Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

7ème dimanche de Pâques – Année B – 16 mai 2021 – Évangile de Jean 17, 11-19

Évangile de Jean 17, 11-19

Pour que ma joie les comble

En ce 7ème dimanche après Pâques, entre les fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte, la liturgie nous fait entendre un extrait de Jean 17, qui couronne le discours d’adieu de Jésus à ses disciples. Jean met dans la bouche de Jésus une grande prière solennelle qui lui permet d’exprimer l’authentique projet de Dieu, lequel va à l’encontre des rêves messianiques courants. Cette Pâque de Jésus – croix et résurrection – n’est pas un accident, un échec mais au contraire l’Heure de son « passage », l’Heure de la glorification réciproque du Père et de son Fils. Tout est accompli et tout doit être vécu et annoncé sur toute l’étendue de la terre et jusqu’au bout de l’histoire. C’est dans ce but que Jésus prie. Car il ne suffit jamais de parler et de faire des miracles.

A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi : « …………. »

Au début de cette ultime soirée, Jésus, les yeux baissés, comme un serviteur, lavait les pieds de ses disciples : à la fin, les yeux vers le haut, il s’élance de tout son être pour les emporter, avec lui, vers le Père. Le Très Bas qui nous purifie est le Très Haut qui nous tire dans la Vie. Ainsi se dresse-t-il comme l’axe vertical qui permet au monde de tourner droit. Enlevez-le : nous basculons dans les ravages des guerres.

La lecture ne porte que sur la 2ème partie de la prière : il est souhaitable de lire et méditer tout le chapitre.

Jésus prie pour ses disciples

Père Saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’a donné,
pour qu’ils soient UN comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné.
J’ai veillé sur eux et aucun ne s’est perdu,
Sauf celui qui s’en va à sa perte – de sorte que l’Écriture est accomplie.

Il faut toujours faire attention quand on parle de « Dieu » : Jésus n’a-t-il pas été rejeté par les grands prêtres et les pharisiens, donc les « spécialistes de Dieu » ? Pendant sa mission, il a veillé sur ses disciples en leur révélant le vrai « Nom » c.à.d. non un mot mais la réalité authentique du vrai Dieu. Il a pu le faire parce qu’il avait conscience d’avoir reçu lui-même cette révélation de celui qu’il appelait son Père. Ce don a uni les disciples ( pourtant si différents les uns des autres) au point qu’entre eux, ils étaient en communion comme Jésus et son Père. Ce don de communion divine n’est cependant pas une aliénation car la foi n’enferme pas la liberté : aussi un disciple a-t-il pu décidé de rompre ce lien, de rejeter ce don – d’ailleurs l’Écriture l’avait annoncé. L’Église souffrira toujours du scandale de la défection de certains de ses membres.

Maintenant qu’il va disparaître, Jésus supplie son Père de poursuivre cette garde, il nous confie à la miséricorde de Dieu afin que nous soyons non pas semblables mais UN comme le Père et le Fils. Nous manifestons le vrai Nom de Dieu – Père et Fils – non par des performances individuelles mais dans la mesure où nous nous maintenons dans ce UN divin.

La Parole donne la Joie

Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans ce monde,
pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.

Dans notre société avide de plaisirs de possession, de jouissances, de divertissements, comment faire pressentir ce qu’est la joie ? Le monde de la consommation et du spectacle fait tout pour nous maintenir en état d’enfantillage : nouveau jouet, gadget inédit, gain de loterie, nouvelle sensation culinaire, invention indispensable…Devant les yeux des foules hypnotisées, on ne cesse d’agiter tous les hochets. Le but ? Qu’elles demeurent dans le parc, bien langées et parfumées. Surtout qu’elles ne se lèvent pas pour bousculer le désordre et l’infamie de l’injustice régnante.

La joie de Jésus ne signifie pas la tranquillité, la fin des soucis, le contentement béat : c’est la joie « qui est la mienne » dit-il. Il la promettait déjà au centre de son allégorie de la vigne (15, 11).

« Je parle pour qu’ils aient ma joie » : donc on la reçoit en écoutant sa Parole c.à.d. en l’acceptant, en se décidant à la pratiquer, en l’assumant comme plan de vie. Certes le disciple rencontrera des tempêtes, subira des épreuves parfois terribles, sera parfois pris d’angoisse comme les apôtres voyant leur maître partir à la croix et mourir. Mais il le promet : « Je vous verrai de nouveau, votre cœur alors se réjouira et cette joie, nul ne vous la ravira » (16,23).

Haine du monde contre les disciples

Je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine
parce qu’ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi je n’appartiens pas au monde.
Je ne prie pas pour que tu les retires du monde, mais pour que tu les gardes du Mauvais.
Ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi, je n’appartiens pas au monde.

Comment voulez-vous que le monde animé par l’instinct de conservation, la volonté de puissance, l’ambition effrénée de certains, la jalousie, l’avidité de la possession, accepte un Évangile qui exige l’amour fraternel, le pardon sans limites, le partage des biens, la fidélité aux engagements ? La charte des Béatitudes ne sera jamais Loi d’État – et elle ne le peut pas. Sans ambition politique ni avidité financière, pieux, accueillant à tous, plein de sollicitude pour les malades et les misérables, Jésus, le plus doux des hommes, a été moqué, critiqué, détesté, condamné à la mort la plus ignominieuse par les autorités religieuse et politique. Comme si elles pressentaient que cet homme était pour elles un danger.

L’Évangile ne chasse pas ses fidèles dans un Himalaya de méditation solitaire mais, tout en les laissant au cœur du monde, il leur propose une conversion radicale des idées et des comportements : peu sont ceux et celles qui l’accepteront jamais. Une Église majoritaire est une contradiction dans les termes.

Comme l’a bien diagnostiqué Jean dans son « Apocalypse »(13, 1 et 13, 11), le mystérieux « Mauvais » peut susciter la haine sous deux formes ; la violence meurtrière et la séduction. Les régimes totalitaires du XXème siècle ont déchaîné une haine épouvantable et exterminé des millions de victimes. Le capitalisme occidental, lui, avec sa main de fer du marché, séduit par ses réalisations spectaculaires mais le consumérisme, tout en semblant respecter la liberté, lamine sournoisement et impitoyablement le nombre de chrétiens. L’ange des ténèbres arbore un sourire séducteur mais il tue la foi en la diluant dans une religiosité fade, figée, inefficace. Se croire chrétien n’est pas nécessairement croire vraiment.

La crise du covid-19 va-t-elle nous ouvrir les yeux et nous acculer à une prise de conscience et à un engagement renouvelé ? Le pape François ne cesse de nous y appeler.

Sanctifiés par la Vérité de le Parole

Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde,
moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
Et pour eux je me sanctifie moi-même,
afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité.

Le mot hébreu « kadosh » peut se traduire en français par deux mots : « sacré » ou « saint ». Le premier sous-entend une mise à part : une église consacrée est vouée au culte et aux activités religieuses, elle doit être « désacralisée » pour accueillir des activités profanes.

Donc il vaut mieux traduire notre texte par « Sanctifie-les » car Jésus n’écarte pas les siens loin du monde. La Parole de Dieu proférée par Jésus est la vérité, l’authentique révélation qui les « sanctifie », c.à.d. qui leur fait vivre l’Évangile, qui les rend capables de ne pas suivre les modèles du monde tout en demeurant au sein de ce monde.

La dernière phrase n’est pas facile à comprendre. Elle semble dire que Jésus est décidé à aller jusqu’au bout de la mission reçue du Père qui l’a envoyé sauver les hommes. Puisque ceux-ci s’opposent à ce projet et décident de le supprimer, il accepte de passer par la mort car ce n’est qu’ainsi qu’il « passera » dans son Père et y entraînera ceux qui lui font confiance. La croix, subie dans l’angoisse et l’horreur, sera son chemin de sainteté absolue, de don total à son Père en faveur des hommes.

Conclusion

Ce grand chapitre de Jean est célèbre et doit être l’objet de méditations répétées.

Cette ultime prière de Jésus en somme synthétise tout le mystère pascal. Écoutons cette parole qui nous sanctifie dans la vérité, qui nous manifeste la Gloire du vrai Dieu, Père et Fils, et qui nous comble d’une joie que rien ni personne ne peut nous enlever.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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