8e dimanche ordinaire – Année C – 3 mars 2019 – Évangile de Luc 6, 39-49

ÉVANGILE DE LUC 6, 39-49

DES DISCIPLES BIEN FORMÉS

Aujourd’hui nous entendons la 3ème et dernière partie du grand Sermon de Jésus dans la plaine. Cette fois il s’adresse à ses disciples et il leur parle en paraboles c.à.d. en petites histoires qui, mieux que des conférences, illustrent les leçons et les gravent dans la mémoire. Je restitue l’entièreté du texte dont la liturgie a coupé la fin.

LE DISCIPLE DOIT ETRE BIEN FORMÉ

Il leur dit encore en parabole : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître.

Les chrétiens ne sont pas une secte de privilégiés appliqués à des rites et occupés au salut de leur âme. Car le baptême donne mission : faire briller la Lumière de l’Evangile pour toute l’humanité qui erre dans la nuit.

Nous venons d’un siècle où des hommes des « Lumières », des führers fous, des petits pères des peuples puis les sirènes hurlantes du capitalisme débridé ont déclaré la mort de Dieu, la fin de la religion puis le bonheur total dans la consommation. Des foules crédules et hypnotisées se sont précipitées derrière ces maîtres. Et nous avons constaté que ces « lumières » conduisaient l’humanité à la ruine et le monde à la destruction.

Loin d’ébranler la foi évangélique, les dérives catastrophiques du monde sans Dieu en montrent, en hurlent la pertinence, la lumière unique : elle est le chemin authentique de l’humanisation.

Jésus souligne la fonction historique des disciples : être des guides. Donc bien voir. Ne pas être des aveugles qui conduisent les autres dans les fossés de la mort. Dans ce but il est nécessaire de se laisser former par le seul vrai Maître. Ne pas se croire plus fort que lui. Ecouter sa formation, l’assimiler, l’approfondir, la mettre en pratique.

Question d’une énorme importance : dans un monde qui évolue à toute vitesse, où les nouvelles connaissances se bousculent, sommes-nous des chrétiens formés ? La liturgie dominicale reste-t-elle un moment pieux ou y apprenons-nous à être des chrétiens lucides, capables de répondre aux objections actuelles?…Sur ce point capital, il y a, me semble-t-il, un déficit énorme.

LA PAILLE ET LA POUTRE

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Un bon disciple a bien entendu l’avertissement précédent et il s’applique donc à ouvrir les yeux au maximum afin de débusquer les obstacles et d’éviter les chutes dans les fossés de l’erreur. Sur quoi porte son regard perspicace ? Evidemment en priorité sur l’autre. Inspecteur conscient de sa responsabilité, il discerne les manquements de son frère qui, à ses yeux, ne remplit pas bien son rôle et, plein de zèle, il pointe sans ménagement ses péchés.

Mais le Seigneur le prévient : « Tu accuses ton frère d’une faute alors que toi-même tu en commets une plus grosse. Donc travaille d’abord à te soigner toi-même. Plus tu feras de progrès, plus tu seras lucide et indulgent sur les dimensions des péchés de ton frère ».

LE CŒUR BON

Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces. L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur.

L’Eglise que les disciples vont avoir la charge d’étendre ne se réduit pas à une entreprise qu’il s’agit de gérer au mieux : planning des tâches, organisation bien huilée, coordination des compétences, entretien des bâtiments, régularité des offices, rentrée des fonds.

Sa mission fondamentale en effet est l’annonce de la Parole de Dieu et cette annonce n’est authentique que si elle jaillit du fond d’un cœur bon.

Oui, il est bien de veiller à tous les rouages mais ce que les hommes attendent des disciples de Jésus, c’est de percevoir en eux un cœur bon, écho de la Bonté du Père.

La science théologique, le sens de l’organisation, l’élégance de l’éloquence, la beauté de l’architecture ne convertissent pas. Au 19ème siècle, la France entière et de hauts prélats se pressaient dans le petit village d’Ars pour écouter un pauvre curé qui n’avait rien d’un académicien mais dont la parole sortait du trésor de son bon cœur, un cœur débordant de l’amour du Christ.

BATIR SA VIE SUR LE FONDEMENT DES ACTES

Il serait bon de rétablir la finale de l’instruction que le lectionnaire a malheureusement écourtée.

Et pourquoi m’appelez-vous en disant : “Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ?

Quiconque vient à moi, écoute mes paroles et les met en pratique, je vais vous montrer à qui il ressemble. Il ressemble à celui qui construit une maison. Il a creusé très profond et il a posé les fondations sur le roc. Quand est venue l’inondation, le torrent s’est précipité sur cette maison, mais il n’a pas pu l’ébranler parce qu’elle était bien construite.

Mais celui qui a écouté et n’a pas mis en pratique ressemble à celui qui a construit sa maison à même le sol, sans fondations. Le torrent s’est précipité sur elle, et aussitôt elle s’est effondrée ; la destruction de cette maison a été complète. »

Le risque de tout enseignement, c’est d’être écouté mais non mis en pratique. On l’admire, on l’applaudit, on en parle avec passion mais sans qu’il ait d’impact sur la réalité de la vie. Or l’Evangile a bien pour but de changer notre existence. La vie nous a été donnée mais nous avons à la construire et puisque les épreuves, les orages, les tempêtes vont de toutes manières survenir, il est essentiel que notre construction soit édifiée sur une base solide. Cette base, cette fondation, ce ne sont pas des connaissances, des projets, des bonnes idées, des valeurs, de la spiritualité, des rites, des cérémonies mais des ACTES.

L’Evangile n’est Bonne Nouvelle, il n’est force et consistance de la vie que s’il est mis en pratique. Il n’est pas une décoration, une tradition familiale, un sentiment du sacré, une pratique ésotérique. C’est parce qu’il n’était qu’une vague croyance intérieure sans être réellement vécu que des multitudes, ébranlées par les objections modernes, s’en sont aussi rapidement détournées.

Les critiques, la culture, la maturation de l’âge, les doutes peuvent bien dissoudre certaines croyances, conduire même à un désert, à une sécheresse de l’âme qui perd ses certitudes. Mais la foi tient parce qu’elle était incarnée.

CONCLUSION

La foi est un enjeu historique majeur. Il ne s’agit pas d’en rester à des questions abstraites (« Je crois ? je ne crois pas ? »), ni à un vernis de gentillesse et de bonnes mœurs, ni à une pratique rituelle routinière et ornementale. L’humanité marche sur la route du temps et les risques de catastrophes y sont nombreux et de plus en plus énormes. Des aveugles prétendent guider les hommes et hélas, des multitudes immenses les suivent et s’effondrent dans l’abîme. Et même l’actualité montre qu’il y a aussi dans l’Eglise des aveugles capables d’égarer les simples.

Mais Jésus est là, il est « le chemin, la vérité et la vie ». Dans le maquis de tous les pièges, il a ouvert le vrai chemin de lumière qu’aucune attaque n’a pu et ne pourra jamais éliminer.

Dans ce « sermon dans la plaine », que nous terminons aujourd’hui, il a appelé heureux ceux qui l’écoutent et deviennent ses disciples. Il nous a prévenus que, comme lui, nous serons la cible d’attaques sans merci. Mais il nous a commandé d’aimer nos ennemis, de renoncer à la vengeance, d’oser des démarches sortant de l’ordinaire. Il nous a révélé que de la sorte notre bonheur était de nous savoir enfants du Père, issus de son amour miséricordieux et s’efforçant de partager cet amour avec tous.

Enfin, aujourd’hui, en finale, il nous a conféré la responsabilité de poursuivre sa mission, d’être les guides lucides et vigilants d’une humanité qui divague dans la nuit, des inspecteurs patients qui commencent toujours par se corriger eux-mêmes, des hommes qui ne se perdent pas dans le détail de l’organisation mais qui se convertissent pour avoir un cœur bon qui donnera de bons fruits, des architectes qui ont compris que l’essentiel était toujours l’effort pour mettre en pratique les enseignements de l’Evangile. La foi résiste à tout et se fortifie lorsqu’elle agit.

Alors nous serons des disciples « bien FORMES » donc nous serons « comme notre Maître » (6, 40)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

CONSOMMER MIEUX : CONNAISSEZ-VOUS LA REGLE DES « 5 R » ?

Nombreux sont ceux qui ont entendu parler de l’obsolescence programmée, qui consiste à réduire délibérément la durée de vie d’un produit afin d’entraîner le consommateur à acheter à nouveau. En revanche, on connaît nettement moins le concept de l’obsolescence dite culturelle, ou esthétique. Plus psychologique et insidieuse que la première, elle incite le consommateur à laisser de côté des produits en parfait état de fonctionnement pour les remplacer par des objets neufs pour des raisons de goût, de mode ou de design, bien entendu largement influencées par le marketing, ses désirs étant alimentés par une offre variée et qui se renouvelle très rapidement.

Les marques de vêtements, de chaussures, d’objets connectés, ne cessent d’inciter pernicieusement leurs cibles à s’engager dans la course infernale de la surconsommation.

Selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), 88% des Français changent leur smartphone avant même qu’il ne tombe en panne. Et selon la WWF, la consommation mondiale de vêtements a doublé entre les années 2000 et 2014. En moyenne globale, chaque personne achèterait cinq kilos de vêtements par an, sachant qu’en Europe et aux États-Unis, la consommation est trois fois plus élevée qu’ailleurs.

« L’illusion d’un bonheur éphémère »

Quelle réponse face à cela et comment sortir de l’engrenage ? Une vidéo parue ce mois-ci invite le consommateur à adopter le principe des « 5 R » :

  1. Refuser d’acheter toujours plus,
  2. Réparer ses appareils,
  3. Réemployer en donnant ou en vendant,
  4. Recycler les appareils les plus polluants,
  5. Réutiliser en favorisant l’économie circulaire.

Elle invite également à acheter des produits robustes. Dans J’arrête de surconsommer, de Marie Lefèvre et Herveline Verbeken (Eyrolles, mars 2017), les auteurs expliquent la vacuité de cette consommation débridée : « On nous fait croire que posséder tel ou tel objet nous rendra heureux, qu’il renverra une image de nous-mêmes [au choix] plus à la mode, plus performant, plus beau, plus cool, plus sûr de soi. Mais c’est juste une image. Cela nous apporte seulement l’illusion d’un bonheur qui est éphémère et déconnecté de nous-mêmes. Dans ce schéma, nous avons toujours besoin d’autre chose pour être heureux ».

L’objectif n’est pas de culpabiliser mais de réfléchir sereinement à son mode de consommation afin de l’améliorer si nécessaire.

Paru dans ALETEIA, mardi 26 février 2019.

7e dimanche ordinaire – Année C – 24 février 2019 – Évangile de Luc 6, 27-38

Voici le moment favorable pour changer de vie.
Voici le temps de se laisser toucher au cœur.
Face au mal commis, et même aux crimes graves, voici le moment d’écouter pleurer les innocents dépouillés de leur biens, de leur dignité, de leur affection, de leur vie même.
Rester sur le chemin du mal n’est que source d’illusion et de tristesse.
La vraie vie est bien autre chose.
Dieu ne se lasse pas de tendre la main.
Il est toujours prêt à écouter, et moi aussi je le suis,
comme mes frères évêques et prêtres.
Il suffit d’accueillir l’appel à la conversion et de se soumettre à la justice,
tandis que l’Eglise offre la miséricorde.
 

PAPE FRANCOIS :
Le Visage de la Miséricorde – § 19 – avril 2015

ÉVANGILE DE LUC 6, 27-38

AIMEZ VOS ENNEMIS : C’EST-A-DIRE ?

Le grand enseignement de Jésus dans la plaine avait commencé par un immense paradoxe : devenir son disciple est un grand bonheur mais qui ne pas sans épreuves et notamment sans attirer sarcasmes, opposition, mépris et même haine de certains. « Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent ».

La suite du texte aujourd’hui enchaîne sur la conséquence de ce fait : elle est tout aussi stupéfiante. Loin de se venger, de mépriser les impies, de déchaîner des croisades contre les infidèles, les disciples sont tenus de les aimer : « Aimez vos ennemis ».

Ce n’est pas un conseil, un tour de forces qui ne serait possible que pour les grands saints : c’est un ordre adressé à tous. Nul précepte de l’Evangile n’a éveillé autant de hurlements, nul n’a été autant rejeté comme impraticable et même inhumain. Tout mais pas ça !

Or Jésus explique tout de suite par une série d’exemples ce qu’il entend par cet « amour ». Il ne s’agit évidemment pas de le prendre au sens affectif, sentimental. Sept impératifs s‘enchaînent :

« Faites du bien à ceux qui vous haïssent –  Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent – Priez pour ceux qui vous calomnient – À celui qui te frappe sur une joue, présente l’autre joue. – À celui qui te prend ton manteau, ne refuse pas ta tunique – Donne à quiconque te demande – Et à qui prend ton bien, ne le réclame pas ».

L’amour ici n’est donc pas sensation mais décision. Sous les coups de la violence, le disciple doit refréner son instinct de vengeance et décider des comportements de non-violence. C’est une guerre intérieure qu’il faudra engager contre instinct de vie, colère, ressentiment et sens de l’honneur.

Un argument, appelé « la règle d’or », tente de nous introduire sur ce chemin devant lequel nous nous cabrons : 

« Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux ».

S’il vous arrivait de faire mal à l’autre, vous aimeriez sans doute ne pas subir les foudres de sa colère mais qu’il vous rende le bien pour le mal. Eh bien commencez !

Suivent trois exemples où Jésus montre qu’il a bien conscience d’exiger de l’extraordinaire :

« Si vous aimez ceux qui vous aiment…Si vous faites du bien à ceux qui vous en font… Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour …Même les pécheurs en font autant…

Un disciple se démarque des mœurs habituelles, il s’oblige à outrepasser les coutumes du donnant-donnant. Car il remarque que ce comportement habituel – frapper celui qui nous fait du tort, faire du bien à celui qui nous est sympathique – est totalement insuffisant pour conduire l’humanité sur le chemin de la justice et de la paix. Il faut absolument que certains fassent davantage et ne se laissent pas enclore dans les cloisons des pays, des classes, des tempéraments.

On leur reprochera d’être trop bons, de se laisser faire, on leur martèlera qu’il faut se faire respecter. Mais qu’est-ce qu’un chrétien qui est comme tout le monde ?

LE COMPORTEMENT DES FILS DE DIEU

Une seconde fois, l’impératif scandaleux retentit mais cette fois, surmontant toute morale humaine si héroïque soit-elle, l’amour des ennemis apparaît dans son identité théologale :

« Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants ».

L’amour de l’ennemi n’est plus seulement obéissance à un ordre, effort pour obtenir une récompense, élan pour aller plus loin que les autres : il est révélation et imitation du vrai visage de Dieu. « Dieu est bon pour tous ».

L’horreur de tuer au nom de Dieu est, on le voit aujourd’hui encore, un fanatisme qui n’a pas disparu : mort au blasphémateur ! Cessant de justifier leurs haines par les colères imaginaires d’un Dieu pervers, les disciples de Jésus, par la douceur, la non violence, et le bien fait à l’ennemi, deviennent ainsi vraiment les enfants du vrai Dieu.

LA MISERICORDE

Finalement le dernier mot est à la miséricorde et au pardon.

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Plus que les autres évangélistes, Luc (sans doute lui-même un converti) souligne que Dieu est miséricordieux, que Dieu est Miséricorde. La femme pécheresse pleure d’émotion pour le pardon reçu de ses nombreux péchés (7, 48) ; Jésus s’invite chez Zachée le voleur (19, 1) ; le brigand crucifié avec Jésus est promis au paradis (23, 43). Et au centre de son livret, se dresse l’inoubliable figure du père qui, étreint de miséricorde, sanglote en embrassant son fils prodigue qui lui était enfin revenu (15, 20).

C’est en lisant et relisant ces épisodes que nous pouvons entrer dans le mystère authentique de Dieu : sa puissance ultime est sa bonté, sa compassion, son amour pour les blessés, les pauvres, les pécheurs, les cabossés de la vie. Or ce Dieu est « votre Père ». Donc vous ne pouvez douter de son pardon jamais refusé. Et donc vous ne pouvez vous comporter autrement que lui pour être et demeurer « ses fils ».

L’amour des ennemis n’est plus un impératif qui nous écrase et nous complexe : il est rejaillissement entre nous d’une source d’amour divin qui jamais ne cesse de s’écouler car elle vient du cœur transpercé de Celui qui est venu pour les pécheurs et les malades.

Vous êtes écrasé par vos fautes : pardonnez à l’autre. Vous êtes vides de mérites : donnez à l’autre la grâce qui vous manque. Vous doutez de votre salut : offrez à l’autre la douce pitié de Dieu. Vous voulez recevoir beaucoup de compassion : vous en recevrez autant et plus que vous en aurez donné.

Dans une société de consommation qui brûle de rivalités, de jalousie, d’affrontements, soyez une communauté de consumation par le feu du pardon.

CONCLUSION

Il faut bien admettre le caractère abrupt de ce commandement. Et dans certains cas tragiques où il y a eu viol, destruction, meurtre, qui oserait accabler de reproches la victime qui bute sur son impossibilité d’y parvenir ?

Mais « je ne peux pas » ne doit pas devenir un « je ne veux pas ». Nous ne pouvons accuser le Christ de nous avoir ordonné l’impossible, d’avoir mis sur nos épaules un joug intolérable qui nous écraserait de culpabilité incurable.

Il faut faire confiance au temps qui peu à peu apaise les brûlures et calme le ressentiment. Mais il importe surtout de mieux découvrir le visage authentique de Dieu tel que Jésus l’a connu : Dieu est bon pour tous, Dieu est miséricordieux.

Loin d’être une condescendance divine accordée à contrecœur à des malades incurables, la miséricorde est le cœur, le centre, la puissance même de Dieu. Il est plus grand de pardonner que de créer.

Dans une société aux rouages implacables, qui idolâtre la force et méprise toute faiblesse, l’Eglise de Jésus vit et proclame jusqu’où va l’amour.

Don de soi jusqu’à la flagellation, le jugement injuste, les ricanements et la crucifixion, le pardon est notre seul avenir.

 
Frère Raphaël Devillers, dominicain

PÈRE PEDRO – LE PARDON

Le pardon est le début du bonheur.
Les blessures que nous causons
Et celles que nous recevons
Sont blessures de Dieu.
Parvenir à pardonner est un combat intérieur
Pour chasser la rancune, voire la haine
Qui viennent nous habiter
Et nous ronger de ressentiment.

Le pardon est contraire
A toute logique de comptabilité :
On n’additionne ni ne soustrait
Les méchancetés faites ou subies.
On regarde le passé
Et on fait la paix avec lui.
Le pardon est reconnaissance de notre vulnérabilité.

Il exige de nous libérer
des chaînes de l’orgueil.
C’est à ce prix d’humilité
Que nous redevenons capables de recréer des liens brisés.

Le pardon restaure notre humanité.
Il nous conduit à nous accepter nous-mêmes
Et accepter l’autre avec indulgence.
 

PÈRE PEDRO : LE CRI DES PAUVRES – éd. Balland p.118

Père Pédro est né en Argentine en 1948. Prêtre Lazariste, il découvre la détresse de milliers de familles sur l’immense décharge de Tananarive à Madagascar.

L’enfer : les déchets nauséabonds étaient leur lieu de naissance, leur dortoir, le lieu où ils essayaient de survivre, se battant avec les chiens et les cochons pour découvrir un brin de nourriture avariée.

Aujourd’hui lorsque le dimanche il célèbre la messe sur l’ancien dépotoir, c’est une foule de 7 à 8000 personnes qui prie avec lui.

L’abbé Pierre raconte : « Lorsque j’ai vu la misère de Madagascar, une horrible misère d’enfer, poussé par la révolte et l’indignation, j’ai cru que j’allais blasphémer….Heureusement je suis arrivé chez le père Pédro et là, j’ai découvert que dans l’enfer, il était possible de créer des petits paradis ».

Pour connaître l’œuvre extraordinaire et soutenir le Père Pédro : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pedro_Opeka

BURKINA FASO : UN MISSIONNAIRE TUE DANS UNE ATTAQUE DJIHADISTE

« C’est toujours l’heure des martyrs », a déclaré la congrégation des Salésiens de Don Bosco après l’annonce de la mort du père Antonio César Fernández ce 15 février au cours d’une attaque perpétrée par des djihadistes contre un poste mobile de douane au sud du Burkina Faso, près de la frontière avec le Togo. Quatre douaniers auraient également été abattus.

49 missionnaires tués en 2018

De nationalité espagnole, le père Antonio César Fernández, qui était entré chez les salésiens il y a 55 ans et prêtre depuis 46 ans, « s’était offert comme missionnaire en divers pays africains » depuis 1982. Responsable de la communauté salésienne de Ouagadougou (Burkina Faso), il a été abattu à l’âge de 72 ans alors qu’il rentrait avec deux autres frères de Lomé (Togo) après avoir assisté à la première session du Chapitre Provincial de cette Province.

« Toute mon affection à la famille et aux collègues du missionnaire Antonio César Fernandez et de toutes les victimes de l’attaque terroriste au Burkina Faso », a réagi le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez sur Twitter. « Ma répulsion absolue face à cette attaque et ma reconnaissance aux coopérants et aux volontaires qui risques leur vie en travaillant dans des zones de conflits ». En 2018, 49 missionnaires ont été tués dans le monde, dont 21 en Afrique (19 prêtres, un séminariste et un laïque).

6e dimanche ordinaire – Année C – 17 février 2019 – Évangile de Luc 6, 17-26

ÉVANGILE DE LUC 6, 17-26

« IL COMBLE DE BIENS LES AFFAMES,
RENVOIE LES RICHES LES MAINS VIDES »

En quelques mois, l’ancien charpentier de Nazareth a réussi à faire parler de lui dans ce coin de Galilée. Il se prétend animé de l’Esprit de Dieu et chargé de la mission de proclamer la Bonne nouvelle aux pauvres et d’ouvrir une année de grâce de Dieu. Il ne lance pas un mouvement d’insurrection politique : tout recours à la violence semble exclu. Il parle, il enseigne, il commente les Ecritures à la synagogue : donc il se situe dans le prolongement de l’histoire de son peuple

Ce qui frappe, c’est la force de sa parole qui est capable d’exorciser le mal qui rôde au fond de l’homme et de donner le pardon des péchés. Et en outre, il a un don exceptionnel de guérisseur : sans recourir à des incantations et des formules magiques, il commande et la guérison s’effectue.

Jésus a lancé un mouvement et il ne cesse de circuler pour le faire connaître. « Il enseigne, il enseigne » répète Luc. Tout cela est bien surprenant, inattendu, inouï. Que veut ce prophète ? Quel est son projet ?

Le moment est venu où il va préciser le contenu de cet enseignement. Après une période où Jésus a établi les bases de sn action, à présent il va apprendre aux gens ce qu’ils doivent faire, eux, pour être ses disciples. Devant le succès qui se propage, Jésus monte sur une montagne et après une nuit de prière (signe de l’importance capitale de la décision), il appelle certains hommes et il constitue un groupe de 12 apôtres. Il n’est donc pas un prophète individuel qui remplit une tâche ponctuelle : il lance un mouvement qui s’inscrit dans la durée historique et qui sera porté par des collaborateurs.

INTRODUCTION

Chez Matthieu, les gens rejoignent Jésus là-haut pour entendre « le sermon sur la montagne » ; Luc au contraire fait descendre Jésus qui donnera un enseignement en un lieu plus accessible : dans la plaine. Il faut restituer l’intégralité du texte qui a été abrégé dans la liturgie.

Jésus descendit de la montagne avec eux et s’arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon. Ils étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies ; ceux qui étaient tourmentés par des esprits impurs retrouvaient la santé. Et la foule cherchait à le toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous.

La renommée de Jésus s’est largement étendue : autour de lui les Douze, puis beaucoup de gens de la région qui l’ont déjà entendu et maintenant des foules de Judée, de Jérusalem et même du pays païen des Phéniciens (Liban). Le mouvement déborde les frontières.

Comme toujours, c’est un enseignement que Jésus veut donner mais évidemment les foules sont surtout avides de guérisons. On s’écrase pour toucher Jésus, comme on le fait encore aujourd’hui pour les idoles. C’est bien sa personne qu’il faut toucher mais quel chemin à parcourir avant de passer du contact magique, intéressé, au contact avec la véritable personnalité avec laquelle on communiera dans les sacrements

Toutefois, dirait-on, Jésus accepte ces manifestations. Que l’homme malade et souffrant se jette vers toute source de thérapie, n’est-ce pas normal ? Les postes de mission dans les régions pauvres ne construisent pas de chapelle sans dispensaire. Le prêtre n’est pas médecin mais en cherchant à guérir son corps, l’homme pourra découvrir à quelle profondeur son être est blessé.

En tout cas, on ne voit pas Jésus faire des collectes de fonds pour les pauvres mais il passa beaucoup de temps pour accueillir handicapés, possédés et malades et tenter de les guérir.

LE DEBUT DU DISCOURS : BEATITUDES ET LAMENTATIONS

Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara :
« Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous.
Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.
Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.

Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation !
Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim !
Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez !
Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous : c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes.

Attention : on ne dit pas que les pauvres, les affamés, les pleureurs, les haïs sont heureux par le fait même qu’ils sont tels. L’essentiel c’est qu’un événement a eu lieu : avec Jésus, un mystérieux mais réel « royaume de Dieu » est survenu sur terre. Jésus enseigne comment ce Règne est là. Non comme un espace, un territoire, une langue. Mais par le fait que des hommes écoutent les paroles de Jésus, deviennent ses disciples, décident de vivre de la manière qu’il précise.

Adopter ce mode vie est une conversion radicale, qui démarque des modes habituels de penser et de faire et donc qui de soi attire les sarcasmes et l’opposition des majorités.

Devenir disciple de Jésus déboulonne l’idole de l’argent roi, limite la convoitise insatiable, embauche à construire une autre société basée sur le partage. Donc le disciple devient un pauvre. Non dépouillé de tout, non mendiant, non irresponsable vis-à-vis de ses proches. Mais en tout cas s’appliquant à une vie sobre, refusant tout gaspillage par souci des démunis.

Le disciple de Jésus refuse d’être rassasié en comblant tous ses besoins : il garde en lui une faim d’absolu qui ne peut être assouvie aujourd’hui. Mais il croit de toutes ses forces que cette faim sera comblée dans l’avenir de Dieu.

Le disciple de Jésus pleure devant l’immensité des malheurs des hommes, il pleure de voir Dieu si peu reconnu, bafoué, ignoré, non aimé. Mais il croit de toutes ses forces que le monde marche vers un triomphe de gloire, de vérité et d’amour.

Le disciple de Dieu ne cherche pas à être moqué, raillé, détesté, frappé, ostracisé. L’Evangile le rend même ultrasensible au mal et aux souffrances. Mais lorsqu’il rencontre les contradictions, lorsqu’il est objet de rejet à cause de sa foi, à cause de ses prises de position évangéliques, parce qu’il veut à tout prix être fidèle à son Seigneur Jésus, alors il s’arme de patience et même se réjouit de subir tant d’avanies pour sa foi.

Il se souvient que les anciens prophètes étaient eux-mêmes incompris, injuriés, frappés et persécutés. Plus encore il se souvient de la haine subie par son Seigneur Jésus. La croix fait mal mais la foi y voit la signature de Dieu sur la vérité de l’existence.

LES 4 PLAINTES. En contradiction à ces 4 Béatitudes, suivent non 4 Malédictions mais 4 plaintes pour prévenir les tenants des positions inverses.

Si vous sacralisez votre présent, si vous acceptez les slogans dictatoriaux : « On n’a qu’une vie : profitons-en. Rassurons-nous en accumulant le plus d’avoirs possibles, satisfaisons tout de suite toutes nos envies, courons à tous les plaisirs, soignons nos apparences, que notre opulence suscite admiration et jalousie. N’écoutons pas les aigris, les rabat-joie, les rêveurs d’un monde meilleur. Faisons taire ces mots creux de solidarité, de partage, ces rêves utopistes d’un monde meilleur. Par notre prestance, nos titres, nos toilettes, attirons courbettes et salutations »… « Dans quel malheur glissez-vous » dit Jésus.

A nouveau, Jésus resitue ces comportements sur la ligne du temps : maintenant vous cherchez assouvissement, plaisirs, honneurs. Viendra le futur où ce carnaval éclatera sous la gloire de l’amour

CONCLUSION

Ces 8 cas où Jésus explique notre situation ne sont évidemment pas des cages où chacun est lié à son destin. On n’est jamais définitivement classé « dans le Royaume » et on n’en est jamais définitivement exclu.

L’appel des Béatitudes et l’avertissement des Lamentations continuent à retentir.

Que les disciples étonnés de souffrir dans le Royaume de Jésus gardent l’espérance.

Que ceux qui sont abusés par les bonheurs fallacieux des idoles s’éveillent pendant qu’il en est temps.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

L’INJUSTICE FISCALE TUE LA DEMOCRATIE ET DECUPLE LA PAUVRETE

Christine MAHY

Il faut vulgariser au maximum l’importance de l’impôt et généraliser le combat pour une justice fiscale, en démontrant que les plus vulnérables sont volés par ceux qui organisent les baisses d’impôt dans leur propre intérêt. Plus de justice fiscale signifie davantage de droits pour les plus démunis…De nombreux chercheurs et économistes ne cessent de le dire : plus d’égalité, c’est une meilleure vie pour tous, y compris pour les plus aisés.

L’injustice fiscale est responsable du développement de la violence sociétale, de la mise en concurrence des gens les uns contre les autres, du délitement du sens commun et du vivre ensemble. L’injustice fiscale est au service de la loi de la jungle, de la loi du plus fort…Elle est une arme de destruction massive, « propre » parce que silencieuse, mais particulièrement « sale » car elle assassine sans que cela ne soit explicitement dénoncé …

 

INTERVIEW DANS « POUR – écrire la liberté » n°5,
Février 2019, 3 euros.


RAPPORT OXFAM 2018

En 2017, la richesse des possédants a augmenté de 762 milliards de dollars- somme 7 fois supérieure à celle qui permettrait de mettre fin à l’extrême pauvreté dans le monde.

Les plus pauvres s’éreintent à des tâches sous-payées et parfois dangereuses pour nourrir l’extrême richesse d’une minorité.

82 % des richesses créées en 2017 sont accaparées par les 1% les plus riches de l’humanité – alors que la moitié des plus pauvres (3, 7 milliards de personnes) n’en voient pas une miette.

Depuis 2010, le patrimoine des milliardaires a augmenté de 13 % l’an, soit 6 fois plus vite que la rémunération des travailleurs, qui n’a augmenté que de 2 % l’an en moyenne.

Si la tendance actuelle de concentration des richesses se poursuit, en 2050, la moitié du patrimoine de l’humanité sera détenue par 0, 1 % de la population.

En France, les 10 % les plus riches détiennent plus de la ½ des richesse alors que les 50 % les plus pauvres se partagent à peine 5 % du gâteau.

En Belgique, les 20 % les plus riches possèdent 61, 2 % du patrimoine national tandis que les 20 % les plus pauvres n’en détiennent que 0,2 %…

Au cours des 20 prochaines années, 500 personnes parmi les plus riches du monde transmettront plus de 2400 milliards de dollars à leurs héritiers – soit plus que le PIB de l’Inde.

 

Extrait de :
Anne de Muelenaere : « La concentration des richesses explose »
In POUR, n° 5, févr. 2019 intitulé « L’injustice fiscale tue la démocratie et décuple la pauvreté »

5e dimanche ordinaire – Année C – 10 février 2019 – Évangile de Luc 5, 1-11

ÉVANGILE DE LUC 5, 1-11

LA MISSION : PÊCHER LES PÉCHEURS

En entendant cet évangile, nous sommes évidemment frappés par le miracle de la pêche miraculeuse. Pourtant l’essentiel n’est pas dans l’événement merveilleux mais bien dans la Parole de Jésus :

Au bord du lac, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la Parole de Dieu.

QUELLE EST DONC CETTE PAROLE ? (4, 36)

Lors de son baptême, Jésus a fait une expérience intime : le Père a comblé son Fils de l’Esprit, pour accomplir « aujourd’hui » le salut du monde. Nul n’a rien remarqué, les apparences sont restées les mêmes, celles d’un modeste artisan d’un village perdu, sans fortune ni relations ni distinctions. Et la voix divine ne lui a donné aucune directive, aucune précision sur la façon d’agir. Que faire ? Comment faire ? Rejetant toutes les tentations de puissance, Jésus décide de son action : PARLER.

Depuis le début, Luc répète et souligne cette activité fondamentale de Jésus et qui le restera jusqu’à la fin de sa vie. Et qui lui vaudra la mort. Jésus devient prophète. Ce qui ne désigne pas un homme qui prédit l’avenir mais un homme qui parle pour (pro) Dieu.

Que dit-il ? Il tire son programme des Ecritures : « Dieu m’a oint de son Esprit, il m’envoie porter la Bonne nouvelle aux pauvres, annoncer la liberté aux prisonniers, aux aveugles qu’ils verront, ouvrir un Jubilé de la grâce de Dieu ». Aujourd’hui cet envoyé de Dieu anonyme est devant vous et la promesse se réalise.

Jésus devient un héraut dont la mission est de lancer une nouvelle heureuse. Donc l’Evangile n’est pas d’abord un livre, ni un catéchisme, ni un traité de morale, ni une loi. Au sens premier, c’est un cri joyeux, un appel. Ce n’est pas imposer, menacer, critiquer, renvoyer à un arrière monde. C’est révéler à quelqu’un que Dieu vient le libérer de ses chaînes et le combler de richesses, qu’il veut le rendre heureux et accomplir son désir le plus profond. Est-ce cela que les gens entendent aujourd’hui ?

A qui Jésus parle-t-il ? A tout le monde. A commencer par les gens de son pays, ce petit peuple de Galilée, paysans, artisans, esclaves, hommes, femmes, enfants. Non des nobles, des intellectuels, des prélats, des princes, des saints. Le premier Evangile a jailli non au Palais royal, ni à l’Académie, ni à l’E.N.A. Jésus n’a jamais dit que le petit peuple n’était pas capable de comprendre. Au contraire. Parce qu’ils menaient une vie misérable, parce qu’ils étaient dédaignés et exploités, ces gens pouvaient comprendre le langage de la libération.

Où parle-t-il ? Jésus n’a pas imité son maître, le Baptiste, qui s’était posté à l’écart, à un endroit fixe, attendant que les gens viennent à lui. Jésus tout de suite s’est élancé dans sa province et il ne tient pas en place : on le voit ici puis il gagne le village voisin, il franchit même les frontières, s’aventure en pays païen. Sans cesse il circule, il bouge, il va à la rencontre des gens, les rejoint dans leur milieu de vie – même sur la plage. Dieu ne nous attend plus au ciel : il vient chez nous. C’est dans notre monde que l’Evangile doit être dit, écouté, vécu.

Shabbat à la synagogue. En particulier Jésus prêche à la synagogue, lors du grand office le matin du shabbat. C’est le grand jour de fête au village. Arrêtant tout travail, revêtus de leurs plus beaux habits, tous les hommes du village se rassemblaient pour fêter Dieu, écouter la lecture de la Torah puis des Prophètes. En retour l’assemblée, par des Psaumes, chantait son allégresse, sa joie d’être unie par Dieu par un pétillement d’Alléluias.

Quand on lui en offrait l’occasion, Jésus montait au lutrin et affirmait qu’il était le grand Prophète annoncé justement par les Ecritures. Ce qui, on l’a vu, provoquait pas mal de remous. Imperturbable, Jésus s’en allait ailleurs et recommençait. Les prophètes ne sont jamais bien reçus dans leur pays.

Que devient notre dimanche ? Et notre assemblée fraternelle ? Et la prédication ? Beaucoup y viennent sans guère prêter attention à une lecture que pourtant l’on qualifie de divine: « Acclamons la parole de Dieu ». On écoute beaucoup mieux des bateleurs, des menteurs et des m’as-tu vu.

Des foules de baptisés occidentaux se détournent d’une foi pour laquelle, en Syrie, au Pakistan, en Erythrée, en Mongolie, des pauvres sont prêts à souffrir persécution et martyre.

Avec autorité. L’enseignement de Jésus n’était pas enfilade de propos pieux, salmigondis théologique, enguirlande morale. Elle pouvait se heurter au refus de l’homme libre mais, chez celui qui s’y livrait, elle avait la puissance de pénétrer au plus profond de son être et en extraire le cancer de la rage. Jésus parlait « avec autorité » : cela ne veut pas dire qu’il hurlait, qu’il frappait du poing sur le pupitre. Il parlait doucement mais sans consolider son discours par des références aux grands maîtres. Sa parole était active, performative comme on dit aujourd’hui : sans gesticulations, sans palinodies, elle pouvait pénétrer au plus profond des cœurs aliénés et les faire renaître à la liberté et à la joie. Sa parole guérissait, réparait, vivifiait l’homme. Nietzsche demandait que nous ayons l’air plus ressuscités.

« QUELLE EST CETTE PAROLE ? » : cette question que l’on se posait à l’époque doit demeurer la notre car elle se situe au point central de la foi.

LA PECHE MIRACULEUSE

Ce qui est magnifique, ce n’est pas la prise de poissons mais le fait que Simon, pêcheur de métier, accepte d’obéir à l’ordre d’un charpentier. Qu’ayant toujours pêché la nuit selon la coutume, il entreprenne de le faire le jour. Qu’il fasse absolue confiance à la Parole de Jésus.

« Nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre mais sur ta parole, je vais jeter les filets »

La foi, c’est « une fois de plus ». Outrepasser ses convictions. Surmonter l’expérience d’échecs consécutifs. Reprendre le travail quand on a envie d’aller se reposer. Recommencer quand les autres vous soufflent que « c’est inutile, tu perds ton temps ».

Et voila tout à coup une prise ébouriffante : tellement de poissons que le filet se déchire et que l’on va remplir deux barques. L’homme de métier apprend qu’il lui faut compter non d’abord sur ses compétences et son courage mais « sur la parole de Jésus », et qu’il obtiendra alors des résultats exceptionnels, inattendus. Se fonder sur la Parole conduit à une surabondance de vie. Pourquoi craignons-nous de dépasser nos limites ?

LA VOCATION DES APOTRES

Simon prend conscience qu’il vient de vivre un événement anormal : Dieu est là.

« Simon Pierre tomba aux pieds de Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur ». L’effroi l’avait saisi, ainsi que les autres.

Simon ne s’attribue pas la réussite de sa pêche, il ne jubile pas à la perspective de gagner beaucoup d’argent en vendant cette masse de poissons. Il perçoit la grandeur de Jésus et du coup sa propre petitesse. Il murmure « je suis un grand pécheur ». Pourtant Jésus ne l’a pas acculé à reconnaître son péché, il ne lui a pas fait pas la morale : il lui a montré de quoi, avec lui, il est capable.

« Jésus lui dit : « Sois sans crainte : désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Alors ils ramenèrent les barques au rivage et ils le suivirent ».

Car la véritable tragédie, c’est que des hommes, des multitudes innombrables d’hommes se noient. Ils sont submergés par les tâches et les soucis, happés par les tentacules de l’argent, victimes des requins de la finance, ils étouffent dans les drogues, ils s’abiment dans le désespoir, ils coulent dans les profondeurs du mal, les tempêtes des conflits, les tsunamis des guerres, l’angoisse de la mort. Les 4 hommes ont perçu l’appel : laissant tout là, ils s’en vont à la suite de Jésus.

CONCLUSION

Il ne faut pas « expliquer » le miracle mais réfléchir à cette PAROLE DE JESUS telle qu’elle brille dans ces premiers dimanches. Sa proclamation précède tout. Pratique des sacrements, préceptes moraux, discipline ecclésiastique, organisation paroissiale n’en sont que des conséquences.

Lancer la Bonne Nouvelle de la libération que Jésus opère ne peut jamais être considéré comme un préalable enregistré. C’est cette Parole que les jeunes attendent aujourd’hui en priorité indépassable.

L’Evangile donne sens à la vie : il nous appelle à toujours recommencer, à partir au large, à entendre les cris des multitudes infinies de noyés, à tout faire pour en sauver quelques-uns.

« J’ai toujours échoué…Je suis pécheur » ne sont pas des excuses mais des conditions pour écouter l’appel du Maître. A partir de la barque de Pierre (l’Eglise), Jésus continue à lancer la Bonne Nouvelle. Le grand filet retire des eaux de la mort ceux qui y consentent. La mission n’est pas embrigadement mais sauvetage. Heureux l’apôtre, conscient de son péché, qui se passionne à libérer ses frères. « SUR TA PAROLE »

Frère Raphaël Devillers, dominicain

LA RESURRECTION D’ASIA BIBI

par J. CHANNAN, dominicain pakistanais

Quelle joie pour nous, en ce 29 janvier, d’apprendre qu’Asia Bibi était définitivement libre et que le recours contre son acquittement a été rejeté par le président de la Cour suprême du Pakistan.

Enfin, il est reconnu une fois pour toutes qu’elle n’a pas proféré de blasphème contre le prophète de l’Islam et que toutes les charges retenues contre elles sont fausses et sans fondement. Enfin, il est dit que ceux qui ont témoigné contre la chrétienne sont des menteurs et ont donné un faux témoignage.

Pour Asia Bibi, cette décision est une véritable résurrection des morts. Dieu l’a comme relevée du tombeau, sa cellule de prison dans le couloir de la mort où elle a passé huit ans. Cette femme pauvre et illettrée, qui était ouvrière agricole dans la périphérie de Lahore, n’a jamais faibli dans l’épreuve. Elle est pour nous l’exemple d’une foi forte dans le Christ ressuscité. Elle nous en a donné le témoignage pendant toutes ces années depuis le fond de sa cellule où planait l’ombre de la mort et maintenant elle est dans la joie d’une « résurrection ».

Elle s’est battue pour prouver son innocence avec la force de la foi, comme un roc qui ne peut être ébranlé, et c’est vraiment une satisfaction de la voir aujourd’hui victorieuse. Je ne peux qu’imaginer à quel point ses nuits ont dû être sombres et ses rêves épouvantables quand la peine de mort a été prononcée contre elle en novembre 2010 et qu’elle a craint d’être pendue. Mais Asia est une femme pleine d’espérance et elle a toujours cru qu’un jour elle se relèverait et pourrait vivre à nouveau une vie libre et « normale ».

Je veux saluer ici son avocat, Saif-ul-Malook, un musulman qui s’est battu pour elle et l’a défendue en risquant sa propre vie. Lui et sa famille ont reçu des menaces de mort de la part d’islamistes à tel point qu’ils ont dû fuir le pays… Mais cet homme courageux est retourné à Islamabad pour défendre une dernière fois la cause de la chrétienne, ce 29 janvier, et il a gagné. J’imagine sa joie profonde.

Le rejet de l’appel contre l’acquittement est une victoire de la justice. C’est la justice qui l’emporte au Pakistan.

Le procès d’Asia Bibi était un test pour le Pakistan. Il a montré au grand jour comment des esprits dérangés et des musulmans radicaux détournaient cette loi sur le blasphème pour s’en prendre à n’importe qui et spécialement aux chrétiens les plus pauvres et sans défense. Je me réjouis de la position audacieuse des juges de la Cour suprême du Pakistan et de leur décision. Ils ont rendu leur jugement librement, en conscience, sans se laisser influencer par les manifestations, les grèves et les menaces de la part de fanatiques islamistes qui ont accompagné chaque étape de l’interminable procès d’Asia Bibi.

Tous les chrétiens et, je le crois, une majorité de musulmans, se réjouissent de cet acquittement. J’espère qu’après cette décision les islamistes se garderont de toute fausse accusation et qu’ils craindront de faire de faux témoignages.

Maintenant, Asia Bibi est libre. Mon regret est qu’elle ne puisse malheureusement pas vivre librement dans son propre pays, celui qui l’a vu naître. Elle est forcée, de crainte d’être un jour victime d’un attentat, de quitter le Pakistan et de s’installer ailleurs pour recommencer une vie libre.

Que Dieu la bénisse, elle et sa famille, pour qu’elle puisse désormais vivre en paix et mener une vie de liberté.

 

LA VIE – 30 1 2019

PAPE FRANCOIS AUX J.M.J. DE PANAMA

Chers jeunes, bonsoir ! …

La vie que Jésus nous offre est une histoire d’amour, une histoire de vie qui veut se mêler à la nôtre et plonger ses racines dans la terre de chacun.

Cette vie n’est pas un salut suspendu “dans les nuages” et attendant d’être déversé, ni une “application” nouvelle à découvrir, ni un exercice mental fruit de techniques de dépassement de soi. Elle n’est pas non plus un “tutoriel” avec lequel on apprendrait la dernière nouveauté.

Le salut que le Seigneur nous offre est une invitation à faire partie d’une histoire d’amour qui se tisse avec nos histoires ; qui vit et veut naître parmi nous pour que nous donnions du fruit là où nous sommes, comme nous sommes et avec qui nous sommes.

C’est là que le Seigneur vient planter et se planter ; il est le premier à dire “oui” à notre vie, à notre histoire, et il veut que nous aussi disions “oui” avec lui.