Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Fête de la Sainte Trinité – Année B – 30 mai 2021 – Évangile de Matthieu 28, 16-20

Évangile de Matthieu 28, 16-20

Trinité : La Fête – Dieu

Attribuée longtemps à la solennité du Saint-Sacrement – que nous fêterons dimanche prochain -, la dénomination « Fête-Dieu » conviendrait sans doute mieux à la célébration de ce jour.

« Dieu » : le mot sans doute le plus bizarre de notre vocabulaire puisqu’il désigne une réalité que personne n’a jamais vu. Dans le dictionnaire, il est rangé dans les « noms communs ». L’écrire avec une majuscule est donc une option de foi : certains croient que Dieu est quelqu’un, une personne. Et aujourd’hui l’Église chrétienne célèbre avec joie la solennité de ce Dieu qu’elle affirme Vivant et même en « Trois Personnes ». Le processus pour arriver à cette proclamation fut très long et mouvementé. Il y eut d’abord le combat d’un petit peuple du Proche-Orient pour se dégager du polythéisme partout répandu et arriver à confesser qu’il n’y a qu’un Dieu, non représentable et indicible, YHWH qui s’est révélé comme « Je suis celui qui suis ». Tout Juif croyant, jusqu’à aujourd’hui, prononce matin et soir la confession fondamentale : « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». On souhaite mourir en murmurant ce « EHAD » (UN).

Telle fut la foi inébranlable de Jésus le Juif qui révéla à ses disciples qu’il appelait YHWH « Abba- Père » et qu’ils pouvaient eux aussi le prier comme ses enfants. Condamné pour blasphème, Jésus fut exécuté sur une croix. Or ses disciples, qui l’avaient abandonné, reparurent peu après : loin de se lamenter, comme les élèves pleurant la mort de leur maître, ils se manifestaient pleins de joie, affirmant que Jésus était Vivant, Seigneur et qu’il leur avait envoyé l’Esprit de Dieu. Ils n’ignoraient pas les dangers qu’ils couraient mais aucune menace ne les faisait taire. Convaincus de la valeur universelle du salut et obéissant à l’ordre de leur Seigneur, ils décidaient de franchir toutes frontières et de s’enfoncer dans l’immense Empire païen afin d’y apporter la Bonne Nouvelle, l’Évangile.

La conviction radicale de ces quelques hommes et femmes est sans doute le grand événement du siècle. Elle empêche de liquider l’affaire Jésus comme une légende (cf le texte de l’incrédule Marcel Gauchet paru ici récemment). Dès le début la recherche sur l’identité de Jésus commença.

Jésus ayant été crucifié sans doute en l’année 30 de notre ère, déjà en l’an 50, Paul, un ancien pharisien qui avoue avoir persécuté les premiers apôtres à Jérusalem (Gal. 1, 13), fonde une communauté en Macédoine. Il lui écrit ensuite une lettre d’un intérêt capital, car il s’agit du premier document chrétien conservé et il commence comme ceci : « Paul, Silvain et Timothée à l’église des Thessaloniciens qui est en Dieu Père et le Seigneur Jésus Christ. A vous grâce et paix »(1 Th 1, 1). La petite communauté est, en même temps, « en Dieu-Père et en Jésus-Seigneur !!» : stupéfiante affirmation. Aucun rabbin n’aurait osé dire : « …en YHWH et Moïse ». Ni aujourd’hui un imam :« …en Allah et Mohammed)».

En l’an 55, Paul termine sa 2me lettre à la communauté de Corinthe par la célèbre bénédiction qui clôt encore nos célébrations eucharistiques : « La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (2 Cor 13, 13). Trois ensemble !

Dans les années 80, Matthieu termine son évangile par l’envoi qui témoigne de la pratique de l’Église à son époque : (Matt 28, 19 : évangile de ce dimanche)

« De toutes les nations faites des disciples :
les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
leur apprenant à pratiquer tout ce que je vous ai prescrit.
Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps »

Fin du siècle, Jean ouvre son livre de façon solennelle : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu…Et le Verbe fut chair… » et il le conclut en expliquant pourquoi il a écrit son évangile : « Ces signes ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (20,31)

Tous ces textes ont été rédigés par des Juifs, farouches monothéistes. Et qui savaient que cette foi coûtait cher : on a lapidé Etienne, on a décapité Jacques, Néron a fait brûler comme des torches les chrétiens de Rome, Pierre et Paul ont été exécutés, etc….Les 22 premiers papes (comme on les appelle plus tard) mourront tous de mort violente. Qui a osé dire que l’évangile est « un document conservateur » ?

Finalement qui est Jésus ? Il était plus simple, plus « normal » de dire qu’il était un prophète, un homme juste que Dieu avait élu pour en faire le messie. Et l’Esprit ? Comme le mot hébreu le dit (rouah), on pouvait le définir comme le Vent, le souffle de Dieu, une force inspiratrice. Mais ces formules ne rendaient pas compte des données fournies par le Nouveau Testament. La recherche fut ardue. L’Église se développa non seulement attaquée par l’État persécuteur, mais aussi déchirée par la tempête des débats interminables, des affrontements d’une violence qui bafouait parfois la douceur évangélique. Des schismes éclatèrent. Il fallut la convocation des grands conciles pour qu’enfin apparaissent les grandes formules des credos.

Un seul Dieu en trois Personnes égales. C’est dire que Dieu est communion, qu’il est Amour. Dans les années 1960, plus de la moitié, parfois ¾ des occidentaux, dans des églises combles, chantaient, en latin, cette profession de foi. En peu de temps, la situation a complètement changé.

Un paysage religieux en pleine évolution

Deux sociologues chrétiens viennent de publier un livre : « La religion dans la France contemporaine » où ils analysent le changement impressionnant qui s’est produit en ces derniers temps.

En 1961, 70 % des Français se déclaraient catholiques ; en 2020, 32 %. Par contre les autres religions (islam, judaïsme, bouddhisme) sont passées de 2 à 10 %. En 1981 : 9 % d’athées convaincus ; en 2021, 21 % mais il y a plus d’agnostiques que d’athées. L’indifférence religieuse a progressé de 18 à 37 %. On laisse chaque individu choisir. Les frontières croyance/incroyance sont poreuses. Avoir une religion est devenu un non-conformisme. Cependant on ne croit plus que le progrès de la modernité va causer la dissolution de la religion. On vit dans un « désenchantement généralisé » : on ne croit plus en Dieu mais non plus dans la politique, l’économie, les médias, etc.

On vit une configuration tout à fait nouvelle et paradoxale : 25 % des sans religion croient en Dieu ; 20 % des catholiques ne croient pas en Dieu !!!. Il y a toutes les nuances. Un anthropologue disait avec humour : « Il n’y a que les incroyants qui croient que les croyants croient ». La religion n’est plus seulement un pourcentage de pratiquants mais une recherche de signification, une façon de dire le monde et l’homme.

La foi chrétienne, une façon de vivre

Chute de la pratique religieuse, du nombre de prêtres, fermeture des couvents : toutes les statistiques sont à la baisse si bien que certains parlent même de l’effondrement de l’Église sinon même de sa disparition proche. Ne faudrait-il pas au contraire parler d’un retour à la normale ? Quand Jésus enseignait aux siens qu’ils sont le sel de la terre, le levain dans la pâte, il les prévenait du rôle vital de leur mission mais ne rêvait pas d’une Église majoritaire et imposante. Le danger qui la menaçait, c’est d’être affadie, de ne plus donner le goût de Dieu, ou de ne pas être assez mêlée au monde pour l’aider à sortir des ornières de l’égoïsme et de l’hostilité.

De même l’apôtre Paul ne demande jamais à ses communautés si elles ont « fait des conversions », si elles comptent davantage de membres. Son insistance permanente est d’inciter fortement et sans arrêt à devenir une meilleure communauté où tous les membres forment un seul corps, où l’on s’aime les uns les autres, où l’on aide les plus démunis, où l’on vit dans la joie. C’est la puissance de la charité fraternelle qui est missionnaire, là où chacun est considéré comme enfant du Père, où chacun aime Jésus le Christ qui a donné sa vie pour lui, où l’on prie ensemble dans la joie offerte par l’Esprit.

Nous vivons désormais dans un monde où toutes les idées, toutes les opinions, toutes les croyances se répandent et se heurtent. Il importe beaucoup de préciser en qui et en quoi « on croit » ou « on ne croit pas ». Jésus lui-même ne s’est pas heurté aux Romains idolâtres, il n’a pas jeté l’anathème sur les prostituées : au contraire il a été détesté et rejeté par des pieux Pharisiens, par des pratiquants comme les grands prêtres.

La modernité s’est dressée sur le rejet des vieilles croyances moyenâgeuses ( ?) remplacées par la Déclaration des Droits de l’homme et la devise « liberté-égalité -fraternité » (curieux : devise ternaire, elle aussi !). Il n’a pas fallu longtemps pour que des penseurs incroyants reconnaissent leur faillite et appellent à une refondation. En effet si « liberté » signifie refus des limites, déchaînement des besoins, boursouflure de l’ego, elle empêche la liberté (« certains sont plus égaux que d’autres » G. Orwell). Et ne parlons plus de fraternité.

La foi chrétienne est aussi à trois termes : non des mots abstraits mais des Personnes. Le Fils nous libère de l’aliénation du péché et des prisons de la rancune ; il nous révèle que nous sommes égaux puisque enfants du même Père et donc que nous pouvons, par l’Esprit, pratiquer la fraternité et nous aimer les uns les autres.

Dans un monde dévasté par la crise sanitaire et même menacé de disparition, vivre la foi aux Trois est la condition de l’avenir.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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