27ème dimanche – Année C – 2 octobre 2022 – Évangile de Luc 17, 5-10

Évangile de Luc 17, 5-10

Les limites du raisonnable

Croyez-vous en l’incroyable ? Croyez-vous que soit possible ce que vous pensez impossible ? Sinon, je vous conseille plutôt de suivre un bon cours de sciences, que de venir prier un Dieu que vous n’avez jamais vu, ailleurs que dans la foi.

Croyez-vous en l’incroyable ? Voilà ce que dit le texte : «Si vous avez de la foi comme une graine de moutarde, demandez à un arbre d’aller se jeter dans la mer. Il ira !» C’est précisément parce que ce nous semble impossible que Jésus choisit cette image. Ailleurs, dans Marc, dans Matthieu, c’est une montagne que notre foi est invitée à déplacer. «Amen, je vous le dis : quiconque dira à cette montagne : “Enlève-toi de là, et va te jeter dans la mer”, s’il ne doute pas dans son cœur, mais s’il croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé !» [Marc 11, 33]. S’il ne doute pas dans son cœur … Avez-vous la foi ? Croyez-vous, dans votre cœur, à l’impossible ?

C’est facile de croire aux possibles. Pour tout ce qui est à portée de notre connaissance, tout ce qui est à portée de notre main, à notre mesure, pour les situations que nous pouvons évaluer, y compris dans notre cœur, il n’y a pas besoin de beaucoup de foi pour les espérer. «Dieu, fais que que je réussisse mon examen» ; «Dieu, donne-moi de rencontrer l’amour» ; «Dieu, rends-moi plus attentif à mon prochain».

C’est déjà moins facile de croire en ce dont nous désespérons : «Guéris-moi de mon cancer, … de ma dépression, … de mon mauvais penchant». C’est encore plus difficile de croire à l’incompréhensible … «Pourquoi y a-t-il tant de maux si Dieu nous aime ?» ; «Pourquoi de jeunes enfants, de jeunes parents meurent-ils ?»

Mais croyez-vous en l’impossible ? Croyez-vous en un amour sans haine, sans dispute, sans aucune trace de méchanceté ? Croyez-vous qu’il puisse exister entre vous et ceux qui vous entourent un amour idéal ? Croyez-vous que toutes les souffrances ont un sens, qu’elles sont toutes des lieux d’amour ? Croyez-vous en un amour parfait ?

Croyez-vous que cette puissance infinie d’aimer, qui veut tout rejoindre – le bien comme le mal – que cette puissance infinie d’aimer existe vraiment, qu’elle vous parle, qu’elle veut vivre à travers-vous jusqu’à prendre toute la place ? Croyez-vous que l’amour de Dieu puisse pleinement vivre en vous ?

Croyez-vous que vous vivrez éternellement ? Croyez-vous avoir une valeur infinie aux yeux de Dieu ? Croyez-vous être fondamentalement aimés pour ce que vous êtes ?

Croyez-vous aux guérisons inexpliquées, par amour ? Croyez-vous que, pour vous aussi, Dieu fait des miracles ? Croyez-vous que Dieu s’intéresse à vous personnellement et qu’il exauce vos prières ?

Aimez-vous vos ennemis ? Dites-vous du bien de ceux qui vous persécutent ? Pensez-vous pouvoir pardonner à ceux qui vous crucifient ?

Croyez-vous personnellement en l’impossible ?

Si notre foi ne recouvre rien d’impossible, si elle se cantonne au domaine du raisonnable, elle n’est pas vraiment la foi. Il n’est pas raisonnable d’espérer un amour sans dispute. Il n’est pas raisonnable d’espérer guérir de tous nos maux. Il n’est pas raisonnable de croire que les corps ressuscitent. Il n’est pas raisonnable de croire en Dieu.

Qu’une personne puisse incarner sur cette Terre l’amour parfait, qui va le croire ? A notre mesure, il est proprement déraisonnable de penser l’existence d’un amour humain sans tache, sans mépris, sans violence. C’est pourtant ce que nous espérons, la venue du Christ tout en tous à laquelle nous croyons.

Si vous êtes d’un rationalisme pur, il n’est pas possible de croire en l’impossible. C’est même essentiellement illogique. Le rationalisme pur, pour qui la religion n’est au mieux qu’image, au pire imaginaire, ne peut croire en Dieu, qui est proprement au-delà de toute mesure, au-delà de toute imagination, et donc au-delà de notre compréhension. Le rationalisme pur, qui ne voit la religion que comme une projection de l’esprit et non la présence réelle de Dieu en nous, ne peut rien envisager d’invisible, de surnaturel, d’au-delà de tout, de proprement inimaginable.

Il y avait plus que croire en l’impossible, dans les lectures d’aujourd’hui. Il y avait aussi croire en un Dieu qui ne répond pas. « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi : « Violence ! », sans que tu sauves ? » supplie le prophète Habacuc. Jésus répond par une parabole.

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.

Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : ‘Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir’ »

Classiquement, le maître c’est Dieu ; le serviteur c’est nous. Quel serviteur donc s’attend à ce que son maître lui serve à manger dès qu’il rentre des champs ? Autrement dit, voyons-nous la prière comme une mise de Dieu à notre service ? Dieu finalement, sert-il, à contenter nos espérances ? à répondre à nos demandes ? à satisfaire nos exigences ?

Il y a des moments où la foi semble facile – quand tout va bien et que la vie nous sourit – et d’autres où la foi est plus difficile, voire impossible – quand Dieu ne répond pas, ou semble absent, ou nous avoir abandonné, ou ceux pour qui il est impossible que Dieu réponde, ou qu’il réponde ce qui arrive.

Face aux événements tragiques de la vie, comment parfois ne pas désespérer de Dieu ? Je crois qu’il est présomptueux, même si on ressent une foi capable de transporter les montagnes, de la croire à toute épreuve.

Gardons à l’esprit ces deux limites, que rationnellement nous avons tous : d’une part, celle de l’impossible que je n’ose espérer et qui pourtant agit en moi et, d’autre part, celle du tragique de la vie humaine qui entame ma confiance en l’incarnation de Dieu et qui pourtant encore, au-delà de mon désespoir, me soutient.

Au delà des limites de notre foi, c’est la peur. D’un coté, la peur du néant amoureux, du vide, du désespoir ; de l’autre, la peur de se donner à un amour trop intense, trop inespéré, trop inouï. « Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de pondération » dit saint Paul à Timothée.

Le croyant c’est celui qui n’a pas peur de croire que l’incroyable arrive, que l’amour impossible est possible et que même la mort n’arrête pas la vie.

N’ayons pas peur d’aimer au-delà des limites du raisonnable. Et Dieu. Et l’Humanité.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Pape François : « Comprendre la foi n’est pas optionnel »

Le pape François a reçu en audience les participants au XIe Congrès thomiste annuel organisé par l’Académie pontificale Saint Thomas d’Aquin et par l’Institut thomiste Angelicum, ce 22 septembre 2022.

« Poursuivre humblement, sous la conduite de l’Esprit Saint, la compréhension de la foi n’est pas optionnel pour le croyant, mais cela fait partie du dynamisme même de sa foi », a affirmé le pape.

Rappelant que saint Thomas fut un « homme passionné de la vérité », « un chercheur inlassable du visage de Dieu », le pape a souligné que la recherche de la vérité sur Dieu « est mue par l’amour » : ainsi, a-t-il expliqué, la Parole de Dieu « déjà accueillie dans le cœur » doit rejoindre l’intelligence pour « renouveler notre façon de penser » afin de « tout évaluer à la lumière de la Sagesse éternelle ».

François a cité le pape Paul VI, pour qui l’enseignement de saint Thomas a su concilier « la dimension séculière du monde et la radicalité de l’évangile ». C’est pourquoi, a-t-il ajouté, « le chrétien ne craint pas d’entrer dans un dialogue rationnel sincère avec la culture de son temps », mais il est « convaincu, que “toutes les vérités, quel que soit celui qui les exprime, viennent de l’Esprit Saint“ ».

Funérailles d’Elizabeth II : Sermon de l’archevêque de Canterbury

Devant 2000 invités, dont plusieurs centaines de dirigeants et de têtes couronnées du monde entier, Mgr Justin Welby, primat de l’Eglise d’Angleterre, a prononcé un sermon rendant hommage à cette reine qui a consacré toute sa vie au service de la nation et du Commonwealth.

Viens Saint-Esprit, remplis-nous du baume de ton amour qui guérit. Amen.

Le modèle de nombreux dirigeants est d’être exalté durant leur vie et oublié après la mort. À l’inverse pour tous ceux qui servent Dieu – célèbres ou anonymes, respectés ou ignorés – la mort est la porte de la gloire.
Sa défunte Majesté avait déclaré dans une émission restée célèbre à l’occasion de son 21e anniversaire, que toute sa vie serait consacrée au service de la nation et du Commonwealth.
Rarement, une telle promesse n’a été aussi bien tenue ! Peu de dirigeants font l’objet d’une telle effusion d’amour que celle à laquelle nous avons assisté.

Jésus – qui dans notre lecture ne dit pas à ses disciples comment suivre, mais qui suivre – a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». L’exemple de feu Sa Majesté n’a pas été donné par sa position ou son ambition, mais par Celui qu’elle a suivi. Je sais que Sa Majesté partage la même foi et la même espérance en Jésus-Christ que sa mère, le même sens du service et du devoir.

En 1953, la Reine a commencé son couronnement par une prière silencieuse, juste là, devant le Grand Autel. Elle a fait allégeance à Dieu avant que quiconque ne lui fasse allégeance. Le service qu’elle a rendu à tant de personnes dans cette nation, dans le Commonwealth et dans le monde,  était fondé sur sa marche à la suite du Christ , de Dieu lui-même qui a dit : « qu’il « n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude.»

Dans tous les domaines de la vie, les personnes qui accomplissent leur service dans un esprit d’amour sont rares. Les leaders qui servent leurs peuples avec amour sont encore plus rares. Mais dans tous les cas, ceux qui servent seront aimés et on se souviendra d’eux, alors que ceux qui s’accrochent au pouvoir et à ses privilèges seront oubliés depuis longtemps.

…La déclaration télévisée de feu Sa Majesté pendant le confinement se terminait par : « Nous nous retrouverons », paroles d’espoir d’une chanson de Vera Lynn. L’espérance chrétienne est une attente avec certitude de quelque chose qui ne s’est pas  encore manifesté.

Le Christ est ressuscité des morts et offre Sa vie à tous, une vie d’abondance maintenant et une vie avec Dieu dans l’éternité. Comme le dit le chant de Noël «  Ce sont dans les âmes pleines de douceur que Christ bien aimé est  toujours accueilli ».

Nous serons tous confrontés au jugement miséricordieux de Dieu. Nous pouvons tous partager l’espérance de la Reine qui, dans la vie comme dans la mort, a été inspiré son esprit de service.

Le service dans la vie, l’espoir dans la mort. Tous ceux qui suivent l’exemple de la Reine, et qui sont inspirés par la foi et la confiance en Dieu peuvent dire avec elle : Nous  nous reverrons ! »

Texte sur « Radio Notre-Dame »

L’abonnée qui me transmet ce texte commente judicieusement :
« Et Pan  dans un auditoire de leaders !
Mais chacun a dû penser que ces paroles bien senties s’adressaient d’abord à son voisin »

26ème dimanche – Année C – 25 septembre 2022 – Évangile de Luc 16, 19-31

Évangile de Luc 16, 19-31

Il s’appelait Lazare

Quel est le pauvre qui agonise sur mon seuil pendant que je me distrais ? L’Évangile utilise une image choquante pour la culture de l’époque. Littéralement il parle d’un pauvre qui se fait « lécher par les chiens ». C’est éminemment répugnant dans l’Orient ancien. Cet évangile est scandaleux pour l’auditoire de Jésus. Quel est le pauvre qui meurt comme un chien sur mon seuil pendant que je m’amuse ?

Quels sont, non seulement les pauvres que je ne vois pas, mais les pauvres que je ne veux pas voir ? Quels sont celles et ceux alentours qui meurent dans mon indifférence ? Pas seulement physiquement, mais qui meurent de manque d’amour, qui meurent de solitude, de blessure humaine ou de chagrin ? Mettons, si vous le voulez bien, derrière le terme de ‘pauvre’, toutes les pauvretés, celles du corps comme celles de l’âme.

Ne vous est-il jamais arrivé de détourner le regard d’un pauvre ? ou détourner vos pas ? … Ne vous est-il jamais arrivé de vous inventer une de ces raisons que l’on invente pour ne pas donner de l’argent à ceux qui nous mendient ? … « Elle va le boire » « Il va s’acheter de la drogue ». Sans parler de la légende urbaine du mendiant qui a refusé le sandwich qu’on lui tendait. Comme si un pauvre devait toujours manger la nourriture que d’autres choisissent pour lui …

Je l’ai fait. Récemment encore, j’ai détourné le regard quand je me suis aperçu qu’il allait croiser celui du pauvre que je regardais. Je n’ai pas voulu que nos yeux se rencontrent. C’est un péché constant de ne pas vouloir voir les pauvres … Leur regard nous renvoient à nos propres pauvretés. Et ce n’est pas toujours plaisant.

Que dire alors de ceux qui ne supportent pas de voir la pauvreté à leur porte ? Je connais cet état d’esprit où, parce que l’on souffre soi-même, toute souffrance devient insupportable – la nôtre mais aussi celle des autres. Je sais que parfois, on n’en peut plus de voir la souffrance.

Le prophète Amos considère quant à lui le problème sous une autre ampleur ; il s’adresse aux dirigeants, à ceux qui sont en position d’agir. « Malheur à vous qui vivez bien tranquilles, qui vous croyez en sécurité, vautrés dans le luxe, pendant que le désastre s’abat sur le pays » ; « Malheur à vous qui profitez des avantages du pouvoir, alors que la catastrophe frappe à nos portes » … Oui malheur à celui qui préfère jouir, plutôt qu’agir ; à celle qui est en position d’aider, mais préfère s’amuser.

En situation de crise, les profiteurs sont mal vus. C’est avant tout la corruption du pouvoir qui est cause de malheur. Mais la corruption n’est pas que de profiter de sa position pour s’enrichir. Il y a la corruption des élites intellectuelles qui produisent des discours négationnistes ; il y a la corruption affective qui profite des sentiments ; il y a la corruption religieuse, l’idolâtrie d’un leader, le culte du chef, voire le sentiment de toute puissance et d’intouchabilité.

« Toi, homme de Dieu, recherche la justice, la piété, la foi, la charité, la persévérance et la douceur. Mène le bon combat, celui de la foi, empare-toi de la vie éternelle ! » dit Paul à Timothée.

« Empare-toi de la vie éternelle ! » « Mène le bon combat, celui de la foi. » Quel est ce bon combat ? Et quelle est cette vie éternelle dont il faut s’emparer ? C’est de croire que l’amour triomphe de toutes les pauvretés.

Toutes les pauvretés reflètent un manque d’amour. Ça ne veut pas dire que c’est le manque d’amour qui les cause toutes. Tous, nous sommes nés nus et pauvres, et nous serions morts si, par amour, quelqu’un ne nous avait pas nourri et soigné. Il y a une pauvreté naturelle de l’humanité. Et comme le Pape l’a rappelé : « un linceul n’a pas de poches » ; nous n’importons rien dans la mort, sinon l’amour.

La pauvreté est toujours un creuset pour l’amour et c’est parce qu’ils reflètent notre dureté de cœur que nous ne voulons pas voir les pauvres qui nous entourent. A cet égard, ils cristallisent comme un caillou piquant le commandement d’aimer de Dieu. Et c’est d’abord sur celles et ceux que nous pouvons aider mais que nous essayons de ne pas voir, qu’achoppe notre refus de Dieu. La parabole que donne le Christ est très sévère à cet égard.

Un riche, habillé comme un prince, fait chaque jour des festins somptueux. « Ils boivent le vin à même les amphores, vautrés sur leurs divans » avait dit le prophète Amos. Un pauvre espère à sa porte recevoir les miettes de cette vie de luxe et il meurt léché par les chiens. Le riche meurt aussi. C’est notre pauvreté commune : tous nous mourrons. Le texte dit : « Le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. » C’est subtil mais l’un est au ciel tandis que l’autre retourne à la terre, à la poussière, vers l’Enfer.

Que s’est-il passé ? Le pauvre n’a jamais perdu la foi. Il a persisté à croire, comme Dieu le lui demandait, en l’amour humain, même si, comme le Christ, il en est mort. Voilà pourquoi il est dit que des anges l’emportent aux cieux. Le riche lui a concrètement perdu la foi en Dieu, son refus de voir la misère à sa porte et son enfermement dans l’auto-satisfaction, l’ont muré dans son égoïsme. Tellement étourdi par les distractions et les plaisirs qu’il se donne, il est devenu incapable d’aimer quelqu’un d’autre que lui-même.

Sans doute l’avez-vous remarqué, la parabole ne donne pas le nom du riche ; seulement celui du pauvre. Je n’ai pas fait grand-chose d’humain en donnant à un pauvre de quoi manger, si je n’ai même pas pris la peine de demander son prénom. Comme Dieu, connaissons-nous le prénom des pauvres sur notre seuil ?

Il s’appelait Lazare, ce qui signifie ‘Dieu m’a aidé’.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

25ème dimanche – Année C – 18 septembre 2022 – Évangile de Luc 16, 1-13

Évangile de Luc 16, 10-13

Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent

Le commerce, les affaires, les échanges entre nous peuvent vite devenir une religion ; l’économie – notre économie – est souvent un culte rendu au dieu argent. Le matraquage est intense : il faut maintenir la croissance ; il faut que cette humanité poursuive son élan vers plus de bien-être et de confort.

On peut, même avec un grand esprit de noblesse, voire par esprit de charité, de religion, faire de l’économie un dieu : « Vivement que l’on éradique la faim dans le monde » ; « Hourra, aux progrès de la science qui nous sauve » ; « Quelle avancée, si la vivacité économique pouvait nous procurer un revenu universel ! » …

Et c’est vrai que cette humanité a accumulé du bien, qu’elle a progressé en savoirs et qu’elle a gagné en bien-être : tout de même, on guérit de maladies – certaines ont même été éradiquées ; on possède aujourd’hui des médicaments très performants ; il n’y a plus chez nous de famines, on est en passe de triompher de la dernière pandémie et il y a le progrès social qui vient en aide aux plus démunis. Tout cela est indéniable. Il y a un indéniable bien fait de la croissance, tant scientifique, technique, qu’économique.

Mais de là à dire que le progrès, la science, l’économie et même la médecine nous sauveront … ce n’est pas plus vrai aujourd’hui qu’hier. Et ça ne le sera jamais. Jamais cette humanité ne se sortira de la souffrance et du malheur par ses propres efforts, fussent-ils, comme le progrès scientifique, admirables. Tout au plus, nos progrès, nos talents et nos richesses nous aideront-ils un temps à porter nos croix, un temps à endurer la souffrance. Mais au-delà … ?

Parce que c’est ça qui rend vain le culte des richesses et de l’argent, le culte du progrès économique, et même scientifique, c’est qu’ils ne durent qu’un temps ; qu’ils sont d’une efficacité limitée. Et sans doute aucune génération n’a été aussi consciente que la nôtre, que nous pourrions tout perdre – le climat, la paix sociale et la qualité de la vie – justement à force de progrès et de ce culte inouï de la croissance à tout prix, en guise de planche de salut. C’est avant tout la fureur économique – notre fureur économique – qui est la cause du dérèglement du climat et de la pollution à l’échelle planétaire.

Les lectures d’aujourd’hui nous invitent à réfléchir à notre relation aux richesses, aux biens – tant matériels qu’immatériels – que nous accumulons. Pourquoi désirer être riche ? Vouloir vivre dans l’abondance ? Accumuler des biens ? Et quelles conséquences sur notre monde, notre vie, notre relation à Dieu, que ce désir d’accumulation ?

Le prophète Amos était un berger et un cultivateur de sycomores. On est alors en 750 avant Jésus-Christ et la Terre sainte est divisée en deux royaumes. Amos est originaire du sud, du royaume de Juda – aride, désertique et pauvre – et il prêche au nord, au Royaume d’Israël – verdoyant, riche et en pleine croissance. Amos est un petit éleveur qui prêche contre les riches et les puissants, contre leur hypocrisie religieuse voire contre leur idolâtrie assumée. Ce qu’il dénonce c’est essentiellement la décadence morale et spirituelle de son temps, ainsi que les injustices sociales que la cupidité des riches provoque.

On retrouve des tonalités qui résonnent avec notre époque … où règne aussi ce sentiment d’une caste privilégiée qui s’arroge toute la puissance économique et dont le mode de vie effréné se fait au mépris affiché de l’écologie et du bien commun.

Paul pourtant nous encourage à prier pour les chefs d’États et tous ceux qui exercent l’autorité. Mais justement pour qu’ils assurent les conditions équitables de vie et de tranquillité.

Il y a deux types de croissances – Jésus l’évoque dans l’Évangile – il y a une croissance honnête, le juste fruit de nos efforts, la récompense espérée de notre travail et il y a une croissance malhonnête, boulimique, qui vise à accumuler de la richesse par le déséquilibre, au détriment des autres et de l’environnement.

D’où vient cette tendance, que nous avons tous plus où moins, de vouloir accumuler des biens, parfois en surnombre, jusqu’au gaspillage ou à vouloir toujours plus de moyens ou d’argent ; d’où vient notre tendance à la surconsommation, à désirer toujours plus posséder ?

Sans doute y a-t-il là quelque part la peur de manquer, la peur de souffrir, la peur de l’abandon matériel et finalement la peur de se détacher de ce monde. C’est avant tout pour se rassurer qu’on accumule des biens. De là à mettre sa foi dans l’épaisseur de son compte en banque, il n’y a qu’un pas …

C’est précisément alors qu’on a fait de l’argent, de l’opulence, du progrès matériel un dieu. On pense que l’argent nous donnera une vie meilleure, que l’abondance nous sauvera du malheur. Ce n’est pas vrai. Le réconfort matériel ne dure qu’un temps …

Penser que le bonheur de demain dépende de la richesse, de la santé, de la science même – de l’accumulation de savoirs et techniques – c’est une illusion. Le génie humain, fût-il économique, social ou scientifique, est un faux dieux. Car malgré lui, persiste le malheur. C’est spirituellement s’aveugler que de penser que la médecine, la science ou la croissance économique sauveront le monde ; comme c’est une illusion de penser que nos propres progrès humains, spirituels, écologiques, économiques voire scientifiques nous sauveront du malheur. C’est encore espérer rejoindre le Ciel en construisant de nos propres mains une tour, comme à Babel.

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. » nous dit Jésus. « S’attacher à l’un, c’est mépriser l’autre ». Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça ne dure qu’un temps – au contraire nous voyons leur attachement comme des entraves qui nous empêchent d’accéder à la joie durable, au vrai bonheur, celui qui est éternel.

Nous ne nous croyons pas sauvés par de petites satisfactions, des jouissances éphémères ou des biens matériels – tout ça finit par disparaître – nous nous croyons sauvés par l’amour, et essentiellement l’amour de Dieu, qui lui ne s’éteint pas.

Au soir de notre vie, la médecine, la science et le progrès s’éteindront. Il arrive toujours, pour tous, un moment où la croissance matérielle est vaine, et l’espoir fondé sur elle anéanti …

C’est peut-être ce stade que nous avons atteint à l’échelle de l’humanité. C’est peut-être globalement que la croyance en un salut matériel s’effondre. Aujourd’hui, peut-être enfin, notre monde se rend compte que le culte matérialiste voué au progrès, à l’abondance et à la croissance économique est une idole qui finalement, au lieu de bonheur, conduit au malheur et à la désolation.

C’est aujourd’hui peut-être que l’impact du culte de l’argent se fait le plus globalement ressentir. Et c’est sans doute un bien-fait.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

24ème dimanche – Année C – 11 septembre 2022 – Évangile de Luc 15, 1-32

Évangile de Luc 15, 1-32

Ce qui était perdu

Vous avez méprisé votre frère, ou votre sœur ? Bienvenue en cette Église. Vous avez médit d’unetelle ou d’untel ? Bienvenue en cette Église. Vous éprouvez parfois un sentiment de révolte ou de haine envers autrui ? Bienvenue en cette Église.

Il vous arrive de vous comporter médiocrement ; comme le fils prodigue vous disputez parfois leur nourriture aux cochons ? Bienvenue en cette Église. Vous avez de mauvais penchants dans lesquels vous retombez souvent ; des assuétudes, des addictions, des esclavages ? Bienvenue en cette Église.

Vous vous êtes éloigné de Dieu, et peut-être êtes vous pratiquement en rupture avec Lui ? Bienvenue en cette Église. Vous ne priez pas souvent, voire jamais ? Bienvenue en cette Église. Vous avez adoré des idoles, que ce soit vous-même, l’argent ou un fantasme ? Bienvenue en cette Église.

Bienvenue aux justes aussi ; pour peu qu’il y en ait parmi nous.

Bienvenue à vous qui avez soif d’amour, qui en manquez ou qui en avez manqué. Bienvenue à nous tous, pêcheurs, au pied de cet autel, à la table du Dieu-Amour que, quotidiennement pourtant, nous négligeons. Bienvenue à nous tous qui avons parfois fait le mal ; Dieu n’en finit pas de contenir sa joie de nous revoir.

C’est le thème du jour – la brebis perdue – alors, allons-y gaiement.

Dans la première lecture, celle du Livre de l’Exode, Dieu vient à peine de donner les tables de Loi à Moïse que le peuple, resté au pied de la montagne, se tourne vers l’idolâtrie – c’est l’épisode du Veau d’Or. L’idolâtrie c’est adorer comme Dieu, ce qui n’est pas Dieu. Quelles sont les idoles aujourd’hui ? Quelles sont ces faux-dieux auxquels nos contemporains rendent un culte ? La richesse ? La célébrité ? La réussite ? Le plaisir ?

Et quelles sont mes idoles à moi ? Ne suis-je pas parfois le dieu de mon propre ego ? Pour quelles idoles suis-je prêt à accepter des soumissions, des dépendances voire des esclavages ? Celles et ceux dont je désire l’affection ? L’idée que j’ai de moi-même, ma vie fantasmée ? Qu’est ce qui m’attire le plus ? Dieu ?

L’idolâtrie est sans doute le pire péché au regard de la Bible. Toutes les peines de mort que prononce l’Ancien Testament ont quelque part trait à l’idolâtrie. Se tromper de Dieu, que peut-il y avoir de pire aux yeux de la religion ? Jésus lui-même la dénonce avec force : le culte de soi, le culte de la reconnaissance par autrui, le culte de l’argent, le culte de la rigueur, le culte de la Loi …

La conséquence de l’idolâtrie, c’est la destruction de l’humanité – spirituellement, l’idolâtre court à sa perte. Mais il suffit qu’un seul homme, en l’occurrence Moïse, fasse mémoire de l’amour de Dieu pour que celui-ci renonce à sanctionner. Dieu fond de miséricorde dès qu’on se retourne vers Lui.

Ne vous inquiétez pas si vous avez fait des bêtises : saint Paul a fait pire que vous. Il massacrait des chrétiens à cause de leur religion – aujourd’hui on parlerait de crime contre l’humanité, si ce n’était anachronique. Selon ses propres mots, Paul était « blasphémateur, persécuteur, violent ». « Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. » dit-il à Timothée, dans la lettre fugueuse qu’il lui écrit.

Comme Paul, j’ai un lourd passé de pécheur. Avant de devenir religieux et prêtre, j’ai été patron de bar et de boite de nuit. J’ai longtemps mené une vie nocturne avec tous ses excès. Dans mon souvenir, « Sex & Drugs & Rock & Roll » [Ian Dury] c’est du très concret. Longtemps, en effet, j’ai idolâtré la jouissance – comme le font sans doute toutes celles et ceux qui ont un lourd chagrin à anesthésier – et c’est pourtant là, dans cette vie de toutes les perditions que le Christ est venu me chercher. Comme Paul, j’ai vécu une conversion radicale, une nuit dans ce bar qui aura été pour moi un véritable Chemin de Damas. Je connais la patience et la miséricorde de Dieu, autant que je sais ce que c’est que se perdre jusqu’à aller disputer leur nourriture aux porcs.

Ne vous inquiétez pas si vous avez fait des bêtises, si vous avez commis des actes que votre conscience réprouve, si vous vous êtes perdus : je suis, comme Paul, tombé sans doute plus bas que vous et Dieu, pourtant, dans le caniveau où j’avais sombré, est venu me chercher et m’a relevé.

Le Fils prodigue est pour moi une des plus belles parabole ; l’archétype de toutes les conversions. C’est d’abord l’arrogance d’un fils – et tout le monde comprend que le père, ici, c’est Dieu – l’arrogance d’un fils qui assume son père déjà mort et revendique son autonomie : « Père donne-moi ma part d’héritage » … qu’il s’en va aussi tôt dilapider en débauches. C’est l’histoire d’un fils qui finalement dispute leur nourriture aux porcs – dans l’Orient ancien, un animal répugnant. C’est l’histoire d’un fils qui se comporte comme un porc et qui décide, au fond du désespoir, de revenir vers son père, se souvenant de son amour. « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » Comme Moïse, il aura suffit au fils prodigue de faire mémoire de l’amour du Père pour susciter sa miséricorde.

Pour Dieu c’est alors la fête. La parabole nous montre autant la conversion du fils que la joie exubérante – presque caricaturale – du père qui le voit revenir de loin. Il court se jeter à son cou et le couvre de baisers. Il dit : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. ». Cette joie exubérante on la trouve en creux, dans l’Évangile d’aujourd’hui, dans l’inquiétude du Christ qui court à la recherche de la brebis perdue.

Cette joie exubérante de Dieu que reflète ici l’inquiétude du Christ, c’est bien sûr celle qu’il éprouve chaque fois que nous revenons à lui, à chacune de nos conversions – dans le sacrement de la réconciliation lorsque nous avons un poids sur la conscience, dans l’eucharistie ou lorsque nous revenons à la prière.

Ne vous inquiétez pas si vous avez de grands péchés, je vous assure que les miens, comme ceux de saint Paul, ont sans doute été bien plus grands. Inquiétez-vous plutôt du Christ qui nous cherche dès que nous nous égarons et de la joie de Dieu qui nous voir revenir à lui. Il n’y a que cela qui compte.

Souvenez-vous qu’à chaque fois que, dans la prière ou dans les sacrements, comme le fils prodigue, nous revenons à Dieu, il court vers nous pour nous couvrir de baisers.

« Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour nonante-neuf justes qui persévèrent » [Lc 15 , 7].

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.