5ème dimanche de carême – Année C – 3 avril 2022 – Évangile de Jean 8, 1-11

Évangile de Jean 8, 1-11

La Misère et la Miséricorde

La scène de la rencontre de Jésus avec la femme adultère est une des plus célèbres de l’Évangile, mais elle constitue un des gros problèmes du livre de Jean. En effet elle est absente des plus anciens manuscrits ou bien elle est insérée à une autre place et même parfois dans l’évangile de Luc car ses caractéristiques lui ressemblent. C’est pourquoi les exégètes R. Brown et X. Léon-Dufour l’omettent dans leurs grands commentaires de Jean. Toutefois Saint Augustin la commente à sa place et soupçonne la censure antique de « copistes de peu de foi qui craignaient pour la fidélité de leurs épouses ». En tout cas « son caractère canonique n’est pas à contester » (la Tob). « Une perle …un récit certainement authentique » dit Marchadour.

La Fête des Tentes

Comme toujours, il faut replacer le texte dans son contexte. La grande Fête des Tentes (« Soukkôt en hébreu) était la solennité la plus joyeuse de l’année : à la fin des récoltes et des vendanges (novembre), tout le peuple des pèlerins célébrait à Jérusalem les bienfaits de Dieu et faisait mémoire des ancêtres qui jadis, libérés de l’esclavage et riches de la Loi reçue au Sinaï, marchèrent à travers le désert, guidés par Dieu, pour entrer dans la terre promise. A leur imitation, les gens, pendant 8 jours, logeaient sous tente ou dans des cabanes et une joie immense éclatait partout avec exubérance. La fête se célèbre encore aujourd’hui.

Jésus menacé

A l’approche de cette fête, Jésus qui se sait pourtant menacé de mort par certaines autorités du temple a osé monter à Jérusalem (7,10). La foule s’étonne de le voir et les questions à son sujet fusent de partout : qui donc est-il ? D’où lui vient sa capacité d’enseigner ? Où va-t-il ? Certains le tiennent pour le messie mais les grands prêtres cherchent à le capturer. L’un d’eux, Nicodème, demande l’ouverture d’un procès sous la règle du droit. Il se fait remballer.

Le dernier jour de la fête, le huitième, où l’on implorait pour avoir des pluies, Jésus a osé lancer en public : « Si quelqu’un a soif – de la Vie – qu’il vienne à moi – et qu’il vive ». Scandale pour ses ennemis qui décident d’en finir une bonne fois avec ce blasphémateur. C’est alors qu’une occasion va se présenter à eux pour coincer Jésus. Le soir, comme d’habitude, Jésus va passer la nuit sur le mont des Oliviers.

La misère effondrée devant la Miséricorde

Dès le point du jour, Jésus revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.

Alors les scribes et les pharisiens amenèrent une femme qu’on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe. « Maître, disent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? ». Ils parlaient ainsi dans l’intention de lui tendre un piège pour avoir de quoi l’accuser.

Dès l’ouverture des portes Jésus revient sur l’esplanade, s’assied dans la position du maître et enseigne la Parole de Dieu. Tout à coup un groupe de spécialistes de la Loi fend la foule à l’écoute en hurlant : «  Laissez passer !!! » et ils lancent une femme en larmes, mourant de honte et d’angoisse, aux pieds de Jésus. Le cercle impitoyable des accusateurs se referme.

En effet il était écrit : «  Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l’homme adultère aussi bien que la femme adultère » (Lév 20, 10). Alors où est cet homme ? pourquoi la femme seule ? Certains supposent qu’il s’agissait d’un soldat romain, sur lequel la juridiction juive n’avait évidemment aucun pouvoir. D’autre part cette sentence ne s’appliquait plus puisque César s’était réservé le droit de condamnation à mort. Notez qu’on n’a aucun témoignage antique sur l’application de cette loi.

D’où la question tendue à Jésus : Lui, le prétendu messie libérateur, va-t-il se soumettre à la loi païenne ? Ou demandera-t-il une exécution qui contredirait son enseignement d’amour et qui provoquerait immédiatement une répression générale ? La femme n’est donc qu’un prétexte : ce qu’ils cherchent, c’est le rejet et la suppression de Jésus. Mais celui-ci va éviter le piège et les laisser a quia.

Réponse explosive de Jésus

Jésus se baissa et, du doigt, il traçait des traits sur le sol. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre ». Et il se baissa à nouveau pour tracer des traits sur le sol.

Impassible, Jésus, assis, se courbe comme pour rejoindre la femme épouvantée et former le couple des accusés. Notons que la femme ne se défend nullement, elle n’accuse ni son amant ni son époux, elle ne cherche pas de circonstances atténuantes. Et Jésus d’un doigt gratte le sol, sans rien écrire. La Loi sacrée d’Israël était gravée sur la pierre, inamovible : elle pouvait donc toujours servir de pierre, de projectile pour condamner celui ou celle qui la bafouait. Mais pour mettre un terme à la vie d’un coupable, ne faudrait-il pas être un juge parfaitement intègre, à la conscience lumineuse, être soi-même sans péché ?…

Jésus, lui, n’a jamais rien écrit : il parle, il explique, il répète, il s’adapte à ses auditeurs, appelle à la conversion, accueille à nouveau celui qui a été rétif, remet le pécheur dans les mains de son Père. Dans l’évangile, la porte est toujours entrouverte pour accueillir avec miséricorde Lévy, le fils prodigue, Zachée, la Samaritaine….

Quant à eux, sur cette réponse, ils s’en allaient l’un après l’autre …en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « «  Femme, où sont-ils donc ? Alors personne ne t’a condamnée ? ». Elle répondit : « Personne, Seigneur ». Et Jésus lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus » .

La réponse inattendue désarçonne les juges et fait sauter le cercle des accusateurs : l’un après l’autre – les plus âgés d’abord, note malicieusement Jean –, ils se détournent et s’en vont, le bec cloué, reconnaissant publiquement la vérité de la parole de Jésus.

Et ils restent seuls, Jésus et la femme. « La misère et la Miséricorde » dit magnifiquement St Augustin. La femme est comme l’humanité, faible et misérable, promettant l’obéissance et chutant sans cesse dans la boue du péché. Et Jésus n’est plus le « maître » comme l’appelaient ses ennemis, quelqu’un qui ne peut que répéter les lois. Il est le « Seigneur » qui peut faire miséricorde.

Lui, le seul à être sans péché, murmure « Je ne te condamne pas » mais il ajoute : « Va et désormais ne pèche plus ». Un nouvel avenir s’ouvre pour celle que l’on voulait clouer dans son passé. L’ adultère reste un péché et il faudra continuer à combattre les tentations.

A deux reprises, Jean note que Jésus, après s’être abaissé, se redresse . Il se démarque du cercle raide et accusateur des juristes pour rejoindre la femme coupable tombée au plus bas. Mais ensuite il se relève. Il effectue ainsi comme un signe symbolique de ce qu’il va vivre lui-même.

Car à la grande solennité suivante de printemps, la Pâque, le cercle des juges se refermera sur Jésus. Giflé, injurié, fouetté mais debout, il ne répondra pas au verdict impitoyable de la Loi : « Il s’est fait roi : à mort, crucifie-le ». Dressé au Golgotha, il s’offrira par amour de son Père et des hommes et deviendra le Vivant, le Seigneur.Tous ceux qui croiront en lui seront certains d’être pardonnés.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Le Pape invite à passer de la culture du pouvoir à la culture du soin

Le Pape François a dénoncé dans la matinée du jeudi 24 mars l’engagement de certains gouvernements à augmenter leurs dépenses militaires. Il a plaidé au contraire pour un changement de modèle dans les relations internationales, en adoptant la «culture du soin». Et les femmes peuvent avoir un rôle décisif, a assuré le Souverain Pontife qui s’exprimait devant les participants à une rencontre du Centre Féminin Italien.

La politique est «la forme la plus haute, peut-être, de la charité», a rappelé François ce jeudi matin à un groupe du Centre Féminin Italien, association d’inspiration chrétienne née en 1944, alors que l’Italie, en pleine Seconde guerre mondiale, traversait une importante crise institutionnelle.

À l’origine de la guerre, des ambitions dominatrices

«Il est désormais clair qu’une bonne politique ne peut provenir de la culture du pouvoir, comprise comme la domination et la surpuissance, non, elle ne peut provenir que d’une culture de l’attention, de l’attention à la personne et à sa dignité et de l’attention à notre maison commune», a déclaré le Saint-Père. «La preuve en est faite, malheureusement de manière négative, par la guerre honteuse à laquelle nous assistons», a-t-il poursuivi, reconnaissant qu’il est «insupportable de voir ce qui s’est passé et se passe en Ukraine».

Cette guerre est «malheureusement le fruit de la vieille logique de puissance qui domine encore la soi-disant géopolitique. L’histoire des 70 dernières années le prouve: les guerres régionales n’ont jamais manqué, c’est pourquoi j’ai dit que nous étions dans la troisième guerre mondiale par morceaux, n’est-ce pas, jusqu’à ce que nous arrivions à celle-ci, qui a une dimension plus grande et menace le monde entier». 

Mais «le problème de fond reste le même: nous continuons à gouverner le monde comme un « échiquier », où les puissants étudient les mouvements pour étendre leur domination au détriment des autres», a regretté François.

«La guerre d’agression contre l’Ukraine est inhumaine et sacrilège»

A l’issue de la prière de l’Angélus, le souverain pontife a de nouveau dénoncé la guerre qui frappe l’Ukraine, déplorant en particulier les missiles et les bombes qui touchent les civils et exhortant «tous les acteurs de la communauté internationale afin qu’ils s’engagent vraiment à faire cesser cette guerre répugnante».

La solution n’est pas dans les sanctions

«La vraie réponse n’est donc pas plus d’armes, plus de sanctions», a estimé le Pape, pointant du doigt les États dont une part croissante du PIB est destinée à l’armement. L’issue favorable «n’est pas plus d’armes, plus de sanctions, plus d’alliances politico-militaires, mais une approche différente», centrée sur le soin de la personne et de la création.

Or, les «femmes sont les protagonistes de ce changement de cap, de cette conversion. (…) Tant qu’elles conservent leur identité de femmes», a précisé le Souverain Pontife.

«Mais l’heure vient, l’heure est venue, où la vocation de la femme s’accomplit en plénitude, l’heure où la femme acquiert dans la cité une influence, un rayonnement, un pouvoir jamais atteints jusqu’ici. C’est pourquoi, en ce moment où l’humanité connaît une si profonde mutation, les femmes imprégnées de l’esprit de l’Évangile peuvent tant pour aider l’humanité à ne pas déchoir», a-t-il poursuivi, reprenant les mots de saint Paul VI dans sa Lettre aux femmes du 8 décembre 1965.

«La force des femmes est grande !»

Autrement dit, les femmes «peuvent changer le système si elles parviennent, pour ainsi dire, à convertir le pouvoir de la logique de la domination à celle du service, à celle du soin», a ajouté François.

Mais ce changement de mentalité «concerne tout le monde et dépend de chacun. C’est l’école de Jésus-Christ, qui nous a enseigné comment le Royaume de Dieu se développe toujours à partir d’une petite graine», c’est aussi «l’école des saints de tous les temps, qui font grandir l’humanité par le témoignage d’une vie passée au service de Dieu et du prochain». Et c’est l’école «d’innombrables femmes qui ont nourri et chéri la vie ; de femmes qui ont pris soin des fragilités, qui ont soigné les blessures, qui ont soigné les blessures humaines et sociales ; de femmes qui ont consacré leur esprit et leur cœur à l’éducation des nouvelles générations. La force des femmes est grande !», s’est exclamé le Saint-Père.

Le Pape a encouragé ces femmes italiennes à poursuivre leur engagement, en choisissant aussi «d' »alléger » des structures devenues insoutenables, pour mieux se consacrer à la formation et à l’animation culturelle et sociale». «Que la Vierge Marie, que nous contemplerons demain à l’Annonciation, vous accompagne toujours», a-t-il conclu dans une brève prière.

4ème dimanche de carême – Année C – 27 mars 2022 – Évangile de Luc 15

Évangile de Luc 15

Qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi ?

Contrairement à son maître Jean-Baptiste, Jésus d’emblée s’est mis à circuler dans les villes et villages de Galilée ; prophète pauvre, il dépendait de la générosité des habitants. Luc le montre ainsi prêt à entrer chez un centurion romain, mangeant avec des pécheurs, invité chez des pharisiens. Ceux-ci étaient très scandalisés par sa joyeuse commensalité avec des gens que la Loi interdisait de fréquenter : n’était-ce pas paraître approuver leur conduite ?

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole : … »

En fait Jésus va raconter « les trois paraboles de la miséricorde » : celle du berger qui remarquant qu’une brebis s’est égarée, déploie tous ses efforts pour la retrouver, et plein de joie, invite ses amis pour un joyeux festin ; celle de la femme qui, affolée, cherche sa drachme perdue, fouille partout, la retrouve, organise un joyeux festin ; et enfin la troisième, la plus célèbre, dénommée souvent « du fils prodigue », mais qui est plus justement la parabole du Père prodigue, la seule lue aujourd’hui.

Les trois paraboles sont donc une réplique contre les pharisiens qui « récriminent », ce qui est un péché grave, déjà dans l’Exode où il pointe une opposition au Dessein de Dieu. En voulant protéger la Loi derrière des murs de prescriptions et de rites, et en abandonnant les pécheurs à leur sort, ils font de la religion une forteresse. Ils se croient les élus et en fait ils s’enferrent dans le moralisme, ils veulent faire leur salut par eux-mêmes. Leur bonne conscience les rassure et ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils manquent à l’essentiel : la miséricorde. L’autre, le perdu, ne leur cause aucun souci, il ne leur manque pas.

Ainsi Jésus justifie sa conduite : si un berger veut à tout prix retrouver sa brebis perdue, si une femme s’acharne à retrouver son argent égaré, a fortiori Dieu ne veut pas qu’un seul homme se perde. Il m’a envoyé, comme son Fils, pour chercher le perdu, le retrouver et fêter en communauté son retour.

Le péché

« Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir ». Et le père leur partagea son avoir ».

Il réalisa son avoir, partit pour un pays lointain et dissipa son bien dans une vie de désordre. Mais une grande famine survint et il commença à se trouver dans l’indigence. Il se mit au service d’un citoyen de ce pays qui l’envoya garder les porcs. Il aurait bien voulu se nourrir des gousses que mangeaient les porcs mais personne ne lui en donnait.

Que s’est-il donc passé ? Le cadet n’en peut plus, il étouffe dans cette grande demeure, il a envie de vivre, de partir au loin. La stature de son père lui pèse car demander son héritage, c’est désirer la mort du père, refuser d’être un fils qui dépend, vouloir diriger sa vie propre. Ne plus être un fils qui doit obéir et toujours demander, avoir à soi, être seul maître de ses décisions. Vivre, jouir de la vie, profiter sans interdits, être adulte.

Mais le pays lointain, la société sans Dieu, révèle tôt ou tard ses limites. Notre jeune homme n’a eu avec les femmes que des rencontres passagères, il n’a pas trouvé d’épouse. Dépenser son argent, consommer : on est vite las des plaisirs. Si l’on tombe dans l’indigence, un homme vous exploite. Et si vous manquez, « personne ne vous donne ». Derrière le clinquant et les paillettes, la société est impitoyable.. Loin de la source de l’amour, on est livré à la concurrence, la jalousie, la solitude. Et l’homme y glisse dans la mort inéluctable.

La conversion

Rentrant en lui-même, il se dit : « Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi ici je suis perdu. Je vais aller chez mon père et lui dirai : « Père, j’ai péché envers Dieu et contre toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme un ouvrier ». Il alla vers son père.

Sorti de chez son père, il était donc sorti de lui-même pour s’éclater dans la foire aux divertissements. Ayant perdu son avoir, il se met à la recherche de son être. Il ne regrette pas le chagrin qu’il a pu faire à son père lequel reste quelqu’un à qui on doit demander, une autorité qui donne. Mais au moins il prend conscience « j’ai péché ». Et il revient en arrière, plein d’amertume de l’échec subi.

Et alors éclate la merveille, un des plus beaux passages de la bible, la révélation du vrai Dieu.

« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut pris aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : « Père, j’ai péché, je ne mérite plus d’être appelé ton fils… ». Mais le père dit aux serviteurs : « Vite, apportez la première robe, habillez-le ; mettez-lui un anneau au doigt, des sandales aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons, festoyons car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».

Quelle révélation du vrai Dieu ! Non un tout puissant courroucé, qui exige des prosternements et prépare un châtiment. Non même un Dieu qui a pitié. Mais un Père qui aime et qui est pris aux entrailles (on comprend pourquoi le récit ne parle pas de mère). D’où sa hâte : insupportable de voir son fils en haillons ! Chaque jour il scrutait l’horizon : tout de suite il a reconnu la petite silhouette. Il accourt vers lui et sans faire nul reproche, il le prend dans ses bras et l’embrasse.

Et il lui offre les symboles de ce que son fils cherchait : la dignité (robe), l’autorité (alliance),la liberté (sandales). La conversion d’un pécheur doit évidemment se fêter : festin pour tous, mangeons, jouons de la musique, chantons. Un homme mort est ressuscité ! Et c’est mon fils ! Toutes les idoles de Dieu s’effondrent !

L’aîné pharisien

Son fils aîné était aux champs. A son retour, s’approchant de la maison, il entendit de la musique et des danses. Il appelle un serviteur qui lui dit : « Ton frère est arrivé et ton père a tué le veau gras parce qu’il est en bonne santé ». Alors en colère, il refusa d’entrer. Son père sortit l’en prier mais il répliqua : « Voilà tant d’années que je te sers sans avoir jamais désobéi à tes ordres. Tu ne m’a jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils est arrivé, lui qui a mangé ton avoir avec des filles, tu as tué le veau gras pour lui ! ». Alors le père lui dit : « Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se réjouir parce que ton frère était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé ».

Fort de café quand même ! Vous faites tout votre possible pour être un fidèle observant, vous luttez contre les tentations, vous multipliez les sacrifices, vous êtes un pilier d’église….Et voilà un autre qui a quitté les rangs pour mener une vie de patachon et qui tout à coup revient, et on organise une fiesta comme s’il était un héros.

Scandale, non ?

C’est que ce n’était pas un autre mais un fils de Dieu comme vous, donc un frère. Ne le cataloguez pas comme un jouisseur dont au fond vous êtes un peu jaloux mais comme un malheureux qui était en train de couler vers la mort. Le péché n’est pas un plaisir défendu mais une maladie mortelle. Au fond les frères ne s’aimaient pas, ils ne se parlaient pas, l’un ne manquait pas à l’autre.

Et c’est alors que le cadet a pris conscience : jadis il avait la même vision du père que son frère. Tous les deux le voyaient comme un donneur d’ordre, un chef qui donnait des ordres et multipliait les interdits. La foi leur paraissait une aliénation. Si l’aîné acceptait ce régime d’obéissance, où l’on accomplit son devoir pour mériter un jour la récompense, lui, le cadet, n’a pas eu cette force, il étouffait sous ce régime. C’est maintenant, avec l’accueil bouleversant, les larmes et la joie de son père, qu’il découvre, enfin, l’authentique visage de Dieu. Il est son Père, il est Amour, il est Miséricorde. Et lui, et son frère, et tous les croyants sont et demeurent ses fils. Sauf s’ils renient cet état, car la foi est toujours option libre.

Le perdu s’est converti parce que le péché le menait à la mort ; l’observant doit apprendre maintenant à se convertir lui aussi. Et hélas, l’histoire finit mal. Le père qui était sorti pour aller à la rencontre du cadet, sort à nouveau pour inviter l’aîné à participer au banquet…et ce dernier se braque dans son refus. Il voulait bien accepter un règlement mais pas l’amour qui pardonne tout à son frère.

Paul de Tarse était d’abord à l’image de l’aîné, fou furieux devant ces nouvelles communautés où se côtoyaient observants et anciens pécheurs, où Pierre participait à de joyeux repas aux côtés de Marie Madeleine et de Zachée. Il a fallu qu’il rencontre le Christ vivant pour qu’il comprenne que le Vrai Fils, Jésus, avait accompli le désir du Père : il était allé jusqu’au bout pour rejoindre les pires pécheurs dans leur péché, leur misère, et sa joie était de les repêcher. Les « aînés » ne l’ont pas accepté et l’ont supprimé.

Mais le Père a retrouvé ce Fils unique qui était mort et qui était devenu vivant afin d’ouvrir le banquet de l’Eucharistie : celle-ci n’est pas la récompense des meilleurs mais le joyeux repas de tous les pécheurs pardonnés. 

« Tous ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau » (Apoc)

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Les Honnêtes Gens ne mouillent pas à la Grâce

Charles PEGUY (1873 – 1914)

Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée tout faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite.

On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tromper ce qui était habitué.

De là viennent tant de manques que nous constatons dans l’efficacité de la grâce et que, remportant des victoires inespérées dans l’âme des plus grands pécheurs, elle reste souvent inopérante auprès des plus honnêtes gens.

C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale constamment intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute.

Ils ne présentent point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude …

Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché.

Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont plus vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout.

La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé.

Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce. C’est pour cela que rien n’est contraire à ce qu’on nomme (d’un nom un peu honteux) la religion comme ce qu’on nomme la morale. La morale enduit l’homme contre la grâce.

Dans « Péguy tel qu’on l’ignore » – Textes choisis
Coll. Idées, Gallimard poche, 1973

3ème dimanche de carême – Année C – 20 mars 2022 – Évangile de Luc 13, 1-9

Évangile de Luc 13, 1-9

Signes pour une conversion

« Oh que Jésus parle bien ! On n’a jamais entendu d’aussi belles paraboles ! Dommage que mon mari n’était pas là : ça lui aurait fait du bien ! …Ah si nos dirigeants voulaient bien appliquer ce qu’il dit… » : l’effervescence était grande lorsque Jésus passait et prêchait dans un village. Et surtout quand il avait accompli l’une ou l’autre guérison de malades ou d’handicapés. On l’acclamait, on était fier de l’inviter à la maison, on rêvait d’un nouveau monde. Mais qui se sentait concerné ? Qui prenait pour lui ses instructions ?… Qui commençait à vivre comme il l’exigeait ?

Jésus, lucide sur ces compliments superficiels, nous répète aujourd’hui que l’écoute doit entraîner l’acte, que l’Évangile n’est pas un projet irréalisable, un horizon incertain, un programme réservé à une élite.

Luc nous présente son exhortation en 4 parties : les deux premières ne sont pas lues en liturgie.

1. Reconnaître le temps aujourd’hui

Jésus dit aux foules : « Quand vous voyez un nuage se lever au couchant, vous dites : « La pluie vient », et elle arrive. Quand le vent souffle du midi, nous dites : « Il va faire très chaud »et ça arrive. Hypocrites, vous savez reconnaître l’aspect de la nature, comment ne savez-vous pas reconnaître le temps présent ?

Le bulletin météo dans les médias attire, on le sait, un intérêt considérable : « Beau temps : je vais travailler au jardin…Chéri, on annonce de la pluie : prends ton parapluie… ». Tel type d’annonce provoque en conséquence telle sorte de comportement. Eh bien, poursuit Jésus, pourquoi n’en faites-vous pas autant avec ce qui se passe maintenant ? Vous êtes, au sens biblique, des « hypocrites » : vous m’acclamez, vous paraissez m’approuver mais vous ne changez pas de conduite.

2. Régler ses problèmes tant qu’il est temps

« …Quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, tâche de te dégager de lui en chemin, de peur que l’on ne te traîne devant le juge qui te livrera au garde qui te jettera en prison….Tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime ».

Il arrive que, même entre chrétiens, des contentieux éclatent et l’imbroglio est tel qu’ils décident de s’en remettre à un juge. Mauvaise solution car l’un ou l’autre pourra le payer très cher. Il est bien préférable et urgent de stopper la procédure et de rouvrir le débat afin arriver à un arrangement, même boiteux.

La situation est bien plus grave envers Dieu : qui que tu sois, tu as certainement commis des péchés et tu ne veux pas les reconnaître. Or tu parviendras un jour devant Dieu, le juste Juge. Aujourd’hui moi, Jésus le Sauveur, je passe parmi vous : tu peux devant moi reconnaître tes fautes, si nombreuses et si lourdes soient-elles, et t’engager sincèrement à éviter ces chutes et à vivre comme je le demande. En effet le Fils de l’homme a pouvoir de remettre les péchés. Profite donc sur le champ de la grâce qui t’est offerte, comme elle l’est à tous.

3. Le malheur n’est pas un châtiment de Dieu

A ce moment survinrent des gens qui lui rapportèrent l’affaire des Galiléens surpris en train d’offrir un sacrifice et exécutés par Pilate. Il leur répondit : « Pensez-vous que ces Galiléens étaient de plus grands pécheurs que les autres pour avoir subi un tel sort ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même.

Et ces 18 personnes sur lesquelles la tour de Siloé s’est effondrée et qu’elle a tuées, pensez-vous qu’elles étaient plus coupables que tous les habitants de Jérusalem ? Non, je vous le dis, mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière ».

Tout au long de son histoire ancienne, Israël se débat avec « le problème du mal » : s’il arrive malheur à quelqu’un, c’est sans doute que Dieu veut ainsi le punir de sa faute. Par contre l’homme heureux et enrichi mérite sans doute la récompense de Dieu. La rétribution temporelle permettait ainsi de sauver la justice de Dieu.

On connaît les cris de révolte de Job écrasé tout à coup par une terrible série de désastres qui lui enlèvent ses enfants, ses biens, sa santé. Ses amis, de grands sages, sont persuadés, selon la tradition, qu’ il paie ainsi des péchés qu’il ne veut pas avouer. Job est fou furieux et hurle son bon droit. « Pourquoi moi ? »

Ainsi alors qu’on parlait des Galiléens qui avaient été surpris par les Romains en train d’offrir un sacrifice (pour la libération) et qui avaient été exécutés, certains y voyaient une faute que Dieu avait châtiée. Jésus se dresse avec force contre ce diagnostic délirant. Et il évoque un fait-divers tragique récent : si une tour s’était effondrée, il ne fallait pas y voir une punition de Dieu contre les constructeurs. Donc que les mamans, énervées par la désobéissance de leur bambin en larmes, cessent de lui lancer : « Le bon Dieu t’a puni ! ».

Le passage à ne jamais oublier pour nous désencombrer de ces supputations est celui de Jean 9, 3 : Devant un mendiant né aveugle, les apôtres demandent à Jésus : « Qui donc a péché pour qu’il soit dans cet état ? ». Et Jésus à nouveau bondit : « Ni lui ni ses parents. C’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ». Le « Pourquoi ? » est laissé à la médecine ou au hasard et devient le « Pour quoi …? ». Le malheur de l’homme est cause de l’action pour celui qui le rencontre.

Donc conclut Jésus, cessez de débattre sur la culpabilité des victimes et décidez : si de telles choses arrivent, comment dois-je vivre ? Le bulletin d’informations de la tv doit devenir pour le chrétien un appel à la formation à la foi, à la décision, au changement.

4. La Parabole du Figuier

Jésus dit une parabole : « Un homme avait une vigne plantée dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : « Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il encore qu’il épuise la terre ? ». Mais l’autre lui répondit : « Maître, laisse-le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Si non, tu le couperas ».

Souvent, au cœur de leur vignoble, les propriétaires plantaient un figuier dont l’ombrage des larges feuilles permettait des pauses rafraîchissantes aux ouvriers mais qui surtout offrait des fruits succulents. A quoi bon alors laisser un figuier stérile ? Mais l’intendant intervient et propose un dernier délai en retravaillant l’arbre.

Depuis que les prophètes (Isaïe 5, Jér 2, 21) avaient comparé Israël à une vigne magnifique que Dieu avait choisie et comblée de bienfaits, il était courant de comparer le temple de Jérusalem au figuier planté au centre. Reprenant cette comparaison, Jésus explique que le propriétaire, Dieu, est ulcéré : ce temple, avec ses prélats, son faste, ses sacrifices, ses illuminations a belle apparence mais il ressemble à un figuier stérile. Tout le système fonctionne mais ne produit pas des croyants qui construisent une société de droit et de justice. Comme le figuier, le temple n’est pas un élément décoratif mais doit produire des fruits.

Mais voilà que survient le Fils et, plein de miséricorde, il propose une année où il va tout faire pour opérer le changement. Certes ça fera mal, ses propos seront tranchants, ses exigences secoueront, il tancera vertement les responsables du culte, il dénoncera leur hypocrisie, il fouaillera dans les consciences assoupies. Mais tout cela pour sauver l’arbre avec une certaine espérance : « Peut-être donnera–il du fruit ??? ».

Hélas on refusera la conversion et le perturbateur finira cloué sur un arbre mort. Tandis que la révolte juive entraînera la destruction de Jérusalem et de son temple, la croix deviendra paradoxalement l’arbre de vie. La Bonne Nouvelle libérée franchira toute frontière et donnera des fruits dans tous les pays jusqu’à la fin du monde.

Conclusion

Le carême est un temps de repentance, de prise de conscience de nos fautes mais attention de nous limiter à un vague sentiment de culpabilité. Il vaut mieux parler de temps de conversion, mot qui traduit l’hébreu « shoub » qui signifie retourner, changer de direction. Il s’agit de décider de rompre avec tel comportement, de s’engager sur une autre route. Travail incessant, sans cesse à reprendre vu notre faiblesse, et qui nous démarque du comportement de la multitude toujours emportée par les trois tentations.

Aujourd’hui Jésus nous exhorte à déceler les signes de Dieu dans les événements. La météo, les procès, les guerres, les accidents : tous les événements peuvent nous solliciter à nous convertir pendant qu’il en est temps. Ne nous contentons pas « d’être au courant » : courons pour revenir sur le chemin de la vraie Vie.

Et ne nous fions pas aux succès de nos liturgies et de nos rassemblements : ce qui seul importe, c’est que nous donnions du fruit. Au sens vrai, un « pratiquant » n’est pas un pilier d’église mais quelqu’un qui met en pratique, dans toute la mesure de ses forces, ce qu’il apprend dans l’Évangile et dans l’actualité.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Il est possible, en agissant maintenant, de préserver notre avenir

Rapport du 28 février 2022

«Ce rapport lance un avertissement très sérieux sur les conséquences de l’inaction», a déclaré Hoesung Lee, président du GIEC. «Il montre que le changement climatique fait peser une menace grave et grandissante sur notre bien-être et la santé de la planète. Les mesures prises aujourd’hui façonneront l’adaptation de l’humanité et la réponse de la nature aux risques climatiques croissants.»

Le monde sera confronté à de multiples aléas climatiques inéluctables au cours des deux prochaines décennies avec un réchauffement planétaire de 1,5 °C (2,7 °F). Le dépassement, même temporaire, d’un tel niveau de réchauffement entraînera des conséquences graves supplémentaires, dont certaines seront irréversibles

Il est urgent d’agir face aux risques croissants

La multiplication des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations excède déjà les seuils de tolérance des végétaux et des animaux. Du fait qu’ils surviennent simultanément, ces extrêmes météorologiques ont des répercussions en cascade de plus en plus difficiles à gérer. Ils exposent des millions de personnes à une insécurité alimentaire et hydrique aiguë, notamment en Afrique, Asie, Amérique centrale et Amérique du Sud, dans les petites îles et en Arctique.

Si l’on veut éviter de perdre toujours plus de vies humaines, de biodiversité et d’infrastructures, la prise accélérée de mesures ambitieuses est requise tout en réduisant rapidement et fortement les émissions de gaz à effet de serre. À ce jour, les progrès en matière d’adaptation sont inégaux et les écarts se creusent entre l’action engagée et ce qui est nécessaire.

«On insiste sur l’urgence de prendre des mesures immédiates. Les demi-mesures ne sont plus possibles.»

Un avenir viable n’est possible qu’en préservant et consolidant la nature.

« Esprits pervertis !
Comment ne savez-vous pas reconnaître les signes du temps ? » (Evangile)

2ème dimanche de carême – Année C – 13 mars 2022 – Évangile de Luc 9, 28-36

Évangile de Luc 9, 28-36

Visage de Lumière

En rejetant les tentations – c.à.d. les fausses solutions au malheur des hommes – Jésus va évidemment décevoir les foules qui demandent, comme toujours, la satisfaction des jouissances terrestres, la bonne santé et l’élimination des ennemis. En outre par son comportement (il mange avec les pécheurs, il supporte les païens), par ses déclarations scandaleuses (il pardonne les péchés), ses critiques acerbes de certaines pratiques religieuses et sa dénonciation de l’hypocrisie et de la cupidité des grands prêtres, il est très vite objet de suspicion, de colère, d’hostilité, de haine.

Aussi lorsqu’il décide de quitter la Galilée et de monter à Jérusalem pour y poursuivre sa mission, il est sans illusion : « Ils me feront souffrir, ils me mettront à mort ». Mais je ne serai pas un innocent victime d’une erreur judiciaire ni un prophète martyr : Dieu m’a assuré que je suis son Fils, donc il me rendra la vie. Parce que je donnerai ma vie terrestre par amour de l’humanité, mon Père me donnera la Vraie Vie, la Vie éternelle, que je partagerai avec tous ceux qui me font confiance et prennent le même chemin que moi. C’est l’amour total qui est la victoire sur ce que Freud décèlera comme « le désir de mort » que toutes les tentations cachent et seront toujours impuissantes à vaincre.

Lorsqu’il fait cette annonce, pour la première fois, à ses disciples, ceux-ci sont complètement abasourdis. Mais faisant fi de leur résistance, Jésus se met en marche vers la capitale. Ils le suivent quand même.

Le Signe de la Gloire éternelle

« Or environ 8 jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et monta sur la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante. »

Omise par la lecture de ce jour, la notation temporelle est rare donc importante pour Luc : elle signifie qu’il y a un lien entre les deux épisodes. Le Fils vient de déclarer publiquement qu’il accomplira sa mission jusqu’à la mort : son Père confirme et lui donne le signe de la gloire qui l’attend : son visage rayonne de la Gloire et la Lumière divine l’investit tout entier. La prière souligne l’attachement profond entre le Père et le Fils.

Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : Moïse et Elie, apparus en gloire, parlaient de son exode qui allait s’accomplir à Jérusalem.

Les deux plus grands personnages, Moïse qui a donné la Loi et Elie le Prophète combattant farouche contre l’idolâtrie, sont vivants dans la sphère de la Gloire divine. Ils reconnaissent la supériorité de Jésus et le confirment dans sa décision : dans la capitale sa mort va accomplir l’ultime et définitif « exode ». Moïse avait guidé la sortie hors de l’esclavage d’Égypte : la croix va réaliser la libération de la prison du péché et l’entrée dans le royaume de Lumière. Non plus pour un seul peuple mais pour l’humanité.

Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil mais, s’étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui se tenaient avec lui. Or comme ceux-ci se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : «  Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie ». Il ne savait pas ce qu’il disait.

N’ayant pas la force de tenir dans la prière, les apôtres basculaient dans la nuit quand un sursaut les saisit. Aveugles, ils commencent à voir : symbole du passage de Pâque quand Jésus, le premier, « se réveillera » de la mort. Pris de bonheur, Pierre voudrait prolonger cette extase mais il est encore dans l’ancien monde où Jésus demeure dans la lignée de la Loi et des Prophètes.

Comme il parlait ainsi, survint une Nuée qui les recouvrait. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient. Et il y eut une voix venant de la nuée qui disait : «  Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu : écoutez-le ».

Quand Jésus est dans Gloire divine, l’Esprit-Saint descend et englobe en lui et autour de lui tous les croyants de la Première et de la Nouvelle Alliance. Il ne s’agit plus de vénérer séparément les grands personnages, de construire des temples en leur honneur, mais de se laisser prendre tous ensemble dans l’Esprit insaisissable. Avec Jésus glorifié, tous les croyants deviennent le Temple spirituel, l’Église universelle qui assume tous les temps et les lieux.

Pris dans l’Esprit de Lumière et de Vie, les croyants peuvent entendre la voix du Père qui reprend ce qu’Il avait déclaré à Jésus lors de son baptême, mais cette fois en s’adressant aux disciples et en les pressant de faire confiance à Jésus : « Mon Fils bien-aimé : écoutez-le ». C’est-à-dire : lorsqu’il vous dit qu’il est messie, qu’il sera mis à mort mais qu’il passera dans la Gloire divine, écoutez cet enseignement. Cette marche à la mort vous paraît absurde, inimaginable et cependant c’est la seule voie possible pour accomplir le sauvetage de l’humanité. Du coup vous vaincrez les tentations : se figurer qu’il suffit de combler de biens, faire la guerre, éblouir par du merveilleux. Mais en aimant jusqu’au don total, le Fils opère le passage de la mort à la Gloire

Au moment où la voix retentit, il n’y eut plus que Jésus seul.

Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu ».

Fugitive est la vision. Subitement les disciples se retrouvent avec Jésus « seul », l’homme ordinaire, qui se lève et redescend la montagne absolument décidé à monter sur le mont Sion. Les apôtres, intrigués, le suivent mais se gardent de raconter ce moment étrange qu’ils viennent de vivre : de toutes façons cela ne convaincrait personne.

Prélude au Mystère Pascal

Il est intéressant de relire l’ensemble de tout ce passage de Luc : de 9, 12 à 9, 43

  • Un soir, Jésus, avec quelques pains des apôtres,  nourrit une grande foule: « il les bénit, les rompit, les donna ». Chacun est rassasié. Partage gratuit, sans conditions, dépassant les fossés sociaux.
  • A l’écart, Jésus prie. Pour la première fois Pierre le confesse comme « le Messie ». Jésus annonce qu’il va à Jérusalem, qu’il sera mis à mort par les autorités, mais il ressuscitera. Il prévient que tout vrai disciple doit prendre le même chemin.
  • 8 jours après, Jésus prie. Le Père donne un signe de vérification : Jésus rayonne de la Gloire divine. L’Ancien Testament le confirme dans ce qui sera son « exode », la sortie du mal dans la lumière.
  • Le jour suivant, Jésus guérit un enfant épileptique et le rend à son père.
  • Jésus calme l’émerveillement des foules et annonce, pour la 2ème fois, sa passion proche.

La succession est parlante : souper de partage du pain béni (« eucharistie ») — annonce de la croix — prélude de la résurrection. – guérison et restitution des générations dans la paix.

Ainsi au cœur du temps de mission de Jésus, « le mystère pascal » se préfigure : messe , souffrance, joie nouvelle, réconciliation. Le temps de la vie terrestre est le temps de la découverte et de l’entrée dans « le mystère pascal ».

Lors des récentes inondations et aujourd’hui dans le désastre de la guerre en Ukraine, avez-vous remarqué le comportement des foules ? Sans être commandés, par réaction spontanée du cœur, des gens se déplacent, même très loin et ils offrent hospitalité, soins, argent et marchandises. Et leur visage montre leur satisfaction : ils donnent, ils se privent et ils sont surpris par le bonheur qui les prend.

Pourquoi donc l’humanité est-elle si lente à comprendre le message de l’Évangile toujours confirmé par les événements ?…Écoute donc, Vladimir !!

Je relis l’émouvant discours d’adieu de Paul aux chrétiens de Milet à qui il annonce qu’il monte à Jérusalem et qu’il y sera tué :

« Je sais qu’après mon départ, des loups féroces s’introduiront parmi vous. De vos rangs surgiront des hommes aux paroles perverses qui entraîneront les disciples à leur suite…Veillez donc.

Rappelez-vous que, pendant trois ans, je n’ai cessé de conseiller chacun de vous. Maintenant je vous remets à Dieu…Je n’ai convoité l’argent ou l’or ou le vêtement de personne. Mes mains ont pourvu à tous mes besoins. C’est en peinant qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles de Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).

Madame, qui pataugez dans les cosmétiques les plus coûteux, rappelez-vous l’authentique rayonnement du visage.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

L’Église doit changer

Interview du Cardinal Claude HOLLERICH
(2ème partie)

64 ans, jésuite – professeur au Japon pendant 20 ans – en 2011 Archevêque du Luxembourg – Président de la commission des épiscopats de l’Union Européenne ; cardinal en 2019 ; nommé secrétaire général du prochain Synode – Homme de confiance du pape François.

  • N’est-il pas plus difficile pour les chrétiens de s’engager en politique ?

D’abord il est vrai qu’il y a moins de chrétiens. Ensuite il est vrai qu’ils sont de moins en moins engagés en politique. On le voit après chaque élection. Par ailleurs il est évident que le message des évêques pour la société ne passe plus…

Cette expérience est la conséquence de notre minorité. Pour faire comprendre ce que nous voulons, nous devons entamer un long dialogue avec ceux qui ne sont plus chrétiens, ou le sont seulement à la marge. Si nous avons certaines positions, ce n’est pas parce que nous sommes conservateurs, mais parce que nous pensons que la vie et la personne humaine doivent être au centre. Pour pouvoir dire cela, je pense qu’il faut entretenir des dialogues, des amitiés, avec les décideurs ou des responsables politiques qui pensent autrement. Même s’ils ne sont pas chrétiens, nous partageons avec eux un souci honnête de collaborer au bien de la société. Si nous ne voulons pas vivre dans une société compartimentée, il faut être capable d’écouter le récit des uns et des autres.

  • Cela signifie que l’Église doit renoncer à défendre ses idées ?

Non il ne s’agit pas de cela. Il faut essayer de comprendre l’autre, pour établir des ponts avec la société. Pour parler de l’anthropologie chrétienne, nous devons nous fonder sur l’expérience humaine de notre interlocuteur. Car si l’anthropologie chrétienne est merveilleuse, elle ne sera bientôt plus comprise si nous ne changeons pas de méthode. Et à quoi nous servirait-il de prendre la parole si nous ne sommes pas écoutés. Parlons-nous pour nous-mêmes, pour nous assurer que nous sommes du bon côté ? Est-ce pour rassurer nos propres fidèles ? Ou parlons-nous pour être entendus ?

  • Quelles sont les conditions de cette écoute ?

Tout d’abord l’humilité. Je pense que même si cela n’est pas forcément conscient, l’Église a l’image d’une institution qui sait tout mieux que les autres. Il lui faut donc une grande humilité, sans quoi elle ne peut pas entrer dans un dialogue. Cela signifie aussi qu’il faut montrer que nous voulons apprendre des autres.

Un exemple : je suis tout-à fait opposé à l’avortement…Mais je comprends aussi qu’il y a un souci de dignité des femmes, et le discours que nous avons eu dans le passé pour nous opposer aux lois sur l’avortement n’est plus audible aujourd’hui. Dès lors, quelle autre mesure pouvons-nous prendre pour défendre la vie ? Lorsqu’un discours ne parle plus, il ne faut pas s’acharner mais chercher d’autres voies.

  • L’Église a perdu une large part de sa crédibilité en raison des crimes sexuels commis en son sein. Comment vous situez-vous par rapport à cette crise ?

D’abord je veux dire que ces abus sont un scandale…Il y a quelque part une faute systémique qu’il faut relever…Nous devons faire preuve d’une très grande honnêteté et être prêts à prendre des coups….On a fermé les yeux. C’est presque irréparable….

  • S’il y a une faute systémique, faut-il des changements systémiques ?

Oui… Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ce n’est pas assez. Il faut une Église structurée de telle manière que ces choses-là ne soient plus possibles.

  • C’est-à-dire ?

Si l’on avait donné plus de voix aux femmes et aux jeunes, ces choses-là auraient été découvertes beaucoup plus tôt. Il faut cesser de faire comme si les femmes étaient un groupe marginal dans l’Église. Elles ne sont pas à la périphérie de l’Église, elles sont au contre. Et si nous ne donnons pas la parole à celles qui sont au centre de l’Église, nous aurons un grand problème…Les évêques doivent être comme des bergers qui sont à l’écoute de leur peuple. Il ne s’agit pas seulement pour eux de dire : « Oui, j’entends, mais cela ne m’intéresse pas ».

  • Quels autres changements faut-il espérer ?

La formation du clergé doit changer. Elle ne doit pas être uniquement centrée sur la liturgie…Il faut que des laïcs et des femmes aient leur mot à dire dans la formation des prêtres. Former des prêtres est un devoir pour l’Église entière … Nous devons changer notre manière de considérer la sexualité…Jusqu’à maintenant, nous avons une vision plutôt réprimée de la sexualité…Nous devons dire que la sexualité est un don de Dieu. Nous le savons mais le disons-nous ? Je n’en suis pas sûr… il faut aussi que les prêtres puissent parler de leur sexualité et qu’on puisse les entendre s’ils ont du mal à vivre leur célibat…

Demandons franchement si un prêtre doit nécessairement être célibataire. J’ai une très haute opinion du célibat mais est-il indispensable ? J’ai dans mon diocèse des diacres mariés qui exercent leur diaconat de manière merveilleuse, font des homélies par lesquelles ils touchent les gens beaucoup plus fortement que nous…Pourquoi ne pas avoir aussi des prêtre mariés ?…

Fin de l’interview paru dans « La Croix » du samedi 23 01 22

19 Mars : Fête de Saint Joseph

Jésus est né dans une périphérie et il a passé sa vie, jusqu’à l’âge de 30 ans, faisant le métier de charpentier, comme Joseph. Pour Jésus, les périphéries et les marginalités sont privilégiées. Ne pas prendre au sérieux cette réalité revient à ne pas prendre au sérieux l’Évangile et l’œuvre de Dieu.

Le Seigneur agit toujours en secret dans les périphéries, même dans notre âme, dans les périphéries de l’âme, des sentiments, peut-être des sentiments dont nous avons honte ; mais le Seigneur est là pour nous aider à avancer.

Le Seigneur continue à se manifester dans les périphéries, tant géographiques qu’existentielles. En particulier, Jésus va à la recherche des pécheurs, entre dans leurs maisons, leur parle, les appelle à la conversion. Et on le lui reproche : « Mais regardez, ce maître – disent les docteurs de la loi – regardez ce maître, il mange avec les pécheurs », Et cela doit nous donner une grande confiance, car le Seigneur connaît les périphéries de notre cœur, les périphéries de notre âme, les périphéries de notre société, de notre ville, de notre famille, c’est-à-dire cette partie un peu obscure que nous ne faisons pas voir, peut-être par honte.

Aujourd’hui aussi, l’Église sait qu’elle est appelée à annoncer la bonne nouvelle à partir des périphéries. Joseph rappelle à l’Église de fixer son regard sur ce que le monde ignore délibérément. Aujourd’hui, Joseph nous enseigne ceci : « Ne regarde pas tant les choses que le monde loue, regarde les recoins, regarde les ombres, regarde les périphéries, ce que le monde ne veut pas ».

Il rappelle à chacun d’entre nous de donner de l’importance à ce que les autres rejettent. En ce sens, il est véritablement un maître de l’essentiel : il nous rappelle que ce qui est vraiment précieux n’attire pas notre attention, mais nécessite un discernement patient pour être découvert et valorisé. Découvrir ce qui a de la valeur. Demandons-lui d’intercéder afin que toute l’Église retrouve cette clairvoyance, cette capacité de discerner et cette capacité d’évaluer l’essentiel.

Aujourd’hui, je voudrais adresser un message à tous les hommes et les femmes qui vivent dans les périphéries géographiques les plus oubliées du monde ou qui connaissent des situations de marginalisation existentielle. Puissiez-vous trouver en saint Joseph le témoin et le protecteur vers lequel vous tourner. Nous pouvons nous adresser à lui avec cette prière, une prière « artisanale », mais qui sort du cœur :

Saint Joseph,
toi qui toujours as fait confiance à Dieu,
et as fait tes choix
guidé par sa providence
apprends-nous à ne pas tant compter sur nos projets
mais sur son dessein d’amour.


Toi qui viens des périphéries
aide-nous à convertir notre regard
et à préférer ce que le monde rejette et marginalise.


Réconforte ceux qui se sentent seuls
et soutiens ceux qui travaillent en silence
pour défendre la vie et la dignité humaine. Amen.

Pape François

17 11 2021 : il inaugure une nouvelle série de catéchèses dédiées à Joseph, Patron de l’Eglise

1er dimanche de carême – Année C – 27 février 2022 – Évangile de Luc 4, 1-13

Évangile de Luc 4, 1-13

Les Choix Fondamentaux

Depuis mercredi, nous sommes donc entrés dans la période de carême : à part les anciennes générations, qui sait encore ce que ce mot signifie ? Il évoque la tristesse en commençant par « jour des cendres » et en imposant privations et sacrifices. Quel est donc le sens de tout cela aujourd’hui ?

En fait carême désigne « une quarantaine », mot très employé aujourd’hui suite à l’épidémie du covid, marquant un temps d’observation pour déceler les indices de contamination et échapper au mal. Ainsi le carême est une période de réflexion sur notre manière de vivre notre engagement chrétien : est-ce que nous nous préservons du mal ? Luttons-nous réellement contre les tentations que la société nous inflige ? Nous décidons-nous à rectifier nos dérives ? Vraiment le problème ne se réduit pas à la privation de quelques friandises mais à la réussite de notre VIE ! La question n’est pas : que vais-je faire pour Dieu ? mais qu’est-ce que Dieu veut faire de moi ? Est-ce que j’obéis à sa volonté ?

Jésus a été tenté

Certains accusent encore la foi d’être une aliénation, une obéissance aveugle. Absolument pas. La foi rend libre : assaillie de critiques, sujette à des dévoiements elle appelle sans cesse à des décisions. Pendant des années, Jésus mena l’existence d’un simple charpentier de village, sans rien d’exceptionnel. Puis un jour, comme beaucoup de voisins, il se rendit à l’écoute du nouveau prophète et là ce fut le choc : sortant du baptême, il entendit une voix du ciel : « Tu es mon Fils bien-aimé : aujourd’hui je t’engendre ». Il comprit : Dieu mon Père m’instaure pour inaugurer « aujourd’hui » son Royaume. Mais comment ? Aucun programme, aucune directive. Il lui fallait inventer. La Force, l’Esprit de Dieu ne nous manipule pas mais nous plonge au cœur de notre liberté donc de nos choix.

C’est pourquoi Jésus entra « en carême » : il s’enfonça dans le désert et la solitude totale pour être seul avec Dieu, se contentant de l’eau de puits et de la maigre nourriture de quelques arbustes. Mais le désert n’est pas un temps de loisirs ou de douce piété : le démon y rode, force mystérieuse acharnée à détruire le projet de Dieu et à tuer l’homme. Sa voix fielleuse insinue d’alléchantes propositions.

« S’il est vrai que tu es le Fils de Dieu », tires-en les conséquences : je vais t’indiquer les moyens les plus efficaces pour réaliser ce Royaume.

1ère tentation : Être comblé par le monde

« Change donc ces pierres en pains » : c.à.d. que l’humanité soit comblée par la matière, les biens de ce monde. Qu’elle croit combler son désir de Vie en assouvissant ses besoins. Que son bonheur d’avoir toujours mieux et plus le satisfasse, le remplisse. Jamais assez. Jouir des nourritures terrestres, s’évader dans les alcools et les drogues, planer à la découverte des merveilles de la création, inventer les nouvelles liturgies des concerts et des sports, dans les « temples » gigantesques de la consommation, adorer « les idoles » du chant ou du foot, s’acharner au profit maximum, se trémousser jusqu’à la transe, rêver d’ascension dans le ciel étoilé…L’argent est mon berger : rien ne saurait me manquer.

Sèchement Jésus réplique : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute Parole de Dieu ».

Oui certes, l’homme est un consommateur obligé et rien n’interdit les plaisirs de la table et des divertissements. Mais ce qui lui donne la vraie vie, c’est de jouir des biens de ce monde comme Dieu le demande, c’est d’écouter la voix de son désir profond. Jésus acceptera des invitations partout mais il restera pauvre, il dénoncera avec vigueur la fascination de l’argent qui remplit d’orgueil, détruit la justice, lamine les pauvres. Et il commandera à ses disciples de régler leur existence autour du simple repas où, toutes nations et toutes classes sociales mêlées, ils mangeront un morceau du même pain. Ainsi seront-ils libérés de l’idolâtrie et deviendront un seul Corps.

2ème tentation : La violence du pouvoir

« Vois le monde : Je te donnerai tout le pouvoir sur ces royaumes car cela m’appartient et je le donne à qui je veux … Si tu te prosternes devant moi ! ».

Après l’avoir, la soif du Pouvoir. Pharaonique chez certains ! A tous les stades, les hommes ont besoin d’organisation, de hiérarchie de pouvoirs afin de maintenir l’ordre. Mais ce démon assure qu’il est le maître de la politique et qu’il assure le succès de ceux qui cèdent à ses directives : ambition démesurée, perte des scrupules, acharnement à écraser l’autre, à gravir les échelons, à comploter en toute perversité, à imposer ses ordres, à utiliser les ruses et les violences nécessaires. Terrifiante ivresse du Pouvoir ! Le monde a-t-il connu un seul jour sans guerre ?

Horrifié, Jésus rejette vivement cette idolâtrie meurtrière : « « Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu et c’est lui seul que tu adoreras ».

Dieu ne s’impose pas, il respecte notre liberté. Son projet est de nous sauver du mal qui fait notre malheur, de nous faire entrer dans son Royaume de justice, de joie, de paix mais c’est à chacun de choisir son chemin. Pactiser avec le démon en cédant à ses sollicitations, en prétendant vouloir le bonheur des foules, est un leurre, un mensonge, une chute dans l’abîme. Les idéologies modernes n’ont-elles pas conduit aux pires des massacres, au goulag, à la shoah ???? Jésus refusera l’usage de toute violence, il parlera, expliquera, ne forcera personne, invitera chacun à découvrir son Père. Victime de la violence des puissants, c’est en se donnant par amour qu’il deviendra effectivement Roi.

3ème Tentation : La Séduction

« Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi du haut du temple puisqu’il est écrit que Dieu ordonnera à ses anges de te garder ».

Il n’y a pas que la violence physique : plus subtilement il existe une façon de subjuguer les foules : les ravir par le merveilleux, les séduire par l’inimaginable. Planer sans nulle protection et atterrir indemne sur l’esplanade du temple où s’agglomèrent les foules, voilà un spectacle qui va éliminer toutes les objections et les y faire entrer en proclamant qu’elles croient. Les gens doutent mais il suffit que l’on parle d’un miracle, d’un fait inexplicable, et ils courent. Ils voudraient une religion du pouvoir, qui protège de toute chute, qui permet des exploits, qui guérit sur commande. Enfantillage !

L’homme ne peut sommer Dieu d’accomplir une intervention ; il ne peut pas solliciter sa Toute-Puissance dans un but spectaculaire et magique !  Une dernière fois, Jésus repousse la tentation faussement religieuse. Lui-même certes a accompli quelques miracles (une trentaine selon les évangiles) mais jamais pour épater et forcer l’adhésion. Ce n’était jamais des gestes ostentatoires pour se mettre en valeur mais des actes inspirés par la miséricorde devant la souffrance des hommes. Lorsque des pharisiens lui proposèrent de faire sur le champ un miracle afin qu’il puissent croire, il se rebiffera tout de suite. Et d’ailleurs on remarque ses réticences croissantes devant le merveilleux et il cessera d’en faire jusqu’à refuser de descendre de la croix.

Rendez-vous au Golgotha

« Ayant épuisé toutes les formes de tentation, le démon s’éloigna de Jésus…jusqu’au moment fixé ! ».

Ainsi ces trois tentations résument toutes les autres : combler l’homme par des biens uniquement terrestres, imposer la foi par l’usage de la violence, l’insinuer par des moyens magiques. On ne supprime pas Dieu et on ne l’utilise pas à son service. Ainsi, lors de son « carême » au désert, Jésus a pris ses options fondamentales.

Il va commencer sa mission avec une seule arme : la Parole ; avec un seul moyen : la pauvreté ; une méthode : la fidélité à l’humble condition humaine. Vrai Fils de Dieu, il va demeurer faible, humble. Il ne se servira pas de Dieu pour réaliser sa mission mais il sera son serviteur.

Sans titre de gloire, sans nulle pression, sans flatterie, il ira par les chemins, il choisira comme collaborateurs des hommes ordinaires dont il supportera la faiblesse. Mais rien ni personne ne l’arrêtera, il ne fera aucune concession, il affrontera le bloc de ses adversaires sans jamais faillir. Il sera encore tenté même par des gens très pieux, même par Pierre qu’il repoussera comme un « satan ». Consciemment il marchera au rendez-vous final, « au moment fixé » , où le Satan déchaînera toute sa force pour le jeter dans la fournaise de la haine. Mais le feu de son amour en sera exacerbé et la croix mortelle deviendra son trône. Nu et pitoyable, il ne sera pas anéanti mais victorieux. « Père, pardonne-leur » : le Royaume sera inauguré.

Notre Carême

Le carême est donc un temps de combat. Un temps de réflexion pour débusquer les idéologies courantes mais mortifères. Pour chercher de tout cœur à mieux connaître la volonté de Dieu en relisant les Écritures. Pour rejeter les propositions enjôleuses qui promettent le bonheur et mènent à la mort. Pour constituer des communautés d’entraide. Pour nous préparer à vivre le mystère de Pâques.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

L’Église doit changer

Par le Cardinal Claude HOLLERICH

64 ans, jésuite – professeur au Japon pendant 20 ans – en 2011 Archevêque du Luxembourg – Président de la commission des épiscopats de l’Union Européenne ; cardinal en 2019 ; nommé secrétaire général du prochain Synode – Homme de confiance du pape François.

  • L’Europe est-celle redevenue terre de mission ?

Oui. Elle l’est depuis longtemps. Dans ma jeunesse, le Luxembourg ressemblait un peu à l’Irlande, avec de grandes processions, une forte piété populaire…Après réflexion, je vois bien que ce passé n’était pas si glorieux…Il y avait déjà à l’époque beaucoup de fissures et d’hypocrisie. Au fond les gens ne croyaient pas plus qu’aujourd’hui, même s’ils allaient à l’église. Ils avaient une sorte de pratique dominicale culturelle, mais sans que cela soit inspiré par la mort et la résurrection de Jésus.

  • Cette pratique culturelle est-elle terminée ?

Pas encore tout à fait…Mais je suis convaincu que le covid va accélérer le processus. Au Luxembourg nous avons un tiers de pratiquants en moins. Je suis sûr qu’ils ne vont pas revenir….Pour beaucoup, se dire catholique est encore une sorte de déguisement doté d’une morale générale. Cela contribue selon eux à être « de bons chrétiens », mais sans vraiment définir ce que cela veut dire. Mais cette époque doit finir. Nous devons maintenant bâtir une Église sur la foi. Nous serons une minorité…

  • En quoi le message du christianisme est-il toujours pertinent aujourd’hui ?

Parce que l’homme n’a pas changé depuis 2000 ans. Il est toujours en quête du bonheur et ne le trouve pas. Il est toujours assoiffé d’infini et se heurte à ses propres limites. Il commet des injustices qui ont des conséquences graves pour d’autres personnes, ce que nous appelons le péché. Mais nous vivons maintenant dans une culture qui a tendance à refouler ce qui est humain. Cette culture du consumérisme promet de combler les désirs de l’homme mais elle n’y parvient pas. Pourtant, dans des moments de crise, de choc, les hommes se rendent bien compte que tout un tas de questions dorment au fond de leur cœur.

Le message de l’Évangile est d’une fraîcheur exceptionnelle pour répondre à cette recherche de sens et de bonheur. Le message est toujours pertinent, mais les messagers apparaissent parfois dans des costumes des temps passés…

C’est pourquoi nous devons nous adapter. Non pas pour changer le message lui-même évidemment, mais pour que celui-ci puissent être compris…Le monde est toujours à la recherche mais ne cherche plus de notre côté, et cela fait mal ! Nous devons présenter le message de l’Évangile de telle manière que les gens puissent s’orienter vers le Christ…

  • C’est pour cela que le pape a lancé un Synode sur la synodalité.

…Aujourd’hui on ne peut plus se contenter de donner des ordres du haut vers le bas. Dans toutes les sociétés, en politique, dans les entreprises, ce qui compte désormais est la mise en réseau. Ce changement des modes de décision va de pair avec un véritable changement de civilisation, auquel nous faisons face. Et l’Église, comme elle l’a toujours fait tout au long de son histoire, doit s’y adapter.

La différence est que cette fois, le changement de civilisation a une force inédite. Nous avons une théologie que plus personne ne comprendra dans 20 ou 30 ans. Cette civilisation aura passé. C’est pourquoi il nous faut un nouveau langage qui doit être fondé sur l’Évangile.

Or toute l’Église doit participer à la mise au point de ce langage : c’est le sens du Synode.

Extraits de l’interview paru dans « La Croix » du samedi 23 01 22