4ème dimanche de l’Avent – Année A – 18 décembre 2022 – Évangile de Matthieu 1, 18-24

Évangile de Matthieu 1, 18-24

Un si grand mystère

Avant le Concile Vatican II, dans la liturgie, lorsqu’on arrivait à la confession de Foi du Credo : « Par l’Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme », on s’agenouillait des deux genoux. Même si ce rite n’est presque plus pratiqué de nos jours – tout au plus, certains inclinent-ils encore la tête lorsque le Credo évoque l’Incarnation – l’appel à l’humilité est toujours adressé à notre intelligence humaine nécessairement limitée quand il s’agit du dessein de Dieu. Nous ne sommes pas ici en présence d’un « miracle » livré à nos « explications » les plus fantaisistes, et les moins convaincantes pour notre « curiosité ». Nous sommes en présence d’un « Mystère », c’est-à-dire un acte de l’Esprit divin qu’il nous faut « accueillir » dans la Foi et la confiance.

La différence est essentielle : aucune explication ne pourra venir à bout du mystère divin ; jamais notre intelligence ne pourra l’épuiser : il restera mystère quelque soit la théologie que nous déployions. En ce sens, bien plus que contraindre la pensée, la limiter par un cadre rigide (et pour certains obsolète voire contraire à l’intelligence), les dogmes de l’Église servent à cerner le mystère. Jamais la notion du Dieu trinitaire ne trouvera d’explication rationnelle satisfaisante ; jamais nous ne pourrons pleinement comprendre l’Incarnation divine, puisque nous ne sommes pas le Christ. Et, en effet, face à de tels mystères, l’intelligence humaine doit savoir rester humble.

Loin d’être humiliante, cette soumission intellectuelle au mystère nous grandit. Seule l’humilité nous rend « capables de comprendre » la puissance d’amour du Dieu de Jésus Christ. Cette grandeur a été celle d’Abraham qui s’est réjoui de ce que Sara sa femme stérile tombe incompréhensiblement enceinte d’Isaac, le fils de la Promesse. Elle a aussi été celle d’Élisabeth qui, dans sa vieillesse, devint enceinte de Jean le Baptiste. Grandeur également de Joseph qui, à l’invitation d’une voix angélique reçue en songe, prit Marie pour épouse enceinte avant qu’il ait posé l’acte géniteur. Grandeur de profonde humilité de Marie enfin, qui, dans son Magnificat, exulte de joie de se trouver enceinte par la Puissance de Dieu qui pour elle fit la « merveille » de se pencher sur sa servante.

Au delà de l’humilité face à Dieu qui se révèle, il faut mesurer le tragique de ce qui se joue entre Marie et Joseph. Elle est une jeune fille – si on se reporte aux mœurs de l’époque, elle ne doit pas avoir plus de quatorze, quinze ans – une jeune vierge, promise en mariage à Joseph. Elle se retrouve enceinte et tous deux savent pertinemment que l’enfant n’est pas de lui. Parce que c’était à l’époque la loi, Joseph aurait pu la faire lapider. Il lui suffisait de la dénoncer, puisqu’elle-même reconnaissait ne pas être enceinte de lui. C’était alors les mœurs de lapider les vierges tombées enceintes hors mariage ; et on en trouve encore hélas des traces de nos jours … Il est coûteux de soumission, le « fiat » de Marie : en faisant confiance à Dieu, elle joue sa vie.

De même, de la part de Dieu, il n’y a pas plus radical abaissement, que d’arriver au monde par l’innocence d’une jeune fille que la résolution du cœur d’un seul homme pouvait condamner à mort ou laisser vivre.

C’est bien dans ces sentiments, dès lors, qu’il faut nous approcher de la crèche de Noël et, intellectuellement, en nous, nous agenouiller humblement, comme si avec Marie nous jouions notre vie dans la confiance. Contrairement à une démarche rationnelle qui viserait à tout comprendre et tout expliquer, il nous faut rester humbles face à l’incarnation de Dieu en l’humanité. Elle ne se fait qu’à ce prix. Ce ne sont pas nos certitudes, ni même nos efforts intellectuels qui nous rapprochent le plus intimement de Dieu, ce sont plutôt nos abandons dans la foi en son amour pour nous.

Le croyant est celui dont l’intelligence reste ouverte au mystère et, même, qui accepte une certaine ignorance. Nous ne savons pas tout des choses de l’amour, des choses de la vie, encore moins savons-nous tout de Dieu.

C’est peut-être une belle prière à faire pour se préparer à Noël : « Seigneur, donne-moi l’humilité d’accepter de ne pas tout comprendre – ni de l’amour, ni de la vie, ni de toi – et remplis mon ignorance du merveilleux de ton mystère … de ton incarnation. Viens au monde en moi ; habite de ton Esprit ce que ma raison ne voit pas. »

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

3ème dimanche de l’Avent – Année A – 11 décembre 2022 – Évangile de Matthieu 11, 2-11

Évangile de Matthieu 11, 2-11

Gaudete

Il y a un parfum de préliminaires amoureux dans la liturgie d’aujourd’hui. C’est le dimanche de Gaudete – « Gaudete » signifie « réjouissez-vous ». Réjouissez-vous car Il vient !

L’image des préliminaires amoureux est audacieuse mais elle est parlante. Aujourd’hui on se met en joie, en hâte même – avec une certaine exaltation – pour la venue de Dieu parmi les hommes, l’amour qu’il incarne. Le mot d’ordre du jour pourrait être : « Exultez de joie : le Seigneur vient tout sauver ».

Il y a un parfum de préliminaires amoureux dans la liturgie d’aujourd’hui. Réjouissez-vous, le Seigneur vient. Il vient ravir votre esprit et votre corps. Dégageons, pour un temps, la notion d’excitation de tout ce qu’elle a de négatif. Nous méditons aujourd’hui l’excitation de l’amour pour Dieu.

On joue avec le feu bien sûr, c’est le cas de dire : le feu spirituel, qui excite et qui, selon sa nature, mène au Ciel ou en Enfer. On pense évidemment au cas très actuel des pseudo-religieux exaltés par la haine, des terroristes agissant – soi-disant – au nom de Dieu. L’excitation spirituelle peut vite dévier en totalitarisme. C’est même un des ressorts des totalitarismes, quand massivement les gens s’excitent pour un phantasme spirituel, social ou politique. Il y a quelque chose d’une énergie que l’on libère dans l’excitation et qui peut échapper à tout contrôle. Ainsi, tout dépend de la direction que l’on prend a priori, de ce pour quoi on s’excite. Certes à s’exciter on joue avec le feu, mais c’est aussi le prix à consentir pour brûler du feu spirituel, s’embraser de l’amour divin. Si notre vie spirituelle n’est pas quelque part exaltante, excitante, il y fort à parier qu’elle manque de dynamisme, qu’elle manque de feu … qu’elle manque d’incarnation.

Le phantasme religieux, c’est précisément ce que dénonce, par sa vie, Jean le Baptiste, lui qui naît au sein de l’aristocratie religieuse, précisément ces élites qui choisissent de se soumettre à l’occupant romain, en échange de la liberté de culte. La caste sacerdotale, comme la famille royale, sont alors corrompues, vues comme collaboratrices avec l’occupant. L’image de Jean le baptiste, comme celle de saint François et de tant d’autres d’ailleurs, est ainsi celle d’un fils de bonne famille qui conteste radicalement les principes hypocrites de son milieu établi. Alors qu’une prestigieuse carrière de prêtre lui était toute tracée, il rejette les marches du Temple, les beaux vêtements sacerdotaux et les cultes magnifiques et il part au désert, nu couvert de peaux de bêtes, avec pour seul rituel, la purification dans la rivière qui marque l’entrée en Terre promise.

Il y a quelque chose du préliminaire à l’incarnation de l’amour divin, en Jean le Baptiste, d’animal, de naturel, d’humanité brute qui dénonce par sa vie l’hypocrisie qui ruine la relation authentique à Dieu. Le moins que l’on puise dire, c’est que c’est un homme entier, brut de décoffrage. Il le payera d’ailleurs, lui aussi, de sa vie.

A n’en pas douter, c’est un exalté religieux. De là, l’importance pour lui de ne pas se tromper, de ne pas tomber dans le phantasme :  « Es-tu celui qui doit venir ? ». Ce n’est pas une question de foi. Jean-le-Baptiste ne doute pas de la venue du Messie, que Dieu veuille s’incarner bientôt. Ce qu’il ne veut pas, c’est s’exciter pour un faux-messie, une fausse espérance, un faux amour, une fausse vie.  « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

En posant à Jésus, la question radicale de la confiance – « Es-tu, oui ou non, la bonne personne, celle en qui donner toute mon espérance, ma confiance et toute ma vie ? Es-tu celui qui doit venir me sauver ? – en posant la question ultime de la confiance, Jean le Baptiste, parce qu’il se sait exalté par l’incarnation de Dieu – souvenez-vous de l’épisode de la Visitation [Lc 1:39-45] où il tressaille dans le ventre de sa mère quand Marie enceinte vient la visiter – en posant donc la question de la confiance ultime, Jean le Baptiste ne témoigne en fait que de la radicalité de son désir affectif, du coté presque pulsionnel de son amour pour Dieu. C’est parce qu’il est intimement excité pour l’incarnation de l’amour divin qu’il est si important pour le Baptiste de ne pas se tromper de personne. Il joue tout sur le Christ.

Et c’est la même chose dans toute situation amoureuse. Celle ou celui qui excite mon sentiment, est-ce la bonne personne ? A tout qui tombe amoureux, forcément à un moment donné, la question se pose : est-ce lui ? est-ce elle, la bonne personne, celle en qui mettre toute mon espérance, ma confiance et mon amour, celle à qui donner toute ma vie ? A un moment donné, pour tout qui se sent exalté par quelqu’un d’autre, se pose cette question : « Es-tu celle/celui qui doit venir, ou dois-je en attendre un/une autre ? »

Au fond, la question est celle de la légitimité. Mon désir amoureux peut-il légitimement s’emballer, s’exciter pour toi ? Et la réponse positive devrait faire de l’autre personne votre époux ou votre épouse. C’est en cela que l’on dit que le Christ épouse l’humanité, comme on s’épouse entre personnes, sans crainte du feu que l’on attise.

Jean le Baptise est plus qu’un prophète, il est – selon les paroles mêmes du Christ dans l’Évangile – le messager de l’incarnation [Mi 3,1]. Il dit la nature presque animale, brutalement humaine, nue, du désir légitime d’autrui.

Et donc, comment sait-on que les tressaillements que nous éprouvons, les excitations amoureuses qui sont les nôtres sont légitimes ? Comment une jeune fille ou un jeune homme savent-ils que les embrasements de leur cœur, de leur esprit, de leur corps et de leur âme sont justes ? En posant la question directement à Dieu : « Es-tu celui qui doit venir ? »

Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers celle ou celui pour lequel mon cœur s’emballe ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir dans ce sentiment d’amour qui embrase mon cœur ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers ma vie, les élans présents de mon âme et de mon corps ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers mes désirs ? Voilà comment résoudre la question : avoir l’humilité, en toute circonstance sentimentale, et quel que soit notre degré d’exultation, de demander à Dieu s’il l’incarne.

On rejoint évidement le commandement de préférer Dieu à tout autre personne. Car, à mesure de ma radicalité et du désir d’amour qui brûle en moi, j’ai besoin de cette certitude, pour pouvoir en toute quiétude libérer les élans de mon cœur et de mon corps ; lâcher les sentiments qui me gagnent et qui, sinon, pourraient me tromper et m’enfermer dans une vie d’illusions et de phantasmes.

Plus qu’annoncer Dieu, Jean le Baptiste vibre de Dieu, de la certitude physique de l’incarnation divine. Il reste humain – plus petit que le plus petit dans le Royaume des Cieux, dira Jésus – un humain radical et exalté. Mais il est le plus grand de tous les hommes de ce monde parce que, jusque dans la plus grande excitation, dans le plus grand dénuement, jusque presque dans l’animalité de son sentiment amoureux, il persiste à vérifier qu’il vibre bien de l’amour de Dieu.

En tous mes sentiments, Dieu, « es-tu celui qui doit venir » ?

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

2ème dimanche de l’Avent – Année A – 4 décembre 2022 – Évangile de Matthieu 3, 1-12

Évangile de Matthieu 3, 1-12

L’heure du bain

Parmi les quatre prières eucharistiques que le prêtre peut choisir pour célébrer la messe, j’aime beaucoup la quatrième, parce qu’elle présente, sous la forme d’action de grâce, un grand et beau résumé de toute l’histoire d’amour de Dieu pour le monde, ce que nous appelons communément l’histoire du Salut. On y trouve notamment cette courte phrase qui résume tout l’Ancien Testament : « Père saint, tu as multiplié tes alliances avec eux et tu les as formés, par les prophètes, dans l’espérance du salut ».

On ne nous dit pas que Dieu a répété constamment la même alliance, mais que chaque reprise de sa fidélité a été un nouveau commencement, une nouvelle intervention de son amour. Et lorsque Zacharie, à l’aube de la nouvelle alliance qui se réalisera dans le Christ, bénit Dieu pour la naissance de son fils Jean le Baptiste, il y voit un signe d’un nouveau commencement, une manifestation toute nouvelle de l’ancienne alliance, pareille au lever du soleil, à une lumière, sans autre pareille, sur tous ceux qui gisent dans l’ombre de la mort [Luc 1, 67-79].

J’aime aussi la manière dont Jean le Baptiste vitupère. Il ne paye pas de mine vêtu de peaux de bêtes, même sa nourriture est sauvage. Aux pharisiens et aux sadducéens, il dit : « Engeance de vipères ! … Convertissez-vous … Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » Son caractère hirsute traduit l’urgence de l’espérance attendue.

En effet, Jean est issu d’une famille sacerdotale, son père Zacharie était un prêtre du temple de Jérusalem. En allant baptiser aux bords du Jourdain, Jean commet un acte révolutionnaire, transgressif pour l’establishment religieux dont il provient : il proclame une nouvelle entrée en terre promise, qui sera – nous le savons – celle de l’incarnation divine en nous. En renonçant au culte du Temple pour retourner aux sources, c’est une nouvelle alliance avec Dieu que Jean proclame, une alliance faite de proximité et de conversion : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche … Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. »

La sainte et longue histoire du salut connaît, avec le Baptiste, un nouveau commencement définitif et décisif, inauguré en la personne même de Jésus Fils de Dieu : « Le Verbe s’est fait chair pour demeurer parmi nous ».

On découvre ainsi toute la fraîcheur du temps de l’avent, tout ses bienfaits spirituels aussi. Bien loin d’être poussés au désert – ce sera la démarche de carême –, c’est dans l’eau courante du Jourdain que nous nous plongeons : un bain de renaissance, un baptême de nouveau-né, un retournement de tout notre être, une conversion toute joyeuse d’espérance.

La prédication de Jean Baptiste et sa conception du messie fait bien de lui un prophète de l’Ancien Testament. On ne peut être que frappés par le contraste entre cette virulence dans les propos de Jean Baptiste et l’humilité de Jésus qui viendra le rejoindre parmi les pécheurs qui se font baptiser. La prédication de Jésus ne reniera en rien celle de Jean Baptiste. Lui aussi insistera sur l’urgence de la conversion, sur les conséquences désastreuses de notre péché, mais Jésus rappellera également qu’il ne vient pas pour condamner, mais pour sauver. La reconnaissance de notre péché n’a pas pour but de nous culpabiliser, de nous écraser, de nous humilier, mais tout au contraire de nous dégager de sa gangue, de nous en libérer.

L’avent c’est le temps du changement rafraîchissant, de la conversion joyeuse, le temps d’apaiser tout ce qui nous brûle à la source vive des eaux baptismales. L’avent c’est le temps de l’étanchement de nos soifs amoureuses impatientes. Plus que de la culpabilité et de la honte, essayons d’avoir ce regard vivifiant sur la confession des péchés et la conversion de nos cœurs : comme un verre d’eau étanche la soif en été ; comme des enfants poussiéreux se jettent avec enthousiasme et joie dans une rivière.

Sachons nous laisser interpeller par les paroles virulentes de Jean le Baptiste. Durant ce temps de l’avent, laissons-nous interpeller, secouer. Aux pharisiens et aux sadducéens qui se croyaient à l’abri de toute critique parce qu’ils étaient fils d’Abraham, Jean dit « tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » Quels sont les fruits de notre amour pour Dieu ? Notre cœur est-il rempli de joie ? Et cette joie rayonne-t-elle sur ceux qui nous entourent ? Car il ne suffit pas de porter le nom de juif ou de chrétien, il ne suffit pas de revendiquer son titre de baptisé … il faut que nous puissions nous convertir en profondeur, jusqu’aux racines de notre être, que nous fassions de notre vie une terre promise, que nous accueillons en nous le Sauveur.

L’avent c’est le temps du grand bain dans l’espérance de cette rencontre, un bain de jouvence donné à notre vie spirituelle.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

1er dimanche de l’Avent – Année A – 27 novembre 2022 – Évangile de Matthieu 24, 37-44

Évangile de Matthieu 24, 37-44

Moi, nouveau-né

Deux mille ans que l’Église fête Noël. Deux mille ans … Et où en est-on ? Deux mille ans que nous fêtons la délivrance ultime – Dieu qui se fait homme – deux mille ans que nous proclamons qu’un sauveur nous a été donné, qu’il est venu nous rejoindre et qu’il habite désormais parmi nous, qu’il continue à vivre en nous. Deux mille ans d’Incarnation … Et qu’est-ce que cela a changé ?

L’économie est aux mains des plus avides ; la politique aussi. Nous venons de clore le siècle le plus dramatique de l’Histoire ; jamais le monde n’a autant réduit de gens en esclavage qu’aujourd’hui. De quoi la venue de Dieu sur Terre nous a-t-elle sauvés ? En quoi a-t-elle simplement changé les choses ?

La crise est partout. De toutes parts, les tensions montent et des guerres éclatent ; l’information quotidienne est une incitation à la déprime ; notre planète est malade : tous plantes, animaux, humains souffrent ….

Cinq siècles avant notre ère, Isaïe prophétisait : « De leurs épées, ils forgeront des socs, et de leurs lances, des faucilles. Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ; ils n’apprendront plus la guerre. ». Depuis lors le Christ est venu. Et qu’y a-t-il de changé ? N’en sommes-nous pas encore à supplier « Jamais plus la guerre ! » (Paul VI, discours aux Nations-Unies, 4 octobre 1965) ?

Deux mille ans que nous chantons « Il est né le divin enfant » – deux mille ans que l’Église nous invite à nous réjouir à Noël – et qu’est-ce ça a changé ? Rien ? Alors nos célébrations sont du vent …

C’est quoi Noël ? Un souvenir qui s’évanouit dans la nuit des temps ? Une surconsommation de sapins coupés, de crustacés et de gibiers ? Un moment de cadeaux et de plaisirs ? Un repas familial à peine différent des autres repas familiaux ? C’est quoi Noël ?

Si notre Noël prochain n’est pas différent de notre Noël de l’an passé : alors il est désespérant. Noël n’est pas tant un passé que l’on se remémore qu’un renouvellement qui s’opère. Quelque chose doit avant changé pour que ce soit Noël. Et puisqu’on en est à parler de l’Incarnation, quelque chose doit avoir changé en moi, pour que ce soit Noël.

Noël c’est l’incarnation à nouveau frais en nous de la présence divine. C’est dans la mesure où je serai une crèche vivante, lieu d’une venue divine au monde, que ce sera pour moi Noël.

L’incarnation de Dieu a-t-elle sauvé le monde des catastrophes, des guerres et des famines ? Non. L’incarnation de Dieu a-t-elle sauvé le monde des épidémies, des génocides, des souffrances et de la mort ? Non.

C’est d’abord individuellement que nous avons été sauvés ; ensuite, des résurrections individuelles se relèvera le monde. C’est un par un que le Christ guérit les impurs ; relève les paralytiques ; délivre d’esprits mauvais. Ceci devrait nous faire prendre conscience du caractère premièrement intime de la fête de Noël : qu’est-ce que la venue de Dieu change en moi ?

Le sens collectif de la fête de Noël, paradoxalement dans ce monde individualiste, nous le maîtrisons fort bien. Nous sommes le premier dimanche de l’Avent et la société est déjà fort occupée à préparer les fêtes de fin d’année. Partout les illuminations apparaissent ; déjà certains sont en quête de menus et de cadeaux.

Mais le sens individuel de Noël – en quoi sera-ce en moi une fête – ce sens tant personnel que concret de l’incarnation d’un Sauveur, celui-là semble perdu. Y compris chez beaucoup de chrétiens.

Noël est la fête d’un nouveau-né et ce nouveau-né c’est moi. Qu’est-ce qui, en moi, aura changé à Noël ? Voilà la question d’aujourd’hui.

Mettre fin à une querelle ; aller retrouver quelqu’un qui nous manque. Changer un soupçon en confiance. Accueillir l’étranger. Voilà, c’est Noël.

Changer son comportement, rejeter les œuvres des ténèbres – débauches, rivalités, jalousies – et revêtir des armes de lumière, comme dit Paul. Voilà, c’est Noël.

Renoncer à un rancune. Pardonner à un ennemi. Confesser une une faute. Présenter des excuses pour un tort. Se réconcilier. Voilà, c’est Noël.

Peut-être retrouver de la joie de vivre. Exprimer enfin sa gratitude. Raviver son âme d’enfant. Retrouver le sens du naturel ; s’en émerveiller à nouveau. Voilà, c’est Noël.

Aller dire à ceux qu’on aime qu’on les aime, témoigner d’un peu plus de tendresse, aller réchauffer le cœur de quelqu’un. Voilà, c’est Noël.

Pour vous, qu’est-ce qui change à Noël ?

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

1er dimanche de l’Avent – Année C – 28 novembre 2021 – Évangile de Luc 21, 25 -36

Évangile de Luc 21, 25 -36

« D’où sors-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? »

Un bon mois avant la société civile, l’Église ouvre son calendrier de l’an 2022. Ce fait est hautement symbolique puisqu’il nous invite, nous chrétiens, à nous élancer les premiers dans la nouvelle étape de l’histoire. Nous ne sommes pas toujours les meilleurs qui donnent l’exemple car l’avant-garde est soumise aux premiers tirs de l’ennemi, aux attaques du mal qui fait tout pour stopper notre élan. Mais le pire malheur est de ne pas remplir notre mission et de rentrer dans les rangs sans oser nous aventurer sur de nouveaux chemins, sans vouloir conduire l’humanité hors des ornières. A quoi sert une Église aussi conventionnelle que le monde et qui se limite à plaquer un vernis religieux par des cérémonies ? Nous entrons EN AVENT signifie aussi nous partons EN AVANT. Nous devons être les prophètes du nouveau monde.

Le Dernier Enseignement de Jésus

Comme Marc que nous écoutions l’année passée, et comme Matthieu, Luc, qui sera notre guide cette année, rapporte l’ultime et très long et très difficile enseignement de Jésus avant d’entrer dans sa Passion. Conscient de sa mort toute proche, il sait que celle-ci n’est pas l’échec de sa mission mais, tout au contraire, le tremplin pour conduire le monde et l’humanité à leur vraie fin.

En ce dimanche inaugural, nous écoutons la fin – et même écourtée – de ce discours. On y distingue trois points.

L’Ébranlement cosmique

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées par la fracas de la mer et de la tempête. Les hommes mourront de peur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde, car les puissances des cieux seront ébranlées… »

Terrifiant début d’année ! Peut-on encore parler de « Bonne Nouvelle » ? Contrairement à Aristote et Marx, Jésus ne croit pas à l’éternité du monde. Mais rassurons-nous : si les savants nous annoncent eux aussi la fin de notre monde, ce serait pour dans quelques millions d’années. A moins que les hommes eux-mêmes, par leur rapacité et leur aveuglement, n’anticipent la catastrophe. Jésus a refusé de préciser toute datation.

La Venue du Fils de l’Homme

« Alors on verra le Fils de l’Homme venir dans la Nuée, avec grande puissance et grande gloire. Quand ces évènements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance approche ».

L’événement fondamental est dit de la manière la plus sobre, en quelques mots : la venue triomphale du Christ. On reconnaît tout de suite la citation du prophète Daniel qui a été rapportée à plusieurs reprises :

« Je regardais : des trônes furent installés et un Vieillard (symbole du Père) s’assit : son trône était en flammes de feu…Un fleuve de feu coulait devant lui…Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’homme. Il arriva jusqu’au Vieillard. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté. Les gens de tous les peuples le servaient. Sa souveraineté ne passera pas ; sa royauté ne sera jamais détruite…(Daniel 7, 9-14)

Donc l’histoire de l’humanité n’est pas née sans raison pour s’achever dans le néant. Elle n’est pas une suite chaotique et insensée parce que tout se vaut. Si la violence, la haine, la trahison semblent parfois régner, causer des millions de victimes et des horreurs sans nom, le règne véritable est celui de l’amour, de la douceur, de la pauvreté, de la paix.

Edith Stein à Auschwitz, Maximilien Kolbe mourant de faim dans sa geôle sont rois tandis que leurs bourreaux sont prisonniers de leur méchanceté. La Bonne Nouvelle est moquée, bafouée, méprisée mais elle règnera éternellement. L’Évangile est la véritable libération.

On souhaiterait ensuite recevoir quelque lumière sur la suite, la mystérieuse éternité : rien n’en est dit. Ce qui seul importe c’est notre comportement aujourd’hui de disciple.

Exhortation à la vigilance

« Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste. Comme un filet, il s’abattra sur tous les hommes de la terre. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver et de paraître debout devant le Fils de l’Homme ».

Alors que l’événement essentiel – la venue du Fils de l’homme – était dit en quelques mots, l’exhortation finale est soulignée avec beaucoup d’insistance. Le danger est double en effet : ou bien de ne plus croire qu’il y aura un jugement final et vivre à sa guise selon ses intérêts ou être obsédé par la catastrophe, se perdre dans des supputations sur les signes éventuels et même arrêter toute activité dans la certitude de son imminence.

Ce jour viendra à l’improviste, il s’abattra d’un même coup comme un filet sur l’univers des hommes. Cette fin ne dévalorise pas les projets et les activités, elle n’envoie pas les croyants hors du monde dans le désert ni ne les fait trembler d’une panique perpétuelle. Mais son annonce certaine nous met en garde notamment contre trois tentations la débauche, l’ivrognerie et les drogues, l’enlisement dans un trop grand souci des biens matériels. Remarquons que notre société moderne multiplie les efforts pour accentuer la virulence de ces passions : les médias et les réseaux sociaux deviennent rongés par la pornographie, excitent la fuite dans l’esclavage des addictions, poussent à la rage des achats compulsifs.

« Restez éveillés et priez en tout temps » : la vigilance est l’ultime et importante consigne du Christ. Elle n’appelle pas à l’insomnie ni à l’inquiétude tremblante. Mais la foi ne fait pas de nous des matous ronronnant des cantiques, des bienheureux fiers d’avoir leur « Ciel Ticket Service ».

Gros travail de rester éveillés dans une société qui fait tout pour nous endormir. « Dormez, bonnes gens, tout va bien, vous allez être augmentés. Et ne ratez pas le prochain numéro de votre série favorite ». La publicité est-elle autre chose qu’une terrible machine pour nous hypnotiser et nous rendre dociles comme des moutons de panurge ?

Soyez éveillés, clame Jésus. Sachez reconnaître les enjeux du monde et agir en conséquence.

La Prière dans la Vie

Pour cela, une grande recette essentielle : « Priez en tout temps ». Cela ne signifie évidemment pas ruminer des formules mais cesser de confiner Dieu dans les lieux sacrés et au moment de la prière du soir, ne plus séparer le sacré et le profane, laisser Dieu en-dehors de la vie ordinaire.

Comment Dieu voit-il mes habitudes d’achat, mon usage de la télévision, ma façon de placer mon argent, de chercher de hauts rendements ? « Acheter est un acte moral » disait Benoit XVI. Dans mon entreprise, que fais-je pour refuser des engagements incompatibles avec ma foi ? Pour la question du climat, que puis-je faire ? Tous les Organismes humanitaires appellent au secours car la pauvreté augmente : quel est mon quotient de partage ?

La prière en tout temps ouvre les yeux, les cœurs et les mains.

Conclusion

Jésus n’est pas madame Soleil : au seuil de l’année nouvelle, il ne nous donne pas la liste de tout ce qui va arriver. Il nous dit – et redit – l’essentiel : « Je viens ». L’histoire n’est ni un progrès incessant ni une chute vers l’abîme. « Le Fils de l’Homme vient » : or nous le connaissons bien par les évangiles et nous savons le genre de monde qu’il veut et qu’il réalise avec certitude. Ce sera une humanité qui baigne dans la clarté de la Miséricorde. Ainsi nous est révélé ce que le monde ne trouve pas : le sens.

Les yeux ouverts, remplis de confiance, le cœur éclairé par la prière, conscients de nos fautes et de nos faiblesses, nous nous élançons « en avent »

Bonne année, à vous, chers lectrices et lecteurs, sous la conduite de l’Esprit.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

3ème dimanche de l’Avent – Année B – 13 décembre 2020 – Évangile de Jean 1, 6-28

Évangile de Jean 1, 6-28

Jean-Baptiste :
Témoin de Jésus

« Il y eut un homme envoyé par Dieu » : le début de la lecture du jour, extrait du prologue solennel de l’évangile de Jean, annonce l’apparition de Jean-Baptiste et son rôle essentiel : témoigner. Ensuite le récit commence et raconte comment ce témoignage a commencé. Nous nous retrouvons à l’endroit dont Marc nous a parlé dimanche passé. Il est bien précisé que le précurseur s’est installé de l’autre côté du Jourdain, au village de Béthanie. A la fin, Jésus viendra dans un village situé à l’est de Jérusalem et qui porte le même nom (qui signifie « maison des pauvres ») où il rendra la vie à Lazare. Si Jean-Baptiste fait passer d’une rive à l’autre, Jésus, lui, fera passer de la mort à la vie : voilà comment la Bonne Nouvelle s’adresse aux pauvres qui croient.

Les Juifs enquêtent

Et voici quel fut le témoignage de Jean quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour le questionner.

Dans l’évangile de Jean le procès de Jésus commence tout de suite par l’interrogatoire de son premier témoin. A Jérusalem les autorités du temple ayant appris l’activité de Jean-Baptiste envoient une commission afin d’enquêter car l’affaire est grave. On craint que cet agitateur provoque un soulèvement populaire. Et tout Israël sait que la purification des péchés n’est obtenue que par les sacrifices exécutés par les prêtres dans le Temple, selon un rituel très précis édicté dans le livre du « Lévitique ». Pourquoi cet homme, prêtre de surplus, s’arroge-t-il le droit de promettre le pardon par un baptême dans l’eau ? Cette initiative, totalement contraire à la Loi, est inadmissible et doit être arrêtée au plus tôt.

Curieusement Jean note que ces enquêteurs ont été délégués par « les Juifs ». ? Or, sauf rares exceptions, tous les personnages de l’évangile sont juifs, à commencer par Jean-Baptiste et Jésus ! Pour comprendre, il faut se rappeler les circonstances historiques. Jean rédige son livre à la fin du 1er siècle. En l’an 70, la révolte juive a été écrasée et le temple incendié. C’est la catastrophe, le malheur suprême pour Israël : plus aucun culte n’est possible puisqu’il ne pouvait se dérouler que dans la Demeure de Dieu.

Or tandis qu’Israël ne dispose plus que de synagogues, les nouvelles communautés chrétiennes continuent à se répandre. Juifs et païens s’y côtoient, partagent les mêmes repas dans leurs maisons. Par leur foi en Jésus Seigneur, ils semblent contester la foi monothéiste fondamentale et ils abandonnent les pratiques sacrées : la circoncision, la nourriture casher, l’observance du sabbat, les traditions des pères…Il apparaît de plus en plus incompatible d’être fidèle à la Loi et de croire à l’Évangile : on décide donc d’interdire l’entrée des synagogues aux juifs devenus chrétiens et on commence à les dénoncer au pouvoir romain. Dans cette faille dramatique qui se creuse, le terme « Juif » désigne alors les autorités, prêtres, pharisiens hostiles à la foi chrétienne. Et cependant dans son évangile, Jean dit bien que Jésus est juif (4, 9) et que « le salut vient des Juifs »(4, 22). La rupture, hélas, va s’élargir de plus en plus et l’antijudaïsme se développer. On sait à quelles horreurs cela conduira au fil des siècles.

Le Témoignage de Jean

Les délégués sont arrivés avec une opinion très défavorable. Une cascade de dix répliques déboule dans une tension croissante.

Qui es-tu ? – Je ne suis pas le Messie – Es-tu le prophète Elie ? – Non – Es-tu le Prophète attendu ? – Ce n’est pas moi – Qui es-tu ? Nous devons répondre à ceux qui nous ont envoyés – Je suis la voix qui crie dans le désert : « Aplanissez le chemin du Seigneur », comme disait Isaïe.– Pourquoi baptises-tu ? – Moi je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas : c’est lui qui vient derrière moi et je ne suis même pas digne de défaire la courroie de sa sandale.

En quoi donc consiste le témoignage du Baptiste ? En trois points importants.

D’abord il dit ce qu’il n’est pas. Il dénie correspondre aux grands personnages dont la venue était prophétisée dans les Écritures. Il n’est pas le Messie, le roi descendant de David, le Oint de Dieu annoncé tout au long de l’histoire d’Israël ( « Réjouis-toi, fille Sion, ton roi s’avance vers toi » (Zach 9, 9). — Il n’est pas Elie dont Malachie 3,23 prédisait le retour (« Je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur ». — Il n’est pas le grand Prophète promis par Moïse qui avait dit : « Dieu suscitera un prophète comme moi du milieu de vous » (Deut 18, 15).

Ensuite Jean ne décline pas son identité, ne se prévaut d’aucun titre. Il se réduit à sa fonction : il parle, il est « la voix » qui reprend la Bonne Nouvelle lancée jadis par le 2ème Isaïe. Celui-ci invitait les Judéens qui avaient été déportés à Babylone à se préparer et à revenir sur la terre d’Israël : maintenant Jean exhorte les gens à un retour spirituel, c.à.d. à se convertir car ils vont pouvoir sortir de l’esclavage du péché. Les enquêteurs ont donc tort de se méfier: l’intervention de Jean n’est pas farfelue ni blasphématoire, elle poursuit et accomplit le dessein de Dieu qui se réalise d’étape en étape.

Et enfin, reconnaissant l’insuffisance de ses exhortations et de son baptême dans l’eau, Jean-Baptiste révèle qu’un autre va lui succéder, un anonyme qui se trouve déjà présent et qui sera d’une envergure infiniment plus grande que lui. Ce sera évidemment Jésus qui se tient là, parmi les disciples de Jean, homme parmi les hommes : il accomplira le passage dans la vie, la libération du mal, la purification dans l’Esprit.

Être témoin de Jésus

Jean est donc le premier personnage qui apparaît dans l’évangile et sa mission est très précise : rendre témoignage de Jésus afin que l’on croie en lui. « Témoin-témoigner »est répété à 7 reprises. Dès le départ on se trouve dans une ambiance de procès : les autorités sont tout de suite sur le qui-vive. Donc ceux qui parlent de Jésus sont soupçonnés, criblés de questions. Leur foi devient une mission : ils ont à répondre, à justifier leur attitude. La Samaritaine. (chap. 4), le paralytique (chap.5), l’aveugle-né (chap.9) seront à leur tour de grands témoins de Jésus  et lui-même fera sa propre plaidoirie (chap.5). Que nous apprend le témoignage du Baptiste ?

Il s’est posté à un gué, sur un lieu de transit, de passages des caravanes, de communication entre nations. Le témoin de Jésus est un passeur et sa vie est en contact avec des chrétiens et des non croyants. Il ne doit pas être un mur de suffisance mais un homme de dialogue qui appelle à « sortir ». A sortir d’une existence égoïste, enclose sur elle-même afin de préparer un avenir. A oser une vie de don et de pardon, de service et de partage.

Le témoin ne se targue pas de ses titres, de ses compétences pour se donner de l’importance. Et il n’échappe pas à sa mission en prétextant de son incapacité, son manque de diplômes, sa condition modeste. Le témoin n’a qu’un devoir quel qu’il soit : annoncer Jésus. Surtout il ne se présente pas lui-même comme l’homme qui va régler les problèmes. Nul n’est sauveur. Le siècle dernier a vu défiler des prétendus sauveurs : Staline, Hitler, Mao, Pol Pot ont été les plus cruels carnassiers de l’histoire. Maintenant, après eux, l’époustouflante société occidentale avec ses exploits mirifiques, se propose comme la réussite de l’humanité. Elle a essayé de persuader qu’elle pouvait accomplir l’homme et que l’on pouvait désormais ranger la foi dans le grenier des vieilles superstitions. On a même parlé de « la fin de l’histoire ».

Il y a quelques années, il était normal d’être chrétien, la majorité de certains de nos pays était baptisée. Aujourd’hui dans certains milieux il est malséant de prononcer le nom de Dieu ; l’Église est critiquée, sommée de se taire ; devant ses statistiques en chute libre, on la dit décadente, en voie de disparition. Désemparés dans leurs églises presque vides, et en panne de célébrants, les croyants sont tentés de s’enfermer dans le mutisme, d’espérer le retour du bon vieux temps.

Jean-Baptiste nous rappelle qu’il est normal d’être soupçonné, qu’il faut s’attendre à être l’objet d’interrogatoires : la foi est témoignage au sens judiciaire. L’évangile commence par le procès de Jean-Baptiste et il finira par le procès, et la condamnation, de Jésus.

Avec vivacité, il exhorte à préparer le chemin du Seigneur. Plus que de préparer l’envol d’une navette spatiale, de peaufiner le luxe de notre confort et la variété de nos voyages, il s’agit de travailler dur pour briser notre égoïsme. Car le chemin vers Dieu se concrétise toujours dans l’effort pour cheminer vers les hommes. La situation actuelle qui multiplie la misère, le désarroi, la solitude, la désespérance oblige à de nouvelles inventions de la charité.

Mais surtout, essentiellement, Jean-Baptiste annonce Jésus. Il viendra sûrement et il est déjà au milieu de nous. Lui seul dispose d’assez de pouvoir pour purifier des péchés, pour achever le chemin vers Dieu, pour accomplir la pâque, le passage.

Conclusion

Le procès de Jésus se déroulera jusqu’à la fin des temps et ses disciples sont de ce fait ses témoins. Non admirés et imités mais suspects, voire dangereux. Mais la Bonne Nouvelle offre un bonheur tellement grand qu’elle allume le désir de le partager. La vie en fraternité d’Église permet une telle communion que les croyants souffrent de voir tant de misères, tant de solitudes, tant de conflits, tant de guerres et ils montrent le Prince de la Paix. Celui-ci les a prévenus : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier » (15, 18). Mais « Dieu aime tant le monde qu’il donne son Fils pour le sauver » (3, 16).

Frère Raphaël Devillers, dominicain

1er dimanche de l’Avent – Année B – 29 novembre 2020 – Évangile de Marc 13, 33-37

Évangile de Marc 13, 33-37

La Foi et le Temps

Nous, chrétiens, nous suivons deux calendriers. En tant que citoyens d’une nation, le 1er janvier, nous nous engagerons dans l’année civile 2021 ; comme membres de l’Église, dès aujourd’hui, nous inaugurons une nouvelle année liturgique. Ce décalage est très intéressant à méditer. Le confinement qui nous interdit les rassemblements nous donne l’occasion de réfléchir à ce que nous pratiquons parfois de façon machinale.

Car qu’est-ce qu’une année ? C’est la durée d’une révolution de la terre autour du soleil, avec la succession des saisons qui permettront la vie des végétaux et des animaux. Mais l’humanité peut-elle se contenter d’être emportée par le temps des astres ? De monter sur un carrousel qui n’en finit pas de tourner jusqu’au moment où l’on en est éjecté ? Un couple qui s’aime, une maman qui contemple son bébé, un adagio de Mozart, une peinture de Van Gogh, le récit des vies de Gandhi, de Mandela, de l’abbé Pierre…tout transpire l’appel profond de notre cœur, le refus d’une fatalité absurde, d’un enfermement dans la cage de la répétition.

L’expérience de l’amour, le ravissement de la beauté, la grandeur unique de la liberté, l’exigence viscérale de la justice nous révèlent que notre vie n’est pas enfermée dans un événement biologique mais qu’elle est réponse à un appel, qu’elle est vocation, qu’elle se réalise dans une signification. Malgré la peur de la mort, il nous est dit que la vie est un don qui doit s’offrir pour aller au bout d’elle-même.

L’Année Liturgique

Voilà pourquoi nous commençons à l’avance une année liturgique. Non parce que nous sommes des gens crédules qui croient encore aux vieilles légendes. Ni parce que nous suivons, comme des moutons dociles, des clercs qui nous manœuvrent. Mais parce que la foi donne un sens à la vie : le temps n’est plus un retour éternel des saisons mais une flèche. L’histoire est la durée d’accomplissement du projet de Dieu. Par son Messie, Dieu appelle les hommes à être libérés du mal pour devenir, par l’amour, en communion avec lui. En nous éclairant sur le chemin de l’humanité, l’Évangile nous donne mission : celle de nous envoyer, les premiers, en avant-garde, dans la nouvelle étape où elle s’engage.

Avec crainte et tremblement, l’humanité a basculé dans une crise aux enjeux gigantesques que les médias nous détaillent tous les jours : pandémie, réchauffement climatique, pollution, destruction des ressources, économie vacillante, menace atomique, etc. Il est urgent, il est essentiel que nous, chrétiens, décidions de prendre des engagements nouveaux qui soient à la mesure des dangers qui menacent. Nous ne pouvons nous limiter à une pieuse gentillesse, à une attente passive. Hommes et femmes de toutes nationalités et de tous niveaux sociaux, orientés en diverses positions politiques et culturelles, nous n’avons évidemment pas la solution des problèmes mais nous constituons une force d’entraînement et d’exemple.

Pour cela nous avons besoin d’une foi éclairée, d’une espérance sans faille, d’une charité efficace. Le déroulement de l’année liturgique, loin d’être une fantaisie cultuelle, offre la formation continue au peuple croyant. C’est le catéchisme continuel qui replace toujours l’Église dans sa vérité et qui renouvelle ses énergies. Tentons un panorama rapide.

Eglise en Avent

D’emblée il faut remarquer que, dans le calendrier le plus répandu dans le monde, l’année est référée au Christ : « 2021 » après son passage sur terre. Mais il a promis de revenir comme Seigneur. Donc l’attitude première qui nous est inculquée est l’ « Avent », c.à.d. l’attente d’un avènement. 2021 n’est pas qu’un souvenir historique : le déroulement des siècles s’ouvre sur un avenir. Le chrétien en avent ignore les événements qui vont survenir, il n’est pas obnubilé par les catastrophes mais il est certain d’aller à la rencontre de ce Seigneur qui l’aime et qui fera triompher la justice, comme la fête du Christ-Roi vient de nous l’assurer.

Un verbe caractérise cette attitude et il est répété à 4 reprises dans l’évangile du jour : « Veiller ». Jésus ne nous invite pas à l’insomnie angoissée mais à la prise de conscience. La société nous pousse à la consommation sans retenue, au divertissement perpétuel, au repli sur soi : Jésus nous invite à la solidarité, à la retenue. Le chrétien en avent se doit de creuser sa sollicitude envers les multitudes infinies d’hommes qui n’ont pas découvert le Christ. Est-ce que nous soupçonnons la grande misère des vies recroquevillées dans leur égoïsme étouffant ? La pauvreté spirituelle est tragique qui s’abîme dans le désespoir.

Vivre l’Avent ce n’est pas faire semblant d’attendre le petit Jésus : c’est ouvrir une brèche dans le mur de l’avenir, c’est éclairer les ténèbres du présent par la lumière de Dieu qui vient de l’avenir.

Église de Noël

Le confinement va sans doute détruire « la magie de Noël » et son barnum. Cela nous aidera à percevoir les signes de la venue de Dieu dans la pauvreté, le silence de la marginalité. Nous accueillons le Dieu faible et silencieux dans le Bethléem de l’Église ; nos poings prêts à la violence s’ouvrent pour devenir la crèche de l’accueil et du partage.

Église de Carême

Au printemps de l’année, nous nous recueillons pour préparer les fruits de l’avenir. Le carême n’est pas une suite morose de sacrifices mais le temps de la méditation. Quelles options de vie prendre ? Être soucieux de manger mieux ou de nourrir les autres ? Séduire par le spectacle ou marcher dans l’humilité ? Écraser par la puissance ou chercher la Gloire de Dieu ? Les trois tentations exigent des décisions radicales.

Église de Pâques

Les hommes qui veulent faire une croix sur Dieu reçoivent, de cette croix, son pardon et sa vie. Au mont chauve du Golgotha jaillit la source de la Miséricorde infinie. « Dieu est Amour ». Après la quarantaine du désert, la cinquantaine de l’Esprit chasse nos tristesses, défait nos liens d’esclaves du péché pour nous unir dans la concorde de la communion. nous libère, nous envoie jusqu’au bout du monde pour annoncer la Bonne Nouvelle.

Église d’après Pentecôte

En plein monde et en pleine foi, nous assumons nos responsabilités dans le temps qui se poursuit. Au jour de sa résurrection -dimanche -, nous commençons chaque semaine en nous laissant recueillir par notre Berger. Il nous offre son pardon sans condition, il nous explique les Écritures. Chaque page de son Évangile nous éclaire sur tous les aspects de la vie. Le partage de son Corps eucharistique nous consolide pour devenir la communion de son corps qui est l’Église.

Église de la fin

Hélas des multitudes refusent l’Évangile. Pire : bien des croyants se détournent de la pratique liturgique. Et le monde reste le champ de bataille où s’affrontent les intérêts égoïstes. Mais l’Esprit continue à accomplir des hommes : la Toussaint chante le bonheur de la foule innombrable des inconnus qui, souvent dans l’ombre, ont pratiqué le chemin des béatitudes. La valeur d’une vie est jugée par son service des pauvres. Le cycle se termine par la louange du Christ Seigneur et la victoire de la justice. Les hurlements des idoles s’éteignent tandis que rejaillit pour toujours l’Alléluia.

Religion et foi

On le voit : nos célébrations hebdomadaires ne sont pas des parenthèses pieuses dans le déroulement des activités mondaines. Elles ont – si nous le voulons – un impact sur les conceptions de la vie, sur les décisions à prendre, sur les gouffres à éviter. Le mystère du Christ continue à se déployer par la communauté universelle de ses disciples. On peut certes vivre la messe comme une routine fastidieuse, un devoir à accomplir, un contact avec le sacré. En rester à cette conception amène un jour à l’abandon de la pratique rituelle – ce que des multitudes innombrables ont accompli.

L’instinct religieux est fortement attaqué par la sécularisation galopante. « La religion s’efface et l’Église s’effondre » titre un magazine. La vérité de l’Église n’est pas dans les chiffres mais dans sa fidélité à l’Évangile. Tous ces derniers dimanches nous ont montré que l’ultime combat de Jésus était de dénoncer un culte qui tablait sur la majesté de l’édifice du temple et sur la régularité des rites, mais qui était comme un beau figuier qui ne donnait pas les fruits que Dieu exigeait.

« Veillez, veillez, veillez… » : l’exhortation de Jésus ouvre notre nouvelle année et elle veut nous ouvrir les yeux sur la réalité que nous vivons. Dieu ne sauvera pas le monde sans nous.

« Le Maître reviendra le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Attention qu’il ne vous trouve assoupis ». La foi nous donne la mission d’être les vigiles du monde. Même si nos églises sont fermées, l’Avent nous secoue, nous réveille.

C’est un péché grave de « tuer le temps » : le Fils de Dieu y est venu pour le sauver.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

2ème dimanche de l’Avent – Année A – 8 décembre 2019 – Évangile de Matthieu 3, 1-12

ÉVANGILE DE MATTHIEU 3, 1-12

CONVERTISSEZ-VOUS : IL VIENT

Décembre: mois de l’effervescence et de l’agitation. On court, on court, on court. Profiter des soldes du “black friday”, préparer les jouets et les bonbons que saint Nicolas apportera, préparer le sapin avec les guirlandes, préparer des cadeaux originaux, préparer le banquet de Noël, puis (pour certains) préparer les valises et les équipements de ski, puis, rebelote, préparer le banquet du réveillon du Nouvel-An. Ouf ! En conclusion il ne vous reste plus qu’à vous préparer une tisane contre les maux de tête, et préparer un régime pour perdre les calories accumulées en un mois.

“PRÉPAREZ”: c’est aussi le grand impératif que l’Eglise nous lance par la bouche de Jean-Baptiste. Non pour la fin de l’année mais pour l’achèvement du monde. Non pour une rencontre familiale et amicale ponctuelle mais pour la communion universelle. Non pour agiter des choses mais pour renouveler les cœurs.

Le prophète proclame la venue d’un événement extraordinaire qui va changer l’histoire: “ Le Royaume de Dieu est proche”. Et comme Dieu ne peut s’imposer par la gloire ni employer la force sous peine de violenter notre liberté, nous sommes appelés à nous convertir.

“CONVERTISSEZ-VOUS”: il s’agit de bien plus que se repentir, de se frapper la poitrine, d’alimenter un vague sentiment de regret. Mais d’une décision et d’un acte. Prenez conscience que vous vous êtes égarés sur le chemin qui mène à Dieu, que vous avez adopté un comportement qui lui déplaît et revenez sur vos pas. Ne vous contentez pas de regretter vos fautes.

Et surtout ne désespérez jamais ! Quelle que soit l’énormité de vos méfaits et quel que soit le nombre de vos chutes. Le mal n’est pas de tomber mais de refuser de se relever. Le désespoir, c’est la nuit qui refuserait l’aurore.

C’est pourquoi, dans toute la Bible, la conversion est considérée comme une merveille de la révélation. Si l’homme doit se considérer comme responsable de ses actes, il n’est cependant pas victime d’un destin inexorable, il n’est pas prisonnier de son passé. Après des années de débauche, le fils prodigue peut décider d’entreprendre le chemin du retour: loin de le rejeter son père l’attend et le presse tendrement sur son cœur. En hébreu, la conversion se dit par le verbe “revenir” (shoub)

Cette conversion doit manifester sa sincérité par un acte:

“ De Jérusalem, de Judée, de toute la région, les gens venaient à Jean et ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés”.

Chose très étonnante. On a appris par les premiers chapitres de l’évangile que ce Jean est le fils du prêtre Zacharie et de son épouse Elisabeth. Or le sacerdoce juif étant héréditaire, Jean devrait donc, à l’exemple de son père, exercer les rites d’expiation des péchés par des offrandes et des supplications dans le temple de Jérusalem.
Dans la communauté de Qumran, pas loin de là, sur les bords de la Mer Morte, des hommes avaient déjà fait sécession avec le temple et ils pratiquaient les rites individuels de pardon par des ablutions continuelles.

Jean, lui, va plus loin: prêtre devenu prophète, il exhorte les gens à lui confesser publiquement leurs fautes et il est l’acteur du baptême unique.

LE RITE POUR DIEU OBLIGE A L’ACTE POUR LE PAUVRE

Parmi la foule des candidats qui se présentent, Jean distingue deux catégories:

Voyant des pharisiens et des sadducéens venir en grand nombre à ce baptême, Jean leur dit: “ Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit qui exprime votre conversion. Et n’allez pas dire en vous-mêmes: “Nous avons Abraham pour père” Car je vous le dis: avec les pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham”.

Les pharisiens sont des laïcs, des fidèles ordinaires animés d’un grand zèle pour la Loi et qui compensaient le relâchement de beaucoup en s’astreignant à des observances très strictes, en allongeant les prières, en ajoutant des jeûnes, en accumulant les gestes de piété et de purification.

Les sadducéens, eux, étaient des membres des grandes familles sacerdotales, très soucieux des fastes liturgiques, du decorum du temple, de l’accomplissement minutieux des rites, de la beauté impeccable des cérémonies.

Or c’est à ces hommes qui paraissent comme les croyants modèles que Jean s’en prend violemment, et non à des malfaiteurs connus, des prostituées, des voleurs, des publicains. Il leur reproche deux choses graves.

D’abord leurs observances pieuses et leurs pratiques cultuelles, c’est-à-dire leurs devoirs envers Dieu, ne s’accompagnent pas d’actions de solidarité et de justice à l’égard de leur prochain. Leur demande du baptême est purement formelle: ce ne sera jamais qu’un rite supplémentaire.

Jean les presse de produire des fruits qui témoigneront de l’authenticité de leur démarche – donc la solidarité, le partage, la justice. Nulle liturgie pour Dieu ne dispense de l’amour du prochain.

Et d’autre part ces hommes se drapent dans leur privilège de membres du peuple élu, comme si être de la descendance d’Abraham était un certificat donnant bonne conscience et assurance. Dieu peut travailler les coeurs durs des grands pécheurs de toutes les nations et les faire participer à son Royaume.

Jean-Baptiste continue la lignée des grands prophètes qui rappelaient que Dieu exige une conversion véritable et dénonce un culte hypocrite:
“ Cessez d’apporter de vaines offrandes…Je déteste vos solennités. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas…Apprenez à faire le bien, recherchez la justice; faites droit à la veuve et l’orphelin” (Isaïe 1, 9)

UN TOUT AUTRE VIENT ENSUITE

Le Baptiste a beau être persuadé de l’authenticité divine de sa vocation, mener une vie ascétique, lancer avec fougue ses appels à la conversion, dénoncer avec courage les perversions de certains candidats, il en vient à constater les limites de son travail. Il demeure au niveau de ses grands ancêtres Moïse, Elie, Isaïe, tous convaincus d’être des messagers de Dieu mais se heurtant à ce qui reste toujours chez les hommes une bonne volonté impuissante. Si souvent nous disons oui avec la tête mais non avec le cœur (J. Prévert)

Jean se comprend comme un simple précurseur et il annonce la venue d’un autre qui sera d’un niveau infiniment supérieur au point que Jean avoue qu’il n’est pas digne d’être son esclave. Cet anonyme dont il ne dit pas le nom – et qui évidemment sera Jésus – proclamera lui aussi la venue du Royaume, exigera la conversion mais sa Parole sera portée par le souffle divin et elle transmettra l’Esprit de Dieu capable d’ouvrir les cœurs. Là est la Bonne Nouvelle. Jésus va pouvoir inaugurer le Royaume de Dieu sur terre.

“Moi, je vous baptise dans l’eau pour vous amener à la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. Il tient la pelle à vanner dans sa main, il va nettoyer son aire à battre le blé et il amassera le grain dans son grenier. Quant à la paille, il la brûlera dans un feu qui ne s’éteint pas.”

Ce Jésus, dit Jean, ne sera pas seulement un prophète exceptionnel qui pourrait être suivi par d’autres. C’est Lui, et Lui seul, qui opérera l’oeuvre finale de Dieu, le jugement ultime et décisif que la tradition imaginait sous forme de la moisson.

Jean imaginait-il que son successeur allait provoquer la déflagration finale, la fin des temps avec le déchaînement de la Colère de Dieu ? La suite de l’Évangile montrera un Jésus “doux et humble de cœur” (12,18) pour qui le feu de l’Esprit n’est pas un cataclysme ravageur mais un feu d’amour tel qu’il est capable de brûler nos résistances égoïstes et tout ce qui en nous fait obstacle à la volonté de Dieu.

C’est ainsi que Pierre, à la Pentecôte, proclame la Bonne Nouvelle:
“Sachez-le avec certitude: Dieu l’a fait Seigneur et Messie, ce Jésus que vous avez crucifié…Convertissez-vous: que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit…” (Actes 2, 36)

CONCLUSION

Jean-Baptiste était un précurseur: nous pouvons, nous devons, après Pierre, Paul et tant d’autres, être les successeurs. D’abord en nous convertissant: en sortant d’une religion rétrécie au terrain de notre tranquillité, une religion aménagée pour ne pas trop nous déranger. Et en écoutant la Parole de Jésus, forte, exigeante, mais portant l’Esprit qui nous retourne et nous fait prendre la direction inverse.

Travail jamais fini, toujours à reprendre. Infiniment plus difficile que pour préparer un décembre de fêtes. Travail souvent dans l’ombre des dévouements discrets mais aussi parfois dans l’annonce hardie de la Bonne Nouvelle.

Saint Jean Baptiste: aide-nous à adopter une vie plus sobre, à vivre et proposer des changements urgents, à ne pas nous prendre pour des sauveurs mais pour des témoins de Celui qui allume le feu de l’amour.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

3ème dimanche de l’Avent – Année C – 16 décembre 2018 – Évangile de Luc 3, 10-18

ÉVANGILE DE LUC 3, 10-18

JEAN-BAPTISTE et JESUS : MORALE et AMOUR

Dimanche passé, Jean-Baptiste nous a exhortés à préparer la route du Seigneur en faisant référence à l’ancien message du 2ème Isaïe : « Aplanissez le chemin, abaissez les montagnes, comblez les ravins… ». Aujourd’hui il nous explique le sens très concret de ces images.

Les foules qui venaient se faire baptiser par Jean lui demandaient : « Que devons-nous faire ? ».

Voilà une question fondamentale : les gens se rendent compte qu’il ne suffit pas de descendre dans les eaux et qu’il faut mettre en pratique les paroles du prophète. Un rite en effet ne se réduit pas à un geste magique qui suffit à se mettre en règle : s’y soumettre, c’est prendre l’engagement de vivre en conformité avec ce qu’il signifie. Se déshabiller, descendre dans l’eau, traverser le fleuve, en ressortir : autant d’actes qui doivent conduire à la conscience de la faute, au désir de purification, à la décision d’aborder l’autre rive de l’existence et à se redresser dans la rectitude d’une vie nouvelle.

QUE FAIRE ?

Aux trois groupes qui lui posent cette même question, Jean-Baptiste répond :

  • AUX GENS : « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas ; celui qui a de quoi manger, qu’il fasse de même ».
  • AUX COLLECTEURS D’IMPÔTS : « N’exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé ».
  • AUX SOLDATS : « Ne faites ni violence ni tort à personne. Et contentez-vous de votre solde ».

Donc Jean explique que les obstacles qui empêchent la rencontre du Seigneur sont l’appropriation égoïste, la cupidité, l’abus de la violence. Et il insiste sur les limites nécessaires à s’imposer.

Si le droit de propriété est légitime, il importe pourtant de mettre un frein au désir de possession. Déjà la Loi exigeait du riche qu’il ouvre la main pour donner au pauvre, elle promulguait la remise périodique des dettes, l’abandon d’une partie des récoltes aux misérables. Jean rappelle ce premier devoir qui n’est pas de charité mais de justice.

Par ailleurs des percepteurs d’impôts (tel Zachée par exemple) commettaient des exactions ; sans aucun contrôle, ils augmentaient les sommes des impôts d’une bonne part à leur profit. Les soldats, fiers de leur armement, abusaient de leur force, emportaient des biens, violaient des femmes.

Tous ces comportements de cupidité, de rapine, de violence sont, hélas, encore bien répandus et causent beaucoup de souffrances. Or il est remarquable que Jean-Baptiste, comme Jésus plus tard, ne reproche pas les défaillances de prière, les défauts de piété, les manquements aux rites mais uniquement les ruptures des relations au prochain. Blesser l’homme, écraser le faible, laisser l’autre nu ou affamé, c’est se détourner de Dieu. Briser les relations à l’homme, c’est du même coup s’empêcher la rencontre du Seigneur. Le chemin vers Dieu est l’humanisme et non la fuite dans le pseudo-spirituel.

Mais alors, en écoutant Jean, en recevant son baptême, en faisant ce qu’il enseigne, peut-on croire qu’il est le Messie ? La prédication audacieuse et véhémente de Jean, la force de sa parole, le grand nombre de ses disciples et, bientôt, son martyr, avaient fortement impressionné son époque si bien qu’une communauté se forma prétendant que c’était lui, le Messie tant attendu et non Jésus qui, baptisé par Jean, était son disciple. Qu’en penser ?
D’après Luc, Jean-Baptiste a très nettement refusé ce titre de Messie, il a clairement expliqué qu’il y avait un fossé entre Jésus et lui. La question est d’un enjeu capital.

JEAN OU JESUS : QUI EST LE MESSIE ?

Or le peuple était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Christ, le Messie. Jean s’adressa alors à tous : « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

Jean est un prophète : non qu’il prédise l’avenir mais il « parle pour (pro-) Dieu » qui l’a envoyé. Il transmet réellement les enseignements de Dieu. Et même, allant plus loin que ses prédécesseurs (Amos, Osée, Isaïe…), il ajoute un rite, un baptême dans l’eau pour demander le pardon des péchés – lequel à l’époque ne pouvait être obtenu que par des sacrifices au temple.

Néanmoins parole et rite ne sont que des encouragements, des exhortations à être purifiés et à appliquer la volonté de Dieu. Les auditeurs, qui approuvent cette morale et acceptent ce baptême, ne sont pas transformés : ils doivent ensuite se décider à passer à l’acte. Jean incite, insiste, supplie, menace mais il ne peut rien faire d’autre : tout comme Moïse et les prophètes, il demeure extérieur à la décision ou au refus des hommes. Jean est un enseignant qui souhaite que l’on pratique ce qu’il demande.

C’est pourquoi, conscient de ses limites et de son impuissance, Jean annonce la venue d’un autre qui disposera d’une force plus grande et cet autre – le Messie donc – sera d’une tout autre envergure au point que Jean ne se juge même pas digne d’être son esclave. Avec « l’autre », on va faire un saut dans l’histoire.

Celui qui va venir – Jésus – baptisera, c.à.d. plongera les hommes non seulement dans l’eau mais dans l’Esprit de Dieu et le feu de l’amour divin. Ce que nul avant lui n’a pu réaliser, Jésus le fera : sa Parole communiquera une force qui, sans aliéner la liberté, changera le cœur qui la reçoit dans la foi.

La célèbre scène de la Pentecôte illustrera ce changement radical : désemparés par la mort et la résurrection de leur Maître, écrasés de honte par leur propre lâcheté, enfermés dans leur peur, tout à coup « comme » un souffle les traverse, « comme » des flammes, un feu les brûle et ils sont totalement transformés. Muets, enfermés, honteux, ils ne décident pas d’être autres : par l’Esprit, ils sont convertis. Ils sortent, ils parlent, ils chantent, ils clament leur foi nouvelle, ils affrontent leurs juges.

En outre, dit Jean, moi je ne suis qu’un préparateur mais Jésus, le Fils de l’Homme, accomplira le jugement définitif de l’humanité qui avait toujours été annoncé par l’image de la moisson finale. Nous ne comparaîtrons pas devant un moraliste mais devant un crucifié-ressuscité.

Donc avec Jésus va s’accomplir la révolution que Jérémie et Ezéchiel avaient annoncée. Après des siècles d’écoute du Décalogue, des lois de Dieu et d’une impossible obéissance – ce qui avait abouti au désastre de la destruction de Jérusalem et du temple (- 587) les deux prophètes avaient annoncé qu’un jour Dieu conclurait une Nouvelle Alliance. Non par des lois plus faciles à observer mais par le don de son Esprit qui, enfin, permettrait aux hommes de pratiquer ce qu’ils écoutent. (Relire les célèbres passages de JER 31, 31 … et EZ 36, 26 …)

Par beaucoup d’autres exhortations encore, Jean annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

Jean ne se tait pas, il ne dit pas qu’il suffit de bonne volonté pour changer le monde, il ne se prend pas pour le dernier mot de l’histoire mais pour l’avant-dernier.
Aux hommes qui demandent « Que faire pour être heureux ? », il répète les enseignements fondamentaux de droit et de justice, il insiste surtout pour que nous ayons le courage de poser des limites à notre soif d’avoir, à nos ruses pour profiter des autres, à la violence pour imposer notre force. Et il ajoute que c’est ainsi que nous préparons le chemin vers le Seigneur.

Jean sait qu’il ne peut pas accomplir le 3ème et dernier Exode (cf. l’homélie du 2ème dimanche) : c’est pourquoi il est resté, comme Jean le précise dans son évangile, sur la rive orientale du Jourdain, c.à.d. aux environs du lieu où Moïse est mort. C’est Jésus, le successeur, le nouveau Josué (Jésus est le même nom en hébreu) qui conduira la traversée et fera passer le peuple.

A Noël, nous rencontrerons non pas un Dieu tout-puissant qui nous félicitera pour nos efforts ou nous repoussera pour nos fautes. Mais un Seigneur tout pauvre, tout démuni comme un enfant qui ne peut vivre qu’en étant aimé. Si Jean clamait : « Travaillez, préparez la route », à Noël Jésus en silence nous fera comprendre que c’est par son amour que nous sommes sauvés.

Déjà maintenant, en allant à la messe, nous demandons « Que devons-nous faire ? » ; les lectures et leur actualisation par l’homélie nous donnent la réponse.

Mais nous n’en demeurons pas là : comme Pierre, André et Jean, nous quittons Jean-Baptiste pour suivre Jésus. Nous nous avançons non plus pour faire mais pour recevoir : nous tendons la main en forme de berceau afin d’accueillir Celui qui nous sauve en nous proposant d’être doux, délicats, simples, libérés de notre orgueil. Le Pain mangé, c’est la Parole qui devient énergie intérieure, transformatrice.

La Bonne Nouvelle n’est pas une leçon qui oblige mais un don d’amour qui se partage dans la liberté.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

TOUT EST GRÂCE

J’ai appris, dès mon enfance, à remercier Dieu en toutes circonstances, même dans les moments difficiles, quand on se sent seul, abandonné et que l’on se demande : est-il vraiment là ? Si nous nous posons cette question, c’est que nous nous sommes égarés.

Converti de l’islam au catholicisme, j’ai été rejeté par ma famille, obligé de quitter mon pays natal. Je suis arrivé en France comme un pauvre réfugié malheureux. Le prix à payer a été lourd. J’ai tout perdu. Mais j’ai tout gagné dans le Christ : depuis 5 ans, la vie dans ce pays m’a apporté plein de belles choses, la joie, la réussite dans mes études et l’amitié avec des gens en or, une amitié qui double les joies et réduit de moitié les peines.
Le Christ agit dans nos faiblesses en faisant de nous des merveilles, car une grâce cachée dans l’épreuve est comme une perle cachée dans son coquillage : il suffit de croire, d’oser l’ouvrir, de patienter, d’accepter ses faiblesses et de recevoir. Sur ce chemin, on croise d’autres éprouvés, comme cette famille de réfugiés irakiens que j’ai connue à Lyon, si heureuse maintenant, qu’elle prie même pour ses persécuteurs et rend grâce à Dieu pour toutes choses. D’où vient cette joie qui brille dans leurs yeux ?

L’amour est le secret de cette joie intérieure et Jésus en est la source. Abandonner cet amour, c’est se séparer du Christ en plein combat, c’est se trouver seul sur le champ de bataille. Accrochez-vous toujours à son amour, vous y puiserez la joie qu’aucune peine ne pourra vaincre.

Et comme le dit Saint Paul : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur, je le répète, réjouissez-vous. » ( Lettre de saint Paul aux Philippiens, ch 4, v 4 )

 

 

 

DAVID – PARIS – AVENT DANS LA VILLE – 8 12 2018

DE LA DESESPERANCE A LA JOIE

Lors d’une retraite pour adolescents un prêtre nous bénit ainsi : « Je vous condamne à la joie du Seigneur à perpétuité ! » Quelle claque je me suis prise ! En effet, j’ai vécu un début de vie pas simple, mes parents se déchirent, ma mère m’abandonne à 6 mois, la violence jusqu’à mes 8 ans, la dépression, la désespérance durant mon adolescence…

La joie, j’ai mis du temps à la trouver ! C’est à 20 ans que je ferai ma première expérience d’une joie profonde avec le Seigneur. Quelle joie de se savoir aimé et de voir une Église qui s’aime ! Pour vous dire à quel point j’étais bloqué, au début de mon chemin de conversion, je ne supportais pas la prière de louange. Et pourtant, un des premiers fruits de la prière de louange, c’est la joie. Dieu a beaucoup d’humour, car rapidement j’ai rencontré des jeunes chrétiens qui lançaient un groupe de prière de louange : je me suis retrouvé responsable de ce groupe pendant 4 ans ! Moi, le « p’tit » jeune sans grand talent, timide et pas très gai.

Comme le dit Saint Paul, « chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais ». Je sais que Dieu libère, guérit, console et transforme mon cœur petit à petit pour me faire rentrer dans une vraie joie profonde ! Aujourd’hui, j’anime des messes, des veillées de louange et je témoigne auprès des jeunes de ma joie de vivre avec Jésus. Je crois que la joie est aussi un choix de notre part à renouveler chaque matin. Et qu’elle est possible même dans l’épreuve et la souffrance ! Comme une ancre au fond de nos cœurs.
Quand je regarde ma femme qui a subi un cancer à l’âge de 12 ans et qui a toujours cette pêche et cette joie de vivre, ça booste ma vie ! Je remercie Dieu pour la moindre chose qu’il me donne plutôt que de me plaindre ! Avec Jésus, j’exulte de joie sous l’action de l’Esprit saint comme dans l’évangile de Luc 10, 21.

CEDRIC LILLE – AVENT DANS LA VILLE – 9 12 2018

2ème dimanche de l’Avent – Année C – 9 décembre 2018 – Évangile de Luc 3, 1-6

ÉVANGILE DE LUC 3, 1-6

PREPAREZ LE CHEMIN DU SEIGNEUR

L’Eucharistie du dimanche n’est pas un rite répété à l’identique chaque semaine : elle constitue la formation fondamentale des communautés chrétiennes. A condition qu’on en respecte la logique et qu’on la situe en même temps dans l’histoire biblique et dans la nôtre.

Ainsi, afin de pouvoir commencer lucidement une nouvelle année, le 1er dimanche de l’Avent nous a fixé l’essentiel à connaître :

  • l’histoire verra encore et toujours survenir des événements douloureux mais le but final est certain. Lors de la venue du Fils de l’Homme éclateront en même temps la Gloire de Dieu et la Gloire de l’homme, unis dans la Vie et la Lumière.
  • Donc d’emblée la vigilance est nécessaire. Il faut prendre garde aux dérives (surconsommation, écrasement par les soucis) et, par la prière, demeurer éveillés, conscients des enjeux afin de garder le cap sur la réussite finale.

Aujourd’hui, 2ème étape, on nous dit d’obéir à Jean-Baptiste qui nous lance : « Préparez le chemin du Seigneur qui vient ». Or Luc interprète ce message comme la reprise d’un ancien. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour le comprendre, il nous faut donc nous rappeler l’histoire d’Israël.

LES TROIS EXODES

Les ancêtres hébreux étaient exploités, écrasés par de dures corvées en Egypte, traités comme des esclaves. Alors Dieu suscita le prophète Moïse qui parvint à les faire sortir, à les emmener au Sinaï où Dieu fit alliance avec eux sur base des 10 commandements pour en faire son peuple puis il les conduisit à travers le désert. Sous la conduite du successeur Josué, près de Jéricho, ils passèrent le Jourdain et s’installèrent dans la terre promise par Dieu.
Cet acte fondateur d’Israël s’appelle l’EXODE: chemin de sortie de prison pour rentrer chez soi. Dieu se révèle comme le libérateur des esclaves, le sauveur des petits, le défenseur des droits de l’homme comme on dirait aujourd’hui.

2ème étape. Au 6ème siècle avant le Christ, le roi d’Israël ayant refusé de payer son tribut de vassal, Nabuchodonosor vint détruire Jérusalem et son temple, il exécuta le roi et déporta la majorité de la population à Babylone (en 587). Après un tel désastre, Israël était voué à la disparition comme tant d’autres peuples voisins. Or, vers 527, Cyrus, le roi des Perses, s’empara de Babylone. Et un grand prophète resté anonyme lança à ses frères en exil la Bonne Nouvelle inattendue : « Consolez-vous ! Préparez le chemin à travers le désert (de Syrie) car nous allons rentrer. Dieu a suscité un Messie, un libérateur, Cyrus, qui va nous libérer ». Effectivement Cyrus renvoya tous les déportés chez eux. Et le prophète décrit ce retour comme un NOUVEL EXODE, encore plus merveilleux que le premier. Son œuvre constitue les chapitres 40 à 55 du Livre d’Isaïe- si bien qu’on appelle cet inconnu le 2ème Isaïe.

Hélas la suite de l’histoire d’Israël apparaît comme un déclin, comme la fin de l’indépendance. D’abord sous le protectorat bienveillant de l’Empire perse, Israël fut conquis par Alexandre le Grand et envahi par la prestigieuse culture hellénistique. Et ensuite vint le rouleau compresseur du 5ème et plus puissant Empire : Rome. Israël semblait à jamais écrasé.

3ème étape. C’est alors, dans la vallée du Jourdain, là même où jadis Josué avec les Hébreux était entré dans la terre, que tout à coup se lève un prophète appelé Jean qui « proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés ». Et Luc qui aujourd’hui nous raconte cet événement nous en donne l’interprétation profonde: c’est ainsi, dit-il, que s’accomplissait l’appel ancien du 2ème Isaïe. Expliquons.

LE 3ème EXODE ANNONCÉ

Donc Jean-Baptiste exhorte au changement, baptise dans l’eau mais ne prétend pas sauver son peuple : il lui annonce la venue de Jésus, le Messie qui va réaliser le 3ème et ultime EXODE : ce sera la libération non d’une puissance étrangère mais du plus terrible des esclavages : celui du péché. Et cette libération ne sera pas limitée à un peuple, Israël, mais étendue à l’humanité tout entière : « Tout homme verra le salut de Dieu ».

Cette histoire d’Israël est encore la nôtre, suivant des étapes similaires. L’Egypte et Babylone sont les symboles de deux situations intolérables et inhumaines.

Que représente l’Egypte ? Dieu veut d’abord nous libérer de l’esclavage des tyrans, d’une société obsédée par la mort (pyramides), qui déifie son chef (pharaon) et qui exploite durement les faibles. Dieu veut d’abord des hommes libres et fiers. Les 10 Commandements ne sont pas, comme on croit, un carcan mais constituent la charte d’un peuple libéré de ses chaînes et qui est installé chez lui.

Que représente Babylone ? Ensuite Dieu nous appelle à sortir de Babylone la riche, l’opulente, la luxueuse, la luxuriante, la luxurieuse où règnent la cupidité, l’avidité, où s’amollissent et se perdent les cœurs dans les banquets, les alcools, les jouissances. Tyrannie séductrice où l’homme se perd d’autant plus qu’il se croit libre alors qu’il est le jouet de ses besoins et obsédé par l’argent.

Que représente donc ensuite Jean-Baptiste ? Il n’appelle pas à sortir du pays. Le dernier et véritable exode n’est pas géographique car notre bonheur ne dépend pas du lieu où nous vivons. C’est en nous qu’est l’esclavage, c’est en nous que sont les chaînes.
Alors que signifie : « Préparez le chemin du Seigneur » qui vient ? Ce n’est pas avec des pelles, des pioches et des tracteurs que nous pouvons construire une belle route qui nous conduirait à Dieu.

CANTONNIERS DE DROITURE ET DE PAIX

Le nouveau travail de cantonniers que Jean nous confie est beaucoup plus exigeant. Si les gros moyens techniques et la ténacité de milliers d’ouvriers suffisent pour tracer les autoroutes les plus audacieuses à travers les paysages les plus dévastés, il nous faudra une persévérance énorme, un courage sans failles pour entreprendre les travaux qui, maintenant, sont des œuvres spirituelles.
Il ne s’agit plus de relier un point à un autre, de franchir un fleuve, de creuser un tunnel mais d’introduire en nous de la rectitude et de créer entre nous des relations harmonieuses.

APLANISSEZ SA ROUTE. Il y a toutes sortes d’aspérités pour aller à la rencontre du Christ, ce sont comme des pierres d’achoppement contre lesquelles nous trébuchons. Purifions l’Eglise des « scandales » annonce le pape François sinon aurions-nous le droit de dénoncer au monde ses errements ?

COMBLEZ LES RAVINS. Voyons-nous les hommes qui gisent dans le fossé ? Des accidents, des infortunes les ont projetés hors de la route du bien-être. La maladie, le chômage, le handicap ne leur permettent plus de suivre le train des autres. Et nous-mêmes, nous glissons parfois dans la lassitude, nous nous décourageons, nous baissons les bras. Il y a beaucoup de pauvres sur les bandes d’arrêt d’urgence. Avec leurs gilets jaunes, allons-nous enfin entendre les cris de leur détresse et nous arrêter ? Le Bon Samaritain n’a pas tourné la tête en découvrant un blessé.

ABAISSEZ LES MONTAGNES. Le pire obstacle sans doute : l’orgueil. Pharaonique chez certains. Le nom, la fortune, la science élèvent certains sur des sommets d’où ils se penchent pour narguer la masse des imbéciles. Il est fondamental de rester humble. Jésus interdisait formellement à ses disciples de se disputer pour occuper les premières places. Le pire obstacle est en nous, dans notre amour-propre, notre vanité. Il faut élimer, araser notre orgueil qui nous fait croire que nous y parviendrons par nos propres moyens. Appeler Jésus le Sauveur, c’est bien d’abord être persuadé que l’homme ne peut se sauver seul.

RECTIFIEZ LES VOIES TORTUEUSES. L’esprit humain est assez tordu pour manigancer des fourberies, placer des crocs-en-jambe, rouler les naïfs, extorquer des privilèges, cracher des médisances. Et la piété n’est pas un raccourci pour compenser.les devoirs de la justice. On ne ment pas à Dieu.

APLANISSEZ LES CHEMINS DEFORMES. La société n’est ni droite ni juste : il nous faut entendre les sentences, les dénonciations des prophètes jusqu’à Jean-Baptiste.

SANS RELÂCHE PREPARER ET ATTENDRE

« Préparez Noël » claironne le gros bonhomme rouge : il étale des montagnes de charcuteries et fait couler des flots d’alcool pour nous faire dégringoler dans le fossé. Peu importe que s’élargisse l’abîme entre riches et pauvres. L’ivresse du toboggan mène le monde à l’abîme.

« Préparez la venue du Seigneur » crie Jean-Baptiste. Soyez sobres, joyeux dans l’espérance, heureux de travailler à la rencontre du Seigneur.