Évangile de Luc 15, 1-32
Ce qui était perdu
Vous avez méprisé votre frère, ou votre sœur ? Bienvenue en cette Église. Vous avez médit d’unetelle ou d’untel ? Bienvenue en cette Église. Vous éprouvez parfois un sentiment de révolte ou de haine envers autrui ? Bienvenue en cette Église.
Il vous arrive de vous comporter médiocrement ; comme le fils prodigue vous disputez parfois leur nourriture aux cochons ? Bienvenue en cette Église. Vous avez de mauvais penchants dans lesquels vous retombez souvent ; des assuétudes, des addictions, des esclavages ? Bienvenue en cette Église.
Vous vous êtes éloigné de Dieu, et peut-être êtes vous pratiquement en rupture avec Lui ? Bienvenue en cette Église. Vous ne priez pas souvent, voire jamais ? Bienvenue en cette Église. Vous avez adoré des idoles, que ce soit vous-même, l’argent ou un fantasme ? Bienvenue en cette Église.
Bienvenue aux justes aussi ; pour peu qu’il y en ait parmi nous.
Bienvenue à vous qui avez soif d’amour, qui en manquez ou qui en avez manqué. Bienvenue à nous tous, pêcheurs, au pied de cet autel, à la table du Dieu-Amour que, quotidiennement pourtant, nous négligeons. Bienvenue à nous tous qui avons parfois fait le mal ; Dieu n’en finit pas de contenir sa joie de nous revoir.
C’est le thème du jour – la brebis perdue – alors, allons-y gaiement.
Dans la première lecture, celle du Livre de l’Exode, Dieu vient à peine de donner les tables de Loi à Moïse que le peuple, resté au pied de la montagne, se tourne vers l’idolâtrie – c’est l’épisode du Veau d’Or. L’idolâtrie c’est adorer comme Dieu, ce qui n’est pas Dieu. Quelles sont les idoles aujourd’hui ? Quelles sont ces faux-dieux auxquels nos contemporains rendent un culte ? La richesse ? La célébrité ? La réussite ? Le plaisir ?
Et quelles sont mes idoles à moi ? Ne suis-je pas parfois le dieu de mon propre ego ? Pour quelles idoles suis-je prêt à accepter des soumissions, des dépendances voire des esclavages ? Celles et ceux dont je désire l’affection ? L’idée que j’ai de moi-même, ma vie fantasmée ? Qu’est ce qui m’attire le plus ? Dieu ?
L’idolâtrie est sans doute le pire péché au regard de la Bible. Toutes les peines de mort que prononce l’Ancien Testament ont quelque part trait à l’idolâtrie. Se tromper de Dieu, que peut-il y avoir de pire aux yeux de la religion ? Jésus lui-même la dénonce avec force : le culte de soi, le culte de la reconnaissance par autrui, le culte de l’argent, le culte de la rigueur, le culte de la Loi …
La conséquence de l’idolâtrie, c’est la destruction de l’humanité – spirituellement, l’idolâtre court à sa perte. Mais il suffit qu’un seul homme, en l’occurrence Moïse, fasse mémoire de l’amour de Dieu pour que celui-ci renonce à sanctionner. Dieu fond de miséricorde dès qu’on se retourne vers Lui.
Ne vous inquiétez pas si vous avez fait des bêtises : saint Paul a fait pire que vous. Il massacrait des chrétiens à cause de leur religion – aujourd’hui on parlerait de crime contre l’humanité, si ce n’était anachronique. Selon ses propres mots, Paul était « blasphémateur, persécuteur, violent ». « Voici une parole digne de foi, et qui mérite d’être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi, je suis le premier des pécheurs. » dit-il à Timothée, dans la lettre fugueuse qu’il lui écrit.
Comme Paul, j’ai un lourd passé de pécheur. Avant de devenir religieux et prêtre, j’ai été patron de bar et de boite de nuit. J’ai longtemps mené une vie nocturne avec tous ses excès. Dans mon souvenir, « Sex & Drugs & Rock & Roll » [Ian Dury] c’est du très concret. Longtemps, en effet, j’ai idolâtré la jouissance – comme le font sans doute toutes celles et ceux qui ont un lourd chagrin à anesthésier – et c’est pourtant là, dans cette vie de toutes les perditions que le Christ est venu me chercher. Comme Paul, j’ai vécu une conversion radicale, une nuit dans ce bar qui aura été pour moi un véritable Chemin de Damas. Je connais la patience et la miséricorde de Dieu, autant que je sais ce que c’est que se perdre jusqu’à aller disputer leur nourriture aux porcs.
Ne vous inquiétez pas si vous avez fait des bêtises, si vous avez commis des actes que votre conscience réprouve, si vous vous êtes perdus : je suis, comme Paul, tombé sans doute plus bas que vous et Dieu, pourtant, dans le caniveau où j’avais sombré, est venu me chercher et m’a relevé.
Le Fils prodigue est pour moi une des plus belles parabole ; l’archétype de toutes les conversions. C’est d’abord l’arrogance d’un fils – et tout le monde comprend que le père, ici, c’est Dieu – l’arrogance d’un fils qui assume son père déjà mort et revendique son autonomie : « Père donne-moi ma part d’héritage » … qu’il s’en va aussi tôt dilapider en débauches. C’est l’histoire d’un fils qui finalement dispute leur nourriture aux porcs – dans l’Orient ancien, un animal répugnant. C’est l’histoire d’un fils qui se comporte comme un porc et qui décide, au fond du désespoir, de revenir vers son père, se souvenant de son amour. « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. » Comme Moïse, il aura suffit au fils prodigue de faire mémoire de l’amour du Père pour susciter sa miséricorde.
Pour Dieu c’est alors la fête. La parabole nous montre autant la conversion du fils que la joie exubérante – presque caricaturale – du père qui le voit revenir de loin. Il court se jeter à son cou et le couvre de baisers. Il dit : « Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. ». Cette joie exubérante on la trouve en creux, dans l’Évangile d’aujourd’hui, dans l’inquiétude du Christ qui court à la recherche de la brebis perdue.
Cette joie exubérante de Dieu que reflète ici l’inquiétude du Christ, c’est bien sûr celle qu’il éprouve chaque fois que nous revenons à lui, à chacune de nos conversions – dans le sacrement de la réconciliation lorsque nous avons un poids sur la conscience, dans l’eucharistie ou lorsque nous revenons à la prière.
Ne vous inquiétez pas si vous avez de grands péchés, je vous assure que les miens, comme ceux de saint Paul, ont sans doute été bien plus grands. Inquiétez-vous plutôt du Christ qui nous cherche dès que nous nous égarons et de la joie de Dieu qui nous voir revenir à lui. Il n’y a que cela qui compte.
Souvenez-vous qu’à chaque fois que, dans la prière ou dans les sacrements, comme le fils prodigue, nous revenons à Dieu, il court vers nous pour nous couvrir de baisers.
« Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour nonante-neuf justes qui persévèrent » [Lc 15 , 7].
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.