2ème dimanche de Carême – Année B – 28 février 2021 – Évangile de Marc 9, 2-10

Évangile de Marc 9, 2-10

La Transfiguration

Exceptionnellement Marc (comme Matthieu) commence son récit de la Transfiguration en le mettant en rapport direct avec un épisode précédent : « Après six jours… ». Supprimée dans la lecture liturgique, cette notation donne pourtant la signification plénière de la scène.

Que s’est-il passé « six jours avant » ? Aux environs de la nouvelle ville païenne de Césarée, dans un entretien privé avec ses apôtres, et après que Pierre, pour la première fois, ait confessé sa foi : « Tu es le Messie », Jésus leur a fait une révélation bouleversante : « Il faut que je monte à Jérusalem. Les autorités m’arrêteront et me feront condamner à mort mais mon Père me relèvera ».

Coup de tonnerre immédiatement suivi d’un autre qui propose le même chemin à quiconque veut être un véritable disciple : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

Et d’un pas résolu, sans s’inquiéter du nombre de ceux qui le suivraient, Jésus a pris le chemin de la capitale. Ses traits sont tendus, son visage livide.

Six jours plus tard, ne prenant avec lui que trois apôtres, il monte sur une montagne – symbole d’une proximité plus intime avec le Père qui est aux cieux. Il veut prier longtemps alors qu’il subit la plus violente des terreurs, celle de la mort. Comment aller jusqu’au bout s’il n’obtient pas la force ?

Et voilà que, dans le silence de la nuit, sa crispation s’apaise, son visage se détend et semble s’éclairer de l’intérieur, rayonner d’un bonheur qui n’est pas d’ici, d’une clarté qui rejaillit sur toute sa personne, y compris ses vêtements. Comme si sa promesse d’obéissance jusqu’à la mort laissait filtrer la Lumière divine, il apparaît investi par la Gloire de Dieu devant les disciples sidérés. Qui donc est ce Maître, Messie promis à la mort et habité par la Présence divine?

L’ANCIENNE ALLIANCE ABOUTIT A LA NOUVELLE

Jadis Moïse et Elie – les deux plus grands personnages représentant la Loi et les Prophètes – avaient eu, eux aussi, mission de libérer Israël de l’esclavage et de l’idolâtrie. Eux aussi avaient gravi la montagne pour y rencontrer Dieu et on raconte que Moïse, lorsqu’il écoutait Dieu dans le tabernacle, avait le visage rayonnant et devait le voiler. (Exode 34, 29)

Mais si ces deux hommes, en leur temps, avaient usé de violence et même causé la mort, à présent ils viennent s’incliner devant celui qui est le véritable Messie décidé à offrir sa vie et ils lui donnent raison.

Il faut du temps pour comprendre le Dessein de Dieu : l’histoire racontée par les Écritures contient des pages violentes qui nous scandalisent mais elle aboutit bien à Jésus qui l’accomplit, la conduit à son achèvement. Le Nouveau Testament ne contredit pas l’Ancien mais le mène au sommet.

Ainsi nous faut-il conduire notre propre histoire pour comprendre peu à peu qu’elle était pleine d’erreurs, d’idées fausses avant de déboucher sur la découverte du Visage lumineux du crucifié. L’Église n’a jamais fini de se purifier de sa volonté de puissance, de sa recherche des grandeurs humaines.

CONSTRUIRE UNE EGLISE OU EN ETRE MEMBRE ?

6 jours auparavant, Pierre s’était insurgé contre Jésus qui annonçait la nécessité de la croix et Jésus l’avait sèchement rembarré en le traitant de satan qui fait obstacle à la réalisation du projet de Dieu.

Ici derechef l’apôtre se trompe : « Nous sommes si heureux ici : nous allons dresser 3 tentes, pour toi, Moïse et Elie ». Son initiative reflète toutes les tentations de notre piété humaine : arrêter le temps dans la jouissance du bonheur ; se fixer dans l’extase paisible d’une retraite, loin des hommes qui s’affrontent et se déchirent ; honorer les grands Saints dans un espace sacré, tandis que la pauvre humanité se débat dans l’espace profane et souillé.

C’est tout le contraire du Dessein de Dieu qui, sur le champ, bouscule ces tentations sataniques : une Nuée (symbole biblique de l’Esprit, Présence de Dieu qui en même temps se montre et se dissimule) descend et englobe tout le groupe. Et le Père reprend la Révélation qu’il avait dite à Jésus, seul, lors de son baptême et qu’il adresse maintenant aux disciples : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » en ajoutant : « Écoutez-le ».

Or Jésus n’a rien dit, il est silencieux depuis le début ! Cela signifie que le Père confirme la vérité absolue que Jésus avait confiée 6 jours avant : « On me mettra à mort mais Dieu me relèvera…Et tout disciple doit me suivre sur ce chemin. Celui qui veut sauver sa vie la perdra ».

Tel est le dessein de Dieu : créer une communion d’Esprit avec tous ceux-là qui décident d’écouter Jésus et de le suivre. Moïse et Pierre, hommes sous la Loi puis sous la Foi, tous deviennent UN, saisis par le même Esprit d’amour et de don de soi.

Les hommes veulent construire des églises, des édifices sacrés et ils les veulent grandioses afin de témoigner de la grandeur de Dieu. En fait n’est-ce pas la leur qu’ils cherchent à montrer ? Mais Dieu, lui, veut nous intégrer, tous, en une Église-communion de tous les croyants, à l’écoute de Jésus, sous la protection de l’Esprit.

Et ils ne virent plus que Jésus seul.

L’extase est éphémère, les moments de piété paisible sont fragiles, les visions fugitives et souvent objets de doute. Mais, dans la nuit de la montagne, demeure le souvenir d’un ordre : « Écoutez mon Fils ». Ce qu’il vous enseigne depuis une semaine est la volonté de Dieu, faites-lui confiance, suivez-le sur son chemin ». Lisons, relisons les Écritures et surtout les évangiles : toujours l’écoute prime sur la vision. Tout nous conduit à « ne voir que Jésus seul ».

Si heureux que soit l’arrêt de la prière ou le temps de l’eucharistie, il faut sortir, redescendre dans le monde des hommes, se heurter aux incrédulités, aux sarcasmes, à l’hostilité. Affronter des tempêtes où sembleront parfois s’éteindre les lumières de la foi.

En descendant, Jésus leur défendit de raconter ce qu’ils avaient vu. Car les foules n’attendent qu’un Messie puissant, qui accomplit des prodiges et des merveilles et elles refusent de se convertir. Idolâtres de tyrans qui bombent le torse, de vedettes qui exhibent leur beauté, de menteurs qui leur promettent la richesse et les conduisent à la ruine, elles ricanent d’un Dieu faible qui pouvait les sauver.

Si prégnante soit-elle, l’expérience de la Transfiguration n’empêchera pourtant pas Pierre, Jacques et Jean de s’enfuir lorsque les bourreaux se présenteront devant Jésus. Celui-ci, seul, ira jusqu’au bout du chemin qui aboutira sur le mont du Golgotha où son visage sera giflé, souillé de crachats, tuméfié par les coups, objet de mépris et de sarcasmes. Oui, le Transfiguré deviendra le Défiguré. Mais, parce qu’il aura aimé son Père et les hommes jusqu’à la fin, son Père le ressuscitera, lui donnera un Visage de Lumière éternelle.

La Transfiguration de Jésus n’est donc pas un prodige gratuit, « un miracle » sans raison. Elle est réponse de Dieu à Jésus : puisque le Fils a accepté d’aller jusqu’à la croix afin d’accomplir sa mission, Dieu en retour lui offre un moment de Gloire. Bientôt tu seras défiguré dans l’horreur et l’angoisse : aujourd’hui je te transfigure dans la Clarté.

Ténèbres et Lumière, Mort et Vie : au milieu de l’évangile brille le signe pascal, présage de la victoire finale.

Le 1er dimanche de carême nous rappelait notre engagement initial de suivre un Christ aux moyens pauvres. Le 2ème aujourd’hui, nous ouvre une brèche : dans la nuit de la foi s’esquisse le plus beau des Visages. Il est notre courage, notre espérance.

« Dieu, fais-nous revenir : que ton Visage s’éclaire et nous serons sauvés ». (Psaume 80, 4)

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Les crises qui ont changé le pape

Voici un très beau livre, accessible à tous, une excellent lecture pour réfléchir aux enjeux actuels de la crise. Le pape ne pontifie pas, ne fait pas la leçon : il parle tout simplement, il se raconte, il essaie de comprendre comment il nous faut réagir.

« Je crois que les temps que nous vivons sont décisifs….Entrer en crise ,c’est passer au crible. Tes concepts, tes façons de penser sont bouleversés ; tes priorités et ton mode de vie sont remis en question. Tu franchis un seuil, par choix ou par nécessité…

La question est de savoir si tu vas sortir de cette crise et si oui, comment. On ne sort jamais indemne d’une crise ; c’est une règle fondamentale. Si u t’en sors, tu en sors meilleur ou pire, mais jamais comme avant….Nous sommes tous mis à l’épreuve dans la vie. C’est ainsi que nous grandissons.

Au cours des épreuves de la vie se révèle ton propre cœur ; combien il est solide, combien il est miséricordieux ; combien il est grand ou petit…Tu dois choisir. Et en faisant ton choix, tu révèles ton cœur.

Pense à ce que nous avons vu pendant cette crise de la covid-19. Tous ces martyrs : des hommes et des femmes qui ont donné leur vie au service des plus démunis. Pense aux personnels de santé, aux médecins, aux infirmiers et autres soignants ..Ils ont été les témoins de la proximité et de la tendresse. Beaucoup sont morts tragiquement…

Mais – et je le dis avec douleur et honte – pensons aussi aux usuriers, aux prêteurs sur gages qui sont apparus aux portes de personnes désespérées…Ces prêteurs spéculent sur la souffrance des autres..

Dans les moments de crise ; les gens se révèlent tels qu’ils sont. Certains se dépensent au service…et certains s’enrichissent sur la misère des gens…

La parabole du Bon Samaritain

Il s’arrête, approche, agit, entre dans le monde de l’homme blessé , se jette dans la situation, dans la souffrance de l’autre , et crée ainsi un avenir nouveau.

Agir en samaritain, dans une crise, c’est me laisser atteindre par ce que je vois, en sachant que la souffrance me transformera. Nous les chrétiens, nous appelons cela prendre la Croix et l’étreindre.

Étreindre la Croix, confiants dans la vie nouvelle qui vient nous donne le courage de cesser les lamentations, pour pouvoir sortir et nous mettre au service des autres ; et ainsi nous permettons le seul changement possible, celui qui ne naîtra que de la compassion et du service…

Le monde est en continuelle création…Sans cesse Dieu veut faire advenir le monde avec nous, ses collaborateurs…Nous sommes acteurs, nous sommes – si je puis m’exprimer ainsi – des co-créateurs….Le Seigneur voulait dire : soyez les créateurs de votre avenir.

De cette crise, nous pouvons sortir meilleurs ou pires. Nous pouvons régresser, ou bien nous pouvons créer quelque chose de nouveau. Dieu dit à IsaÏe : « Viens, parlons de tout cela » (Is 1, 18). Si tu es prêt à écouter, nous aurons un grand avenir.

Édition Flammarion ,220 p. – 16, 90 euros.

1er dimanche de Carême – Année B – 21 février 2021 – Évangile de Marc 1, 12-15

Évangile de Marc 1, 12-15

La Bonne Nouvelle du Carême

« Le carême » ? Il est fort probable que ce mot ne signifie rien pour les jeunes générations – en partie d’ailleurs parce qu’il a, pour les anciennes, un sens biaisé : « un temps triste où il faut tirer la tête et se priver de petits plaisirs tels que manger du chocolat ou boire un apéritif ». Enfantillages.

Le mot « carême », du latin quadragesima, ne signifie donc pas « sacrifice » mais « une quarantaine », un laps de temps (que la pandémie a remis en usage…en l’écourtant) pour définir une période de surveillance en vue de la guérison.

Marc nous parle du seul carême de Jésus : moment capital où il a pris ses options fondamentales de mission. Reconstituons le texte, que la liturgie a écourté, parce qu’il montre la cause de ce carême.

Un appel d’espérance

« Jésus vient de Nazareth et se fait baptiser par Jean dans le Jourdain. Quand il remontait de l’eau, il vit les cieux se déchirer, l’Esprit, tel une colombe, se poser sur lui et une voix du ciel dit : « Tu es mon Fils bien-aimé : je t’ai élu ». Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert. Pendant 40 jours, il est tenté par satan. Il est avec les bêtes sauvages et les anges le servent. ».

Une rumeur a donc atteint le petit village : on raconte qu’un prophète a surgi là-bas pas loin de la Mer Morte. Combien de Nazaréens se sont déplacés pour aller l’entendre ? D’abord était-ce un véritable envoyé de Dieu ou un illuminé comme il s’en présentait régulièrement ? Pouvait-on encore espérer quelque chose après tant d’années d’occupation païenne et de silence de Dieu ? Et puis il fallait trimer dur pour gagner sa vie …

Jésus, lui, se décide : il laisse là sa mère et son atelier et se met en route.

Au commencement donc il y a l’espérance du changement. On peut trouver mille excuses pour accepter l’état des choses, se résigner à l’injustice dominante, à la misère des petits. On peut trouver farfelus et utopistes ceux qui évoquent un renouveau, un autre monde. « On a tout essayé, monsieur ! Demeurons dans notre cocon, protégeons-nous des embarras et prions beaucoup pour que Dieu intervienne un jour… ». Or Dieu appelle au changement par la voix de certains prophètes mais nous fermons les oreilles.

Le carême, c’est d’abord oser rêver, oser sortir. Contempler son jardin inerte et être sûr que bientôt il explosera de couleurs. Croire aux lendemains qui chantent. Après des jours de labeur.

Être avant faire

Au Jourdain, les groupes de pèlerins affluent de jour en jour : ils écoutent et approuvent Jean, demandent à être baptisés puis repartent à la maison. Aussi contents que nous à la sortie de la messe. A son tour, Jésus descend dans l’eau, en remonte et tout à coup le choc ! Une voix lui parle : « Tu es mon Fils bien-aimé ».

L’artisan aux mains calleuses, sans titres ni argent ni diplômes, est bouleversé de s’entendre appelé avec un tel amour. Son corps ruisselle de l’eau du fleuve: son cœur est submergé par un océan de miséricorde. Tant d’hommes se gonflent en multipliant les « Moi je » parce que personne ne leur a dit : « Tu es ». Combien d’enfants n’ont pas entendu la voix qui les aurait construits : « Tu es mon fils bien-aimé ».

Alors se laisser apostropher par l’Église qui vous traite de tas de poussière et pauvre pécheur, qui vous somme de vous convertir d’urgence (ce que, comme moi, vous essayez de faire depuis des années sans jamais y parvenir), qui vous assure que les plaisirs sont des péchés et qu’il faut donc s’en priver : on comprend que les candidats ne se pressent pas pour entendre cette « mauvaise nouvelle ».

Le carême, c’est entendre la voix que nous oublions toujours, que Paul répétait à ses baptisés qui n’osaient y croire:

« Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous ramène à la peur mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et vous pouvez crier : « Abba – Papa » (Rom 8, 15)

Quelques années plus tard, Jean écrivait de même :

« Voyez quel grand amour le Père nous a donné : que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Voilà pourquoi le monde ne nous reconnait pas : il n’a pas découvert Dieu » ( 1 Lettre de Jean 3, 1)

Que faire ?

« Tu es mon Fils bien-aimé ». La formule est celle de l’investiture royale : aujourd’hui tu es responsable de mon Règne. Aucun commandement n’est donné, nulle précision sur l’action à entreprendre. « Tu es mon Fils » est ta seule lumière, ta seule force. Ta liberté.

L’Esprit donne au fils un unique désir : accomplir la volonté de son Père qui est de sauver les hommes de leur malheur. Quand ? Tout de suite. Aussitôt. Comment ? Il faut chercher, réfléchir. Seul et longtemps. Il ne faut surtout pas se priver de désert.

« Aussitôt l’Esprit le souffle au désert … 40 jours … tenté par satan ». La tentation n’est pas un mal : elle est le prix de la liberté. Le fils n’est pas un pantin programmé : il doit s’enfoncer dans la solitude pour éviter d’être la proie des influenceurs. Il opte pour la sobriété afin d’expérimenter que l’homme vit davantage de l’écoute de la parole de Dieu que de l’assouvissement de ses besoins. Et la faim lui permet d’entendre l’immense clameur des affamés du monde.

Le carême n’est donc pas un temps de développement personnel, d’élévation mystique, de maîtrise des distractions dans la prière, de lectures pieuses anodines. Le combat est terrible, instigué par un adversaire mystérieux qui s’acharne à séparer père et fils, à faire douter de l’amour, à pousser l’humanité dans la mort. Il est aux dimensions de l’enjeu : cosmique. Le fils n’entend plus son père, des perspectives séduisantes l’assaillent, des doutes rôdent comme des fauves : faut-il augmenter le niveau de vie des gens ? séduire en faisant miroiter les mirages du merveilleux, en montant des spectacles ? employer la force, la violence ???

Le carême est désert, solitude. C’est dans le feu du combat que la foi se purifie, que les justes décisions se forgent, que l’engagement affine ses certitudes.

La Mission

Enfin le carême n’est pas une parenthèse mais un tremplin. Tout seul, le Fils a pris ses options fondamentales ; tout seul il remonte dans sa Galilée. L’artisan ne retourne pas dans son atelier de Nazareth : il n’a plus qu’un outil : sa parole. Et il s’en va de village en village, proclamant la Bonne Nouvelle, pressant chacun et chacune de rectifier de manière de vivre, de croire à l’amour universel du Père et promettant la venue de son Royaume.

Nos Carêmes

Il a suffi d’un carême à Jésus : son engagement était tellement radical qu’en peu de temps, il l’a accompli. Les hommes, opposés farouchement, l’ont mis à mort : le Père l’a mis en Vie. Tout était achevé. La méditation de son carême éclaire les nôtres qui apprenons par là à nous convertir au mystère pascal.

Point de départ : pas seulement être informé et se plaindre de l’état du monde mais écouter les Jean-Baptiste, les voix prophétiques qui appellent au changement social, au renouveau de l’Église.

Ne pas chercher l’action à faire car le sauvetage de l’humanité n’est pas œuvre humaine. Mais retrouver son être : écouter le Père qui ne cesse de nous redire « Tu es mon enfant bien-aimé ». Avec tes péchés.

« Soufflé » par l’Esprit, entrer dans le silence, la pensée et la frugalité. Lutter contre les assauts des médias racoleurs, le torrent des informations qui déforment, le bavardage incessant de ceux qui sont « au courant », « en prise » avec l’actualité et qui n’éclairent personne.

Se rendre compte, enfin, que le gaspillage des uns affame la multitude des autres. Que « l’achat est un acte moral » (Benoit XVI)

Prier comme on se bat. Car les maux dénoncés nous habitent, trouvent en nous une connivence. Cela s’appelle « les tentations ». Cesser de rêver à « la tête vide », au doux sourire sur un visage de marbre.

Jusqu’à une certitude : « Jésus avait raison. Mon Seigneur et mon Dieu. Sauveur unique de l’humanité. Parce qu’elle est amour, la croix est la gloire ». Il faut le dire. Marcher vers Pâques.

Maintenant que notre hiver s’achemine vers le printemps, le carême prépare l’Église à venir. Il est Bonne Nouvelle, Évangile.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Goûter aux joies de la sobriété…

Par Michel Maxime EGGER,
Éco théologien orthodoxe

La pandémie n’est pas qu’un problème sanitaire, soluble par un vaccin. Elle révèle l’impasse d’un système productiviste et consumériste globalisé qui épuise et donne la fièvre à la Terre par sa démesure. Qu’on le veuille ou non, la sobriété est la seule alternative crédible à ce système incompatible avec les limites de la planète.

Dans son inspirante encyclique Laudato si’, le pape François en fait l’éloge comme un nouveau mode de vie « prophétique et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses sans être obsédé par la consommation ».

Et si nous utilisions l’obligation de « rester chez soi » pour « rentrer en soi », réorienter notre puissance de désir si facilement dégradée en envies par le marché, discerner entre le nécessaire et le superflu, apprendre à « désirer ce qu’on possède » (Saint Augustin) plutôt que nous plaindre de ce qui nous manque ?

La sobriété n’a pas bonne presse. Il est temps cependant de la regarder avec des yeux neufs. Loin d’être une régression, elle est une valeur dynamique promotrice de qualité d’être et de vie. Pour ceux qui y ont goûté, ses fruits sont tout sauf amers. Certes, elle implique un certain renoncement. Non pour se frustrer, mais pour (re)créer un vide – dans la tête, le cœur, l’agenda et les placards – pour autre chose. Non pour se serrer la ceinture, mais pour se recentrer sur l’essentiel.

Et si le moins de biens, de shopping, de voyages ou de sports d’hiver était une chance pour plus de liens, de temps pour soi et pour les autres, d’intériorité et de spiritualité ?

Le confinement est pour beaucoup synonyme de ralentissement. Il invite à redécouvrir les vertus de la lenteur. Il suffit d’observer comment, spontanément, nous marchons moins vite sous le soleil pour sentir à quel point elle correspond à une partie de notre être profond. Il faut de la lenteur pour se connecter en profondeur à soi et au mystère de Dieu, pour écouter vraiment l’autre, entrer dans la beauté secrète d’un paysage ou d’un visage, accueillir le souffle du silence, apprécier le goût des aliments, reprendre contact avec notre corps, retrouver « cet accord de la terre et du pied » cher à Albert Camus.

Et si nous saisissions ce ralentissement forcé comme une chance pour être pleinement présent et attentif aux choses de la vie en apparence les plus infimes et anodines, mais si bienfaisantes pour l’âme : un signe d’amitié, un sourire, un rayon de soleil, un chant d’oiseau ?

Le pape François décrit la sobriété comme la « capacité de jouir et de vivre intensément avec peu ». Rien à voir donc avec l’abstinence, qui revient à nier la bonté des choses créées. La sobriété n’est pas une privation, mais une libération. Elle n’est pas lourde, mais source de légèreté. Non seulement elle désencombre nos existences, mais elle nous apprend à marcher légèrement sur la terre, en réduisant notre empreinte et notre emprise sur la nature. Elle est, en ce sens, indissociable du respect de la finitude de la Terre et de l’impératif de justice.

Une vertu d’autant plus nécessaire que le mode de vie occidental n’est pas durable ni généralisable à l’ensemble de la planète. Et si, dans les bonnes résolutions pour 2021, nous décidions de diminuer nos appétits, nos pulsions d’achat et nos besoins de possession afin d’accorder aux autres créatures – humaines et non humaines – ainsi qu’aux générations futures l’espace nécessaire pour qu’elles puissent vivre et se développer, satisfaire leurs besoins et exercer leurs droits ?

La sobriété, enfin, n’est pas triste. « Si l’argent offre tous les plaisirs, elle ouvre à la joie qui est le bien suprême », déclare l’agro-écologiste Pierre Rabhi.

La joie n’est pas le bonheur, car elle ne dépend pas d’éléments extérieurs pour exister et elle va au-delà du bien-être et de l’épanouissement individuels. Elle n’est pas non plus le plaisir qui s’envole rapidement. Elle est en revanche plénitude intérieure. Un pur don du Vivant et de la grâce, qui rend tout possible, même d’embrasser et transfigurer les malheurs et les épreuves : « Je déborde de joie au milieu de toutes mes tribulations » (2 Co 7,4).

Quand la joie est là, rien n’y personne ne peut nous l’enlever. Elle brûle en nous comme la lumière dans le buisson ardent. Et si, comme Marie, nous disions « oui » au souffle de l’Esprit, nous laissant emporter par sa vie dans un mouvement d’amour et de simplicité vers les autres et toute la création ?

Publié le 9 décembre 2020 – Eglise catholique de France

Michel Maxime Egger est écothéologien orthodoxe, auteur d’ouvrages sur l’éco spiritualité, et créateur du réseau Trilogies: www.trilogies.org. Il vient de publier « Se libérer du consumérisme – Un enjeu majeur pour l’humanité et la Terre » (Jouvence) – (cf site M M Egger)

Extraits de Presse

Pape François et Climat

François suit de très près les négociations sur le climat. Il est l’un des plus fervents défenseurs de l’accord de Paris. En 2020, il a missionné plusieurs experts pour réfléchir sur le monde d’après, en lien avec des institutions internationales. Parmi les 5 groupes de cette « commission vaticane Covid-19 », une cellule travaille plus particulièrement sur la question écologique. Le pape regarde de près : chaque vendredi il examine les notes élaborées par ces experts.

« Il s’en sert pour alimenter sa réflexion et aussi pour l’écriture de ses messages ou pour ses conversations avec les chefs d’Etat. D’autres informations lui sont transmises par les évêques engagés sur le terrain et le réseau des Caritas ». Sur le terrain international, le travail lancé par le Vatican suscite un vif intérêt parmi les diplomates étrangers en poste au Saint Siège.

Un ambassadeur arrivé récemment disait : « François a deux spécificités. D’une part avec le concept d’écologie intégrale il lie la sauvegarde de l’environnement et la lutte contre la pauvreté. D’autres part, en parlant comme Pape, il se sert d’arguments moraux que les autres ne peuvent pas soulever. Cela donne à sa parole une place à part ». François avait pressé son équipe qui travaillait sur Laudato Si : « Elle doit sortir avant le sommet de Paris…Pour faire pression ! ». ( La Croix 11 12 20)

Gaspillage

65 % des Français changent de téléphone portable alors qu’il fonctionne encore ( 16 % par simple envie de changer ; 21 % pour un modèle plus moderne). (La Croix 23 01 21)

Climat

La fonte des glaces s’est fortement accélérée en trois décennies, elle contribue à une hausse des océans très grave pour les régions côtières. Le taux de fonte s’est envolé de 65 % entre 1994 et 2017. (étude de l’Université de Leeds) – (La Croix 27 0,1 21)

La France est menacée d’un fort réchauffement climatique, selon des prévisions établies par Météo France. Dans le pire des cas, la température moyenne en métropole s’afficherait en hausse de 3, 9 C., par rapport à la période de référence (1976 – 2005) ; avec des épisodes caniculaires multipliés par 10. (La Croix 2 2 21)

Antisémitisme

Les évêques de France s’engagent à « lutter énergiquement contre toute forme d’antisémitisme politique et religieux … La lutte contre l’antisémitisme doit être l’affaire de tous ». Ce devoir incombe particulièrement aux chrétiens : « La foi en jésus nous distingue et nous sépare, elle nous oblige aussi dans la mémoire des heures terriblement sombres de l’histoire »… ». Guérir de l’antisémitisme et de l’antijudaïsme est le fondement indispensable d’une véritable fraternité à l’échelle universelle ».

La situation est très préoccupante, avec attentats et meurtres mais aussi insultes sur les réseaux sociaux. Les Français de confession juive sont la cible de plus de 4 actes de violence ou de haine sur 10. Près de 10 % des Juifs de France ont rejoint Israël. « Le but du document est de rejoindre tous ceux qui ne mesurent pas encore le grand danger que représente l’antisémitisme pour la société tout entière » (La Croix 2 2 21)

Covid-19 et Famine

Le Programme alimentaire mondial de l’ONU (PAM) – Prix Nobel de la Paix 2020 – tire la sonnette d’alarme : le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire devrait augmenter de 80 % cette année en raison de l’épidémie. (La Croix 30 11 20)

6ème dimanche – Année B – 14 février 2021 – Évangile de Marc 1, 40-45

Évangile de Marc 1, 40-45

Jésus purifie un lépreux

Jésus a refusé le projet de Simon-Pierre de s’installer dans sa maison de Capharnaüm car les habitants ne venaient à lui que pour obtenir les guérisons de leurs malades. Et surtout parce qu’il avait mission de porter l’Évangile partout. Il s’est donc remis en route afin de proclamer la Parole dans toute la Galilée. De cette tournée, Marc ne rapporte qu’un unique épisode.

La purification du lépreux

Un lépreux vient vers lui, il le supplie et tombe à genoux en lui disant : « Si tu veux, tu peux me purifier ». Bouleversé de compassion, il étendit la main, le toucha et lui dit : « Je veux : sois purifié ». Aussitôt la lèpre sortit de lui et il fut purifié.

Le terrible fléau de la lèpre provoquait partout une peur panique pour les dégâts qu’il causait, la quasi impossibilité de le guérir et sa redoutable contagiosité. Dès qu’un malade était signalé, il était impitoyablement rejeté de sa famille et de la société et il devait, seulement avec des compagnons d’infortune, se tenir strictement à l’écart de tout contact. En chemin, il devait se tenir à distance, signaler son état et porter un voile sur le visage. Il y avait bien des sorciers qui proposaient des potions magiques et exécutaient des rites bizarres pour chasser les démons. Avec peu d’effet sauf de vider les portefeuilles.

Un de ces misérables a probablement entendu parler de ce nouveau guérisseur de Capharnaüm et, de loin, genoux à terre, il lance un appel où il exprime sa foi en la puissance de Jésus : « Tu peux ! ». Le mot « pitié » rend trop faiblement la réaction de celui-ci : le verbe – qui vient d’un mot hébreu qui désigne la matrice – exprime un bouleversement de tout l’être et est toujours, dans les évangiles, réservé à Dieu ou Jésus. Devant la désintégration de l’image de Dieu, les ravages du mal et le malheur insondable de l’homme exclu de la communauté, Jésus est empoigné de souffrance.

Et, geste tout à fait inouï, c’est lui qui s’approche de l’homme agenouillé et le touche ! « Je veux : sois purifié ». A l’instant la puissance maléfique qui le rongeait à mort est chassée. Quel que soit l’abîme du mal dans lequel l’homme est tombé, s’il supplie, s’il croit, le contact et la parole de Jésus peuvent l’en délivrer.

De façon très virulente Jésus le renvoya aussitôt et lui dit : « Veille à ne rien dire à personne mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit. Ce sera un témoignage pour eux. »

On imagine la stupeur, la joie folle qui envahit l’homme ! Aussi Jésus, pressentant qu’il va dare-dare s’encourir partout pour clamer la nouvelle de son incroyable guérison, l’apostrophe avec sévérité : Ne dis à personne que c’est moi qui t’ai guéri car on va à nouveau me confondre avec un guérisseur, un faiseur de miracles et on claironnera que je suis le Messie. L’urgence, c’est que tu te rendes au Temple de Jérusalem et que tu observes tout ce que la Loi prescrit afin que ta purification soit homologuée et que tu puisses réintégrer la vie sociale. ( cf. Lévitique 14)

« Ce sera un témoignage pour eux ». Le prêtre de service va effectivement pouvoir constater la purification de l’homme mais celui-ci va « témoigner » de son auteur et de la façon dont il a agi : ce Jésus de Nazareth qui, dit-on, circule à travers la Galilée en opérant des guérisons et qui a osé « s’approcher d’un lépreux et le toucher » ! Ce que la Loi interdit absolument.

Mais, une fois parti, il se mit à proclamer beaucoup et à répandre la parole si bien que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville et il était dehors dans des endroits déserts. Et on venait à lui de partout.

Marc ne raconte pas ce passage nécessaire de l’ancien lépreux au Temple : au contraire il le montre presque comme un nouveau disciple qui, comme Jésus, « proclame et répand la Parole ». Cela laisse sous-entendre que désormais le témoignage rendu à Jésus compte davantage que l’observance des rites légaux.

Mais évidemment ce que les foules retiennent de la prédication de l’homme, c’est son bonheur éclatant d’avoir été purifié de sa lèpre. A nouveau, comme depuis les débuts à Capharnaüm, la renommée de Jésus est celle d’un thérapeute extraordinaire qui agit d’un mot, sans potions ni gesticulations ni sans demander de rétribution !…La rumeur se confirme : ne serait-il pas le Messie pour agir de la sorte ?…A nouveau Jésus est enfermé dans une fausse réputation. Pour s’en libérer il décide de ne plus entrer dans les villages où les foules l’assaillent de demandes de guérison, et il en est réduit à demeurer dans les campagnes. Mais où qu’il aille, on revient le harceler.

Les menaces contre Jésus

Nous arrêtons aujourd’hui la lecture de l’évangile de Marc puisque mercredi prochain, avec les Cendres, nous entrerons en carême et la liturgie nous fera entendre les lectures habituelles pour nous conduire à la Croix et à la Résurrection pascale.

Cependant, là où nous sommes arrivés, Marc nous montrait déjà comment les guérisons vont très vite attirer les pires menaces sur Jésus de la part des autorités religieuses. Dans une synagogue, un jour de sabbat, Jésus guérit un homme qui avait une main paralysée :

« A la sortie, Pharisiens et Hérodiens tiennent conseil contre Jésus en vue de le faire périr » (3, 6).

Quant aux prêtres du temple qui ont reçu le témoignage du lépreux purifié, ils ont immédiatement envoyé une petite délégation de scribes spécialistes afin d’enquêter sur cet inconnu qui opère des guérisons de façon très louche et suscite une effervescence messianique dangereuse.

« Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient : « Il a Béelzéboul en lui ; c’est par le chef des démons qu’il chasse les démons » (3, 22)

Ainsi ce sont les multiples bienfaits de Jésus qui vont attiser la méfiance et exciter la haine.

Réflexions

Évident : il est impératif d’observer les gestes barrières afin d’endiguer la pandémie.

Mais une immense solitude est en train de ravager des milliers et des milliers de vies, notamment celles des jeunes et de personnes âgées enfermées. Où sont, dans notre société moderne, les nouveaux « lépreux », les personnes « parquées », privées de contact ? Quelles possibilités avons-nous malgré tout d’entretenir quelques relations ?…

Les émigrés secoués sur les flots de la Méditerranée et interdits d’accostage sur la vieille Europe (de civilisation chrétienne, dit-on) sont-ils nos lépreux d’aujourd’hui ?

L’Église ne bute-t-elle pas sur le même malentendu que Jésus ? On admire ses grandes figures (abbé Pierre, Joseph Wresinsky, mère Térésa, Sr Emmanuel…..) qui « font des miracles » de dévouement pour nourrir, couvrir, soigner les pauvres…Mais on refuse de l’écouter quand elle annonce l’Évangile des Béatitudes, quand elle appelle à la conversion des mœurs, quand elle dénonce les perversions, les trafics financiers et autres turpitudes.

Quelle est le rapport entre « guérir » et « sauver » ?….Entre la philanthropie et l’Évangile ?

Comment se sont comportés les handicapés et les malades guéris par Jésus ? Devenus sains , ont-ils essayé d’être saints ? Un bon cœur pour le cardiologue est-il un bon cœur pour Jésus ?

Mais d’autre part comment se conduisent à l’égard des malades et des pauvres tous ceux qui se disent chrétiens ? Pourquoi les spécialistes religieux (scribes, pharisiens, prêtres) ne se sont-ils pas réjouis devant les hommes guéris par Jésus ?

Décidément nous n’aurons jamais fini de nous laisser interpeler par l’Évangile. Joie d’être titillés par la Parole qui nous bouscule afin de nous faire vivre davantage.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

5ème dimanche – Année B – 7 février 2021 – Évangile de Marc 1, 29-39

Évangile de Marc 1, 29-39

On n’arrête pas la Parole de Dieu

D’ordinaire, à l’issue de l’office matinal du sabbat, l’assemblée de la synagogue de Capharnaüm se dispersait dans le calme et chacun rentrait paisiblement à la maison pour goûter la paix de ce jour de sainteté et de repos. Mais ce jour-là, l’effervescence agitait les pratiquants qui discutaient ferme à propos de l’événement auquel ils venaient d’assister. Qui donc était ce jeune prédicateur inconnu qui s’appelle Iéshouah (Sauveur), ancien charpentier à Nazareth, qui proclame la venue du Règne de Dieu et dont la parole est d’une telle force qu’elle vient d’exorciser un assistant ? Perplexes, les gens le regardent s’en aller accompagné de ses disciples. Qui est-il ? La question majeure de l’histoire est levée : la lecture de l’évangile conduit à la réponse. Prenons garde : notre vie en dépend.

La guérison de la belle-mère de Simon

Et aussitôt, sortant de la synagogue, ils vont dans la maison de Simon et André, avec Jacques et Jean. La belle-mère de Simon était couchée avec de la fièvre ; aussitôt on lui parle d’elle et, s’approchant, il la fait lever en la prenant par la main.. Et la fièvre la quitta et elle les servait.

A nouveau le petit mot favori de Marc (« aussitôt ») revient à deux reprises et il est dommage que la traduction liturgique l’omette alors qu’il veut marteler l’urgence de l’action de Jésus et secouer notre indolence. Aussi bien ne perdons pas de temps à discuter à propos de la fameuse belle-mère : Simon-Pierre est-il marié ou son père, veuf, s’est-il remarié ? Bien plutôt comparons les scènes de guérison de ces deux dimanches. Elles se déroulent en deux endroits différents.

A la synagogue, on proclame la Loi, on chante sa louange, on la détaille, on insiste pour la mettre en pratique, on menace les infractions de châtiments. L’assemblée écoute, approuve, craint les punitions…Mais la Loi ne guérit pas notre terrible faiblesse. Elle donne la connaissance du mal sans offrir le moyen de le vaincre.

Seul Jésus, parce qu’il est plus qu’un prophète, peut proclamer une Parole qui pénètre, qui change le cœur. « D’où vient cet enseignement nouveau plein d’autorité? » disaient les gens. La Parole de Jésus ne dit pas un nouveau message : elle le rend actif, performant. Encore faut-il, comme l’homme guéri de la synagogue, se laisser pénétrer par le glaive de la Parole de Jésus.

Dans la maison de Simon-Pierre – qui évidemment symbolise ce que sera l’Église, la nouvelle assemblée autour de Jésus -, la fièvre des mauvais instincts agit également, elle peut nous abattre, nous laisser sans force. Que faire ? « Aussitôt » qu’on le remarque, il faut intercéder, prier Jésus d’intervenir, lui donner accès au malade, au pécheur. Dans l’assemblée de Jésus, il n’est plus besoin de discours : il suffit que le malade se laisse approcher, qu’il accepte la main tendue. Le contact miséricordieux de Jésus a pouvoir de « relever » la femme « couchée ».

Nous comprenons par le vocabulaire employé que Marc ne raconte pas une ancienne anecdote médicale mais qu’il commence à nous révéler ce que fera Jésus plus tard. Parce qu’il sera lui-même « couché » dans la tombe et que son Père le « relèvera » à Pâques, il est capable de « toucher » le pécheur enlisé dans le péché, de le « prendre par la main » et de le remettre debout.

« La femme les servit » : les chrétiens pardonnés et relevés par grâce n’ont d’autre bonheur et d’autre tâche que de se mettre au service de Jésus et de leurs frères.

« L’important, c’est la santé » ?

La nouvelle de la guérison du matin à la synagogue se répand dans tout Capharnaüm mais pendant le sabbat, nul travail, nul transport n’est permis. L’apparition des premières étoiles signalant le début du premier jour de la semaine, l’agitation reprend.

Le soir venu, après le coucher du soleil, on amena à Jésus tous les malades et les possédés. Toute la ville se rassembla devant la porte et il guérit de nombreux malades, souffrant de maux de toutes sortes et il chassa beaucoup de démons. Et il ne laissait pas parler les démons parce qu’ils le connaissaient.

Marc exagère sans doute un peu l’ampleur de l’affluence mais il souligne un réflexe normal et universel : l’homme qui souffre se précipite vers celui qui peut le guérir. Jésus comprend cette demande et il accèdera souvent à ce cri éperdu de l’humanité : la prière pour la guérison et, mieux encore, l’intercession en faveur d’un souffrant sont pratiquées et recommandées.

C’est pourquoi, innombrables sont, dans l’histoire, les initiatives et les fondations humanitaires de l’Église. Rien ne dit mieux la grandeur du corps humain que le fait que le Fils de Dieu ait pris corps et qu’il n’appelle jamais à la résignation. Le combat pour la santé est évangélique.

Toutefois l’homme n’est pas qu’un organisme biologique. Suivant les croyances de l’antiquité inquiète devant des maux qu’elle ne comprenait pas, Marc évoque des mauvais esprits, des mystérieux « démons » qui rôdent et rongent les cœurs et les corps. Mais d’une simple Parole, Jésus exorcise les possédés et leur commande de ne pas dévoiler son identité de Messie, ce qui risquerait d’entraîner un soulèvement populaire. Seules la croix et la résurrection révèleront la victoire stupéfiante du Fils sur le mal.

Une Église toujours en mouvement

La nuit est tombée, les gens sont rentrés chez eux, le calme est revenu. Les quatre jeunes disciples, surexcités par les débuts fracassants de leur aventure – la matinée à la synagogue, la foule envahissant la maison, l’explosion de joie des gens guéris -, échafaudent des projets : Qu’allons-nous faire les jours prochains ? Aménager les locaux pour filtrer l’accès des malades, ne pas oublier de disposer un sac pour que les visiteurs y déposent des billets en signe de reconnaissance, belle-maman, en pleine forme, préparerait des repas casher, papa Zébédée installerait une échoppe pour vendre ses poissons – notamment des saint-pierre…Et nous, la bande des quatre, on dirigerait toute l’affaire ! Une start-up !!

Ah que l’Église raffole d’élaborer des plans, de déployer son sens de l’organisation, de construire, d’aménager, de trouver des fonds, de recruter des volontaires !…

Dès l’aube, les premiers patients affluent devant la maison. Vite debout les disciples viennent éveiller leur nouveau Maître. Mais surprise :

Très tôt, il faisait encore nuit, Jésus se leva. Il sortit et alla dans un endroit désert et là il priait.

Simon et les autres se mirent à sa recherche. Ils le retrouvent : « Tous te cherchent ! ».

Mais Jésus leur répond : « Partons ailleurs dans la villages voisins afin que là aussi je proclame. C’est pour cela que je suis sorti ».

Il alla, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, dans toute la Galilée et chassant les mauvais esprits.

Jésus n’a guère fermé l’œil. La maison de Pierre l’a bien accueilli mais elle n’est pas sa prison. En catimini, en pleine obscurité, il se lève, il sort, il cherche un lieu désert près du lac. Et Marc le note pour la première fois « il prie ». Quand il avait reçu son investiture au baptême, il avait compris qu’il ne devait pas prendre la succession de Jean-Baptiste en restant à l’écart de tout près du Jourdain. A présent il demande à son Père s’il doit fonder un centre de rayonnement à Capharnaüm chez Pierre. La réponse est non.

D’un mot il fait s’écrouler tous les rêves de ses jeunes apôtres : « Partons, il faut que je proclame ailleurs, partout ». Comme souvent Marc ne précise même pas l’objet de la prédication. Jésus se veut et restera toujours un marcheur, un « héraut » à l’exemple de ses « coureurs » (kèrux) que les souverains dispersaient partout afin d’annoncer une grande nouvelle. On traduit en français : Jésus proclame « le kérygme » qu’il ne faut surtout jamais rabattre dans une liste de dogmes, un code de morale, un rituel. L’homélie n’est pas un cours mais un fait.

Le kérygme est et reste la proclamation inouïe d’un événement. « Nouveau ! ». Il se crie comme LA Bonne Nouvelle, il se fait entendre comme d’une importance fondamentale, il se dit en hâte (« aussitôt ») sur un ton joyeux. « C’est pour cela que je suis sorti » : sorti de la maison de Pierre évidemment mais aussi, plus profondément, sorti de chez Dieu. Dans saint Jean, Jésus dira : « C’est de Dieu que je suis sorti et que je viens » (8, 42). Jésus est en perpétuelle sortie pour venir chez celui qui lui ouvre.

Conclusion

Marc n’est pas un journaliste qui rapporte un fait-divers – sinon il multiplierait les détails précis. Bouleversé par la fin de cette histoire (la croix, la résurrection, le don de l’Esprit, la mission), il montre comment peu à peu la révélation s’est effectuée. Comment le passé de Jésus peut s’actualiser « aussitôt » dans la vie du lecteur.

Le livre de Marc devient un « Evangile » quand son récit fait sens pour changer notre vie aujourd’hui.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

L’Évangile et la pandémie

« Faire « Église » autrement…, c’est la solution pour l’avenir. Qu’on le veuille ou non, il y a un avant-covid et il y aura un après-covid, tant sur le plan de la société que de l’Église. Rien ne sert de se lamenter et de gémir sur notre sort. Quand un évêque célèbre solennellement tout seul dans sa cathédrale vide sans se poser la question « Où sont passées les brebis du troupeau ? », les paroles ne suffisent plus.

Oui beaucoup de fidèles – jeunes et âgées – ne reviendront pas, pour de multiples raisons. C’est un constat à accepter…même si c’est difficile. Aujourd’hui, dans des séminaires, l’enseignement donné aux quelques jeunes désireux d’accéder au sacerdoce est encore antéconciliaire et parfois même anti – …Alors les communautés ont du souci à se faire.

Au sortir des grandes persécutions et des catacombes, les premiers chrétiens ont su innover pour faire Église en constituant de petites fraternités où la rencontre, l’écoute et le partage étaient le socle d’une vie commune basée sur l’Évangile. A nous aujourd’hui de nous montrer créatifs et solidaires pour faire de notre baptême une « pierre vivante » de cette Église à construire.

Abbé René Rougie
Courrier des Lecteurs – Journal La Croix 29,1,21

27 Janvier : Jour de la Shoah

Le Message du 27 janvier

27 janvier 1945, vers onze heures, il y a 76 ans. Une première patrouille de l’Armée Rouge pénétra dans le camp d’Auschwitz III, puis dans l’après-midi dans Birkenau et dans Auschwitz I. Il y avait encore environ 7.000 détenus survivants.

Les soldats soviétiques furent saisis d’horreur. Il fallut encore de nombreux mois de combat pour que l’ensemble du système concentrationnaire nazi fût démantelé, jusqu’au 8 mai inclus, avec la libération du camp de Terezin près de Prague. Pour tous les soldats soviétiques, américains, britanniques, français qui eurent à pénétrer dans les camps, ce fut la sidération.

Ces soldats se battaient sur tous les fronts depuis des années…Mais ils découvrirent là l’inimaginable, l’ignominie absolue, le système concentrationnaire nazi.

 Pourtant les nazis avaient cherché à camoufler leur crime, en contraignant les malheureux déportés déjà exténués à d’invraisemblables marches dans le froid glacial de l’hiver, les « Marches de la mort », et en faisant sauter les chambres à gaz.

Et encore, ces soldats ignoraient-ils ce que l’on découvrit peu à peu, à mesure que des témoignages purent s’exprimer, et que des études historiques purent être réalisées : l’organisation d’un véritable système concentrationnaire, allant jusqu’aux détails les plus infimes pour humilier et faire souffrir toujours plus ; l’arrachement à leur vie quotidienne, à leurs foyers, de millions d’hommes et de femmes, de vieillards, d’enfants de tous âges, avec des rafles brutales organisées dans toute l’Europe ; leur transport dans des conditions immondes vers les camps ; les chambres à gaz pour les plus faibles dès l’arrivée après une sélection rapide, la survie en enfer pour les autres qui se retrouvaient dans ce « royaume de la malédiction » dont parla Élie Wiesel.

Tous les camps avaient en commun une organisation minutieuse et sadique pour non seulement tuer, mais surtout pour dépouiller les prisonniers de leur dignité de personne humaine. Ils avaient drainé des millions d’hommes et de femmes, de vieillards et d’enfants arrachés brutalement à leurs maisons, à leurs familles, dans tous les pays d’Europe, parce qu’ils étaient juifs.

Élie Wiesel le rappela dans son témoignage au procès de Klaus Barbie : « Le juif fut condamné à la mort parce qu’il était né juif, parce qu’il portait en lui une mémoire juive »
 
Comme chaque année, nous faisons mémoire de cette libération dans toute l’Europe et ailleurs dans le monde, avec la Journée internationale de la Mémoire des Victimes de la Shoah et de Prévention des crimes contre l’Humanité instituée en octobre 2002 par les ministres de l’Éducation des États membres du Conseil de l’Europe, et adoptée en 2005 par les Nations Unies.

Pourquoi faire Mémoire ? Bien sûr pour rendre hommage aux victimes, mais aussi parce que le temps présent confirme chaque jour la justesse et l’actualité de la crainte exprimée par Primo Levi lorsqu’il disait : « L’idée d’un nouvel Auschwitz n’est certainement pas morte, comme rien ne meurt jamais. Tout resurgit sous un jour nouveau, mais rien ne meurt jamais. »
 
La barbarie n’est pas morte. Elle est même bien vivante. Elle s’active sur tous les continents, avec la nouvelle barbarie djihadiste, en France, en Europe, et dans le monde entier, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie. Une barbarie d’une cruauté inouïe, dont sont victimes juifs, chrétiens et musulmans, et particulièrement les femmes et les enfants, tandis que dans notre propre pays des attentats tuent, et que la haine des juifs se manifeste ouvertement, quotidiennement, sans complexe.
 
En janvier 2016, le pape François en visite à la Grande Synagogue de Rome, rappela la nécessité de l’acte de Mémoire :« Le passé doit nous servir de leçon pour le présent et l’avenir. La Shoah nous enseigne qu’il convient d’être toujours extrêmement vigilants, pour pouvoir intervenir à temps dans la défense de la dignité humaine et de la paix. »


Être vigilants, tel est le Message du 27 janvier. 

Jean-Dominique Durand
Président de l’AJCF — Amitié judéo-chrétienne de France