Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

3ème dimanche de l’Avent – Année A – 11 décembre 2022 – Évangile de Matthieu 11, 2-11

Évangile de Matthieu 11, 2-11

Gaudete

Il y a un parfum de préliminaires amoureux dans la liturgie d’aujourd’hui. C’est le dimanche de Gaudete – « Gaudete » signifie « réjouissez-vous ». Réjouissez-vous car Il vient !

L’image des préliminaires amoureux est audacieuse mais elle est parlante. Aujourd’hui on se met en joie, en hâte même – avec une certaine exaltation – pour la venue de Dieu parmi les hommes, l’amour qu’il incarne. Le mot d’ordre du jour pourrait être : « Exultez de joie : le Seigneur vient tout sauver ».

Il y a un parfum de préliminaires amoureux dans la liturgie d’aujourd’hui. Réjouissez-vous, le Seigneur vient. Il vient ravir votre esprit et votre corps. Dégageons, pour un temps, la notion d’excitation de tout ce qu’elle a de négatif. Nous méditons aujourd’hui l’excitation de l’amour pour Dieu.

On joue avec le feu bien sûr, c’est le cas de dire : le feu spirituel, qui excite et qui, selon sa nature, mène au Ciel ou en Enfer. On pense évidemment au cas très actuel des pseudo-religieux exaltés par la haine, des terroristes agissant – soi-disant – au nom de Dieu. L’excitation spirituelle peut vite dévier en totalitarisme. C’est même un des ressorts des totalitarismes, quand massivement les gens s’excitent pour un phantasme spirituel, social ou politique. Il y a quelque chose d’une énergie que l’on libère dans l’excitation et qui peut échapper à tout contrôle. Ainsi, tout dépend de la direction que l’on prend a priori, de ce pour quoi on s’excite. Certes à s’exciter on joue avec le feu, mais c’est aussi le prix à consentir pour brûler du feu spirituel, s’embraser de l’amour divin. Si notre vie spirituelle n’est pas quelque part exaltante, excitante, il y fort à parier qu’elle manque de dynamisme, qu’elle manque de feu … qu’elle manque d’incarnation.

Le phantasme religieux, c’est précisément ce que dénonce, par sa vie, Jean le Baptiste, lui qui naît au sein de l’aristocratie religieuse, précisément ces élites qui choisissent de se soumettre à l’occupant romain, en échange de la liberté de culte. La caste sacerdotale, comme la famille royale, sont alors corrompues, vues comme collaboratrices avec l’occupant. L’image de Jean le baptiste, comme celle de saint François et de tant d’autres d’ailleurs, est ainsi celle d’un fils de bonne famille qui conteste radicalement les principes hypocrites de son milieu établi. Alors qu’une prestigieuse carrière de prêtre lui était toute tracée, il rejette les marches du Temple, les beaux vêtements sacerdotaux et les cultes magnifiques et il part au désert, nu couvert de peaux de bêtes, avec pour seul rituel, la purification dans la rivière qui marque l’entrée en Terre promise.

Il y a quelque chose du préliminaire à l’incarnation de l’amour divin, en Jean le Baptiste, d’animal, de naturel, d’humanité brute qui dénonce par sa vie l’hypocrisie qui ruine la relation authentique à Dieu. Le moins que l’on puise dire, c’est que c’est un homme entier, brut de décoffrage. Il le payera d’ailleurs, lui aussi, de sa vie.

A n’en pas douter, c’est un exalté religieux. De là, l’importance pour lui de ne pas se tromper, de ne pas tomber dans le phantasme :  « Es-tu celui qui doit venir ? ». Ce n’est pas une question de foi. Jean-le-Baptiste ne doute pas de la venue du Messie, que Dieu veuille s’incarner bientôt. Ce qu’il ne veut pas, c’est s’exciter pour un faux-messie, une fausse espérance, un faux amour, une fausse vie.  « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »

En posant à Jésus, la question radicale de la confiance – « Es-tu, oui ou non, la bonne personne, celle en qui donner toute mon espérance, ma confiance et toute ma vie ? Es-tu celui qui doit venir me sauver ? – en posant la question ultime de la confiance, Jean le Baptiste, parce qu’il se sait exalté par l’incarnation de Dieu – souvenez-vous de l’épisode de la Visitation [Lc 1:39-45] où il tressaille dans le ventre de sa mère quand Marie enceinte vient la visiter – en posant donc la question de la confiance ultime, Jean le Baptiste ne témoigne en fait que de la radicalité de son désir affectif, du coté presque pulsionnel de son amour pour Dieu. C’est parce qu’il est intimement excité pour l’incarnation de l’amour divin qu’il est si important pour le Baptiste de ne pas se tromper de personne. Il joue tout sur le Christ.

Et c’est la même chose dans toute situation amoureuse. Celle ou celui qui excite mon sentiment, est-ce la bonne personne ? A tout qui tombe amoureux, forcément à un moment donné, la question se pose : est-ce lui ? est-ce elle, la bonne personne, celle en qui mettre toute mon espérance, ma confiance et mon amour, celle à qui donner toute ma vie ? A un moment donné, pour tout qui se sent exalté par quelqu’un d’autre, se pose cette question : « Es-tu celle/celui qui doit venir, ou dois-je en attendre un/une autre ? »

Au fond, la question est celle de la légitimité. Mon désir amoureux peut-il légitimement s’emballer, s’exciter pour toi ? Et la réponse positive devrait faire de l’autre personne votre époux ou votre épouse. C’est en cela que l’on dit que le Christ épouse l’humanité, comme on s’épouse entre personnes, sans crainte du feu que l’on attise.

Jean le Baptise est plus qu’un prophète, il est – selon les paroles mêmes du Christ dans l’Évangile – le messager de l’incarnation [Mi 3,1]. Il dit la nature presque animale, brutalement humaine, nue, du désir légitime d’autrui.

Et donc, comment sait-on que les tressaillements que nous éprouvons, les excitations amoureuses qui sont les nôtres sont légitimes ? Comment une jeune fille ou un jeune homme savent-ils que les embrasements de leur cœur, de leur esprit, de leur corps et de leur âme sont justes ? En posant la question directement à Dieu : « Es-tu celui qui doit venir ? »

Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers celle ou celui pour lequel mon cœur s’emballe ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir dans ce sentiment d’amour qui embrase mon cœur ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers ma vie, les élans présents de mon âme et de mon corps ? Es-tu, Dieu, celui qui doit venir à travers mes désirs ? Voilà comment résoudre la question : avoir l’humilité, en toute circonstance sentimentale, et quel que soit notre degré d’exultation, de demander à Dieu s’il l’incarne.

On rejoint évidement le commandement de préférer Dieu à tout autre personne. Car, à mesure de ma radicalité et du désir d’amour qui brûle en moi, j’ai besoin de cette certitude, pour pouvoir en toute quiétude libérer les élans de mon cœur et de mon corps ; lâcher les sentiments qui me gagnent et qui, sinon, pourraient me tromper et m’enfermer dans une vie d’illusions et de phantasmes.

Plus qu’annoncer Dieu, Jean le Baptiste vibre de Dieu, de la certitude physique de l’incarnation divine. Il reste humain – plus petit que le plus petit dans le Royaume des Cieux, dira Jésus – un humain radical et exalté. Mais il est le plus grand de tous les hommes de ce monde parce que, jusque dans la plus grande excitation, dans le plus grand dénuement, jusque presque dans l’animalité de son sentiment amoureux, il persiste à vérifier qu’il vibre bien de l’amour de Dieu.

En tous mes sentiments, Dieu, « es-tu celui qui doit venir » ?

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.


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