Fête du Saint Sacrement – 11 juin 2023 – Évangile de Jean 6, 51-58

Évangile de Jean 6, 51-58

Le Sacrement de soi

Vous savez que la fête du Saint-Sacrement – la Fête-Dieu – a été pour la première fois instituée à Liège. L’histoire est d’abord celle de la vision de Julienne de Cornillon, en 1209, d’une lune échancrée, dont il manque un morceau, comme s’il manquait quelque chose au rayonnement eucharistique de l’Église.

Sainte Julienne de Cornillon

C’est la grande préoccupation du XIIIe siècle : la présence réelle de Dieu dans l’hostie consacrée et dans le monde. On est au temps des Cathares, une secte chrétienne prétendant que le monde est fondamentalement mauvais, créé non par Dieu mais par le Diable, que le corps humain est mauvais, corruptible et mortel, que le Christ n’est qu’un être spirituel. Ce que proposent les Cathares c’est tout bonnement un désenchantement du monde : pour eux, Dieu a déserté la Création.

C’est d’ailleurs pour contrer cette idéologie que saint François écrira le Cantique des Créatures ; pour dire que le Soleil, la Lune, les pluies et les vents sont des créations de Dieu, qu’ils sont nos frères et nos sœurs. Et c’est encore pour répondre aux Cathares qu’il invente la crèche. Peut-être ne le savez-vous pas mais, dans la première crèche, saint François n’avait pas mis d’enfant dans la mangeoire. Il y avait mis un pain, expressément pour affirmer la présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie et donc dans le monde d’aujourd’hui.

A l’instar des Cathares, notre époque a évacué la présence réelle de Dieu. Si pour beaucoup de nos contemporains Dieu existe encore, il a été repoussé bien loin dans le ciel. Aujourd’hui, pour beaucoup, Dieu est un Dieu qu’on rencontrera éventuellement au moment de la mort, mais il n’a plus vraiment de présence réelle dans la vie de nos contemporains.

Même la Nature nous apparaît malade et polluée. Notre monde est à nouveau gouverné par un mauvais génie et ce diable responsable de tous les maux de la Terre, c’est désormais l’homme. Pour les Cathares, Dieu avait déserté la Création ; pour notre époque, il a déserté l’Humanité. Ils sont de plus en plus nombreux à penser l’homme intrinsèquement nuisible, responsable de toutes les pollutions, de tous les maux.

Il est urgent de reproposer une « Église Saint-Sacrement », une Église qui offre la présence de Dieu aussi simplement, aussi humblement, que s’offre le pain ; une Église qui visiblement se nourrit et vit de la présence actuelle de Dieu ; une Église qui témoigne de cette présence réelle, incarnée, donnée aujourd’hui au monde.

C’est d’abord par notre propre sacrement, notre propre sanctification que nous pourrons participer à ce réenchantement de l’Humanité. Où sont les saints d’aujourd’hui, les hosties vivantes données au monde pour l’amour de Dieu ? Plus que nous effrayer, l’état actuel de l’Église, le mépris croissant des religions devraient nous inciter à endosser la responsabilité de mieux incarner la présence eucharistique aujourd’hui.

Seigneur, fais de nous des hosties vivantes, ta présence nourrissante offerte à notre monde. Amen.

— Fr. Laurent Mathelot OP,
à paraître dans le journal Dimanche.

La résurrection du Seigneur – 9 avril 2023 – Évangile de Jean 20, 1-9

Évangile de Jean 20, 1-9

La résurrection du Seigneur

Il y a toutes sortes de morts en nous. Il y a bien sûr les deuils que nous portons, ces êtres chers dont la présence nous manque. Il y a aussi les deuils que nous avons dû faire de nous-mêmes, tous ces espoirs que nous avions et auxquels nous avons dû renoncer, toutes ces vies rêvées, ou simplement envisagées, que nous n’avons pas eues. Il y a aussi toutes les blessures, les méchancetés, les indifférences, les humiliations que nous avons subies et qui nous ont changés. Il y a aussi quelque part Dieu qui est mort en nous, à l’image de cette spontanéité d’aimer que nous avions tous enfant. Aujourd’hui, nous sommes plus méfiants voire endurcis.

Il y a encore d’autres morts en nous : ce qui nous fait honte, le mal que nous avons fait, les pensées méprisantes, nos jugements qui condamnent. Tout ce qui, petit à petit, met à mort la personne juste et aimante que nous voudrions être.

Certaines personnes sont tellement confrontées à la mort, notamment par la perte d’un enfant, qu’elles finissent par perdre la foi. La foi en elles-mêmes, la foi en l’humanité, la foi en la vie, la foi en l’amour, la foi en Dieu. C’était le cas de Mère Teresa, qui confessait à Jean-Paul II ne plus voir Dieu à force d’avoir enterré des morts. Elle disait mentir sur sa foi avec son sourire.

Qu’est-ce que la Résurrection ?

Bien sûr, on pourra toujours dire que nos grand-parents, nos parents défunts continuent à vivre en nous, à travers l’amour que nous continuons à leur porter ; on pourra penser que nous incarnons, à notre tour, tout ce qu’ils nous ont transmis : des valeurs, un esprit, une manière de vivre et d’aimer. Au fond, ça rejoint l’ancienne croyance qui voulait que, pour que quelqu’un vive éternellement, il suffisait que l’on se souvienne perpétuellement de lui et rende hommage à son nom. A tel point que, dans l’Égypte ancienne, lorsqu’on voulait damner quelqu’un, on effaçait simplement son nom de tous les monuments, pour en perdre la mémoire ou à Rome, le Sénat pouvait condamner à la damnatio memoriae, à l’effacement d’un nom de toutes les archives.

Et peut-être nous-même cela nous suffirait-il : qu’au-delà de la mort, on se souvienne simplement de nous avec amour, affection et tendresse ? Mais ça ne suffit pas à expliquer la Résurrection des corps. Que la mémoire de quelqu’un ressuscite lorsque l’on pense à lui, nous le concevons fort bien. Mais les corps ?

D’autant que les Évangiles ne sont pas très explicites à ce sujet. Ils insistent même pour affirmer que les disciples peinent à reconnaître Jésus ressuscité. Pour Marie-Madeleine, il faudra qu’il l’appelle par son prénom, pour d’autres il faudra qu’il partage du pain, pour les disciples d’Emmaüs, il faudra qu’ils aient le cœur brûlant. Le seul point sur lequel les Évangiles tiennent à être clairs, c’est pour dire que le Christ ressuscité n’est pas un pur esprit, qu’il mange, qu’il marche, qu’on peut le toucher.

Je ne vais pas vous révéler aujourd’hui la clé du mystère, qui le pourrait ? … Saint Paul parle de « corps spirituel » ce qui n’est pas tellement plus clair, et même en soi paradoxal. Le propre d’un mystère c’est qu’on peut toujours intellectuellement y réfléchir, mais qu’on ne pourra jamais l’épuiser. Il y a entre la Résurrection et nous la barrière de la mort que nous n’avons pas franchie. Et même si les expériences de mort imminente, dont on a désormais de nombreux témoignages, restent à cet égard parlantes, elles ne sont pas à proprement parler une Résurrection des corps mais bien un retour à la vie teinté de visions de l’Au-delà. Le mystère restera mystère tant que nous-mêmes ne l’aurons pas vécu. Seul le Ressuscité, quand il vient à nous, peut nous révéler ce qu’est la résurrection. Mais on tombe alors sur d’autres mystères, celui de la Présence réelle dans l’Eucharistie ou celui de l’Église comme Corps du Christ.

On n’épuisera pas ici le mystère de la Résurrection, mais nous savons que les mauvaises pensées tuent le corps, que la chair souffre d’idées sombres, que nos corps s’affaiblissent sous le poids de la douleur et du chagrin, que certains meurent de malheurs et de dépression. Tous, nous nous rendons compte de l’incidence d’esprits mauvais sur notre corps ; tous nous savons qu’il y a des mots qui blessent et tuent.

Si tout ce qui nous plonge dans la ténèbre a un réel impact sur notre santé, sur notre corps, alors je crois aussi que toute parole d’amour nous ressuscite, nous redonne de la vigueur et nous retisse de l’intérieur. Je crois que les corps se régénèrent et finalement ressuscitent à force d’amour.

Je crois que toutes ces morts qui sont en nous – tous nos chagrins, nos deuils, nos souffrances, nos blessures et aussi notre propre péché – peuvent se voir ressuscitées à force d’amour. Et je crois en l’absolue force d’amour de Dieu.

Comme d’autres ici, j’y crois parce que le Christ m’a déjà ressuscité de ténèbres abyssales. Alors que je dépérissais de chagrin, il m’a ramené à la vie – une toute autre vie. Alors oui, je crois que Dieu peut nous ressusciter d’entre les morts. Corps et âme. Par amour et pour l’éternité.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Épiphanie du Seigneur – 8 janvier 2023 – Évangile de Matthieu 2, 1-12

Évangile de Matthieu 2, 1-12

Fides quaerens intellectum

Épiphanie vient du grec qui veut dire « apparition ». Une épiphanie c’est la manifestation de quelque chose de caché. Ce que l’on ne voyait pas, ou pas totalement jusqu’alors, se révèle. A l’épiphanie, quelque chose apparaît tel qu’il est. La question est : qu’est-ce qui se révèle à l’épiphanie qui ne s’était pas déjà révélé à Noël ?

A Noël, ce sont les proches de l’enfant qui comprennent qui il est. Ses parents – Marie et Joseph qui reçoivent la révélation d’anges – et d’autres pauvres, rejetés et nomades comme lui – de simples bergers alentours qui suivent la révélation de leur cœur. Le premier cercle est là, qui a intimement compris l’importance pour le monde de cette naissance.

Les récits de la Nativité de Dieu insistent sur la toute pauvreté, l’extrême dénuement de cette apparition sur Terre que reflète la pauvreté et le dénuement du premier entourage – des gens simples, au cœur simple. Il suffit d’aller voir aujourd’hui la condition des bergers aux alentours de Jérusalem, qui vivent dans des cabanes de tôles parmi les bêtes et les détritus.

Pourtant la puissance de ce qui se trame là, entre ces gens simples, dénués de tout – et en premier lieu de considération – la puissance de ce qui est en jeu dans leur cœur n’apparaîtra clairement qu’à l’Épiphanie. Savez-vous que, dans la monde orthodoxe, c’est à l’Épiphanie qu’on célèbre l’incarnation de Dieu ? Il y a, en fait, un continuum entre la Nativité et l’Épiphanie, entre l’émerveillement et la compréhension de l’incarnation divine, un tout qui va de l’un à l’autre.

On a l’image classique de trois rois mages, auxquels la Tradition a fini par donner des prénoms – Melchior, Gaspard et Balthazar – et même différentes origines et couleurs de peaux. Cette tradition des Rois mages donnera la culture populaire de la galette des rois à laquelle j’espère vous aurez l’occasion de sacrifier.

Mais dans la Bible, ils ne sont ni trois, ni rois, ni même mages au sens où on l’entend aujourd’hui. Il s’agit plutôt de sages venus d’Orient. On s’est sans doute éloigné de la signification première du récit en le surchargeant d’interprétations.

Ce que les mages venus d’Orient symbolisent c’est la venue des sagesses antiques au pied de cette sagesse divine qui se rend présente dans la naissance d’un petit enfant qui d’abord bouleverse le cœur des plus humbles.

Quant aux présents que ces sagesses orientales viennent déposer aux pieds de l’Enfant-Dieu, ils symbolisent les grands traits de son existence parmi les hommes : l’or pour témoigner de sa royauté, l’encens pour la divinité de son esprit, la myrrhe pour l’embaumement de son corps quand il mourra.

C’est ici que le mot épiphanie prend tout son sens : la manifestation qui a lieu est celle, concrète, de la sagesse divine face aux grandes sagesses du monde. C’est devant la pauvreté de cette naissance extraordinaire que les plus grandes sages viennent s’incliner. Et par eux, c’est l’ensemble des sagesses du monde qui s’inclinent devant cet événement autant incompréhensible que miraculeux.

L’étoile que suivent les mages est là pour montrer que la lumière divine qui émane des éléments naturels peut nous conduire à Dieu. C’est guidé par leur science, leurs observations de la nature que les mages arrivent à constater la présence réelle de Dieu sur Terre. Le cheminement des mages guidés par l’étoile symbolise le cheminement qui nous est demandé de faire, à l’aide de nos observations, de notre savoir, de notre science, pour trouver Dieu. « Fides quaerens intellectum » a écrit au XIe siècle saint Anselme de Cantorbéry – la foi cherche l’intelligence.

La réconciliation de la foi et de la raison a été au cœur de la théologie développée par feu le pape Benoît XVI. Je ne peux que vous inviter à relire avec fruit ses nombreux commentaires sur la quête de Dieu comme moteur de la raison, notamment son célèbre discours de 2008 au Collège des Bernardins qui voit, dans cette recherche qui fonde les communautés monastiques moyenâgeuses, la naissance de la culture occidentale.

Le mystère de l’incarnation de Dieu ne sera pas épuisé par notre intelligence. Jamais nous n’en viendront à bout à force de savoir : le mystère divin restera mystère. Mais ceci ne signifie pas que, face au mystère, il nous faille abdiquer notre intelligence, comme le supposent les détracteurs de la foi. Au contraire, il est de notre devoir de mobiliser notre intelligence pour creuser le mystère de notre foi, développer notre connaissance de Dieu et, ainsi, toujours plus nous en approcher. Certes avec notre cœur, mais aussi avec notre raison.

On peut s’approcher de deux manières de la crèche : soit avec la naïveté de cœur des bergers, soit munis de trésors de sagesse et de science comme les mages. L’important est que les deux conduisent à l’émerveillement et à la rencontre.

L’amour n’échappe pas au crible de la raison, sinon il est comme une chaloupe à la dérive, fluctuant au gré des sentiments. Mais l’amour divin ne peut se réduire à ce qu’en pense la raison, car il est tout à fait déraisonnable d’aimer comme Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Sainte Marie, Mère de Dieu – 1er janvier 2023 – Évangile de Luc 2, 16-21

Évangile de Luc 2, 16-21

Journée de prière pour la Paix

« Bonne Année ! » : la formule s’échange sans arrêt. Conventionnelle, elle demeure un vœu, un souhait sincère mais inefficace. Au fait pourquoi l’année commence-t-elle le 1er janvier ? Pourquoi pas à l’éclosion du printemps ou le 1er septembre qui marque la reprise des écoles et des entreprises ? C’est Jules César, nous dit-on, qui fixa le départ de l’année à cette date dédiée au dieu Janus à deux faces opposées, comme le passé et l’avenir.

Ce repère, quoi qu’il en soit, exprime notre impression du temps qui s’écoule mais ne nous dit rien sur sa signification. Car si les végétaux et les animaux subissent la succession des saisons et acceptent la loi de la jungle où règne la violence et où le prédateur écrase le plus faible, il n’en est pas de même pour nous, les humains. Il n’existe pas de peuple qui n’élabore un système de justice pour endiguer, au moins, les tentatives de violence et pour punir les auteurs d’injustice. Personne ne supporterait un laisser-faire général. Toute victime revendique, à juste titre, punition du coupable et réparation des préjudices : cela ne relève pas d’une vengeance ou d’une rancune mais d’un sentiment très fort de justice. Déjà à la découpe du gâteau, les tout petits le manifestent.

Pire encore, on dirait que la guerre est un virus incurable. Tueries, destructions massives, tortures et viols, les victimes innocentes se comptent pas millions. Que de souffrances, de mutilations, de haine ! Ai-je vécu un jour de ma vie sans qu’il y ait au moins un conflit armé sur terre ? Aujourd’hui il y en a des dizaines. Alors suffit-il de se taire, de se résigner, de tirer son épingle du jeu mortel ? Suffit-il de critiquer un Dieu silencieux qui semble impuissant ou insensible ? La mort d’un seul enfant n’est-elle pas la preuve de son inexistence ?

Non, Dieu a répondu depuis longtemps mais sa réponse est déconcertante.

La coûteuse et Bonne Nouvelle

Dans l’antiquité où déjà s’affrontaient les dieux et les empires, un petit peuple insignifiant a certifié qu’il avait reçu une réponse. Le Dieu unique est amour et tendresse, il ne manipule pas ses créatures humaines et libres. A Israël d’abord, il a révélé sa Loi : voici, mes enfants, mon code de vie, voici comment je vous propose de vous conduire pour éviter le plus de mal possible et pour vivre dans le droit, la justice et la paix. Mes Dix Paroles ne sont pas votre privilège : elles sont le programme à appliquer et à faire connaître à tous les peuples. La Loi commençait à donner sens à l’existence humaine.

Hélas, le peuple d’Israël, faible comme tous les autres, n’est jamais parvenu à vivre selon cet idéal de Dieu que sans cesse des Prophètes lui rappelaient. Alors Dieu révéla une nouvelle promesse : un jour inconnu, je vous enverrai un « Messie »c.à.d. quelqu’un ( ?) qui sera « oint » donc comblé de ma Puissance. Il sera plus qu’un prophète qui tonitrue – en vain – contre les méfaits. Le Christ Messie vous sauvera : il ne vous empêchera pas de fauter mais il vous offrira mon pardon et, plus merveilleusement encore, il vous communiquera ma Vie, la Vie éternelle.

Qui sera ce Messie ? Quand viendra-t-il ? Comment agira-t-il ? Y aura-t-il une déflagration ? Sera-ce la fin du mal ?…Pas de réponses.

Noël : le Messie est venu

Et le Messie est venu. De façon tellement surprenante et inimaginable que bien peu commencèrent à percer son identité sous les apparences de ce Jésus, homme né d’une femme » (Galates 4 = 2e lecture)artisan simple et démuni. Pire, les plus hautes autorités religieuses se dressèrent contre lui, le traitèrent de blasphémateur, le firent exécuter de façon ignominieuse sur la croix. Cet échec semblait démontrer qu’il s’agissait d’un menteur, d’un mythe.

Or immédiatement après ce désastre, les disciples de Jésus, qui n’avaient rien fait pour le défendre et qui auraient dû s’enfuir au loin par peur des poursuites, réapparaissent sur la scène publique. Au coeur même de Jérusalem, ils ne se lamentent pas sur la disparition honteuse de leur maître : ils se rassemblent et chantent la merveille que Dieu vient de réaliser. Oui Jésus a été exécuté mais il est Vivant. Il est bien le Messie, le Fils unique de Dieu et son Père l’a ressuscité. Sa mort, le don de sa vie-pour-nous offre le pardon des péchés du monde et sa Vie nouvelle nous est donnée en partage pour que, par grâce, nous devenions, nous aussi, des « enfants de Dieu ».

De façon déconcertante mais bien réelle, le « Royaume de Dieu » est inauguré. Non dans un espace ni un pays ni une institution. Mais dans le temps : chaque fois que les hommes aiment leur prochain comme eux-mêmes, pardonnent au lieu de s’en vouloir, partagent au lieu d’accumuler, consolent au lieu de demeurer indifférents aux autres, font la paix au lieu de la guerre…Dieu n’a pas voulu nous sauver d’un coup de baguette magique. La grâce du Royaume est donnée : à chacun de la demander, de l’accueillir, de la mettre en pratique. Et un jour, le Messie glorieux reviendra pour rendre la justice définitive.

Ainsi l’histoire a un sens : elle a eu un commencement (reconnu par la science aujourd’hui), les lois dictent notre devoir mais butent sur notre impuissance, elle est attente puis accueil (possible) du Messie de sorte que le Royaume s’étend partout grâce aux disciples et tous ceux qui cherchent le bonheur dans les Béatitudes. Et un jour elle finira (ce que disent les savants) et il n’y aura plus que l’Amour. Éclairée par la foi, portée par la charité, l’histoire est messianique, christique.

Vraiment Noël est la Bonne Nouvelle : le Verbe de Dieu s’est fait chair et a demeuré parmi nous. Sous l’empereur Justinien, en 532, un moine calcula que Jésus devait être né 753 ans après la fondation de Rome : ce fut le départ de l’ère chrétienne (on estime qu’il y a eu erreur : nous entrons en l’année 2027 ?). Quant à la date de la naissance, elle fut fixée au solstice d’hiver, le 25 décembre, afin de supplanter la grande fête populaire de la victoire du soleil.

Sainte Marie, Mère de Dieu

En ce 1er janvier, octave de Noël, nous célébrons « Marie, Mère de Dieu », comme l’a proclamé le concile d’Éphèse. puisque Jésus homme est également le Fils éternel de Dieu.

Les bergers se hâtèrent d’aller à Bethléem, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers.

Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur.

Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé. Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.

D’abord Luc nous rappelle la nativité et nous présente les petits bergers comme les prototypes des disciples futurs. Veilleurs dans la nuit, pauvres jeunes mal payés, chargés de garder le troupeau dans l’unité, de chercher et soigner la bête égarée, d’affronter les attaques des prédateurs. Mais ils sont venus voir l’événement, ils jubilent de joie et ils s’en vont pour le raconter ailleurs. Noël comble d’allégresse, il n’est pas « une magie » mais il suscite le désir de le raconter. Le plus merveilleux des cadeaux, c’est accueillir l’enfant qui sauve.

Quant à Marie, Luc note une attitude tellement importante qu’il la répétera lors des retrouvailles de l’adolescent dans le temple (2, 51) : « Elle retient les événements qui surviennent et les médite dans son cœur ». Quelle aventure ! Non la foi chrétienne n’est pas une vague dévotion pieuse, un appel aux miracles : elle s’insère en pleine vie, surprend, secoue, mène sur des chemins ardus. Elle s’enracine dans les événements. Il faut retenir, garder en mémoire, confronter évangile écouté et existence ordinaire. Travail inlassable de l’Esprit. Ainsi la foi est « incarnée », enracinée et elle résiste aux critiques.

Le 8ème jour après la naissance avait lieu la circoncision du nouveau-né. Jésus est bien fils d’Israël. Mais il fera bon accueil aux païens et les apôtres ouvriront l’accès à l’Église par le rite du baptême offert à toutes les nations.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Sainte Marie, Mère de Dieu, prie pour nous, pauvres pécheurs

Dans la perspective du renouveau liturgique décidé par le concile Vatican II, le pape Paul VI a publié « Le culte marial aujourd’hui», exhortation apostolique du 22 mars 1974.

Il y explique la suite des fêtes mariales, en souligne le profond accent christique, met en garde contre des dévotions superficielles.

Extraits

« …Les formes diverses de la piété envers la Mère de Dieu, que l’Église a approuvées en les maintenant dans les limites d’une saine doctrine catholique, se développent dans une subordination harmonieuse au culte du Christ et gravitant autour de lui comme autour de leur point de référence naturel et nécessaire…

La réflexion de l’Église contemporaine sur le mystère du Christ et sur sa propre nature l’a amenée à trouver, à la racine du premier et comme couronnement de la seconde, la même figure de femme : la Vierge Marie, Mère précisément du Christ et Mère de l’Église.

La connaissance plus profonde de la mission de Marie s’est transformée en vénération joyeuse envers elle et en respect plein d’adoration pour le sage dessein de Dieu, qui a placé dans sa famille, l’Église, comme en tout foyer domestique, la figure d’une femme qui, discrètement et en esprit de service, veille sur elle et dirige sa marche vers la patrie, jusqu’à ce que vienne dans la Gloire le jour du Seigneur… » (Introd.)

1er Janvier : solennité de Marie, Mère de Dieu

Dans l’ordonnance réformée du temps de Noël, il nous semble que tous doivent tourner leur attention vers la réinstauration de la solennité de Sainte Marie, Mère de Dieu.

Placée au 1er janvier, selon l’ancienne coutume de la liturgie de Rome, elle est destiné à célébrer la part qu’a eu Marie au mystère du salut et à exalter la dignité particulière qui en découle pour la Mère très sainte qui nous a mérité d’accueillir l’auteur de la vie ».(§. 5 )

Elle constitue par ailleurs une excellente occasion pour renouveler notre adoration au nouveau-né, Prince de la Paix, pour écouter à nouveau le joyeux message des Anges, pour implorer de Dieu, par la médiation de la Reine de la Paix, le don suprême de la paix…(§ 5)

Pape Paul VI

Nativité du Seigneur – 25 décembre 2022 – Évangile de Luc 2, 1-14

Évangile de Luc 2, 1-14

S’enfanter

Noël pour beaucoup, ce sont des souvenirs d’enfance, des noëls en famille, des veillées joyeuses, des repas de fêtes où on se rassemble entre proches. Le drame cependant serait de faire de Noël une célébration nostalgique, la commémoration d’une joie passée. C’est aujourd’hui que nous fêtons Noël.

Depuis le début de l’Avent nous nous préparons à la joie d’une nouvelle naissance et c’est maintenant la joie. Et peut-être cette année-ci devrait-elle être plus éclatante, justement parce ce qu’aujourd’hui, dans notre monde, ce n’est pas la joie. Les crises et les guerres n’en finissent plus ; la pauvreté frappera durement cet hivers. A bien des égards, les temps actuels ressemblent à cette nuit de Noël où l’espérance a terriblement besoin d’un sauveur et le monde d’une vie nouvelle.

C’est en effet dans le plus grand dénuement que l’enfant de la crèche vient au monde. Ses parents sont sur les routes, ils n’ont trouvé aucune maison pour les accueillir. C’est dans l’indifférence générale et la totale solitude que l’enfant-dieu vient au monde. C’est aussi dans un grand désarroi familial : Joseph sait qu’il n’est pas le père. C’est sans doute difficile d’accueillir d’emblée comme le sien un enfant qui ne l’est pas, de le reconnaître comme son propre sang. Ce petit enfant en quête d’une demeure, qu’il est difficile d’accueillir quand tout va mal, c’est le Christ en nous. Et l’effort qui nous est demandé, c’est de le reconnaître comme notre propre chair. Noël c’est le jour où le divin surgit dans notre vie et c’est ce que nous célébrons aujourd’hui.

Nous aussi, il nous arrive d’être dans un grand dénuement, de nous sentir rejetés, ignorés de tous. Qui ici n’a pas vécu des élans de générosité qui ont été mal reçus, des gestes d’amour qui ont été méprisés ? Qui parmi nous n’a jamais connu le désarroi, ressenti de la solitude, éprouvé de l’abandon ? au point peut-être de ne pas se sentir mieux traités que des animaux dans une étable ? Ce petit enfant dans la crèche, c’est nous.

Nous avons tous gardé ce désir qu’ont les enfants d’aimer spontanément. Peut-être en avons nous juste enfoui l’innocence, à forces de souffrances et de blessures. Mais au départ, tous ici, nous ne désirions qu’aimer. Et si les aléas de la vie ont tempéré cet élan naturel d’amour pour les autres que nous avions étant enfants, nous ne désirons toujours qu’aimer. Si nous sommes rassemblés ici, particulièrement en ce temps de Noël, c’est bien parce que nous voulons proclamer notre désir authentique d’amour. Il est toujours vivant le petit enfant de la crèche qui habite en nous. Il nous réjouit toujours l’amour innocent qui veut s’incarner au milieu du désarroi du monde et des familles. C’est aujourd’hui que nous célébrons sa venue au monde. Voilà Noël.

Comme Marie, tout au long de notre vie, nous enfantons le Christ humain – par nos relations, par notre générosité quotidienne, par les élans de notre cœur – mais c’est Dieu qui enfante en nous le divin. A l’instar de Joseph, tous, tout au long de notre vie, nous peinerons à reconnaître cette parcelle de divin qui nous habite comme notre propre chair. Au point de parfois douter de nos propres capacités d’aimer. Il y a des circonstances où l’enfant innocent que nous étions – et qui ne désirait qu’aimer – nous semble lointain, peut-être même étranger, comme autre. Mais que dire alors de la présence de Dieu en nous que cet enfant incarnait plus spontanément que nous, désormais adultes ? Nous restons humains et nous peinons à reconnaître notre caractère divin. Noël, c’est aussi le temps de retrouver notre propre préciosité – la valeur que nous avons aux yeux de Dieu et que l’innocence de notre enfance incarnait si bien. Il n’y aura pas d’authentique désir d’aimer si nous ne nous aimons pas nous-même. Noël, c’est aussi accepter de reconnaître la merveille que nous sommes aux yeux de Dieu. C’est se rendre compte que le regard de tendresse que Dieu pose sur l’enfant de la crèche est le même que celui qu’il pose sur nous.

Si, finalement, les temps actuels correspondent assez bien à l’esprit de Noël – tout est sombre ; c’est la solitude de la nuit ; seule brille une petite crèche – alors il faut que cette crèche aujourd’hui ce soit nous. La vie de Dieu brille au fond de notre intimité et c’est à travers nous désormais qu’elle vient au monde ; c’est en nous que s’incarne aujourd’hui l’amour divin. Voilà Noël. Tous, chrétiens, nous sommes appelés à être de réelles crèches vivantes pour le monde qui nous entoure.

C’est Noël, le temps où nous célébrons l’amour fou de Dieu pour l’humanité. C’est en nous que cet amour s’incarne désormais. D’abord par le regard de tendresse que Dieu pose sur nous, comme un père, une mère comblés d’amour regarde leur enfant nouveau-né ; ensuite, à travers les élans de notre cœur qui nous poussent à avoir cette tendresse d’amour pour le monde alentours.

On pourrait résumer cette homélie en trois questions : « Savez-vous à quel point Dieu vous aime ? » et « Mesurez-vous à quel point vous désirez aimer le monde ? » et « Voyez-vous comme il en a besoin ? »

C’est Noël. C’est le temps où, au milieu des vicissitudes, nous retrouvons vivant l’enfant qui toujours, comme le Christ, dit en nous : « Depuis que je suis venu au monde, je ne désire qu’aimer. »

Joyeux Noël à tous. Joyeux Noël en vous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Angelus Silesius : Un chemin vers la joie

Christ serait-il né mille fois à Bethléem,
S’il s’est pas né en toi , c’est ta perte à jamais

Johannès Scheffler est né à Breslau (Silésie) le 25 12 1624. Médecin de profession, protestant, il se convertit au catholicisme et entre dans l’ordre franciscain où il devient prêtre. Dans le courant des mystiques Maître Eckart, J. Tauler, Suso, J. Boehme, il publie un livre d’aphorismes « Le pèlerin chérubinique » qui va devenir une œuvre célèbre. L’écho de son œuvre sur la pensée moderne n’a fait que s’amplifier, jusque Schopenhauer et Heidegger.

Quelques citations :

Mystère impénétrable ! Dieu s’est perdu lui-même,
Et, pour ce, veut en moi être un enfant nouveau-né.

Puisque Dieu lui-même, le plus grand, s’est fait petit,
tout mon désir sera d’être comme un enfant.

Homme, si tu t’y prêtes, Dieu engendrera en toi
Son Fils tout-puissant, aussi bien qu’en son trône.

Jésus est le plus haut délice. Pour y goûter,
pénètre dans la naissance du Fils de Dieu.

Ah mon frère, deviens ! Qu’as-tu à rester pensées, apparences ?
Nous avons essentiellement à devenir un être nouveau.

Fou l’homme qui embrasse un nuage.
Fou, toi qui te fais joie de vaine gloire.

On n’apprécie rien de ce monde si on ne le contemple pas ;
Ce qui manque au monde, c’est la contemplation.

Partager donne la paix. C’est de la propriété seule
que naissent tous les maux, toutes les persécutions, les guerres et les luttes.

L’homme riche qui parle sans cesse de sa misère :
N’hésite pas à le croire.
La vérité, c’est qu’il ne ment pas.

Meurs avant de mourir pour ne pas mourir quand tu devras mourir
sinon tu périras.

Et la plus célèbre :

La rose est sans pourquoi,
Elle fleurit parce qu’elle fleurit,
n’a pour elle aucun souci,
ne demande pas : suis-je regardée ?


Poète et mystique du XVIIe siècle, Angelus Silesius (1624-1677) a composé Le Pélerin chérubinique comme un écrin à mille facettes, ciselant plus de 1600 distiques, quatrains ou courts poèmes.

Il faut qu’en toi Dieu naisse

Christ serait-il né mille fois à Bethléem,
S’il n’est pas né en toi, c’est ta perte à jamais. (I, 61) …

Tu dois l’être en retour

Dieu s’est fait homme en toi ; si tu ne te fais Dieu,
Tu moques sa naissance et te ris de sa mort. (I, 124) …

La Sagesse

La Sagesse a plaisir d’être avec ses enfants.
Pourquoi donc ? O merveille ! Elle-même est un enfant. (I, 165) …

Pourquoi Dieu est-il né ?

Mystère impénétrable ! Dieu s’est perdu Lui-même,
Et, pour ce, veut en moi être enfant nouveau-né. (I, 201) …

Le Royaume des Cieux est aux enfants

Chrétien, si tu peux être enfant du fond du cœur,
Dès cette terre est tien le Royaume des cieux. (I, 253) …

Enfant et Dieu

Enfant et Dieu, c’est un : si tu m’appelles enfant,
Tu as reconnu Dieu en moi et moi en Dieu. (I, 255) …

La Déité et l’humanité

L’éternelle Déité doit tant aux hommes
Que, sans eux, Elle aussi perd cœur, courage et sens. (I, 259) …

Le meilleur est d’être un enfant

Puisque Dieu même, le plus grand, s’est fait petit,
Tout mon désir sera d’être comme un enfant. (III, 25) …

Le ciel se fait terre

Le ciel s’abaisse, il vient à nous et se fait terre ;
Quand, s’élevant, la terre sera-t-elle ciel ? (III, 111) …

En toi naît le Fils de Dieu

Homme, si tu t’y prêtes, Dieu engendre en toi
Son Fils à tout instant, aussi bien qu’en son trône. (V, 252) …

Le seul délice de Dieu

Donner naissance est bienheureux. Le seul délice
De Dieu est d’engendrer son Fils éternellement. (VI, 132) …

Comment avoir part au délice de Dieu

Dieu est le plus haut délice. Pour y goûter,
Pénètre dans la naissance du Fils de Dieu. (VI, 133)

Fête de l’Assomption de Marie – Année C – 15 août 2022

Évangile de Luc 1, 39-56

Fête de l’Assomption de Marie

La figure de Marie est très importante pour ma piété personnelle depuis mon enfance. En effet, j’ai grandi dans une famille chrétienne qui était et est toujours très fervente, pieuse et croyante. La prière du rosaire et la dévotion à la Mère de Jésus ont toujours été essentielles au sein de ma famille. Ce chemin de foi m’a personnellement marqué et m’a conduit à l’autel du Seigneur Jésus-Christ. C’est ainsi que j’ai été ordonné prêtre dominicain.

Nous célébrons chaque année le 15 août l’Assomption de la Vierge Marie. Cette tradition, bien qu’ancienne, a été célébrée par les premiers chrétiens d’Orient depuis le Ve siècle à Jérusalem. Ce n’est que le 1er novembre 1950 que l’Assomption de Marie est proclamée comme dogme par le Pape Pie XII (1939-1958) : « La Vierge Marie a été élevée en corps et en âme à la gloire du Ciel ».

Comme cette fête n’est pas mentionnée dans les Saintes Écritures, on écoute un extrait de l’Évangile de Luc qui commence par le récit de la Visitation et qui se termine par le Magnificat. Après la visite de l’Ange Gabriel, Marie part vers sa cousine Elisabeth, à qui elle exprime sa joie de porter l’enfant de Dieu (Lc 1, 39-55).

Lors de l’Annonciation, Marie avait répondu à l’Ange Gabriel avec humilité : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38). Ainsi, la Vierge Marie dit son « Oui » à la Parole de Dieu, et devint Mère de Jésus, se mettant au service du projet de Dieu. Par son « Oui » et son obéissance à la Parole de Dieu, la Vierge Marie est entrée dans le ciel, corps et âme.

Sens de l’Assomption pour nous

La Vierge Marie est pour nous « un signe d’espérance et une source de réconfort. » Elle représente la voie à suivre : s’unir à son Fils ressuscité. La fête de l’Assomption est une invitation pour nous à vivre notre vie de foi et notre avenir sous « le manteau » de la Vierge Marie, sous sa protection. C’est elle qui nous mène par le chemin de la foi à la promesse d’une vie éternelle.

Célébrer l’Assomption de la Vierge Marie signifie aussi que nous ne devons jamais séparer la mort de la vie. La figure de la Vierge Marie me fait penser à une petite histoire :

Une dame riche, qui avait joué un grand rôle sur terre, est décédée. L’Apôtre Pierre l’accueillit et lui montra une belle villa : « Voici l’appartement de votre servante. ». La dame riche se dit alors : « Si ma servante a déjà un si bel appartement, qu’est-ce que je vais bien avoir ? » Peu après, l’Apôtre Pierre lui montra une autre maison, toute petite et misérable, et lui dit : « Là, c’est votre appartement ». Indignée, la dame riche répondit : « Je ne peux quand même pas habiter là. » L’Apôtre Pierre répliqua : « Je suis désolé, mais avec les matériaux que vous nous avez envoyés, nous n’avons pas pu construire davantage. » La dame riche n’avait pas fourni suffisamment de matériaux de construction et a dû se contenter d’une pauvre habitation au ciel.

La Vierge Marie, en revanche, a suffisamment pris ses dispositions dans sa vie. Elle a dit « Oui » lorsque Dieu l’a choisie pour être la Mère de son Fils, elle s’est entièrement épanouie dans son rôle de Mère de Jésus, elle a connu les joies d’une Mère. Mais aussi les souffrances ; et sa souffrance a été encore plus grande lorsqu’elle a été témoin de la mort de son Fils sur la Croix.

Mais, quoi qu’il en soit, la Vierge Marie a persévéré dans sa foi. Sa confiance en l’amour de Dieu et en sa miséricorde n’a jamais vacillé. Marie est pour nous non seulement la grande croyante, mais aussi elle est l’image de l’Église, qui garde la Parole dans son cœur et la transmet. Elle savait que Dieu n’abandonnerait pas ceux et celles qui lui font confiance. Bien plus, il a pitié d’eux et fait de grandes choses pour eux. Tout comme il a fait de grandes choses pour la Vierge Marie.

La grande action de Dieu en faveur de Marie a commencé par son élection en tant que Mère de Dieu et s’est poursuivie par son Assomption, corps et âme, dans le ciel, dans la gloire du Dieu.

Nous ne pouvons que dire merci à Marie du fond du cœur. Elle nous oriente sur notre chemin vers la vie éternelle. Par sa vie, Marie nous montre le bon chemin.

Par son soutien et son exemple, la Vierge Marie ne cesse de nous rappeler que nous devons fournir à temps suffisamment de matériaux de construction.

Si nous en prenons conscience aujourd’hui, ce jour de fête de l’Assomption pourrait prendre un nouveau sens, peut-être même pour ceux et celles qui ne la connaissent pas bien. C’est une fête d’espérance, de réconfort et de joie. Que la Vierge Marie nous aide à reconnaître et à faire la volonté de Dieu dans les situations complexes de notre vie quotidienne. Amen.

Fr Jean-Bertrand Madragule, dominicain.

Fête de l’Eucharistie – Année C – 19 juin 2022 – Évangile de Luc 9, 11b-17

Évangile de Luc 9, 11b-17

Le Corps et le Sang du Christ

A la veille de la grande fête de la Pâque à Jérusalem – sans doute en l’an 30 de notre ère -, trois hommes tenus pour révolutionnaires sont condamnés et crucifiés. Or une vingtaine d’années plus tard, Paul de Tarse, un ancien pharisien converti, écrit à la petite communauté qu’il a fondée à Corinthe, la ville célèbre pour ses mœurs dépravées et c’est dans ce document, bien avant les évangiles, que nous trouvons la première allusion au Repas du Seigneur.

Moi, Paul, je vous ai transmis ce que j’ai reçu de la tradition qui vient du Seigneur.

La nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, rendit grâce, le rompit et dit : « Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi ». Après le repas, il fit de même avec la coupe : « Cette coupe est la Nouvelle Alliance établie par mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi ».

Ainsi donc, chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».

Initiative extraordinaire présentée comme simple, évidente, nécessaire et d’une profondeur insondable. Ainsi le crucifié Jésus, conscient de sa mort toute proche, a ordonné à ses disciples de se réunir pour un simple repas. Il ne s’agira pas d’évoquer le souvenir d’un défunt car, trois jours plus tard, les disciples ont vu le Ressuscité et ils le confessent comme Seigneur enlevé dans la gloire de Dieu son Père. Et il a voulu prolonger sa présence terrestre en eux et par eux. Ainsi il a transfiguré son horrible exécution en don de sa personne pour eux : « Prenez-moi… ». Un don total qu’ils doivent intérioriser comme on assimile de la nourriture. Pour vivre.

Pleurer la mort d’un défunt, s’apitoyer sur les souffrances de la croix, évoquer son souvenir, péleriner sur sa tombe ne suffit pas. Les disciples n’ont pas à se projeter dans les regrets du passé (comme les disciples de Jean-Baptiste) mais à s’ouvrir à une Présence. Le crucifié Jésus est devenu le Ressuscité vivant qui les rejoint au coeur de leur être (« mangez, buvez ») pour être présent et leur donner un avenir. Leur communion à son Corps et son Sang devient du coup communion entre eux.

La Nouvelle Alliance

La fête de la Pâque célébrait l’événement fondateur d’Israël. Jadis les ancêtres hébreux étaient descendus en Égypte pour y trouver de riches pâturages mais le Pharaon les avait soumis à l’esclavage aux travaux forcés (avertissement à ceux qui cherchent la richesse …et qui souvent en deviennent esclaves !)

Mais une certaine année, au premier mois, à la fête du printemps où ils consommaient un jeune agneau et des pains sans levain, Moïse les exhorta à se préparer pour partir dans la nuit. Beaucoup suivirent leur chef, d’autres craignirent de risquer cette aventure mais des membres d’autres tribus se joignirent à eux. Miraculeusement ils purent traverser le mer sans être rejoints par l’armée égyptienne.

Dans la péninsule, au mont Sinaï, YHWH, leur Dieu unique, fit Alliance avec eux : vous serez mon peuple, mon fils élu, mais vous devez observer tous mes commandements. Ce choix n’était pas dû à leurs mérites mais leur imposait de devenir le modèle pour toutes les nations. Israël accepta, chemina longtemps à travers le désert où ils découvrirent une sécrétion comestible d’arbuste. « Man hû ?- Qu’est-ce que c’est ? » et ils l’appelèrent « manne ». Enfin ils parvinrent à la terre que YHWH leur avait promise et Moïse étant mort, ils la conquirent sous la conduite de Josué (Iéshouah, le même nom que Jésus).

Cet événement extraordinaire de l’Exode non seulement ne peut être relégué dans la boîte aux souvenirs mais il doit demeurer présent dans la grande festivité de Pessah où l’on consomme un agneau rôti en buvant des coupes de vin et en racontant la haggadah, le grand récit de ces événements. La tradition juive dit : «  A chaque génération, on est tenu de se considérer comme si c’était soi-même qui sortait d’Égypte ». Le repas pascal n’est pas seulement souvenir mais acte de libération divine.

Hélas, ensuite les prophètes témoignent que, sans cesse, Israël, même ses rois et ses prêtres, trahissait l’Alliance, ne vivait pas comme Dieu l’avait prescrit. Le désastre survint avec la chute de Jérusalem, la destruction du temple et l’exil en Babylonie. Mais la miséricorde de Dieu est inépuisable : des prophètes annoncèrent qu’il ferait une nouvelle Alliance :

« Des jours viennent où je conclurai avec Israël une nouvelle Alliance : j’inscrirai mes directives dans leur être. Ils me connaîtront tous. Je pardonne leur crime » (Jér 31, 31)…. 

« Je vous donnerai un coeur nouveau…je mettrai en vous mon propre Esprit » (Ez 3, 26).

Formidable rebondissement de l’histoire : Jésus est l’agneau de Dieu, il a été immolé pour libérer tous les hommes esclaves du péché et leur donner l’Esprit de Dieu. En invitant ses disciples à partager son corps et son sang, il les rend participants de la Nouvelle Alliance. Nouveau Josué, il nous fait entrer dans le Royaume sans frontières où ils auront mission d’aimer Dieu leur Père de tout leur coeur et de s’aimer les uns les autres comme Jésus les a aimés.

Le premier jour de la semaine, le lendemain du sabbat, jour où Jésus est ressuscité, les disciples sont donc invités à se réunir pour partager le repas du Seigneur. Leur assemblée s’appelle « l’Église », un mot qui désigne « ceux qui ont été appelés dehors ». Ils sont remplis de joie comme des esclaves dont les chaînes sont tombées et ils se retrouvent à table pour partager l’Eucharistie ( = action de grâce).

Que tous soient un

Devenant de la sorte membres du Corps du Seigneur, ils manifestent sa résurrection et se doivent de s’aimer les uns les autres – chose plus difficile que de chanter des cantiques ! Déjà Paul, dans cette lettre, secouait ses frères :

« Lorsque vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions, me dit-on…Alors ce n’est pas le repas du Seigneur que vous prenez. Méprisez-vous l’Église de Dieu ?…Celui qui mangera le pain ou boira à la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun se teste …car celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 17-28)

Les Corinthiens croient bien communier à la présence du Seigneur mais ils n’en concluent pas que cette foi les oblige à la charité fraternelle. Peu avant Paul les tançait vertement :

« La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas une communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps. Car tous, nous participons à cet unique pain » (1 Cor 10, 16)

Eucharistie et Solidarité

Le récit de la dernière Cène est rapporté dans la 2ème lecture de ce dimanche mais l’évangile, lui, raconte la célèbre scène dite de « la multiplication des pains »selon Luc, et qui se trouve aussi chez les autres évangélistes, et même deux fois chez Matthieu.

Jésus parlait du Règne de Dieu à la foule, et il guérissait ceux qui en avaient besoin. Le jour commençait à baisser. Les Douze lui disent : « Renvoie cette foule, ils pourront aller dans les villages des environs pour y loger et trouver de quoi manger ». Il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ». Ils répondent : « Nous n’avons pas plus que 5 pains et 2 poissons … ». Il y avait bien 5000 hommes. Jésus leur dit : « Faites-les asseoir par groupes ». Jésus prit les 5 pains et les 2 poissons et levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à tout le monde. Tous mangèrent à leur faim, et l’on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit 12 paniers »

Ne nous demandons pas comment cela fut possible mais remarquons les analogies très fortes avec le récit de la dernière cène. Ici il s’agit d’un simple pique-nique à la campagne mais c’est aussi le soir ; il s’agit de pain ordinaire, il n’y a pas de vin mais Luc raconte le geste de Jésus avec les mêmes mots que, plus tard, pour l’Eucharistie : « prend ..rend grâce…rompt…donne… ». Il y a donc un lien très fort entre ce partage du pain à une multitude affamée et le don de son corps et de son sang à la veille de sa mort.

Le don de sa mort par Jésus est l’accomplissement d’une vie donnée aux autres. Les guérisons qu’il a opérées n’ont jamais été des coups d’éclat pour s’attirer des fidèles par le merveilleux. Mais elles étaient provoquées par sa miséricorde, sa tristesse devant le malheur des hommes. Que des foules soient affamées, c’est un scandale inacceptable dans un monde qui regorge de ressources. Nous, comme les douze, nous sommes tentés de renvoyer tous ces gens importuns et de conserver nos petites provisions. Mais Jésus nous appelle à partager et à donner. Paul termine cette lettre aux Corinthiens en écrivant : « Pour la collecte en faveur des saints, le premier jour de chaque semaine, chacun mettra de côté chez lui ce qu’il aura réussi à épargner afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour recueillir les dons » (16, 2).

Le temps du synode nous presse à partager nos suggestions : alors que des multitudes ont déserté la messe du dimanche, comment faire pour que nos assemblées soient des « communions » authentiques à l’Amour ?

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Fête de la Sainte Trinité – Année C – 12 juin 2022 – Évangile de Jean 16, 12-15

Évangile de Jean 16, 12-15

Père, Fils, Esprit : Dieu est amour

Après le départ des milliers de pèlerins venus pour les fêtes de Pâque puis de Pentecôte, Jérusalem a repris sa vie normale. Sauf qu’une rumeur commence à se répandre : les disciples de ce Jésus qui, peu avant, avait été condamné et exécuté sur une croix, prétendent qu’ils ont vu leur maître ressuscité ! Il est vraiment Seigneur, Fils de Dieu son Père, il nous a communiqué l’Esprit-Saint et nous a ordonné d’annoncer cette Bonne Nouvelle dans le monde.

Message proprement inouï, unique dans l’histoire ! Blasphématoire donc inacceptable pour Israël qui repose sur la foi en un Dieu UN et qui répète chaque jour sa confession de foi : « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». Absurde de penser que le Seigneur connaisse l’horreur de la mort et que la croix signe la preuve de l’amour de Dieu.

Les apôtres reconnaissent qu’ils ont mis beaucoup de temps pour commencer à comprendre l’homme qui s’appelait Jésus de Nazareth. C’était un prophète comme Jean-Baptiste mais très vite les questions affluèrent : Jésus prêchait comme personne, il annonçait la prochaine venue du Royaume de Dieu, opérait des guérisons. Il avait avec Dieu une exceptionnelle relation de proximité et de tendresse : il s’adressait à lui comme un enfant : « Abba, Père ». Et il nous a permis de prier à sa manière. Mais certains de ses propos étant intolérables pour les autorités, la menace de mort se précisa. Loin de fuir ou de se taire, il accentua ses prétentions. Juste avant la Pâque, il se présenta à nous comme l’agneau de la libération puis il fut arrêté et exécuté.

Une expansion rapide de la Bonne Nouvelle

Tout semblait fini pour nous. Mais le 3ème jour, à notre stupeur, il revint vers nous, ressuscité, vivant et nous expliqua qu’ainsi s’était accompli le projet de Dieu. Il avait accepté de donner sa vie pour offrir le pardon des péchés aux hommes de tous les pays et il nous envoya l’Esprit de Dieu pour nous consolider dans notre mission.

Très vite les missionnaires se heurtèrent aux sarcasmes puis à la colère puis à la fureur de leurs compatriotes et ils se dispersèrent dans tous les pays voisins. Nous manquons beaucoup de repères pour marquer les étapes de l’expansion. Mais si Jésus est mort en l’an 30 de notre ère, déjà en 51, Paul s’adresse à la petite communauté de Thessalonique qu’il venait de fonder en leur disant :

« Paul, Silvain et Timothée à l’église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et en le Seigneur Jésus-Christ. A vous grâce et paix » et il les exhorte à « servir le Dieu vivant et véritable et à attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus qui nous arrache à la colère » (1, 9)

Ensuite Paul, vers 54-55, termine sa 2ème lettre aux Corinthiens par la formule qui deviendra la salutation d’ouverture de la liturgie :

« La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (13, 13)

Tous les premiers chrétiens, comme Jésus d’abord, sont des Juifs qui demeurent absolument fidèles à la profession de foi monothéiste : on ne s’étonne donc pas que des discussions interminables et très animées éclatent partout et se poursuivent sans fin. Jésus est plus qu’un prophète, l’Esprit est davantage qu’un souffle inspirateur…mais il n’y a pas trois dieux. Et si les Écritures parlaient déjà d’Israël fils de Dieu, de la Parole et de la Sagesse de Dieu, il faut aujourd’hui aller plus loin.

Une conversion périlleuse

Par conséquent la conversion à Jésus est un acte risqué, parfois dangereux. Elle fait passer pour hérétique alors que les évangiles s’acharnent à montrer que la révélation apportée par Jésus ne supprime pas la Torah mais la mène à sa fin : « Je ne viens pas abolir mais accomplir ». Une nouvelle lecture de la Loi indique que le projet de Dieu devait s’effectuer comme il l’a été par Jésus.

La foi allume des débats, divise les membres des familles, fait éclater des amitiés, cause la perte d’un emploi. Un document romain rapporte que l’Empereur Claude (mort en 54), excédé par les batailles qui se livraient parfois dans les synagogues à propos d’un certain Jésus, décida de chasser tous les Juifs de la capitale.

Le diacre Etienne, l’apôtre Jacques de Zébédée, d’autres anonymes, puis Pierre…Paul sont mis à mort : premiers martyrs d’une liste interminable qui s’allonge aujourd’hui comme jamais. Le chemin de l’amour ressuscité passe immanquablement par le Golgotha.

Enfin vers la fin du premier siècle, la communauté de Jean sort un 4ème évangile où l’on voit l’aboutissement d’une longue réflexion communautaire. La recherche sur l’Évangile et les échanges avec le milieu hellénistique aboutissent, sous le souffle de l’Esprit, à une compréhension plus approfondie de l’Esprit comme une personne.

Au 2ème siècle, dans l’Église orientale on proposera le mot grec « trias » qui, par le latin, donnera le mot « Trinité » : pauvre mot froid et abstrait pour désigner le mystère le plus riche de vie du Dieu en trois personnes.

Des controverses houleuses

Jean ne clôturera pas la fin de l’enquête : les débats vont se poursuivre dans une ambiance pas toujours fraternelle car « la rage théologique » sait être acerbe. Des écoles rivaliseront, lanceront un feu d’artifice d’anathèmes réciproques. Jusqu’à ce que le concile de Nicée (325) puis celui de Constantinople (381) accouchent des formules des « credo » que nous récitons encore. Ainsi l’Église va poursuivre sa route et s’étendre peu à peu dans le monde.

Ce rapide coup d’œil sur les débuts tentait de montrer que la foi en Dieu unique, Père, Fils et Esprit, était une aventure historique risquée qui risquait fort d’échouer. Néanmoins, dans un monde baignant dans le paganisme et à partir de la foi monolithique d’Israël, la foi trinitaire s’est peu à peu éclairée sous la lumière et la force de l’Esprit.

Jésus l’avais promis aux siens : « Lorsque viendra l’Esprit de Vérité, il vous fera accéder à la Vérité tout entière…Il me glorifiera et vous communiquera ce qui est à moi » (Jn 16, 13). Mais il ajouta : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (13, 34)

La Trinité Révélation de l’Amour

La foi en un Dieu en trois personnes ne se réduit pas à une conviction intellectuelle, à la confession d’une formule car ce mystère restera à jamais inaccessible à l’esprit humain. Mais il nous introduit sur le chemin de l’amour.

Un grand philosophe écrivait : « …De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Quel aveuglement – pardon Mr Kant. Réfléchissons un peu à trois richesses de cette foi.

D’abord – ce que certains philosophes ignorent – le concept de « personne » qui joue un si grand rôle dans la réflexion anthropologique moderne est né des débats théologiques lors des premiers conciles.

Ensuite remarquez que les Trois Personnes ne sont pas désignées, comme nous, par des noms personnels (Jean Dupont, ;..) mais par des mots de relation : Dieu est le Père de Jésus, celui-ci est le Fils de son Père, l’Esprit est celui qui unit Père et Fils. Nous, nous sommes des humains et nous avons, ou non, des relations éventuelles. Tous les hommes ne sont pas pères, et certains peuvent , hélas, perdre leur enfant : ils restent des hommes. Les Trois personnes divines, elles, sont des relations, elles ne sont que des relations. Tout l’être de Dieu consiste en l’amour porté à son Fils : l’être du Fils est l’amour porté à son Père dans l’élan de l’Esprit.

C’est pourquoi la foi en la Sainte Trinité, si elle est consciente, entraîne l’amour des uns pour les autres. Elle n’est pas une conviction pieuse, privée, éthérée mais une force qui répare nos relations, les renforce, les multiplie. Sortir pour se donner à l’autre pour l’aimer est se trouver et se personnaliser. Elle est de la sorte le grand facteur de la paix du monde.

Enfin, au coeur de nos limites et de nos péchés, gardons conscience de notre grandeur. Le croyant reste un pécheur mais il peut toujours demander la miséricorde du Père. Car le Fils de Dieu a offert sa vie pour nous pardonner : il nous montre ses plaies en nous disant « Paix à vous ». Et l’Esprit de Vie et de Lumière habite en nous. Et si nous nous sommes éloignés de cette foi, si nous sommes tombés dans les turpitudes, nous pouvons toujours revenir.

A la fin de sa vie, le poète Paul Valéry, incroyant, notait dans ses carnets : « Après tout personne avant saint Jean n’avait écrit que Dieu est Amour ».

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Fête de la Pentecôte – Année C – 5 juin 2022 – Évangile de Jean 14, 15-26

Évangile de Jean 14, 15-26

Esprit, Souffle sur l’Église en Synode

Comment imaginer l’état de bouleversement, de sidération dans lequel se trouvent les apôtres après la disparition définitive de Jésus ? Tout s’est passé tellement vite. Ils étaient des hommes du peuple, de la campagne, sans titres ni fortune, exerçant de petits métiers, pêcheurs, douanier …Un homme les a appelés à le suivre. Il annonçait la venue du Royaume de Dieu dans un langage tout simple, opérait des guérisons sur des malades, marquait sa préférence pour les petits et les pauvres. Avec audace il dénonçait la vanité et le goût du lucre des grands prélats, l’arrogance des scribes, l’hypocrisie d’un culte fastueux mais stérile pour la conversion des comportements. L’idée se répandait que ce prophète était peut-être le messie attendu.

Alors tout s’accéléra. Il fallait supprimer cet agitateur qui, à l’approche de la Pâque, risquait de susciter la révolution. On l’arrêta, on le condamna, on l’exécuta de la façon la plus horrible sur une croix. Les jours suivants, les pèlerins quittaient la ville qui reprenait son cours normal. L’affaire semblait close. Non, elle commençait ! Car Jésus, vivant de la gloire de Dieu revint vers ses disciples, leur expliqua que le dessein de Dieu s’était réalisé et qu’avec la force de l’Esprit de Dieu qu’ils allaient recevoir, ils l’accompliraient parmi tous les peuples.

Selon Luc, les apôtres se rassemblèrent et s’unirent en prière dans l’attente de l’Esprit. N’imaginons pas ces hommes et ces femmes figés comme des statues dans une oraison immobile. Un tourbillon de souvenirs et d’interrogations les submerge. Qu’est-ce que Jésus nous a enseigné ? Comment exprimer son identité ? Pourquoi la croix ? Qu’est-ce donc que la résurrection qui n’est pas une réanimation ? Comment Jésus est-il fils du Père ? Comment expliquer qu’il était bien le Messie qui opère le changement du monde, non par une déflagration et la destruction des pervers mais en donnant l’Esprit de miséricorde ?… Comment comprendre que le anciennes Écritures s’étaient réalisées ?

Le Synode sur la « Synodalité »

Nous sommes aujourd’hui à peu près dans une situation similaire. Dans notre société qui file à grande vitesse, des chocs inattendus se succèdent : le réchauffement climatique, la planète en danger, l’épuisement des ressources, les crises sanitaires, la guerre de retour en Europe, la pauvreté qui s’étend alors que le commerce de luxe bat ses records…Et l’Église en outre est dans la tempête : effondrement de la pratique rituelle, des vocations sacerdotales, fermeture des séminaires et des couvents et, pire encore, révélation des scandales sexuels.

Nous sommes déconcertés sinon inquiets. Certains médias diagnostiquent même l’effritement sinon même la disparition de l’Église. En réaction, des catholiques s’accrochent aux anciennes traditions qu’ils canonisent à tort. La majorité, elle, se laisse emporter par l’évolution, attend que l’orage se calme, se plaint que les jeunes se soient détournés de la foi, accusent les dérives de la société.

Refusant l’inertie et le défaitisme, notre pape François a ouvert un nouveau Synode. Ce mot, qui était jadis d’usage traditionnel, est la traduction d’un mot grec qui signifie « chemin ensemble » : il s’agit de prendre le temps de se rencontrer, de débattre des problèmes, d’analyser la situation mondiale pour envisager les changements nécessaires. Tout est lié. Nous vivons dans une maison commune. L’Église doit mettre en pratique son attribut de « catholique » qui signifie « universelle ». D’où la décision de lancer un Synode sur la « Synodalité », sur les modes d’organisation à mettre en place afin qu’il y ait davantage de communication entre tous les membres pour une mission plus entreprenante.

Les Synodes précédents consistaient en une assemblée de cardinaux et d’évêques qui à Rome débattaient d’un problème et publiaient un document final. A juste titre, cette fois-ci, François a décidé d’étaler le Synode sur 2 ans afin de mettre tous les catholiques dans le coup. Un questionnaire sur tous les sujets a été envoyé partout et, après des multitudes de réunions en petits groupes, les réponses viennent d’être renvoyées. Elles vont être analysées dans chaque pays, puis envoyées à Rome. Et en octobre 2023, le Pape et l’assemblée élue des prélats publieront le document final.

François l’a maintes fois déclaré depuis des années : il faut mettre fin à l’inertie de beaucoup, au cléricalisme directif, sortir des ornières sacralisées. Donc déjà nous voilà tous en situation de recherche et de dialogue.

Une Église en question

Pour nous éclairer dans cette recherche, il est important de scruter à nouveau le Nouveau Testament pour noter quelques pratiques fondamentales des premières générations.

En réponse à l’appel à la conversion lancé par des disciples, des petites communautés se forment. On y entre par la libre décision du baptême. Hommes et femmes, de toutes conditions : un armateur et un docker, un professeur et un jeune cancre, un Juif et une païenne de Corinthe. Le propriétaire d’une grande maison accueille tous les membres pour l’assemblée du 8ème jour, lendemain du sabbat. Rien de guindé ni de hiérarchique. On échange des nouvelles, on chante des cantiques, on dialogue sur les enseignements de Jésus, on partage le repas puis on mange le Pain rompu offert par le Seigneur. On s’engage à visiter les membres empêchés par l’âge et la maladie.

  • « Aller à l’église » a d’abord signifié : se rendre à l’assemblée chrétienne. Puis l’Église a désigné l’ensemble des communautés, « le Corps du Christ » ; ensuite seulement l’édifice où l’on se réunit. Accroître ses dimensions, embellir son faste a paru plus important que de cultiver les relations entre personnes. Comment faire pour retrouver l’essentiel ?

Tout se passe dans une grande ambiance de joie fraternelle, dans la certitude de la Présence du Seigneur, le bonheur d’être pardonnés, l’espérance de la Vie éternelle. Toutefois n’idéalisons pas le tableau. Si Paul insiste inlassablement sur le devoir de la concorde et de la paix, c’est bien le signe que la charité n’allait pas de soi, qu’elle exigeait une réconciliation toujours recommencée. La foi ne changeait pas les caractères. Le messianisme n’était pas la venue subite du paradis mais le retour perpétuel à la croix, source de la paix universelle à répandre à travers le monde.

  • « Se mettre au pas ensemble » (synode) nécessite de gros efforts de dialogues, de confrontations d’avis divers, de pardon. Mais ainsi s’affine la recherche de la vérité. C’est le travail de base pour établir la paix, but même de l’Évangile.

Tout de suite le choc éclata : la majorité des Israélites achoppait sur le scandale intolérable de l’incarnation et se crispait sur la pratique des prescriptions de la Torah. Or le Seigneur avait ordonné d’annoncer la Bonne Nouvelle dans le monde entier. Luc raconte que des débats éclatèrent dans l’Église : fallait-il obliger les païens convertis à la circoncision et à l’alimentation casher (interdit du porc…), pratiques qu’ils refusaient ? Après des discussions – dont Luc cache la violence -, il fut décidé de ne plus imposer ces pratiques. Scandale pour les Juifs convertis qui exigeaient la fidélité intégrale à la Loi. Dans sa lettre aux Galates, Paul raconte que lors de ses tournées missionnaires où il annonçait aux païens la libération de la Loi, certains le suivaient pour démentir sa prédication et exiger une pratique intégrale de la Torah.

  • Voici sans doute le point névralgique. Faut-il vouloir intégrer les convertis dans un cadre fixe ? La mission dans un monde totalement changé n’exige-t-elle pas de rogner un peu de ce qui nous paraissait certitudes et pratiques inamovibles ? Comment la tradition peut-elle changer en restant fidèle ?

Les premières communautés sont petites, fragiles, dénoncées comme hérétiques par Israël, surveillées par le pouvoir romain. Mais elles restent en communion très forte les unes avec les autres grâce aux évangélistes qui circulent et par les lettres. Remarquons que Paul adresse les siennes à « la communauté, à l’église qui est à … » et non aux seuls responsables. Chacun peut se sentir responsable et savoir qu’il fait partie d’un réseau en expansion. Tous les membres se tiennent à égalité. De temps à autre, la nouvelle circule qu’un apôtre de Jésus a été mis à mort, que d’autres disciples sont persécutés, jugés au tribunal, condamnés. La tristesse est grande, la peur menace, certains abandonnent la communauté mais la confiance l’emporte chez beaucoup, l’élan ne se tarit pas, on continue à se sentir unis aux martyrs dont le courage renforce la persévérance de la majorité.

  • La tentation est grande de vouloir demeurer un groupe fermé sur lui-même, pieux et tranquille. Or nous participons par grâce et nécessité à une œuvre mondiale, combattue par les puissances gigantesques de l’égoïsme, de la cupidité, de la haine. Les victimes seront toujours nombreuses : pas de jour sans martyrs. Comment soutenir nos frères persécutés ? …

Conclusion

L’Eau vive de l’Esprit descend sur des esprits qui ont compris que la mission du Christ dépasse infiniment les forces humaines. « Père, que tous soient un comme toi et moi ; qu’ils soient un en nous » : les disputes, les féminicides, les conflits, les guerres prouvent l’absolue nécessité de l’amour divin pour élaborer la paix et la justice.

On n’attend pas la venue de l’Esprit comme on attend un train. L’eau vive de l’Esprit coule sur des cœurs labourés de questions : alors germera le grain de la Bonne Nouvelle.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Fête de l’Ascension – Année C – 26 mai 2022 – Évangile de Jean 14, 3

Évangile de Jean 14, 3

« Je vous prendrai avec moi »

Quand on dit : « Jésus est monté au ciel », on emploie évidemment une métaphore. Jésus n’est pas un cosmonaute qui, si loin qu’il s’enfonce parmi les étoiles, reste enfermé dans notre monde de l’espace-temps. Saint Luc, le seul évangéliste qui l’évoque, le fait d’ailleurs de deux manières différentes, preuve qu’il ne faut pas s’arrêter à l’image mais en comprendre la signification profonde pour la foi.

D’abord la scène du départ du Ressuscité clôture son évangile : elle marque la fin du temps des apparitions et elle convainc les disciples que Dieu a cassé la sentence du procès. La victime avait raison : si ses juges l’ont « exécuté », Jésus a ainsi « exécuté » le dessein de son Père en faisant de la croix, par amour, l’acte du salut du monde. C’est pourquoi son Père l’a ressuscité et l’a accueilli dans sa Gloire. Il est dans ce monde que nos sens et notre raison ne peuvent saisir. Les disciples l’ont bien compris : ils ne se lamentent pas et, tout joyeux, se réunissent pour prier. Leur angoisse a disparu, ils sont heureux d’être pardonnés de leur lâcheté et assurés que leur vie a un sens. Vivre comme Jésus le leur a appris et remplir sa mission les conduira à le rejoindre dans la maison du Père. Son Ascension est promesse de la leur.

Dans son second livre, les Actes des Apôtres, Luc parle d’un intervalle de 40 jours d’apparitions où Jésus annonce à ses disciples d’attendre l’Esprit-Saint que Dieu va leur envoyer incessamment. Puis il les emmène sur le mont des Oliviers et il disparaît à leurs yeux. Il leur est dit de ne pas rester le nez en l’air : le Ressuscité reviendra à une date non précisée.

10 JOURS DE PRIÈRE

« Ils regagnèrent Jérusalem, montèrent dans une salle à l’étage. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et les autres. Tous unanimes persévéraient dans la prière, avec quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et les frères de Jésus »

A nouveau, il ne faut plus demander d’apparitions de Jésus ni chercher à savoir quand il reviendra mais se réjouir de le savoir dans la Paix de son Père. Son projet d’instaurer le Royaume, loin d’être détruit par sa mort, va se poursuivre par les disciples à qui le don de l’Esprit va être fait. Alors ils annonceront le message du salut aux hommes de toutes les nations. Ce temps d’attente nous instruit sur les jours que nous allons vivre.

D’abord il est demandé de rester à Jérusalem, dont les prélats suprêmes sont cependant les premiers responsables de l’exécution de Jésus. On ne refait pas l’Église à côté de celle qui existe : la Nouvelle Alliance éclot sur la Première. Le présent ne se renie pas : il accouche de demain par l’effort de la prière.

Les premiers disciples demeurent groupés car ils vont être chargés d’une œuvre collective. Le temps de leurs rivalités est révolu : il faudra travailler, non de manière identique, mais ensemble. L’Esprit n’est pas un don de piété individuel mais un don que chacun doit demander pour lui et les autres.

S’ils montent à l’étage, c’est afin de se retrancher des affaires et des soucis du quotidien. Sans l’élan reçu par la prière, il n’y aura pas d’action valable. Jésus lui-même n’avait-il pas reçu sa mission pendant 40 jours au désert ? Le don essentiel pour accomplir la plus grande tâche de l’histoire nécessite une prière qui assume tout l’être. Dans les moments les plus graves, la retraite est nécessaire La prière la plus retirée permettra de plonger au coeur du monde.

Au centre, se trouve Pierre, que naguère certains jalousaient et qui avait renié son maître. Mais Jésus l’a placé à la tête et lui a pardonné. On ne l’adule pas, on accepte sa faiblesse en lui demandant miséricorde.

Il y a aussi – et c’est exceptionnel à l’époque – des femmes, sans doute Marie-Madeleine et les autres qui suivaient Jésus, étaient présentes à la croix et les premières à découvrir le tombeau vide. L’Église naît mixte. Et Luc note la présence des frères de Jésus et surtout de Marie, la mère, par qui tout avait commencé. Elle avait reçu une annonce, s’était donnée toute entière à la réalisation, avait reçu l’Esprit. Elle est, pour les apôtres, comme un modèle, comme une mère. Elle prie maintenant pour ces hommes afin qu’ils poursuivent l’œuvre.

Dans un coin minuscule du monde, quelques personnes attendent avec confiance. Le minuscule bourgeon va se déployer à travers la planète. Alléluia !!!

Fr Raphael Devillers, dominicain.