4ème dimanche – Année B – 31 janvier 2021 – Évangile de Marc 1, 21-28

Évangile de Marc 1, 21-28

La Parole de Dieu est force de guérison

A son baptême, Jésus, l’artisan de Nazareth, a reçu de Dieu la formule d’investiture messianique : « Tu es mon fils bien-aimé… » et le don de l’Esprit. Sans autre précision. Que faire ? Il commence à circuler à travers les villages de sa province autour du lac. Que fait-il et que fera-t-il jusqu’au bout ? Il parle. Des pêcheurs lui donnent l’image de sa mission : retirer les hommes qui se noient dans les eaux de la mort, leur donner l’Esprit pour respirer, les rassembler. Cette mission doit se faire avec la collaboration des hommes : il en appelle 4 qui le suivent et l’imiteront. L’acte de parole de Jésus s’exprimera par deux verbes.

Prédication Première : La Proclamation

Tel un héraut, il « proclame » la Bonne Nouvelle : « Le temps est accompli, le Règne de Dieu approche : convertissez-vous et croyez à cette Bonne Nouvelle ». Qu’est donc cette prédication primitive ?

Elle n’est pas prescription morale mais annonce d’un événement qui s’inscrit dans la suite de l’histoire.

L’attente messianique arrive à terme. L’espérance ne s’est pas trompée.

Cette proclamation est nouvelle, et elle sera toujours nouvelle. Car elle est toujours en train de survenir.

Cette annonce est bonne, elle comble de joie, elle accomplit le plus grand désir du cœur humain : vivre.

Elle n’est pas impérative, elle ne force pas : elle appelle la réponse libre de l’auditeur. Cette réponse, c’est la confiance accordée à Jésus : la foi.

Et cette foi déclenche un don de la personne qui change de conception et modifie son comportement.

Cette annonce n’est jamais prononcée une fois pour toutes. Elle ne doit jamais être considérée comme « déjà dite », « déjà entendue », « déjà admise ». C’est toujours « aujourd’hui » que Dieu t’interpelle.

Question : cette annonce première, libératrice se fait-elle aujourd’hui ? Tous les médias surabondent en annonces nouvelles, détaillent les récents événements, lancent des scoops, apprennent les dernières inventions, louent l’éclosion de nouveaux talents artistiques. Il faut « faire la Une ». « Nouveau !» est le slogan le plus martelé.

Où et comment percevoir la voix de l’Église qui annoncerait : « Attention ! La bonne Nouvelle ! L’Évangile est neuf » ? La société occidentale a décidé que le christianisme est vieux, que l’Église est ringarde, que l’Évangile n’est pas une Bonne Nouvelle mais un refrain usé, que la vieille Bible est un grand récit mythologique. A l’heure où les peuples se noient dans la crise sanitaire et coulent dans la crise économique, comment faire pour oser, seuls comme Jésus, lancer : « Nouveau ! Je vous annonce la Bonne Nouvelle ! » ?

Prédication Seconde : l’Enseignement

Dans un second temps, la « proclamation » doit être détaillée, expliquée, déployée. Elle devient « enseignement » – ce que fera sans cesse Jésus aussi bien dans les campagnes que dans les synagogues. C’est pourquoi Marc nous raconte maintenant une scène à la synagogue de Capharnaüm.

Singularité dans le monde antique, Israël affirmait son monothéisme absolu en ne possédant qu’un Temple : c’est la Maison de Dieu à Jérusalem, seul lieu du culte et des sacrifices quotidiens assurés par les prêtres et les lévites. Toutefois suite à la destruction du Temple et après le retour d’exil en Babylonie, on commença à construire à travers le pays des bâtiments qui servaient de lieux de réunion, de maisons d’assemblée (en hébreu beth haknesset – en grec synagôguè). Administrées par un comité d’anciens, elles étaient orientées vers Jérusalem ; dans « l’arche », le coffre saint, étaient rangés les saints livres de la Torah.

Le 7ème jour de la semaine – sabbat – se tenait la grande prière communautaire qui rassemblait le village. On commençait par la proclamation solennelle du « Shemah », confession centrale de la foi : « Écoute, Israël, le Seigneur YHWH est Seigneur UN » suivi de cantiques et de psaumes. Le rouleau des Écritures était porté et vénéré au pupitre central et un lecteur choisi en lisait une section et donnait un commentaire. Ce jour-là, on a invité ce jeune inconnu à prendre la parole.

Jésus, accompagné de ses disciples, arrive à Capharnaüm. Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue et là il enseignait. On était frappé par son enseignement car il enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes.

Non seulement Marc ne précise pas le texte biblique que Jésus a lu mais il ne rapporte pas non plus le contenu de ce qu’il dit. Ce qui compte c’est la façon dont il s’exprime : « il enseigne avec autorité ». Cela ne veut pas dire que Jésus hurle, qu’il menace avec véhémence, qu’il frappe du poing sur le pupitre.

Les scribes, c.à.d. les meilleurs orateurs, les spécialistes des Écritures s’appuyaient sur les anciens grands maîtres. Ils donnaient du poids à leur exposé par leur érudition, leur mémoire, leur éloquence en citant des « autorités »: « Jérémie disait…Tel grand rabbi déclarait… ». Jésus, lui, exprime son être, il ne recourt pas au style académique, il n’enfile pas de belles formules, des phrases ronflantes (si souvent soporifiques). Que dit-il ? Que raconte-t-il ? Nous l’apprendrons en lisant l’évangile et les merveilleuses paraboles.

Sa Parole n’est pas leçon apprise et récitée, envolée lyrique, morale desséchée. Sa Parole, c’est Lui, celle du Fils du Père. Le Père, par sa Parole, avait créé le monde : Jésus, par sa Parole, commence à recréer le cœur de l’homme. Elle n’est pas morceau d’éloquence que l’on a envie d’applaudir : elle perfore la carapace du mal, débusque les mensonges, troue les ténèbres. C’est pour cette raison que le premier à être atteint par l’impact de cette parole performative, c’est l’homme englué dans le mal.

Or il y avait dans leur synagogue, un homme tourmenté par un esprit mauvais, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu ! ». Jésus l’interpela vivement : « Silence ! Sors de cet homme ! ». L’esprit mauvais le secoua avec violence et sortit de lui en poussant un grand cri. Saisis de frayeur, tous s’interrogeaient : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais et ils obéissent ! ».

Le monde antique est un monde religieux inquiet qui perçoit dans les maladies l’action d’esprits mauvais qui cherchent à nous détruire. De quoi était atteint ce malheureux ? Juif pratiquant, il était tombé sous l’emprise d’une force maléfique qui le possédait. Mais il a écouté Jésus avec sérieux, il ne s’est pas blindé en lui-même, il s’est senti interpelé par une parole qui, pour la première fois, le pénétrait.

Jésus ne l’a pas désigné, il ne l’a pas pointé comme grand pécheur. Le mal en lui s’est senti atteint, dénoncé. L’enseignement de Jésus l’a exorcisé. Sans usage de formules magiques, sans gestes mystérieux, sans menace.

La Parole Lumière a percé les ténèbres, a fait gicler l’aveu. Le mal a reconnu son maître. Les scribes discutaient doctement des défauts et des qualités ; les prophètes hurlaient avec solennité : « Oracle du Seigneur ! ». Jésus avec douceur et magnanimité annonce que Dieu vient régner et le grand pécheur reconnaît que son intérieur souillé et perverti peut tout à coup devenir son palais.

« Sors ! Silence ! » : le mauvais esprit a reconnu que ce jeune prédicateur est plus que Jean-Baptiste, plus que les scribes et les prêtres. Il est le Messie, le Oint, consacré par Dieu, le Saint de Dieu. Car le mal reconnaît tout de suite son ennemi. Effectivement Jésus est venu pour vaincre cette pieuvre qui nous harcèle, ce cancer qui nous dévore, ce mal dont nous sommes esclaves. Jésus est le Messie, le Christ, il ouvre le Règne de Dieu. Il permet à quiconque reçoit sa parole d’être libéré.

Mais il ne faut pas le proclamer. Non parce que c’est une fausse nouvelle. Mais parce que le titre de « messie » suscite tout de suite dans le peuple des projets d’insurrection sanglante – « Aux armes, citoyens ! » -, ouvre des rêves d’apothéose nationale, d’anéantissement des ennemis.

La voix du baptême et l’Esprit reçu ont convaincu Jésus : il est sur le champ le Messie. Mais dans sa retraite au désert, il a opté pour des méthodes de pauvreté et de douceur. Son arme est la Parole parce qu’elle respecte la liberté de chacun.

Dès lors sa renommée se répandit dans toute la région de Galilée.

Hélas, on va enfermer Jésus dans l’image d’un messie puissant, d’un guérisseur extraordinaire. Très vite sa renommée va se répandre comme une traînée de poudre et les foules viendront de partout non pour être enseignées et se convertir mais pour recouvrer la santé. Les lieux de miracles seront toujours plus courus que des lieux d’étude.

Il faut toujours rappeler aux catholiques que les convertis de l’Évangile s’appellent des « disciples ». Ce qui ne signifie pas des gens qui se rangent sous une discipline. Ni qui s’infligent la pénitence de la discipline.

Mais qui se mettent à l’école de leur seul Maître, Jésus, avides d’écouter sa Parole parce qu’elle les guérit, les remet debout, les rend libres.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Le pape François institue le dimanche de la Parole de Dieu

Extraits (suite) ⸻

6. Avant de se manifester aux disciples, le Ressuscité apparaît à deux d’entre eux sur le chemin qui mène à Emmaüs. C’est le jour de la Résurrection, c’est-à-dire le dimanche… Au long du chemin, le Seigneur les interroge, se rendant compte qu’ils n’ont pas compris le sens de sa passion et de sa mort; « il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait ». Le Christ est le premier exégète !

7. La Bible, par conséquent, en tant qu’Écriture Sainte, parle du Christ et l’annonce comme celui qui doit traverser les souffrances pour entrer dans la gloire. Ce n’est pas une seule partie, mais toutes les Écritures qui parlent de Lui. Sa mort et sa résurrection sont indéchiffrables sans elles. C’est pourquoi l’une des confessions de foi les plus anciennes souligne que « le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre » (1Co 15, 3-5).

Puisque les Écritures parlent du Christ, elles permettent de croire que sa mort et sa résurrection n’appartiennent pas à la mythologie, mais à l’histoire et se trouvent au centre de la foi de ses disciples.

Le lien entre l’Écriture Sainte et la foi des croyants est profond

Puisque la foi provient de l’écoute et que l’écoute est centrée sur la parole du Christ (cf. Rm 10, 17), l’invitation qui en découle est l’urgence et l’importance que les croyants doivent réserver à l’écoute de la Parole du Seigneur, tant dans l’action liturgique que dans la prière et la réflexion personnelle.

8. Le « voyage » du Ressuscité avec les disciples d’Emmaüs se termine par le repas. S’assoyant à table avec eux, Jésus prend le pain, récite la bénédiction, le rompt et le leur donne. Alors, leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. (cf. v. 31)

Nous comprenons de cette scène, combien est inséparable le rapport entre l’Écriture Sainte et l’Eucharistie. La fréquentation constante de l’Écriture Sainte et la célébration de l’Eucharistie rendent possible la reconnaissance entre personnes qui s’appartiennent. En tant que chrétiens, nous sommes un seul peuple qui marche dans l’histoire, fort de la présence du Seigneur parmi nous qui nous parle et nous nourrit.

Ce jour consacré à la Bible veut être non pas « une seule fois par an », mais un événement pour toute l’année, parce que nous avons un besoin urgent de devenir familiers et intimes de l’Écriture Sainte et du Ressuscité, qui ne cesse de rompre la Parole et le Pain dans la communauté des croyants.

C’est pourquoi nous avons besoin d’entrer constamment en confiance avec l’Écriture Sainte, sinon le cœur restera froid et les yeux resteront fermés, frappés comme par d’innombrables formes de cécité.

Écriture et Sacrements sont donc inséparables. Lorsque les sacrements sont introduits et illuminés par la Parole, ils se manifestent plus clairement comme le but d’un chemin où le Christ lui-même ouvre l’esprit et le cœur pour reconnaître son action salvifique…Le Christ Jésus, à travers l’Écriture Sainte, frappe à notre porte; si nous écoutons et ouvrons la porte de notre esprit et celle de notre cœur, alors Il entrera dans notre vie et demeurera avec nous.

Pape François

(la suite la semaine prochaine)

Nous traiter avec respect

Washington D.C. – 20. 01. 2021 – Joe Biden a prêté serment sur la Bible familiale, traduction anglaise imprimée à Douai à la fin du 16ème siècle.

Extraits

« …Aujourd’hui, nous célébrons le triomphe, non pas d’un candidat, mais d’une cause, la cause de la démocratie. Nous avons appris une fois de plus que la démocratie est précieuse. La démocratie est fragile.

Rares sont ceux dans les annales de notre pays qui ont eu plus de défis à relever ou qui ont vécu à une époque aussi difficile que la nôtre. Un virus extrêmement rare hante silencieusement le pays. Il a fait autant de victimes que l’Amérique a pleurées pendant l’ensemble de la Seconde Guerre mondiale. Des millions d’emplois ont disparu, des centaines de milliers d’entreprises ont fermé, un appel à la justice raciale en gestation depuis 400 ans nous émeut. Le rêve d’une justice pour tous ne sera plus différé. (Applaudissements)

Un cri pour la survie vient de la planète elle-même. Un cri qui ne saurait être plus désespéré ni plus clair, et maintenant la montée de l’extrémisme politique, du suprémacisme blanc, du terrorisme intérieur que nous devons affronter et que nous vaincrons. (Applaudissements)

La voie de l’unité

Aujourd’hui, en ce jour de janvier, voici ce à quoi mon âme est pleinement attachée : rassembler l’Amérique, unir notre peuple, unir notre nation. Et je demande à chaque Américain de se joindre à moi dans cette cause. (Applaudissements)

Je sais que parler d’unité peut paraître une idée folle de nos jours. Je sais que les forces qui nous divisent sont profondes et qu’elles sont réelles. Mais je sais aussi qu’elles ne sont pas nouvelles. Notre histoire est un combat constant entre l’idéal américain, celui qui veut que nous sommes tous créés égaux, et la dure et laide réalité que le racisme, le nativisme, la peur, la diabolisation nous déchirent depuis longtemps.

L’histoire, la foi et la raison nous montrent la voie, la voie de l’unité. Nous pouvons nous voir les uns les autres, non pas comme des adversaires, mais comme des voisins. Nous pouvons nous traiter les uns les autres avec dignité et respect. Nous pouvons unir nos forces, cesser de crier et baisser le ton. Car sans unité, il n’y a pas de paix ; il n’y a que de l’amertume et de la fureur. Pas de progrès, mais rien qu’une indignation épuisante. Pas de nation, mais rien d’autre que le chaos.

Et donc, aujourd’hui, maintenant, en ce lieu, prenons un nouveau départ, tous ensemble. Recommençons à nous écouter les uns les autres. À nous entendre les uns les autres. À nous voir les uns les autres. À nous respecter les uns les autres. Il n’est pas dit que la politique doive être un incendie qui fait rage, détruisant tout sur son chemin. Chaque désaccord n’a pas à être une cause de guerre totale. Et nous devons rejeter la culture dans laquelle les faits eux-mêmes sont manipulés, et même fabriqués. (Applaudissements)

À tous ceux qui ont soutenu notre campagne, je suis plein d’humilité face à la confiance que vous avez placée en nous. À tous ceux qui ne nous ont pas soutenus, permettez-moi de vous dire ceci. Si vous n’êtes toujours pas d’accord, qu’il en soit ainsi. La démocratie, c’est cela. L’Amérique, c’est cela. Le droit de ne pas être d’accord pacifiquement.

Mais écoutez-moi attentivement, un désaccord ne doit pas mener à la désunion. Et je m’y engage devant vous, je serai le président de tous les Américains, de tous les Américains. (Applaudissements) Et je vous le promets, je me battrai aussi bien pour ceux qui ne m’ont pas soutenu que pour ceux qui l’ont fait. (Applaudissements)

Un peuple selon saint Augustin

Il y a de nombreux siècles, Saint Augustin, un saint de mon Église, a écrit qu’un peuple était une multitude d’êtres définis par leur amour commun des mêmes choses. Définis par leur amour commun des mêmes choses. Quels sont les choses que nous, Américains, aimons en commun, qui nous définissent en tant qu’Américains ?

Ce sont les opportunités, la sécurité, la liberté, la dignité, le respect, l’honneur et, oui, la vérité. Les semaines et les mois derniers nous ont appris une leçon douloureuse. Il y a la vérité et il y a les mensonges, les mensonges dits pour le pouvoir et le profit.

Et chacun de nous a le devoir et la responsabilité, en tant que citoyens, en tant qu’Américains, et surtout en tant que dirigeants, de dirigeants qui se sont engagés à honorer notre Constitution et à protéger notre nation, de défendre la vérité et de vaincre les mensonges. (Applaudissements)

Je comprends que beaucoup de mes compatriotes américains envisagent l’avenir avec peur et appréhension. Je comprends que, comme mon père, allongés dans leur lit la nuit, les yeux rivés au plafond, ils se demandent : « Est-ce que je vais pouvoir garder ma couverture santé, est-ce que je vais pouvoir rembourser mon prêt immobilier ? »

Mais la réponse n’est pas de se replier sur soi, de se réfugier au sein de factions rivales, en se méfiant de ceux qui ne ressemblent pas — qui ne nous ressemblent pas, ou qui n’exercent pas leur foi comme nous, ou qui s’informent auprès de sources différentes des nôtres.

Nous devons arrêter cette guerre incivile qui oppose le rouge au bleu, la campagne à la ville, les conservateurs aux progressistes. Nous pouvons y arriver si nous ouvrons nos âmes au lieu d’endurcir nos cœurs.

Et si on se comporte comme cela, notre pays va être plus fort, plus prospère, plus préparé pour l’avenir. Et cela n’empêche pas d’avoir des avis différents. Mes chers compatriotes, dans la tâche qui nous attend, nous allons avoir besoin les uns des autres. Il nous faut toutes nos forces pour préserver — pour persévérer pendant ce sombre hiver. Nous entrons dans ce qui sera peut-être la phase la plus difficile et la plus mortelle du virus.

Pour ma première action en tant que président, j’aimerais vous demander de vous joindre à moi dans un moment de prière silencieuse en hommage à tous ceux que nous avons perdu à cause de la pandémie au cours de l’année écoulée : 400 000 concitoyens —

[MOMENT DE SILENCE]

Amen. Mes amis, l’heure est à l’épreuve. Nous sommes confrontés à une attaque contre notre démocratie et la vérité, à un virus qui fait rage, à des inégalités croissantes, à la douleur cinglante du racisme systémique, à la crise climatique, à la question du rôle de l’Amérique dans le monde. Ne serait-ce qu’un seul de ces problèmes constituerait un défi de taille. Mais le fait est que nous devons les affronter tous en même temps. C’est la plus grande responsabilité que cette nation ait jamais eu à assumer. Nous allons être mis à l’épreuve.

Allons-nous faire face à nos responsabilités et transmettre à nos enfants un monde nouveau et meilleur ? Je suis persuadé que nous allons réussir. Et lorsque nous aurons réussi, nous écrirons le prochain grand chapitre de l’histoire des États-Unis d’Amérique aux accents d’une chanson qui me tient à cœur. Cette chanson a pour titre American Anthem. Un de ses couplets revêt une importance particulière pour moi.

Voici ce qu’il dit : « Le travail et les prières des siècles nous ont menés jusqu’à ce jour. Que laisserons-nous à la postérité ? Que diront nos enfants ? Que je sache en mon cœur quand mes jours seront terminés. Amérique, Amérique, je t’ai donné le meilleur de moi-même. »

Si nous agissons ainsi, à la fin de nos jours, nos enfants et les enfants de nos enfants diront de nous : « Ils ont fait de leur mieux, ils ont accompli leur devoir, ils ont pansé les plaies d’un pays brisé. » Mes compatriotes, je conclus cette journée comme je l’ai commencée, avec un serment sacré devant Dieu et devant vous tous. Je vous donne ma parole, je serai toujours honnête avec vous. Je défendrai la Constitution. Je défendrai notre démocratie. Je défendrai l’Amérique.

Avec résolution et détermination, nous prenons la responsabilité de ces tâches du moment, soutenus par la foi, animés par la conviction et dévoués les uns aux autres ainsi qu’au pays que nous aimons de tout notre cœur. Que Dieu bénisse l’Amérique et que Dieu protège nos soldats. Merci, l’Amérique.

Joe BIDEN

3ème dimanche – Année B – 24 janvier 2021 – Évangile de Marc 1, 14 – 20

Évangile de Marc 1, 14 – 20

Jésus proclame

Dimanche de la Parole de Dieu

Après un coup d’œil, dimanche passé, sur la version de Jean, nous reprenons le récit de Marc qui va nous conduire toute cette année. Retournons donc au point frontière du Jourdain. Jean-Baptiste continue de baptiser et d’appeler à la conversion des mœurs et il ne ménage pas son roi qui a eu l’impudence de prendre la femme de son frère. La riposte ne tarde pas : une escouade de soldats survient, Jean est jeté en prison et il n’en sortira pas vivant (6, 17). Pris de peur, les baptisés se dispersent et reprennent leur vie ordinaire.

Jésus, quant à lui, au lieu de retourner près de sa mère et de reprendre son métier à Nazareth, remonte dans sa province de Galilée : sa mission commence. Elle n’est plus celle d’un prophète mais celle de « Fils du Père ». Elle se place dans le sillage de celle du Baptiste mais elle est très différente.

Après l’arrestation de Jean-Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer la Bonne Nouvelle de Dieu. Il disait : « Les temps sont accomplis, le Règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ».

Jésus ne se poste plus en un lieu lointain en attendant que les pèlerins viennent à lui, il a « passé » le fleuve pour entrer en Israël, il circule à travers les villes et villages autour du lac et il interpelle les gens dans leur milieu de vie : c’est bien au cœur du monde populaire que le Royaume vient.

Comme Jean, Jésus appelle aussi à la conversion mais désormais celle-ci n’est plus une décision d’ordre moral mais la conséquence d’une foi nouvelle. Tout homme est appelé à croire à l’annonce que Jésus proclame : la marche de l’histoire a atteint son sommet, les temps de préparation et d’attente sont arrivés à terme et le plus extraordinaire événement se prépare : Dieu va instaurer son règne sur terre. Telle est la nouvelle, la Bonne Nouvelle, l’Évangile.

A la suite de la Bible, l’Évangile n’est donc pas un livre qui propose une religion avec croyances, ascèse, méthodes de concentration et de prière, lieux et personnel sacrés, pratiques morales et rituelles. Il n’est pas fuite du monde, il n’est pas fin du monde mais annonce d’un monde autre. Que je ne découvre qu’en acceptant de croire à la parole de Jésus et de me convertir, ce qui ne signifie pas « faire pénitence et vaincre mes défauts » mais changer de fond en comble mes conceptions. Si souffrances, injustices, malheurs et mort continuent de survenir, quelque chose arrive : Dieu vient régner. Il ne s’agit pas d’une évidence, d’une preuve, mais d’une Bonne Nouvelle que Jésus proclame. Au cœur de notre nuit, le Veilleur annonce l’aurore.

« Jésus proclame ». Plus tard Marc dira qu’il « enseigne ». Deux modes de parole liés mais très différents et qu’il ne faut surtout pas confondre. Au temps de la chrétienté, dont nous vivons la fin interminable, l’Église est installée, l’Évangile se transmet en milieu familial, se raconte au catéchisme, s’explique en milieu scolaire. La pratique est presque une habitude héréditaire. Si bien que des multitudes sont catéchisées sans avoir été évangélisées. On vit une tradition sans avoir été secoué par une interpellation personnelle.

Au point de départ, raconte Marc, Jésus ne moralise pas, il ne ritualise pas, il ne menace pas, il n’institue pas, il ne théologise pas. Il est un passant qui, sans titre, sans attirail, sans prestige, va de village en village et, le cœur joyeux, l’air heureux, lance la Nouvelle inattendue, la Nouvelle qui est bonne puisqu’elle est promesse d’une jouissance inouïe. L’Évangile est interpellation personnelle et joyeuse et il doit le rester sous peine de verser dans les ornières de l’habitude, de la routine, de la mauvaise conscience.

Quelles réactions suscite cet inconnu à qui on demande son identité : « Je suis Iéshouah, charpentier à Nazareth ». A quel titre ose-t-il proclamer ce message ? N’est-il pas un utopiste, un rêveur, un illuminé ? Beaucoup sans doute demeurent sceptiques : tant d’illuminés ont lancé de fausses promesses. De quoi vit-il ? « De la charité que vous voudrez bien me faire …si vous voulez ». Car le Royaume commence quand on a pitié d’un pauvre, quand notre porte s’ouvre à l’hospitalité.

Marc va nous raconter que très vite le succès va venir et les foules vont accourir pour écouter le marcheur. On verra pour quelles raisons. Mais au préalable, il nous rapporte l’appel des premiers collaborateurs.

L’appel des quatre pêcheurs

Passant au bord du lac de Galilée, il vit Simon et son frère André en train de jeter leurs filets dans la mer : c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez derrière moi : je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ». Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent.

Un peu plus loin, Jésus vit Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean qui étaient dans leur barque et préparaient leurs filets. Aussitôt Jésus les appela. Alors, laissant dans la barque leur père avec les ouvriers, ils partirent derrière lui.

Jésus n’est pas un magnétiseur qui d’un claquement de doigt fascine des naïfs. L’évangile de Jean nous avait raconté qu’au Jourdain, une foule de jeunes débattaient de l’indépendance et du messie. Le Baptiste avait invité ses disciples à le quitter pour suivre Jésus. Les quatre jeunes avaient quand même repris leur métier : il faut bien vivre. Mais maintenant Jésus a vraiment entrepris la mission reçue de son Père et en contemplant ces jeunes pêcheurs, leur profession lui fournit une image de ce qu’il doit accomplir.

Il faut sauver les hommes qui se noient dans leurs chagrins, qui coulent dans la tristesse et le désespoir, qui s’abîment dans les profondeurs des haines et des guerres, qui sont emportés par les plus épouvantables des tsunamis, qui sont la proie des requins de la finance ou des pieuvres de la pub’.

Il faut permettre aux hommes de se dresser debout, de respirer, leur donner de l’air, de l’esprit, de l’Esprit de Dieu pour qu’ils vivent, se parlent, s’aiment, chantent et s’épanouissent.

Et il faut les rassembler en communauté. Non les enfermer dans les filets d’une idéologie, non les emprisonner dans les rets d’une dictature religieuse mais les mettre ensemble, leur offrir la communion en toute liberté.

Telle est la mission nécessaire, indispensable, urgente, universelle du Fils baptisé. Elle requiert la collaboration immédiate et totale de certains. Elle ne se réalise pas par une disposition innée, par le zèle, la bonne volonté, le dynamisme, les compétences. Jésus, seul, sait et il peut l’apprendre : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes ». Donc pour cela, il importe de suivre Jésus, l’observer, écouter ses enseignements. Tout l’évangile sera le récit de cet apprentissage. L’évangile est le manuel fondamental de la mission.

Simon-Pierre et Jean

En prêchant son évangile, Jésus appellera toujours à la conversion mais laissera chacun chargé de ses devoirs familiaux et exerçant ses obligations professionnelles dans son milieu. Toutefois ici et à quelques reprises plus tard, il invitera certains jeunes à s’engager directement avec lui et ils constitueront le groupe des 12 apôtres. Leur don d’eux-mêmes sera total, exigeant la rupture des liens familiaux et l’abandon du métier. Suivre Jésus, partager son itinérance, apprendre tous ses enseignements, étudier son comportement, prendre le risque de sa pauvreté : l’apostolat est un plein-temps radical. Mais ils ne demanderont à personne de les imiter.

Simon et André, les deux premiers, demeurent sur la rive du lac et lancent leur petit filet ; Jacques et Jean, eux, sont les fils d’un patron qui dirige une entreprise employant des ouvriers. Ils paraissent donc d’un milieu plus aisé. Néanmoins c’est Simon qui sera nommé Pierre par Jésus et deviendra le n° un du groupe. L’Église ne se constitue pas sur le modèle de la société hiérarchisée par les titres et la propriété.

S.O.S. … Urgent !

Je terminerai par une petite remarque sur le style de Marc. « Aussitôt il les appelle…Aussitôt ils laissent leurs filets ». Parcourez l’évangile de Marc et vous constaterez qu’il répète ce petit mot à 42 reprises – bien davantage que ses confrères qui pourtant sont bien plus longs que lui (Matthieu :7 x – Luc : 1 x – Jean : 3 x).

Tic de langage ? Surtout envie de nous persuader que la mission divine – inaugurée par Jésus et confiée ensuite à ses apôtres puis à tous ceux qui croient en lui puis à nous aujourd’hui – ne souffre aucun retard. Il ne s’agit pas d’un message religieux, culturel, humanitaire dont on peut discuter sans fin, quand on en a le temps, pour savoir si oui ou non on va faire quelque chose. Dans l’océan glauque et pervers où les hommes appellent désespérément au secours dans une atmosphère d’inquiétude, d’absurdité, de mensonge, de désespoir, où des jeunes se noient dans les fausses nouvelles, il est urgent que retentisse le message de la Parole de Dieu. D’autant plus qu’elle est tournée en dérision.

« Frères, je dois vous le dire : le temps est limité … La figure de ce monde passe …Je vous dis cela pour que vous fassiez ce qui est le mieux et que vous soyez attachés au Seigneur sans partage » (2ème lecture)

En ce « dimanche de la Parole », nous sommes heureux d’écouter aussitôt l’appel qui nous a délivrés de nos chaînes, nous goûtons l’honneur d’être appelés aussitôt à poursuivre la mission, nous nous mobilisons pour découvrir aussitôt de nouveaux moyens de sauver les hommes. Sous les masques il y a trop de tragédies et de larmes. Aussitôt  il faut réagir, inventer, parler.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Le pape François institue le dimanche de la Parole de Dieu

Extraits

1. … Consacrer de façon particulière un dimanche de l’Année liturgique à la Parole de Dieu permet, par-dessus tout, de faire revivre à l’Église le geste du Ressuscité qui ouvre également pour nous le trésor de sa Parole afin que nous puissions être dans le monde des annonciateurs de cette richesse inépuisable.

Il est donc bon que ne manque jamais dans la vie de notre peuple ce rapport décisif avec la Parole vivante que le Seigneur ne se lasse jamais d’adresser à son Épouse, afin qu’elle puisse croître dans l’amour et dans le témoignage de foi.

3. J’établis donc que le IIIe Dimanche du Temps Ordinaire soit consacré à la célébration, à la réflexion et à la proclamation de la Parole de Dieu.

Ce dimanche de la Parole de Dieu viendra ainsi se situer à un moment opportun de cette période de l’année, où nous sommes invités à renforcer les liens avec la communauté juive et à prier pour l’unité des chrétiens.

Il ne s’agit pas d’une simple coïncidence temporelle : célébrer le Dimanche de la Parole de Dieu exprime une valeur œcuménique, parce que l’Écriture Sainte indique à ceux qui se mettent à l’écoute le chemin à suivre pour parvenir à une unité authentique et solide.

Un jour solennel

Les communautés trouveront le moyen de vivre ce dimanche comme un jour solennel.

Il sera important, en tout cas que, dans la célébration eucharistique, l’on puisse introduire le texte sacré, de manière à rendre évidente à l’assemblée la valeur normative que possède la Parole de Dieu. En ce dimanche, de façon particulière, il sera utile de souligner sa proclamation et d’adapter l’homélie pour mettre en évidence le service rendu à la Parole du Seigneur.

Les Évêques pourront, en ce dimanche, célébrer le rite du lectorat ou confier un ministère similaire, pour rappeler l’importance de la proclamation de la Parole de Dieu dans la liturgie.

Il est fondamental, en effet, de faire tous les efforts nécessaires pour former certains fidèles à être de véritables annonciateurs de la Parole avec une préparation adéquate, comme cela se produit de manière désormais habituelle pour les acolytes ou les ministres extraordinaires de la communion.

De la même manière, les prêtres en paroisse pourront trouver la forme la plus adéquate pour la remise de la Bible, ou de l’un de ses livres, à toute l’assemblée, afin de faire ressortir l’importance d’en continuer la lecture dans sa vie quotidienne, de l’approfondir et de prier avec la Sainte Écriture, se référant de manière particulière à la Lectio Divina.

4. … La Bible ne peut pas être seulement le patrimoine de quelques-uns et encore moins une collection de livres pour quelques privilégiés. Elle appartient, avant tout, au peuple convoqué pour l’écouter et se reconnaître dans cette Parole. Souvent, il y a des tendances qui tentent de monopoliser le texte sacré en le reléguant à certains cercles ou groupes choisis. Il ne peut en être ainsi.

La Bible est le livre du peuple du Seigneur qui, dans son écoute, passe de la dispersion et de la division à l’unité. La Parole de Dieu unit les croyants et les rend un seul peuple.

Importance de l’homélie

5. Dans cette unité générée par l’écoute, les pasteurs ont en premier lieu la grande responsabilité d’expliquer et de permettre à tous de comprendre l’Écriture Sainte. Puisqu’elle est le livre du peuple, ceux qui ont la vocation d’être ministres de la Parole doivent ressentir avec force l’exigence de la rendre accessible à leur communauté.

L’homélie, en particulier, revêt une fonction tout à fait particulière, car elle possède « un caractère presque sacramentel » (Evangelii Gaudium, n. 142). Faire entrer en profondeur dans la Parole de Dieu, dans un langage simple et adapté celui qui écoute, permet au prêtre de faire découvrir également la « beauté des images que le Seigneur utilisait pour stimuler la pratique du bien » (Ibid.). C’est une opportunité pastorale à ne pas manquer !

Pour beaucoup de nos fidèles, en effet, c’est l’unique occasion qu’ils possèdent pour saisir la beauté de la Parole de Dieu et de la voir se référer à leur vie quotidienne. Il faut donc consacrer le temps nécessaire à la préparation de l’homélie. On ne peut improviser le commentaire aux lectures sacrées. Pour nous, comme prédicateurs, il est plutôt demandé de ne pas s’étendre au-delà de la mesure avec des homélies ou des arguments étrangers.

Quand on s’arrête pour méditer et prier sur le texte sacré, on est capable de parler avec son cœur pour atteindre le cœur des personnes qui écoutent, pour exprimer l’essentiel qui est reçu et qui produit du fruit. Ne nous lassons jamais de consacrer du temps et de prier avec l’Écriture Sainte, pour qu’elle soit accueillie « pour ce qu’elle est réellement, non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu » (1Th 2, 13).

Il est également souhaitable que les catéchistes, par le ministère dont ils sont revêtus, aident à faire grandir dans la foi, ressentant l’urgence de se renouveler à travers la familiarité et l’étude des Saintes Écritures, leur permettant de favoriser un vrai dialogue entre ceux qui les écoutent et la Parole de Dieu.

(la suite la semaine prochaine)

2ème dimanche – Année B – 17 janvier 2021 – Évangile de Jean 1, 35 – 42

Évangile de Jean 1, 35 – 42

Que cherchez-vous ?

Fidèles au modèle scientifique, les historiens modernes s’appliquent à reconstituer l’événement ancien de la façon la plus précise possible : lieu, jour et heure, description des personnages, exactitude des propos tenus, etc. On replonge le lecteur dans le passé. Érudition et curiosité. Tout au contraire, les écrivains bibliques tentent plutôt de saisir le sens de ce qui s’est produit et d’en montrer la pertinence pour les personnes auxquelles ils s’adressent. Le passé rejoint le lecteur dans son actualité. Révélation et renaissance.

Les premières communautés chrétiennes étaient des foyers effervescents où l’on discutait sans arrêt de ce qui était arrivé: les enseignements de Jésus, son attitude, sa passion scandaleuse et sa mystérieuse résurrection. L’événement Jésus n’avait aucun rapport avec la vie d’un Empereur ou d’un poète : à son sujet il n’était pas question d’information mais d’un appel vital à pénétrer dans la lumière de la Révélation. Qui donc était-il ? Les cadres habituels éclataient, on ne parvenait pas à cerner son identité mais on voulait accomplir le projet qu’il avait initié. Le salut de l’humanité en dépendait.

Ainsi Marc, le premier à notre connaissance, a écrit non une biographie de Jésus mais un « évangile », une interprétation qui n’est pas fausse mais qui interpelle le lecteur pour initier ou confirmer sa foi. Ensuite Matthieu et Luc ont repris et étoffé le projet en vue respectivement de lecteurs juifs ou païens. Et enfin, après des dizaines d’années d’expériences messianiques, d’échanges et de prières inspirées par l’Esprit, Jean a tout repris en fin du premier siècle pour raconter l’événement de manière encore plus approfondie.

Dimanche passé, Marc nous avait raconté la scène inaugurale du baptême de Jésus par Jean et nous connaissons bien la suite de son récit : l’appel des 4 pêcheurs au lac de Galilée. Aujourd’hui émerveillons-nous de la façon dont Jean a réorganisé le récit pour en montrer la profondeur infinie et nous en rendre acteurs.

La Semaine de la Re-Création du Monde

La lettre aux Colossiens avait déjà rapporté un hymne au Christ : « Il est l’image du Dieu invisible, premier-né de toute créature…Tout est créé par lui et pour lui.. »(1, 16). D’un coup d’aile, Jean remonte les siècles et accroche le début de son évangile à la première page de la Genèse qui, de façon symbolique, présentait la création du monde en 7 jours par la Parole de Dieu :

« Au commencement était le Logos, le Verbe,
il était tourné vers Dieu et le Logos était Dieu. Tout fut par lui…
Et le Verbe fut chair et il a demeuré parmi nous… ».

S’en suivent 7 journées, scandées par le refrain « le lendemain… » ; elles débutent par le témoignage de Jean-Baptiste qui désigne Jésus, invite ses disciples à le quitter pour suivre son successeur. De jour en jour, une nouvelle communauté se crée autour de Jésus et la nouvelle semaine s’achève non plus sur le repos du sabbat mais « le 3ème jour » avec la célèbre scène des noces de Cana où Jésus offre le vin nouveau.

Cette trouvaille de Jean – géniale – montre à quel point, et avec quelle vitesse, la communauté chrétienne a saisi la nouveauté radicale de Jésus. A l’inverse de ceux qui, encore aujourd’hui, le tiennent simplement pour un prophète, un tribun, un martyr, l’Église primitive proclame que Jésus, l’homme de Nazareth, est en lui-même la Parole, l’expression de la Volonté de Dieu, Fils Seigneur comme son Père. Et il imprime un nouveau rythme à l’histoire vécue.

En effet un prophète transmet les oracles de Dieu, exhorte les hommes à changer de conduite, à cesser de commettre des fautes, à observer des préceptes. Jésus, lui, Parole même de Dieu, recrée les hommes qui acceptent de croire en lui. Jean-Baptiste en avait bien conscience en s’effaçant devant un « plus puissant » que lui.

Dieu crée le monde et le confie à l’homme qui, hélas, par son égoïsme se défait et défait le monde. Jésus, par la foi, recrée une humanité nouvelle. Les premiers disciples constituent le minuscule germe inchoatif d’une humanité réconciliée avec Dieu. Jésus nous délivre de la morale contraignante non pour basculer dans l’anarchie mais pour nous libérer par sa miséricorde et nous rassembler dans un amour qui est service du prochain.

Après cette présentation générale, nous pouvons méditer l’évangile de ce dimanche qui raconte les 3ème et 4ème jours de la semaine inaugurale.

Passer de Jean à Jésus, de la Loi à l’Agneau

Jean-Baptiste se trouvait avec deux disciples. Fixant Jésus qui s’en allait, il dit : « Voici l’agneau de Dieu ». Les deux disciples écoutent et suivent Jésus. Celui-ci se retourne, voit qu’ils le suivent : « Que cherchez-vous ?  – Rabbi, c.à.d. Maître, où demeures-tu ? – Venez voir ». Ils vont, voient où il demeurait et ils demeurèrent avec lui ce jour-là. C’était environ la 10ème heure.

Avec des mots tout simples, Jean cerne la démarche essentielle de la foi. Jean-Baptiste a conscience des limites de son action, il a vu l’Esprit descendre sur son disciple Jésus et il répète ce qu’il a dit la veille : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Israël n’a jamais oublié qu’il avait pu fuir l’esclavage en Égypte la nuit même où on immolait et mangeait un agneau. D’où, aujourd’hui encore, la grande fête de Pessah (passage) : c’est le sacrifice de l’innocent qui a permis la libération. Mais l’humanité entière est esclave du péché : Jésus, seul, va être l’agneau dont le sang va faire sauter le verrou de notre prison. Isaïe 53 avait déjà évoqué ce « serviteur de Dieu, comme un agneau, immolé pour nos péchés ».

Les deux disciples quittent leur maître et s’en vont à la suite de Jésus qui, silencieux, s’engage vers son destin. La succession des verbes est tout sauf banale : écouter, suivre, chercher, voir et surtout le dernier qui prendra une importance majeure : demeurer. Loin d’être une simple information sur un lieu, il s’agit du début d’une vie-ensemble, d’une quête d’une communion nouvelle. Jésus dira plus tard : « Demeurez en moi comme je demeure en vous »(15, 4).

On est en fin de journée (10ème heure) : Jésus, sans le chercher, a reçu du Baptiste ses premiers disciples.

La mission : le rôle de Pierre

Jean ne note pas « le lendemain » si bien que ces deux journées sont liées.

André était un des deux qui avaient entendu le Baptiste et suivi Jésus. Il trouve d’abord son frère Simon : « Nous avons trouvé le Messie, le Christ ». Il amène son frère à Jésus qui le regarde : « Tu es Simon, fils de Jean : tu t’appelleras Kepha – qui signifie pierre).

La cascade des petits verbes se poursuit : trouver et amener. Les 2 disciples (le 2ème, resté anonyme, ne serait-il pas Jean qui écrira l’évangile ?) avaient abordé Jésus comme Maître, à présent suite à la « demeure avec lui », ils ont fait la découverte sensationnelle : cet homme est plus que le Baptiste, il est le Messie, le Christ, le Roi oint de l’Esprit divin, objet de l’attente séculaire d’Israël. Évidemment cette foi ne peut rester privée : André va trouver son frère Shiméon et l’amène à Jésus qui l’observe et lui donne un nouveau nom. On sait que dans la Bible il s’agit d’une initiative essentielle : Pierre devient la pierre de fondation, la pierre d’angle à partir de laquelle Jésus va construire sa communauté.

L’épisode suivant racontera la venue de 2 autres disciples, Philippe puis Nathanaël : ainsi est constitué le premier groupe de 5 disciples dont Pierre, au centre, est la tête. Et la série des jours culminera sur la scène des noces de Cana où, pour la première fois, les disciples « croiront » en un Messie agneau vulnérable et Parole de Lumière et de Vie.

Conclusions

Quel contraste avec notre société avide de sensationnel : le plus grand événement de l’histoire du monde a commencé dans l’ombre, loin des palais et des lieux de pouvoir.

Et quelle leçon pour nous, chrétiens, tentés de gérer notre mission à la manière du monde : avons-nous les personnes compétentes ? Disposons-nous suffisamment de ressources financières ? …Jésus, un pauvre artisan, a reçu l’appel de Dieu et seul, il commence. A l’écart de tout, quelques hommes sans importance le regardent, écoutent un témoin qui le désigne, s’approchent, demeurent avec lui, l’écoutent. Il y a comme une réaction en chaîne, l’un appelle l’autre et peu à peu un petit groupe se forme : « Nous avons trouvé ! ». Et à Cana, en partageant le vin de la Nouvelle Alliance, « ils croient ». La première communauté messianique est née.

Au commencement écouter la Parole, chercher les témoins, demeurer près de Jésus, s’accueillir en frères et devenir une communion joyeuse de croire en partageant le Vin de l’Agneau : c’est encore à ce rythme de la semaine messianique que nous vivons. Si nous demeurons. Si nous croyons. Si nous suivons non plus les fauves du spectacle et les rapaces de la pub’ mais l’agneau. Cet Évangile va-t-il secouer notre indolence ? Oserons-nous chercher ensemble comment imiter aujourd’hui la première communauté ? La chute de la pratique dominicale nous questionne (cf ci-dessous).

Frère Raphaël Devillers, dominicain

À la recherche des «fidèles disparus»

Le journal La Croix du 7 janvier a publié un dossier sur l’impact des mesures sanitaires sur la pratique des catholiques.
Voici quelques extraits.

Clément, professeur d’université, a compris qu’il ne retournerait pas à la messe : « Nous avons pris du recul vis-à-vis du caractère un peu triste du rite dominical, pas très adapté aux enfants…La communion eucharistique, est-ce vraiment la manière privilégiée de rencontrer Dieu ? En travaillant sur la Parole en famille, je me sens nourri »….La proportion de « décrocheurs » au sein de l’Église de France est difficile à évaluer. Interrogés, des évêques et des curés évoquent jusqu’à un tiers des paroissiens manquant à l’appel depuis le covid. Dans certaines églises, la baisse de fréquentation oscille ente 15 et 30 %….

Une chose est sûre : les confinements ont précipité l’éloignement d’une bonne partie des paroissiens âgés. « Grâce à la TV, j’entends parfaitement l’homélie, je suis bien installé, je n’ai pas froid … Et puis de toute façon, si je ne retourne pas dans ma paroisse, à qui manquerai-je ? »…Cela soulève la difficulté de bâtir une véritable vie communautaire, surtout dans les grandes villes où, une fois la messe terminée, les paroissiens filent comme des flèches vers leur salle à manger.

La suspension des messes a donc bousculé certains paroissiens pour qui la fidélité à ce rendez-vous était déjà vacillante. « Il va falloir un vrai travail à faire pour aller rechercher ce public-là » (un curé à Asnières).

Messe irremplaçable ?

Paradoxalement, ce sont parfois les expériences spirituelles vécues hors de l’institution qui ont pu faire naître des doutes sur le caractère irremplaçable de la messe… La multiplication des ressources de foi mises à la disposition des catholiques pendant le confinement a permis à certains de se connecter à des propositions plus proches de leur sensibilité que la paroisse de leur quartier. « A la messe, j’avais tendance à m’ennuyer. Avec le confinement, j’ai commencé à faire plus court et plus à fond. J’ai suivi les prières de Taizé en direct, j’allumais une bougie, je ne me sentais absolument pas seul. Aujourd’hui je ne suis pas moins croyant ni moins pieux. Je me suis plus éloigné de l’Église que de la foi » (Un journaliste, 27 ans). Néanmoins il retournera à la messe ponctuellement pour recevoir l’Eucharistie. Mais uniquement dans telle église qu’il apprécie pour sa convivialité. « Je n’ai plus envie de m’infliger des messes qui ne me correspondent pas ».

Va-t-on vers des regroupements de pratiquants par tendance ? « Grâce au numérique, nous voyons émerger des regroupements selon des affinités liturgiques, spirituelles, qui font fi des organisations territoriales » (P. Burgun, faculté de droit canonique, Paris). « Les confinements ont seulement été un accélérateur de particules de phénomènes déjà en cours » explique Mme Le Chevalier, enseignante au Centre Sèvres. Elle voit dans la perte de la centralité de la messe classique « une chance pour l’Église ». Il s’agit désormais de savoir comment les paroisses sauront rejoindre ces chrétiens pratiquants « en diaspora ».

De nouvelles façons de maintenir le lien entre croyants

Nombre d’initiatives, au sein ou en dehors des paroisses, témoignent du désir des chrétiens de maintenir un lien. Une soif de spiritualité tout autant qu’un besoin de liens ont été nourris autrement. En témoigne la hausse du nombre de groupes de partage en ligne : lecture d’évangile, parcours bibliques ou thématiques. Les projets ont permis de recréer un lien communautaire qui fait parfois défaut au sein des paroisses. Au point que certains fidèles disent avoir le sentiment que leur absence n’a de toute façon été ressentie par personne.

Diane, 45 ans, de Paris, a lancé un groupe de partage en dehors de sa paroisse : ça a été une sorte de « cadeau », une occasion de vivre sa foi de manière plus « audacieuse et fraternelle ». « Je me sens davantage nourrie et investie dans ces partages d’évangile que lors de la messe dominicale ». Maïlys (30 ans, ingénieure) a vécu sa foi à travers des groupes de partage biblique : « Je suis très demandeuse de ces moments de communauté. J’ai envie de passer plus de temps à découvrir la parole de Dieu avec d’autres et enrichir ma foi de la leur ».

Manquant de chaleur humaine pour certains, ennuyeux et impersonnel pour d’autres, le simple rendez-vous dominical ne suffit pas à nourrir le lien communautaire, vu comme essentiel par une partie croissante des paroissiens. Les groupes paraissent plus vivifiants, plus personnalisés et viennent pallier le manque de communion et de partage.

Ces groupes s’inscrivent toutefois dans le prolongement de nombreuses initiatives paroissiales mises en place pour favoriser un esprit communautaire. Comme si, en recréant des espaces d’accueil bienveillants et ouverts, les groupes de partage avaient révélé la nécessité dans l’Église de valoriser des lieux de communauté où partager sa foi.

Questions pour poursuivre la recherche

L’article montre bien ce que beaucoup murmurent depuis belle lurette : il y a une crise de la liturgie eucharistique. S’il y a effondrement de la pratique, il est vain de critiquer le monde ou les jeunes. La crise peut nous pousser à inventer un changement pressenti depuis longtemps.

  1. La messe n’est pas la réunion de gens qui aiment se retrouver parce qu’ils partagent certaines affinités (d’âge, de culture, de politique…) mais de croyants parfois très différents et qui n’auraient aucun goût de se rencontrer. André doit accepter Philippe, Pierre doit accepter Nathanaël. Jésus les donne les uns aux autres. Plus profondément que la politique, l’Eucharistie crée le monde de la justice et de la paix.
  1. Oui beaucoup de messes sont ennuyeuses : cherchons les raisons.
  1. L’article ci-dessus hurle un besoin vital de connaissance du message chrétien et des Écritures. Laisser le « catéchisme » à l’enfance est catastrophique. Mon homélie hebdomadaire, avec ses défauts, est une tentative pour faire comprendre la Parole. Encore les croyants doivent-ils percevoir le devoir de s’informer, de chercher. (« Que cherchez-vous ?), l’envie de « demeurer » avec Jésus.
  1. En effet si le croyant ne perçoit pas clairement le rapport entre sa vie, sa profession, son monde et la foi en Jésus, la messe devient une routine, elle n’est plus pertinente. A la moindre occasion on l’abandonne. Et on constate qu’on s’en passe très bien. Pourquoi ?…
  1. « Si je ne vais pas à la messe, je ne manque à personne » : cri déchirant, pathétique. Un pratiquant peut manquer : personne ne le remarque. Un Mr vient seul parce son épouse se meurt du cancer à l’hôpital, personne ne le sait. Scandale absolu !
  1. Comparer une soirée de concert, de théâtre avec la messe. Préparation soignée et traîne-savate. Joie et ennui. On jouit de raconter la première : critique acerbe ou bouche cousue sur la seconde.
  1. Confort des églises : souvent froides, acoustique mauvaise, sièges inconfortables….Les croyants peaufinent le confort de leur maison, renouvellent les achats indéfiniment. Et ils concèdent une chiche obole à la quête. Il appartient aux usagers de veiller à leur lieu de culte. L’état financier d’une communauté est à débattre et à contrôler.
  1. Chaque croyant a valeur unique pour le Seigneur, il est membre du Corps du Christ : peut-il s’exprimer, donner son avis, faire des propositions, lancer des critiques ? Le Pape évoque de plus en plus la plaie du cléricalisme.

R. Devillers O.P.

Baptême du Seigneur – Année B – 10 janvier 2021 – Évangile de Marc 1, 7-11

Évangile de Marc 1, 7-11

Le Baptême

Ce dimanche nous fait faire un saut dans le temps : de la naissance de Jésus à sa première manifestation publique lorsqu’il se présente au baptême de Jean. Plus de trente ans se sont passés dont les évangiles ne disent rien mais qui méritent un temps de méditation. Ne menons-nous pas tous de longues périodes où, semble-t-il, « il ne se passe rien » ?

En ces années obscures, un événement important a certainement eu lieu et il n’est même pas mentionné : le père est décédé. L’humble et silencieux Joseph a rempli sa mission et s’est effacé sans laisser de trace. Il a gardé la mère et l’enfant, il a peiné pour assurer leur subsistance, il a accompli son premier rôle de papa juif : apprendre à son enfant à prier, le conduire à la synagogue, lui expliquer les Écritures, lui transmettre les manières de vivre. C’est par lui que Jésus a peu à peu perçu la figure du Dieu Père des miséricordes. Joseph lui a appris son métier : la beauté de l’artisanat, la joie de rendre service aux clients, le devoir de soutenir les plus pauvres, même s’ils tardent à s’acquitter de leur dû. Le travail est la première vocation de l’homme (Genèse 1) et il ne s’effectue pas pour s’enrichir au détriment des autres.

Vie sobre, silence, prière, travail, tendresse, chaleur du foyer, ouverture aux voisins : vraiment quand notre pape François nous propose une année avec Joseph, il ne prône pas une Église confite dans une piété ringarde. Et si la crise nous réapprenait la simplicité, le « sublime du quotidien » (Peyriguère), la profondeur des liens familiaux ?

Un Prophète s’est levé

Depuis des siècles, Israël était écrasé et occupé par les grandes puissances, Babylone, Perse, Grèce, Rome. Il était loin le temps des grandes voix d’Isaïe, Jérémie, Ézéchiel….et Dieu semblait se taire. Les génies dont on parlait partout dans le monde s’appelaient Platon, Aristote, Sophocle, Virgile. La civilisation dite gréco-romaine imprimait partout son style de vie prestigieux, sa civilisation, ses modes de pensée. L’armée romaine imposait la paix, le peuple admirait l’architecture des villes nouvelles, il découvrait les plaisirs du théâtre et des jeux du stade. La foule craquait devant « les vedettes ». Certains en Israël se demandaient si la vieille religion de Moïse n’allait pas disparaître. N’en va-t-il pas de même de nos jours ?

Un jour, la rumeur parvient au village reculé de Nazareth : on dit qu’un prophète s’est levé près du Jourdain. Dieu enfin interviendrait-il ? Les uns doutent ; d’autres disent qu’ils n’ont pas le temps. Jésus décide d’aller voir : il fait ses adieux à sa maman et s’en va en descendant la route de la vallée du fleuve. Son existence va basculer complètement.

L’intervention de Dieu n’arrive pas au cœur des grandes places politiques et intellectuelles : elle semble anodine, sans importance. Dans un recoin insignifiant de l’Empire, à l’écart, Jean s’est posté sur la rive du fleuve et il interpelle avec véhémence les passants. Il les presse de se convertir, de changer de vie au plus tôt, il plonge dans l’eau ceux qui le demandent, il assure qu’un événement capital se prépare. Jean n’est pas un champion d’éloquence, il est pauvrement vécu, se nourrit des ressources du désert proche, ne quémande aucune rétribution. Le contre-type des grandes figures de la culture. D’un coup d’œil, on sait : cet homme est un envoyé de Dieu.

Le baptême-passage par Jean-Baptiste

Le lieu choisi est important : pour être entendu, Jean oblige les pèlerins à sortir d’Israël et à traverser l’eau pour le rejoindre en Transjordanie. Il succède ainsi à Moïse qui, par la grâce de Dieu, avait libéré les hébreux esclaves en Égypte, les avait emmenés au Sinaï où Dieu avait fait alliance avec ce peuple en leur donnant sa Loi puis il leur avait fait traverser le désert pour les conduire sur cette rive orientale du Jourdain. Moïse y était mort et c’est son adjoint, Josué – en hébreu Iéhoshua qui se traduit aussi Jésus ! – qui avait dirigé la traversée du fleuve et fait entrer le peuple dans la terre promise.

Ainsi donc Moïse, c.à.d. la Loi, ne conduit qu’à l’orée du Royaume ; et Jean, son prophète, a compris que lui aussi doit rester sur l’autre rive. Ce qu’il peut faire, c’est faire prendre conscience aux gens qu’ils sont pécheurs, qu’ils ont enfreint la Loi de Dieu, et qu’ils ne peuvent « passer » qu’en se laissant plonger, baptiser par lui dans l’eau. Paul écrira que la Loi ne peut que donner la conscience du mal : elle ne peut libérer.

Et la grandeur unique de Jean est de reconnaître qu’il est l’homme de la frontière. Moïse jadis avait accompli la libération politique, l’exode, « la pâque », le passage de la mer hors de l’exil ; Jean maintenant essaie d’accomplir la libération, la pâque morale mais avouer ses fautes, demander pardon et se laver dans l’eau est nécessaire mais insuffisant. La valeur de Jean n’est pas son baptême mais son humilité, son effacement devant un « autre » qui lui succèdera immédiatement et sera infiniment supérieur à lui :

Jean Baptiste proclamait dans le désert : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis même pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi je vous ai baptisés dans l’eau : lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint ».
Or, à cette époque, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain.

Que Jésus demande à Jean de le baptiser a toujours fait problème. N’est-il pas dès lors inférieur à Jean qui serait le vrai Messie ? Et comment comprendre que le Seigneur, fils de Dieu, accepte ce rite de purification des péchés ? Justement parce qu’il ne l’est pas. Comme notre peau est imperméable, notre cœur est tellement endurci qu’il ne peut être transformé par des exhortations extérieures. Les baptisés de Jean sont sincères, ils avouent avec larmes leurs péchés, ils se laissent plonger dans l’eau par Jean pour être nettoyés, ils retournent dans leur vie en ruisselant de bonnes résolutions, décidés à ne plus tomber. Mais pas plus que les sacrifices d’animaux immolés au temple et les bains répétés des Esséniens de Qumran, les ablutions demeurent impuissantes à réaliser ce qu’elles cherchent.

La Révélation de Jésus

Au moment où il sortait de l’eau, Jésus vit le ciel se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre : « Tu es mon Fils bien-aimé : en toi j’ai mis tout mon amour.

Jésus fait une expérience personnelle et la foule n’a rien remarqué. Tandis que Jean, comme Moïse, reste de l’autre côté, Jésus, nouveau Josué, va guider les croyants dans le royaume qui s’ouvre et que symbolise « la déchirure du ciel ». Avec lui la communication directe entre Dieu et les hommes va être rétablie. L’Esprit c.à.d. la force, la dynamique, le souffle de Dieu descend sur lui pour l’investir : il est le Messie, le Sauveur promis par les prophètes (Isaïe 11, 2 ; 42, 1).

A l’origine l’Esprit de Dieu planait sur le magma, le tohu-bohu pour créer le monde (Genèse 1) : ici une nouvelle création s’inaugure. L’image de la colombe rappelle celle que Noé avait lâché à la fin du déluge : maintenant donc s’ouvre le temps de la réconciliation, de la paix de Dieu. Et Jésus reçoit pour lui l’oracle célèbre du psaume 2 qui est la formule d’investiture royale : « Le Seigneur Dieu m’a dit : Tu es mon Fils ». Il est l’Élu choisi par amour : le temps de maturation est terminé et la mission messianique doit commencer sur le champ.

Et tandis que les autres baptisés retournent chacun chez soi pour reprendre la vie, Jésus s’enfonce dans le désert de Juda afin de réfléchir aux options à prendre. Le Père lui a confié la mission mais n’a rien précisé. Jésus, le fils baptisé doit inventer sa conduite. Le choix amoureux du Père ne manipule pas le baptisé : à chacun de décider de ses engagements.

Le baptême définitif

Rien n’a changé dans l’apparence humaine de Jésus : tout l’évangile va tourner autour de la question : « Qui donc est-il, celui-là ? ». Son comportement, ses critiques du culte hypocrite et de la vanité des hauts prélats vont exacerber leur hostilité. Il comprend qu’il va être baptisé d’un nouveau baptême (Mc 10, 38). Ses ennemis le jettent dans le torrent de la mort, mais son Père opère « le passage » et le relève vivant. L’ultime Pâque est accomplie.

Sur ses disciples maintenant le Souffle de Dieu descend, les recrée et les envoie dans le monde. « Convertissez-vous, crie Pierre, que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint Esprit » (Ac 1, 38). Pour entrer dans l’Église, la nouvelle communauté du Seigneur, chacun est appelé à se laisser baptiser mais désormais l’ancien rite de Jean prend des dimensions infinies : « Ensevelis avec le Christ dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités puisque vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Vous étiez morts à cause de vos péchés : Dieu vous a donné la vie avec Lui » (Col 2, 12)

La coutume du baptême des enfants s’étiole mais de plus en plus de jeunes et adultes demandent à recevoir le baptême. Allons-nous avec eux reconstituer l’Église ancienne ou, aux appels répétés de François, laisserons-nous les nouveaux baptisés nous conduire sur de nouveaux chemins afin de former des communautés débarrassées des virus du cléricalisme, de la médiocrité, de la résignation aux malheurs des hommes ?

Le baptême en Jésus restera toujours nouveauté et recréation de l’homme.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

L’Église domestique

par le Cardinal Mario Grech

Note préliminaire : en latin maison se dit « domus ». Une Église domestique est donc une communauté chrétienne en famille.

Vous avez parlé plus tôt d’une « nouvelle ecclésiologie » qui émerge de l’expérience forcée du confinement. Que suggère cette redécouverte de la maison ?

Cela suggère que l’avenir de l’Église est ici, à savoir, dans la réhabilitation de l’Église domestique et en lui donnant plus d’espace, une Église-famille composée d’un certain nombre de familles-Église. Telle est la prémisse valide de la nouvelle évangélisation, qui nous semble si nécessaire entre nous. Nous devons vivre l’Église au sein de nos familles.

… La grande Église communautaire est composée de petites Églises qui se rassemblent dans des maisons. Si l’Église domestique échoue, l’Église ne peut pas exister. S’il n’y a pas d’Église domestique, l’Église n’a pas d’avenir ! L’Église domestique est la clé qui ouvre des horizons d’espérance ! Dans les Actes des Apôtres, nous trouvons une description détaillée de l’Église domestique: « Jour après jour, alors qu’ils passaient beaucoup de temps ensemble dans le temple, ils rompaient le pain à la maison et mangeaient leur nourriture avec un cœur heureux et généreux » (Actes 2,46).

Dans l’Ancien Testament, la maison familiale était le lieu où Dieu se révélait et où la célébration la plus solennelle de la foi juive, la Pâque, était célébrée. Dans le Nouveau Testament, l’Incarnation a eu lieu dans une maison, le Magnificat et le Benedictus ont été chantés dans une maison, la première Eucharistie a eu lieu dans une maison, de même que l’envoi du Saint-Esprit à la Pentecôte. Au cours des deux premiers siècles, l’Église se réunissait toujours dans la maison familiale.

Récemment, l’expression « petite église domestique » a souvent été utilisée avec une note réductrice, peut-être involontairement… Cette expression aurait-elle pu contribuer à affaiblir la dimension ecclésiale du foyer et de la famille, si facilement comprise par tous, et qui nous paraît aujourd’hui si évidente ? Nous en sommes peut-être à ce stade à cause du cléricalisme, qui est l’une des perversions de la vie sacerdotale et de l’Église, malgré le fait que le Concile Vatican II ait restauré la notion de famille comme « Église domestique » en développant l’enseignement sur le sacerdoce commun.

… La théologie et la valeur de la pastorale dans la famille vue comme Église domestique ont pris un tournant négatif au IVe siècle, avec la sacralisation des prêtres et des évêques, au détriment du sacerdoce commun du baptême, qui commençait à perdre de sa valeur. Plus l’institutionnalisation de l’Église progressait, plus la nature et le charisme de la famille en tant qu’Église domestique diminuait.

Ce n’est pas la famille qui est subsidiaire à l’Église, mais c’est l’Église qui doit être subsidiaire à la famille. Dans la mesure où la famille est la structure fondamentale et permanente de l’Église, il convient de lui redonner une dimension sacrée et cultuelle, la « domus ecclesiae » (la maison Eglise). Saint Augustin et Saint Jean Chrysostome enseignent, dans le sillage du judaïsme, que la famille doit être un milieu où la foi peut être célébrée, méditée et vécue. Il est du devoir de la communauté paroissiale d’aider la famille à être une école de catéchèse et un espace liturgique où le pain peut être rompu sur la table de la cuisine.

Qui sont les ministres de cette « Église-famille » ? Pour saint Paul VI, le sacerdoce commun est vécu de manière éminente par les époux, armés de la grâce du sacrement du mariage. Les parents, donc, en vertu de ce sacrement, sont aussi les « ministres du culte », qui, pendant la liturgie domestique, rompent le pain de la Parole, prient avec elle et transmettent la foi à leurs enfants. Le travail des catéchistes est valable, mais il ne peut remplacer le ministère de la famille. La liturgie familiale elle-même initie les membres à participer plus activement et consciemment à la liturgie de la communauté paroissiale.

…Croyez-vous que la spécificité de ce « ministère » de la famille, des époux et de la relation conjugale peut et doit aussi avoir une importance prophétique et missionnaire pour toute l’Église ainsi que pour le monde ?

Bien que pendant des décennies, l’Église ait réaffirmé que la famille est la source de l’action pastorale, je crains qu’à bien des égards, cela ne soit devenu simplement une partie de la rhétorique de la pastorale familiale. Beaucoup ne sont toujours pas convaincus du charisme évangélisateur de la famille ; ils ne croient pas que la famille a une « créativité missionnaire ». Il y a beaucoup à découvrir et à intégrer.

J’ai personnellement vécu une expérience très stimulante dans mon diocèse avec la participation des couples et des familles à la pastorale familiale. Certains couples ont participé à la préparation du mariage ; d’autres accompagnaient les jeunes mariés au cours des cinq premières années de leur mariage. Les familles « sont appelées à poser leur marque dans la société, trouvant d’autres expressions de fécondité qui prolongent en quelque sorte l’amour qui les soutient. »

Un résumé de tout cela se trouve dans le Document final du Synode des Évêques sur le Famille: « La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’Évangile et l’héritage de multiples formes de témoignage : solidarité avec les pauvres, ouverture à la diversité des personnes, soin de la création, solidarité morale et matérielle avec les autres familles, en particulier les plus nécessiteuses, engagement pour la promotion du bien commun à travers la transformation de structures sociales injustes, à partir du territoire dans lequel il vit, en pratiquant des œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. »

Une nouvelle vision de l’Église

… Le virus ne connaît pas de barrières. Si des égoïsmes individuels et nationaux sont apparus, il est vrai qu’il est clair aujourd’hui que sur terre nous vivons une fraternité humaine fondamentale. Cette pandémie doit nous conduire à une nouvelle compréhension de la société contemporaine et nous permettre de discerner une nouvelle vision de l’Église. On dit que l’histoire est un professeur qui souvent n’a pas d’élèves !

Précisément à cause de notre égoïsme et de notre individualisme, nous avons une mémoire sélective. Non seulement nous effaçons de notre mémoire les difficultés que nous causons, mais nous sommes également capables d’oublier nos voisins. Par exemple, dans cette pandémie, les considérations économiques et financières ont souvent pris le pas sur le bien commun. Dans nos pays occidentaux, bien que nous soyons fiers de vivre en régime démocratique, en pratique tout est conduit par ceux qui possèdent le pouvoir politique ou économique. Au lieu de cela, nous devons redécouvrir la fraternité.

Si l’on assume la responsabilité liée au Synode des Évêques, je pense que synodalité et fraternité sont deux termes qui s’appellent mutuellement. Dans quel sens ? La synodalité est-elle également proposée à la société civile ?

Une caractéristique essentielle du processus synodal dans l’Église est le dialogue fraternel. Dans son discours au début du Synode sur les jeunes, le Pape François a déclaré : « Le Synode doit être un exercice de dialogue avant tout entre ceux d’entre vous qui y participent. » Et le premier fruit de ce dialogue est que chacun s’ouvre à la nouveauté, au changement d’opinion, à se réjouir de ce que disent les autres. »

Par ailleurs, au début de l’Assemblée spéciale du Synode pour l’Amazonie, le Saint-Père a fait référence à la « fraternité mystique » et a souligné l’importance d’une atmosphère fraternelle parmi les pères synodaux, « en gardant la fraternité qui doit exister ici » et non la confrontation. À une époque comme la nôtre, où l’on assiste à des revendications excessives de souveraineté des États et à un retour d’une approche de classes, les sujets sociaux pourraient réévaluer cette approche « synodale », ce qui faciliterait une voie de rapprochement et une vision coopérative.

Comme le soutient Christoph Theobald, ce « dialogue fraternel » peut ouvrir une voie pour surmonter la « lutte entre intérêts compétitifs » : « Seul un sentiment réel et quasi-physique de « fraternité » peut permettre de surmonter la lutte sociale et de donner accès à une compréhension et une cohésion, certes fragiles et temporaires. L’autorité se transforme ici en « autorité de fraternité » ; une transformation qui suppose une autorité fraternelle, capable de susciter, par interaction, le sentiment évangélique de fraternité – ou “ l’esprit de fraternité ”, selon le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme – alors que les tempêtes de l’histoire risquent de le balayer. »

Dans ce cadre social, les paroles clairvoyantes du Saint-Père résonnent fortement lorsqu’il a dit qu’une Église synodale est comme une bannière levée parmi les nations qui appelle à la participation, à la solidarité et à la transparence dans l’administration des affaires publiques, quand le monde au contraire place souvent le sort de tant de gens entre les mains avides de groupes au pouvoir étroit.

Dans le cadre d’une Église synodale qui « marche ensemble » avec les hommes et les femmes et participe aux travaux de l’histoire, nous devons cultiver le rêve de redécouvrir la dignité inviolable des peuples et la fonction de service de l’autorité. Cela nous aidera à vivre d’une manière plus fraternelle et à construire un monde pour ceux qui viendront après nous, qui soit plus beau et plus digne de l’humanité. »

NOTE : à méditer et à discuter entre baptisés.

Pape François – Angélus de ce 3 Janvier 2021

Chers frères et sœurs,

Je vous renouvelle à tous mes vœux pour l’année tout juste commencée. Comme chrétiens, nous avons horreur de la mentalité fataliste ou magique. Nous savons que les choses iront mieux dans la mesure où, avec l’aide de Dieu, nous travaillerons ensemble pour le bien commun, mettant au centre les plus faibles et les plus défavorisés.

Nous ne savons pas ce que nous réservera 2021. Mais chacun de nous, et tous ensemble, nous pouvons nous engager un peu plus à prendre soin les uns des autres et de la création, notre maison commune.

Il est vrai qu’existe la tentation de ne s’occuper que de ses propres intérêts, de continuer à faire la guerre, par exemple, de se concentrer seulement sur le domaine économique, de vivre de façon hédoniste, c’est-à-dire en cherchant seulement à satisfaire son plaisir. Cette tentation existe. J’ai lu sur le journal quelque chose qui m’a attristé : dans un pays, je ne me souviens plus lequel, pour fuir le confinement, et faire de belles vacances, plus de 40 avions ont décollé en un après-midi. Mais ces gens, qui sont bons, n’ont pas pensé à ceux qui restaient chez eux, aux problèmes économiques des nombreuses personnes que le confinement a mis à terre, aux malades : seulement avoir des vacances, suivre son plaisir. Cela m’a beaucoup peiné.

J’adresse un salut particulier à tous ceux qui commencent la nouvelle année avec de grandes difficultés, aux malades, aux chômeurs, à tous ceux qui vivent des situations d’oppression ou d’exploitation. Et je désire saluer avec affection toutes les familles, spécialement celles où il y a de petits enfants ou celles qui attendent une naissance. Une naissance est toujours une promesse d’espérance. Je suis proche de ces familles : que le Seigneur vous bénisse !

Je souhaite à tous un bon dimanche, en pensant toujours à Jésus qui s’est fait chair pour habiter avec nous, dans les bonnes choses et dans les mauvaises, toujours.

S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Bon appétit et au-revoir !