Fête de la Pentecôte – Année C – 5 juin 2022 – Évangile de Jean 14, 15-26

Évangile de Jean 14, 15-26

Esprit, Souffle sur l’Église en Synode

Comment imaginer l’état de bouleversement, de sidération dans lequel se trouvent les apôtres après la disparition définitive de Jésus ? Tout s’est passé tellement vite. Ils étaient des hommes du peuple, de la campagne, sans titres ni fortune, exerçant de petits métiers, pêcheurs, douanier …Un homme les a appelés à le suivre. Il annonçait la venue du Royaume de Dieu dans un langage tout simple, opérait des guérisons sur des malades, marquait sa préférence pour les petits et les pauvres. Avec audace il dénonçait la vanité et le goût du lucre des grands prélats, l’arrogance des scribes, l’hypocrisie d’un culte fastueux mais stérile pour la conversion des comportements. L’idée se répandait que ce prophète était peut-être le messie attendu.

Alors tout s’accéléra. Il fallait supprimer cet agitateur qui, à l’approche de la Pâque, risquait de susciter la révolution. On l’arrêta, on le condamna, on l’exécuta de la façon la plus horrible sur une croix. Les jours suivants, les pèlerins quittaient la ville qui reprenait son cours normal. L’affaire semblait close. Non, elle commençait ! Car Jésus, vivant de la gloire de Dieu revint vers ses disciples, leur expliqua que le dessein de Dieu s’était réalisé et qu’avec la force de l’Esprit de Dieu qu’ils allaient recevoir, ils l’accompliraient parmi tous les peuples.

Selon Luc, les apôtres se rassemblèrent et s’unirent en prière dans l’attente de l’Esprit. N’imaginons pas ces hommes et ces femmes figés comme des statues dans une oraison immobile. Un tourbillon de souvenirs et d’interrogations les submerge. Qu’est-ce que Jésus nous a enseigné ? Comment exprimer son identité ? Pourquoi la croix ? Qu’est-ce donc que la résurrection qui n’est pas une réanimation ? Comment Jésus est-il fils du Père ? Comment expliquer qu’il était bien le Messie qui opère le changement du monde, non par une déflagration et la destruction des pervers mais en donnant l’Esprit de miséricorde ?… Comment comprendre que le anciennes Écritures s’étaient réalisées ?

Le Synode sur la « Synodalité »

Nous sommes aujourd’hui à peu près dans une situation similaire. Dans notre société qui file à grande vitesse, des chocs inattendus se succèdent : le réchauffement climatique, la planète en danger, l’épuisement des ressources, les crises sanitaires, la guerre de retour en Europe, la pauvreté qui s’étend alors que le commerce de luxe bat ses records…Et l’Église en outre est dans la tempête : effondrement de la pratique rituelle, des vocations sacerdotales, fermeture des séminaires et des couvents et, pire encore, révélation des scandales sexuels.

Nous sommes déconcertés sinon inquiets. Certains médias diagnostiquent même l’effritement sinon même la disparition de l’Église. En réaction, des catholiques s’accrochent aux anciennes traditions qu’ils canonisent à tort. La majorité, elle, se laisse emporter par l’évolution, attend que l’orage se calme, se plaint que les jeunes se soient détournés de la foi, accusent les dérives de la société.

Refusant l’inertie et le défaitisme, notre pape François a ouvert un nouveau Synode. Ce mot, qui était jadis d’usage traditionnel, est la traduction d’un mot grec qui signifie « chemin ensemble » : il s’agit de prendre le temps de se rencontrer, de débattre des problèmes, d’analyser la situation mondiale pour envisager les changements nécessaires. Tout est lié. Nous vivons dans une maison commune. L’Église doit mettre en pratique son attribut de « catholique » qui signifie « universelle ». D’où la décision de lancer un Synode sur la « Synodalité », sur les modes d’organisation à mettre en place afin qu’il y ait davantage de communication entre tous les membres pour une mission plus entreprenante.

Les Synodes précédents consistaient en une assemblée de cardinaux et d’évêques qui à Rome débattaient d’un problème et publiaient un document final. A juste titre, cette fois-ci, François a décidé d’étaler le Synode sur 2 ans afin de mettre tous les catholiques dans le coup. Un questionnaire sur tous les sujets a été envoyé partout et, après des multitudes de réunions en petits groupes, les réponses viennent d’être renvoyées. Elles vont être analysées dans chaque pays, puis envoyées à Rome. Et en octobre 2023, le Pape et l’assemblée élue des prélats publieront le document final.

François l’a maintes fois déclaré depuis des années : il faut mettre fin à l’inertie de beaucoup, au cléricalisme directif, sortir des ornières sacralisées. Donc déjà nous voilà tous en situation de recherche et de dialogue.

Une Église en question

Pour nous éclairer dans cette recherche, il est important de scruter à nouveau le Nouveau Testament pour noter quelques pratiques fondamentales des premières générations.

En réponse à l’appel à la conversion lancé par des disciples, des petites communautés se forment. On y entre par la libre décision du baptême. Hommes et femmes, de toutes conditions : un armateur et un docker, un professeur et un jeune cancre, un Juif et une païenne de Corinthe. Le propriétaire d’une grande maison accueille tous les membres pour l’assemblée du 8ème jour, lendemain du sabbat. Rien de guindé ni de hiérarchique. On échange des nouvelles, on chante des cantiques, on dialogue sur les enseignements de Jésus, on partage le repas puis on mange le Pain rompu offert par le Seigneur. On s’engage à visiter les membres empêchés par l’âge et la maladie.

  • « Aller à l’église » a d’abord signifié : se rendre à l’assemblée chrétienne. Puis l’Église a désigné l’ensemble des communautés, « le Corps du Christ » ; ensuite seulement l’édifice où l’on se réunit. Accroître ses dimensions, embellir son faste a paru plus important que de cultiver les relations entre personnes. Comment faire pour retrouver l’essentiel ?

Tout se passe dans une grande ambiance de joie fraternelle, dans la certitude de la Présence du Seigneur, le bonheur d’être pardonnés, l’espérance de la Vie éternelle. Toutefois n’idéalisons pas le tableau. Si Paul insiste inlassablement sur le devoir de la concorde et de la paix, c’est bien le signe que la charité n’allait pas de soi, qu’elle exigeait une réconciliation toujours recommencée. La foi ne changeait pas les caractères. Le messianisme n’était pas la venue subite du paradis mais le retour perpétuel à la croix, source de la paix universelle à répandre à travers le monde.

  • « Se mettre au pas ensemble » (synode) nécessite de gros efforts de dialogues, de confrontations d’avis divers, de pardon. Mais ainsi s’affine la recherche de la vérité. C’est le travail de base pour établir la paix, but même de l’Évangile.

Tout de suite le choc éclata : la majorité des Israélites achoppait sur le scandale intolérable de l’incarnation et se crispait sur la pratique des prescriptions de la Torah. Or le Seigneur avait ordonné d’annoncer la Bonne Nouvelle dans le monde entier. Luc raconte que des débats éclatèrent dans l’Église : fallait-il obliger les païens convertis à la circoncision et à l’alimentation casher (interdit du porc…), pratiques qu’ils refusaient ? Après des discussions – dont Luc cache la violence -, il fut décidé de ne plus imposer ces pratiques. Scandale pour les Juifs convertis qui exigeaient la fidélité intégrale à la Loi. Dans sa lettre aux Galates, Paul raconte que lors de ses tournées missionnaires où il annonçait aux païens la libération de la Loi, certains le suivaient pour démentir sa prédication et exiger une pratique intégrale de la Torah.

  • Voici sans doute le point névralgique. Faut-il vouloir intégrer les convertis dans un cadre fixe ? La mission dans un monde totalement changé n’exige-t-elle pas de rogner un peu de ce qui nous paraissait certitudes et pratiques inamovibles ? Comment la tradition peut-elle changer en restant fidèle ?

Les premières communautés sont petites, fragiles, dénoncées comme hérétiques par Israël, surveillées par le pouvoir romain. Mais elles restent en communion très forte les unes avec les autres grâce aux évangélistes qui circulent et par les lettres. Remarquons que Paul adresse les siennes à « la communauté, à l’église qui est à … » et non aux seuls responsables. Chacun peut se sentir responsable et savoir qu’il fait partie d’un réseau en expansion. Tous les membres se tiennent à égalité. De temps à autre, la nouvelle circule qu’un apôtre de Jésus a été mis à mort, que d’autres disciples sont persécutés, jugés au tribunal, condamnés. La tristesse est grande, la peur menace, certains abandonnent la communauté mais la confiance l’emporte chez beaucoup, l’élan ne se tarit pas, on continue à se sentir unis aux martyrs dont le courage renforce la persévérance de la majorité.

  • La tentation est grande de vouloir demeurer un groupe fermé sur lui-même, pieux et tranquille. Or nous participons par grâce et nécessité à une œuvre mondiale, combattue par les puissances gigantesques de l’égoïsme, de la cupidité, de la haine. Les victimes seront toujours nombreuses : pas de jour sans martyrs. Comment soutenir nos frères persécutés ? …

Conclusion

L’Eau vive de l’Esprit descend sur des esprits qui ont compris que la mission du Christ dépasse infiniment les forces humaines. « Père, que tous soient un comme toi et moi ; qu’ils soient un en nous » : les disputes, les féminicides, les conflits, les guerres prouvent l’absolue nécessité de l’amour divin pour élaborer la paix et la justice.

On n’attend pas la venue de l’Esprit comme on attend un train. L’eau vive de l’Esprit coule sur des cœurs labourés de questions : alors germera le grain de la Bonne Nouvelle.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

« Une Pensée Incomplète »

« Il n’y a rien de plus dangereux pour la synodalité que de penser que nous comprenons déjà tout, […] que nous contrôlons déjà tout », prévient le pape François dans un message à la Commission pontificale pour l’Amérique latine rendu public ce 26 mai 2022. Évoquant la spiritualité des peuples du continent, le pontife argentin explique qu’elle est « liée à la terre ».

Au fil du message, le Pape demande aux membres de la commission réunis en assemblée plénière de continuer à promouvoir « la véritable synodalité » dans l’Église latino-américaine où elle « s’enracine depuis un certain temps ». La synodalité, précise-t-il, n’est pas une méthode « plus ou moins démocratique », ni un « projet de réinvention humaine du peuple de Dieu », mais un chemin de l’Église des commencements, « qu’elle a ensuite perdu ».

Pour retrouver ce chemin, le chef de l’Église catholique invite à abandonner « certaines de nos coutumes et habitudes cléricales » et à garder « une pensée incomplète ». Et le pape de 85 ans de confier : « Je suis allergique aux pensées déjà complètes et fermées ».

Alors que le Synode sur la synodalité suit son cours partout dans le monde et doit aboutir en 2023, le pape souhaite que l’Église latino-américaine soit ouverte à l’Esprit saint qui « n’est pas une force du passé ».

« La Pentecôte se déroule encore à notre époque », affirme-t-il, avec « un certain désordre initial » avant de trouver « l’harmonie de toutes les différences ». Et le pape d’ajouter : l’Esprit saint agit « en bougeant, en innovant ».

A la Curie

Enfin, François rappelle à la commission de la Curie romaine sa mission : non pas être « un bureau de douane qui contrôle les choses en Amérique latine ou dans le monde hispanique du Canada et des États-Unis » mais « montrer l’affection et l’attention que le Pape porte à la région ».

Fête de l’Ascension – Année C – 26 mai 2022 – Évangile de Jean 14, 3

Évangile de Jean 14, 3

« Je vous prendrai avec moi »

Quand on dit : « Jésus est monté au ciel », on emploie évidemment une métaphore. Jésus n’est pas un cosmonaute qui, si loin qu’il s’enfonce parmi les étoiles, reste enfermé dans notre monde de l’espace-temps. Saint Luc, le seul évangéliste qui l’évoque, le fait d’ailleurs de deux manières différentes, preuve qu’il ne faut pas s’arrêter à l’image mais en comprendre la signification profonde pour la foi.

D’abord la scène du départ du Ressuscité clôture son évangile : elle marque la fin du temps des apparitions et elle convainc les disciples que Dieu a cassé la sentence du procès. La victime avait raison : si ses juges l’ont « exécuté », Jésus a ainsi « exécuté » le dessein de son Père en faisant de la croix, par amour, l’acte du salut du monde. C’est pourquoi son Père l’a ressuscité et l’a accueilli dans sa Gloire. Il est dans ce monde que nos sens et notre raison ne peuvent saisir. Les disciples l’ont bien compris : ils ne se lamentent pas et, tout joyeux, se réunissent pour prier. Leur angoisse a disparu, ils sont heureux d’être pardonnés de leur lâcheté et assurés que leur vie a un sens. Vivre comme Jésus le leur a appris et remplir sa mission les conduira à le rejoindre dans la maison du Père. Son Ascension est promesse de la leur.

Dans son second livre, les Actes des Apôtres, Luc parle d’un intervalle de 40 jours d’apparitions où Jésus annonce à ses disciples d’attendre l’Esprit-Saint que Dieu va leur envoyer incessamment. Puis il les emmène sur le mont des Oliviers et il disparaît à leurs yeux. Il leur est dit de ne pas rester le nez en l’air : le Ressuscité reviendra à une date non précisée.

10 JOURS DE PRIÈRE

« Ils regagnèrent Jérusalem, montèrent dans une salle à l’étage. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et les autres. Tous unanimes persévéraient dans la prière, avec quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et les frères de Jésus »

A nouveau, il ne faut plus demander d’apparitions de Jésus ni chercher à savoir quand il reviendra mais se réjouir de le savoir dans la Paix de son Père. Son projet d’instaurer le Royaume, loin d’être détruit par sa mort, va se poursuivre par les disciples à qui le don de l’Esprit va être fait. Alors ils annonceront le message du salut aux hommes de toutes les nations. Ce temps d’attente nous instruit sur les jours que nous allons vivre.

D’abord il est demandé de rester à Jérusalem, dont les prélats suprêmes sont cependant les premiers responsables de l’exécution de Jésus. On ne refait pas l’Église à côté de celle qui existe : la Nouvelle Alliance éclot sur la Première. Le présent ne se renie pas : il accouche de demain par l’effort de la prière.

Les premiers disciples demeurent groupés car ils vont être chargés d’une œuvre collective. Le temps de leurs rivalités est révolu : il faudra travailler, non de manière identique, mais ensemble. L’Esprit n’est pas un don de piété individuel mais un don que chacun doit demander pour lui et les autres.

S’ils montent à l’étage, c’est afin de se retrancher des affaires et des soucis du quotidien. Sans l’élan reçu par la prière, il n’y aura pas d’action valable. Jésus lui-même n’avait-il pas reçu sa mission pendant 40 jours au désert ? Le don essentiel pour accomplir la plus grande tâche de l’histoire nécessite une prière qui assume tout l’être. Dans les moments les plus graves, la retraite est nécessaire La prière la plus retirée permettra de plonger au coeur du monde.

Au centre, se trouve Pierre, que naguère certains jalousaient et qui avait renié son maître. Mais Jésus l’a placé à la tête et lui a pardonné. On ne l’adule pas, on accepte sa faiblesse en lui demandant miséricorde.

Il y a aussi – et c’est exceptionnel à l’époque – des femmes, sans doute Marie-Madeleine et les autres qui suivaient Jésus, étaient présentes à la croix et les premières à découvrir le tombeau vide. L’Église naît mixte. Et Luc note la présence des frères de Jésus et surtout de Marie, la mère, par qui tout avait commencé. Elle avait reçu une annonce, s’était donnée toute entière à la réalisation, avait reçu l’Esprit. Elle est, pour les apôtres, comme un modèle, comme une mère. Elle prie maintenant pour ces hommes afin qu’ils poursuivent l’œuvre.

Dans un coin minuscule du monde, quelques personnes attendent avec confiance. Le minuscule bourgeon va se déployer à travers la planète. Alléluia !!!

Fr Raphael Devillers, dominicain.

7ème dimanche de Pâques – Année C – 29 mai 2022 – Évangile de Jean 17, 20 – 26

Évangile de Jean 17, 20 – 26

Assumés de Pied en Cap

En ce temps d’attente qui, à partir de l’Ascension, nous prépare au don de l’Esprit à la Pentecôte, nous écoutons la dernière partie de la grande prière qui clôture le discours d’adieu de Jésus à ses disciples. En relisant le grand ensemble des 5 chapitres, on admire comment Jésus assume ses disciples de manière globale : voici comment « il les aima jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême ». Cela vaut pour nous.

D’abord tout à l’inverse du messie impérial attendu, Jésus s’est présenté comme un serviteur de basse condition qui s’agenouillait devant chaque disciple pour lui laver les pieds. Se laisser purifier par un sauveur pauvre et accepter à son tour de se mettre au service des autres, voilà la première condition pour marcher vers le Royaume en construction.

Ensuite Jésus nourrit leurs corps en partageant son repas : chacun reçoit « une bouchée », un petit morceau de pain. Car le disciple a besoin du Pain de Vie pour vivre la communion avec les autres et avoir la force de nourrir ceux qui ont faim.

Alors, lavés et nourris, les disciples reçoivent le commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Ne rivalisez plus entre vous, ne cherchez plus la grandeur et le faste. Tout au contraire acceptez d’être une communauté fragile et poreuse où, hélas, certains claquent la porte et trahissent leur premier attachement. Et où il arrive même au premier responsable de renier le Maître.

Lavés, nourris, instruis de l’axe nouveau de leur vie, conscients de faire partie d’une Église faible et pécheresse, les disciples peuvent ensuite recevoir la lumière de leurs cœurs et de leurs têtes : 3 longs chapitres d’enseignements (14-16) qui les consolent, les mettent en garde contre la haine du monde qui va se déchaîner contre eux. Mais qui aussi les rassurent grâce aux promesses de la venue certaine de l’Esprit-Saint qui les confortera, les instruira, les défendra.

Alors, après qu’il ait lavé, nourri, prévenu, consolidé ses disciples, après qu’il les ait longtemps regardé avec tendresse, Jésus lève les yeux aux ciel et murmure sa grande prière. De pied en cap, les disciples, dans leurs relations horizontales, sont pris dans le grand élan de la prière où le Fils les entraîne vers le Père.

« Je prie non seulement pour ceux qui sont là mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Je leur ai donné la Gloire que tu m’a donnée pour qu’ils soient un comme nous sommes un. Que leur unité soit parfaite : ainsi le monde saura que tu m’as envoyé et que tu les as amés comme tu m’a aimé.

La foi ne fondra pas au rythme des millénaires. La prière du Fils glorieux dynamise la totalité des croyants jusqu’au dernier jour du monde. Je prie mal et trop peu mais le Seigneur prie pour moi, et chacun de nous. Unique intention : l’unité. Pas une bonne entente polie, pas un traité de paix vite bafoué, pas une poignée de mains furtive. Mais UN comme PÈRE et FILS sont UN. Tant que nous n’acceptons pas cette divinisation des relations, la violence l’emportera toujours. Unique but : « que le monde croie ». Car ainsi seulement il sera sauvé du mal et connaîtra la paix.

Père, ceux que tu m’as donné, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et qu’ils contemplent ma Gloire, celle que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant même la création du monde.

Stupeur : le Fils, foyer d’amour du Père, aime follement (divinement) ses disciples, il veut qu’aucun ne se perde, il cherchera toujours la brebis égarée pour qu’elle découvre le Fils divin dans l’homme de chair car « Le Logos était au commencement et tout fut par lui » (1, 2)

Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ils ont reconnu, eux aussi, que tu m’as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître encore pour qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi je sois en eux ».

Connaître est plus qu’un savoir mais une entrée dans le mystère de l’autre, un accueil délicat dans la lumière infinie, un processus infini. L’amour n’a pas de clôture. Là-dessus Jésus se lève et emmène ses disciples au Cédron. Judas et la troupe vont le rejoindre. L’amour trouve son chemin : la croix.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Synode : L’Avenir de l’Église

Premiers échos de France

Le processus a commencé. Partout dans le monde, depuis quelques mois, les diocèses et associations ont débattu sur le questionnaire envoyé. Le journal « La Croix » donne un écho des réponses qui viennent de remonter au secrétariat de Paris.

Près de 150.000 personnes – soit près de 10 % des catholiques pratiquants – ont participé à la recherche. Grande satisfaction donc. Déception : peu de jeunes.

Les catholiques ont le souci d’une Église plus fraternelle, moins dans « l’entre-soi », plus attentive aux périphéries et à la voix des plus pauvres.

Beaucoup se sentent peu accueillis au sein d’une institution perçue comme coupée de la réalité, gangrenée par une certaine rigidité, des cloisonnements, une morale culpabilisante…mais aussi par un certain sentiment de supériorité sur le monde, par la place donnée à « ceux qui savent », à certains pratiquants au détriment des invisibles.

« Pointant le cléricalisme, nous avons senti un réel désir de synchroniser l’Église avec le message de l’Évangile … Cela montre qu’il y a des choses que nous traînons comme des boulets depuis des années, voire des siècles…Il y a un écart que l’Église a laissé grandir et aujourd’hui les communautés ont soif de vérité ».

Les questions de gouvernance ont occupé une place centrale. Appel au renforcement de la collégialité à tous les échelons…Plus de responsabilités aux laïcs et aux femmes…Plus de transparence dans les prises de décisions…Certains ont réfléchi à la possibilité d’homélies en forme de témoignages, faites par des laïcs…par banc, en petits groupes et pendant 10 minutes …

« La Croix » 13 05 2022

Religion et Foi

par Joseph Moingt, jésuite

…. « Il est certain que l’histoire ne revient pas en arrière, donc on ne fera pas revivre exactement les communautés chrétiennes de jadis, le contexte social est très différent.

Comment est né l’Évangile ? Dans des groupes de gens, de disciples autour de Jésus. Donc on peut penser que l’Église en se revitalisera qu’à partir de groupes de « disciples ». C’est l’idée qui avait été soulevée, il y a longtemps déjà, par Marcel Légaut, qui était vraiment un visionnaire…

Autrement dit, l’Église qui se sent en train de dépérir en tant que religion a tout intérêt à se rappeler qu’elle n’est pas seulement religion mais aussi – mais d’abord – Évangile.

Et pour moi, c’est à partir de l’Évangile qu’elle pourra se revivifier même comme religion, mais autrement qu’elle n’est actuellement ou qu’elle n’était dans le passé. (…) (p.98)

L’Évangile se définit largement par sa visée éthique : primat de l’amour du prochain et de la réconciliation avec ses ennemis, de la justice et du souci des pauvres et des petits, défense des valeurs d’humanité. S’orienter vers un pôle évangélique, et par conséquent éthique, ce n’est donc préconiser ni une restauration ni une reconquête religieuse.

Ce sera peut-être s’écarter du visage longtemps traditionnel du catholicisme, dominé par un ritualisme hiérarchique, ce sera forcément apprendre à penser sa foi autrement, à vivre autrement en Église, à parler un autre langage : ce n’en sera pas moins mettre en valeur le plus beau sens du mot « catholique » : sa visée de l’universel.

Je préfère souvent me dire « chrétien » pour signifier que l’essentiel de ma foi est de croire au Christ, que « catholique » (romain), un mot un peu trop marqué par l’impérialisme et le primat de la hiérarchie. Mais s’il s’agit d’exprimer l’ambition de l’Évangile à tout pénétrer pour servir partout sans rien asservir, alors j’aime me dire « catholique ». (p.126)

Joseph Moingt

Croire quand même – éd. Champ – poche

Société jouissive …et insensée

Au centre hospitalier Laborit à Poitiers, une unité pluridisciplinaire accueille en urgence des jeunes de 12 à 18 ans après une tentative de suicide. Alors que la crise sanitaire a révélé ou accentué les angoisses de nombreux adolescents, la petite équipe a de plus en plus de mal à répondre aux besoins.

« Quand dans une seule journée aux urgences, vous voyez passer jusqu’à 10 adolescents qui veulent se suicider, vous vous dites qu’il y a un problème. Jamais on n’avait vu cela avant. Et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg : moins d’1/4 des tentatives de suicide arrivent aux urgences. La plupart du temps, ni les soignants ni mêmes les parents ne sont au courant » ( Dr Prof. L. Glequel)

En France on dénombre chaque année entre 300 et 350 décès par suicide chez les 15-24 ans. C’est la 2ème cause de mortalité dans cette tranche d’âge après les accidents de la route …

« La Croix » 9 5 22

Appel dramatique à vivre et annoncer
la Bonne Nouvelle qui donne sens.

6ème dimanche de Pâques – Année C – 22 mai 2022 – Évangile de Jean 14, 23-29

Évangile de Jean 14, 23-29

Croire nous consol-id-e

Le temps pascal – les 5O jours entre Pâques et Pentecôte – est propice à la méditation des chapitres 13 à 17 de l’évangile de Jean. A la veille de son arrestation et de sa mort, à ses disciples qui, comme le peuple, attendaient le triomphe messianique sur les ennemis, la guérison des malheurs, le châtiment des mauvais, Jésus apprend que tout va dérouler autrement. Évidemment ce texte a été écrit bien des années plus tard lorsque les églises ont fait l’expérience de la vérité de cette révélation.

Donc en cette nuit ultime, Jésus montre qu’il aime ses disciples au maximum, jusqu’au bout : ainsi il leur lave les pieds et leur prescrit de se faire les serviteurs les uns des autres, de se pardonner, de communier au partage de son Pain et de s’aimer « comme il les a aimés ». Là-dessus il leur annonce son départ imminent et alors qu’un traitre quitte la salle, il prévient que leur chef, Pierre, le reniera(chap. 13).

En encaissant cette révélation, les disciples sont sidérés sinon effondrés : toutes leurs conceptions volent en éclats. C’est pourquoi le Seigneur poursuit d’abord par un « discours de réconfort » (chap. 14) où il leur répète avec insistance que la solution est unique : « Vous croyez en Dieu : croyez aussi en moi » (14, 1). La foi n’est pas une impression, un sentiment, un héritage familial, une habitude : elle est acte, donation de soi à Dieu le Père et, de manière aussi absolue, à son Fils Jésus. Elle est confiance, décision de vivre en pratiquant ce que Jésus fait et dit dans l’évangile.

Cette confiance s’appuie d’abord sur la première promesse : « Je vais vous préparer une place dans la maison du Père : je reviendrai vous prendre et vous serez avec moi ». Croire offre l’espérance : en dépit de ses faiblesses, le disciple est certain que, s’il aime, son Seigneur l’emportera dans la maison de l’éternité.

La liturgie aujourd’hui saute un passage et elle poursuit avec les versets 23 -29.

Le croyant : Demeure du Père et du Fils

Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer chez lui. Celui qui ne m’aime pas ne restera pas fidèle à mes paroles. Or la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père qui m’a envoyé.

Croire doit toujours se tester sur la pratique, ou non, de l’amour mutuel ordonné par Jésus dans l’Évangile. Il faut résister à l’usure du temps, au ronronnement rituel, à la contagion du milieu indifférent. La foi n’est pas une inscription définitive, elle n’installe pas sur un tapis roulant conduisant au ciel. Mais si elle progresse dans l’amour vécu, elle permettra une merveille : rendre présente l’espérance future. C’est maintenant, tout de suite, que les personnes du Père et du Fils viendront accomplir l’amour qui est de demeurer l’un dans l’autre. Alors l’amour n’est plus obéissance à un ordre mais jouissance de la présence divine. Le croyant est tabernacle. Le ciel est déjà commencé. L’avenir est certain, le présent est divinisé.

Promesse du don de l’Esprit-Saint

Je vous dis tout cela pendant que je demeure encore avec vous : mais le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout, et il vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit.

C’est la 2ème des 5 promesses du don de l’Esprit qui émaillent le grand discours d’adieu. Dès le début la Bible parlait d’un Dieu unique, qui crée par sa Parole, et dont l’Esprit plane sur la création pour la faire subsister. Cette Révélation première avait toujours suscité la réflexion des prophètes : cette Parole viendrait et le don de l’Esprit aux croyants leur permettrait d’accomplir la Loi (Jér 31, Ez 36…).

Jean, le seul, appelle cet Esprit d’un mot qui en grec désigne un avocat (para-klètos), quelqu’un qui est envoyé près d’un condamné pour le défendre. Je n’ai rien écrit, assure Jésus, mais l’Esprit viendra en vous : il vous permettra de vous souvenir de tout ce que j’ai dit et fait et d’en saisir la profondeur qui à présent vous échappe encore. Il vous soufflera la force de répondre aux critiques.

Jean donne deux exemples. Lorsque Jésus chasse les animaux de l’esplanade, il lance : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai ». Personne ne comprend mais plus tard Jean explique : « Il parlait du temple de son corps » : aussi quand Jésus se releva d’entre les morts , ses disciples se souvinrent qu’il avait parlé ainsi et ils crurent à l’Écriture et à sa parole » (2, 19).

De même lors de l’entrée des Rameaux, Jésus a voulu être assis sur un ânon. « Les disciples ne comprirent pas mais lorsque Jésus eût été glorifié, ils se souvinrent qu’un prophète avait dit : « Ne crains pas, Jérusalem, voici que ton roi vient, monté sur le petit d’une ânesse »(12, 12).

Persévérer dans la foi n’est possible qu’avec la lumière de. l’Esprit qui illumine le coeur du croyant pour l’aider à se remémorer l’évangile et à comprendre l’unité des Écritures. C’est pourquoi un gros effort est aujourd’hui nécessaire pour réactiver la liturgie de la Parole : convaincre de l’importance de l’écoute, aider à réfléchir, pousser à l’étude. L’ignorance des Écritures est, chez beaucoup de catholiques abyssale. Savez-vous que partout dans le monde, des maisons d’étude juives restent ouvertes 24 h sur 24 avec des élèves qui sans arrêt étudient la Torah. Tout disciple doit posséder les Écritures et les lire. La foi s’apprend. L’Esprit souffle : encore faut-il lui tendre les voiles de notre désir. Et il nous fera comprendre ce qui nous laissait d’abord perplexes.

Le don de la Paix messianique …

Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Ne soyez donc pas bouleversés et effrayés.

Au sens ordinaire, la paix entend l’absence des conflits, la tranquillité dans le milieu, la bonne santé corporelle, la bonne marche des affaires. « Shalôm » : la paix que le Messie Jésus donne ne se limite pas à ces conditions, et paradoxalement, elle est même compatible avec leur contraire. Toutes les premières générations chrétiennes traversèrent des périodes difficiles et même dangereuses de persécutions. Ensuite les biographies d’un grand nombre de Saints racontent combien ils ont dû supporter des épreuves : maladies, critiques, incompréhensions même de la part de leur milieu chrétien. Et cependant ils témoignent d’une étonnante paix intérieure. « Croire » permet à leur « coeur », c.à.d. à leur personnalité profonde, de demeurer dans la confiance.

Et l’exhortation du Seigneur se termine comme elle avait commencé (procédé appelé « inclusion ») : la disparition du maître les bouleverse mais son retour, la venue du Père et du Fils en eux et le don de l’Esprit leur donneront l’assurance.

… et de Joie

Vous avez entendu ce que je vous ai dit : « Je m’en vais et je reviens vers vous ». Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie, puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi.

Naturellement l’annonce du départ – donc de la mort – de Jésus ne pouvait qu’écraser les disciples, mais maintenant qu’ils connaissent la suite – son passage dans la gloire du Père et sa demeure en nous – , ils peuvent, et doivent, exulter de joie.

La fin de la phrase surprend puisque tout l’évangile répète que le Fils partage la même gloire que son Père. Mais, au moment où il va être arrêté, maltraité, bafoué, condamné et exécuté, Jésus n’apparaît que comme un pauvre homme livré à ses bourreaux. Mais sa chute dans la mort deviendra une montée vers la Gloire de son Père.

Je vous ai dit ces choses maintenant avant qu’elles n’arrivent : ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez.

Les disciples ont compris que leur maître n’a pas été la victime d’un complot tramé dans l’ombre mais qu’il accomplissait le dessein de son Père. On a cru le prendre : il s’est livré. Et si quelquefois il a annoncé aux disciples ce qui allait lui arriver, c’est pour que, plus tard, ils croient en lui.

Donc la grande condition pour être un disciple « consolé », c.à.d. assuré, « consolidé », confiant, est de « croire » : le verbe est répété 7 fois dans ce chapitre 14. (pas le nom « foi » car croire est un acte et non un état). On n’a pas la foi et on ne la perd pas : on parle et on agit, oui ou non, selon les paroles de Jésus.

Conclusion

Belle lecture à méditer en ce temps où les communautés se délitent, où la foi est remise en question. Il y a nécessité de chrétiens « consolés » non de façon factice par des divertissements et des vacances mais par ces paroles solides, consistantes qui nous ancrent dans un « croire » tendu par une espérance infaillible et vécu dans l’amour mutuel. La société est branlante, ses promesses tanguent, son avenir est vide.

On attend des croyants consolidés qui, par conséquent, peuvent consoler, réconforter les hommes dans leur détresse.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Atmosphère de fin de règne au Vatican ?

Le pape malade a dû se résoudre à se déplacer en chaise roulante mais dit pourtant qu’il va bien et veut toujours réformer l’Église.

Atmosphère délétère de « fin de règne » au Vatican où certains cardinaux préparent l’avenir ou plutôt… le prochain conclave estime Le Figaro dans un long article. Mais le pape rappelle qu’il est toujours là…

Le pape François lui-même l’a reconnu dans la revue jésuite, La Civiltà cattolica : « Je suis encore vivant, leur a-t-il dit, nonobstant ceux qui voudraient me voir mort. Je sais que se sont tenues des rencontres entre prélats qui pensaient que le pape allait plus mal que ce que l’on disait. Ils préparaient le conclave. ­Patience ! Grâce à Dieu, je vais bien. » Tout en reconnaissant que sa santé lui donne des soucis.

Dans un livre de dialogue, Des pauvres au pape, du pape au monde publié au Seuil le 1er avril, François a confié : « Jusqu’à il y a trois ans, je mangeais de tout. Maintenant, malheureusement, j’ai une sérieuse complication intestinale, une diverti­culite aiguë, et je dois me nourrir de riz bouilli, de pommes de terre bouillies, de poisson grillé ou de poulet. Du simple, simple, simple… »

Sans oublier qu’il souffre d’une ­gonalgie, inflammation aiguë des ­ligaments au genou droit, conséquence directe de son problème structurel de sciatique à la hanche (…) Il a même longtemps refusé d’apparaître en public avec une béquille et pire, en chaise roulante. Mais un pas devenait un supplice. (…) Le 5 mai, il a fini par céder et se laisser conduire en fauteuil roulant devant les caméras, ce qu’il faisait avant mais hors champs des objectifs.

Mais François veut quand même aller de l’avant, « il  est dans le parti de la réforme, comme il l’a confié en septembre dernier à des jésuites slovaques qu’il rencontrait à Bratislava. Il leur a dit sa « souffrance » de voir s’installer dans l’Église « l’idéologie du retour en arrière » spécialement « dans certains pays » ».

C’est le combat contre cette « idéologie du retour en arrière » qui a aussi motivé, leur a-t-il confié, sa décision de donner un coup d’arrêt réglementaire en juillet 2021 afin de stopper le développement des paroisses selon le rite tridentin, un phénomène français et américain. Ce qui n’est pas passé dans le monde traditionaliste. Il sera toutefois intraitable. « Je continuerai dans cette voie », a-t-il confié à ces jésuites, s’insurgeant contre les jeunes prêtres qui, « à peine ordonnés » demandent l’autorisation à l’évêque « de célébrer en latin ». Il faut les faire « atterrir sur la terre », a-t-il martelé selon Le Figaro.

Atlantico, 13 mai 2022

5ème dimanche de Pâques – Année C – 15 mai 2022 – Évangile de Jean 13, 31 – 35

Évangile de Jean 13, 31 – 35

Aimez-vous les uns les autres

En entendant aujourd’hui l’ordre de Jésus à ses disciples dans l’évangile de Jean : « Aimez-vous les uns les autres », nous méditons sur la portée de ce « devoir d’aimer » tel qu’il a été peu à peu compris par la tradition.

Première Alliance

Avant d’être une prescription imposée, l’amour (agapè) est une révélation à recevoir et à croire. Au commencement Dieu aime son peuple Israël et il le prouve d’emblée en le libérant de l’esclavage en Égypte, en lui faisant passer la mer, en concluant avec lui une Alliance, en lui donnant une Loi de vie, en le conduisant sain et sauf à travers les dangers du désert, en lui donnant une terre féconde, en lui pardonnant sans cesse ses fautes. Dieu est infiniment miséricordieux et il le prouve par des actes. Au point de départ il y a donc la foi : l’appel à faire confiance, à croire en ce cadeau inestimable de Dieu qui n’est pas la récompense d’une bonne conduite mais absolument gratuit.

En retour, Dieu peut ordonner que son peuple l’aime par-dessus tout: « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est le Seigneur UN…Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de tout ton être, de toute ta force » (Deut 5,5). Et cet amour est un appel à aimer autrui: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »( Lév 19, 18).

Nouvelle Alliance

Jésus survient et ouvre la Nouvelle Alliance : les évangiles montrent successivement comment Jésus précise les engagements dus à cette foi. D’abord, selon Marc, Jésus affirme que ces deux commandements, séparés dans la Bible, sont indissolublement unis et les plus grands : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu…et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’ y a pas d’autre commandement plus grands que ceux-là » (Mc 12, 29).

Ensuite, selon Matthieu, Jésus révèle que Dieu est vraiment « Père » et il élargit la notion du prochain jusqu’aux ennemis : « Moi je vous dis : aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent afin d’être vraiment fils de votre Père des cieux » (Matt 5, 43). Et il enseigne que nous serons jugés sur notre amour effectif envers les plus démunis car il s’identifie à eux: « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger…Chaque fois que vous l’avez fait à l’un des plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (25, 40). Ensuite Luc rapporte la célèbre parabole du Samaritain qui détaille bien ce qu’est la notion de « prochain » et l’engagement que cet amour entraîne (Luc 10, 29). L’amour est approche, décision, sollicitude, efficacité.

Enfin survient Jean, le dernier évangéliste. Au lieu de reprendre et prolonger l’élan de cet amour envers les pauvres, il le recentre au contraire sur le foyer des disciples. C’est à eux qu’il ordonne de s’aimer. L’amour mutuel serait-il uniquement réservé aux disciples ?

L’amour dans saint Jean

Tout l’évangile de Jean est porté par la manifestation de l’amour du Père : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son Unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la Vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui » (3, 16).

Comment Jésus manifeste-t-il ce « tant d’amour » du Père ?. Il circule parmi les villages, il s’adresse aux gens les plus simples, il n’impose rien, il est ému par leurs malheurs et guérit certains malades et handicapés. Quelques hommes s’attachent et forment peu à peu une petite communauté qui suit ce maître. Mais ce Maître dénonce hardiment des prélats vaniteux et cupides, il attaque des rites du Temple creux et sans valeur car son

amour du Père ne supporte pas qu’on le déforme. Par conséquent cet amour suscite une hostilité qui s’exacerbe jusqu’à décider la mort de celui qui est vu comme un blasphémateur.

La fête de la Pâque arrive et Jean l’introduit d’une manière solennelle : «  Sachant que son heure de passer de ce monde au Père était venue, Jésus qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême » (13, 1). En ce dernier soir Jésus rassemble le petit groupe de ses disciples. Que se passe-t-il d’essentiel ?

A leur grande stupeur, Jésus se présente comme un serviteur qui veut leur laver les pieds. Pierre se rebiffe mais Jésus le prévient que son refus le séparerait de lui. Un disciple doit donc d’abord accepter de se laisser laver, purifier donc pardonner par son Seigneur. A la fin de ce service, Jésus ordonne à ses disciples de faire entre eux ce qu’il vient de leur faire. Bénéficiaires du pardon, les disciples se doivent de devenir les serviteurs les uns des autres et partager le pardon que leur Seigneur va obtenir sur la croix. Toute course aux honneurs, toute rivalité hiérarchique sont abolies. Ensuite ensemble ils sont invités à partager le repas du Seigneur : chacun reçoit une bouchée du pain rompu. La communauté est choquée par la brutale sortie de Judas. Alors les disciples peuvent entendre l’annonce qui constitue l’évangile de ce dimanche.

L’ordre premier de l’amour mutuel

Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’Homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire – et il la lui donnera bientôt. Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez, et comme je l’ai dit aux Juifs : « Là où je vais vous ne pouvez venir », à vous aussi maintenant je le dis.

« Mon Heure » a sonné : Judas va renseigner les autorités pour arrêter Jésus. Mais l’heure horrible de la crucifixion sera l’heure de sa Glorification puisque, par elle, Jésus accomplira le dessein d’amour de son Père. Et son Père le projettera dans la gloire de la résurrection.

Jésus aime ses pauvres disciples qu’il appelle avec tendresse (« mes petits enfants ») : il sait qu’ils vont l’abandonner mais pour l’instant ils sont incapables de résistance. Ils chercheront un maître disparu mais quand il sera ressuscité, il les retrouvera et les comblera de joie et de paix. Alors, par la force de l’Esprit, ils pourront à leur tour témoigner de Jésus jusqu’au martyre.

Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez vous aussi vous aimer les uns les autres. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples ».

Les disciples étaient des hommes de diverses conditions et très différents les uns des autres. Les évangiles ne cachent pas qu’ils croyaient suivre un Messie qui allait instaurer un royaume de puissance et ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand d’entre eux. Jésus au contraire les appelle à s’aimer. Ce n’est pas un conseil, une suggestion mais un ordre formel, indiscutable. Bien que toutes les Écritures avaient toujours ordonné l’amour, ici le commandement est « neuf » parce que Pâque va inaugurer l’Alliance nouvelle dans l’Esprit, parce que le Seigneur s’est fait serviteur et s’est abaissé afin de purifier les cœurs des disciples, parce que le nouveau repas eucharistique les unit pour devenir un seul Corps. « Comme moi je vous ai aimés » : il ne s’agit pas d’un exemple à imiter. On peut traduire « parce que…puisque je vous ai aimés, donc.. ». Se ressourcer sans cesse à cet amour qui va jusqu’à la croix et qui donne la Vie éternelle capable de sacrifier la vie corporelle.

Conclusion

Très souvent on nous exhorte « à la charité », on nous presse de soutenir les œuvres humanitaires, de répondre généreusement aux appels des plus démunis qui sont légion. Et cela à juste titre comme Matthieu nous l’a rappelé : nous serons jugés sur notre comportement envers les pauvres.

Encore faut-il ne pas réduire la charité à la maigre aumône que l’on dépose dans le panier de la quête ou la pièce jetée dans le gobelet du mendiant. La charité n’est pas un modeste complément de la justice mais au contraire l’engagement à combler les failles de la justice. Elle est l’amour absolu puisque le second commandement est semblable au premier donc a des dimensions divines.

L’évangile de Jean aujourd’hui nous rappelle en outre que « la charité » commence par l’amour authentique entre tous les disciples. En effet, même si nous collaborons à des œuvres caritatives, ne restons-nous pas des pratiquants pieux mais simplement juxtaposés pendant le rite ? Connaissons-nous les chrétiens qui ont un grand malade parmi leurs proches ? « Curieux, me dit une catholique : à la messe, nous nous offrons la paix, nous partageons la même Eucharistie…et le lendemain, quand nous nous croisons au supermarché, nous détournons la tête pour ne pas nous saluer !?? ». Que signifie alors « la communion » ?

Les exigences de la foi apparaissent de plus en plus dans une société qui la contredit nettement : c’est pourquoi beaucoup de pratiquants par habitude cessent de prendre part aux assemblées. C’est le moment pour que celles-ci soient vraiment des communautés où l’on essaie de s’aimer en actes comme Jésus nous a aimés, en nous parlant, en échangeant, en nous soutenant. Cela non pas dans le but de créer une communauté repliée sur elle-même. Car, dans une société qui valorise les égoïsmes et excite les jalousies, c’est en découvrant des personnes qui s’aiment que l’on découvrira la foi puisque :

«  Si vous vous aimez les uns les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples ».

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Emmanuel Lévinas – La priorité de l’amour d’autrui : La Sainteté

Extrait de l’entretien avec B. Révillon : « De utilité des insomnies »
dans le livre d’E. Lévinas : « Les imprévus de l’histoire » (éd. poche)


  • Imaginons qu’un jeune élève vienne vous demander une définition de la philosophie.

Je lui dirais que la philosophe permet à l’homme de s’interroger sur ce qu’il dit et sur ce qu’on se dit en pensant. Ne plus se laisser bercer ni griser par le rythme des mots et les généralités qu’ils désignent mais s’ouvrir à l’unicité de l’unique dans ce réel, c.à.d. à l’unicité d’autrui, …c.à.d. en fin de compte, à l’amour.

Parler véritablement, … s’éveiller, se dégriser, se défaire des refrains. Déjà le philosophe Alain nous mettait en garde contre tout ce qui, dans notre civilisation prétendument lucide, nous venait des « marchands de sommeil ». Philosophie comme insomnie, comme éveil nouveau au sein des évidences (…)

  • Est-ce important d’avoir des insomnies ?

L’éveil est, je crois, le propre de l’homme. Recherche par l’éveillé d’un dégrisement nouveau, plus profond, philosophique. C’est précisément la rencontre de l’autre homme qui nous appelle au réveil (…)

  • C’est l’autre qui nous fait philosophe ?

Dans un certain sens. La rencontre de l’autre est la grande expérience ou le grand événement. La rencontre d’autrui ne se réduit pas à l’acquisition d’un savoir supplémentaire. Je ne peux jamais saisir totalement autrui certes, mais la responsabilité à son égard, où naît le langage, et la socialité avec lui, déborde le connaître (…)

  • Nous vivons dans une société de l’image, du son, du spectacle où il n’y a que peu de place pour le recul et la réflexion. Si une telle évolution s’accélérait, notre société perdrait-elle en humanité ?

Absolument. Je n’ai pas du tout la nostalgie du primitif. Quelles que soient les possibilités humaines qui y apparaissent, elles doivent être dites. Le danger du verbalisme existe, mais le langage qui est un appel à autrui est aussi la modalité essentielle du « se méfier-de-soi », qui est le propre de la philosophie. Mais je ne veux pas dénoncer l’image. Ce que je constate, est qu’il y a une grande part de distraction dans l’audiovisuel, c’est une forme de rêve qui nous plonge et nous maintient dans ce sommeil dont nous parlions à l’instant. (…)

  • Qu’est-ce que l’éthique ?

C’est la reconnaissance de la « sainteté ». Je m’explique : le trait fondamental de l’être est la préoccupation que tout être particulier a de son être même. Les plantes, les animaux, l’ensemble des vivants s’accrochent à leur existence. Pour chacun c’est la lutte pour la vie. Et la matière dans son essentielle dureté n’est-elle pas fermeture et choc ?

Et voilà dans l’humain l’apparition possible d’une absurdité ontologique : le souci d’autrui l’emportant sur le souci de soi. C’est cela que j’appelle « la sainteté ».

Notre humanité consiste à pouvoir reconnaître cette priorité de l’autre….Vous comprenez pourquoi je porte tant d’intérêt au langage : il s’adresse toujours à autrui, comme si on ne pouvait pas penser sans se soucier déjà d’autrui. D’ores et déjà ma pensée est dans un dire. Au plus profond de la pensée s’articule le « pour- l’autre », autrement dit la bonté, l’amour d’autrui plus spirituel que la science.

  • Cette attention à l’autre, est-ce que cela s’enseigne ?

A mon avis, cela se réveille devant « le visage » d’autrui.

  • L’autre dont vous parlez, est-ce aussi le tout-Autre, Dieu ?

C’est là, dans cette priorité de l’autre homme sur moi que, bien avant mon admiration pour la création, bien avant ma recherche de la première cause de l’univers, Dieu me vient à l’idée.

Lorsque je parle de l’autre, j’emploie le terme de « visage ». Le « visage », c’est ce qui est derrière la façade et sous la contenance que chacun se donne : la mortalité du prochain….Le « visage » dans sa nudité est la faiblesse d’un être unique exposé à la mort, mais en même temps l’énoncé d’un impératif qui m’oblige à ne pas le laisser seul. Cette obligation, c’est la première parole de Dieu. La théologie commence pour moi dans le visage du prochain. La divinité de Dieu se joue dans l’humain. Dieu descend dans le « visage » de l’autre.

Reconnaître Dieu, c’est entendre son commandement : « Tu ne tueras point », qui n’est pas seulement l’interdit de l’assassinat mais est un appel à une responsabilité incessante à l’égard d’autrui – être unique – comme si j’étais élu à cette responsabilité qui me donne, à moi aussi, la possibilité de me reconnaître unique, irremplaçable, et de dire « je ». Conscient que dans chacune de mes humaines démarches – dont autrui n’est jamais absent – je réponds de son existence d’être unique ( …)


E. LEVINAS : né d’une famille juive à Kaunas (Lituanie) en 1905 – Révolution communiste : fuite en France – Études à l’université de Strasbourg – Découverte du philosophe E. Husserl – Cours de M. Heidegger – Guerre 40 : prisonnier dans un camp en Allemagne ; épouse et enfants cachés chez des religieuses – La famille demeurée à l’est est exterminée dans les camps nazis – 1947 : Directeur de l’école normale israélite à Paris – Professeur à l’université de Poitiers puis Paris.

Auteur de très nombreux ouvrages (plusieurs reproduits en poche) – Reconnu comme un des plus grands philosophes du 20ème s. – Décédé le 25 12 1995 après « une vie dominée, dira-t-il, par le pressentiment et le souvenir de l’horreur nazie ».

Cf. Catherine Chalier : Lévinas : l’utopie de l’humain (éd. A. Michel)

4ème dimanche de Pâques – Année C – 8 mai 2022 – Évangile de Jean 10, 27 – 30

Évangile de Jean 10, 27 – 30

Le Père et Moi, nous sommes UN

Y a-t-il une seule page de l’histoire qui ne soit ensanglantée par les guerres? Sans cesse et partout, des individus sont persuadés d’apporter le bonheur à leur peuple, d’écraser les menaces des ennemis, de sauver l’honneur de leur nation. Dans cet horrible bilan, le XXème siècle a battu tous les records des tragédies : Staline, le Führer, Mao … ont exterminé plusieurs dizaines de millions de victimes et causé des malheurs indicibles. Le sommet de l’horreur étant à jamais inscrit dans le nom d’Auschwitz. Pourquoi les peuples ont-ils si aisément écouté, approuvé, admiré, suivi de tels guides ?…

Et maintenant où va notre XXIème siècle ? Qui le guide ? « Les GAFAM – acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – sont devenues les plus grandes capitalisations boursières mondiales : chacune dépasse les 1000 milliards de $ US. Décriées pour leur mainmise tentaculaire sur l’économie mondiale, elles menaceraient même la souveraineté des États ».

Peu importe les noms de leurs présidents, leur but est implacable: développer sa propre puissance, accroître les rendements, transformer l’homme en acheteur, consommateur, voyageur. La violence impitoyable de l’or lamine toute résistance. Mais on voit la conséquence catastrophique de cette tyrannie anonyme : rien moins que la destruction de la planète. Il est d’une urgence vitale de stopper le réchauffement climatique et donc de changer profondément nos pratiques. Dans une société qui formate des moutons de panurge, Jésus, lui, se présente comme le guide d’hommes responsables. La foi en lui est capitale, urgente.

Car lorsque Jésus déclare qu’il est « le bon berger », il ne s’agit pas d’une image bucolique, mielleuse et inoffensive qui nous confinerait dans la gentillesse, la piété, les bonnes manières mais d’une affirmation stupéfiante, polémique. D’ailleurs lorsqu’il se désigne de la sorte pour la première fois, lors de la Fête des Tentes, beaucoup le traitent de « possédé » (Jn 10, 1-21). A. ce moment-là, Jésus traite surtout de son comportement vis-à-vis de ses brebis c.à.d. ses disciples : il les appelle une par une, les fait sortir de leur enclos, marche à leur tête et surtout il se nomme « le bon pasteur » parce qu’il donnera sa vie pour ses brebis.

Jean poursuit aujourd’hui son récit avec la fête suivante mais la liturgie n’a hélas retenu que 4 versets. Je propose de lire l’ensemble qui donne sens.

La Fête de la Dédicace

Quelque temps après la clôture de la Fête des Tentes, en l’équivalent de notre mois de décembre, a lieu la dernière grande fête de l’année liturgique : la célébration dite de « Hanoukka » (Dédicace).

« On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C’était l’hiver. Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon ».

Alors qu’il était englobé dans l’empire syrien, Israël fut l’objet d’une terrible persécution: le roi Antiochus Épiphane IV, désireux d’helléniser tous ses peuples, avait décidé de supprimer la singularité juive : il interdit d’avoir la Torah, de pratiquer tous les rites, il profana le temple en dressant une idole païenne sur l’autel. Les martyrs furent très nombreux. Sous la direction de Judas Maccabée, les résistants juifs parvinrent à reconquérir Jérusalem, à démolir l’autel souillé et à en rebâtir un nouveau dont on décida de commémorer désormais la Dédicace par 8 jours de fête joyeuse (cf. 1 Macc 4, 36 ; 2 Macc 1, 9 ; 10, 1)

En dépit des menaces de plus en plus précises, Jésus est remonté dans la capitale : à nouveau il circule ouvertement et reprend son enseignement à la foule.

Le Berger Fiable parce que Fils

Les Juifs firent cercle autour de lui : « Jusqu’à quand vas-tu nous tenir en suspens ? Si tu es le Christ, dis-le nous ouvertement ! ». Jésus leur répond : « Je vous l’ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père témoignent de moi mais vous ne me croyez pas parce que vous n’êtes pas de mes brebis.

Mes brebis écoutent ma voix et je les connais, et elles me suivent. Et moi je leur donne la Vie éternelle et elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père. Moi et le Père nous sommes un ! ». Les Juifs à nouveau ramassèrent des pierres pour le lapider.

Prenons garde à l’antisémitisme : comme souvent chez Jean, l’appellation « les Juifs » ne désigne pas le peuple (où Jésus, qui est lui-même juif, compte des hommes qui le croient) mais seulement la part des autorités qui lui en veulent. Excédés par les paroles et le comportement de ce charpentier inconnu, ses adversaires le somment à nouveau d’affirmer son identité profonde. Qu’a répondu Jésus ?

  • D’abord qu’il ne fait pas une révélation nouvelle : il a dit à plusieurs reprises qu’il était le Messie mais ils ne l’ont jamais cru.
  • Si cette affirmation leur semble incroyable, ils pourraient au moins réfléchir aux œuvres étonnantes que Jésus a accomplies devant tous. Elles témoignent qu’il est davantage qu’un guérisseur et elles peuvent conduire à pressentir qu’il a un lien spécial avec Dieu son Père.
  • Mais leur refus foncier est dû au fait qu’ils ne veulent pas faire partie de la communauté que Jésus appelle et conduit.

Ensuite, positivement, Jésus réexprime son lien avec ses brebis et son Père :

  • Jésus n’embrigade personne, il ne cherche pas à séduire, il ne force pas, il parle et sa parole est invitation à toute liberté. Tout vrai disciple est quelqu’un qui a écouté son enseignement, qui s’est senti librement interpelé par cette Parole et qui a décidé de s’engager sur la voie tracée par l’Évangile. Lorsqu’il affirme qu’il « connaît ses brebis », il s’agit évidemment non d’une simple identité mais, au sens du verbe dans la bible, d’une communion profonde. L’existence qui met au mieux en pratique l’Évangile est le test de la foi.
  • Le don unique et immense que Jésus fait à ses disciples est la Vie éternelle, la participation à la Vie de Dieu.
  • Jésus sait que l’attachement de ses disciples à sa personne n’est pas le fruit de son travail ou de son prestige mais un cadeau de son Père : c’est pour cela qu’elles lui sont si précieuses jusqu’à donner sa vie pour elles.
  • Il rassure ses disciples qui, par leurs faiblesses, leurs péchés, les attaques subies, pourraient douter de leur persévérance : par la foi ils sont solidement tenus et par le Père et par le Fils et aucune puissance n’a pouvoir de les leur arracher. Seul le disciple lui-même, que jamais la foi ne ligote, peut de son plein gré renier ce qu’il a cru. Et cependant les mains du Père des miséricordes et les mains clouées du Fils demeurent toujours tendues pour accueillir celui qui s’était perdu.

Et Jésus conclut par l’affirmation solennelle :

« MON PÈRE ET MOI NOUS SOMMES UN ! »…A nouveau les Juifs ramassèrent des pierres : « Nous voulons te lapider pour un blasphème : parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu ! ». Jésus répondit : « Le psaume 82, 6 dit « Vous êtes des dieux ». Et nul ne peut abolir l’Écriture. Or à celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites : « Tu blasphèmes ! ». Croyez au moins dans mes œuvres. Ainsi vous connaîtrez et vous connaîtrez de mieux en mieux que le Père est en moi comme je suis dans le Père ».

Ils cherchèrent à l’arrêter mais il échappa de leurs mains. Et il s’en retourna au Jourdain, au lieu de son baptême ».

Affirmation jamais dite, affirmée, dit Jean, par Jésus qui priait en disant « Abba ! Père », écrite et hardiment répétée par des membres d’un peuple dont la confession de foi fondamentale est « Écoute, Israël : le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». Mais prétention Incroyable, inacceptable pour des multitudes infinies sans doute jusqu’à la fin des temps. Ce sera la cause première de la condamnation à mort de Jésus puis celle de milliers de martyrs.

« Le Père m’a consacré » dit Jésus en cette fête de la « dédicace », c.à.d. de la consécration du nouvel autel et du temple par les Maccabées…mais qui, à nouveau seront détruits lors de la guerre contre les Romains en 70. Déjà, au début de l’évangile, Jésus avait lancé : « Détruisez ce temple et je le relèverai en 3 jours » et Jean avait expliqué : « Il parlait du temple de son corps » (2, 19).

Jésus accomplit toute la liturgie

Jean et sa communauté sont confiants : l’édifice du temple de pierres, l’autel consacré, les sacrifices d’animaux n’ont plus lieu d’être. Toute la liturgie d’Israël s’accomplit en Jésus : il est l’agneau immolé, sa croix est l’autel de sa donation, sa résurrection sera la naissance de son Corps, l’Église. Parce qu’il est le Fils, UN avec son Père.

Bien peu nombreux étaient les premiers chrétiens qui découvraient ces merveilles et ils savaient quelles avanies et quelles souffrances les attendaient. Néanmoins ils vivaient dans une confiance inébranlable : avec le Bon Berger, ils ne manquaient de rien, ils continuaient les œuvres de Jésus, leur assurance était totale puisqu’ils étaient tenus dans les mains du Père et du Fils.

C’est ce témoignage qui assure encore la Vérité de l’Évangile.

Fr Raphael Devillers, dominicain.