32ème dimanche – Année C – 6 novembre 2022 – Évangile de Luc 20, 27-38

Évangile de Luc 20, 27-38

Le Dieu des vivants

Nous venons de lire l’histoire de la persécution d’Antiochos, où les sept fils endurent les plus horribles tortures plutôt que de renoncer à leur foi en Dieu. Ils croient tellement en la Résurrection qu’ils préfèrent mourir. Déjà ceci pose quelques questions : croyons-nous en Dieu au point d’accepter la mort et la souffrance ? Je ne sais pas si pour vous c’est une terrible nouvelle mais … un jour nous mourrons.

Et la souffrance, c’est déjà la mort. C’est d’ailleurs pour cela que Jésus dit, dans l’Évangile de Matthieu (5, 21-22) : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. » … parce qu’il a déjà commis un meurtre !

Se mettre en colère, haïr quelqu’un c’est toujours lui imposer une souffrance et c’est déjà commencer à le tuer. Et nous le savons bien car chaque fois que quelqu’un nous a insultés ou méprisés, chaque fois que nous avons été rejetés ou mal aimés : nous en avons souffert, parfois terriblement au point d’avoir l’impression de dépérir. Peut-être, hélas, l’avez-vous déjà ressenti : le manque d’amour fait mal, terriblement mal, au point que chaque fois que nous y sommes confrontés, il y a quelque chose en nous qui meurt – une innocence qui disparaît. C’est souvent douloureux, très douloureux d’être méprisés.

Pourtant, tout au long de l’Évangile, on nous raconte les guérisons réalisées par Jésus, que ce soient des guérisons physiques (le paralytique, le lépreux, etc.) ou spirituelles (on parle de chasser les démons dans le Nouveau Testament mais aujourd’hui on parlerait de troubles psychiques, de dépression, de mort sociale, …). On nous raconte aussi des histoires de résurrections (Lazarre, la fille de Jaïre, etc.). Enfin Jésus, lui-même ressuscite d’entre les morts. C’est ça que nous croyons ; voilà notre foi.

Il n’est pas sûr que nous échappions à la méchanceté des gens. S. Paul le dit lui-même : « Priez pour que nous échappions aux gens pervers et mauvais, car tout le monde n’a pas la foi. ». Et peut-être que nous sommes même convaincus qu’il faudra encore souffrir ; qu’il y aura encore des manques d’amour et des blessures, des colères et même de la haine. Pire encore, certains ici ont peut-être des difficultés à s’engager véritablement dans une relation affective : par peur de devoir encore souffrir, de voir encore une histoire d’amour mourir et nous, de mourir un peu avec elle.

Jésus est là pour nous sauver. De toutes nos blessures, de tous nos démons : Jésus est là pour nous sauver. C’est vrai que nous n’échapperons pas à la souffrance et à la mort : lui-même a souffert et est mort sur une croix, crucifié du manque d’amour.

Notre foi n’est pas un rempart contre la souffrance ; notre foi est un pont qui va au-delà de la souffrance, au-delà de la mort. Nous ne croyons pas que ce monde va devenir un monde facile, où tout le monde est subitement beau et gentil ; nous croyons simplement que les morts ressuscitent. Et c’est cette foi qui nous donne la force de vivre au-delà du mal que l’on nous fait. La souffrance ne disparaîtra pas de votre vie sur cette terre ; mais la promesse du Christ c’est qu’il a un amour qui, toujours, nous emmènera vivants au-delà.

La résurrection des morts est sans doute quelque chose de difficile à comprendre. Mais nous pouvons nous en approcher en regardant toutes ces fois, dans notre vie, où nous avons été méprisés, insultés, mal aimés ou même cruellement blessés et que nous avons su nous en relever. Avez-vous des blessures guéries ? Avez-vous déjà réussi à pardonner de cruels manques d’amour ? Ce sont des résurrections ! Déjà, au quotidien, si vous avez réussi à passer l’éponge sur des petites injustices, à pardonner quelques petites méchancetés de la part de ceux que vous aimez, vous avez vécu quelque chose de la Résurrection des morts. Vous avez réussi à maintenir un amour vivant, au-delà d’une souffrance.

Sur la Croix, à propos de ceux qui le tuent, Jésus dit « Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu’ils font ». La Résurrection commence toujours ainsi, par le pardon. Pardonner, c’est être capable de donner de l’amour au-delà de l’offense. Pardonner c’est vivre d’un amour si grand, qu’il voit au-delà de tous ces manques d’amour qui nous blessent et nous tuent petit-à-petit.

Ça ne veut pas dire que c’est facile. Ça fait terriblement mal d’être quitté, abandonné par quelqu’un qu’on aime. C’est même très douloureux quand une relation affective, amicale ou amoureuse semble brisée. Et trouver le moyen de pardonner, d’aimer encore malgré la souffrance que l’on ressent, nous semble parfois impossible. La rupture fait si mal …

Mais, avec le Christ, nous pouvons penser que celle ou celui qui nous blesse ne se rend pas véritablement compte de tout le mal qu’il nous fait. Et déjà penser ainsi, c’est commencer à pardonner.

Notre foi en la Résurrection des morts c’est de dire qu’il est toujours possible d’aimer au-delà de la souffrance, même si c’est difficile. Au moins, on peut prier pour que Dieu nous donne la force d’y arriver. C’est ce que fait Paul à la fin de l’extrait que nous venons de lire quand il dit : « Que le Seigneur conduise vos cœurs dans l’amour de Dieu et l’endurance du Christ. » C’est en effet de notre proximité avec Dieu que nous viendra cette endurance de l’amour qui permet de pardonner et de continuer à vivre au-delà des blessures.

Il y a une vie après la mort ; il y a une vie après toutes nos petites morts, il y a un amour possible après toutes nos blessures et nos souffrances. Je vous en prie, croyez-le. Croyez que la force d’amour de Dieu se communique ; qu’elle permet de surmonter tous les chagrins et les douleurs ; qu’elle surpasse toutes nos blessures ; qu’elle nous permet de rester toujours vivants et debout, même quand on nous agresse.

« Le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »

— Fr. Laurent Mathelot OP

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

RDC : sœur Marie-Sylvie sauvagement tuée

Sœur Marie-Sylvie, médecin et religieuse, a été sauvagement tuée le 19 octobre, lors d’un raid dans l’est de la République démocratique du Congo. Cette partie du pays est en proie à des attaques toujours plus sanglantes menées par des terroristes islamistes.

Dans un communiqué du 20 octobre, Mgr Sikuli Paluku, évêque du diocèse de Butembo-Beni (République démocratique du Congo) a annoncé le meurtre de sœur Marie-Sylvie Kavuke Vakatsuraki, religieuse et médecin, lors d’une attaque d’une structure de santé catholique et du couvent qui lui est attenant. Cette offensive a très certainement été orchestrée par des membres des Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe islamiste venant d’Ouganda ayant prêté allégeance à l’État islamique, qui le présente comme étant sa branche en Afrique centrale.

L’assaut a été d’une barbarie extrême. Le corps de la religieuse de la congrégation des Petites sœurs de la Présentation de Notre Dame au Temple a été retrouvé calciné, et six autres personnes ont été décapitées et brûlées. Il semble par ailleurs qu’une vingtaine de personnes ont été enlevées pendant l’assaut : trois femmes enceintes, dix malades et dix membres du personnel de santé, dont potentiellement deux religieuses. Outre cet établissement de santé, les terroristes ont également pillé et détruit un hôpital protestant situé à proximité. « Les mots nous manquent, tant l’horreur a plus que franchi le seuil de la tolérance » a déclaré l’évêque de Butembo-Beni. La petite sœur a été inhumée samedi 22 octobre. 

Site Aleteia 25 10 2022

« Nous assistons, horrifiés, aux événements qui continuent d’ensanglanter la République démocratique du Congo », a confié le pape François qui projette de se rendre dans ce pays en début d’année 2023. « J’exprime ma ferme déploration pour l’inacceptable agression intervenue ces derniers jours à Maboya, dans la province du Nord-Kivu, où ont été tuées des personnes sans défense, dont une religieuse impliquée dans l’aide sanitaire ».

Dietrich Bonhoeffer – Lettre de prison

« ….Dieu, en tant qu’hypothèse de travail, en morale, en politique, est science, est aboli aussi bien que dans la philosophie et la religion (Feuerbach)…..

Où donc reste-t-il de la place pour Dieu ? demandent certaines âmes angoissées, et comme elles ne trouvent pas de réponse, elles condamnent toute l’évolution qui les a mises dans cette calamité…

Nous ne pouvons être honnêtes sans reconnaître qu’il nous faut vivre dans le monde « etsi deus non daretur » (expression de Grotius : « comme si Dieu n’était pas donné »). Et voilà justement ce que nous reconnaissons devant Dieu qui, lui-même, nous oblige à l’admettre. En devenant majeurs, nous sommes amenés à reconnaître de façon plus vraie notre situation devant Dieu.

Dieu nous fait savoir qu’il nous faut vivre en tant qu’hommes qui parviennent à vivre sans Dieu. Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Marc 15, 34). Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment.

Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde…, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide.

Matthieu 8, 17 indique clairement que le Christ ne nous aide pas par sa toute-puissance, mais par sa faiblesse et ses souffrances.

Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le « deus ex machina ». La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu ; seul le Dieu souffrant peut aider.

Dans ce sens, on peut dire que l’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui acquiert sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. C’est ici que devra intervenir « l’interprétation laïque ».

Lettre écrite dans la prison de Tegel (Berlin),
le 16 juillet 1944, à son ami Eberhard Bethge.

Martyrs de l’abbaye de Westminster

Les Martyrs de l’abbaye de Westminster sont une série de dix statues en surplomb du portail ouest de l’abbaye à Londres. Il s’agit de dix personnalités chrétiennes du XXe siècle considérées par l’Église d’Angleterre comme ayant été assassinées au nom de leur foi 1.

L’inauguration eut lieu en juillet 1998, après la fin de la restauration des tours ouest (1995). Étaient notamment présents la reine Élisabeth II, le cardinal Basil Hume et l’archevêque de Cantorbéry George Carey1. Dans une volonté d’œcuménisme, le choix s’est porté sur des personnalités des trois grandes confessions chrétiennes : catholicisme, orthodoxie et protestantisme. De gauche à droite:

  • Maximilien Kolbe (mis à mort en 1941), franciscain polonais. Il est canonisé par l’Église catholique en 1982 ;
  • Manche Masemola (assassinée en 1928), inscrite au calendrier des saints par l’Église anglicane d’Afrique du Sud ;
  • Janani Luwum (assassiné en 1977), archevêque anglican en Ouganda. Il est inscrit au calendrier des saints par l’Église anglicane ;
  • Élisabeth de Hesse-Darmstadt (assassinée en 1918), grande-duchesse de Russie, petite-fille de la reine Victoria et sœur de la marquise de Milford-Haven et de l’impératrice Alexandra Feodorovna, canonisée par l’Église orthodoxe ;
  • Martin Luther King Jr. (assassiné en 1968), pasteur protestant ;
  • Oscar Romero (assassiné en 1980), archevêque catholique. Il est canonisé par l’Église catholique en 2018 ;
  • Dietrich Bonhoeffer (exécuté en 1945), pasteur et théologien protestant (luthérien) ;
  • Esther John (tuée en 1960), jeune femme pakistanaise convertie au christianisme ;
  • Lucian Tapiedi (en) (mort en 1942), enseignant anglican de Nouvelle-Guinée ;
  • Wang Zhiming (assassiné en 1973).

(site wikipedia)

31ème dimanche – Année C – 30 octobre 2022 – Évangile de Luc 19, 1-10

Évangile de Luc 19, 1-10

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Zachée était un sale type, j’ose le mot. Saint Zachée – parce que c’est désormais un saint ! – a commencé sa carrière en Israël, comme chef des collecteurs d’impôts pour le compte de l’occupant romain. Pour les contemporains de Jésus, non seulement Zachée est un collabo, mais il est le chef des collabos. Il faut se souvenir de la manière dont ont été traités les collaborateurs après la seconde guerre mondiale et, au-delà, imaginer comment ceux qu’un ennemi opprime voient les traîtres. Voilà Zachée, un collabo de la tyrannie …

Le tableau est en fait encore plus sombre : Zachée est immensément riche. Il s’engraisse de la collaboration avec l’ennemi. Il profite de l’oppression. On pourrait aujourd’hui l’imaginer comme un financier international sans scrupules, quelqu’un qui ne cherche que son profit personnel, rempli d’autosuffisance, vivant dans un luxe indécent, méprisant le réchauffement climatique. Voilà Zachée, un profiteur sans scrupules … Aux yeux des foules qui entourent Jésus, Zachée est un personnage des plus odieux, des plus méprisables.

On peut scruter un peu plus la symbolique du récit. Le sycomore, l’arbre sur lequel Zachée grimpe, représente ici l’ordre sacré. Dans les récits bibliques, le sycomore (ou figuier d’Égypte) est en effet un symbole de résurrection parce que c’est un arbre qui développe de nouvelles branches chaque fois qu’on le coupe. Même totalement recouvert par le sable, alors qu’avance le désert, il continue de pousser. On pourrait alors comprendre la « petite taille » de Zachée comme une petitesse spirituelle et l’arbre sur lequel il grimpe comme une volonté d’élévation.

Tout aussi symboliquement, dans la Bible, la demeure est toujours l’endroit où Dieu habite, là où il réside, où il vit. Quand Jésus dit à Zachée : « aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison », nous le comprenons à la lumière de la Résurrection du Christ : il faut que désormais mon Esprit vive en toi, qu’il vive à travers toi.

Et ceci déclenche évidement un scandale ! Comment accepter que Dieu se donne si totalement au dernier des mécréants, à celui qui a témoigné de tant de mépris, au dernier des injustes, à celui qui fait égoïstement le mal ? Comment est-il possible que celui qui incarne si parfaitement l’oppression – le traître parmi nous – devienne l’ami de Dieu ? Dieu aime-t-il vivre en compagnie de sales types et de gens sans scrupules ?

« Seigneur, le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous les hommes », dit le Livre de la Sagesse. « Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe … si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé … » Malgré tout ce qu’il a pu commettre, Dieu aime Zachée et, peut-être avant tout, malgré lui.

Il y a peut-être parmi nous des gens – moi d’ailleurs – qui ont des raisons de penser qu’ils se sont parfois comportés comme d’odieux égoïstes. Il y a peut-être parmi nous des gens qui se reprochent certains actes qu’ils ont commis. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été la proie de pensées qu’ils jugent eux-mêmes immondes ou perverses, d’élans de mépris et de haine. Il y a peut-être parmi nous des gens qui s’accusent d’avoir manqué cruellement d’amour … ou peut-être d’en manquer encore.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens auxquels l’amour d’une mère, d’un père a manqué. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été méprisés par un frère, une sœur. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été, dans le passé, humiliés, battus, violentés. Il y a peut-être parmi nous des gens qui, bien qu’entourrés, se sentent terriblement seuls, désespérés par manque d’amour.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens que la vie, la méchanceté des hommes ou l’état du monde désespère. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ne voient plus vraiment de raison de croire en l’avenir. Il y a peut-être parmi nous des gens qui traversent une période de ténèbres et de dépression.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens soumis à différentes addictions : esclaves de l’alcool, de stupéfiants, de fantasmes ou de jeux. Il y a peut-être parmi nous des gens aux prises avec de terribles habitudes, soumis à des comportements ou des pensées qu’ils réprouvent. Il y a peut-être parmi nous des gens qui se détestent, qui se trouvent indignes ou méprisables à leur propres yeux.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Ne désespérez pas si vous pensez que tout est perdu et que ne sont plus possibles l’amour, la vie et la joie. Ne désespérez jamais si vous avez de véritables raisons d’avoir honte de vous-mêmes : Zachée était un sale type et le Christ a voulu demeurer chez lui.

Réjouissez-vous d’ailleurs car il aura suffi que Zachée « cherche à voir » qui était Jésus pour que sa conversion s’accomplisse. Au fond, il n’a fait que ça : désirer voir qui était ce Jésus.

J’ai été de ces étudiants qui font des fêtes à n’en plus finir et aiment se vautrer dans la fange, l’alcool et les plaisirs futiles. J’ai été aussi patron de bar et de boîte de nuit à Liège. J’étais de ceux que l’envie de se perdre avait enfermé dans les pires excès.

A celles et ceux qui, quoique bien entourés, se sentent désespérément seuls ; qui traversent ténèbres et turbulences, pour qui tout est sombre et sans espoir ; qui se trouvent actuellement perdus ou désorientés ; à celles et ceux qui se sentent méprisés et méprisables, mal aimés et aimant mal : je veux dire que moi aussi, je reviens de là-bas, du fond du désespoir, là où l’on croit que tout est perdu et que rien n’en vaut plus la peine.

Croyez – je vous en prie – que cette histoire de Zachée est vraie ; qu’il est possible au dernier des derniers d’être invité par le Christ à demeurer en sa présence.

J’ai été ce Zachée, et il y a parmi nous sans doute d’autres Zachée : des gens pour qui tout semblait perdu et qui sont revenus à la Vie ; des gens qui, du fond d’une existence méprisable, à un moment donné de leur vie dissolue, d’une vie qu’ils pensaient à jamais perdue, se sont simplement un peu élevés pour voir Jésus et chez qui il est resté à demeure. Pour ma part, j’ai le sentiment que le Christ m’a véritablement ressuscité du caniveau dans lequel j’avais décidé de sombrer. C’est ce qui m’amène à la vie religieuse et c’est ce qui m’amène à oser parler devant vous.

Voilà, même si j’ai quelques scrupules à me prendre en exemple de l’Écriture, il est bien, je pense, de faire un peu mieux les présentations : Bonjour je suis Zachée, celui qui était perdu et chez qui le Christ à voulu demeurer.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Dietrich Bonhoeffer

D. Bonhoeffer est une des plus grandes figures de l’Église du 20ème s. Né en 1906 à Breslau. Après ses études de théologie, il devient pasteur de l’Église protestante. Donne des cours à l’université de Berlin. Humiliée par le Traité de Versailles, étranglée par la crise économique, l’Allemagne croit trouver le salut en Adolf Hitler en 1933. Dès le début, contre la majorité de son Église , Bonhoeffer s’oppose ouvertement au nazisme. En 1938, il est interdit de séjour à Berlin et a des contacts avec un groupe de résistance (amiral Canaris,…). En 1943, fiançailles avec Maria von Wedemeyer. Il est arrêté et enfermé dans la prison de Tegel. Sa sérénité et son humilité étonnent tous les détenus.

Juillet 1944, échec de l’attentat contre Hitler. Bonhoeffer parvient quand même à faire sortir plusieurs lettres. Février 1945, il est transféré à Büchenwald puis à la prison de Flossenburg. Le 9 avril, il est exécuté par pendaison avec d’autres résistants. Moins d’un mois après, Hitler se suicide et l’Allemagne capitule.

La publication de ses dernières lettres de prison – « Résistance et soumission »- provoque un choc. Le livre et les précédents publiés par Bonhoeffer sont traduits dans le monde et provoque un flot de commentaires et de débats. La lettre du 30 avril 1944 paraît prophétique : voici des extraits.

R.D.

Un Christianisme irreligieux ?

« …La question de savoir ce qu’est le christianisme et qui est le Christ, pour nous aujourd’hui, me préoccupe constamment. Le temps où l’on pouvait tout dire aux hommes par des paroles théologiques ou pieuses, est passé, comme le temps de la spiritualité et de la conscience, c’est-à-dire le temps de la religion en général. Nous allons au-devant d’une époque totalement irreligieuse ; tels qu’ils sont, les hommes ne peuvent tout simplement plus être religieux : ceux-là même qui se déclarent honnêtement religieux ne pratiquent nullement leur religion……Toute notre révélation et notre théologie chrétiennes, vieilles de dix-neuf cents ans, reposent sur « l’a priori religieux » des hommes …

Comment le Christ peut-il devenir le Seigneur des irreligieux ? Y a-t-il des chrétiens sans religion ?…Qu’est-ce qu’un christianisme irreligieux ?

Les questions auxquelles il faudrait répondre sont celles-ci : que signifient une Église, une paroisse, une prédication, une prédication, une liturgie, une vie chrétienne dans un monde sans religion ? Comment parler de Dieu sans religion, c’est-à-dire sans le donné préalable et contingent de la métaphysique, de la spiritualité, etc. ? Comment parler de Dieu « laïquement » ? Comment être des chrétiens irreligieux et profanes ? Comment former une « ek-klésia », sans nous considérer comme des appelés, des privilégiés sur le plan spirituel mais bien plutôt comme appartenant au monde ?

Alors le Christ ne sera plus l’objet de la religion, mais tout autre chose, réellement le Seigneur du monde. Mais que signifie cela ? Que signifient la prière et le culte dans l’irréligiosité ?

Les gens religieux parlent de Dieu quand les connaissances humaines (quelquefois par paresse) se heurtent à leurs limites ou quand les forces humaines font défaut – c’est toujours au fond un « deus ex machina » qu’ils font apparaître, ou bien pour résoudre apparemment des problèmes insolubles, ou bien pour le faire intervenir comme la force capable de subvenir à l’impuissance humaine ; bref ils exploitent toujours la faiblesse et les limites des hommes. Évidemment, cette manière de faire n’a de chance de durer que jusqu’au jour où, par leurs propres forces, les hommes repousseront quelque peu leurs limites et où le « deus ex machina » deviendra superflu. …

J’aimerais parler de Dieu non aux limites mais au centre, non dans la faiblesse mais dans la force, non à propos de la mort et de la faute, mais dans la vie et la bonté de l’homme.

« L’au-delà »  de Dieu n’est pas l’au-delà de notre entendement. La transcendance théoriquement perceptible n’a rien de commun avec celle de Dieu. Dieu est au centre de notre vie tout en étant au-delà. L’Église ne se trouve pas là où le pouvoir humain s’arrête, non à la limite mais au milieu du village. Ainsi le dit l’Ancien Testament et, en ce sens, nous lisons beaucoup trop peu le Nouveau Testament en fonction de l’Ancien. Je réfléchis beaucoup à l’aspect de ce christianisme irreligieux et à la forme qu’il revêt…. »

Dietrich Bonhoeffer, « Résistance et soumission » pp. 119 ss.

ŒUVRES : Ethique (éd. Labor et Fides) – Bible ma prière : introduction au livre des Psaumes (D.de Brouwer). – La parole de la prédication : cours d’homilétique ( Labor et Fides) – Lettres de fiançailles : correspondance avec sa fiancée Maria) ( id.). – Résistance et soumission ( id.). – De la vie communautaire (id.). – Vivre en disciple : le prix de la grâce (id.). – etc…….

INTRODUCTION : F. Rognon : «  D. Bonhoeffer : un modèle de foi incarnée » (éd. Olivetan) : vie et brève analyse des œuvres.
M. Arnold : « Prier 15 jours avec D. Bonhoeffer » (éd. Nouvelle Cité)

30ème dimanche – Année C – 23 octobre 2022 – Évangile de Luc 18, 9-14

Évangile de Luc 18, 9-14

Le regard sur soi

Êtes-vous être des gens bien ? Pensez-vous être une personne bien élevée ? Avez-vous quelque fierté à être qui vous êtes ? Paul pense qu’il est quelqu’un de bien, qu’il a mené le bon combat et qu’il va recevoir bientôt la couronne de la justice. Le Pharisien de la parabole pense, lui aussi, qu’il est quelqu’un de bien. Tous les deux se pensent justes face à Dieu.

A l’inverse, le publicain se pense misérable ; il s’humilie devant Dieu. Tandis que la première lecture essaye de faire comprendre que la souffrance n’est pas une humiliation, un mépris, une punition que Dieu impose.

Essayons de tirer tout cela au clair.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu, peut-être pensé : « qu’ai-je donc bien pu faire pour mériter ça ? » Je connais des gens, parce qu’ils ont eu à traverser de grandes souffrances, de terribles maux, qui se sentent coupables devant Dieu. Et ne savent pas pourquoi …. « Qu’ai-je donc bien pu faire au bon Dieu pour avoir tant de malheurs ? » … Je connais des jeunes, qui ont souffert une enfance douloureuse et qui pensent être maudits, qui ne croient plus même au bonheur, ou si peu. Pour eux c’est (sûr) plié, Dieu ne les aime pas.

Dieu est un juge impartial. « Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé ». rappelle le Livre de Ben Sira le Sage. La théologie de la rétribution – Dieu qui distribue le bonheur et le malheur comme on donne des bons et des mauvais points – est une fausse théologie. Comment expliquer, si le malheur est une punition, que le Christ ait souffert ? que la Vierge Marie ait dû regarder son fils agoniser sous ses yeux ? Qu’a-t-elle fait pour mériter ça ?

Nous ne méritons bien souvent pas le malheur qui nous arrive et même il arrive que des criminels meurent dans leur lits, paisiblement, comblés de biens. Va-t-on dire que leur richesse est une rétribution de Dieu ? Il y a des gens bien qui souffrent injustement ; et il y a de terribles pécheurs qui apparemment s’en sortent très bien.

La théologie de la rétribution est une fausse théologie. Ce n’est pas aussi directement que s’appliquent justice et bonheur ; péché et malheur. Le pyromane n’est pas toujours celui qui se brûle et la vie des saints n’est pas toujours paisible. Ça marche dans les deux sens, nous récoltons ce que d’autres ont semé ; et d’autres récolterons ce que nous semons. Le malheur comme le bonheur. Bien sûr, il arrive que l’amour que nous répandons nous revienne ou, au contraire, que notre péché nous éclate à la figure, mais ce n’est pas toujours le cas.

Alors que dire à ce jeune qui se pense maudit parce qu’il a déjà trop souffert ? Le texte répond « Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. » Attention de ne pas retomber ici dans la théologie de la rétribution et penser : celui qui fait le bien, Dieu l’écoute. Non ! Dieu écoute tout le monde ! Dieu aime tout le monde. Ainsi, si j’ai l’impression que Dieu ne m’écoute pas, c’est que je me pense indigne d’être écouté. C’est soit la culpabilité imaginaire que j’évoquais plus haut – se sentir coupable alors qu’on est juste un innocent qui souffre – soit une culpabilité bien réelle, au malheur que je subis s’ajoute la souffrance que je crée.

La manière dont j’ai l’impression que Dieu m’écoute, se teinte de la valeur que j’ai à mes propres yeux. Plus j’ai tendance à me sentir coupable ; plus je vais avoir tendance à penser que Dieu va vouloir me rejeter … ou me punir. C’est faux : Dieu accueille à bras ouvert celui qui se reconnaît humblement tel qu’il est. Allez revoir la joie exubérante du Père dans la parabole du Fils prodigue. C’est touchant.

A l’inverse plus j’ai tendance à me sentir content de moi-même, bien-pensant et important, plus j’ai tendance à l’autosatisfaction, parfois au prix d’un lourd aveuglement sur mes défauts – la fameuse poutre dans mon œil – plus j’ai tendance à m’élever moi-même, plus je vais m’illusionner de la bienveillance de Dieu à mon égard, qui devient alors un Dieu qui pense comme moi, qui agit comme moi, qui parle comme moi, qui est comme moi. Un Dieu qui, comme moi, ne voit pas trop mon péché mais très bien celui des autres.

Nous oscillons tous entre ces deux extrêmes, entre sentiment de complète indignité parfois et sentiment d’ultime importance autrefois ; entre dévaluation et surélévation de soi. Dieu a sur nous un regard plus apaisé et Jésus nous présente une plus juste mesure.

Deux hommes montent au Temple : un pharisien et un publicain. Le tort serait d’imaginer que nous soyons l’un ou l’autre, nous sommes les deux, tantôt l’un, tantôt l’autre.

A l’époque de Jésus, les pharisien représentent un des nombreux courants du judaïsme en crise, c’est le courant montant, qui deviendra dominant après la mort de Jésus. Les pharisiens, c’est un peu le nouvel establishment politique et religieux, d’où sortirons après la destruction du Temple les rabbins. Pharisien ça veut dire « séparé » dans le sens qui se considère mis-à- part des autres, plus pieu, plus respectueux de la Loi, nouveau juif comme on est nouveau riche, sûr de soi et peut-être arrogant. « Je ne suis pas comme les autres hommes, voleur, injuste, adultère. Moi je jeûne et je fais l’aumône » voilà un pharisien.

Les publicains, eux, ont choisit une toute autre orientation politique. Ils collaborent avec l’occupant romain. Ils collectent pour son compte des imports. Ils tiennent pour lui des tâches administratives. Ils sont haïs par les gens comme les collabos l’étaient pendant la seconde guerre mondiale. Le publicain que la parabole nous présente n’ose même pas lever les yeux vers Dieu … « Je suis pécheur Seigneur, aide-moi. »

Et Jésus renverse la logique, celui qui se reconnaît injuste est plus juste que celui qui se croit juste. Comme nous l’avons dit, l’un est clairvoyant sur lui-même et l’autre est aveugle.

On a ainsi, au fil des lectures d’aujourd’hui, quatre situations. La première qui est de se croire coupable de tous les malheurs qui nous arrivent : ce n’est pas vrai. Il y a de la souffrance qui nous atteint et dont nous sommes totalement innocents. La deuxième est celle du publicain qui, aussi lourde que soit sa faute – c’est un collabo tout de même ! – aussi lourde que soit sa faute, est juste aux yeux de Dieu parce qu’il a su s’abaisser au niveau de sa médiocrité, la reconnaître – il a été clairvoyant sur lui-même – pour demander l’aide de Dieu : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ». La troisième situation est celle du pharisien qui se gonfle de lui-même pour ne pas voir sa faute, qui s’élève au rang de Dieu. Et la quatrième est celle de Paul, qui a raison d’espérer la couronne de la justice alors qu’il va bientôt mourir.

Il y a une élévation de soi qui n’est pas de l’orgueil, c’est la sainteté. Paradoxalement elle s’obtient en s’abaissant. Paul a raison d’espérer triompher devant Dieu, alors qu’il est au plus bas, parce il a su reconnaître auparavant, comme le publicain de la parabole, la bassesse dont il était responsable. Honnête sur lui-même, il sait juger de son innocence face au malheur qui l’accable.

Il y a une élévation de soi qui n’est qu’orgueil, c’est le pharisien qui s’élève lui-même au niveau de Dieu – qui ,en fait, rabaisse Dieu à son niveau – et qui se rend ainsi totalement aveugle sur la mal qu’il peut commettre.

Il y a un abaissement de soi qui est clairvoyance, c’est l’honnêteté. Paradoxalement, elle nous élève. Le publicain est présenté juste par Dieu parce qu’il s’abaisse à la réalité de qui il est.

Enfin, il y a un abaissement de soi injuste, trop sévère, qui nous fait penser mériter le malheur dont nous sommes innocents. Ici c’est sur la justice de Dieu qu’on se rend aveugle.

L’enseignement des lectures d’aujourd’hui c’est qu’il nous faut nous aimer tels que Dieu nous aime : envisager nos bassesses d’un regard juste, se réjouir de la hauteur à laquelle il veut nous élever. Il y a, dans cet écart, toute la miséricorde de Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Opposition entre foi et science ?

Galilée, Copernic, Mendel, Lemaître, autant de noms qui évoquent les progrès scientifiques au cours des siècles. Certains ont été combattus par l’Église, d’autre en ont été des clercs. Alors que comprendre du positionnement de l’Église par rapport aux sciences ?

Une opposition de principe ?

La condamnation de Galilée en 1633 est souvent invoquée pour montrer l’existence d’une opposition entre la foi et la science : au nom de la Bible, des hommes d’Église auraient entravé le progrès de la science en condamnant celui qui avait mis en évidence la rotation de la Terre autour du Soleil. Cette généralisation ne rend cependant pas justice au soutien que l’Église a constamment accordé à l’entreprise scientifique.

Par exemple, l’institution universitaire est née au début du XIIIe siècle grâce à l’impulsion de l’Église et a donné naissance à diverses facultés (philosophie, théologie, droit, médecine). Parmi les grands hommes de science, beaucoup furent des ecclésiastiques : Nicolas Copernic (XVIe siècle) à l’origine du système héliocentrique, Gregor Mendel (XIXe siècle) fondateur de la génétique, Georges Lemaître (XXe siècle) pionnier de la cosmologie moderne.

L’idée d’une Église opposée par principe aux progrès scientifiques est donc un mythe. Il faut néanmoins reconnaître que des points de friction ont existé entre l’Église et les scientifiques. Cela s’explique d’abord par le fait que la foi chrétienne ne peut pas être purement et simplement réductible à ce qui est accessible à la raison.

Il existe des mystères : par exemple la Trinité (un seul Dieu en trois personnes) ou le Christ vrai Dieu et vrai homme. Ces vérités sont reçues de Dieu. Elles ne s’opposent pas à la raison et comportent une cohérence mais elles ne peuvent pas être démontrées. Celui qui pense que tout est scientifiquement démontrable se heurtera donc aux mystères de la foi parce que la science n’est pas le seul critère de vérité.

Celui qui pense que tout est scientifiquement démontrable se heurtera aux mystères de la foi.

Sciences naturelles ou philosophie

Les points de friction s’expliquent également par la spécialisation des savoirs et en particulier par la séparation entre les sciences naturelles et la philosophie. La philosophie s’interroge sur l’origine des choses, qui est ultimement le Dieu Créateur. Celui-ci n’est connu de manière complète que par la foi chrétienne mais son existence peut être découverte par la raison.

Au contraire, la science s’interroge sur les causes les plus immédiates, c’est-à-dire sur les différents processus à l’œuvre dans la nature. Alors que jusqu’au XVIIe siècle les savants étaient à la fois philosophes et scientifiques, la spécialisation a séparé ces disciplines. Or c’est d’abord la philosophie qui amène à admirer l’œuvre de la nature et donc à voir l’harmonie entre sciences et foi chrétienne, même si cette dernière reçoit des lumières plus importantes de la révélation de Dieu lui-même.

Comme le dit le livre de la Sagesse, « à travers la grandeur et la beauté des créatures, on peut contempler, par analogie, leur Auteur » (Sg 13, 5). Pour le scientifique, foi et raison sont donc appelées à s’enrichir mutuellement : mieux comprendre l’aidera à mieux croire et mieux croire l’invitera à mieux comprendre.

Fr. Ghislain-Marie Grange, dominicain
Diplômé de l’École Polytechnique
Licencié en philosophie et en théologie

Cet article est tiré d’un n° de la revue française : Initiales : « Foi et Science, un mariage impossible ? », datée de septembre 2022. Initiales, c’est une revue trimestrielle qui s’adresse aux animateurs de catéchèse, d’aumônerie de l’Enseignement public, en pastorale scolaire dans l’Enseignement catholique, animateurs de mouvements, ou à tout adulte qui souhaite se nourrir d’une réflexion et cherche des outils d’animation pour annoncer Jésus Christ aux adolescents et les aider à entrer dans l’expérience croyante de l’Eglise. – cf site INITIALES.

Jungle ou Humanisme ?

Les 39 milliardaires recensés décidèrent de se rencontrer. « A Bruxelles, 750 personnes sont contraintes de passer la nuit dans la rue ; « les restos du coeur » et autres œuvres humanitaires croulent sous les demandes ; des mamans sont obligées de se priver de nourriture les derniers jours du mois afin de pouvoir nourrir leurs petits…. ».

Dans un pays au coeur d’un continent qui a donné Érasme, Montaigne, Vincent de Paul, la Déclaration des Droits de l’homme, nous, les privilégiés, nous devons agir d’urgence. Non sous le signe d’une religion, d’un parti politique, d’une taxation gouvernementale, mais simplement par humanisme. Tout être humain qui vit sur notre territoire doit recevoir les besoins élémentaires de nourriture, habillement, logement, soins de santé. Sinon, sous de belles apparences, notre pays n’est pas civilisé mais demeure une jungle où règne la loi du plus fort.

Ils décidèrent de donner chacun 25 millions d’euros. Un petit milliard. Une bouée de secours pour éviter le naufrage d’une multitude. Et en attendant que les gouvernants parviennent enfin au respect de chacun qui est leur mission première. Un comité d’honnêtes gens veillerait à gérer ce bien avec compétence et justice. A la sortie, l’un des participants glissa à l’autre : « De toutes façons, ça n’égratigne en rien notre train de vie et notre pactole sera vite reconstitué ».

La nouvelle se répandit et beaucoup de citoyens prirent conscience que, pour dépasser leur apparence d’honnêtes gens, ils devaient eux aussi, à leur niveau, prendre part à cette exigence du droit.

Je me réveillai : j’avais fait un rêve.

R. Devillers, dominicain.

29ème dimanche – Année C – 16 octobre 2022 – Évangile de Luc 18, 1-8

Évangile de Luc 18, 1-8

La spiritualité est un sport de combat

La spiritualité est un sport de combat, en tous cas une épreuve d’endurance. Chrétiens, c’est notre corps et notre esprit que nous devons entraîner au beau combat de l’amour. Et ce n’est pas forcément de tout repos.

Ce n’est pas toujours facile d’entraîner notre esprit vers l’espérance et la joie ; encore moins facile parfois d’y entraîner le cœur et le corps. Ce n’est pas facile de maintenir la persévérance ; ce n’est pas facile de ne jamais baisser les bras.

Vous le savez sans doute, c’est de la première lecture, celle que nous venons de faire du Livre de l’Exode, que vient cette expression : « Baisser les bras ». Reprenons le texte. Israël marche dans le désert, en route vers la Terre promise, et les Amalécites les attaquent par surprise. Historiquement c’est un peuple du Sinaï, qui tire son nom de son dieu Amalec ; mais surtout, dans la Bible, ce sont les ennemis jurés du peuple d’Israël. Spirituellement, les Amalécites représentent ici l’ennemi intime qui nous agresse.

Israël part donc au combat. Au delà de la question historique – y a-t-il réellement eu un combat entre les Amalécites et le Peuple hébreux dont on n’a, par ailleurs, aucune trace ? – c’est Moïse qui mène le combat : il est avant tout religieux et spirituel. Quand Moïse tient les mains levées, Israël est le plus fort, quand Moïse baisse les bras, c’est Amalec qui prend le dessus. Clairement, les bras levés font référence au geste du prêtre, ou de celui qui prie, les bras levés vers Dieu. On en tire un premier enseignement : tout combat est avant tout spirituel, même s’il dépend de la maîtrise du corps.

Les bras levés vers Dieu sont le signe de l’orientation de notre cœur et c’est la faiblesse de notre corps qui témoigne en premier de notre découragement. Voilà le sens de l’expression « baisser les bras ». A peine nos combats cessent-ils d’être soutenus par l’espérance, à peine avons-nous le sentiment qu’ils ne sont pas soutenus par Dieu, que nos corps flanchent, signe que notre esprit flanche aussi.

La spiritualité est un sport de combat ; car tout combat est avant tout spirituel – les sportifs vous le diront. En ce sens, la prière, tels les bras levés qu’invoque le texte, est un entraînement aux combats spirituels que nous aurons à mener, à commencer par la lutte contre le découragement.

Spirituellement, il est important de se rendre compte quand nous baissons les bras, quand charnellement nous flanchons. Et c’est le deuxième enseignement de ce texte : il y a ceux qui nous entourent, qui nous soutiennent alors que nous baissons les bras. Le combat spirituel est avant tout un sport d’équipe. Aaron et Hour, le frère et le neveu de Moïse viennent lui soutenir les mains ; justement l’aident à ne pas baisser les bras. Le combat spirituel est avant tout un sport d’équipe : d’abord une équipée personnelle avec Dieu, ensuite une équipée humaine et solidaire. On retrouve ici les deux aspects du commandement d’aimer : Dieu et son prochain.

Et puis, tous ensemble, nous avons conclu dans un très bel enthousiasme « Et Josué triompha des Amalécites au fil de l’épée. – Parole du Seigneur. » … Ce fut un bain de sang ; gloire à Dieu ! Je force un peu le trait mais à la lumière du commandement d’aimer aussi nos ennemis que nous a donné le Christ, ceci peut tout-de-même nous choquer. Ne sommes-nous pas, nous aussi, ici, en train de justifier toutes les guerres saintes et les massacres au nom de Dieu ? C’est vite fait, par une lecture un peu trop littérale, de détourner un texte de son propos …

Mais il ne faudrait pas non plus que notre soif d’amour et de paix nous aveugle sur la nature parfois dure des combats spirituels qu’il faut parfois mener. Je l’ai dit, Amalec c’est l’ennemi intime par excellence, l’ennemi viscéral, l’ennemi qui nous touche au cœur : méchancetés, humiliations, mépris, agressions, violences, volonté de souillure, de détruire l’amour, d’intimement tuer : voilà Amalec. C’est spirituellement qu’il nous faut passer au fil de l’épée ces sentiments de haine qui nous assaillent, un par un. Et ce n’est pas toujours facile de lutter contre les assauts d’un ennemi intime, d’un esprit mauvais qui nous touche au cœur. Ne négligeons pas, la violence de certains combats spirituels, et de certaines blessures affectives en nous.

Et ne présumons pas non plus de nos propres forces. Dieu est là qui nous aide et la communauté est là qui nous soutient : essentiellement dans l’Eucharistie qui nous restaure ; ou dans la Réconciliation quand nous flanchons. Mener un combat spirituel c’est aussi se laisser aider, soutenir et accompagner. C’est peut-être d’ailleurs le premier grand combat spirituel à mener, contre notre propre volonté de nous en sortir seuls face à un combat intime ; fermant de plus en plus la porte de notre cœur, d’abord aux autres et puis à Dieu. Quand jamais, à aucun ami, nos souffrances ne peuvent être partagées, alors c’est l’Enfer.

Au contraire d’une volonté farouche de nous en sortir seuls, et donc de nous enfermer, face au combat spirituel, le Christ nous présente la volonté farouche d’une veuve à demander justice.

A l’époque, être une veuve, un orphelin, c’est la pauvreté assurée. Non seulement la pauvreté matérielle – ce sont alors essentiellement les hommes qui gagnent de l’argent – mais aussi la pauvreté sociale, dans une culture qui ne s’adresse pas aux femmes seules en rue. Seule la charité, souvent de proches, permet alors aux veuves et aux orphelins de vivre. Dans la Bible, une veuve est toujours synonyme d’extrême dénuement, de solitude et de détresse. Survivre seule, mener seule le combat pour la vie : voilà la vie des veuves en ce temps-là.

Ceci fait écho à notre propre solitude dans le combat spirituel. On se sent parfois bien seul à mener certains combats personnels, à parfois lutter simplement pour survivre – physiquement, spirituellement, amoureusement. La veuve que Jésus présente dans la parabole ne s’enferme pas dans sa solitude. Bien que méprisée, elle s’acharne à demander justice – quand bien même le juge ne serait pas intègre. Alors donc, pensez Dieu !

Elle ne baisse pas les bras la veuve de la parabole. Elle ne se lasse pas de demander de l’aide, elle qui est démunie de tout, et même d’espérer la justice par celui qui est corrompu. Et c’est le troisième enseignement des lectures d’aujourd’hui : la ténacité à réclamer l’aide et la justice de Dieu.

Ne restez pas seuls face à certains combats spirituels et affectifs. Ce qui nous appartient de faire seuls, c’est de maintenir notre volonté de justice, d’intégrité. Mais pas plus. Même Moïse a eu besoin de l’aide du prêtre Aaron et de son neveu Hour, pour le soutenir dans le combat spirituel contre l’ennemi intime, littéralement pour ne pas baisser les bras.

Je vous en prie, même pour des combats intimes et personnels, pour des combats amoureux, les combats spirituels, le combat pour que règne la justice et la paix dans notre cœur, n’ayez jamais honte de demander de l’aide : d’abord celle de Dieu, ensuite celle de la communauté et, s’il le faut, celle des sacrements. Ne présumez pas de votre seule force spirituelle, ou charnelle, vous vous enfermeriez dans un isolement mortifère qui vous ferait mener seuls des combats spirituels parfois intenses, au prix d’un corps qui finit toujours par flancher. Alors le risque est grand de sombrer dans le désespoir et d’alourdir son cœur comme la pierre, espérant s’épargner des souffrances qui alors se figent.

Enfin gardez à l’esprit le premier enseignement de ces lectures : la spiritualité chrétienne est un sport de combat. Elle implique tout notre esprit et notre corps, parce qu’elle touche à l’amour qui implique les deux. Elle implique notre volonté, notre ténacité et aussi notre entraînement.

Le Chrétien qui se veut un athlète de l’amour forme son cœur, son corps et son esprit en conséquence. Comme s’entraînent les sportifs, entraînez-vous au beau combat de l’amour, avec pour nourriture l’Eucharistie, pour régularité la méditation et la prière, et pour douche la Confession. Je vous encourage à devenir des marathoniens, des marathoniennes de l’amour de Dieu, c’est exaltant comme sport. Et parfois extrême …

La spiritualité chrétienne est un sport de combat. A l’intensité de l’amour que nous souhaitons voir triompher par nous, répondra l’intensité du combat qu’il nous faudra mener.

Et nous n’y arriverons jamais seuls …

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Pape François

L’Economie de François

Ils étaient plus de 1.000 jeunes du monde entier à s’être retrouvés à Assise du 22 au 24 septembre pour trois jours de rencontre, de travail, de conférences. Ces jeunes, qui ont reçu la visite du pape François le 24, ont été invités par le pontife à réfléchir à l’économie de demain.

Dans son discours, le pontife a donné trois conseils tirés de la vie de saint François d’Assise aux jeunes venus de plus de cent pays.

Le premier est de « regarder le monde à travers les yeux des pauvres » et des plus faibles. « Tant que notre système produira des déchets et que nous fonctionnerons selon ce système, nous serons complices d’une économie qui tue », a-t-il insisté. Il a invité à faire en sorte que ceux qui sont rejetés par la société soient les moteurs du changement d’économie, parce que « sans valoriser les pauvres, on ne combat pas la misère ». 

« N’oubliez pas le travail, n’oubliez pas les travailleurs », a-t-il donné ensuite comme second conseil, leur demandant de « créer du travail, du bon travail, du travail pour tous ». Le pontife a mis en avant la réflexion menée par les participants sur le développement d’un « paradigme végétal » de l’économie, considérant que l’économie actuelle avait beaucoup à gagner à apprendre de « la douceur des plantes ».

Comme dernier conseil, François a demandé aux jeunes universitaires, entrepreneurs et activistes présents d’incarner leur combat parce que « la réalité est toujours supérieure à l’idée ». « Vous changerez le monde économique si, en plus de votre cœur et de votre tête, vous utilisez également vos mains », a-t-il insisté, mettant en garde contre la « tentation gnostique ». Il a mis en garde notamment contre l’ »état gazeux » de la finance dans le monde actuel.

Aleteia Newsletter – 26 09 2022

La Messe de Demain ?

Lettre parue dans le “Courrier des lecteurs » – Journal La Croix 9 09 2022

En France et dans d’autres pays, le nombre de prêtres est en déclin rapide. Les prêtres qui restent s’épuisent à « gérer » une dizaine de paroisses ou plus, avec comme seule perspective, d’en avoir le double à « gérer » dans dix ans. N’est-il pas possible de voir cette situation comme un appel fort et positif de l’Esprit Saint ? Une chance même ?
Est-ce que notre situation n’est pas analogue à celle de saint Paul qui visitait tous les deux ou trois ans au mieux les communautés qu’il avait créées ? Est-ce que ses communautés n’étaient pas vivantes et ne leur devons-nous pas l’expansion extraordinaire de la Bonne Nouvelle apportée par Jésus ?

Quelques siècles plus tard dans la France de Clovis, guère plus païenne que celle du XXIème siècle, est-ce que ce ne sont pas encore des missionnaires itinérants, très peu nombreux, comme saint Maurice ou saint Martin, qui ont donné leur essor à des communautés locales puis à la France fille aînée de l’Église ?

Est-ce qu’au lieu de fermer les églises, on ne pourrait pas inciter les petits groupes de fidèles qui vivent auprès de chacune d’entre elles à s’y retrouver le dimanche plutôt que de prendre, quand ils le peuvent, leur voiture pour « attraper » une messe à vingt km de chez eux ? Ils pourraient y lire les textes du dimanche, les méditer, lire aussi l’épître envoyée par le prêtre le plus proche et partager un repas fraternel en commun dans l’église.

En quoi ce retour aux sources de la pratique des premiers temps de l’Église serait-il en contradiction avec ce que vivaient les premiers disciples. ?

Serait-ce plus choquant que ce qu’on observe souvent actuellement où, pour créer une communauté vivante, on multiplie les apéros ou autres animations après la messe ? N’est-ce pas en creux un indice fort que la messe actuelle ne suffit pas à donner une âme à une communauté de chrétiens ? Bientôt nous « assisterons » (combien il y a de passivité dans ce terme !) à la messe comme un hors d’œuvre pour pouvoir participer à l’apéro d’après-messe où la communauté s’exprimera et pourra manifester vraiment sa fraternité.

Oui, je suis convaincu que le Saint Esprit fera du petit nombre de prêtres une force qui emportera tout et non plus seulement un sujet de lamentation sans espoir. Pourquoi pas, dans ma paroisse, demain plutôt que dans 50 ans ?

(signé : J. Pouzet)