Toussaint – Année A – 1er novembre 2020 – Évangile de Matthieu 6, 1-12

Évangile de Matthieu 6, 1-12

Je crois à la Communion des Saints

La fête de la Toussaint étant un jour férié, il était inévitable qu’elle soit bousculée par la célébration du lendemain et devienne en fait « Commémoration des défunts ». Ainsi le mot qui chante la victoire de la vie est devenu jour de la mort. Au lieu de nous entraîner vers l’avenir et le ciel, il nous retourne vers le passé. Il nous offrait un but de vie et nous promettait la joie : il nous enlise dans la tristesse et les regrets.

Nos ancêtres des premières générations chrétiennes étaient déchirés eux aussi par la disparition de leurs êtres chers ; comme nous, ils souffraient, ils pleuraient. Mais ils ne se livraient plus aux grandes lamentations pathétiques des païens, ils célébraient l’Eucharistie en vêtements blancs et leurs sanglots ne couvraient pas le chant des Alléluias. C’est bien plus tard que s’imposèrent les lugubres tentures noires. Et si le « Dies Irae » puis le fameux Adagio d’Albinoni sont des chefs d’œuvre musicaux, on y perçoit trop peu la petite voix de l’espérance.

C’était une si belle trouvaille cependant d’allumer le phare de la Toussaint pour éclairer la fin de l’année liturgique. Alors que la grisaille et le froid s’installent, après avoir accordé à chaque grand Saint un jour de fête, l’Église nous affirmait que la sainteté n’est pas un héroïsme réservé à quelques géants de la foi, qu’il n’est pas requis d’accomplir des miracles, de faire des expériences de haute mystique, de fuir dans un ermitage, de créer des Œuvres humanitaires, de partir en mission lointaine.

Certes il y a les premiers apôtres comme Pierre et Paul, les martyrs comme Blandine et Paul Miki, les héros de la charité comme Vincent de Paul ou Camille de Lellis, les incomparables comme François d’Assise. Mais n’oublions pas de contempler la magnifique vision de Jean : « Cette foule immense que nul ne peut dénombrer, des gens de toutes les nations. Ils se tiennent debout devant le trône de Dieu et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main » (Apo 7, 9).

Nous ne les reconnaissons plus parce qu’ils sont transfigurés par la Lumière de gloire, mais il y a là des gosses qui descendaient au fond de la mine et mouraient de silicose, des petites caissières de supermarchés que nous dévisagions à peine, des grands-mères oubliées dans leur maison de repos, des instituteurs qui se dévouaient à faire des hommes, des indiens perdus dans la forêt amazonienne. Mais aussi des rois et des grands de ce monde. Des bons pratiquants catholiques et des mécréants. Des bonnes Sœurs et des anciennes prostituées.

Tous sont différents, tous ont des parcours lisses ou cabossés, tous avaient des défauts, commettaient des péchés. Ils ne se sont pas perfectionnés mais se sont lavés et purifiés par le sang de l’Agneau (Apo 7, 14).

La Communion des Saints

Mais il faut ajouter une autre merveille. Ces saints arrivés au terme de la route n’ont pas grimpé à un étage supérieur de la vie qui les séparerait de nous qui nous traînons encore dans la boue de la terre. Eux et nous, nous restons liés, ensemble car nous vivons de la même vie, nous constituons le Corps du Christ et nous en sommes tous des membres.

« Je crois à la communion des saints » : nous récitons notre credo machinalement sans trop savoir ce que ces vieux mots signifient et qui devraient nous transporter de joie. L’espace nous sépare, la mort dissout notre corps mais elle ne peut briser la communion. Au ciel ou sur terre, la sainteté est la même et la mort ne peut couper la communication de l’amour. Quand un chrétien terrestre meurt, l’effectif de l’Église ne diminue pas. C’est toujours la bévue monumentale des dictateurs qui persécutent les chrétiens et essaient d’en tuer le plus possible : Staline, Hitler, Mao ont multiplié les saints et ce sont les cris et les larmes de nos pauvres frères et sœurs assassinés qui ont fait crouler leurs régimes.

Comment être saint : le chemin des Béatitudes

La sainteté n’est pas un titre d’honneur mérité par ceux qui ont réussi leur examen de morale et elle n’est en tout cas jamais une fuite de ce monde d’ici-bas. La vie d’un ermite n’a de sens que s’il la mène au service de l’humanité.

Elle n’est pas non plus une offre facultative pour les âmes d’élite mais un ordre même de Dieu : « Soyez saints comme moi je suis saint, dit le Seigneur » (Lév 19, 2). Elle est au fond l’accomplissement normal de la vie car elle est, avec bien des échecs et des ratés, la victoire de l’amour.

Pour Matthieu, en ouvrant sa mission, Jésus a promulgué son discours programme que l’on a coutume d’appeler «le sermon sur la montagne ». Il s’ouvre par un magnifique portail d’où rayonnent huit sentiers, huit invitations à s’engager à vivre d’une certaine manière. Langage séculier loin de toute « religion ». Non d’abord promesses d’un au-delà consolateur mais appel à agir immédiatement en plein monde.

Ainsi les 8 Béatitudes ouvrent la voie de la sainteté. Pour être bref, on peut les méditer par couples.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

Le fondement absolument nécessaire : l’humilité, le refus de tout orgueil. Notre tour de Babel doit s’écrouler. Se savoir fils de Dieu nous guérit de l’envie de nous grandir. Cette pauvreté radicale entraîne la douceur qui n’est pas, dans la Bible, absence de colère mais limite des possessions, frein aux envies, sobriété (Psaume 39)

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Il ne s’agit pas du deuil ordinaire mais de l’immense tristesse devant le délabrement du monde, le malheur épouvantable des hommes. Non plainte inutile ni résignation païenne mais immense désir d’un monde rétabli, d’une humanité remise à sa « juste » place et certitude que ce projet de Dieu se réalisera.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Découverte de la vérité de l’amour qui condamne le mal mais qui comprend la faiblesse et qui pardonne 70 fois 7 fois, qui accueille le prodigue, qui ne passe pas outre lorsqu’une misère appelle. L’amour service, débarrassé des scories de l’égoïsme, est unifié : il devient pur au point d’être sûr que Dieu est là où tant d’autres le nient.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Si l’on vous insulte, si l’on vous persécute à cause de moi, réjouissez-vous, C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

La paix n’est pas une utopie, ni l’absence de guerre, ni un traité fragile et vite bafoué, ni une fatalité, ni un accord entre États. Elle est un artisanat compliqué toujours à reprendre. Un travail en chacun de nous, abîmé par l’aigreur et le ressentiment. Il commence dès les premiers jours de la fraternité, se prolonge dans la vie des amoureux. La paix semble une oeuvre tellement inaccessible que l’on appelle les pacifiques « enfants de Dieu ».

En effet, ceux et celles qui s’engagent pour la paix, le pardon, la justice, la pauvreté seront mal vus, traités de lâches ou d’imbéciles, persécutéss. On fera toujours la guerre contre ceux qui veulent faire la paix. Parce que l’on ne veut pas d’un monde de partage et de dialogue, sans privilèges et sans rivalités. L’artisan doit accepter que la paix vienne à son détriment et qu’il en paye le prix.

La sainteté dérange non parce qu’elle embourbe dans le vieux monde religieux et arrête le progrès mais parce qu’elle anticipe le vrai monde à venir. Après avoir proclamé les Béatitudes, Jésus ajoute : « Vous êtes le sel de la terre…Vous êtes la lumière du monde. On n’allume pas une lampe pour la dissimuler ; une ville éclairée ne peut être cachée… ».

C’est dire combien la foi évangélique n’est pas une fuite à l’écart du monde ni un beau texte à encadrer.

« J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire.
Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté « de la porte d’à côté », de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, « la classe moyenne de la sainteté ». (Pape François – « Soyez dans la joie – Appel à la sainteté – § 9)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

«Le Seigneur m’a appelé à aimer celui qui m’a crevé les yeux»

Fouad Hassoun est miraculeusement rescapé d’un attentat qui a tué vingt personnes et blessé cent autres dans un quartier chrétien de Beyrouth, le 21 janvier 1986. Près de 34 ans après, il raconte dans un livre son incroyable cheminement : « Le pardon m’a guidé vers cette folie de l’amour », témoigne-t-il à Aleteia.

Il s’en souvient comme si c’était hier. « Je croyais que j’étais en train de mourir, et j’ai crié : “Ya Aadra ! Ya Aadra !”, ce qui veut dire : Oh, Sainte Vierge, je ne veux pas mourir ! ». Nous sommes le 21 janvier 1986, à Beyrouth, la capitale du Liban. Fouad Hassoun a 17 ans et il termine son petit-déjeuner dans l’appartement de sa grand-mère, où il est installé pour ses études. Brillant étudiant en médecine, il se rêve ophtalmologue et s’apprête à partir pour l’université. Quelques secondes plus tard, depuis sa fenêtre, Fouad Hassoun est heurté de plein fouet par une violente déflagration. Au milieu de la rue, un terroriste vient de faire exploser une voiture piégée. Vingt personnes sont tuées et cent autres blessées. Dans ses derniers souvenirs, Fouad se rappelle avoir invoqué la Sainte Vierge, qu’il avait l’habitude de prier régulièrement, comme ses parents – chrétiens maronites-, le lui avaient enseigné.

Pris pour mort, il est envoyé à la morgue

Totalement aveugle, ne pouvant plus bouger aucun membre, Fouad Hassoun est pris pour mort et envoyé à la morgue. Mais son cousin, qui vient de traverser tous les hôpitaux de Beyrouth pour le retrouver, détecte un mouvement et parvient à convaincre les médecins de l’opérer.

« Lorsque je me suis réveillé sur mon lit d’hôpital, je ne voyais plus rien. J’étais entouré de tous mes proches qui se lamentaient sur mon sort », raconte-t-il à Aleteia. « Miraculé », Fouad a encore l’espoir de recouvrer la vue. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il comprend qu’il ne verra plus jamais. « Un énorme sentiment de colère et de haine est monté en moi. Une grosse bombe venait d’exploser à nouveau. Je voulais me venger et tuer celui qui avait posé la bombe ».

J’en t’en prie, libère-moi maintenant (…) C’est trop lourd. J’ai envie d’être heureux.

Catholique pratiquant, Fouad Hassoun s’installe en France où il rencontre Laëtitia, sa future femme et mère de ses quatre enfants. Il entame un long parcours de guérison intérieure. « Une fois de plus, c’est Marie qui a volé à mon secours et fait tomber les écailles de mes yeux », raconte-t-il dans son livre. Un soir, alors qu’il apprend que l’homme qui avait posé la bombe au pied de son immeuble vient d’être arrêté, un passage de l’Évangile selon saint Jean lui revient en boucle : « M’aimes-tu ? ».  « Oui Seigneur, oui je t’aime. J’en t’en prie, libère-moi maintenant (…) C’est trop lourd. J’ai envie d’être heureux », répond Fouad.

Le déclic lors d’une retraite dans une abbaye

Il franchit un pas décisif en 1988, au cours d’une retraite à l’abbaye de Notre-Dame-des-Neiges, dans un village typique niché au cœur de l’Ardèche. « Au bout d’intenses supplications, j’ai senti monter en moi ce “oui, je veux pardonner”. Ce chemin-là s’est ouvert à moi, comme un énorme déclic. Jour après jour, j’ai vu ce pardon grandir en moi », raconte Fouad. Il ajoute : « Le conflit ne faisait plus partie de ma vie, et je commençais à construire une vie paisible ».

Touché par la grâce, Fouad Hassoun témoigne que le pardon ne l’a plus jamais quitté. Mieux, il l’a guidé « vers cette folie de l’amour » : « Le Seigneur m’a appelé à plus grand, aimer celui qui m’a fait le plus de mal et qui m’a crevé les yeux ».

Site Aleteia 11 octobre 2020

éd. Mame

30ème Dimanche – Année A – 25 octobre 2020 – Évangile de Matthieu 22, 34-40

Évangile de Matthieu 22, 34-40

Aimés pour Aimer

L’effervescence grandit dans Jérusalem envahie par des dizaines de milliers de pèlerins tout joyeux de se préparer à la Pâque, grande fête de la libération. Sur l’esplanade du temple, ils peuvent remarquer un homme simple qui parle sans falbalas, qui raconte des petites histoires où il tente de dire comment vient le Royaume de Dieu. Beaucoup le voient comme un rêveur, certains se demandent s’il serait le messie. Mais les autorités religieuses – qu’il ose critiquer – cherchent à le décrédibiliser . 4 scènes de débats se succèdent : voici la 3ème. Des Pharisiens tiennent un conciliabule et délègue un des leurs, un légiste, un spécialiste des lois, pour lui poser une question débattue dans leur milieu.

Un Pharisien, docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »

Le cœur de la foi d’Israël bat dans la Torah, le livre des saintes Écritures qui rapporte toutes les volontés de Dieu. Les rouleaux sont lus et vénérés dans le temple et les synagogues. La fonction des docteurs de la loi revêt une importance capitale car ils ont mission d’étudier les textes en permanence pour en découvrir tous les sens, les expliquer au peuple afin que la connaissance conduise à une obéissance parfaite. On peut y découvrir des centaines de prescriptions (plus tard, au Moyen-Âge, le grand docteur Maïmonide en dénombrera 613). Mais dans cet amas de lois, il doit y avoir un ordre, on doit pouvoir distinguer ce qui est le plus important. Quel est donc le principe essentiel ?: la question était débattue dans les écoles des scribes et des légistes et c’est celle que le docteur pharisien vient poser à Jésus.

Le Primat de l’Amour

Jésus lui répond : «  Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout esprit ». Voilà le grand, le premier commandement.

Sans hésiter Jésus pointe tout de suite le verset du Deutéronome que tout Juif – aujourd’hui encore – doit prononcer dans sa prière matin et soir, la profession de foi fondamentale :
« Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc …. »(Deutér. 6, 4).

Qui donc est Dieu ? On peut adorer une Puissance transcendance, on a peur d’un juge implacable mais on peut aimer le vrai Dieu au nom ineffable de YHWH qui s’est révélé à Israël comme le Dieu « lent à la colère et plein de tendresse et de miséricorde ». Il a libéré les esclaves hébreux en Égypte, parlé à Moïse, fait alliance avec ce petit peuple, lui a révélé le véritable code de conduite de l’humanité, l’a conduit avec sollicitude et donné une terre. Donc l’amour premier est celui de ce Dieu. Il faut d’abord écouter sa Parole dans l’Écriture pour perdre les fausses idées que nous nous forgeons et le découvrir, seul Dieu authentique.

Ce Dieu UN nous aime absolument donc notre amour-réponse ne peut être que total. La vie a alors un sens : se diriger vers celui qui, le premier et sans mérite de notre part, nous a manifesté en acte son amour. On ne peut cantonner la foi dans quelques pauses pieuses, des rites religieux, une croyance vague et cachée. Dans la Bible, « cœur » ne désigne pas l’affectivité, l’émotion passagère mais le tout de la personne, le centre d’où il dirige sa vie et prend ses décisions. L’âme, c’est l’élan vital. L’esprit : l’activité raisonnable, la façon de réfléchir.
La foi est écoute qui éveille l’amour qui se traduit en actes. Notre malheur est dans notre éparpillement, nos déchirures en désirs opposés. L’amour de Dieu nous unifie. L’ordre ne nous écrase pas : il met « de l’ordre » dans notre existence.

Tel est bien le grand commandement  mais il dérive immédiatement sur un second commandement dont il est inséparable.

Amour de Dieu et amour de l’autre.

Et voici le second qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Tout de suite Jésus ajoute une autre citation qu’il va chercher dans le livre du Lévitique (19, 14). Le commandement de l’amour pour Dieu est bien « le grand, le premier » mais il enchaîne tout de suite sur l’amour du prochain. Un amour très pratique : ne pas moissonner l’entièreté de son champ mais laisser une part pour le pauvre et l’émigré ; ne pas exploiter le prochain et ne pas le voler ; rendre des jugements justes sans favoriser le grand ; n’avoir aucune pensée de haine contre son prochain. On ajoute le même ordre à l’égard de l’émigré qui est venu s’installer dans le pays : « Tu aimeras l’émigré comme toi-même car vous-mêmes avez été émigrés en Égypte » (19, 34).

On remarque que ces actions sont « sociales » afin d’accomplir les exigences de droit et de justice que les prophètes ont toujours exigées. Et on se rappelle l’entrée fracassante de Jésus lorsqu’il voulut purifier le temple : le culte y était parfaitement célébré mais ne provoquait pas la conversion des participants. L’amour pour Dieu ne se roucoule pas dans le chant mais travaille dans le champ de la vie.

Et comme notre grande tentation est d’en rester à de bonnes intentions, de caresser des pensées pieuses ou de fabuler sur des projets que nous ne réaliserons jamais, il nous faut sans cesse entendre l’appel aux actes. Ainsi tout au long de son évangile, Matthieu insiste toujours sur la nécessité du « faire » : «Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur » : il faut faire la volonté de mon Père » (7, 21) 

Tout est suspendu à l’amour

Tout ce qu’il y a dans l’Écriture (la Loi et les Prophètes) dépend de ces deux commandements ».

Ces deux commandements ne sont pas seulement en tête de la liste des prescriptions que l’on peut dénombrer dans la Bible : ils sont comme le double crochet auquel toute la Révélation est suspendue. Construire des édifices sacrés, y célébrer un culte fastueux, prêcher, écrire des commentaires bibliques, organiser des œuvres sociales, partir en mission, organiser des pèlerinages, décorer sa demeure d’insignes religieux… : tout doit être voulu et réalisé par amour de Dieu et pour que le prochain, surtout le pauvre, soit aimé.

Matthieu termine la scène sur cette déclaration : Marc et Luc ajouteront que le scribe était tout à fait d’accord avec cette réponse de Jésus. Ainsi tous les essais de prendre Jésus au piège échouent : sur le plan de la Loi, les adversaires n’ont rien à lui reprocher et Matthieu notera : « Depuis ce jour-là, nul n’osa plus l’interroger » (22, 46). Et cependant deux jours plus tard, le complot va réussir : à la veille de la Pâque, Jésus sera arrêté, condamné et exécuté sur une croix.

Quand l’amour de Dieu et l’amour des hommes « se croisent », le cœur transpercé devient source de vie pour les autres.

La Nouvelle Alliance

Après sa résurrection et le don de l’Esprit de Dieu, toute l’histoire va s’éclairer et l’Amour éclate dans son sens plénier. Jésus devient « la Bonne Nouvelle », l’Évangile, la source de la joie.

En conscience Jésus a donné sa vie pour nous libérer du pire esclavage : celui du péché qui ravage tout homme et cherche à le tuer. Nous ne sommes pas sauvés par des sacrifices d’animaux mais par celui de l’Agneau de Dieu.

Par le don de l’Esprit, nous sommes transfigurés : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes » (1 Jean 3, 1)

Tout croyant, avec sa médiocrité, sa petitesse, ses tendances au mal, peut s’aimer lui-même : « Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal 2, 20).

Les croyants ne sont plus un peuple singulier enfermé dans ses frontières mais un peuple universel : « Par la foi, vous êtes fils de Dieu en jésus Christ. Il n’y a plus juif et Grec, esclave et homme libre, homme et femme. Tous vous êtes un en Jésus Christ » (Gal 3, 26)

L’amour reçu du Père se diffracte en amour mutuel : « Désormais nous connaissons l’amour : Jésus a donné sa vie pour nous : donc nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jean 3, 16).

Une Loi : l’amour. « Je vus donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez, vous aussi, vous aimer les uns les autres ». (Jean 13, 34)

Et qui est le prochain à aimer ? Le Samaritain a donné la réponse définitive : se faire soi-même proche et secourable pour celui qui est tombé, qui a mal, qui souffre, qui est seul.

Et tout à la fin du temps de la Révélation, Jean osera écrire ce qui n’avait jamais été écrit par personne sur la terre : « Dieu est Amour : qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu » (1 Jean 4, 3)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

« Tous Frères » du pape François

Un texte à lire et à mettre en pratique pour l’archevêque anglican de Canterbury

L’archevêque de Canterbury et primat de la Communion anglicane Justin Welby commente la dernière encyclique du Pape François “Fratelli tutti”, soulignant la richesse du texte et l’esprit d’ouverture manifestée par le Saint-Père, «dans une optique profondément chrétienne et inspirante».

Une vision «claire, passionnante et ambitieuse du rôle de l’amitié et de la solidarité humaines comme base d’un meilleur ordre mondial futur»: c’est en des termes enthousiastes que Justin Welby décrit l’encyclique Fratelli tutti.

Une voix modérée et ancrée dans le Christ

Le primat anglican insiste sur l’équilibre qui se dégage du texte du Pape François, lequel «entrelace les thèmes de l’individuel et du social, et souligne leur nécessaire interdépendance, rejetant les extrêmes de l’individualisme et du collectivisme social comme étant contraires à la véritable dignité et aux droits de tous les êtres humains». «Sa voix est une voix véritablement et clairement chrétienne, d’une radicale modération, qui n’est ni captée par l’individualisme de la culture ni prisonnière des rêves du collectivisme social. …..À ses yeux, le Saint-Père «expose une vision de relations humaines, sociétales et internationales qui soient saines, fondées sur le souci de l’autre, l’écoute, le partage et l’ouverture aux idées et expériences nouvelles (…)». Il s’agit là d’une vision «ancrée dans une christologie profonde».

Croyants et non-croyants peuvent y souscrire

Le primat souligne aussi l’espérance que transmet le Pape dans ce document «à la fois réfléchi et joyeux», abordant une multiplicité de thèmes d’actualité, et qui «offre des moyens de forger un monde meilleur».

«Il s’agit d’un document véritablement œcuménique», rappelle-t-il. La dimension interreligieuse qui est abordée montre par ailleurs que l’argumentation du Saint-Père, «bien qu’enracinée dans la foi chrétienne, est de force universelle». «Bien qu’il écrive dans une optique profondément chrétienne et inspirante, le Pape François expose explicitement une vision à laquelle les non-croyants peuvent souscrire», continue le Primat anglican, avant d’avertir: «il faudrait être extraordinairement étroit d’esprit pour ne pas prêter attention à son appel à l’action pour des raisons purement sectaires ou similaires».

Un document à mettre en pratique

L’archevêque de Westminster, qui a déjà préfacé un livre de François, estime enfin que «ce remarquable Pape a rendu un autre service au monde en rassemblant dans un seul texte une telle richesse de connaissances sur certains des problèmes les plus urgents de notre époque». «C’est un volume qui mérite d’être lu et relu. J’espère sincèrement qu’il sera non seulement lu, mais qu’il sera mis en pratique par les dirigeants du monde entier», conclut-il.

Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican.
Paru dans Cathobel, le 19 octobre 2020.

« Tous Frères » : Lettre du pape François
Ed. Fidélité – 4, 50 euros

« Le fanatisme est la marque d’une absence de Dieu »

par Adrien Candiard, dominicain

Alors que la France a été secouée par le meurtre brutal de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, par un terroriste, frère Adrien Candiard, dominicain et membre de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, a publié au début du mois un essai sur le fanatisme. Un thème hélas on ne peut plus d’actualité.

Aleteia : De quoi le fanatisme est-il le fruit ?

Adrien Candiard : Quand j’ai commencé à travailler le sujet, je croyais, comme tout le monde il me semble, que le fanatisme venait d’une forme d’excès de religiosité. À présent, il m’apparaît que le fanatisme est au contraire la marque d’une absence de Dieu. Cela peut surprendre ! Mais le fanatique religieux est quelqu’un qui, tout en parlant de Dieu à tout bout de champ, l’a en réalité remplacé par un objet plus accessible, qu’il peut posséder, alors que Dieu est toujours plus grand que nos prises de contrôle et nos manipulations. Ce qui peut remplacer Dieu, c’est souvent des objets proches de Dieu : ses commandements, sa révélation, la liturgie, etc. Tous ces objets sont très bons en eux-mêmes, tant qu’ils restent ce qu’ils sont : des chemins vers Dieu. Quand on les prend comme une fin en soi, quand on les traite comme des absolus, alors que Dieu seul est absolu, on bascule dans l’idolâtrie.

Comment le fanatisme contemporain s’exprime-t-il par rapport au fanatisme des siècles précédents ? En quoi diffèrent-ils ?

Si le fanatisme est d’abord une tentation présente dans le cœur de l’homme, il y a une certaine permanence au fil des siècles. L’époque change les moyens de diffusion et les modes d’action, ce qui n’est pas rien, mais sur le fond, rien n’a changé depuis que les Hébreux, dans le désert, inquiets de ne pas voir Moïse redescendre du Sinaï, ont préféré adorer un veau d’or plutôt que l’étrange Dieu invisible qui les avait fait sortir d’Égypte.

Comment différencier les fanatismes ? Un fanatique chrétien est-il très différent d’un fanatique musulman ? 

Les fanatismes ont une base commune : ils affirment tous que Dieu n’est pas connaissable en lui-même, et ils le remplacent par autre chose. Mais ils vont se distinguer par ce qui devient l’objet de leur idolâtrie. Cela amène des formes de fanatisme très différentes : celui qui fera des versets bibliques un absolu définitif, au point de refuser qu’on enseigne à l’école la théorie de l’évolution, est évidemment très différent d’un taliban qui prépare un attentat-suicide !

Comment le fanatisme peut-il malgré tout nous dire quelque chose de Dieu ?     

Paradoxalement, le fanatisme nous dit quelque chose d’essentiel : il y a dans le cœur de l’homme une place très particulière pour Dieu. Quand cette place est occupée par quelque chose d’autre, que ce soit religieux (la Bible, le « vrai catholicisme », l’imitation du Prophète…) ou séculier (la race, la classe, le progrès, l’histoire, la nation…), alors cela tourne à la catastrophe.

Quels sont les risques du fanatisme ?

Au-delà des risques évidents, quand le fanatisme engendre une violence physique (ce qui n’est pas toujours le cas !), j’aimerais souligner combien le fanatisme est, pour celui qui le vit, une prison. Les idoles ne nous libèrent jamais. Elles créent de l’obsession, du scrupule, de la peur. Rien de surprenant à cela : elles sont limitées, et nous voulons les prendre pour un absolu.

N’y a-t-il pas une forme de fanatisme au fond de chacun ? Comment la combattre ? 

La tentation idolâtre, qui fait naître le fanatisme, nous concerne tous. Ce n’est pas pour rien que le premier des Dix commandements nous met en garde à son sujet ! La vie spirituelle n’est rien d’autre qu’une patiente destruction de nos idoles intérieures, sous la conduite de l’Esprit saint : prier, laisser Dieu être Dieu en nous, c’est donc progressivement désarmer en nous les tentations du fanatisme.

Propos recueillis par Domitille Farret d’Astiès, le 03/10/20.

Du fanatisme : quand la religion est malade, par Adrien Candiard, Editions du Cerf, octobre 2020, 10 euros. 

29ème Dimanche – Année A – 18 octobre 2020 – Évangile de Matthieu 22, 15-21

Évangile de Matthieu 22, 15-21

Faut-il payer ses impôts ?

Par les deux grandes paraboles de la vigne et du banquet de noces, Jésus a dévoilé l’aveuglement et le dessein meurtrier des autorités du temple. Bravant leur hostilité, il revient chaque jour au temple et y enseigne le peuple qui aime l’écouter et se demande s’il n’est pas le Messie tant attendu qui va libérer Israël lors de la fête de Pâque qui approche. Suspense ! Les adversaires poursuivent leurs tentatives de le discréditer et, après les grands prêtres, tous les groupes vont envoyer des délégués pour lui poser des questions pièges.

Matthieu nous rapporte ainsi 4 scènes de débats sur des sujets essentiels: le rapport de l’Église au Pouvoir, la certitude de la résurrection, l’amour au cœur de la Loi divine, le Messie. Ces certitudes animent Jésus à la veille de sa mort et il est prêt à donner sa vie pour elles. Par conséquent, elles doivent aussi éclairer notre vie de foi aujourd’hui. Lire chap. 22, 15 à 46 car la liturgie ne rapportera que deux scènes, la 1ère et la 3ème .

Dieu et César

Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en défaut Jésus en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode.

Les Pharisiens sont des laïcs très pieux persuadés que c’est par l’observance des moindres prescriptions de la tradition et non par la violence qu’Israël trouvera le salut. Les Hérodiens sont des partisans du roi Hérode Antipas, installé roi de Galilée et de Pérée par les Romains. Il avait fait périr Jean-Baptiste qui critiquait son immoralité puis il envisageait même de supprimer Jésus (Luc 13, 31). Il est présent à Jérusalem pour la fête et Pilate lui enverra son prisonnier, Jésus, qui l’embarrasse (Luc 23, 8). Donc cette délégation est pour le payement du tribut à César.

« Maître, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne car tu ne fais pas de différence entre les gens. Donne-nous ton avis : est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »

Belle entrée en matière, pleine de révérence ! Et qui effectivement trace un portrait véridique de Jésus, un artisan de village, sans argent ni diplôme, mais qui jamais ne se laisse impressionner par le rang et les apparences des gens. Uniquement centré sur l’amour de son Père, il n’a peur de personne, ne consent nulle concession pour faire plaisir, ne flatte pas son auditoire pour gagner des disciples. Il converse avec un grand prêtre comme avec une femme prostituée.

Mais ce qui résonne comme un beau compliment de la part de ces hommes cache une intention perverse, un piège. Si Jésus dit oui, il accepte l’occupation romaine donc il ne peut pas être le Messie. S’il répond non, on peut le dénoncer comme un résistant qui prône la révolte contre des occupants haïs.

Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : «  Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre dans l’embarras ? Montrez-moi la pièce de l’impôt ». Ils lui présentent une pièce d’argent. Il leur dit : «  Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? – De l’Empereur César, répondent-ils. Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Jésus n’est pas dupe : ces hommes bien vêtus, au sourire avenant et au langage châtié, sont des hypocrites, c.à.d. ils portent un masque, ils jouent la comédie. Ils semblent demander l’avis de Jésus sur une question mais leur but est de « le mettre dedans » afin de pouvoir le condamner. La réponse de Jésus est une de ses déclarations les plus célèbres, elle est même devenue un adage courant mais sa mise en œuvre n’est guère facile ainsi que le montre l’histoire.

D’abord Jésus reconnaît le devoir de payer l’impôt au pouvoir qui bat monnaie et qui donc dirige le pays et son économie. Or la pièce portait l’effigie de l’Empereur Tibère avec l’inscription de son nom. Les résistants, qu’on appellera bientôt les zélotes, se dressaient violemment contre le versement de ce tribut qui manifestait la soumission d’Israël à une idolâtrie païenne. Leur haine des occupants va tellement s’exacerber que, quelques dizaines d’années plus tard, ils entraîneront tout le peuple dans une révolte violente qui, hélas, finira dans un bain de sang : Jérusalem et son temple tout neuf seront détruits et les victimes innombrables.

Mais la phrase continue : « …et à Dieu ce qui est à Dieu ». S’il faut rendre à César la pièce d’argent qui porte son image, il faut, de manière plus fondamentale, rendre à Dieu ce qui est à son image, c.à.d. l’homme. C’est la première et la plus sublime définition que la Bible donne de nous à sa première page : « Faisons l’homme à notre image selon notre ressemblance » (Gen 1, 26).

César – titre impérial devenu symbole du pouvoir politique – est tenté de prétendre régler tous les problèmes du pays à tous les niveaux et de confiner la religion au domaine privé de la conscience. Que ceux qui le veulent gardent une croyance dans leur cœur, et que le culte se célèbre dans des espaces dits sacrés. L’État dirige, il accordera même des subventions pour les bâtiments religieux mais que l’Église demeure dans les sacristies et travaille à former des citoyens obéissants, dociles aux lois, soumis à l’ordre établi.

Cela est évidemment inacceptable. La révélation évangélique du Dieu Père entraîne la reconstitution, le respect et la défense de tous les êtres humains, « images de Dieu » et donc frères. Donc l’Église ne peut tolérer ni l’absolutisation, la divinisation de César ni l’exploitation et la défiguration de l’image de Dieu en chaque personne.

Au début de l’évangélisation, Paul recommande aux chrétiens l’obéissance aux autorités et le payement de leurs impôts : «  Rendez à chacun ce qui lui est dû : l’impôts, les taxes, la crainte, le respect, à chacun ce que vous lui devez » (Rom 13, 1-7).

Mais au 2ème siècle, lorsque les Empereurs de Rome imposent un culte d’adoration à leur égard, les chrétiens refusent et, du coup, sont pourchassés, condamnés, exécutés. Dans l’Apocalypse, Jean montre les horreurs démoniaques de ce système : « Émerveillée, la terre suivit la Bête … Et il lui fut donné une bouche pour proférer arrogances et blasphèmes. Elle blasphéma contre Dieu…et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre… » (Apo 13).

L’Église respecte le Pouvoir mais elle ne l’encense pas. Elle encourage la politique comme un service du bien commun. Elle dénonce le non payement de l’impôt et la fraude fiscale comme des péchés graves puisqu’ils aggravent le malheur des plus pauvres privés des services sociaux. Elle a le devoir de défendre l’éminente dignité de chaque personne, surtout de ceux qui sont misérables, maltraités, exploités.

Le Pape François et la Nouvelle Encyclique

« Le pape François est-il de gauche ? » : depuis un certain temps, les insinuations perfides et les critiques enflent dans le champ médiatique. Comme il en a toujours été, les pouvoirs tolèrent une Église qui célèbre des cérémonies pieuses et fait miroiter le rêve de l’au-delà – et d’ailleurs c’est ce que certains fidèles demandent : la sacralisation des moments fort de la vie humaine : naissance, puberté, mariage, décès.

Mais lorsqu’elle affirme que, sans nulle recherche du pouvoir, elle est tenue, au nom de l’Évangile, de dénoncer des pratiques inhumaines, de défendre les droits des personnes exploitées, d’appeler au respect de la justice, alors les puissants qui abusent de leurs forces hurlent au cléricalisme.

En 2015, dans sa Lettre « Laudato Si » – qui a eu un retentissement mondial -, François a lancé un cri d’alarme sur le changement climatique et la destruction de la planète qui sont les conséquences en grande partie de pratiques économiques et financières inacceptables car elles reposent sur l’exploitation des misérables.

Ce 3 octobre, en la fête de François d’Assise, le pape a publié une nouvelle lettre : « Tous Frères ». Devant les signes préoccupants d’un « recul de l’histoire » et d’une hégémonie de l’égoïsme, François supplie pour une fraternité universelle, menacée par des comportements cupides. Il écrit par exemple :

« Le marché à lui seul ne résout pas tout, même si l’on veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral….Le néolibéralisme ne fait que se reproduire lui-même en recourant aux notions magiques de « ruissellement » ou de « retombées …Il ne se rend pas compte que le prétendu ruissellement ne résorbe pas l’inégalité, qu’il est source de nouvelles formes de violence…

La spéculation financière , qui poursuit comme objectif principal le gain facile, continue de faire des ravages….La fragilité des systèmes mondiaux face aux pandémies a mis en évidence que tout en se résout pas avec la liberté de marché et que, outre la réhabilitation d’une politique saine qui ne soit pas soumise au diktat des finances, il faut replacer au centre la dignité humaine, et sur ce pilier, doivent être construites les structures sociales alternatives dont nous avons besoin » (§ 168).

Une chaîne américaine aurait publié une photo du pape François sous-titrée : « L’homme le plus dangereux du monde ». Danger pour les mensonges et les villainies matérialistes, oui. Mais pour la vie de tout homme.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Le compte à rebours a commencé : agir tout de suite

Pape François : Homélie du dimanche 11 octobre 2020

« Nous vivons un moment historique marqué par des défis difficiles. Le monde est secoué par la crise provoquée par la pandémie de Covid-19, qui met encore plus en évidence un autre défi mondial: la crise socio-environnementale. Cela nous confronte tous à la nécessité d’un choix entre ce qui compte et ce qui ne compte pas. Le choix entre continuer à ignorer les souffrances des plus pauvres et à maltraiter notre maison commune, la Terre, ou s’engager à tous les niveaux pour transformer notre façon d’agir.

La science nous dit, chaque jour avec plus de précision, qu’il est nécessaire d’agir d’urgence – et je n’exagère pas, la science le dit – si nous voulons avoir une espérance d’éviter des changements climatiques radicaux et catastrophiques. Et pour cela, il faut agir de toute urgence. C’est un fait scientifique.

La conscience nous dit que nous ne pouvons pas être indifférents à la souffrance des plus pauvres, aux inégalités économiques croissantes et aux injustices sociales. Et l’économie elle-même ne peut se limiter à la production et à la distribution. Elle doit nécessairement tenir compte de son impact sur l’environnement et de la dignité de la personne….

Sortir autres de la crise

Je voudrais vous inviter à faire un voyage ensemble. Un voyage de transformation et d’action. Fait pas tant de paroles, mais surtout d’actions concrètes et impossible à remettre à demain.

J’appelle cela un « voyage », car il nécessite un « déplacement », un changement! De cette crise, aucun de nous ne doit sortir pareil et il faudra du temps et des efforts pour en sortir. Il faudra y aller pas à pas, aider les faibles, persuader les sceptiques, imaginer de nouvelles solutions et s’engager à les mettre en œuvre.

Mais l’objectif est clair: construire, au cours de la prochaine décennie, un monde où nous pourrons répondre aux besoins des générations présentes, en incluant tout le monde, sans compromettre les possibilités des générations futures.

Je voudrais inviter tous les croyants, chrétiens ou non, et toutes les personnes de bonne volonté, à entreprendre ce chemin, à partir de sa foi ou, s’il n’a pas la foi, à partir de sa bonne volonté. Chacun de nous, en tant qu’individus et en tant que membres de groupes – familles, communautés de foi, entreprises, associations, institutions – peut apporter une contribution significative.

Il y a cinq ans, j’ai écrit l’encyclique Laudato si’, consacrée au soin de notre maison commune. Elle propose le concept d ‘«écologie intégrale», pour répondre ensemble au cri de la terre mais aussi au cri des pauvres. L’écologie intégrale est une invitation à une vision intégrale de la vie, partant de la conviction que tout dans le monde est connecté et que, comme la pandémie nous l’a rappelé, nous sommes interdépendants les uns des autres, et aussi dépendants de notre terre-mère.

De cette vision découle la nécessité de rechercher d’autres manières de comprendre le progrès et de le mesurer, sans se limiter aux seules dimensions économique, technologique, financière et au produit brut, mais en accordant une importance centrale aux dimensions éthico-sociale et éducative.

Aujourd’hui, je voudrais proposer trois pistes d’action.

La première proposition est donc de promouvoir, à tous les niveaux, une éducation au soin de la maison commune, en développant la compréhension que les problèmes environnementaux sont liés aux besoins humains ; une éducation basée sur des données scientifiques et sur une approche éthique. C’est important: les deux. Je suis encouragé par le fait que de nombreux jeunes ont déjà une nouvelle sensibilité écologique et sociale, et certains d’entre eux se battent généreusement pour la défense de l’environnement et pour la justice.

Comme deuxième proposition, il faut alors mettre l’accent sur l’eau et l’alimentation. L’accès à une eau salubre et potable est un droit humain essentiel et universel. Elle est essentielle, car elle conditionne la survie des personnes et pour cette raison elle est une condition à l’exercice de tous les autres droits et responsabilités. Assurer une nutrition adéquate pour tous grâce à des méthodes agricoles non destructives devrait alors devenir l’objectif fondamental de tout le cycle de production et de distribution alimentaires.

La troisième proposition est celle de la transition énergétique: un remplacement progressif mais immédiat des énergies fossiles par des sources d’énergie propres. Nous avons quelques années, les scientifiques calculent environ moins de trente ans pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette transition doit non seulement être rapide et capable de répondre aux besoins énergétiques présents et futurs, mais doit aussi être attentive aux impacts sur les pauvres, les populations locales et ceux qui travaillent dans les secteurs de la production d’énergie.

Une façon d’encourager ce changement est de conduire les entreprises vers l’urgence de s’engager dans le soin intégral de la maison commune, en excluant des investissements les entreprises qui ne répondent pas aux paramètres de l’écologie intégrale et en récompensant celles qui font un effort concret dans cette phase de transition pour placer des paramètres tels que la durabilité, la justice sociale et la promotion du bien commun au centre de leurs activités. De nombreuses organisations catholiques et d’autres confessions ont déjà pris la responsabilité de travailler dans ce sens.

En fait, la terre doit être travaillée et soignée, cultivée et protégée; nous ne pouvons pas continuer à la presser comme une orange. Et nous pouvons dire que cela – prendre soin de la terre – c’est un droit de l’homme.

Le système économique actuel n’est pas viable

Ces trois propositions doivent être comprises comme faisant partie d’un vaste ensemble d’actions que nous devons mener de manière intégrée pour parvenir à une solution durable des problèmes.

Le système économique actuel n’est pas viable. Nous sommes confrontés à l’impératif moral, et à l’urgence pratique, de repenser beaucoup de choses: comment nous produisons, comment nous consommons, penser à notre culture du déchet, la vision à court terme, l’exploitation des pauvres, l’indifférence à leur égard, les inégalités croissantes et la dépendance vis-à-vis des sources d’énergie nocives. Autant de défis. Nous devons y réfléchir.

L’écologie intégrale suggère une nouvelle conception de la relation entre nous et la nature. Cela conduit à une nouvelle économie, dans laquelle la production de richesse est dirigée vers le bien-être intégral de l’être humain et vers l’amélioration – et non la destruction – de notre maison commune. Cela signifie également une politique renouvelée, conçue comme l’une des formes les plus élevées de la charité. Oui, l’amour est interpersonnel, mais l’amour est aussi politique. Il implique tous les peuples et il implique la nature.

Par conséquent, je vous invite tous à entreprendre ce voyage. Je l’ai donc proposé dans Laudato si’ et aussi dans la nouvelle encyclique Fratelli tutti. Comme le suggère le terme «compte à rebours», nous devons agir de toute urgence.

Chacun de nous peut jouer un rôle précieux si nous nous mettons tous sur la route aujourd’hui. Pas demain, aujourd’hui. Parce que l’avenir se construit aujourd’hui, et se construit non pas seul, mais en communauté et en harmonie. Merci! ».

Pape François : Homélie du dimanche 11 octobre 2020

28ème Dimanche – Année A – 11 octobre 2020 – Évangile de Matthieu 22, 1-14

Évangile de Matthieu 22, 1-14

Les Invités aux Noces du Fils

Avant de terminer sur la proclamation triomphale de « Jésus est Roi, Jésus est Seigneur du monde », l’année liturgique ne consacre pas moins de 8 dimanches à évoquer l’ultime séjour de Jésus à Jérusalem. Pourquoi son attitude et son enseignement ont-ils de plus en plus irrité les hauts responsables religieux jusqu’à les conduire à le condamner ? Comment Jésus a-t-il vécu cet étau qui se refermait inexorablement sur lui ? Comment percevoir cette histoire dont nous sommes aujourd’hui les acteurs ?

Tout s’est passé au Temple. Lieu le plus saint du monde mais que Jésus juge profané. La vente d’animaux n’y a pas place, pas plus que les trafics financiers : on n’y vient pas pour acheter la grâce mais pour la demander dans la prière, en compagnie des pauvres, des handicapés et des enfants. Et Jésus s’installe sur l’esplanade et il parle, il enseigne le peuple. Car on vient d’abord au Temple pour écouter la Parole de Dieu, comprendre comment son Règne, avec Jésus, s’approche et comment le projet de Dieu se réalise.

Évidemment ce comportement et cette prédication sont intolérables pour les Autorités. Chaque jour Jésus est harcelé, criblé de questions mais, à la grande joie du peuple, il contre-attaque. D’abord par trois paraboles polémiques. Dans la première, il accusait ces hiérarques de n’avoir qu’une religion des lèvres. Dans la deuxième, il les décrivait comme des vignerons qui ne font pas produire le fruit que Dieu attend : la justice, la compassion, le droit. En conséquence le Royaume sera confié à d’autres, mais Jésus sera relevé par son Père et deviendra la pierre angulaire du nouveau temple fait de personnes vivantes et qui s’édifiera à travers le monde entier. La 3ème parabole lue aujourd’hui continue l’histoire à travers un autre thème biblique : les noces.

Le Festin des Noces du Fils

Le Royaume de Dieu est comparable à un Roi qui célébrait les noces de son fils.

S’ils ont une vague connaissance de son œuvre, beaucoup de gens considèrent Jésus comme un prophète, un utopiste qui espérait changer le monde, un martyr assassiné par les puissants, un fondateur de religion. Ces opinions peuvent paraître respectueuses mais elles demeurent superficielles.

Les premiers apôtres, par la Résurrection et le don de l’Esprit, ont perçu l’abîme entre les prophètes et Jésus. Les prophètes parlent au nom de Dieu, dénoncent les péchés, appellent au repentir mais ils restent des enseignants – comme les parents, les professeurs et tous ceux qui détiennent de l’autorité : ils rappellent les lois, conseillent, indiquent le bon chemin. Ils n’ont d’autre force que leur conviction et leur sincérité.

Les apôtres avaient d’abord suivi un prophète, un maître mais après Pâques, ils ont fait l’expérience que Jésus les habitait. L’homme de Nazareth était « le Fils » de Dieu. Croire en lui c’est se laisser habiter par Lui. Sa Parole est portée par la puissance de l’Esprit de Dieu et elle change les cœurs. Elle ne parle pas seulement d’amour : elle le donne. On commença à comprendre ce qu’avaient pressenti le prophète Osée et le 2ème Isaïe : la Nouvelle Alliance n’était plus seulement un contrat dont il faut observer les clauses écrites dans la Loi mais elle est une authentique « Alliance conjugale », une union amoureuse. « La pierre d’angle » est l’Époux et la communauté des croyants est comme l’Épouse.

La Mission en Israël

Le Roi envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d’autres serviteurs : « Mon repas est prêt ; mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt ; venez au repas de noces ». Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent l’un à son champ, l’autre à son commerce ; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.

Bouleversés par cette découverte, les premiers disciples ont compris qu’il n’y avait rien de plus important sur la terre que d’annoncer cette Bonne Nouvelle : « Allez : dans toutes les nations faites des disciples, apprenez-leur… ». Le souffle de l’Esprit emporta les disciples pour dire : « Pas de condition préliminaire, pas d’exigence de perfection morale, de culture : crois que tu es aimé ».

L’Église ne cherche pas à recruter des membres, elle ne fait pas de compétition avec les autres religions et les idéologies. Elle annonce la stupéfiante nouvelle : sur la croix, Jésus mourait pour que nous vivions, pour que nous soyons non un organisme religieux mais la communauté pardonnée et unie à son Époux qui s’est donné pour elle. On en arrivera vite à dire : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église et s’est livrée pour elle. Ce mystère concerne le Christ et l’Église » (Eph 5, 25-32).

Mais le drame éclate : les invités refusent l’invitation. Ils seraient fiers d’être invités chez une personnalité puissante ou célèbre, ils consentiraient des dépenses folles pour se montrer « dignes » de cet honneur. Mais lorsqu’on leur offre l’amour gratuit de Dieu, « ils n’en tiennent pas compte ». Ce qui importe, c’est le travail, les affaires et les divertissements. Pire encore les porteurs de l’Évangile paraissent insupportables, dangereux : ils sont dénoncés, traduits au tribunal, emprisonnés et même condamnés. Mais le Maître les avait prévenus : « Vous serez haïs de tous à cause de moi ».

Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville.

En effet lorsque Jérusalem et son Temple furent détruis par les Romains en 70, des milieux chrétiens interprétèrent la catastrophe comme le châtiment de Dieu pour avoir refusé et mis à mort le Messie. Mais il faut faire très attention sur ce point. Ce n’est pas Israël qui a méconnu le Christ mais certains responsables. Et ce sont les résistants juifs qui ont soulevé l’insurrection. Dieu n’envoie pas les guerres ou les épidémies. Mais celui qui sort l’épée, qui préfère Barabbas (la violence) à Jésus (les Béatitudes), périra par l’épée.

La mission est universelle

Le Roi dit à ses serviteurs : « Le repas de noces est prêt mais les invités n’en étaient pas dignes (càd. ils n’ont pas jugé digne d’y répondre). Allez aux carrefours des routes : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noces. Les serviteurs allèrent, rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontraient, les mauvais comme les bons, et la salle de noces fut remplie.

Dans les « Actes », Luc raconte avec allégresse la stupéfiante rapidité d’expansion de l’Évangile qui a bondi hors des frontières d’Israël pour se répandre dans les pays limitrophes jusqu’à Rome, capitale de l’Empire. Cela n’alla pas sans grands débats avec Israël (qu’en allait-il de la circoncision, du sabbat, de la nourriture casher ?…) mais le refus des premiers appelés provoqua la diffusion universelle de la miséricorde de Dieu (Rom 9-11). « O profondeur de la sagesse de Dieu ! Ses projets sont insondables » s’émerveille Paul (Rom 11, 33).

Si grands pécheurs soient les hommes, ils sont donc désormais tous appelés à entrer dans la salle de noces. Mais alors l’Évangile serait-il un blanc-seing sur tout comportement ? Suffirait-il d’avoir un certificat de baptême? La finale de l’histoire rappelle les exigences de la foi authentique

Porter l’habit de noces

Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noces : « Mon ami, comment es-tu entré ici sans avoir le vêtement de noces ? ». L’homme garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : « Jetez-le dehors dans les ténèbres où il y aura pleurs et grincements de dents ».

L’appel au Royaume est gratuit et le péché n’est jamais un obstacle rédhibitoire. Mais il est évident que la grâce entraîne une conversion, si lente et si difficile soit-elle. Paul lui-même, qui a fait l’expérience de la gratuité de l’appel et qui martèle que la foi nouvelle nous libère de la Loi, assure qu’il lutte comme un athlète pour en vivre les conséquences. Dans toutes ses lettres, il multiplie les exhortations à rectifier les comportements concrets. Tu es aimé et pardonné : aime et pardonne. Le Sermon sur la montagne offre le bonheur mais se termine par une très forte insistance à ne pas se contenter d’admirer cet enseignement mais à le mettre en pratique : « Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur » pour entrer dans le Royaume de Dieu : il faut faire la volonté de mon Père » (7, 21). Aussi l’histoire se termine-t-elle par un avertissement qui montre la gravité de la conversion.

Certes la multitude des hommes est appelée mais les élus sont peu nombreux.

Est-ce Matthieu, toujours soucieux du jugement et constatant le laxisme de certains baptisés, qui a ajouté cette finale ? Il ne chanterait certainement pas « Nous irons tous au paradis , mais pas question en tout cas de calculer des pourcentages et de tomber dans les scrupules et l’angoisse. Il s’agit d’une mise en garde sévère qui nous rappelle le sérieux de la foi et nous incite à poursuivre nos efforts. Non pour être aimés (puisque nous le sommes) mais parce que nous le sommes. Et de quelle manière : l’Époux nous a aimés jusqu’à donner sa vie. Comment ne pas tout faire pour partager la joie de cette foi aux foules qui n’ont pas entendu l’appel ou l’ont délaissé ? Mais ne rêvons jamais d’une Église majoritaire et admirée.

L’Eucharistie du dimanche est le signe et la réalisation de ce repas joyeux d’une communauté ravie d’être appelée, d’écouter son Époux lui dire son amour et de partager sa vie. Venez : tout est prêt. L’événement le plus essentiel de l’histoire du monde a eu lieu. N’attendez rien ni personne d’autre.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Le dernier A-Dieu de Michael Lonsdale

Décédé le 21 septembre 2020 à l’âge de 89 ans, le comédien Michael Lonsdale, qui a profondément marqué le cinéma et le théâtre français, n’a jamais cessé de témoigner de sa foi catholique.

« La petite veilleuse qui diminuait ces derniers temps a fini par s’éteindre dans la paix de Dieu, dans la brise légère du matin, dans la douceur du jour, à l’heure de l’Angélus. » C’est par ces mots qu’Anne Facérias, a choisi de partager les derniers instants sur terre de Michael Lonsdale, dont elle était une amie proche et qu’elle a accompagné ces dernières années. « Il est parti en silence sur la pointe des pieds, laissant derrière lui la trace d’un prophète. Sa fin de vie a été une action de grâce ».

Homme de scène et homme du Ciel, Michael Lonsdale s’est éteint le 21 septembre 2020 à l’âge de 89 ans, après avoir reçu les derniers sacrements de la main de Mgr Philippe Barbarin, au soir d’une vie riche. Professionnellement d’abord : il aura tourné au total dans 130 films sur près de 65 ans,

 Et puis il y a eu ce rôle, celui même qui valut un César et a profondément bouleversé des centaines de milliers de spectateurs : celui de frère Luc dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois (2010).

La scène où le vieux moine explique à une jeune musulmane, Rabbia, en confidence, en quoi consiste l’amour restera gravé dans les mémoires. Le réalisateur expliquera par la suite avec émotion auprès du Figaro qu’il s’agissait d’une scène totalement improvisée : « Sans qu’il y réfléchisse, on a tourné cette scène pour laquelle je n’avais rien écrit. Il m’a sorti un truc merveilleux, comme ça, en deux secondes. C’était tellement beau que je n’ai pas fait d’autre prise. »

Ami proche de Michael Lonsdale, l’éditeur et journaliste Michel Cool a raconté l’amitié qui les unissait :« Michael a déversé dans le cœur de ses amis un océan de bonté qu’ils n’ont pas fini de contempler et de méditer… ».

Michael Lonsdale fut aussi – et surtout – « un étonnant et authentique « homme spirituel » qui marchait, jouait, parlait, se taisait sous l’emprise quasi constante de l’Esprit saint », se souvient encore Michel Cool. « Il aimait rappeler qu’il était né le jour de la Pentecôte. Son culte de l’Esprit saint lui fit faire des merveilles parmi les humains de son temps […] Ami de Marguerite Duras et de Thérèse de Lisieux, il demeure un témoin radical et authentique de ce que l’attachement passionné à l’Évangile peut susciter de foncièrement libre et créatif chez un homme dont la vie ne fut pas toujours un long fleuve tranquille ».

A. Pinard Legry – in Aleteia – 30 09 20


Michael Lonsdale :
“L’Esprit saint m’a sauvé la vie”

Dans son livre « Viens, Esprit saint, en nos cœurs », Michael Lonsdale offre une anthologie personnelle de textes consacrés à la troisième personne de la Trinité..

Interview par Alexia Vidot publiée le 05/06/2019 dans La Vie

Comment avez-vous rencontré l’Esprit saint, à qui vous consacrez votre dernier livre ?

Tout d’abord, je suis né un jour de Pentecôte (rires). Mais surtout l’Esprit saint m’a sauvé la vie lorsque j’avais 40 ans. J’avais perdu, en une année, des êtres très chers, dont ma mère et ma tante avec lesquelles je vivais. J’ai alors plongé dans une sorte de désert de tristesse, de désespoir. Le monde s’était écroulé pour moi, je priais, suppliais, hurlais, intérieurement et extérieurement : « Seigneur, sauve-moi, je ne sais pas si je vais continuer à vivre ! »

La réponse du Seigneur a été apportée par mon parrain, par hasard de passage à Paris, qui m’emmena un jour à l’église Saint-François-Xavier où se rassemblait un groupe de prière du Renouveau charismatique. Ces 300 personnes qui chantaient, levaient les mains, priaient en langues, animées d’une foi extraordinaire, m’ont transmis la grâce de l’Esprit saint. Depuis, elle ne m’a plus quitté, ne cessant d’agir en moi, me remplissant d’une joie inouïe au quotidien.

De la Trinité, il est la personne la plus méconnue. Esprit, qui es-tu ?

Pour nous chrétiens, l’Esprit est très important dans l’histoire de l’incarnation du Sauveur….Et il intervient dans nos vies à tous maintenant, en silence et discrètement, mais avec puissance. On a ainsi dit de lui qu’il est un « collaborateur efficace ». À chaque instant il nous « donne la vie », c’est-à-dire la vraie vie, la vie spirituelle, la vie de l’Amour. N’hésitons pas à lui demander des tas de choses ! Je lui demande ainsi de veiller, d’aider, d’être présent dans mes paroles, mes décisions.

Quelle est votre relation à l’Esprit saint aujourd’hui ?

Je le rencontre dans des circonstances multiples : messes, retraites, prières, sessions à la communauté de l’Emmanuel où on le prie beaucoup. Mais aussi dans mon métier, J’aime réciter chaque jour sa prière : « Viens, Esprit saint, par la puissante intercession du cœurs immaculé de Marie, ton épouse bien-aimée. » 

Quels conseils donneriez-vous pour vivre dans l’Esprit saint ?

Les liens avec Lui sont très simples, il ne faut pas s’imaginer de grandes envolées impressionnantes. C’est très confidentiel, très intérieur et très secret. Laissons-le agir, offrons-lui juste toute notre confiance. Il s’agit d’être spontané, libre, sincère dans ses élans, ses confidences, ses prières, ne pas hésiter à lui exprimer ses joies comme ses tristesses. C’est le meilleur de nos amis, il ne nous laissera jamais tomber. Et, de plus, il nous mène vers Dieu et vers le Christ.

Parmi les nombreux textes sur l’Esprit saint que vous avez reproduits dans votre livre, lequel préférez-vous ?

Je les aime tous : les textes de l’Ancien Testament, Isaïe par exemple, ceux du Nouveau, des écrits de saints ou de théologiens, comme Cyrille de Jérusalem, les deux Thérèse ou Maître Eckhart, les apophtegmes des Pères du désert.

Quels fruits pouvons-nous tirer de votre anthologie personnelle ?

Lire ces paroles essentielles, les méditer dans notre cœur nous fait entrer en profondeur dans le mystère de la Trinité, nous met en présence de l’énergie de l’Esprit saint, grâce auquel nous accédons à la lumière et l’Amour de Dieu.

« Ô Roi du ciel, Consolateur, Esprit de vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout, Trésor de biens et Donateur de vie, viens et demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui es bonté ». » Invocation de l’Esprit saint dans la liturgie byzantine.

Viens, Esprit saint, en nos cœurs.
Michael Lonsdale, éditions Philippe Rey, 18€.