit vivifie » (2 Cor 3,6) et il explique que la lettre, c’est toute écriture qui demeure extérieure à l’homme, fût-ce le texte des préceptes moraux contenus dans l’Évangile. Il en conclut que même la lettre de l’Évangile « tuerait » si, à l’intérieur de l’homme, ne s’y ajoutait la grâce guérissante de la foi. Ce que saint Thomas d’Aquin approuve fortement. L’Alliance nouvelle est libération. L’Esprit nous débarrasse du moralisme et du scrupule et met notre cœur au large.

L’Évangile de ce jour

Le grand discours d’adieu de Jésus (Jn 13-17) est émaillé de 5 promesses de l’Esprit : la lecture de ce dimanche nous en rappelle deux :

Jésus prévient ses disciples qu’ils seront haïs par le monde comme lui-même l’a été. Mais quand il sera glorifié près de son Père, il leur enverra l’Esprit de Vérité qu’il appelle « Paraclet » – ce qui signifie l’avocat, celui qui est appelé pour se tenir près du prévenu et assurer sa défense. Cet Esprit rendra témoignage à Jésus, il le défendra et, du coup, les disciples seront capables de répercuter ce témoignage, d’affronter l’hostilité et de répondre aux objections (Jn 15, 26-27).

Jésus leur confie qu’il ne leur a pas tout dit car ils ne seraient pas capables pour l’instant de supporter cette révélation. Mais « lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Il ne parlera pas de son propre chef mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. Il me glorifiera car il recevra ce qui à moi et il vous le communiquera… » (16, 12-15).

L’Esprit n’est pas un Nostradamus qui prétend raconter les événements à venir. Il ne dévoilera pas des enseignements ésotériques que les apôtres auraient dissimulés. Mais si les disciples restent fidèles à son écoute, il éclairera le mystère pascal, il fera pénétrer dans la signification de la haine des ennemis, des souffrances, de la Passion subie par Jésus. Il ne donnera pas des recettes de coaching ou de développement personnel. Il ne faudra attendre de lui que des révélations sur Jésus et il ouvrira les yeux sur sa glorification par la croix.

La première Église n’a jamais « obligé » les fidèles à fréquenter la messe dominicale. Le Jour du Seigneur, jour de la résurrection, ceux-ci se pressaient pour écouter la Parole, se nourrir du Pain de Vie et boire à la coupe du « sang de l’Alliance nouvelle et éternelle ». L’Esprit-Saint les rendait libres, égaux et fraternels. « Nous ne pouvons vivre sans dimanche » disait une jeune chrétienne persécutée.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

La Pentecôte : Fête d‘Israël

Chavouot 2021 (une fête de deux jours, célébrée depuis le coucher du soleil le 16 mai jusqu’à la tombée de la nuit le 18 mai) coïncide avec la date à laquelle D.ieu a donné la Torah au peuple juif au mont Sinaï il y a plus de 3300 ans. Elle a lieu au terme de 49 jours de compte impatients, qui nous ont permis de nous préparer pour ce jour spécial.

Elle est célébrée en allumant des bougies, en restant éveillés toute la nuit à étudier la Torah, en écoutant la lecture des Dix Commandements à la synagogue, en faisant un festin de produits laitiers et plus encore.

Cette année nous lirons les Dix Commandements à la synagogue le lundi 17 mai 2021.

(in FR.CHABAD.ORG du 17.5.21)

Concile Vatican II : « Nostra Aetate »

Relations de l’Église avec le Judaïsme (extraits)

Scrutant le mystère de l’Église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament à la lignée d’Abraham. L’Église du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, chez les patriarches, Moïse et les prophètes …

C’est pourquoi l’Église ne peut oublier qu’elle a reçu la révélation de l’Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l’antique Alliance, …

L’Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même, des deux, a fait un seul.

Selon le témoignage de l’Écriture Sainte, Jérusalem n’a pas reconnu le temps où elle fut visitée; les Juifs, en grande partie, n’acceptèrent pas l’Évangile, et même nombreux furent ceux qui s’opposèrent à sa diffusion. Néanmoins, selon l’Apôtre Paul, les Juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l’appel sont sans repentance . Avec les prophètes et le même Apôtre, l’Église attend le jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d’une seule voix et « le serviront sous un même joug » (So 3, 9).

Du fait d’un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens et aux Juifs, le saint Concile veut encourager et recommander la connaissance et l’estime mutuelles, qui naîtront surtout d’études bibliques et théologiques, ainsi que d’un dialogue fraternel.

Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps… Les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. …

En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs.

D’ailleurs, comme l’Église l’a toujours tenu et comme elle le tient encore, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l’Église, dans sa prédication, est donc d’annoncer la croix du Christ comme signe de l’amour universel de Dieu et comme source de toute grâce.


Conflit israélo-palestinien
inquiétants débordements antisémites en Allemagne

Après que le conflit israélo-palestinien a été réactivé par l’annonce de projets d’expulsions de familles palestiniennes à Jérusalem-Est, des manifestations pro palestiniennes ont lieu dans plusieurs pays du monde. En Allemagne, plusieurs incidents et manifestations anti-Israël charrient un antisémitisme virulent.

Des drapeaux de l’État hébreu ont été brûlés devant les synagogues de Münster et de Bonn, Mais derrière un supposé positionnement anti-israélien, ce sont bien à des actes et des propos antisémites que nous avons affaire.

Mercredi soir, une nouvelle manifestation non autorisée dans cette région, à Gelsenkirchen, où selon la police près de 200 personnes scandaient des slogans anti-israéliens se dirigeaient vers la synagogue locale, a été interrompue par les forces de l’ordre. Parmi ces « slogans » : « Scheiss Juden/Juifs de merde ». La preuve, une fois de plus, de la propension du poison antisémite à surgir dès que le conflit israélo palestinien reprend vigueur. « C’est de l’antisémitisme pur, rien d’autre alors que la police avait tout d’abord parlé de « manifestations anti-israéliennes » » a ainsi communiqué le conseil central des Juifs d’Allemagne.

Magazine Marianne, le 14/05/2021

Israël-Palestine : le pape lance un appel « au nom de Dieu »

« Au nom de Dieu ‘qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à vivre ensemble comme des frères et des sœurs entre eux’, je lance un appel au calme et, à ceux qui en ont la responsabilité, à cesser le fracas des armes et à emprunter les chemins de la paix, également avec l’aide de la communauté internationale« . Le Saint-Père a ajouté prier « sans cesse« , « pour qu’Israéliens et Palestiniens trouvent le chemin du dialogue et du pardon, pour être de patients bâtisseurs de paix et de justice, s’ouvrant, pas à pas, à une espérance commune, à une coexistence entre frères » .

Dimanche 17 mai 2021 

Unissons-nous à cette prière

7ème dimanche de Pâques – Année B – 16 mai 2021 – Évangile de Jean 17, 11-19

Évangile de Jean 17, 11-19

Pour que ma joie les comble

En ce 7ème dimanche après Pâques, entre les fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte, la liturgie nous fait entendre un extrait de Jean 17, qui couronne le discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Jean met dans la bouche de Jésus une grande prière solennelle qui lui permet d’exprimer l’authentique projet de Dieu, lequel va à l’encontre des rêves messianiques courants. Cette Pâque de Jésus – croix et résurrection – n’est pas un accident, un échec mais au contraire l’Heure de son « passage », l’Heure de la glorification réciproque du Père et de son Fils. Tout est accompli et tout doit être vécu et annoncé sur toute l’étendue de la terre et jusqu’au bout de l’histoire. C’est dans ce but que Jésus prie. Car il ne suffit jamais de parler et de faire des miracles.

A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « …………. »

Au début de cette ultime soirée, Jésus, les yeux baissés, comme un serviteur, lavait les pieds de ses disciples : à la fin, les yeux vers le haut, il s’élance de tout son être pour les emporter, avec lui, vers le Père. Le Très Bas qui nous purifie est le Très Haut qui nous tire dans la Vie. Ainsi se dresse-t-il comme l’axe vertical qui permet au monde de tourner droit. Enlevez-le : nous basculons dans les ravages des guerres.

La lecture ne porte que sur la 2ème partie de la prière : il est souhaitable de lire et méditer tout le chapitre.

Jésus prie pour ses disciples

Père Saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’a donné,
pour qu’ils soient UN comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné.
J’ai veillé sur eux et aucun ne s’est perdu,
Sauf celui qui s’en va à sa perte – de sorte que l’Écriture est accomplie.

Il faut toujours faire attention quand on parle de « Dieu » : Jésus n’a-t-il pas été rejeté par les grands prêtres et les pharisiens, donc les « spécialistes de Dieu » ? Pendant sa mission, il a veillé sur ses disciples en leur révélant le vrai « Nom » c.à.d. non un mot mais la réalité authentique du vrai Dieu. Il a pu le faire parce qu’il avait conscience d’avoir reçu lui-même cette révélation de celui qu’il appelait son Père. Ce don a uni les disciples ( pourtant si différents les uns des autres) au point qu’entre eux, ils étaient en communion comme Jésus et son Père. Ce don de communion divine n’est cependant pas une aliénation car la foi n’enferme pas la liberté : aussi un disciple a-t-il pu décidé de rompre ce lien, de rejeter ce don – d’ailleurs l’Écriture l’avait annoncé. L’Église souffrira toujours du scandale de la défection de certains de ses membres.

Maintenant qu’il va disparaître, Jésus supplie son Père de poursuivre cette garde, il nous confie à la miséricorde de Dieu afin que nous soyons non pas semblables mais UN comme le Père et le Fils. Nous manifestons le vrai Nom de Dieu – Père et Fils – non par des performances individuelles mais dans la mesure où nous nous maintenons dans ce UN divin.

La Parole donne la Joie

Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans ce monde,
pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.

Dans notre société avide de plaisirs de possession, de jouissances, de divertissements, comment faire pressentir ce qu’est la joie ? Le monde de la consommation et du spectacle fait tout pour nous maintenir en état d’enfantillage : nouveau jouet, gadget inédit, gain de loterie, nouvelle sensation culinaire, invention indispensable…Devant les yeux des foules hypnotisées, on ne cesse d’agiter tous les hochets. Le but ? Qu’elles demeurent dans le parc, bien langées et parfumées. Surtout qu’elles ne se lèvent pas pour bousculer le désordre et l’infamie de l’injustice régnante.

La joie de Jésus ne signifie pas la tranquillité, la fin des soucis, le contentement béat : c’est la joie « qui est la mienne » dit-il. Il la promettait déjà au centre de son allégorie de la vigne (15, 11).

« Je parle pour qu’ils aient ma joie » : donc on la reçoit en écoutant sa Parole c.à.d. en l’acceptant, en se décidant à la pratiquer, en l’assumant comme plan de vie. Certes le disciple rencontrera des tempêtes, subira des épreuves parfois terribles, sera parfois pris d’angoisse comme les apôtres voyant leur maître partir à la croix et mourir. Mais il le promet : « Je vous verrai de nouveau, votre cœur alors se réjouira et cette joie, nul ne vous la ravira » (16,23).

Haine du monde contre les disciples

Je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine
parce qu’ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi je n’appartiens pas au monde.
Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais.
Ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi, je n’appartiens pas au monde.

Comment voulez-vous que le monde animé par l’instinct de conservation, la volonté de puissance, l’ambition effrénée de certains, la jalousie, l’avidité de la possession, accepte un Évangile qui exige l’amour fraternel, le pardon sans limites, le partage des biens, la fidélité aux engagements ? La charte des Béatitudes ne sera jamais Loi d’État – et elle ne le peut pas. Sans ambition politique ni avidité financière, pieux, accueillant à tous, plein de sollicitude pour les malades et les misérables, Jésus, le plus doux des hommes, a été moqué, critiqué, détesté, condamné à la mort la plus ignominieuse par les autorités religieuse et politique. Comme si elles pressentaient que cet homme était pour elles un danger.

L’Évangile ne chasse pas ses fidèles dans un Himalaya de méditation solitaire mais, tout en les laissant au cœur du monde, il leur propose une conversion radicale des idées et des comportements : peu sont ceux et celles qui l’accepteront jamais. Une Église majoritaire est une contradiction dans les termes.

Comme l’a bien diagnostiqué Jean dans son « Apocalypse »(13, 1 et 13, 11), le mystérieux « Mauvais » peut susciter la haine sous deux formes ; la violence meurtrière et la séduction. Les régimes totalitaires du XXème siècle ont déchaîné une haine épouvantable et exterminé des millions de victimes. Le capitalisme occidental, lui, avec sa main de fer du marché, séduit par ses réalisations spectaculaires mais le consumérisme, tout en semblant respecter la liberté, lamine sournoisement et impitoyablement le nombre de chrétiens. L’ange des ténèbres arbore un sourire séducteur mais il tue la foi en la diluant dans une religiosité fade, figée, inefficace. Se croire chrétien n’est pas nécessairement croire vraiment.

La crise du covid-19 va-t-elle nous ouvrir les yeux et nous acculer à une prise de conscience et à un engagement renouvelé ? Le pape François ne cesse de nous y appeler.

Sanctifiés par la Vérité de le Parole

Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde,
moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
Et pour eux je me sanctifie moi-même,
afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.

Le mot hébreu « kadosh » peut se traduire en français par deux mots : « sacré » ou « saint ». Le premier sous-entend une mise à part : une église consacrée est vouée au culte et aux activités religieuses, elle doit être « désacralisée » pour accueillir des activités profanes.

Donc il vaut mieux traduire notre texte par « Sanctifie-les » car Jésus n’écarte pas les siens loin du monde. La Parole de Dieu proférée par Jésus est la vérité, l’authentique révélation qui les « sanctifie », c.à.d. qui leur fait vivre l’Évangile, qui les rend capables de ne pas suivre les modèles du monde tout en demeurant au sein de ce monde.

La dernière phrase n’est pas facile à comprendre. Elle semble dire que Jésus est décidé à aller jusqu’au bout de la mission reçue du Père qui l’a envoyé sauver les hommes. Puisque ceux-ci s’opposent à ce projet et décident de le supprimer, il accepte de passer par la mort car ce n’est qu’ainsi qu’il « passera » dans son Père et y entraînera ceux qui lui font confiance. La croix, subie dans l’angoisse et l’horreur, sera son chemin de sainteté absolue, de don total à son Père en faveur des hommes.

Conclusion

Ce grand chapitre de Jean est célèbre et doit être l’objet de méditations répétées.

Cette ultime prière de Jésus en somme synthétise tout le mystère pascal. Écoutons cette parole qui nous sanctifie dans la vérité, qui nous manifeste la Gloire du vrai Dieu, Père et Fils, et qui nous comble d’une joie que rien ni personne ne peut nous enlever.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Le monde de la finance

L’intention de prière du Pape François – mai 2021

« Alors que l’économie réelle, celle qui crée des emplois, est en crise, et que beaucoup sont au chômage, les marchés financiers eux n’ont jamais été aussi hypertrophiés qu’aujourd’hui. Que le monde de la finance est loin de la vie de la plupart des gens !

Quand elle n’est pas régulée, la finance devient de la simple spéculation soutenue par certaines politiques monétaires. Cette situation est insoutenable. Dangereuse. Pour éviter que les pauvres ne paient encore une fois les conséquences, la spéculation financière doit être strictement réglementée.

La spéculation. J’insiste sur ce terme. Les finances devraient plutôt être un instrument de service, orienté vers les personnes et le soin de la maison commune! Il est encore temps d’amorcer un processus de changement global pour une économie différente, plus juste, plus inclusive et plus durable, sans laisser personne de côté.

Agissons! Prions pour que les responsables de la finance collaborent avec les gouvernements afin de réglementer les marchés financiers et protéger les citoyens de leurs dangers.»

Commentaire

P. Frédéric Fornos, jésuite, Directeur international du Réseau Mondial de Prière du Pape, note que « cette intention de prière doit être comprise dans le contexte de la crise que nous vivons et qui a mis en évidence la grande inégalité qui existe dans le monde ».

Il a rappelé les propos du Pape François dans Laudato Si’ : « Pendant ce temps, les pouvoirs économiques continuent de justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte de même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement ».

Il a également fait référence à la catéchèse pour sortir de la pandémie, intitulée « Guérir le monde ». François y affirme que « pour sortir de la pandémie, nous devons trouver le remède non seulement pour le coronavirus – qui est important ! –  mais également pour les grands virus humains et socio-économiques à la base d’un développement inique et non durable ».

« Le Pape l’a encore dit récemment, poursuit le père Fornos, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un « retour à un modèle de vie économique et sociale inégalitaire et insoutenable, dans lequel une infime minorité de la population mondiale possède la moitié des richesses ». Pourquoi prier pour cette intention ?

Comme le dit le Pape, pour préparer l’avenir, nous devons « garder le regard fixé sur Jésus » (He 12,2), qui sauve et guérit. La prière, à la lumière de l’Évangile, nous aide à regarder le monde comme Lui, à vivre selon le style du Royaume de Dieu, afin « que le pain arrive à tous, que l’organisation sociale se base sur la contribution, le partage, la distribution, avec tendresse, pas sur la possession, l’exclusion et l’accumulation. »

S. O. S. C L I M A T  !!!

2021 doit être l’année de l’action contre le changement climatique « dont les répercussions sont déjà trop coûteuses pour les populations de la planète », a exhorté l’O.N.U. lundi 19 avril, avant un sommet sur le climat organisé par Joé Biden. « Nous sommes au bord du précipice » a mis en garde le secrétaire général de l’ONU, A. Guterrès….Le rapport annuel rappelle que l’année dernière a été l’une des trois plus chaudes jamais enregistrées et que les concentrations en gaz à effet de serre ont augmenté malgré le ralentissement économique lié à la pandémie.

( La Croix 21 04)

Le message inattendu d’Alexeï Navalny pour Pâques

« Victoire ! Christ est ressuscité ! La vie et l’amour ont gagné ! ». Dans un message publié sur son compte Facebook, A. Navalny, principal opposant à Vladimir Poutine, a témoigné de la joie de Pâques, fêtée dimanche 2 mai par les Orthodoxes. « Je salue tout le monde : les croyants (que je suis maintenant), les non-croyants (que j’étais) et les athées (que j’étais également) ».

Hospitalisé en août 2020 à la suite de ce que ses proches ont qualifié d’empoisonnement, Alexeï Navalny a par la suite été emprisonné mi-janvier et condamné le 20 février 2021 en appel à deux ans et demi de prison. Lors de son audience en appel, ce jour-là, Alexeï Navalny avait déjà surpris son auditoire en parlant de sa foi. Reconnaissant qu’il était avant assez athée et militant, il déclarait alors être devenu « un homme de foi ». « Il y a moins de dilemme dans ma vie car désormais il y a un livre [la Bible, ndlr] qui me dit plus ou moins clairement ce que je dois faire dans chaque situation ». « Il n’est pas toujours facile de suivre ce livre, mais j’essaie », a-t-il repris avant de citer un passage Matthieu : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés». (Mt, 5 -6)

Depuis la colonie pénitentiaire où il est détenu, située dans au nord-est de Moscou, il a entamé le 31 mars une grève de la faim pour dénoncer ses mauvaises conditions de détention qui s’est achevée il y a quelques jours. D’après lui, l’administration pénitentiaire refusait de lui donner accès à un médecin, de lui fournir des médicaments et le « torturait » par privation de sommeil en le réveillant « huit fois par nuit ». Il lui était également refusé, toujours d’après lui, tous les livres à l’exception… de la Bible. Il a mis fin à cette grève.

Fête de l’Ascension – Année B – Jeudi 13 mai 2021 – Actes des Apôtres 1, 1-11

Actes des Apôtres 1, 1-11

JESUS EST SEIGNEUR

Le 40ème jour avant Pâques, en commençant le temps du carême, l’Église nous rappelait notre dure condition : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière » et, avec crainte, nous suivions Jésus qui nous parlait d’épreuves, de souffrances et de croix. Aujourd’hui, 40ème jour après Pâques, nous chantons notre joie : effectivement cet homme Jésus a connu la mort mais ensuite, vivant, il a été accueilli dans la Maison éternelle de son Père.

Si notre vie terrestre nous semble une inexorable descente dans l’abîme de la mort, l’Ascension nous révèle que, par le tremplin de la croix, elle peut devenir une montée vers la Vie éternelle. L’Ascension est la proclamation de la Seigneurie de Jésus, la découverte du trajet intégral de notre existence, la fête de notre espérance.

LES DOUTES CHASSÉS PAR L’ENSEIGNEMENT

Les évangiles osent nous dire que les disciples ont eu bien des résistances à croire en Jésus ressuscité : ils croyaient voir un esprit, ils voulaient toucher…Il a fallu tout un temps pour que Jésus les convainque que c’était vraiment lui, marqué des plaies de sa passion.

Surtout il leur apprenait une autre lecture des Écritures, une autre conception du Royaume de Dieu. En effet, humilié par des siècles d’occupation étrangère, Israël rêvait d’un Messie fulgurant, d’un pays enfin libre, du triomphe des bons, de l’écrasement des impies, peut-être de la fin du monde. Jésus les renvoyait à d’autres textes, à une tout autre image du Messie. La lumière de la résurrection ouvrait leurs cœurs à une autre compréhension des prophéties.

Donc ne demandons pas des apparitions : apprenons à lire ce qu’il ne faudrait plus appeler « Ancien Testament » car il n’est pas dépassé. Il est merveilleux de découvrir en lui comment peu à peu Dieu réalise son dessein du salut des hommes, comment des événements, des cris, des péchés même conduisent insensiblement à la reconnaissance du Messie Jésus. Le manque de connaissance de l’histoire biblique est une des grandes tares du peuple catholique.

Cette recherche peut aussi nous orienter vers la relecture de notre propre histoire. Progrès et conflits, sciences et philosophies, arts et cultures : quelles valeurs finalement se dégagent ? Notre recherche du bonheur, nos échecs de relations, nos aspirations profondes : que disent-ils de nous, du sens de la vie humaine ? Tolérance, dialogue, droits de l’homme, protection des plus faibles de la société, mondialisation…mais aussi conflits, racismes, massacres, partout la mort : que cherchons-nous ? Comment la croix et la résurrection projettent-elles une lumière sur ce tourbillon ?

LA GRANDE PROMESSE

Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père : « Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche : alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. ». Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »

Jésus a expliqué tous les sens de la Révélation : maintenant il faut recevoir une énergie nouvelle. Dieu avait promis cette effusion spirituelle, et Jésus avait répété cette promesse. Maintenant celle-ci va se réaliser de façon imminente, à une date non précisée.

Remarquons les 2 verbes : « Vous serez baptisés dans… » (c.à.d. plongés dedans : l’Esprit sera comme votre nouveau milieu de vie) et « Il viendra sur vous » (comme un bouclier qui vous protègera). Mieux encore il sera « l’Esprit de Dieu qui au commencement planait à la surface des eaux » et qui a couvé le tohu-bohu pour que surgisse l’univers et la vie (Genèse 1, 2). Après Pâques, cet Esprit va susciter une nouvelle création, va faire des disciples « les témoins » du Ressuscité. Animée par ce Souffle, leur parole sera « ressuscitante », capable de réveiller et de relever les hommes.

L’ASCENSION

Toujours et partout, le ciel a eu un sens symbolique. Lorsque nous disons : « Notre Père qui est aux cieux », nous n’imaginons pas un Dieu là-haut derrière les nuages. Et lorsque Luc nous parle de l’Ascension, nous ne voyons pas Jésus tel un cosmonaute qui s’envole dans une fusée.

…Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. Et comme ils fixaient encore le ciel…deux hommes en vêtements blancs leur dirent : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

Pourquoi cette insistance sur le VOIR ? Parce que jadis le prophète Elie – le seul (avec le mystérieux Hénok : Gen 5, 24) dont on dise qu’il a été enlevé au ciel – a demandé à son disciple Elisée de regarder son départ, condition pour être accrédité comme son disciple dans l’Esprit. (2 Roi 2)

De même ici il faut que les apôtres « voient » que leur Maître est entré dans la Gloire de Dieu son Père. Qu’il n’est pas un « saint » accueilli près de Dieu mais qu’il est véritablement SEIGNEUR et que ses disciples peuvent et doivent lui donner ce Nom réservé à Dieu. C’est pourquoi Pierre proclamera : « Qu’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous aviez crucifié » (Ac 2, 36). Paul écrira : « Dieu lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse… » (Phil 2)

C’est seulement s’ils restent convaincus que Jésus est « SEIGNEUR » de l’histoire que les disciples resteront animés par son Esprit. Le disciple qui considère Jésus comme un grand sage de jadis ne dispose pas de l’énergie du témoignage.

JESUS SEIGNEUR VIENDRA

Jésus vit dans la Gloire de son Père mais il reviendra pour juger. Entre ces deux moments, il est vain de rester le nez en l’air, guettant les signes de l’apocalypse. La foi n’est pas fuite du monde.

Alors, ils retournèrent à Jérusalem depuis le lieu-dit mont des Oliviers…À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute où ils se tenaient habituellement ; c’était Pierre, Jean, Jacques et André, Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu, Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques. Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères.

Nous ne pouvons pas (encore) monter au ciel mais nous pouvons monter à l’étage de notre maison, c.à.d. à l’écart des bruits pour un retrait dans le silence. Mater notre envie de nous précipiter. Car les gens n’attendent pas notre dévouement et nos paroles resteront creuses si elles ne sont portées par le Souffle de l’Esprit.

Tenir dans l’attente sans en connaître la durée. En compagnie des autres frères et sœurs, autour de Pierre, parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule Église. D’un même cœur, unanimes (mot répété 10 x dans les « Actes »). Tous animés par l’amour pour Jésus, tous décidés à annoncer le Royaume tel qu’il l’a dit, tous impatients de partir en mission, tous conscients qu’ils devront eux aussi vivre le mystère pascal.

Et tous avec MARIE. C’est sa dernière mention dans les Écritures. Elle connaît ces jeunes, elle sait qu’ils ont lâché son fils mais, comme lui, elle leur pardonne. Elle prie pour qu’ils vivent ce qu’elle a vécu : écouter, répondre : « Je suis ton serviteur : que ta Parole s’accomplisse en moi ». Que l’Esprit les féconde, les remplisse de la nouvelle présence du Messie. Alors, sûrs de la « Montée » de leur Seigneur, ils pourront « descendre » dans les jungles où les hommes se combattent. Ils se disperseront pour faire des « Visitations », annoncer Jésus Seigneur, et agrandir le peuple qui, avec elle, chantera MAGNIFICAT.

ASCENSION : fête magnifique. Fête du Seigneur dans la Lumière, fête du chemin du ciel ouvert, fête de l’Espérance. Commençons demain « la Neuvaine du Saint-Esprit ». ALLELUIA. ALLELUIA.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

6ème dimanche de Pâques – Année B – 9 mai 2021 – Évangile de Jean 15, 9-17

Évangile de Jean 15, 9-17

Le Fruit de la Vigne : L’amour fraternel

Le 8 juillet 2013, 4 mois après son élection, le pape François improvisait en urgence son premier déplacement en se rendant sur l’île sicilienne de Lampedusa, considérée comme «la Porte de l’Europe» pour des dizaines de milliers d’immigrants africains. Il y avait fustigé la «mondialisation de l’indifférence» face aux tragédies des migrations périlleuses. «Nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle», «la culture du bien-être nous rend insensibles aux cris d’autrui (…), et aboutit à une mondialisation de l’indifférence», avait-t-il lancé.

Depuis lors il ne cesse de s’adresser au monde. Ses grandes encycliques traitent des questions les plus brûlantes  : le réchauffement climatique (« Laudato Si »), la paix universelle (« Tous Frères »), le saccage de l’Amazonie (« Chère Amazonie »). De mars à avril 2020, François a lancé plus de 8 messages au monde secoué par la tempête du covid (« La force dans l’épreuve » – éd. Bayard) et on se souvient de la scène inoubliable de cet homme blanc, claudiquant, seul devant la place S. Pierre vide et fouettée par la pluie, et appelant l’humanité à l’espérance.

Il est essentiel en effet de manifester que la foi évangélique a un impact historique immédiat, qu’elle n’est pas une consolation à bon compte, une illusion qui renvoie à un arrière-monde, une religion aliénante que le processus de sécularisation serait en train d’éliminer. Par là même, le pape interpelle avec vigueur les chrétiens afin qu’ils « sortent », qu’ils osent aborder les « périphéries » – ainsi qu’il le répète sans arrêt.

Et pourtant dimanche passé, la liturgie nous faisait entendre la voix du Seigneur qui pressait ses disciples à « demeurer » ! Contradiction ? Absolument pas.

L’Allégorie de la Vigne

L’allégorie de la Vigne (Jean 15, 1-18) occupe la place centrale de l’ultime enseignement de Jésus Seigneur qui, selon Jean, couvre les chapitres 13 à 17 de son évangile. Nous avions écouté ce premier volet du texte qui soulignait très fortement l’importance de la foi en Jésus Seigneur : « Je suis la vigne plantée par mon Père et vous êtes les sarments. Demeurez en moi comme je demeure en vous : vous porterez beaucoup de fruit ». Contre notre tentation orgueilleuse d’agir par nous-mêmes, de nous vouloir des membres actifs d’une organisation, il nous était rappelé que nous constituons un organisme qui ne se développe que comme extension communautaire du Corps du Christ ressuscité. La vie du fleuve, c’est sa source.

Le sarment ne vit et n’est fécond que s’il est irrigué de la sève d’amour de son Seigneur. Il n’est pas question d’abord de faire mais de « recevoir ». D’où la répétition du verbe « demeurer » qui n’a rien de statique mais qui exprime le lien, l’attachement, le ressourcement vivant. La foi chrétienne n’est pas un rite de naissance, une impression sacrée ou religieuse, un credo mémorisé : elle est lien avec la source, dialogue entre personnes. Cette foi est condition du but de la vigne : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit ». Mais quel est donc ce fruit ? Le second volet du texte, évangile d’aujourd’hui, répond.

Le Fruit de la Vigne : La Charité entre nous

Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.

Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître.

Donc croire, c’est d’abord accepter que l’on est aimé – inconditionnellement – par l’amour du Dieu Père tel qu’il a été reçu et vécu par Jésus. « Comme le Père m’a aimé …et j’ai gardé ses commandements » : le récit de l’évangile est la manifestation concrète de la vie du Fils tel qu’il a été absolument fidèle à ce que le Père lui demandait. Et cet amour paternel est absolument celui que le Fils a porté à ses disciples. Pour ne pas être un leurre, la foi doit se traduire concrètement par des actes qui mettent en pratique la volonté du Seigneur.

C’est pourquoi les disciples ne sont pas des élèves d’un maître, des fans subjugués par une vedette, des membres étiquetés d’une organisation. Les disciples qui ont lâché et trahi leur maître savent maintenant qu’ils sont ses amis, ceux qu’il aime. Ils n’ont même pas eu besoin de demander pardon mais de se rassembler encore, de le reconnaître Vivant au milieu d’eux, les comblant de sa paix : shalôm. Le Ressuscité invisible « ramifie » sa vie dans ces pauvres hommes que nous sommes, qui ne comprendront jamais la grandeur qui les habite mais qui seront saisis d’une joie à nulle autre pareille.

Tout ce que le Père avait révélé au Fils, il le leur a transmis : pas d’ésotérisme, pas de doctrine secrète, pas de gnose mystérieuse dans l’Église. Il est ridicule d’attendre un message supplémentaire. Pas de « complément d’enquête » : celle-ci a été menée avec la plus grande minutie par la police romaine et les docteurs juifs. Ils n’ont pas trouvé « le corps » : celui-ci ne sera jamais plus visible que dans « le corps » formé par les sarments.

A une unique condition : que ceux-ci s’aiment comme Jésus les a aimés. C’est-à-dire, s’il le faut, jusqu’à donner leur vie les uns pour les autres.

En retour de son amour jusqu’à la croix, le « Cep » (Jésus) ne demande pas des manifestations à sa gloire, des fastes liturgiques, des monuments sacrés, des pèlerinages coûteux, des fleurs et des litanies. Il veut que ses amis se transmettent les uns aux autres l’amour dont il les a comblés avec miséricorde.

Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera.

Dans la découverte et la vie de foi, quelles qu’en soient les apparences et nos impressions, Jésus reste toujours prioritaire : c’est lui qui appelle. Non sur base de qualités et de compétences ni pour une tâche provisoire mais pour une mission « établie » mais non « installée ». La vie prend sens parce qu’elle se projette en direction des autres. La mission n’est ni propagande ni prosélytisme mais élan vital du sarment heureux de se prolonger en d’autres et de fructifier dans une adhésion solide.

Comme le premier volet, le second se termine par la recommandation de la prière : nouvelle mise en garde contre la tentation de ne compter que sur soi et de se vanter de ses succès. Tout progrès ne vient que du ressourcement.

Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres.

Et la fin répète l’exhortation précise et solennelle : les sarments doivent tenir les uns aux autres, aucun n’est inutile, aucun n’a une forme parfaite, tous sont noirs, tordus, difformes, mais c’est leur unité en une vigne unique qui fait leur valeur. Leur communauté permet de comprendre la Vigne plantée au Golgotha : l’horreur du supplice cache la révélation du cœur transpercé par l’amour et qui s’écoule, sève vitale, en myriades de vaisseaux, de sarments qui apportent aux hommes ce qui seul les sauve : l’Amour du Père et du Fils.

Conclusion : Foi et Charité

Ainsi l’allégorie montre les deux volets essentiels sur lesquels pivote la révélation :

LA FOI – Vous êtes les sarments de la Vigne : demeurez en Moi : Ma Parole vous purifie : Les épreuves vous émondent afin de porter plus de fruit.

LA CHARITE – La sève de l’amour divin circule et vous maintient ensemble : il vous ordonne de vous aimer jusqu’à donner votre vie : ainsi vous manifestez la fécondité de la vigne et la réalité du salut.

Cet évangile contredit-il le comportement de François qui appelle à l’ouverture au monde ? Replie-t-il les croyants dans leur cocon ? Suffirait-il de former des petites communautés pelotonnées dans leur piété doucereuse et laissant le monde partir à la dérive ? Certes non. Si les sarments sont pleins de vie en demeurant en leur Seigneur, ils s’aimeront tellement qu’ils déborderont en sollicitude pour les autres à l’exemple de Jésus transporté de miséricorde envers les souffrants qu’il rencontrait.

Si nos paroisses partageaient davantage leur foi au Christ, si elles manifestaient une connaissance réciproque, un réel attachement des sarments les uns aux autres, la pression de la sève issue du cœur ouvert du Seigneur les mobiliserait en actions de salut. Ils « sortiraient » sans peur, certains de pouvoir toujours rentrer dans « la demeure » du Seigneur où les frères et les sœurs les consoleraient parce que tous et toutes, en « un seul Corps », seraient animés de la joie d’être aimés.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.