31ème dimanche ordinaire – Année C – 3 novembre 2019 – Évangile de Luc 19, 1-10

ÉVANGILE DE LUC 19, 1-10

MAÎTRE ZACHEE SUR UN ARBRE PERCHE …

Poursuivant son voyage vers Jérusalem, Jésus oblique vers l’est et descend dans l’étonnante dépression (à plus de 200 mètres en dessous du niveau de la mer) où le fleuve Jourdain venu du lac de Galilée descend vers la Mer Morte. Suivi de ses disciples, il atteint la riche oasis de Jéricho, célèbre pour ses dattiers, ses baumiers et ses roses. Le roi Hérode y avait fait bâtir un magnifique palais d’hiver.

Peu avant Jéricho, Jésus dut faire une halte à l’endroit du gué où naguère son maître, Jean, l’avait baptisé et où il avait reçu sa vocation en passant le fleuve : lieu de mémoire et de réflexion sur l’histoire.

Moïse, en Egypte, avait passé la Mer Rouge, libéré les esclaves puis leur avait révélé la Loi de Dieu et offert la libération politique puis la Loi de Dieu. Mais il était mort en Transjordanie sans avoir pu pénétrer lui-même dans le pays promis.

Josué, son successeur, dont le nom hébreu est équivalent à celui de Jésus (IESHOUAH), guida la traversée du Jourdain, écrasa la ville de Jéricho et conquit peu à peu, par les armes, la terre promise.

Mais par la suite, tous les prophètes, à commencer par Elie (qui lui aussi venait du Jourdain) ne cessèrent de vitupérer contre le peuple qui n’obéissait pas à la Loi qu’il avait acceptée, qui ne vivait pas selon le droit et la justice.

Maintenant Jésus a passé le Jourdain avec le message de pauvreté et de douceur des Béatitudes et il va s’engager pour monter à Jérusalem et y faire l’ultime passage : celui à travers la mort. Ainsi effectuera-t-il l’exode définitif, la libération du péché du monde pour appeler l’humanité entière à être le peuple de Dieu.

A l’exemple de Jésus, il nous est recommandé de revenir à notre lieu-source, de méditer sur la foule des échecs dus à notre incompréhension de Dieu, et de découvrir notre vrai passage dans la Pâque de Jésus. Il nous répète que ni la Loi ni la puissance ne peuvent nous sauver mais seul l’amour, vérifié par la croix et assumé par notre foi.

LA GUERISON DE L’AVEUGLE

En passant à Jéricho, Jésus va opérer deux merveilles qui ne sont pas sans rapport entre elles. La première est omise par la liturgie.
Alerté par le bruit, un aveugle mendiant se met à implorer : « Jésus, fils de David, prends pitié de moi ». La foule, excédée, essaie de le faire taire mais il crie de plus belle. Jésus demande qu’on le lui amène et il lui dit : « Retrouve la vue : ta foi t’a sauvé », ce qui dit davantage que la guérison. « L’homme suivait Jésus en rendant gloire à Dieu et toute la foule, voyant cela, fit monter à Dieu sa louange ».

Nous écoutons le second récit dont la célébrité n’altère pas l’amusement et l’émotion du lecteur.

LA CONVERSION DE ZACHEE

Oasis aux ressources naturelles plantureuses, poste frontière enregistrant les trafics commerciaux avec la Transjordanie, embellie par les palais du roi et des hauts dignitaires, Jéricho est une ville très riche dont les Romains entendaient bien soutirer les plus gros bénéfices.
Le montant des taxes et impôts était fixé au maximum et proposé en fermage. Le Juif le plus offrant acquittait la somme globale et, avec ses collaborateurs, récupérait cette somme sur le dos de ses compatriotes, non sans gonfler les pourcentages juteux à son profit. Ces hommes, appelés « publicains », catalogués comme collaborateurs de l’occupant et corrompus, étaient détestés sinon haïs.

« Zachée était un chef des collecteurs d’impôts et il était riche ».

Aujourd’hui le mur d’enceinte de sa somptueuse villa serait couvert de graffiti : « Zakaïos salaud…Sale collabo…En enfer »…
Ce jour-là, comme il fignolait sa comptabilité, une forte rumeur lui parvient. Que se passe-t-il ? Intrigué, il sort et bute sur un mur de dos de gens en liesse acclamant Jésus qui traversait la cité et on se racontait la guérison miraculeuse de l’aveugle.

Zachée est de petite taille, il se pousse pour voir mais les gens sont bien contents de l’en empêcher : ce voleur n’a rien à voir ici, qu’il rentre chez lui. Zachée est finaud: en vitesse, il se faufile derrière la foule, sort de la ville et, astucieux, il monte sur une branche basse d’un sycomore. De là-haut, personne ne pourra l’empêcher de voir enfin ce personnage.

Jésus sort de Jéricho qui lui a fait un triomphe… mais dont aucun citoyen ne l’a invité. Approchant de l’arbre, il est amusé par ce spectacle inhabituel, ce « drôle d’oiseau », vêtu comme un notable et dont peut-être quelqu’un lui dépeint l’immoralité. Va-t-il l’accabler de reproches et le presser de se convertir ? Détourner la tête ? Non tout au contraire il s’adresse à lui avec affabilité :

Zachée, descends vite : il me faut aujourd’hui demeurer dans ta maison.
Vite Zachée descendit et l’accueillit tout joyeux »

Et en hâte, au risque de déchirer son beau vêtement, Zachée, tout heureux, dégringole de son perchoir et voilà tout le groupe, apôtres compris, qui fait son retour en ville. Evidemment stupeur générale, scandale.

Voyant cela, tous murmuraient : « C’est chez un pécheur qu’il va loger !!? »

Nous sommes libres d’imaginer la scène qui se passe à l’intérieur. Branle-bas de combat : Mme Zachée aux commandes, tout le personnel aux fourneaux. Les apôtres se pourlèchent d’avance. Zachée contemple celui qu’il voulait tant voir et qui l’a vu. Maintenant on se parle. Et tout à coup le publicain craque et fait une déclaration sensationnelle :

Zachée se dresse et dit : Eh bien, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens ; et, si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple.

Zachée qui était aveuglé par la fascination de l’argent est guéri de sa cécité. Il voit que l’argent était son idole mortifère, qu’il doit être partagé avec ceux qui en manquent. Il admet à demi-mot qu’il a volé en s’appropriant des sommes indues au détriment des contribuables et il s’engage à restituer. Il fait preuve d’une générosité exceptionnelle car la Loi ne comportait pas de telles exigences.

Alors Jésus dit : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu »

Ce magnifique récit est donc le point de fusion de deux recherches. Luc répétait que Zachée voulait « voir Jésus » : maintenant on apprend que Jésus, bien plus encore, cherchait le salut de cet homme emprisonné dans la cupidité.
On apprend aussi que le salut du monde n’est pas à envisager dans un avenir lointain : l’homme est sauvé lorsqu’il accueille Jésus comme « le Fils de l’homme » annoncé pour juger le monde.
Comme le livre antique du Deutéronome, Luc aime beaucoup ce mot « aujourd’hui » qu’il répète à 12 reprises.

Quand l’homme prend la décision de se convertir en actes, ce moment est l’aujourd’hui de Dieu, le « kaïros », le moment de la grâce, la sortie de l’esclavage, la renaissance dans l’amour et la liberté. Cet « aujourd’hui de la grâce » nous libère du poids des fautes du passé et de la fuite dans un avenir inconnu : notre décision donne toute la richesse au présent qui devient présence du Sauveur.

Zachée est bien un fils d’Abraham non parce qu’il est membre du peuple d’Israël mais parce que, comme Abraham qui ouvrait sa tente aux étrangers et qui demeure le modèle de l’hospitalité (Gen 18), Zachée a ouvert sa maison à Jésus, a ouvert son cœur à sa parole, a ouvert sa main aux pauvres.

CONCLUSION

Les enfants aiment beaucoup cette histoire du petit homme mais il est très regrettable de la reléguer au niveau du catéchisme. Les points de méditation sont innombrables et d’un intérêt vital :

L’homme enfermé dans le mal n’est jamais un cas désespéré : quoi que l’on pense de lui, il peut toujours chercher à voir. Il faut sortir, trouver un lieu d’observation.
Sans se laisser stigmatiser par l’opinion publique, il importe de se trouver un lieu de réflexion personnelle, de prière.
La foi n’est pas croyance en des formules : le cœur cherche à voir. Mais qui donc est Jésus ? Qu’est-ce au fond que l’Evangile ? Non un règlement mais une rencontre de personnes.
il faut ouvrir toute sa maison, toute sa vie à une présence.
L’argent peut être un tyran qui blesse et tue les pauvres.
Demander pardon ne suffit pas : il est nécessaire de restituer, de réparer les torts.

Jésus n’est pas un docteur de la loi mais le Sauveur qui cherche, sans se lasser, le réprouvé, le catalogué « maudit », le fils prodigue, la 100ème brebis perdue, la pécheresse, Pierre le renégat, le bon larron crucifié. Luc ne se lasse pas de raconter cette recherche amoureuse : il est l’évangéliste de la Mansuétude de Dieu.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Fête de Tous les Saints – Année C – 1 novembre 2019 – Évangile de Matthieu 5, 1-14

ÉVANGILE DE MATTHIEU 5, 1-14

TOUS SAINTS OU TOUS MORTS ?

Comme toutes les autres fêtes, la Toussaint a perdu son sens originel chrétien: elle est devenue la TOUS MORTS. D’où l’arrivée en force du grand Guignol de Halloween avec ses diables et ses sorcières.

L’Eglise, elle, chaque jour du calendrier, fêtait un grand Saint, elle proclamait que le jour de la disparition de cet homme ou de cette femme était en réalité sa nouvelle naissance. Pierre et Thérèse, Paul et Madeleine, Thomas et Catherine étaient morts mais désormais ils vivaient d’une vie nouvelle. Ils étaient les Saints “officiels”, canonisés, disait-on.

Mais il n’y avait pas que ces grandes figures célèbres et statufiées: à côté d’eux, se trouvait la multitude innombrable de fidèles, rois et esclaves, patrons et employés, vieux et jeunes, noirs et blancs. Tous avaient traversé des épreuves, tous avaient été tentés, tous avaient péché mais tous avaient reçu la miséricorde de Dieu. C’était les saints anonymes, les saints ordinaires.

En fin d’année, au moment de basculer dans l’hiver, quand la nature s’enfonce dans le brouillard, le froid et la mort, l’Eglise, contre toutes les apparences, nous réjouissait par la “Symphonie du nouveau monde”.

Car déjà à la fin du premier siècle, alors qu’elle ne comptait que quelques dizaines de petites communautés insignifiantes, noyées au sein de l’immense Empire païen qui les ridiculisait et souvent les persécutait, l’Eglise proclamait son invincible espérance par la vision reçue par saint Jean.

L’Apocalypse n’avait pas alors son sens journalistique de cataclysmes et de destructions épouvantables, elle n’était pas la chute dans le néant, la fin du monde mais la révélation du monde authentique. L’Apocalypse ? Quelle bonne Nouvelle, disaient les chrétiens !

LA FIN DU MONDE

En ce jour, il nous faut nous émerveiller de cette vision (1ère lecture du jour):

“J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues.

Ils se tiennent debout devant le Trône de Dieu et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main et ils proclament d’une voix forte: “Le salut est donné par notre Dieu et par l’Agneau”.

Tous les Anges se prosternent pour adorer Dieu et ils disent: “Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles. Amen”….

Un ancien me dit: “Ils viennent de la grande épreuve: ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau”.

Vision extraordinaire. Le déroulement de l’histoire ne s’abîme pas dans les déflagrations et la poussière, la mort n’est pas l’impératrice insolente au règne sans partage, la vie humaine n’est pas une errance aveugle dans l’absurde.

Dieu seul règne et son dessein s’accomplit: unir l’humanité dans l’amour. Les hommes sont debout, lumineux non grâce à leurs exploits héroïques ou leurs vertus mais parce que tous, sans exception, ont péché et que tous sont lavés, purifiés par le sang que l’Agneau a versé pour eux au Golgotha. “Le salut est donné”.

La croix, ignoble supplice inventé par la haine des hommes, est devenue l’axe du monde Et autour d’elle processionne l’humanité qui chante son bonheur en acclamant la grandeur de son Dieu. Après des siècles de hurlements, de souffrances, de guerres, l’humanité, enfin, peut laisser éclater une allégresse qui n’est plus menacée.
L’amour chante sa victoire sur la mort, la joie sur la tristesse, le baiser sur le crachat, le pardon sur le mal, l’harmonie musicale sur le fracas des bombes.

Sans cette espérance, peut-on vivre ?

TOUS SAINTS PAR LA VIE SELON LES BEATITUDES

La sainteté n’est pas la privation, la pénitence, la peur de Dieu. Elle n’est pas fuite du monde, obsession du mal, méfiance du plaisir. Elle n’est pas un idéal que l’on peut construire mais un germe de bonheur que l’on veut laisser grandir. “Heureux” n’est-il pas le premier mot qui exprimait le désir de Jésus pour l’homme ? Et le chemin du bonheur n’était-il pas celui qu’il ouvrait pour que chacun s’y engage ?

Notre cher Pape disait: “Il peut y avoir de nombreuses théories sur ce qu’est la sainteté…Mais rien n’et plus éclairant que de revenir aux paroles de Jésus…Il a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être saint et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes” (“Soyez dans la joie et l’allégresse – § 63)

Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux: ils obtiendront la terre promise.
Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassassiés.
Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde.
Heureux les coeurs purs: ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume des cieux est à eux.

Prenons garde à deux risques dans la formulation de ce texte. N’encourage-t-il pas une attitude passive: accepter la pauvreté, rester doux, pleurer, subir…? Et ne reporte-t-il pas toute l’importance de la vie dans l’au-delà: soyez patients, acceptez et plus tard vous serez récompensés ?

Or toute la vie de celui qui a lancé ce programme prouve qu’il n’en est rien. Ni riche ni de grande famille, ni prêtre ni érudit diplomé, Jésus n’est pas demeuré petit artisan calfeutré dans sa campagne. Son baptême l’a transformé en missionnaire, en prophète intrépide. Il osait proclamer la Parole de son Père tout autant aux gens du peuple qu’aux notables, il dénonçait l’hypocrisie de certains comportements, la religion réduite à des pratiques superficielles. Il ne conseillait pas aux malades et infirmes de se résigner à leur état, il était ému par leurs souffrances et il guérissait. Il courait le risque de devenir un homme qui dérange le pouvoir et il ne se taisait pas lorsque l’étau se refermait sur lui.

Il voulait que le Règne de Dieu son Père advienne maintenant sur terre. Y compris en donnant sa vie pour cela.

De même les saints qui ont répondu à son appel et décidé de pratiquer son programme ont été des femmes et des hommes profondément engagés dans les problèmes de leur temps. Soins des malades, éducation des enfants, aide aux lépreux, infirmes, affamés…: impossible d’énumérer la multitude indéfinie des ”oeuvres chrétiennes”. Même ceux et celles qu’on appelle “contemplatifs” et qui ont choisi la vie de prière dans la solitude n’ont pas été désincarnés. Simplement ils ont choisi les moyens de la prière et du dénuement pour oeuvrer au même but.

TOUSSAINT ET JOUR DES DEFUNTS

Il reste que, en ce 1er novembre, nous irons nous aussi nous recueillir quelques instants devant les tombes pour honorer ceux et celles avec lesquels nous avons vécu et que nous avons aimés. Certaines plaies ne sont pas fermées et les souvenirs reviennent qui font très mal.

Où es-tu ? Que se passe-t-il au-delà ? Nos questions se fracassent sur la dure pierre qui cache le secret et qui nous renvoie à une série d’interpellations: “Que fais-tu maintenant de ta vie ? Quel sens lui donnes-tu ? Quand tu vas sortir du cimetière, comment vas-tu mener ton existence ?”

Le Jour des Défunts est à la fête de la Toussaint ce que le vendredi-saint est à la célébration de Pâques. Le bonheur des Béatitudes n’efface pas l’atrocité de la mort ni la douleur intolérable du corps aimé disparu. Mais il est promesse de leur passage, de leur transfiguration par la Lumière du Christ ressuscité et vivant.

Le souvenir des disparus ne nous replie pas sur l’amertume et le désespoir. Il nous redit avec force que le chemin de l’avenir est celui du bonheur des béatitudes.

Sur ce chemin, nous nous retrouverons dans la Lumière de la Gloire.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

30ème dimanche ordinaire – Année C – 27 octobre 2019 – Évangile de Luc 18, 9-14

ÉVANGILE DE LUC 18, 9-18

LA PRIERE SANS ORGUEIL NI DECOURAGEMENT

Vers la fin de sa longue montée vers Jérusalem, Jésus donne à ses disciples une dernière leçon sur la prière. Il le fait sous la forme de deux paraboles que Luc introduit en précisant lui-même leur portée. Craignait-il que nous nous méprenions sur le sens à leur donner ? Tenait-il à souligner leur importance ?

La première, lue dimanche passé, présentait une pauvre veuve dont le droit était piétiné sans recours et qui parvenait tout de même à obtenir justice en “cassant la tête du juge”. Ainsi Jésus, dit Luc, voulait “montrer à ses disciples qu’il faut toujours prier sans se décourager…Car Dieu fera justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit”.
Il ne s’agit donc pas d’une simple insistance afin d’obtenir ce que l’on veut mais de disciples qui, pour leur foi, sont persécutés par une puissance implacable. Leurs cris inlassables, nés de leur foi, seront entendus.

Mais qu’ils n’oublient pas que Jésus, la victime innocente, n’a vu lui-même sa prière d’agonie exaucée que par-delà le passage par la mort sur la croix.

LA FAUSSE ET LA VRAIE PRIERE

La seconde parabole, lue aujourd’hui, est introduite par Luc de cette façon:

“Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres”.

On appelle parfois cette parabole celle “du pharisien et du publicain” et effectivement elle va évoquer deux hommes de ces catégories. Mais Luc précise que cette histoire vise “certains hommes” persuadés de leur justice, c.à.d., au sens biblique, de leur “ajustement” à la volonté divine. En généralisant la nomination, Luc suggère que le pharisaïsme ne se réduit pas à une catégorie juive mais désigne une attitude universelle.

Le lecteur chrétien doit donc prendre garde à ne pas se servir de cette parabole pour accuser les pharisiens juifs et se dédouaner lui-même. Murmurer “Moi je ne suis pas comme lui” serait le signe sûr du contraire. En disant “pour certains hommes”, Luc manifestement vise les chrétiens qu’il a remarqués dans les assemblées et qui tombent dans le même travers.

“Deux hommes montent au temple pour prier. L’un était pharisien et l’autre publicain”.

Les évangiles donnent une image très noire du pharisien qui est devenu le type de l’hypocrite, du faux-jeton. Or le mouvement pharisien est né d’une belle réaction de Juifs zèlés, attristés de voir tant de leurs compatriotes gangrenés par la civilisation païenne et qui peu à peu abandonnaient les pratiques de la Loi. Contre cette assimilation au milieu ambiant (que des rabbins aujourd’hui encore considèrent comme le pire danger qui menace la foi israélite), des Juifs pieux et dévoués décidèrent de réagir en renforçant les pratiques, en multipliant les observances dans le but de compenser les lâchages de beaucoup. Ce zèle leur valut d’être appelés pharisiens – mot qui signifie “séparés”- car leur comportement les distinguait des autres.

“Le pharisien se tenait là debout et priait en lui-même: “ Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes: voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain”. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne”.

Debout n’est pas signe de vanité: c’est l’attitude normale de la prière juive. Et rendre grâce à Dieu parce que l’on pratique sa volonté, c’est bien. Mais considérer sa vie comme un match où on se proclame champion, “pas comme les autres”, capable même d’accomplir beaucoup plus que ce que la Loi prescrit …et regarder derrière soi pour découvrir la présence d’un type jugé comme un pécheur professionnel dont la place n’est pas dans la Maison de Dieu: quel dérapage, quelle prière pourrie !

Avez-vous remarqué combien ce travers est répandu: nous nous aimons si peu que nous avons toujours besoin d’écraser les autres. Nous nous valorisons en dévalorisant l’autre.

Remarquons en outre que notre “saint homme” ne se reconnaît aucune faiblesse: il ne ressent nul besoin de demander pardon, il n’a commis aucune faute, il n’a que des mérites.

Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel. Il se frappait la poitrine: “Mon Dieu, prend pitié du pécheur que je suis”.

Les collecteurs d’impôts étaient catalogués comme des pécheurs notoires car ils extorquaient des sommes folles au profit des troupes païennes d’occupation et, sans surveillance, en profitaient pour s’attribuer une certaine part à leur profit.

Pourtant notre homme est fils d’Israël, il est croyant puisqu’il vient au temple mais il demeure au fond car il a honte de sa souillure.

Que faire ? Il a femme et enfants. Il n’a pas la force de rompre avec ses habitudes, sa cupidité. Mais au moins il ne cherche pas de circonstances atténuantes, il ne rejette la responsabilité sur personne, il ne s’excuse pas en dénonçant ses confrères qui volent encore plus que lui. Alors il se bat la poitrine, il se désigne comme auteur du mal, il ne peut qu’appeler au secours: “Mon Dieu, prends pitié, je suis un pécheur”.

LE GRAND RETOURNEMENT

Comme les auditeurs, nous attendons la conclusion de Jésus qui doit être évidente : “ Dieu se réjouit de la piété modèle du pharisien et il exhorte le publicain à se convertir le plus vite possible et à changer de conduite”.

Or, tout à l’inverse, la déclaration de Jésus éclate comme un coup de tonnerre qui scandalise les braves gens:

“Quand le publicain rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste – et non pas l’autre. Qui s’élève sera abaissé; qui s’abaisse sera élevé”.

Ce pécheur ne promet même pas de rembourser ses exactions ni d’abandonner sa profession. Prisonnier de sa situation, il reconnaît la profondeur de son péché, il avoue sa responsabilité, il ne se compare à personne, il ne dénonce pas la vanité de ce pharisien. En disant sa propre vérité sans fard et en implorant la miséricorde de Dieu, il “s’ajuste” à lui dans le dépouillement de son état.

Tandis que le pharisien, fier de ses exploits et juge impitoyable de l’autre, a raté sa prière. Considérant la foi comme un code de pratiques, comme un concours dont il faut réussir les épreuves, son obéissance devient fabrication de soi. Le péché du pharisien est de vouloir faire sa statue, d’accomplir son salut à coup de volonté, de comptabiliser ses actions vertueuses et de mépriser ceux qui échouent et ne sont pas à sa hauteur. Moi, héros d’observances, je suis en règle, je me sauve. Et tant pis pour l’autre englué dans son mal.

Cela nous rappelle la fameuse parabole des deux fils. L’aîné était le prototype du bon croyant, gentil, fidèle, travailleur. Lorsque son petit frère s’est enfui avec l’argent pour mener une vie de débauche, il n’a pas du tout souffert de son absence, il n’a rien fait pour essayer de le convaincre de rentrer. Et quand le cadet s’est pointé et que le père a organisé la fête sans lui faire nul reproche, l’aîné a refusé net de participer au festin.

CONCLUSION

La parabole nous met donc en garde contre l’autosatisfaction. Si grands soient nos efforts pour vivre les exigences de la foi, nous n’avons pas à nous targuer de notre justice, à nous estimer “en règle” et à mépriser ceux qui nous paraissent pécheurs.

Notre fidélité est un cadeau de Dieu pour lequel nous avons à rendre grâce. Cet homme, ce voisin connu pour ses fautes est un frère que nous n’avons pas à condamner mais pour lequel nous devons prier afin qu’il entre sur le chemin de la conversion. Chemin que nous avons toujours à reprendre nous aussi.

Quand nous nous interrogeons sur la prière, nous ne nous reconnaissons souvent qu’une faute: avoir des distractions. Or ce mot ne se trouve même pas dans les évangiles donc le problème n’est pas là.

La prière est un enjeu capital puisqu’il s’agit non pas d’avoir des pensées pieuses mais de la richesse de notre relation à Dieu et de la réalisation de la mission qu’il nous donne d’accomplir.

Si Luc nous montre si souvent Jésus en prière – de sa vocation au baptême à son départ dans l’Ascension -, c’est bien pour nous convaincre que nous, pauvres pécheurs, avons aussi à chercher le contact avec notre Père dans toutes les circonstances de la vie.

La prière nous comble de joie car elle est accueil de Jésus qui vient nous pardonner nos fautes, nous donner l’Esprit et nous mobiliser afin d’accomplir notre existence comme une mission.

La prière nous remplit de confiance, calme nos peurs, nous libère tant de l’orgueil que du découragement, du pharisaïsme et du désespoir.

La prière est dialogue avec un Père aimant, communion avec tous ses enfants.

La prière est écho de celle de Marie: “Magnifique est le Seigneur…Son amour s’étend à tous les âges”

Frère Raphaël Devillers, dominicain

LA PRIERE DE SAINTE THERESE DE LISIEUX

“ C’est la prière, c’est le sacrifice qui font toute ma force: ce sont les armes invincibles que Jésus m’a données, elle peuvent, bien plus que les paroles, toucher les âmes, j’en ai fait bien souvent l’expérience …

Qu’elle est donc grande la puissance de la Prière …

Il n’est point nécessaire pour être exaucée de lire dans un livre une belle formule composée pour la circonstance … Je fais comme les enfants qui ne savent pas lire: je dis simplement au Bon Dieu ce que je veux lui dire, sans faire de belles phrases, et toujours il me comprend.

Pour moi la prière, c’est un élan du coeur, c’est un simple regard jeté vers le ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour, au sein de l’épreuve comme au sein de la joie.

Enfin c’est quelque chose de grand, de surnaturel qui me dilate l’âme et m’unit à Jésus……

J’aime beaucoup les prières communes car Jésus a promis de se trouver au milieu de ceux qui s’assemblent en son Nom; je sens alors que la ferveur de mes soeurs supplée à la mienne.

Mais toute seule (j’ai honte de l’avouer) la récitation du chapelet me coûte plus que de mettre un instrument de pénitence …Je sens que je le dis si mal, j’ai beau m’efforcer de méditer les mystères du rosaire, je n’arrive pas à fixer mon esprit….

Quelquefois, lorsque mon esprit est dans une si grande sécheresse qu’il m’est impossible d’en tirer une pensée pour m’unir au Bon Dieu, je récite très lentement un “Notre Père” et puis la salutation angélique; alors ces prières me ravissent, elles nourrissent mon âme bien plus que si je les avais récitées précipitamment une centaine de fois …”

29ème dimanche ordinaire – Année C – 20 octobre 2019 – Évangile de Luc 18, 1-8

ÉVANGILE DE LUC 18, 1-8

LA FORCE DE LA PRIERE

Chacun des évangélistes raconte la vie de Jésus à sa façon, en mettant en évidence tel ou tel trait qui lui paraît important. C’est ainsi que Luc est considéré comme l’évangéliste de la prière dont il parle très souvent dans les deux tomes de son œuvre : « son Evangile » et « Les Actes des Apôtres ». Profitons-en aujourd’hui pour en rappeler les lignes essentielles.

1. LA VENUE DE JESUS SUSCITE UN JAILLISSEMENT DE PRIERE JOYEUSE

Son Evangile commence par une grande scène de prière : le prêtre Zacharie, dans le temple, célèbre la liturgie de l’encens (toujours symbole de prière qui monte vers Dieu) et « toute la multitude du peuple est en prière en-dehors » (1, 10). C’est alors que l’ange Gabriel lui annonce que sa prière est exaucée et qu’il aura un garçon qui sera Jean-Baptiste (1, 14).

Peu après le même Gabriel rejoint Marie dans son pauvre village de Nazareth. Dans le dialogue de la prière, Marie accepte la Bonne Nouvelle : « Je viens servir : que la Parole de Dieu s’accomplisse (1, 38). Sans tarder, elle s’en va apporter la nouvelle à Elisabeth et chante sa reconnaissance dans l’hymne du Magnificat (1, 46).

Peu après l’épouse de Zacharie enfante Jean et le père, ravi, entame le cantique du Benedictus (1, 68).

Marie, à son tour, accouche de Jésus : les petits bergers en sont prévenus par les Anges qui exultent en lançant le « Gloire à Dieu» (2, 14). Emerveillés par le nouveau-né, les bergers « chantent la gloire et les louanges de Dieu » (2, 20).

Lorsque les parents viennent présenter l’enfant au temple, les anciens, Syméon et Anne, bénissent et célèbrent Dieu ( 2, 22-38)

Ainsi tout ce prologue, l’évangile de l’enfance, retentit de louanges et de bénédictions : c’est vraiment l’arrivée de la Bonne nouvelle, l’éclosion de l’espérance, le chant de reconnaissance pour la libération.
Accueillir le Sauveur qui, sans mérites, vient nous pardonner et nous unir dans son amour doit susciter une communauté joyeuse, toute heureuse de chanter sa reconnaissance. Tirer la tête parce qu’on doit remplir l’obligation d’aller à la messe, ça n’a pas de sens.

2. TOUTE LA VIE DE JESUS EST PORTEE PAR LA PRIERE

Jésus, devenu homme, se rend près de Jean-Baptiste et Luc est le seul à raconter l’événement comme ceci : « Jésus, baptisé lui aussi, priait » (3, 21). Il ne se soumet pas à un rite mécanique: très conscient, il se soumet à son Père qui l’interpelle : « Tu es mon Fils ». Sa vocation naît dans sa prière.

Je vous invite à poursuivre la lecture et à noter le nombre de fois où Luc mentionne que Jésus priait, ce qui est beaucoup plus fréquent que chez ses trois collègues.

Et il terminera son livre sur la prière : ressuscité, Jésus conduit ses apôtres sur le mont des Oliviers et il les quitte « en les bénissant » et, en réponse, les hommes « bénissent », louent Dieu dans le temple (24, 50-53)

Ainsi tout l’évangile de Luc est encadré par la prière et montre Jésus en perpétuelle liaison avec son Père, attentif à l’écouter, à le bénir afin d’accomplir fidèlement sa volonté à travers tous les événements de sa vie.

Nous, de même, c’est dans la prière que nous resterons attentifs à réaliser en tout la volonté du Père.

3. JESUS DONNE UNE LECON DE PRIERE À SES DISCIPLES

Au chapitre 11, Jésus donne une leçon de prière aux disciples. Elle se résume en 4 points :

  • Il leur apprend une prière brève qui sera caractéristique de leur groupe : la merveille du PATER.
  • Une parabole nous presse d’intercéder sans nous lasser afin de nourrir un ami survenu en pleine nuit.
  • La certitude de l’exaucement : « Demandez : on vous donnera ! Cherchez, vous trouverez…A qui frappe on ouvrira »
  • Cela ne signifie pas que l’on peut tout demander. Un père refuse de donner à son enfant quelque chose qui lui ferait du tort. De même le Père du ciel ne donne rien de nocif : « il donnera le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent ».

Il y a deux merveilles : la PAROLE, résumée dans le Notre Père et qui donne la Lumière – et le PAIN EUCHARISTIQUE qui donne la Vie. Gare à la routine, au rabâchage, à la dévaluation. Prière et Pain se dégustent, se ruminent. Dieu ne cède pas aux gamins gâtés : son grand cadeau est celui de l’Esprit de Dieu.

4. 2ème LECON

Au chapitre 18, vers la fin de son long voyage vers Jérusalem, Jésus ajoute une nouvelle leçon aux disciples qui le suivent : elle consiste en deux paraboles qui sont lues aujourd’hui et dimanche prochain. Luc les introduit pour préciser la raison pour laquelle Jésus les raconte à ce moment.

4/1 : PARABOLE DE LA VEUVE TENACE : CONTRE LE DECOURAGEMENT

« Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager ».

« Toujours prier » et « Ne pas se décourager » sont des expressions caractéristique de Paul, dont on sait que Luc a été un fervent disciple et collaborateur. (Phil 1, 4 ; Rom 1, 10 ; 2 Cor 4, 1 ; Gal 6, 9…).

Il y avait dans une ville un juge sans foi et sans respect des hommes. Une veuve venait sans cesse le supplier : « Rends-moi justice contre mon adversaire ». Longtemps il s’y refusa.

Mais un jour, il finit pas céder : « Je ne crains pas Dieu et n’ai aucun respect des hommes mais puisque cette veuve m’ennuie, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans fin me casser la tête »

La plus pauvre des femmes : veuve seule, sans enfants ni parents qui pourraient intervenir en sa faveur, sans relations qui pourraient faire pression sur le juge. Totalement démunie, elle ne se bat pas pour des détails : elle a absolument besoin du bien qu’elle revendique. Pour elle c’est une question de vie. Or elle se heurte à un mur !

Et cependant elle va l’emporter. Quelle est sa force, sa puissance ? Uniquement sa ténacité, son acharnement, sa volonté sans faille, inébranlable. Finalement ses plaintes vont parvenir à fendre l’armure réputée inaltérable.

Et Jésus en tire la leçon :

« Ecoutez tout ce que dit ce juge sans justice. Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Et il les fait attendre ?…Je vous le déclare : il leur fera justice bien vite ! »

Si un juge à la conscience blindée et méchant comme une teigne finit quand même par céder devant les démarches incessantes d’une pauvre vieille, a fortiori Dieu qui est la Justice même et qui aime les hommes et notamment les pauvres, va écouter les disciples malheureux qui souffrent violence et persécution.

Certes ceux-ci se demandent souvent et longuement pourquoi Dieu les laisse dans cet état, ils s’angoissent devant son silence jusqu’à se demander s’il existe vraiment. Jésus les assure que Dieu prête l’oreille à leurs cris. Il ne donne pas les raisons de son retard ni « pourquoi il les fait attendre ». Mais il leur promet son intervention certaine : « Il leur fera justice bien vite ».

Mais en pensant à cette terrifiante épreuve, à ces cris interminables de disciples plongés dans l’enfer de la souffrance sous un ciel qui paraît vide et silencieux, Jésus ne peut s’empêcher d’évoquer une tragique éventualité.

LA FOI VA-T-ELLE TENIR ?

« Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Croire en Jésus, lui faire confiance, devenir son disciple engage à vivre sur un chemin ardu. Comme il l’a ordonné, il va falloir renoncer à soi-même, à toute cupidité, à toute violence porter sa croix, cesser de servir l’argent, pardonner sans arrêt, soutenir les pauvres, subir des avanies, faire communauté avec les autres disciples, demeurer en éveil.

Comme vient de dire la parabole, on pourra même, comme la veuve, être victime d’injustice, tomber dans le gouffre de la souffrance et crier toute sa souffrance sans que Dieu intervienne sur le champ. Devant ces épreuves, dans le silence de Dieu, les chrétiens ne vont-ils pas perdre la foi ?

Jésus est sûr, lui, qu’il va aller jusqu’au bout et qu’il reviendra comme Fils de l’homme chargé du jugement définitif.

Mais serait-il possible que l’humanité tombe dans l’apostasie générale, que son œuvre ait échoué, qu’il ait vécu l’épouvantable souffrance de la croix pour rien ?

Éventualité folle. Mais qui nous rappelle pour finir que tout n’est pas acquis d’avance, que l’on n’est pas installé dans la foi, qu’il faut toujours veiller, faire confiance et prier sans relâche.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Ce que je demande au Seigneur n’arrive jamais…

La prière de demande soulève beaucoup de questions. Il faut reconnaître qu’elle est parfois mal comprise. On peut sourire de la grand-mère qui prie pour que son petit-fils réussisse ses examens, alors qu’il n’a pas travaillé de toute l’année. On peut s’inquiéter quand des gens prient pour gagner au Loto. On est là dans un univers magique, qui n’a rien à voir avec l’Évangile.
On le dit souvent : Dieu n’est pas un distributeur automatique. Il n’est pas chargé de suppléer à notre incompétence ou à notre paresse. Il ne viendra certainement pas à la rescousse de nos lubies ou de nos passions. Ce serait l’inversion païenne du Notre Père : « Que notre volonté soit faite, que notre règne vienne, que notre nous soit Dieu ». Nos demandes sont bien ambiguës. Faut-il les supprimer ? Bien sûr que non !

« Votre Père sait de quoi vous avez besoin »

La Bible est remplie d’appels et de supplications. C’est l’exhortation de saint Paul : « J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes » (1Tim 2, 1). Jésus Lui-même a des intentions de prière : pour que la foi de Simon Pierre ne sombre pas, pour que Lazare ressuscite, pour que ses disciples soient gardés dans l’unité et protégés du Mal… Par des paraboles et par des encouragements, Il enseigne qu’il faut prier sans se lasser. « Ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera » (Jn 16, 23).

Si les pères de la terre sont capables de donner de bonnes choses à leurs enfants, à plus forte raison, à ceux qui Le prient, le Père du Ciel donnera de « bonnes choses », et la plus précieuse de toutes, « l’Esprit saint ». Mais l’Esprit saint n’exclut pas le reste.

Dieu s’intéresse-t-Il aux détails de nos vies et à nos soucis ? Il faut répondre oui sans hésiter. C’est un Père, pas un Principe abstrait. Agit-Il à ce niveau pratique ? Oui, on peut l’affirmer. Mais comment agit-Il ? Très rarement par des miracles, c’est-à-dire une intervention directe — mais cela peut arriver ! Habituellement en inclinant de l’intérieur, avec la force et la douceur de l’Esprit saint, les causes secondes, en particulier nos libertés. Mais souvent aussi en permettant ces heureuses rencontres et ces étonnantes coïncidences que le païen attribue au hasard, et où nous reconnaissons la Providence.

Mais, dira-t-on, pourquoi demander ?

La prière serait-elle une information, pour mettre Dieu au courant de nos besoins ? Non, « car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé » (Mt 6, 8). La prière serait-elle alors une sorte de pression exercée sur Dieu, pour Lui arracher une grâce ? Non ! Dans la prière de demande, ce n’est pas Dieu qui change, c’est nous. C’est pourquoi il faut persévérer. Ce n’est pas Dieu qui est sourd, c’est notre prière qui n’est pas encore assez profonde, pure, forte, humble. La supplication ouvre notre cœur, elle ouvre en nous et en ce monde des passages à la grâce.

Dieu pourrait faire tout tout seul, Il préfère agir avec nous, à travers nous, et en particulier à travers notre prière.

Père Alain Bandelier
In ALETEIA 11 10 2019

28ème dimanche ordinaire – Année C – 13 octobre 2019 – Évangile de Luc 17, 11-19

ÉVANGILE DE LUC 17, 11-19

JESUS LE TROISIEME TEMPLE 

Le “Jerusalem Post” aurait titré en gros – “ Miracle ! Des lépreux guéris” – un long reportage pathétique avec photos et interviews des personnages.

L’historien critique d’aujourd’hui, quant à lui, reste très sceptique sur l’historicité d’un événement sur lequel on ne fournit aucun témoignage précis: lieu, jour et heure, noms des personnes. Par conséquent, il se demande s’il ne s’agit pas d’une légende.

La dame catéchiste, elle, raconte la scène de l’évangile aux enfants et en tire une leçon de morale: “Mes enfants, il faut toujours bien dire merci à ceux qui vous font du bien”.

Monsieur Dupont, pratiquant moderne, se demandait comment on allait lui expliquer cet évangile mais, pas de chance: le célébrant n’a pas fait l’homélie car il devait expliquer l’organisation des catéchismes.

Réduit à un événement spectaculaire ou légende suspecte, moralisé, escamoté, l’Evangile n’est plus une Bonne Nouvelle qui éclaire, interpelle et change la vie. Et vous vous demandez pourquoi la pratique dominicale tombe en chute libre ?

DES LEPREUX RENCONTRENT JESUS

Luc est le seul à raconter cette scène et il l’introduit en répétant pour la troisième et dernière fois: “Jésus marchait vers Jérusalem”. Ce n’est pas anodin. Nous en avons été prévenus: Jésus n’est pas un pèlerin ordinaire qui, avec le peuple, va célébrer la fête de la Pâque. Il monte avec l’intention de dénoncer l’hypocrisie des prélats, de purifier le culte du temple tel qu’il est célébré. Il s’ensuivra évidemment colère et haine des notables. Celui qui va se présenter comme un prophète sinon comme un Messie sera considéré comme un blasphémateur abominable et dangereux qu’il faut supprimer. Jésus ne cherche pas la mort mais la vérité. Il aura les deux. Mais ainsi, par amour, il sauvera les hommes de la lèpre mortelle du péché.

Quelque part, tout à coup, un groupe de dix lépreux vient à sa rencontre. En ces temps anciens, on appelle lèpre toute maladie de peau aux symptômes graves: des taches apparaissent et, en dépit des soins, elles se répandent sur tout le corps, suppurent, provoquent inflammations et douleurs, éveillent la souffrance, abîment et défigurent les apparences. Et surtout elles sont contagieuses. Les personnes atteintes suscitent l’effroi, elles sont soupçonnées d’être punies par Dieu,donc “impures” donc chassées de la famille et de la société: elles sont exclues, rejetées, tenues de signaler leur présence afin d’éviter tout contact.

Si le malade donne un jour des signes de guérison, il est tenu de se rendre au temple de Jérusalem où des prêtres qualifiés pour cet office vérifieront son état et lui imposeront tous les rites de purification. Le chapitre 24 du Lévitique donne tous les détails.

“Les dix lépreux s’arrêtent à distance et crient : “Jésus, maître, prends pitié de nous”.

Ils ont entendu parler de ce guérisseur de Galilée mais il n’est pour eux qu’un “maître”, un grand prédicateur doué de dons thérapeutiques et ils croient qu’il peut intervenir pour eux.

Luc avait déjà raconté qu’un lépreux avait lancé ce cri à Jésus et celui-ci, sur le champ, l’avait guéri d’un mot (5, 12). Or, ici, curieusement, Jésus répond: “Allez vous montrer aux prêtres”…sans les guérir ! Il exige de ces pauvres une démarche de foi beaucoup plus profonde: faire confiance totale, espérer, sans preuves tangibles, qu’ils vont être guéris et qu’ils pourront donc ensuite se montrer aux prêtres du temple.

Sans réplique, sans rien exiger, les hommes obéissent et se dirigent vers la capitale. Et, en effet: “En cours de route, ils furent purifiés” ! La promesse de Jésus s’est réalisée.

ALLER AU TEMPLE OU ALLER A JESUS ?

Que se passe-t-il ensuite? Emerveillés de constater leur subite guérison, tous les hommes se pressent vers le temple pour le constat et rendre grâce à Dieu par les rites. Tous sauf un !

“ L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix et il vient se jeter face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or c’était un Samaritain.

Jésus lui demande: “Est-ce que tous les 10 n’ont pas été purifiés ? Et les 9 autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu: il n’y a que cet étranger !”

Jésus lui dit: “Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé”

Il faut relire attentivement ce récit de Luc.

Donc cet homme, avec stupeur et émerveillement, constate tout à coup, en même temps que les autres, qu’il est guéri. Mais tandis que les autres s’empressent vers Jérusalem pour faire, dans le temple, les rites de purification prescrits par le Lévitique, celui-ci éclate en bruyantes actions de grâce envers Dieu, seul capable de réaliser la guérison de la lèpre, et, faisant marche arrière, il retourne vers Jésus et l’adore en se prosternant devant lui et en lui rendant grâce (verbe grec: eucharistein !!).

Au lieu d’aller adorer et remercier Dieu dans le temple de Jérusalem qui est sa demeure sacrée, il vient l’adorer aux pieds de son guérisseur. Jésus est substitué au temple ! Venir faire “eucharistie” à ses pieds remplace les rites de purification !

Or ce dixième homme était un samaritain, un habitant de la région centrale d’Israël qui s’était jadis séparée de la Judée du sud et où on avait même jadis construit un temple rival de celui de Jérusalem – d’où les guerres entre les deux royaumes.

On pense tout de suite à la célèbre scène racontée par Jean où Jésus, au puits, rencontre la femme samaritaine qui l’interroge: “Vous, les Juifs, vous dites qu’il faut adorer Dieu à Jérusalem; chez nous on dit qu’il faut l’adorer ici sur cette montagne”. Et Jésus lui répond: “Crois-moi, femme, désormais ce n’est plus ni ici ni là qu’il faut aller pour trouver Dieu. L’heure est venue où les vrais adorateurs adoreront Dieu en Esprit et et en Vérité” (Jean 4).

Comme la femme, l’ancien lépreux reçoit une révélation qui bouleverse toutes les conceptions antiques: Dieu n’est plus dans une maison mais dans un homme. Il ne faut plus se déplacer à Jérusalem, à Samarie, au Gange, à La Mecque…Il n’y a plus de lieux sacrés où Dieu serait davantage présent.

En effet Jésus dit à l’homme: “RELEVE-TOI: TA FOI T’A SAUVE”.

Tu m’avais interpellé comme “un maître”, tu m’avais supplié comme un guérisseur. En revenant non pas simplement me remercier mais me rendre grâce dans l’adoration, tu as accédé à la foi.

Et si tu es purifié de la maladie, tu es sauvé par ta foi en moi. “Relève-toi”: c’est le verbe qui sera employé à la Résurrection de Jésus.

La scène prend du coup une profondeur extraordinaire.

Au départ, il y avait l’humanité malade qui criait son malheur, pleurait pour obtenir la santé et bâtissait des lieux sacrés pour y prier le Dieu mystérieux et invisible.

Maintenant, ceux qui ont la foi comprennent

  • que la véritable lèpre est celle du péché, car la convoitise, la haine, la rage du pouvoir rongent l’humanité, dissolvent les relations et détruisent le monde par la contagion.
  • qu’il ne faut plus localiser Dieu en des lieux rivaux qui suscitent rivalités.
  • que le mal qui nous défigure peut être guéri en adorant Dieu en Jésus.
  • que notre quête de la santé nous oriente vers le don du “salut”.
  • que ce salut est relevailles, résurrection qui nous permet de vivre (“Va…”), portés par l’espérance d’une Vie toujours nouvelle.
  • Et que finalement le véritable temple, c’est le Christ, Saint des Saints, Corps unique dont nous sommes les membres.

Mais tout cela n’a été possible que parce que Jésus, contrairement à ce Samaritain, est monté jusqu’à Jérusalem. Il a voulu purifier le temple devenu maison de trafic, a dénoncé l’hypocrisie du culte, est devenu du coup un dangereux blasphémateur, a été méprisé et condamné. Tel un rebut, tel un lépreux, il a été éliminé et cloué sur une croix.

Mais son amour sans failles, sa miséricorde infinie lui a permis d’entrer dans la Demeure éternelle où, comme un fils, il a été accueilli par son Père.

CONCLUSION

Lorsque Luc écrit ce texte (dans les années 80-85), Israël est effondré. L’armée romaine a écrasé la révolte, détruit la ville et incendié le temple. Plus aucune possibilité de célébrer le culte, de pratiquer les rites de pardon et de purification. Les prêtres (Cohen…) sont réduits à l’impuissance car il n’y avait liturgie qu’en cet endroit sacré…..qui, au septième siècle, sera conquis par l’Islam et reste le lieu sacré musulman interdit à Israël. Sera-t-il un jour possible d’édifier un troisième temple ? Seuls quelques extrémistes juifs y croient.

Luc et les chrétiens, eux, savent que ce troisième et définitif temple est bâti: c’est Jésus, qui a offert sa vie pour purifier et sauver tous les croyants, qui est ressuscité et s’agrège les disciples du monde entier.

“ Détruisez ce temple, je le relèverai en trois jours” disait-il et Jean de commenter: “ Il parlait de son Corps” (Jn 2, 19). C’est pourquoi Paul pouvait affirmer aux chrétiens de Corinthe: “Nous avons été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul Corps, esclaves ou hommes libres…Vous êtes le Corps du Christ, vous êtes ses membres, chacun pour sa part” (1 Cor 12,13-27)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

CONSTRUIRE LA FRATERNITE

“ …C’est donc une tradition ancestrale de l’Église de prier avec bienveillance et dans l’espérance pour ceux qui nous gouvernent. Si nous prions pour ceux qui sont chargés de nous diriger c’est parce qu’ils ont la responsabilité du bien commun, de chacune des personnes et de l’ensemble de la communauté afin que tous puissent atteindre leur plein épanouissement. Ce n’est donc pas une prière facultative pour nous, c’est une obligation qui tient à l’amour du prochain.

Nous le savons aussi, le bien commun n’est pas l’intérêt général car celui-ci peut supporter le sacrifice et l’oubli du plus faible.

Le président Jacques Chirac avait axé sa campagne de 1995 sur le thème de la fracture sociale, portant ainsi son regard sur ceux qui restent sur le bord de la route. Aujourd’hui encore, certains se ressentent comme exclus. Un des rôles de l’Église est de construire la fraternité, cette fraternité qui constitue un des trois piliers de notre République et qui permet d’édifier une véritable unité entre nous. Cette fraternité est évidente pour les chrétiens puisqu’elle se réfère à l’unique Paternité de Dieu. C’est au nom de cette Paternité que Dieu, dès le commencement de l’humanité fracturée, demande à Caïn qui vient de tuer son frère Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère » ?

L’attention aux plus petits, aux plus faibles, aux laissés-pour-compte est une caractéristique du christianisme. Nous l’avons entendu dans cet évangile choisi par la famille : « J’avais faim, tu m’as donné à manger, j’avais soif, tu m’as donné à boire, j’étais nu et tu m’as habillé, j’étais un étranger, tu m’as accueilli, j’étais malade et tu m’as visité, j’étais en prison et tu es venu jusqu’à moi ».

Il y avait chez notre ancien président, cet homme chaleureux soutenu par son épouse Bernadette, un véritable amour des gens. Aussi à l’aise dans les salons de l’Élysée qu’au Salon de l’agriculture, beaucoup en le rencontrant se sentaient considérés. Son amour pour sa famille était profond et, bien que pudique, chacun a pu percevoir la tendre compassion qu’il avait pour la vulnérabilité de sa fille Laurence.

Cette attention aux plus faibles a une raison plus profonde encore que la délicatesse de l’affection. Jésus dit « Ce que tu fais aux plus petits d’entre les miens c’est à moi que tu le fais ». C’est en raison de l’étincelle divine qui réside dans notre humanité, que toute personne, du commencement de sa vie à la conception, jusqu’à sa mort naturelle, est appelée à être aimée et respectée.
Cela nous oblige à un changement de regard qui doit aller bien au-delà des apparences et des postures qui caractérisent nos sociétés humaines. Dieu voit le fond du cœur, il convient de se mettre à son école. En effet, les gestes que nous posons vis-à-vis d’un frère en humanité vont bien au-delà de l’entourage et de la dimension sociale et politique, car ils passent par le Christ et, par lui, atteignent les autres jusqu’aux extrémités du monde.

« Gouverner c’est prévoir » cette célèbre citation d’Émile de Girardin, le président Jacques Chirac l’a illustré à plusieurs reprises. En septembre 2002, lors du Sommet de la Terre, avant la prise de conscience écologique forte d’aujourd’hui, il avait dit : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».

De même, en février 2001, au forum mondial des biotechnologies, il avait vu la nécessité d’une conscience éthique : « Face à l’importance des enjeux et à la rapidité des progrès, il est essentiel que les avancées de la science s’accompagnent partout d’une conscience démocratique et d’une réflexion politique et morale aussi large que possible ».

Enfin, lorsque la France pouvait être engagée dans une guerre injuste et dangereuse pour l’équilibre mondial, il a su librement se démarquer des pays amis qui voulaient entraîner notre patrie dans une aventure imprudente.

Puisse-t-il être entendu aujourd’hui sur tous ces sujets.

PRESENTER TOUT DEFUNT A LA MISERICORDE DE DIEU

Mais si nous sommes ici, si nous célébrons cette messe de funérailles demandée par la famille et, je le crois, par tout le pays, c’est pour présenter cet homme à la Miséricorde de Dieu. Saint Paul nous l’a redit dans la première lecture : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». Si tous les hommes « naissent libres et égaux en droit », on sait aussi qu’ils ne naissent pas forcément égaux dans la réalité de leur existence. Tout dépend de la façon dont ils sont accueillis, acceptés, aimés et des conditions dans lesquelles émerge leur jeune vie.

En revanche, la mort est bien le lieu commun de notre humanité et, au fond, l’égalité véritable de notre condition humaine.

Saint Jean de la Croix, ce grand mystique espagnol, nous l’avait révélé : « Au Ciel nous serons jugés sur l’amour ». Si nous présentons notre ancien président à Dieu avec tant de confiance, c’est parce que nous savons que seul l’Amour peut juger l’amour.
Le Christ, Jésus de Nazareth, nous a révélé l’immensité de cet amour de Dieu qui dépasse infiniment nos connaissances expérimentales et nos capacités intellectuelles de connaître l’au-delà du réel qui nous entoure.

Pour finir, je voudrais citer cette phrase du président Chirac, tellement d’actualité, qu’il a prononcée pour la visite du Pape saint Jean-Paul II en 1980 : « C’est en ces lieux, sous le commandement des tours de Notre-Dame, à portée de la chapelle où Saint-Louis a honoré la Passion, au pied de la Montagne sainte-Geneviève où flotte encore le souvenir de l’antique bergère de Nanterre, patronne de la capitale, sous le regard de la prestigieuse Sorbonne où tant de docteurs ont enseigné, c’est en ces lieux que la France sent le plus fortement battre son cœur ».

Les événements récents et dramatiques survenus à Notre-Dame nous ont montré combien cette intuition était vraie. Adieu et merci M. Chirac.

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris

27ème dimanche ordinaire – Année C – 6 octobre 2019 – Évangile de Luc 17, 5-10

ÉVANGILE DE LUC 17, 5-10

CROIRE ET SERVIR

Si beaucoup de gens attendaient un Messie qui ferait une entrée tonitruante dans l’histoire, en écrasant les ennemis et en apportant d’un coup l’indépendance et la paix d’Israël, les auditeurs de Jésus étaient intrigués, comme nous le sommes encore aujourd’hui, par la nature de ce Royaume dont il annonçait la venue.

Loin de règler d’un coup tous les problèmes et d’offrir à tous un bonheur tout préparé sur un plateau, Jésus appelait les volontaires à un changement radical de leur vision de l’histoire, à une conversion de leurs comportements, à un engagement à sa suite.

Son Evangile n’était pas la fin du monde ni même son annonce mais un appel à le changer dès maintenant. Croire en Dieu devenait décider de vivre comme Jésus, le Messie, l’exigeait. La foi en Jésus le Sauveur impliquait dans le même élan d’être sauveur avec lui, d’entrer dans un peuple qui était messianique.

De dimanche en dimanche, en suivant l’évangile, nous restons encore frappés par la radicalité de ses options non négociables, par l’âpreté de son programme sur lequel il ne transige pas.

Jésus ne raccole pas des fans en transe: il ne rêve jamais de faire l’unanimité. Il veut “des disciples” qui écoutent ce qu’il dit, qui s’appliquent à le comprendre et qui s’engagent, avec leur fragilité, à le mettre en pratique. On devine que bien des gens qui, au début, le suivaient dans l’enthousiasme parce qu’ils avaient été les témoins de ses guérisons spectaculaires, ont peu à peu décroché et se sont détournés d’un prophète qui semblait demander l’impossible. Une religion consolatrice, oui. Une foi mobilisatrice, non.

Rappelons certains de ces enseignements dont plusieurs ont été commentés ces derniers dimanches:

  • Jésus provoque des scissions au sein même des familles (12, 51), mais il faut le préférer à tous.
  • L’entrée dans son Royaume est étroite et impose beaucoup d’efforts pénibles (13, 24)
  • Gare à l’orgueil: celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé (14, 11)
  • Inviter des pauvres qui ne pourront rendre la pareille (14, 13)
  • Un disciple doit porter sa croix, marcher à ma suite (14, 27)
  • Les disciples vertueux doivent accueillir avec joie leur frère prodigue qui revient après avoir beaucoup péché (15)
  • Danger gravissime de l’argent: impossible de servir Dieu et Mammôn (16, 13)
  • Méditer les Ecritures pour nous convertir et voir enfin le pauvre Lazare qui attend notre aide (16, 29)

La série se termine par deux leçons importantes qui malheureusement ne sont pas lues en liturgie:

  • Malheur à celui qui cause le scandale, c.à.d. qui fait perdre la foi à un simple croyant. Il vaudrait mieux pour lui d’être jeté à la mer, une meule au cou. Tenez-vous sur vos gardes. (17, 1)
  • Si ton frère t’offense et qu’il se repent, tu lui pardonneras – même 7 fois par jour (17, 4)

STUPEUR DES APOTRES

Ces deux derniers avertissements sont comme la goutte qui fait déborder la sidération des Apôtres qui tout à coup entrent en scène.

Les Apôtres dirent au Seigneur : “Augmente en nous la foi”.
Le Seigneur dit: “ La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici: Déracine-toi et va te planter dans la mer – et il vous obéirait”.

On comprend la raison de cet appel pathétique.

En effet ces premiers responsables de la prédication de l’Evangile sont tenus de l’annoncer dans son intégralité, et donc d’abord de le vivre eux-mêmes. Ils vont devoir s’en aller partout, circuler, annoncer l’enseignement de Jésus Seigneur avec une entière fidélité, sans l’affadir.

Ils feront des disciples qui à leur tour seront perplexes devant certains préceptes et renâcleront devant des ordres estimés exagérés, trop durs à appliquer.

Donc, devant les perspectives qui les attendent, les apôtres prennent conscience qu’ils sont très démunis, que la mission n’est pas simple affaire humaine, question de technique, de compétence, d’éloquence, d’intelligence, de sens de l’organisation. Il faudra veiller à ne jamais scandaliser les croyants et à leur offrir une miséricorde perpétuelle.

Annoncer l’Evangile, faire découvrir Jésus Seigneur, donner naissance à des disciples, les convaincre de changer de vie et d’observer l’entièreté des préceptes évangéliques, est une oeuvre de foi, càd. d’une confiance totale en Jésus. Et cette foi-confiance, il faut la lui demander car seul Jésus peut la donner.

On n’a pas oublié l’épisode où le père de l’enfant épileptique s’était plaint à Jésus car il avait présenté son garçon aux apôtres qui avaient échoué à le guérir et Jésus les avait sèchement rabroués: “Génération incrédule et perverse, jusqu’à quand aurais-je à vous supporter ?” (9, 41)

Ici la réponse de Jésus étonne. Il ne faut pas imaginer la foi comme un capital à faire grossir par des études théologiques ou par des expériences spéciales. La foi chrétienne est un lien qui toujours paraît fragile, menacé, sans force, souvent non ressenti, comme une graine minuscule à côté des immenses savoirs du monde. Mais lorsque ce grain est accepté dans les profondeurs de l’être, il rend le disciple capable de provoquer l’impossible. Ce que Jésus traduit ici par une image évidemment symbolique. La foi n’est pas magie.

Il faudra la croix et la résurrection pour que, enfin, les apôtres s’ouvrent à la petite flamme de l’Esprit et parviennent, par la foi, à accomplir les miracles de la conversion au nom du Seigneur.

Mais il ne faudrait pas, du coup, que ces intendants se prennent la tête: Jésus les renvoie à l’humilité.

LA RECOMPENSE EST DANS LE SERVICE

Jésus ajoute la parabole du serviteur.

“Lequel d’entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs: “Viens vite à table” ? Ne lui dira-t-il pas plutôt: “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.

Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?

De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous: “Nous sommes de pauvres serviteurs, nous n’avons fait que notre devoir”.

L’existence des Apôtres ne sera pas toujours un long fleuve tranquille: ils seront suspectés, arrêtés, jugés, emprisonnés…Mais cependant ces hommes de condition modeste, sans fortune ni diplomes, vont en quelques dizaines d’années voyager au loin, rencontrer des étrangers, fonder un réseau de petites communautés, parfois même réaliser des guérisons spectaculaires et se faire admirer. Destin bien inattendu depuis le temps où certains n’étaient que de simples pêcheurs du lac de Galilée.

Légitimement ils seront heureux de quelques succès, ils aimeront raconter leurs réussites. Surtout qu’ils ne s’enorgueillissent pas, qu’ils ne mettent jamais l’Eglise avant le Christ Seigneur, qu’ils cessent de chanter “qu’ils construisent le Royaume” (sic).

Que leur joie soit d’être des serviteurs. Non pas “quelconques ou médiocres ou inutiles” comme disent de mauvaises traductions: Jésus n’a pour eux nul mépris.
Mais des serviteurs qui ne montent pas les tapis rouges, qui ne plastronnent pas en exhibant les progrès de leur entreprise, en gonflant des statistiques ou, pire encore, en se comparant les uns aux autres.

Ils n’avaient aucun titre à être appelés, ils ont reçu une mission, une tâche à accomplir. Et il s’agit de la mission la plus essentielle, la plus centrale, la plus colossale de l’histoire de l’humanité. Et ils n’en sont que des acteurs qui ont reçu la Parole à proclamer, la force de la réaliser.

C’est Jésus qui les a appelés; c’est lui qui les a formés, enseignés; c’est sa croix qui leur a pardonné leur lâcheté; c’est sa Résurrection qui les a enrichis d’espérance; c’est l’Esprit qui les inspire, les pousse en avant, les relève, les remplit de certitude et d’assurance.

Leur joie est de dire simplement: “J’ai fait tout ce qui m’a été demandé”. Et quand ils célèbrent le repas du Seigneur, ils reconnaissent que ce n’est pas une récompense de leurs mérites mais la source d’un amour qui les provoque à toujours servir mieux.

CONCLUSION

Etre responsable d’une communauté chrétienne n’est pas tâche simple. Il y faut beaucoup de foi, une infinie patience pour toujours recommencer, un grand courage pour ne pas trahir l’Evangile et lui enlever son tranchant, et une miséricorde sans limites envers les frères lents à comprendre.
Servir le Seigneur de tout son être: la joie est dans ce service.
FAIRE TOUT CE QUI M’EST DEMANDE.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

SAINTE THERESE, PAPE FRANCOIS ET LA MISSION

Le « Mois missionnaire extraordinaire »
sous le signe de sainte Thérèse de Lisieux

Le pape François a ouvert le « Mois missionnaire extraordinaire », aux vêpres de la fête de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte-Face, ce mardi 1er octobre, à 18h, à Rome, en la basilique Saint-Pierre.

Une carmélite, cloîtrée, morte à 24 ans, docteur de l’Eglise, patronne des missions, devient ainsi la sainte patronne en quelque sorte du mois missionnaire.

Le 14 décembre 1927, le pape Pie XI avait proclamé Thérèse patronne principale des pays de mission à l’égal du grand saint jésuite François Xavier (1506-1552).

En effet, au lendemain de la canonisation de Thérèse en 1925, « une pétition demandant que Thérèse soit proclamée patronne des missions était adressée au Pape, d’abord par les évêques missionnaires du Canada, puis par tous ceux qui, dans le monde entier, adhérèrent avec enthousiasme à la requête (232 au total) ».

Sainte Thérèse écrivait: « Je voudrais parcourir la terre, prêcher ton nom et planter sur le sol infidèle ta Croix glorieuse, mais, ô mon Bien-Aimé, une seule mission ne me suffirait pas, je voudrais en même temps annoncer l’Évangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées… Je voudrais être missionnaire non seulement pendant quelques années mais je voudrais l’avoir été depuis la création du monde et l’être jusqu’à la consommation des siècles » (Manuscrits autobiographiques, Manuscrit B, 3 r )

Un moment, la carmélite a pu envisager de partir au Vietnam actuel: « Thérèse, explique le carmel normand, avait un ardent désir missionnaire que Thérèse d’Avila (1515-1582) souhaitait pour ses filles carmélites. Elle disait être entrée au carmel pour sauver les âmes. Elle aurait aimé partir pour le carmel de Hanoï que venait de fonder le carmel de Saïgon. La découverte de sa maladie empêcha ce projet. »

Mais sa mission a été de porter les missionnaires dans sa prière:
« En 1895, sa prieure lui confie le le Père Bellière, séminariste songeant à la mission en Afrique. Elle est attentive à sa formation comme prêtre et comme homme, et se montre patiente et encourageante, affectueuse et ferme.

Puis sa prieure lui confie un deuxième missionnaire, le P. Roulland, des Missions Etrangères de Paris, en partance pour la Chine.
Thérèse écrit au P. Roulland lorsqu’il commence son travail missionnaire en Chine. Elle collabore totalement avec lui dans son apostolat. Chacun d’eux considère comme sien ce que l’autre réalise. »

Dès son premier grand voyage apostolique, à Rio de Janeiro (Brésil), le pape François a confié combien il aimait sainte Thérèse: dans sa fameuse sacoche noire, il y avait un livre sur elle: elle l’a en quelque sorte accompagné aux JMJ de 2013.

Ils ont en commun non seulement le souci de la mission, mais la manière de la mener : par l’annonce de la miséricorde. On cite souvent l’Acte d’offrande à l’Amour miséricordieux que Thérèse a fait puis promu auprès de ses soeurs carmélites.

La biographie du pape François par Francesca Ambrogetti et Sergio Rubin (“Je crois en l’homme: Conversations avec Jorge Bergoglio, Flammarion) révèle un détail de cette amitié spirituelle : « Lorsque j’ai un problème, je demande à la sainte non pas de le résoudre, mais de m’aider à l’assumer, et en guise de signe, je reçois presque toujours une rose blanche » (p. 148).

Le pape a une image de la « petite Thérèse » sur son bureau (p. 147).

Le biographe britannique Austen Iverreigh rapporte qu’au moment du conclave, le 12 mars 2013, lorsque le cardinal Bergoglio entra dans sa chambre  – n° 207 – à Sainte-Marthe, il a trouvé une rose blanche sur son lit.

ZENIT 25. 09. 2019