Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

28ème dimanche ordinaire – Année C – 13 octobre 2019 – Évangile de Luc 17, 11-19

ÉVANGILE DE LUC 17, 11-19

JESUS LE TROISIEME TEMPLE 

Le “Jerusalem Post” aurait titré en gros – “ Miracle ! Des lépreux guéris” – un long reportage pathétique avec photos et interviews des personnages.

L’historien critique d’aujourd’hui, quant à lui, reste très sceptique sur l’historicité d’un événement sur lequel on ne fournit aucun témoignage précis: lieu, jour et heure, noms des personnes. Par conséquent, il se demande s’il ne s’agit pas d’une légende.

La dame catéchiste, elle, raconte la scène de l’évangile aux enfants et en tire une leçon de morale: “Mes enfants, il faut toujours bien dire merci à ceux qui vous font du bien”.

Monsieur Dupont, pratiquant moderne, se demandait comment on allait lui expliquer cet évangile mais, pas de chance: le célébrant n’a pas fait l’homélie car il devait expliquer l’organisation des catéchismes.

Réduit à un événement spectaculaire ou légende suspecte, moralisé, escamoté, l’Evangile n’est plus une Bonne Nouvelle qui éclaire, interpelle et change la vie. Et vous vous demandez pourquoi la pratique dominicale tombe en chute libre ?

DES LEPREUX RENCONTRENT JESUS

Luc est le seul à raconter cette scène et il l’introduit en répétant pour la troisième et dernière fois: “Jésus marchait vers Jérusalem”. Ce n’est pas anodin. Nous en avons été prévenus: Jésus n’est pas un pèlerin ordinaire qui, avec le peuple, va célébrer la fête de la Pâque. Il monte avec l’intention de dénoncer l’hypocrisie des prélats, de purifier le culte du temple tel qu’il est célébré. Il s’ensuivra évidemment colère et haine des notables. Celui qui va se présenter comme un prophète sinon comme un Messie sera considéré comme un blasphémateur abominable et dangereux qu’il faut supprimer. Jésus ne cherche pas la mort mais la vérité. Il aura les deux. Mais ainsi, par amour, il sauvera les hommes de la lèpre mortelle du péché.

Quelque part, tout à coup, un groupe de dix lépreux vient à sa rencontre. En ces temps anciens, on appelle lèpre toute maladie de peau aux symptômes graves: des taches apparaissent et, en dépit des soins, elles se répandent sur tout le corps, suppurent, provoquent inflammations et douleurs, éveillent la souffrance, abîment et défigurent les apparences. Et surtout elles sont contagieuses. Les personnes atteintes suscitent l’effroi, elles sont soupçonnées d’être punies par Dieu,donc “impures” donc chassées de la famille et de la société: elles sont exclues, rejetées, tenues de signaler leur présence afin d’éviter tout contact.

Si le malade donne un jour des signes de guérison, il est tenu de se rendre au temple de Jérusalem où des prêtres qualifiés pour cet office vérifieront son état et lui imposeront tous les rites de purification. Le chapitre 24 du Lévitique donne tous les détails.

“Les dix lépreux s’arrêtent à distance et crient : “Jésus, maître, prends pitié de nous”.

Ils ont entendu parler de ce guérisseur de Galilée mais il n’est pour eux qu’un “maître”, un grand prédicateur doué de dons thérapeutiques et ils croient qu’il peut intervenir pour eux.

Luc avait déjà raconté qu’un lépreux avait lancé ce cri à Jésus et celui-ci, sur le champ, l’avait guéri d’un mot (5, 12). Or, ici, curieusement, Jésus répond: “Allez vous montrer aux prêtres”…sans les guérir ! Il exige de ces pauvres une démarche de foi beaucoup plus profonde: faire confiance totale, espérer, sans preuves tangibles, qu’ils vont être guéris et qu’ils pourront donc ensuite se montrer aux prêtres du temple.

Sans réplique, sans rien exiger, les hommes obéissent et se dirigent vers la capitale. Et, en effet: “En cours de route, ils furent purifiés” ! La promesse de Jésus s’est réalisée.

ALLER AU TEMPLE OU ALLER A JESUS ?

Que se passe-t-il ensuite? Emerveillés de constater leur subite guérison, tous les hommes se pressent vers le temple pour le constat et rendre grâce à Dieu par les rites. Tous sauf un !

“ L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas en glorifiant Dieu à pleine voix et il vient se jeter face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or c’était un Samaritain.

Jésus lui demande: “Est-ce que tous les 10 n’ont pas été purifiés ? Et les 9 autres, où sont-ils ? On ne les a pas vus revenir pour rendre gloire à Dieu: il n’y a que cet étranger !”

Jésus lui dit: “Relève-toi et va: ta foi t’a sauvé”

Il faut relire attentivement ce récit de Luc.

Donc cet homme, avec stupeur et émerveillement, constate tout à coup, en même temps que les autres, qu’il est guéri. Mais tandis que les autres s’empressent vers Jérusalem pour faire, dans le temple, les rites de purification prescrits par le Lévitique, celui-ci éclate en bruyantes actions de grâce envers Dieu, seul capable de réaliser la guérison de la lèpre, et, faisant marche arrière, il retourne vers Jésus et l’adore en se prosternant devant lui et en lui rendant grâce (verbe grec: eucharistein !!).

Au lieu d’aller adorer et remercier Dieu dans le temple de Jérusalem qui est sa demeure sacrée, il vient l’adorer aux pieds de son guérisseur. Jésus est substitué au temple ! Venir faire “eucharistie” à ses pieds remplace les rites de purification !

Or ce dixième homme était un samaritain, un habitant de la région centrale d’Israël qui s’était jadis séparée de la Judée du sud et où on avait même jadis construit un temple rival de celui de Jérusalem – d’où les guerres entre les deux royaumes.

On pense tout de suite à la célèbre scène racontée par Jean où Jésus, au puits, rencontre la femme samaritaine qui l’interroge: “Vous, les Juifs, vous dites qu’il faut adorer Dieu à Jérusalem; chez nous on dit qu’il faut l’adorer ici sur cette montagne”. Et Jésus lui répond: “Crois-moi, femme, désormais ce n’est plus ni ici ni là qu’il faut aller pour trouver Dieu. L’heure est venue où les vrais adorateurs adoreront Dieu en Esprit et et en Vérité” (Jean 4).

Comme la femme, l’ancien lépreux reçoit une révélation qui bouleverse toutes les conceptions antiques: Dieu n’est plus dans une maison mais dans un homme. Il ne faut plus se déplacer à Jérusalem, à Samarie, au Gange, à La Mecque…Il n’y a plus de lieux sacrés où Dieu serait davantage présent.

En effet Jésus dit à l’homme: “RELEVE-TOI: TA FOI T’A SAUVE”.

Tu m’avais interpellé comme “un maître”, tu m’avais supplié comme un guérisseur. En revenant non pas simplement me remercier mais me rendre grâce dans l’adoration, tu as accédé à la foi.

Et si tu es purifié de la maladie, tu es sauvé par ta foi en moi. “Relève-toi”: c’est le verbe qui sera employé à la Résurrection de Jésus.

La scène prend du coup une profondeur extraordinaire.

Au départ, il y avait l’humanité malade qui criait son malheur, pleurait pour obtenir la santé et bâtissait des lieux sacrés pour y prier le Dieu mystérieux et invisible.

Maintenant, ceux qui ont la foi comprennent

  • que la véritable lèpre est celle du péché, car la convoitise, la haine, la rage du pouvoir rongent l’humanité, dissolvent les relations et détruisent le monde par la contagion.
  • qu’il ne faut plus localiser Dieu en des lieux rivaux qui suscitent rivalités.
  • que le mal qui nous défigure peut être guéri en adorant Dieu en Jésus.
  • que notre quête de la santé nous oriente vers le don du “salut”.
  • que ce salut est relevailles, résurrection qui nous permet de vivre (“Va…”), portés par l’espérance d’une Vie toujours nouvelle.
  • Et que finalement le véritable temple, c’est le Christ, Saint des Saints, Corps unique dont nous sommes les membres.

Mais tout cela n’a été possible que parce que Jésus, contrairement à ce Samaritain, est monté jusqu’à Jérusalem. Il a voulu purifier le temple devenu maison de trafic, a dénoncé l’hypocrisie du culte, est devenu du coup un dangereux blasphémateur, a été méprisé et condamné. Tel un rebut, tel un lépreux, il a été éliminé et cloué sur une croix.

Mais son amour sans failles, sa miséricorde infinie lui a permis d’entrer dans la Demeure éternelle où, comme un fils, il a été accueilli par son Père.

CONCLUSION

Lorsque Luc écrit ce texte (dans les années 80-85), Israël est effondré. L’armée romaine a écrasé la révolte, détruit la ville et incendié le temple. Plus aucune possibilité de célébrer le culte, de pratiquer les rites de pardon et de purification. Les prêtres (Cohen…) sont réduits à l’impuissance car il n’y avait liturgie qu’en cet endroit sacré…..qui, au septième siècle, sera conquis par l’Islam et reste le lieu sacré musulman interdit à Israël. Sera-t-il un jour possible d’édifier un troisième temple ? Seuls quelques extrémistes juifs y croient.

Luc et les chrétiens, eux, savent que ce troisième et définitif temple est bâti: c’est Jésus, qui a offert sa vie pour purifier et sauver tous les croyants, qui est ressuscité et s’agrège les disciples du monde entier.

“ Détruisez ce temple, je le relèverai en trois jours” disait-il et Jean de commenter: “ Il parlait de son Corps” (Jn 2, 19). C’est pourquoi Paul pouvait affirmer aux chrétiens de Corinthe: “Nous avons été baptisés dans un seul Esprit pour être un seul Corps, esclaves ou hommes libres…Vous êtes le Corps du Christ, vous êtes ses membres, chacun pour sa part” (1 Cor 12,13-27)

Frère Raphaël Devillers, dominicain


Publié le

dans

par

Étiquettes :