Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

31ème dimanche – Année C – 30 octobre 2022 – Évangile de Luc 19, 1-10

Évangile de Luc 19, 1-10

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Zachée était un sale type, j’ose le mot. Saint Zachée – parce que c’est désormais un saint ! – a commencé sa carrière en Israël, comme chef des collecteurs d’impôts pour le compte de l’occupant romain. Pour les contemporains de Jésus, non seulement Zachée est un collabo, mais il est le chef des collabos. Il faut se souvenir de la manière dont ont été traités les collaborateurs après la seconde guerre mondiale et, au-delà, imaginer comment ceux qu’un ennemi opprime voient les traîtres. Voilà Zachée, un collabo de la tyrannie …

Le tableau est en fait encore plus sombre : Zachée est immensément riche. Il s’engraisse de la collaboration avec l’ennemi. Il profite de l’oppression. On pourrait aujourd’hui l’imaginer comme un financier international sans scrupules, quelqu’un qui ne cherche que son profit personnel, rempli d’autosuffisance, vivant dans un luxe indécent, méprisant le réchauffement climatique. Voilà Zachée, un profiteur sans scrupules … Aux yeux des foules qui entourent Jésus, Zachée est un personnage des plus odieux, des plus méprisables.

On peut scruter un peu plus la symbolique du récit. Le sycomore, l’arbre sur lequel Zachée grimpe, représente ici l’ordre sacré. Dans les récits bibliques, le sycomore (ou figuier d’Égypte) est en effet un symbole de résurrection parce que c’est un arbre qui développe de nouvelles branches chaque fois qu’on le coupe. Même totalement recouvert par le sable, alors qu’avance le désert, il continue de pousser. On pourrait alors comprendre la « petite taille » de Zachée comme une petitesse spirituelle et l’arbre sur lequel il grimpe comme une volonté d’élévation.

Tout aussi symboliquement, dans la Bible, la demeure est toujours l’endroit où Dieu habite, là où il réside, où il vit. Quand Jésus dit à Zachée : « aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison », nous le comprenons à la lumière de la Résurrection du Christ : il faut que désormais mon Esprit vive en toi, qu’il vive à travers toi.

Et ceci déclenche évidement un scandale ! Comment accepter que Dieu se donne si totalement au dernier des mécréants, à celui qui a témoigné de tant de mépris, au dernier des injustes, à celui qui fait égoïstement le mal ? Comment est-il possible que celui qui incarne si parfaitement l’oppression – le traître parmi nous – devienne l’ami de Dieu ? Dieu aime-t-il vivre en compagnie de sales types et de gens sans scrupules ?

« Seigneur, le monde entier est devant toi comme un rien sur la balance, comme la goutte de rosée matinale qui descend sur la terre. Pourtant, tu as pitié de tous les hommes », dit le Livre de la Sagesse. « Tu fermes les yeux sur leurs péchés, pour qu’ils se convertissent. Tu aimes en effet tout ce qui existe … si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé … » Malgré tout ce qu’il a pu commettre, Dieu aime Zachée et, peut-être avant tout, malgré lui.

Il y a peut-être parmi nous des gens – moi d’ailleurs – qui ont des raisons de penser qu’ils se sont parfois comportés comme d’odieux égoïstes. Il y a peut-être parmi nous des gens qui se reprochent certains actes qu’ils ont commis. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été la proie de pensées qu’ils jugent eux-mêmes immondes ou perverses, d’élans de mépris et de haine. Il y a peut-être parmi nous des gens qui s’accusent d’avoir manqué cruellement d’amour … ou peut-être d’en manquer encore.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens auxquels l’amour d’une mère, d’un père a manqué. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été méprisés par un frère, une sœur. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ont été, dans le passé, humiliés, battus, violentés. Il y a peut-être parmi nous des gens qui, bien qu’entourrés, se sentent terriblement seuls, désespérés par manque d’amour.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens que la vie, la méchanceté des hommes ou l’état du monde désespère. Il y a peut-être parmi nous des gens qui ne voient plus vraiment de raison de croire en l’avenir. Il y a peut-être parmi nous des gens qui traversent une période de ténèbres et de dépression.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Il y a peut-être parmi nous des gens soumis à différentes addictions : esclaves de l’alcool, de stupéfiants, de fantasmes ou de jeux. Il y a peut-être parmi nous des gens aux prises avec de terribles habitudes, soumis à des comportements ou des pensées qu’ils réprouvent. Il y a peut-être parmi nous des gens qui se détestent, qui se trouvent indignes ou méprisables à leur propres yeux.

« Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

Ne désespérez pas si vous pensez que tout est perdu et que ne sont plus possibles l’amour, la vie et la joie. Ne désespérez jamais si vous avez de véritables raisons d’avoir honte de vous-mêmes : Zachée était un sale type et le Christ a voulu demeurer chez lui.

Réjouissez-vous d’ailleurs car il aura suffi que Zachée « cherche à voir » qui était Jésus pour que sa conversion s’accomplisse. Au fond, il n’a fait que ça : désirer voir qui était ce Jésus.

J’ai été de ces étudiants qui font des fêtes à n’en plus finir et aiment se vautrer dans la fange, l’alcool et les plaisirs futiles. J’ai été aussi patron de bar et de boîte de nuit à Liège. J’étais de ceux que l’envie de se perdre avait enfermé dans les pires excès.

A celles et ceux qui, quoique bien entourés, se sentent désespérément seuls ; qui traversent ténèbres et turbulences, pour qui tout est sombre et sans espoir ; qui se trouvent actuellement perdus ou désorientés ; à celles et ceux qui se sentent méprisés et méprisables, mal aimés et aimant mal : je veux dire que moi aussi, je reviens de là-bas, du fond du désespoir, là où l’on croit que tout est perdu et que rien n’en vaut plus la peine.

Croyez – je vous en prie – que cette histoire de Zachée est vraie ; qu’il est possible au dernier des derniers d’être invité par le Christ à demeurer en sa présence.

J’ai été ce Zachée, et il y a parmi nous sans doute d’autres Zachée : des gens pour qui tout semblait perdu et qui sont revenus à la Vie ; des gens qui, du fond d’une existence méprisable, à un moment donné de leur vie dissolue, d’une vie qu’ils pensaient à jamais perdue, se sont simplement un peu élevés pour voir Jésus et chez qui il est resté à demeure. Pour ma part, j’ai le sentiment que le Christ m’a véritablement ressuscité du caniveau dans lequel j’avais décidé de sombrer. C’est ce qui m’amène à la vie religieuse et c’est ce qui m’amène à oser parler devant vous.

Voilà, même si j’ai quelques scrupules à me prendre en exemple de l’Écriture, il est bien, je pense, de faire un peu mieux les présentations : Bonjour je suis Zachée, celui qui était perdu et chez qui le Christ à voulu demeurer.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.


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