Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

30ème Dimanche – Année A – 25 octobre 2020 – Évangile de Matthieu 22, 34-40

Évangile de Matthieu 22, 34-40

Aimés pour Aimer

L’effervescence grandit dans Jérusalem envahie par des dizaines de milliers de pèlerins tout joyeux de se préparer à la Pâque, grande fête de la libération. Sur l’esplanade du temple, ils peuvent remarquer un homme simple qui parle sans falbalas, qui raconte des petites histoires où il tente de dire comment vient le Royaume de Dieu. Beaucoup le voient comme un rêveur, certains se demandent s’il serait le messie. Mais les autorités religieuses – qu’il ose critiquer – cherchent à le décrédibiliser . 4 scènes de débats se succèdent : voici la 3ème. Des Pharisiens tiennent un conciliabule et délègue un des leurs, un légiste, un spécialiste des lois, pour lui poser une question débattue dans leur milieu.

Un Pharisien, docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »

Le cœur de la foi d’Israël bat dans la Torah, le livre des saintes Écritures qui rapporte toutes les volontés de Dieu. Les rouleaux sont lus et vénérés dans le temple et les synagogues. La fonction des docteurs de la loi revêt une importance capitale car ils ont mission d’étudier les textes en permanence pour en découvrir tous les sens, les expliquer au peuple afin que la connaissance conduise à une obéissance parfaite. On peut y découvrir des centaines de prescriptions (plus tard, au Moyen-Âge, le grand docteur Maïmonide en dénombrera 613). Mais dans cet amas de lois, il doit y avoir un ordre, on doit pouvoir distinguer ce qui est le plus important. Quel est donc le principe essentiel ?: la question était débattue dans les écoles des scribes et des légistes et c’est celle que le docteur pharisien vient poser à Jésus.

Le Primat de l’Amour

Jésus lui répond : «  Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout esprit ». Voilà le grand, le premier commandement.

Sans hésiter Jésus pointe tout de suite le verset du Deutéronome que tout Juif – aujourd’hui encore – doit prononcer dans sa prière matin et soir, la profession de foi fondamentale :
« Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est le Seigneur UN. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc …. »(Deutér. 6, 4).

Qui donc est Dieu ? On peut adorer une Puissance transcendance, on a peur d’un juge implacable mais on peut aimer le vrai Dieu au nom ineffable de YHWH qui s’est révélé à Israël comme le Dieu « lent à la colère et plein de tendresse et de miséricorde ». Il a libéré les esclaves hébreux en Égypte, parlé à Moïse, fait alliance avec ce petit peuple, lui a révélé le véritable code de conduite de l’humanité, l’a conduit avec sollicitude et donné une terre. Donc l’amour premier est celui de ce Dieu. Il faut d’abord écouter sa Parole dans l’Écriture pour perdre les fausses idées que nous nous forgeons et le découvrir, seul Dieu authentique.

Ce Dieu UN nous aime absolument donc notre amour-réponse ne peut être que total. La vie a alors un sens : se diriger vers celui qui, le premier et sans mérite de notre part, nous a manifesté en acte son amour. On ne peut cantonner la foi dans quelques pauses pieuses, des rites religieux, une croyance vague et cachée. Dans la Bible, « cœur » ne désigne pas l’affectivité, l’émotion passagère mais le tout de la personne, le centre d’où il dirige sa vie et prend ses décisions. L’âme, c’est l’élan vital. L’esprit : l’activité raisonnable, la façon de réfléchir.
La foi est écoute qui éveille l’amour qui se traduit en actes. Notre malheur est dans notre éparpillement, nos déchirures en désirs opposés. L’amour de Dieu nous unifie. L’ordre ne nous écrase pas : il met « de l’ordre » dans notre existence.

Tel est bien le grand commandement  mais il dérive immédiatement sur un second commandement dont il est inséparable.

Amour de Dieu et amour de l’autre.

Et voici le second qui lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Tout de suite Jésus ajoute une autre citation qu’il va chercher dans le livre du Lévitique (19, 14). Le commandement de l’amour pour Dieu est bien « le grand, le premier » mais il enchaîne tout de suite sur l’amour du prochain. Un amour très pratique : ne pas moissonner l’entièreté de son champ mais laisser une part pour le pauvre et l’émigré ; ne pas exploiter le prochain et ne pas le voler ; rendre des jugements justes sans favoriser le grand ; n’avoir aucune pensée de haine contre son prochain. On ajoute le même ordre à l’égard de l’émigré qui est venu s’installer dans le pays : « Tu aimeras l’émigré comme toi-même car vous-mêmes avez été émigrés en Égypte » (19, 34).

On remarque que ces actions sont « sociales » afin d’accomplir les exigences de droit et de justice que les prophètes ont toujours exigées. Et on se rappelle l’entrée fracassante de Jésus lorsqu’il voulut purifier le temple : le culte y était parfaitement célébré mais ne provoquait pas la conversion des participants. L’amour pour Dieu ne se roucoule pas dans le chant mais travaille dans le champ de la vie.

Et comme notre grande tentation est d’en rester à de bonnes intentions, de caresser des pensées pieuses ou de fabuler sur des projets que nous ne réaliserons jamais, il nous faut sans cesse entendre l’appel aux actes. Ainsi tout au long de son évangile, Matthieu insiste toujours sur la nécessité du « faire » : «Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur » : il faut faire la volonté de mon Père » (7, 21) 

Tout est suspendu à l’amour

Tout ce qu’il y a dans l’Écriture (la Loi et les Prophètes) dépend de ces deux commandements ».

Ces deux commandements ne sont pas seulement en tête de la liste des prescriptions que l’on peut dénombrer dans la Bible : ils sont comme le double crochet auquel toute la Révélation est suspendue. Construire des édifices sacrés, y célébrer un culte fastueux, prêcher, écrire des commentaires bibliques, organiser des œuvres sociales, partir en mission, organiser des pèlerinages, décorer sa demeure d’insignes religieux… : tout doit être voulu et réalisé par amour de Dieu et pour que le prochain, surtout le pauvre, soit aimé.

Matthieu termine la scène sur cette déclaration : Marc et Luc ajouteront que le scribe était tout à fait d’accord avec cette réponse de Jésus. Ainsi tous les essais de prendre Jésus au piège échouent : sur le plan de la Loi, les adversaires n’ont rien à lui reprocher et Matthieu notera : « Depuis ce jour-là, nul n’osa plus l’interroger » (22, 46). Et cependant deux jours plus tard, le complot va réussir : à la veille de la Pâque, Jésus sera arrêté, condamné et exécuté sur une croix.

Quand l’amour de Dieu et l’amour des hommes « se croisent », le cœur transpercé devient source de vie pour les autres.

La Nouvelle Alliance

Après sa résurrection et le don de l’Esprit de Dieu, toute l’histoire va s’éclairer et l’Amour éclate dans son sens plénier. Jésus devient « la Bonne Nouvelle », l’Évangile, la source de la joie.

En conscience Jésus a donné sa vie pour nous libérer du pire esclavage : celui du péché qui ravage tout homme et cherche à le tuer. Nous ne sommes pas sauvés par des sacrifices d’animaux mais par celui de l’Agneau de Dieu.

Par le don de l’Esprit, nous sommes transfigurés : « Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes » (1 Jean 3, 1)

Tout croyant, avec sa médiocrité, sa petitesse, ses tendances au mal, peut s’aimer lui-même : « Ma vie présente, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal 2, 20).

Les croyants ne sont plus un peuple singulier enfermé dans ses frontières mais un peuple universel : « Par la foi, vous êtes fils de Dieu en jésus Christ. Il n’y a plus juif et Grec, esclave et homme libre, homme et femme. Tous vous êtes un en Jésus Christ » (Gal 3, 26)

L’amour reçu du Père se diffracte en amour mutuel : « Désormais nous connaissons l’amour : Jésus a donné sa vie pour nous : donc nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères » (1 Jean 3, 16).

Une Loi : l’amour. « Je vus donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous devez, vous aussi, vous aimer les uns les autres ». (Jean 13, 34)

Et qui est le prochain à aimer ? Le Samaritain a donné la réponse définitive : se faire soi-même proche et secourable pour celui qui est tombé, qui a mal, qui souffre, qui est seul.

Et tout à la fin du temps de la Révélation, Jean osera écrire ce qui n’avait jamais été écrit par personne sur la terre : « Dieu est Amour : qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu » (1 Jean 4, 3)

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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