Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

La résurrection du Seigneur – 9 avril 2023 – Évangile de Jean 20, 1-9

Évangile de Jean 20, 1-9

La résurrection du Seigneur

Il y a toutes sortes de morts en nous. Il y a bien sûr les deuils que nous portons, ces êtres chers dont la présence nous manque. Il y a aussi les deuils que nous avons dû faire de nous-mêmes, tous ces espoirs que nous avions et auxquels nous avons dû renoncer, toutes ces vies rêvées, ou simplement envisagées, que nous n’avons pas eues. Il y a aussi toutes les blessures, les méchancetés, les indifférences, les humiliations que nous avons subies et qui nous ont changés. Il y a aussi quelque part Dieu qui est mort en nous, à l’image de cette spontanéité d’aimer que nous avions tous enfant. Aujourd’hui, nous sommes plus méfiants voire endurcis.

Il y a encore d’autres morts en nous : ce qui nous fait honte, le mal que nous avons fait, les pensées méprisantes, nos jugements qui condamnent. Tout ce qui, petit à petit, met à mort la personne juste et aimante que nous voudrions être.

Certaines personnes sont tellement confrontées à la mort, notamment par la perte d’un enfant, qu’elles finissent par perdre la foi. La foi en elles-mêmes, la foi en l’humanité, la foi en la vie, la foi en l’amour, la foi en Dieu. C’était le cas de Mère Teresa, qui confessait à Jean-Paul II ne plus voir Dieu à force d’avoir enterré des morts. Elle disait mentir sur sa foi avec son sourire.

Qu’est-ce que la Résurrection ?

Bien sûr, on pourra toujours dire que nos grand-parents, nos parents défunts continuent à vivre en nous, à travers l’amour que nous continuons à leur porter ; on pourra penser que nous incarnons, à notre tour, tout ce qu’ils nous ont transmis : des valeurs, un esprit, une manière de vivre et d’aimer. Au fond, ça rejoint l’ancienne croyance qui voulait que, pour que quelqu’un vive éternellement, il suffisait que l’on se souvienne perpétuellement de lui et rende hommage à son nom. A tel point que, dans l’Égypte ancienne, lorsqu’on voulait damner quelqu’un, on effaçait simplement son nom de tous les monuments, pour en perdre la mémoire ou à Rome, le Sénat pouvait condamner à la damnatio memoriae, à l’effacement d’un nom de toutes les archives.

Et peut-être nous-même cela nous suffirait-il : qu’au-delà de la mort, on se souvienne simplement de nous avec amour, affection et tendresse ? Mais ça ne suffit pas à expliquer la Résurrection des corps. Que la mémoire de quelqu’un ressuscite lorsque l’on pense à lui, nous le concevons fort bien. Mais les corps ?

D’autant que les Évangiles ne sont pas très explicites à ce sujet. Ils insistent même pour affirmer que les disciples peinent à reconnaître Jésus ressuscité. Pour Marie-Madeleine, il faudra qu’il l’appelle par son prénom, pour d’autres il faudra qu’il partage du pain, pour les disciples d’Emmaüs, il faudra qu’ils aient le cœur brûlant. Le seul point sur lequel les Évangiles tiennent à être clairs, c’est pour dire que le Christ ressuscité n’est pas un pur esprit, qu’il mange, qu’il marche, qu’on peut le toucher.

Je ne vais pas vous révéler aujourd’hui la clé du mystère, qui le pourrait ? … Saint Paul parle de « corps spirituel » ce qui n’est pas tellement plus clair, et même en soi paradoxal. Le propre d’un mystère c’est qu’on peut toujours intellectuellement y réfléchir, mais qu’on ne pourra jamais l’épuiser. Il y a entre la Résurrection et nous la barrière de la mort que nous n’avons pas franchie. Et même si les expériences de mort imminente, dont on a désormais de nombreux témoignages, restent à cet égard parlantes, elles ne sont pas à proprement parler une Résurrection des corps mais bien un retour à la vie teinté de visions de l’Au-delà. Le mystère restera mystère tant que nous-mêmes ne l’aurons pas vécu. Seul le Ressuscité, quand il vient à nous, peut nous révéler ce qu’est la résurrection. Mais on tombe alors sur d’autres mystères, celui de la Présence réelle dans l’Eucharistie ou celui de l’Église comme Corps du Christ.

On n’épuisera pas ici le mystère de la Résurrection, mais nous savons que les mauvaises pensées tuent le corps, que la chair souffre d’idées sombres, que nos corps s’affaiblissent sous le poids de la douleur et du chagrin, que certains meurent de malheurs et de dépression. Tous, nous nous rendons compte de l’incidence d’esprits mauvais sur notre corps ; tous nous savons qu’il y a des mots qui blessent et tuent.

Si tout ce qui nous plonge dans la ténèbre a un réel impact sur notre santé, sur notre corps, alors je crois aussi que toute parole d’amour nous ressuscite, nous redonne de la vigueur et nous retisse de l’intérieur. Je crois que les corps se régénèrent et finalement ressuscitent à force d’amour.

Je crois que toutes ces morts qui sont en nous – tous nos chagrins, nos deuils, nos souffrances, nos blessures et aussi notre propre péché – peuvent se voir ressuscitées à force d’amour. Et je crois en l’absolue force d’amour de Dieu.

Comme d’autres ici, j’y crois parce que le Christ m’a déjà ressuscité de ténèbres abyssales. Alors que je dépérissais de chagrin, il m’a ramené à la vie – une toute autre vie. Alors oui, je crois que Dieu peut nous ressusciter d’entre les morts. Corps et âme. Par amour et pour l’éternité.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.


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