Dimanche des Rameaux – Année A – 5 avril 2020 – Évangile de Matthieu 21, 1-11

Évangile de Matthieu 21, 1-11

L’Entrée Royale du Seigneur

L’évangile de Lazare nous a montré que les autorités du temple ont décidé de supprimer ce Jésus considéré comme un blasphémateur: cependant leurs tentatives de le lapider ont échoué et Jésus a toujours réussi à s’échapper. C’est lui qui décidera du jour de sa mort : le jour où l’on immole l’agneau pascal.

En ce mois de nissan, premier de l’année, le printemps est revenu et Jérusalem voit converger vers elle des milliers de pèlerins (plus de 100.000, suppose-t-on) venus de partout afin de célébrer les 8 jours de la Pâque. Le souvenir de la libération des ancêtres esclaves en Egypte, promesse divine de toutes les libérations et donc de la venue du Messie, soulève la ferveur des foules excitées par l’allégresse de s’assembler dans le Temple de Dieu.

On est sans doute le 12 nissan, 1er mois de l’année, jour où chaque famille doit se procurer un jeune agneau que l’on immolera et mangera le 14 au soir, jour de Pessah.

C’est en ce jour que Jésus, le véritable agneau, réapparaît: il passe d’abord par Bethphagè sur le mont des Oliviers et il organise son entrée en obtenant le prêt d’une ânesse par un villageois. Très vite un cortège se forme et se dirige vers la capitale. Il a sans doute moins d’ampleur que nous n’imaginons car la très grande majorité des gens n’ont même jamais vu Jésus et ne le connaissent que de réputation. D’ailleurs l’accueil des familles qui se recomposent pour la fête entraîne de nombreuses occupations de toutes sortes.

En tout cas, une foule s’amasse autour de Jésus, certains étendent leurs manteaux sur le chemin, d’autres coupent des branches d’arbres et en jonchent la route. Et on se met à chanter:

“Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux !”

Tous les indices convergent: cet homme s’appelle “Sauveur” (Iéshouah), il est un descendant de la famille royale de David, il annonce la venue du règne de Dieu, il opère des guérisons miraculeuses. Donc pour une bonne partie du peuple, il est comme un Messie qui vient enfin libérer Israël de l’oppression romaine et apporter la santé aux malades.

Et les braves apôtres autour de leur maître sont fiers comme Artaban de l’entourer comme sa garde rapprochée et de jouir un peu du triomphe qui lui est adressé. Ainsi plus tard les cardinaux défilant derrière le pape sur la place s.Pierre.

Pourtant Jésus s’était toujours démarqué du mouvement des résistants (zélotes), il avait toujours manifesté son refus de la violence et ses guérisons étaient peu de choses à côté de ses appels perpétuels à la conversion. Car c’est dans le cœur humain que gît la plus profonde des maladies.

Dans son récit, Jean notera que les gens n’ont pas compris le signe de l’âne par lequel Jésus manifestait qu’il réalisait la prophétie de Zacharie:

“Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations, fille de Jérusalem !
Voici que ton roi s’avance vers toi:
il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon tout jeune.
Il supprimera d’Ephraïm le char de guerre, et de Jérusalem, le char de combat.
Il brisera l’arc de guerre et il proclamera la paix pour les nations”.

De même qu’au début la colombe de son baptême le désignait comme le nouveau Noé qui proclame la fin du déluge des violences, ici à la fin l’âne signifie à tous qu’il est le vrai Salomon, le roi de paix (shalôm), qui vient supprimer les armements et unir l’humanité tout entière dans son amour.

Mais les hommes, hélas, écoutent plus volontiers les appels des dictateurs à écraser l’ennemi que les supplications à travailler d’abord à leur changement personnel. “Aux armes, citoyens” fait plus vibrer les multitudes que les psaumes et les cantiques.

Pourquoi ? Pour quoi Jésus entre-t-il à Jérusalem ?

Puisqu’il sait qu’en entrant en ville, il court un danger mortel, pourquoi Jésus y pénètre-t-il ?

Il serait absurde de le supposer poussé par un instinct suicidaire. Il serait aberrant de croire qu’il veut obéir à son Père qui exigerait de lui qu’il se laisse tuer afin d’expier les péchés des hommes. Abraham et les Ecritures lui ont appris que Dieu interdit strictement les sacrifices d’êtres humains.

Jésus entre afin de poursuivre à terme la mission que Dieu lui a confiée d’annoncer l’approche de son Règne et qu’il a commencée à travers les villages de Galilée. Maintenant le moment est venu de la réaliser dans la capitale Jérusalem.

Va-t-il se diriger vers la citadelle de Ponce Pilate et déclencher l’insurrection ? Non. Va-t-il s’enfoncer dans le quartier mal famé et proférer l’anathème contre les filous, les débauchés, les impies ? Non plus.

Au contraire il se dirige vers le lieu le plus sacré, le temple, il entre sur l’esplanade et muni d’une corde, fouette les animaux en vente et renverse les comptoirs des changeurs de monnaie. Contrairement aux représentations de certains peintres, Jésus ne frappe personne. Mais il crie:

“ Il est écrit: Ma Maison sera appelée maison de prière mais vous, vous en faites une caverne de bandits”.

Donc le problème essentiel n’est pas d’abord politique ni moral mais religieux. Si les hommes édifient un Temple, il ne suffit pas d’une architecture grandiose ni de célébrations fastueuses. On n’achète pas la grâce de Dieu à coup de sacrifices d’animaux, d’oboles généreuses, de rites solennels alors que d’autre part on en interdit l’entrée aux personnes handicapées soupçonnées de péché.

C’est pourquoi si Jésus chasse le bétail, aussitôt il guérit des aveugles et des boîteux afin qu’ils accèdent à la Présence divine. L’accueil d’un pauvre vaut plus que mille cierges.

Cet esclandre, c’est sans doute le geste de trop, l’action qui va exacerber la furie des autorités et sceller la mise à mort prochaine de Jésus.

Celui-ci sort et va passer la nuit chez des amis à Béthanie. Le lendemain matin, revenant en ville, il a ce curieux geste: il maudit un figuier qu’il découvre sans fruit. La signification parabolique en est évidente.

Dans la région, on voyait souvent des vignobles au milieu desquels les paysans avaient planté un figuier pour s’y reposer à l’ombre. Les rabbins y voyaient une image: Israël était la vigne préférée de Dieu et, en son centre, le Temple se dressait comme asile, lieu de paix et de louange.

Jésus veut expliquer que ce Temple est fini puisque sa beauté, ses fastes et ses sacrifices ne parviennent pas à convertir le peuple. Le temple est magnifique mais stérile. Un figuier n’est planté que pour ses fruits: Dieu ne se plait au culte que s’il produit non des pratiquants pieux mais des pratiquants du droit et de la justice.

C’est pourquoi, bravant toutes les menaces, il va en ces prochains jours s’installer sur l’esplanade et “enseigner” le peuple qui se presse autour de lui (21, 23). Plusieurs groupes des autorités vont venir le harceler de questions pour le déstabiliser mais il répondra toujours avec justesse. Le temple retrouve sa vérité: lieu de proclamation de la Parole de Jésus, espace d’enseignement de l’Evangile.

Conclusion

Aujourd’hui en ce dimanche des Rameaux, Jésus vient et nous ne pouvons pas célébrer la procession prévue et agiter nos branches de buis.

Mais nous méditons cette scène dans le livre des Ecritures. Privé de rites, nous pouvons être d’autant plus attentifs au comportement de Jésus et à son enseignement.

Oui il est vraiment le Messie, celui qui vient de la part de Dieu pour apporter la paix à toutes les nations. Il ne s’adresse pas aux Grands de ce monde: au contraire il s’adresse à son temple, à son Eglise qu’il veut purifier. Qu’elle ne s’enorgueillisse pas de la beauté hiératique de ses processions mais qu’elle chasse ce qui n’a pas lieu d’y être afin d’être accueillante aux malades et aux pauvres qui ne s’y sentent pas toujours bien accueillis.

Qu’elle fasse silence et qu’elle écoute.

Son Seigneur lui apprend comment être une communion chrétienne authentique, comment elle doit se laisser purifier de toute vanité, de toute suffisance, de toute manœuvre commerciale.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Le Vieil Homme et la Mer

Scène unique ce vendredi 27 mars à 18 h. Sous une pluie battante, devant la basilique S. Pierre et l’immense place vide, un vieux Pape claudicant, seul, fragile, s’adresse au monde en commentant l’évangile de la tempête apaisée puis offre la bénédiction Urbi et Orbi. Scène jamais vue. Moment intense de prière et de recueillement.

Voici le texte de son homélie: méditation très adaptée en cette semaine sainte.

La scène peut être revue sur kto.tv.

* * * *

« Le soir venu » (Mc 4, 35). Ainsi commence l’Evangile que nous avons écouté.

Depuis des semaines, la nuit semble tomber. D’épaisses ténèbres couvrent nos places, nos routes et nos villes ; elles se sont emparées de nos vies en remplissant tout d’un silence assourdissant et d’un vide désolant, qui paralyse tout sur son passage : cela se sent dans l’air, cela se ressent dans les gestes, les regards le disent. Nous nous retrouvons apeurés et perdus.

Comme les disciples de l’Evangile, nous avons été pris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement. Dans cette barque… nous nous trouvons tous. Comme ces disciples qui parlent d’une seule voix et dans l’angoisse disent : « Nous sommes perdus » (v. 38), nous aussi, nous nous apercevons que nous ne pouvons pas aller de l’avant chacun tout seul, mais seulement ensemble.

Il est facile de nous retrouver dans ce récit. Ce qui est difficile, c’est de comprendre le comportement de Jésus. Alors que les disciples sont naturellement inquiets et désespérés, il est à l’arrière, à l’endroit de la barque qui coulera en premier. Et que fait-il ? Malgré tout le bruit, il dort serein, confiant dans le Père – c’est la seule fois où, dans l’Evangile, nous voyons Jésus dormir –. Puis, quand il est réveillé, après avoir calmé le vent et les eaux, il s’adresse aux disciples sur un ton de reproche : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».

Cherchons à comprendre. En quoi consiste le manque de foi de la part des disciples, qui s’oppose à la confiance de Jésus ? Ils n’avaient pas cessé de croire en lui. En effet, ils l’invoquent. Mais voyons comment ils l’invoquent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? ». Cela ne te fait rien : ils pensent que Jésus se désintéresse d’eux, qu’il ne se soucie pas d’eux.

Entre nous, dans nos familles, l’une des choses qui fait le plus mal, c’est quand nous nous entendons dire : “Tu ne te soucies pas de moi ?”. C’est une phrase qui blesse et déclenche des tempêtes dans le cœur. Cela aura aussi touché Jésus, car lui, plus que personne, tient à nous. En effet, une fois invoqué, il sauve ses disciples découragés.

L’humanité secouée par la pandémie

La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté.

La tempête révèle toutes les intentions d’ “emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité.

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos “ego” toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».

Seigneur, ce soir, ta Parole nous touche et nous concerne tous. Dans notre monde, que tu aimes plus que nous, nous sommes allés de l’avant à toute vitesse, en nous sentant forts et capables dans tous les domaines. Avides de gains, nous nous sommes laissé absorber par les choses et étourdir par la hâte.

Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres et à des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravement malade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans un monde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons : “Réveille-toi Seigneur !”.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».
Seigneur, tu nous adresses un appel, un appel à la foi qui ne consiste pas tant à croire que tu existes, mais à aller vers toi et à se fier à toi.

Durant ce Carême, ton appel urgent résonne : “Convertissez-vous”, « Revenez à moi de tout votre cœur » (Joël 2, 12). Tu nous invites à saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix.

Ce n’est pas le temps de ton jugement, mais celui de notre jugement : le temps de choisir ce qui importe et ce qui passe, de séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres.

Et nous pouvons voir de nombreux compagnons de voyage exemplaires qui, dans cette peur, ont réagi en donnant leur vie. C’est la force agissante de l’Esprit déversée et transformée en courageux et généreux dévouements.

C’est la vie de l’Esprit capable de racheter, de valoriser et de montrer comment nos vies sont tissées et soutenues par des personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues ni n’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en train d’écrire aujourd’hui les événements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières, employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forces de l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant et tant d’autres qui ont compris que personne ne se sauve tout seul.

Face à la souffrance, où se mesure le vrai développement de nos peuples, nous découvrons et nous expérimentons la prière sacerdotale de Jésus : « Que tous soient un » (Jn 17, 21). Que de personnes font preuve chaque jour de patience et insuffle l’espérance, en veillant à ne pas créer la panique mais la coresponsabilité !

Que de pères, de mères, de grands-pères et de grands-mères, que d’enseignants montrent à nos enfants, par des gestes simples et quotidiens, comment affronter et traverser une crise en réadaptant les habitudes, en levant les regards et en stimulant la prière !

Que de personnes prient, offrent et intercèdent pour le bien de tous. La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes !

« Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? ».

Le début de la foi, c’est de savoir qu’on a besoin de salut. Nous ne sommes pas autosuffisants ; seuls, nous faisons naufrage : nous avons besoin du Seigneur, comme les anciens navigateurs, des étoiles.

Invitons Jésus dans les barques de nos vies. Confions-lui nos peurs, pour qu’il puisse les vaincre. Comme les disciples, nous ferons l’expérience qu’avec lui à bord, on ne fait pas naufrage.

Car voici la force de Dieu : orienter vers le bien tout ce qui nous arrive, même les choses tristes. Il apporte la sérénité dans nos tempêtes, car avec Dieu la vie ne meurt jamais.

Le Seigneur nous interpelle et, au milieu de notre tempête, il nous invite à réveiller puis à activer la solidarité et l’espérance capables de donner stabilité, soutien et sens en ces heures où tout semble faire naufrage. Le Seigneur se réveille pour réveiller et raviver notre foi pascale.
Nous avons une ancre : par sa croix, nous avons été sauvés.
Nous avons un gouvernail : par sa croix, nous avons été rachetés.
Nous avons une espérance : par sa croix, nous avons été rénovés et embrassés afin que rien ni personne ne nous sépare de son amour rédempteur.

Dans l’isolement où nous souffrons du manque d’affections et de rencontres, en faisant l’expérience du manque de beaucoup de choses, écoutons une fois encore l’annonce qui nous sauve : il est ressuscité et vit à nos côtés. Le Seigneur nous exhorte de sa croix à retrouver la vie qui nous attend, à regarder vers ceux qui nous sollicitent, à renforcer, reconnaître et stimuler la grâce qui nous habite.

N’éteignons pas la flamme qui faiblit (cf. Is 42, 3) qui ne s’altère jamais, et laissons-la rallumer l’espérance.

Embrasser la croix, c’est trouver le courage d’embrasser toutes les contrariétés du temps présent, en abandonnant un moment notre soif de toute puissance et de possession, pour faire place à la créativité que seul l’Esprit est capable de susciter. C’est trouver le courage d’ouvrir des espaces où tous peuvent se sentir appelés, et permettre de nouvelles formes d’hospitalité et de fraternité ainsi que de solidarité.

Par sa croix, nous avons été sauvés pour accueillir l’espérance et permettre que ce soit elle qui renforce et soutienne toutes les mesures et toutes les pistes possibles qui puissent aider à nous préserver et à sauvegarder. Étreindre le Seigneur pour embrasser l’espérance, voilà la force de la foi, qui libère de la peur et donne de l’espérance.

Chers frères et sœurs, de ce lieu, qui raconte la foi, solide comme le roc, de Pierre, je voudrais ce soir vous confier tous au Seigneur, par l’intercession de la Vierge, salut de son peuple, étoile de la mer dans la tempête. Que, de cette colonnade qui embrasse Rome et le monde, descende sur vous, comme une étreinte consolante, la bénédiction de Dieu.

Seigneur, bénis le monde, donne la santé aux corps et le réconfort aux cœurs. Tu nous demandes de ne pas avoir peur. Mais notre foi est faible et nous sommes craintifs.
Mais toi, Seigneur, ne nous laisse pas à la merci de la tempête. Redis encore : « N’ayez pas peur » (Mt 28, 5). Et nous, avec Pierre, “nous nous déchargeons sur toi de tous nos soucis, car tu prends soin de nous” (cf. 1 Pierre 5, 7).

5ème dimanche de Carême – Année A – 29 mars 2020 – Évangile de Jean 11, 1-45

ÉVANGILE DE JEAN 11, 1-45

Réanimation n’est pas Résurrection

Les dimanches précédents nous ont rappelé que Jésus désaltère notre soif de vie, nous permet d’adorer le Père et qu’il est le Sauveur du monde (La Samaritaine) ; qu’il est la vraie Lumière qui nous sort des ténèbres (L’Aveugle-né). Mais alors se lève une interrogation: pourquoi ne nous libère-t-il pas de la mort ?

Aujourd’hui le 3ème grand texte de Jean nous aide un peu à comprendre et nous prépare au mystère pascal. Il est nécessaire de rappeler ce qui se passe avant et après cet événement.

Retour à la case départ : le Baptême.

Pendant les deux dernières grandes fêtes de l’année (fête des Tentes et Dédicace – Jn 7-10), Jésus a affirmé comme jamais son identité : « Je suis…Mon Père et moi nous sommes un » ». Qu’est-ce à dire ? Pour les autorités, il y a là un blasphème intolérable et on a voulu le lapider. Jésus s’est enfui avec ses disciples et est retourné au lieu de son baptême. Au gué du Jourdain il médite : c’est ici, avec Jean-Baptiste, que l’aventure a commencé lorsque son Père l’a envoyé en mission. Depuis lors, prédications et guérisons n’ont pas suffi à convaincre et à présent la menace de mort se précise. Que faire ?…A quoi oblige l’engagement du baptême ?

Appel : l’homme meurt

Un jour on lui transmet un appel de la part des deux sœurs qui habitent à Béthanie, village près de Jérusalem : « Notre frère Lazare que tu aimes est très malade ». Sous-entendu : c’est grave, viens vite le guérir. Néanmoins pendant deux jours, Jésus ne réagit pas. Le 3ème jour enfin, il annonce : « Allons en Judée ». Les disciples sursautent : « Retourner là-bas où on cherche à te tuer ? ». Jésus leur dit : « Lazare est mort et si je me réjouis de n’avoir pas été là, c’est pour vous: pour que vous croyiez ». Thomas lance aux autres : « Allons-y et nous mourrons avec lui ».

Manifestement pour Jésus, l’évitement de la mort – même d’un ami très cher – n’est pas la solution. « Réveiller » Lazare a pour but que les disciples croient en lui. Et il sait qu’il court lui-même un danger mortel. Thomas soupçonne que ses disciples à leur tour devront eux aussi donner leur vie.

Jésus rencontre Marthe

Quand Jésus arrive à Béthanie, Lazare est mort depuis 4 jours et selon la coutume, mis au tombeau le jour même. Beaucoup de gens sont venus manifester leur sympathie aux deux sœurs en deuil. Marthe apprend que Jésus est resté à l’entrée du village et elle vient à sa rencontre :

Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. Mais je sais que maintenant Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas. – Ton frère ressuscitera. – Oui je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection. – Moi, je suis la résurrection. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. Et tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? – Oui, Seigneur, tu es le Messie, je le crois, le Fils de Dieu. »

Les deux sœurs vont reprendre le cri universel devant l’horreur et le scandale de la mort : « S’il y avait un bon Dieu, tout cela n’arriverait pas ! ». Cependant Marthe, comme les pharisiens, croit à la résurrection finale. Mais Jésus lui fait une révélation inouïe par une de ces fameuses phrases en « Je suis » employées par Jean afin de percer le mystère de cet homme Jésus: « Je suis la résurrection. Celui qui croit en moi continuera à subir la mort corporelle mais il aura une Vie divine, éternelle sur laquelle la mort n’aura jamais prise ». L’unique condition pour recevoir ce don : croire en Jésus, Messie, Fils de Dieu, Seigneur.

Marthe la croyante va prévenir sa sœur : qu’elle aille elle aussi rencontrer et écouter Jésus. Car apprendre que l’on peut recevoir une Vie inaltérable rend missionnaire. La Samaritaine ne faisait-elle pas de même ? Tout être humain est appelé à partager cette Vie nouvelle. Tout disciple, même sans en connaître les moyens, doit ressentir cette envie de communiquer cette foi vivifiante.

Jésus rencontre Marie

Marie se lève et sort en hâte vers Jésus. Croyant qu’elle se rend au tombeau, des gens la suivent. Marie se jette aux pieds de Jésus : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. ».

Quand Jésus vit qu’elle pleurait et que les gens venus avec elle pleuraient aussi, il fut bouleversé d’une émotion profonde… Il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? – Viens voir, Seigneur ». Alors Jésus pleura. Les gens disaient : « Voyez comme il l’aimait ».

Autant Jean fait pressentir la condition divine de Jésus, autant il insiste fréquemment sur son humanité véritable. Jésus est un homme authentique qui éprouve, mille fois plus que nous, nos désirs et nos émotions. Lazare était son ami très cher et sa disparition le bouleverse. D’autant que Marie et l’entourage éclatent en lamentations bruyantes. Chagrin immense de l’humanité qui pleure un ami, un frère, un enfant disparu. Souffrance indicible de Dieu qui voit l’humanité, son chef-d’œuvre, être esclave impuissante de la dictature de la mort. Quand nous sommes frappés par le deuil, n’oublions pas : « Jésus pleure ». La foi chrétienne n’a rien d’un stoïcisme qui croit que la sainteté consiste à tout supporter de façon imperturbable.

Jésus au tombeau

Repris par l’émotion, Jésus arrive au tombeau : une grotte fermée par une pierre. Il dit : «  Enlevez la pierre. » Marthe lui dit : « Seigneur, il sent déjà : voilà 4 jours qu’il est là ». Jésus lui répond : « Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la Gloire de Dieu ? ». On enleva la pierre.

Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je savais que tu m’exauces toujours, mais si j’ai parlé, c’est pour cette foule autour de moi : afin qu’ils croient que tu m’a envoyé ».

Il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ». Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le et laissez-le aller ».

La forme du tombeau et les vêtements évoquent déjà ceux de Jésus au Golgotha. Jésus prie non pour obtenir de Dieu une force nouvelle mais pour manifester que Père et Fils agissent de concert pour rendre la vie à l’homme. Et c’est par le cri de sa Parole que Jésus agit.

Lazare surgit debout : va-t-il nous raconter ce qui se passe dans l’au-delà ? Allons-nous enfin savoir ? Non, Lazare se tait. Il est rendu à l’affection de ses sœurs mais il ne bénéficie que d’un sursis. Il va retrouver joies et soucis et à nouveau maladie et mort.

On ne devrait plus parler de « la résurrection de Lazare » mais de sa réanimation. Jésus, lui, ressuscitera réellement et ce sera absolument différent : Dieu le relèvera, la pierre sera roulée sans intervention humaine, bandelettes et suaire (la mentonnière qui ferme la bouche) giseront là. Jésus n’aura pas une prolongation mais il participera de la Vie toute nouvelle, il retrouvera, vivant, ses disciples sidérés et incrédules, parlera à Marie-Madeleine et aux disciples d’Emmaüs.

La sortie de Lazare n’est qu’une parabole, un « signe », le dernier de la série des 7 signes que Jean a racontés dans son évangile. Non « des miracles » qui éblouissent et figent dans l’admiration. Mais « pour que nous aussi nous croyions que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu » (20, 31).
Le récit de la revivification de Lazare va se terminer sur une conséquence tragique.

Conséquence : la mort de Jésus

Beaucoup crurent en lui et certains allèrent raconter aux Pharisiens ce que Jésus avait fait. On réunit un conseil : « Cet homme fait beaucoup de signes. Si nous le laissons continuer, tous croiront en lui, les Romains interviendront et ils détruiront le temple et notre nation ! ». Caïphe, grand prêtre en cette année-là, dit : « Vous ne comprenez rien. Votre avantage, c’est qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas ».

C’est ce jour là qu’ils décidèrent de le faire périr. Jésus se retira dans la ville d’Ephraïm avec ses disciples.

A Béthanie, des croyants se réunissaient autour de Jésus qui rend la vie à l’homme. A Jérusalem, les autorités se réunissent pour décider la mort d’un homme. Caïphe craint que le peuple, enflammé par les prouesses de Jésus, se soulève contre l’occupant. Ce sera la révolution que Rome écrasera : ville et temple seront détruits. Jésus sera donc victime d’un crime d’Etat décidé à supprimer un individu qui lui paraît dangereux pour l’ordre public. Mais Jean donne l’interprétation de cette sentence :

« Comme grand prêtre, Caïphe fit cette prophétie : il fallait que Jésus non seulement meure pour la nation mais pour réunir dans l’unité les enfants de Dieu dispersés ».

Jésus se donne parce qu’il aime tous les Lazare et par sa Pâque – mort et résurrection – il va attirer à lui tous les hommes qui croient en lui. Il parvient à fuir et il reviendra dans quelques jours : alors il s’offrira comme l’agneau pascal qui libère l’humanité de la mort éternelle. Mystérieux échange !

Relisons le texte : combien de fois dit-on que Jésus « aime » l’homme et qu’il faut « croire » en lui ?…

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Coincé, tourné vers le passé et gentil : C’est cela être chrétien ?

Laurent Fourquet – 10 mars 2020 – site Aleteia

Les chrétiens passent volontiers aux yeux du monde pour des coincés nostalgiques, gentiment inoffensifs. Cette vision imaginaire du christianisme rencontre une certaine complicité de la part des catholiques qui renoncent à être le sel de la terre. Pourtant les chrétiens sont attendus et espérés, car ils sont les seuls à pouvoir porter, au nom de leur foi, ce refus sans concession du monde de la consommation généralisée.

L’antichristianisme foncier des sociétés occidentales contemporaines, loin d’être superficiel ou anecdotique, exprime une vérité de fond sur celles-ci. En tout et partout, nos sociétés valorisent l’appropriation des autres et des choses et font de cette appropriation la condition de la sagesse et du bonheur. Mais les chrétiens sont-ils eux-mêmes exempts de toute responsabilité dans cet antichristianisme « de principe » qui s’installe progressivement dans notre monde ?

Si les chrétiens portent quelque responsabilité dans l’antichristianisme contemporain, (…) c’est surtout parce qu’ils sont ce qu’ils sont et que ce qu’ils sont ne va pas.

Être chrétien aux yeux du monde : coincé et gentil

« Ils sont ce qu’ils sont » : pour comprendre cette expression, il faut s’interroger sur ce qu’être chrétien signifie dans notre monde.
…Être chrétien, c’est croire au Christ ressuscité…Dans les faits, la foi au Christ ressuscité ne correspond pas du tout à la représentation que notre monde se fait d’un chrétien.

Pour le monde, il y a en réalité trois modalités qui expriment, aujourd’hui, l’appartenance au christianisme :
la première, c’est l’affirmation, sinon la pratique, d’une morale sexuelle jugée « rigoriste » puisque personne ne s’en réclame en dehors des chrétiens ;
la seconde, c’est l’appartenance à une identité culturelle « chrétienne », mélange vague de clochers de village, de messes de minuit et de Requiem de Mozart, autrement dit la mémoire et l’art ;
la troisième, enfin, c’est un effort de spiritualisation de la morale des droits de l’homme commune à tous ceux qui se réclament de l’humanisme occidental.

Etre chrétien aux yeux du monde, c’est être coincé, tourné vers le passé et sagement gentil.

Il est bien certain que beaucoup de chrétiens occidentaux …vivent leur foi avec une sincérité et une profondeur admirables. Dieu seul, du reste, connaît le secret des âmes. Mais notre propos porte sur la représentation collective du christianisme dans notre monde.

Irritants mais inoffensifs

Ainsi se dessine un christianisme pour notre temps que notre époque prend sérieusement pour le christianisme. Un « christianisme imaginaire », suffisamment agaçant dans son refus obstiné de ne pas sacrifier aux nouveaux dieux de l’empire, en matière de « libération sexuelle » et de nostalgie du passé notamment, pour provoquer la détestation, suffisamment indigent, sur le plan de l’esprit, pour appeler le mépris.

Soyons honnêtes : malgré nos efforts pour casser ces représentations et tenter d’expliquer que le christianisme parle de tout autre chose, nous sommes tous, par moment, sinon complices, du moins résignés à cette représentation d’un christianisme décoloré, exsangue, réduit à quelques caricatures, une nostalgie et des bons sentiments.

Vivre enfin la vraie vie de Dieu

Or, soyons en assurés : rien ne changera dans le processus de déclin du christianisme occidental tant que, vaille que vaille, les chrétiens en Occident se conformeront dans leur ensemble à cette triple assignation. Car celle-ci ressemble à la foi chrétienne à peu près comme des ruines ressemblent à la vie.

Je ne choisis pas cette comparaison au hasard. Le christianisme est, en effet, par excellence, la religion de la vie, de la vie de l’âme en particulier, appelée à prendre conscience de ses péchés pour éprouver cette métamorphose inouïe du pardon et du libre amour de Dieu qui lui donne son Salut.

Qu’il y a loin de cette vie de l’âme, de cette révélation bouleversante de l’amour de Dieu, au statut officiel que ce monde assigne au christianisme, centré sur la chambre à coucher, les nostalgies d’antiquaires et les platitudes bien pensantes ! 

Si le christianisme est la religion de la vie, alors il faut le vivre.

Pour cela, il faut se désencombrer des soucis qui obsèdent la majorité de nos contemporains, occupés en permanence à s’approprier un bout du monde, le plus grand possible, puisque, selon l’idéologie dominante, plus étendue est l’appropriation des autres et du monde que l’on exerce plus l’on est puissant, et plus l’on est puissant plus l’on existe.

Vivre le christianisme, au contraire, c’est, quoi qu’il advienne autour de nous, dépasser les soucis de ce monde, respirer spirituellement, se vider de tout le tohu-bohu hystérique pour permettre à l’Esprit de faire sa demeure en nous et vivre enfin, vivre véritablement, de la vie de Dieu.

Où les chrétiens sont attendus et espérés

Car le véritable clivage entre notre société et la vérité chrétienne est là et nulle part ailleurs :
d’un côté, un besoin compulsif de consommer le monde, c’est-à-dire aussi de posséder et de dominer, parce que, croit-on, on ne se réalise, on ne s’épanouit que par la possession et la domination au service de la consommation ;
de l’autre, un appauvrissement volontaire de l’âme qui se fait écoute et regard, écoute du verbe divin, regard de reconnaissance pour cet univers qui nous est donné, à condition que nous accueillions ce don sous les auspices de la gratitude.

À l’aune de cette lutte entre deux principes opposés, comme les petites controverses sur notre fidélité respective au passé ou au présent s’avèrent soudain dérisoires ! Et comme le site assigné au christianisme par le monde actuel se révèle une ridicule imposture !

Mais pour en avoir conscience, il faut s’échapper résolument de cette prison, pour entrer dans le combat que je viens de décrire et où les chrétiens sont attendus et même espérés, y compris par des esprits très éloignés, en apparence, du christianisme, car les chrétiens sont seuls à pouvoir porter, au nom de leur foi, ce refus sans concession du monde de la consommation généralisée.

Face à la machine nihiliste qui réduit l’univers à la marchandise, ils sont seuls à pouvoir opposer la beauté et la gratuité du don, de Dieu aux hommes, des hommes entre eux lorsqu’ils se décident à s’aimer vraiment.

Mais voulons-nous vraiment nous opposer à la machine ? Et croyons-nous suffisamment au Christ pour porter ce combat ? Tout est là.

Des lampes dans la nuit

Si, cessant de raser les murs ou de rêver à d’impossibles restaurations, nous faisons ce choix, alors soyons en sûrs : là où, actuellement, l’égoïsme et le culte de l’intérêt personnel font croître le désert, là où, au fur et à mesure que l’on possède, le besoin de posséder tyrannise davantage, on verra renaître la fraîcheur de la reconnaissance et de la charité vraie, et les chrétiens seront à nouveau ces lampes dans la nuit et ce sel dont parlent les Écritures.
Qu’ils soient suivis par beaucoup ou par peu, il n’y aura pas, cette fois, maldonne : c’est bien du Christ dont il aura été question.

Laurent FOURQUET

Auteur de :
L’ère du consommateur.
Le christianisme n’est pas un humanisme.

4ème dimanche de Carême – Année A – 22 mars 2020 – Évangile de Jean 9, 1-41

ÉVANGILE DE JEAN 9, 1-41

Je ne sais qu’une chose : JE VOIS

Les premiers évangiles racontent que Jésus a accompli des guérisons et notamment rendu la vue à certains aveugles. Que ce bienfait soit limité à quelques-uns montre que si l’intégrité physique est importante, elle ne constitue pas tout le salut de l’homme. Voir est une qualité merveilleuse : voir qui est Jésus, voir qu’il sauve notre existence, voir comment nous devons vivre est une grâce bien plus essentielle. C’est pourquoi Jean fait d’un miracle physique une parabole : le baptême est une vision nouvelle, l’entrée dans la Lumière du Christ.

Pas de problème du mal

A la sortie du temple où il a été rejeté par les autorités et où on a même voulu le lapider, Jésus voit un mendiant dont on sait qu’il est né aveugle. Les disciples lui posent une question débattue chez les scribes : puisqu’on ne peut accuser Dieu, quel péché explique ce drame ? Jésus rejette fermement cette idée :

« Ni lui ni ses parents n’ont péché. Mais l’action de Dieu doit se manifester en lui. Il faut accomplir l’action de Celui qui m’a envoyé pendant qu’il fait jour car la nuit approche. Tant que je suis dans le monde, je suis la Lumière du monde ». Jésus crache par terre et avec la salive il fait un peu de boue qu’il applique sur les yeux de l’aveugle. Il l’envoie se laver à la piscine de Siloé. L’aveugle y alla : quand il revint, il voyait !

Jésus ne discute jamais sur « le problème du mal » et ne cherche à culpabiliser. Quand il voit des malades et handicapés, il ne disserte pas sur le « pourquoi ? » mais il est interpelé lui-même et se demande : « pour que je fasse quoi ? ». Il ne remonte pas dans le passé (objet de la science): il reçoit une tâche pour le présent. Le malheur de l’autre provoque à agir et même « à se salir les mains ».

La médecine de l’antiquité croyait à la vertu curative de la salive pour les soins des yeux : Jésus, lui, veut rectifier une anomalie de la création – d’où cet usage de la boue. L’aveugle est un Adam qu’il faut re-créer. Pour cela, qu’il aille se laver à la piscine de Siloé (mot qui signifie « envoyé »).

L’acte thérapeutique prend tout son sens. L’homme qui fait confiance à Jésus, qui admet les ténèbres dans lesquelles il est plongé de naissance, qui se laisse travailler par lui et va se plonger dans la piscine du baptême de Jésus l’Envoyé devient un homme éclairé, illuminé, nouveau. Il va commencer à comprendre que Jésus est plus qu’un médecin mais « la Lumière du monde ».

Division de l’entourage

L’entourage discutait : « N’est-ce pas le mendiant ? Oui c’est lui…Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. Et l’homme répétait : « C’est bien moi ! L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, m’a frotté les yeux, m’a envoyé à Siloé et j’ai vu ! ». On le questionne : « Et où est ce Jésus ? » et il répondait : « Je ne sais pas ».

L’ancien aveugle doit être fou de joie et il s’attend à être porté en triomphe. Eh bien pas du tout ! Guérir un aveugle-né ; c’est chose impossible ! Il avait un sosie !…Car un homme qui reçoit les yeux de Jésus, qui se convertit, sème la pagaïe ! Et ce n’est pas fini : l’homme va en faire la dure expérience. D’autant que Jésus semble avoir disparu. Le baptisé est seul, parfois soupçonné de mensonge. Cependant il répète : « C’est moi » comme s’il avait enfin trouvé sa vraie personnalité.

Procès devant les Pharisiens

On amène l’homme aux pharisiens et ils étaient divisés sur Jésus: « Cet homme ne vient pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat » D’autres disaient : « Comment un pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? ». Ils questionnent l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui ? – C’est un prophète ! ».

Alors ils convoquent ses parents : « Est-ce votre fils ? Est-il né aveugle ? Comment se fait-il qu’il voie ? ». Ils répondent : « Oui c’est notre fils, né aveugle. Mais comment se fait-il qu’il voie, nous ne savons pas. Il est assez grand pour s’expliquer ». Ses parents parlaient ainsi par peur des Juifs qui avaient décidé d’exclure de la synagogue ceux qui déclaraient que Jésus est le Messie ».

Division des voisins puis des pharisiens et maintenant abandon des parents. L’homme qui a accepté la lumière de Jésus plonge dans la nuit des disputes, des altercations et même il ne peut compter sur le soutien de ses parents. En fait Jean anticipe un interdit qui n’aura cours qu’à la fin du siècle : lorsqu’il écrit son évangile, les autorités refusaient l’accès des synagogues aux convertis chrétiens toujours décidés de les fréquenter.

Jésus avait averti : « Prenez garde aux hommes : ils vous livreront aux tribunaux…Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant … Vous serez haïs de tous à cause de mon Nom. Mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » (Matt 10, 17).

Seconde session du tribunal

– Les pharisiens convoquent à nouveau l’ancien aveugle : « Rends gloire à Dieu ! Nous, nous savons que cet homme est un pécheur ».
– L’homme répond : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle et maintenant je vois » – Eux : « Comment a-t-il fait ? » – Je vous l’ai dit : vous n’avez pas écouté ? Vous voulez entendre une 2ème fois ? Vous voulez devenir ses disciples ? ».
– Ils l’injurient : « Toi, tu es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse ! Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; quant à celui-là nous ne savons pas d’où il est ».
– Dieu n’exauce pas les pécheurs mais seulement ceux qui font sa volonté. Jamais on n’a entendu dire qu’un homme ait ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire »
– Toi, tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance et tu nous fais la leçon ? ». Furieux, ils le jetèrent dehors.

Comment des hommes pieux peuvent-ils avoir un comportement aussi ignoble ? Ces juges somment le prévenu de jurer de dire la vérité et enchaînent en affirmant que eux la connaissent déjà : ce Jésus a enfreint le repos sacré du sabbat, donc il est pécheur car la guérison n’est pas une preuve. Donc celui qui le défend a beau dire : il faut le rejeter. Le procès est faussé d’avance.

Dénoncer une infime dérogation à la Loi pour soigner (ce que beaucoup de rabbins toléraient également) vaut plus que partager le bonheur d’un handicapé guéri ! Aveuglement des intégristes ! Prison des préjugés. L’observance minutieuse de la lettre des préceptes passe avant la charité.

En outre quelle méchanceté envers ce pauvre homme : pour eux naître aveugle est certainement une marque infamante du péché. « Né dans le mal » qu’il y reste ! Le pharisien est buté sur une religion-règlement et condamne ceux qui y manquent ! Et il se croit juste !

Jésus le juste Juge

Jésus apprend que l’homme avait été expulsé et il le retrouve : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » – Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? – Tu le vois : c’est lui qui te parle. – Je crois, Seigneur ». Et il se prosterna devant lui. Jésus dit : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles.
Des pharisiens entendent ces paroles : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? »
Il répond : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais du moment que vous dites : « Nous voyons », votre péché demeure ».

Le nouveau voyant a traversé les épreuves des incompréhensions, des critiques, de l’abandon familial, de la condamnation des autorités. Ce feu a purifié et approfondi sa foi, il est mûr pour comprendre à quelle profondeur il a été guéri et que Jésus est infiniment plus qu’un guérisseur.

Le prophète Daniel (7, 13) avait annoncé la venue d’un mystérieux personnage, fils d’homme – donc homme – mais aussi venant de Dieu et Seigneur qui effectuerait le véritable jugement. Jésus assume cette personnalité et notre aveugle guéri le reconnaît comme tel, le voit et se prosterne à ses pieds.

Il ne subit plus les foudres des juges implacables qui l’excommunient au nom d’observances légales : il découvre le Dieu d’amour qui lui a rendu la vue afin qu’il le reconnaisse librement.

Jésus, « le Fils de l’homme », est venu dans le monde pour révéler la lumière de l’amour : cette révélation est offerte à tous mais elle opère un jugement. Ceux qui la refusent et qui se crispent sur une Loi d’obéissance demeurent dans la nuit de la culpabilité, car tout texte qui oblige condamne d’office celui qui y manque. L’Evangile n’est pas un texte mais une personne. Qui voit le malheur de l’homme, qui compatit, qui éclaire.

Les pharisiens, eux, prétendent être dans la lumière, mais ils sont des aveugles. En ne voyant pas qui est Jésus, en voulant sa disparition et en rejetant ses disciples, ils restent enfermés dans leur aveuglement. Leur cœur dur ne voit pas la clarté de la miséricorde que Jésus apporte. Leur péché demeure.

Conclusion

Les extraordinaires découvertes scientifiques nous promettaient de dissiper peu à peu les ténèbres de notre ignorance et de nous conduire dans la clarté de la vérité et du bonheur. On pouvait assurer que la lumière divine s’était éteinte et proclamer que Dieu est mort.

Or les nuages s’accumulent, les crises politiques, financières, sanitaires s’aggravent, les haines et les guerres s’exacerbent. On a dit à l’homme qu’il est libre – et il ne sait ni comment vivre ni où aller.

Un Fils d’homme est venu et il est la Lumière du monde. Sa mission est de nous guérir de notre cécité native, de nous illuminer par son amour. Il nous prévient que les épreuves ne manqueront pas mais elles auront pour effet de nous faire pénétrer dans le mystère de Jésus et de nous faire progresser sur le chemin de la Lumière.

Le monde a besoin de croyants aux yeux lavés, de cœurs courageux, de témoins lucides qui n’ont pas réponse à tout. Ils se heurtent toujours aux pharisiens enfermés dans leurs convictions (et il y en a partout, même dans les Eglises) mais ils persistent à affirmer haut et fort et dans la joie :

« Je ne sais qu’une chose : j’étais aveugle et maintenant je vois : Jésus est la Lumière du monde ».

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Isabelle Le Bourgeois : « Écouter l’autre jusque dans les profondeurs de son être  est une expérience spirituelle »

De bon matin, le dimanche de Pâques 1981, je suis sortie acheter des croissants et du pain frais pour toute la maisonnée – j’avais invité de la famille et des amis à passer le week-end dans ma résidence secondaire, aux environs de Paris. Il était tôt, trop tôt, la ville d’Anet (Eure-et-Loir) était encore endormie.

Au lieu d’attendre sans rien faire, j’ai décidé de visiter sa très belle petite église qui m’avait déjà tapé dans l’œil. Le seuil à peine franchi, j’ai hésité à faire volte-face… : une messe était célébrée, or cela faisait 17 ans que, volontairement, je n’y avais pas mis les pieds.

Pour être franche, Dieu et moi, on ne s’entendait plus. Ou plutôt : l’image que l’on me renvoyait de lui ne m’intéressait pas. Je sentais confusément que ce n’était pas à ce Dieu-là, considéré comme un élément clé du kit du parfait bourgeois, que je devais m’adresser. Et malgré les injonctions de mes amis cathos – beaucoup plus traditionnels que je ne l’ai jamais été ! – quelque chose en moi résistait, se rebellait.
Non, je ne ferais pas allégeance à un maître tout-puissant et omniscient ; très peu pour moi, l’esprit d’esclave.

Pourquoi, ce jour-là, n’ai-je donc pas tourné les talons et le dos au curé ?

Plus mystérieux encore, pourquoi cette phrase saisie au vol durant son sermon m’a-t-elle bouleversée : « Dieu vous aime et vous ne le savez pas » ? Je ne me l’explique toujours pas !
Mais, à cet instant précis, j’ai vu l’amour de Dieu comme une main qui ne se refermait pas sur l’homme pour le capter mais demeurait grande ouverte. Une main tendue, un cœur offert, à mille lieues des enfantillages anthropomorphistes dont j’avais été abreuvée jusque-là.

Si Dieu m’aimait vraiment d’un amour gratuit et que je ne le savais pas, cela méritait bien que j’aille voir de plus près, quitte à y passer une vie ! Oui, cette parole m’a secoué les tripes au bon endroit, mise au monde. Expérience aussi forte que la naissance – je ne pouvais plus revenir en arrière, de même que l’enfant ne peut pas retourner dans le ventre de sa mère. Huit jours plus tard, je m’en ouvrais au prêtre.

À 34 ans j’aimais mon boulot, je trouvais la vie amusante, mais mon cœur était insatisfait, mon être, inquiet.

Sur le coup, qui fut de foudre, j’ai cru que ma rencontre avec le Dieu vivant venait de nulle part. Avec le recul pourtant, j’ai compris qu’elle répondait à une certaine attente qui me travaillait depuis longtemps et que je n’avais pas formulée.

À 34 ans, j’attendais un « fond », un tout petit peu plus « fond » que la satisfaction intellectuelle de réussir dans les affaires et de gagner de l’argent – j’en avais empoché beaucoup en 14 ans de carrière dans le courtage en assurance, je n’ai pas honte de le dire (rires). Certes, j’aimais mon boulot, je trouvais la vie amusante, mais mon cœur était insatisfait, mon être, inquiet. D’autant que mes relations avec les hommes n’aboutissaient pas et que, surtout, j’avais une vraie résistance à l’idée de passer par les cases mariage et enfants… Comme si être épouse et mère était la seule possibilité pour une femme !

Ma conversion donnait soudain sens à tout cela.

En septembre de la même année, j’ai annoncé au curé d’Anet vouloir être religieuse.

3ème dimanche de Carême – Année A – 15 mars 2020 – Évangile de Jean 4, 5-42

ÉVANGILE DE JEAN 4, 5-42

Seigneur donne-moi ton Eau Vive

Comment faire percevoir en une courte homélie les richesses de la révélation donnée dans cette scène de Jésus avec la Samaritaine, “le chef d’oeuvre de S. Jean” disait un célèbre exégète? Cette petite histoire en dit bien plus que de savants traités. Il faut la lire et la relire et la prier.

La soif d’eau

On vient d’emprisonner Jean, son maître bien-aimé: aussi Jésus, suivi de ses premiers disciples, fuit la Judée et, traversant la Samarie, il fait halte près du puits au pied du mont Garizim. Les disciples montent en ville acheter le ravitaillement. Jésus est seul, meurtri par le sort de son maître, fourbu par la longue marche de la matinée. Il est midi. Sous la chaleur torride, Jésus meurt de soif. Du puits monte le bruissement de l’eau qui coule au fond et qu’on appelle “eau vive” mais que nul instrument ne permet d’atteindre. Jésus est un pauvre.

Tout à coup, descendant la colline, une silhouette: une femme avec une cruche. Heure bizarre car la corvée d’eau a toujours lieu tôt le matin quand la température le permet. Pourquoi cette Samaritaine vient-elle à cette heure curieuse ? Sans doute pour être seule, parce que les autres femmes de la ville ne l’aiment pas. Baissant son voile, elle s’étonne de voir cet inconnu. Silence. Sans un mot, elle accroche sa cruche à la poulie et la remonte toute ruisselante. Tout à coup l’homme lui demande:

– “Donne-moi à boire”.
– Comment toi, un Juif, tu demandes à boire à une Samaritaine?”.

On sait que l’ancien royaume avait connu un schisme et que les relations entre les deux parties (Judée et Samarie) restaient tendues. La réponse de l’homme est énigmatique:

– Si tu savais ce que Dieu veut te donner et qui je suis, c’est toi qui m’aurais demandé et je te donnerais de l’eau vive”
– ?…Tu n’as rien pour puiser : avec quoi prendrais-tu l’eau vive ? Tu te crois plus grand que Jacob qui nous a donné ce puits et y a bu avec ses fils et ses bêtes ?
– L’homme qui boit de cette eau aura encore et toujours soif. Tandis que celui qui boira de l’eau que moi, je lui donnerai, n’aura plus jamais soif car cette eau deviendra en lui source jaillissant pour la Vie éternelle.

Le besoin vital d’eau est commun aux hommes comme aux animaux. Mais, comme dit le philosophe E. Levinas, il faut passer du besoin corporel qui ne s’apaise que pour un temps au désir spirituel, à la singularité humaine. Jésus reprend l’antique comparaison entre eau et Esprit de Dieu: il permet la vie, il purifie, il suscite la fécondité. Mais il ajoute que lui seul peut le donner, gratuitement, si l’être humain le demande librement.

Le désir d’amour

La femme se méprend : cette eau magique serait bien pratique et elle n’aurait plus besoin de faire cette corvée au puits. Mais Jésus va l’aider à passer à un degré supérieur de la réflexion: “Va chercher ton mari et reviens”. C’est-à-dire parlons de la soif de ton coeur: ta soif d’amour. Où en es-tu ?…

Je n’ai pas de mari” répond elle.
– Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari: tu en as eu cinq et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. Tu dis vrai.”

La samaritaine est stupéfaite: qui est cet inconnu qui connaît sa vie tourmentée avec ses échecs et qui, à la différence de ses voisines, ne la méprise pas, ne l’accable pas de reproches mais au contraire, lui fait un compliment, celui d’oser avouer la vérité ? Cet homme serait-il un prophète ?

La quête de Dieu

– Je vois que tu es un prophète. Alors explique-moi. Nos ancêtres ont bâti un temple là-haut sur cette montagne et nous ont dit que c’est là que nous devons adorer Dieu. Vous, les Juifs, vous dites qu’il faut adorer Dieu au temple de Jérusalem. Qui faut-il croire ? Où prier Dieu ?
– Femme, crois-moi. L’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et Vérité …
– ???…Oh, quand le Christ viendra, il nous fera tout connaître.
– Moi qui te parle, je le suis.

Jésus sonne l’heure de la révolution de l’histoire humaine. C’est la fin des lieux sacrés et des villes saintes où il faut se rendre pour trouver Dieu. L’homme qui croit en Jésus, le Sauveur qui lui parle, connaît Dieu comme son Père. Jésus le Fils lui révèle la Vérité et lui donne l’Esprit: donc la prière authentique jaillit de son être. Son corps devient temple.

La mission

Laissant là sa cruche, la femme court en ville et devient missionnaire: “Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait: ne serait-il pas le Christ ?”. Entretemps les disciples reviennent près de Jésus:

– Rabbi, viens manger.
– J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas: faire la volonté de mon Père qui m’a envoyé et accomplir son oeuvre…Levez les yeux, regardez les champs dorés pour la moisson.

Car Jésus a remarqué les gens alertés par la femme et qui descendent de la ville pour venir le voir. Et il use pour ses disciples de la méthode employée avec la femme.

Celle-ci cherchait de l’eau du puits et Jésus lui a proposé l’eau de l’Esprit. Les disciples ont faim du pain ordinaire et Jésus leur apprend que l’aliment qui le fait vivre, c’est obéir à son Père et réaliser sa mission. On nourrira son corps tout à l’heure: la tâche première maintenant, c’est de recevoir ces gens, de les accueillir, de leur apprendre à reconnaître en Jésus le véritable Messie.

Beaucoup de Samaritains crurent en Jésus et ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Ils disaient à la femme: “Ce n’est pas à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons. Nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde”.

Conclusion

Quelle tristesse de ne pouvoir tracer qu’une esquisse de ce texte extraordinaire. Ce qui semble au premier abord une scène banale car trop connue, se révèle comme une révélation des plus profonds mystères. Et quel art pédagogique de Jésus !

Au point de départ une femme (loin d’être une sainte !) accomplit sa corvée quotidienne: quoi de plus simple que d’avoir soif et de devoir aller au puits ? Tout à coup une rencontre impromptue avec un inconnu. Un homme qui a soif aussi. Un pauvre fatigué qui ose avouer qu’il a besoin de la femme et de sa cruche.

Mais ensuite il va tenter de la faire réfléchir à sa soif à elle. Elle a besoin d’eau certes – car l’être humain est un animal – mais au fond d’elle-même elle brûle du désir d’amour. Un désir qu’elle ne peut assouvir, qui la déçoit toujours. N’est-elle qu’une dévergondée en quête d’aventures ? Ce qui la renvoie au mépris des autres qui l’écartent et l’enfoncent dans sa solitude.

L’inconnu la guide: n’es-tu pas toi-même un puits ? Si tu écoutais bien le bruissement de l’Esprit qui coule au fond de toi-même ? Mais attention: l’homme avait besoin de toi pour avoir de l’eau, mais maintenant c’est toi qui a absolument besoin de lui pour déceler cet Esprit.

“Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te parle, tu aurais demandé et il te donnerait l’Eau Vive”.

Certes tu continueras à avoir besoin d’eau, l’Esprit ne te dispensera pas des travaux du jour. Mais il questionnera ton coeur: pourquoi ces échecs d’amour ? Pourquoi ce désir toujours déçu ? Comprends-tu la différence entre le besoin (de tendresse, de plaisir..) et le désir de vraiment aimer c.à.d. de se donner ?

Jésus te connaît, il ne te juge pas, il cherche à t’aider à voir clair, à approfondir le puits de ton désir. Car il a soif de toi, soif passionnée de te libérer de ton idolâtrie, de te sauver par son amour.

Et dans le même élan, il voudrait te faire découvrir le vrai Dieu. Non une présence lointaine enfermée dans un édifice sacré où il attend tes confessions et tes sacrifices. Mais une présence au fond de toi.

Crois donc à ce Jésus inconnu, il fera monter en toi l’eau de l’Esprit qui désaltérera ta soif profonde et t’ouvrira à l’adoration véritable. Par Jésus et l’Esprit, tu pourras prier: “Père” et adorer en Esprit et Vérité.

Tu n’as pas tout compris mais la première gorgée d’Esprit te chamboule et la preuve qu’il est vrai, c’est que tu sens immédiatement que tu dois faire part de cette Bonne Nouvelle aux autres. Ta corvée individuelle devient mission villageoise. “Venez voir cet homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait” (et qui ne m’a pas jetée au fond du puits). “Ne serait-il pas le Messie ?”. La mission est invitation: voulez-vous, vous aussi, croire en Jésus, recevoir l’eau de l’Esprit qui vous purifie et guérit la sécheresse de votre coeur ?

Chef-d’oeuvre de Jean. Inépuisable. D’une profonde humanité. Modèle majeur de la mission de l’Eglise.
Comme Thérèse d’Avila, que notre prière soit: “Seigneur donne-moi ton eau”.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Asia Bibi : « À chaque instant, j’ai gardé Dieu dans mon cœur »

Condamnée à mort pour avoir bu la même eau que des femmes musulmanes, elle aura passé dix ans en prison avant d’être acquittée.

Une Pakistanaise, mère de famille et chrétienne, un petit bout de femme d’une incroyable force, d’une grande résilience et d’une foi profonde. Asia Bibi va venir en France. Reçue par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui l’a faite citoyenne d’honneur de la Ville de Paris, Asia Bibi va rencontrer vendredi Emmanuel Macron, à la demande de l’Élysée, pour lui faire part de sa demande d’asile politique.
Filmée, sollicitée et photographiée sans relâche, Asia Bibi conserve des séquelles de son emprisonnement. Mais en dépit de la fatigue, elle sourit, inlassablement. Si ses réponses sont brèves et parfois laconiques, son visage avenant et chaleureux ainsi que son regard profond témoignent de ce qu’elle a traversé : de longues années de solitude et, parfois, de découragement. Mais aussi de sa foi, sur laquelle elle s’est reposée, sur sa confiance et sa simplicité.

Aleteia : Asia Bibi, quelle est votre histoire ?

Asia Bibi : Mon histoire, vous devez la connaître ! Mais encore aujourd’hui elle me paraît irréelle ! Chrétienne et mère de famille, mon métier était, entre autres, de faire la cueillette comme ouvrière agricole. Ce 14 juin 2009, je me souviens encore de la chaleur qu’il faisait, j’ai bu l’eau du puits dans le même gobelet que d’autres femmes. Deux d’entre elles m’ont accusée d’avoir souillé l’eau parce que j’étais chrétienne. Quelques jours plus tard, j’étais accusée de blasphème. Puis j’ai été jugée et condamnée à mort par pendaison pour blasphème en novembre 2009 et en octobre 2014 la Haute Cour de Lahore a confirmé ma condamnation.

Quand vous apprenez votre condamnation, qu’est-ce qui vous traverse l’esprit à ce moment-là ?

Mes enfants. Ils étaient très jeunes à l’époque, et j’ai ressenti une peine énorme. Je me disais intérieurement que ce n’était pas possible, que je n’avais rien fait.

Condamnée, vous allez passer dix ans en prison. Quel était votre quotidien ?

J’étais très isolée et je faisais tout pour être extrêmement silencieuse. Mais, surtout, à chaque instant j’ai gardé Dieu dans mon cœur. Je priais chaque jour.

Qu’est-ce qui vous a empêché de sombrer ?

J’ai vécu cela comme une épreuve envoyée par Dieu. Quand un être humain est éprouvé, le désir de réussir, de dépasser l’épreuve, est extrêmement fort. J’ai su que la prière allait m’aider en ce sens. Et de nombreux signes m’y ont encouragée. Par exemple, j’ai rêvé une nuit d’un prêtre qui me faisait réciter des versets de la Bible. Quand j’ai ouvert les yeux, je me souviens m’être étonnée de ne plus le voir. Je me suis dit que c’était peut-être Dieu qui m’envoyait un signe pour que j’essaye d’apprendre ces versets qui allaient me soutenir. C’est donc ce que j’ai fait. J’ai lu les Évangiles très régulièrement.

Un passage de la Bible vous a-t-il particulièrement soutenu ?

Oui, la parole qui me revenait sans cesse était : « Le Seigneur est ton refuge ». À chaque fois, c’était le premier psaume sur lequel je tombais. (cf. texte ci-dessous)

Votre mari, Ashiq, a également été un soutien fidèle…

Oui, il a été un pilier pour moi durant toutes ces années. Il ne m’a jamais lâché la main, malgré les menaces et les difficultés. C’est lui qui m’a appris qu’une journaliste, Anne-Isabelle Tollet, s’était exprimée la première en mon nom. C’est lui qui m’a dit que de nombreuses personnes s’intéressaient à mon cas. C’est lui aussi qui m’a appris que le Pape priait pour moi. Je me souviens en avoir ressenti une joie intense ! Nos enfants faisaient partie des sujets que nous évoquions le plus souvent. À cause des menaces qui pesaient sur eux, je n’ai pas pu les voir souvent.

Vous êtes finalement acquittée à l’automne 2019 mais une vague de manifestations sans précédent vous empêche de quitter le pays tout de suite. Que ressentez-vous face à ce déferlement de haine ?

Ma libération a exacerbé les tensions d’une manière effrayante. Mais le plus dur était que je pouvais les entendre. J’entendais tout ce qu’ils disaient. Je pouvais les entendre scander ma mise à mort. Par tous les moyens. Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai gardé ma force. Je n’avais pas peur.

Avez-vous pardonné à ceux qui vous ont condamné ?

Oui, je leur ai pardonné. J’ai pardonné ces dix années en prison, loin de ma famille. Du fond de mon cœur, je leur ai pardonné.

Dans la cellule que vous avez occupée pendant dix ans se trouve aujourd’hui une chrétienne, Shagufta Kousar, condamnée à mort à la suite d’une accusation de blasphème…

Shagufta Kausar est aussi mère de famille et elle est accusée avec son mari d’avoir envoyé des SMS blasphématoires. Une accusation d’autant plus invraisemblable qu’ils ne savent pas écrire. Au-delà de Shagufta, ce sont tous celles et ceux qui sont encore aujourd’hui en détention qui doivent être aidés. C’est mon combat aujourd’hui : la loi anti-blasphème doit être réformée. C’est à cela que je souhaite dédier ma vie désormais.

Vous avez reçu hier la citoyenneté d’honneur de la Ville de Paris et vous avez également indiqué vouloir demander l’asile politique à Emmanuel Macron. Pourquoi la France ?

La France m’est très chère parce que c’est à partir de la France qu’on a parlé en mon nom. C’est la France qui m’a donné l’identité d’Asia Bibi. Je dois dire aussi que les bâtiments anciens, notamment la cathédrale de Paris qui a traversé tant de siècles, m’ont beaucoup séduite. J’ai appris hier que Notre-Dame avait brûlé au printemps dernier, j’en ai nourri une peine inouïe.

 Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je souhaiterais que nous puissions tous travailler main dans la main pour réformer la loi anti-blasphème au Pakistan. En ce qui concerne mon avenir personnel, mon souhait le plus ardent est que mes filles puissent avoir accès à l’instruction, qu’elles puissent grandir dans un milieu éduqué et qu’elles puissent se battre pour l’équité.

Vous sentez-vous libre ?

Je reçois toujours des menaces, mais oui, je suis libre.

Qu’est-ce qui vous attriste le plus aujourd’hui ?

J’ai eu une peine immense quand j’ai dû quitter le Pakistan, le pays où je suis née. C’était après ma libération et je sais que Dieu m’a montré la voie. Mais je garde fermement l’espoir qu’un jour je pourrai retourner sur ma terre.

À l’inverse, qu’est-ce qui vous apporte le plus de joie aujourd’hui ?

La plus grande joie, je la ressens lorsque je me prosterne devant la grandeur de Dieu.

Agnès Pinard Legry – 26. 2. 2020 – Aleteia

2ème dimanche de Carême – Année A – 8 mars 2020 – Évangile de Matthieu 17, 1-9

ÉVANGILE DE MATTHIEU 17, 1-9

La Transfiguration n’est pas un transhumanisme

Lorsqu’au baptême, Jésus reçut la vocation de son Père, n’était-il pas magnifique le programme qu’il décida de proposer à son peuple ? Dieu allait venir établir son règne non par une déflagration cosmique ni par l’anéantissement des ennemis mais suite à un effort de conversion de chacun.
Le bonheur venait non de la richesse ni de l’orgueil ni même de la fin des maladies mais de l’humilité, de la miséricorde, de la douceur. Pas de colère, pas d’injures, pas de mensonges, pas de vengeances. Travailler à la paix, aimer même ses ennemis. Oser l’extraordinaire et ainsi recevoir mission de donner saveur à la vie, comme le sel, et d’éclairer les ténèbres du désespoir et de l’angoisse.

Très vite les foules se pressèrent pour écouter ce message d’espérance du jeune prophète qui circulait à travers la Galilée. « Ah si on faisait ce qu’il enseigne ! ». Mais en fait peu s’y engageaient. On accourait surtout pour demander la guérison des malades. Et Jésus se lamentait sur les villes du lac qui refusaient de se convertir à sa Parole. Même dans son village de Nazareth, même au sein de sa famille, on demeurait sceptique devant ce charpentier qui perturbait tout le monde.

Mais il y avait pire : les pharisiens, acharnés à pratiquer les moindres détails de la Loi, et les scribes, spécialistes de l’explication des Ecritures, se cabraient devant ce prétendu Messie qui fréquentait les pécheurs, embauchait même un voleur dans son équipe, égratignait l’observance formelle du sabbat, dédaignait les purifications légales et surtout osait donner le pardon des péchés. S’il opérait des guérisons, c’était certainement parce qu’il avait fait un pacte avec le diable.

L’affaire était très grave, cet individu était dangereux et très vite l’évangile note : « Des pharisiens tinrent conseil sur la manière de TUER Jésus » (12, 14).

Jésus peu à peu fait la triste expérience : ce qui est l’absolue vérité de son Père et qui fait son bonheur à lui, se heurte au mur non seulement des moqueries et de l’incrédulité mais d’une hostilité qui vire à la haine. Il voulait la vie des hommes et certains parmi les plus pieux d’entre eux veulent sa mort.

Alors il décide de faire une nouvelle retraite, cette fois à la frontière nord d’Israël, près de la nouvelle ville païenne de Césarée. Et là, le ton grave, le visage tendu, les traits tirés, il annonce à ses disciples sa décision qui éclate comme un coup de tonnerre : « Je vais monter à Jérusalem pour proclamer mon message et dénoncer les dérives religieuses. Je le sais : les autorités m’arrêteront et me condamneront à mort. Mais mon Père, j’en suis sûr, me rendra la vie. Et je vous préviens: celui qui veut être mon disciple doit me suivre sur ce chemin et subir le même sort ».

Et sans attendre, sans forcer les disciples complètement éberlués, Jésus se met en route. Il ne faut pas tarder afin d’arriver à Jérusalem pour la Pâque. Bientôt, comme jadis à son baptême, il va réentendre la voix de son Père.

Jésus transfiguré

« Après six jours, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, il les emmène à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : son visage devint brillant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s’entretenaient avec lui ».

Exceptionnellement Matthieu précise le lien avec l’épisode précédent que nous venons de rappeler : c’est « après six jours ». La notation est une reprise de la grande scène de la révélation sur la montagne du Sinaï quand Moïse, accompagné de 3 hommes, reçut la Torah de Dieu et que son visage devint lumineux.

Donc c’est parce que Jésus vient de s’engager à remplir jusqu’au bout la mission reçue de son Père, en acceptant la mort, que son Père en retour lui fait la grâce d’être transformé par la Lumière de la Vérité.

Il y a donc là non une grâce mystique mais comme un prélude, une prophétie de la Pâque prochaine. Si la croix est amour donné jusqu’à la mort, la transfiguration est esquisse de la Résurrection. Jésus vit l’annonce de la Pâque. Son visage illuminé par la Gloire révèle sa personnalité divine.

Moïse et Elie, les deux grandes figures de la Loi et des Prophètes, apparaissent et s’entretiennent avec Jésus. Luc précise : « Ils parlaient de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem ». Donc ces géants de la révélation voient en Jésus l’accomplissement de leur histoire et ils s’inclinent devant sa grandeur singulière.
Non Jésus n’abolit pas la Loi comme le prétendaient ses adversaires mais il l’accomplit, la conduit à son aboutissement. Le Premier Testament conduit normalement au Nouveau.

Les erreurs de Pierre

« Pierre dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Si tu le veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».
Il parlait encore lorsqu’une Nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ».

Le sympathique et fougueux n°1 des apôtres nous représente souvent dans les évangiles : il aime son Maître, il est plein de bonne volonté mais ses réactions sont souvent trop courtes, trop « humaines ».

D’abord il veut montrer son sens du sacré en dressant trois tentes pour les trois grands personnages. Car l’homme croit toujours honorer Dieu en lui élevant un édifice, en lui assignant une maison, un espace. Le temple de Jérusalem était la demeure de Dieu et toutes les religions ont voulu pour leur(s) divinité(s) des bâtiments majestueux, à la décoration fastueuse où se déroulaient les cérémonies rituelles.

Mais cette initiative de Pierre entraine une séparation entre les personnages sacrés, entre Loi, Prophètes et Evangile et une autre entre ceux-ci et les trois apôtres.

Cette suggestion de Pierre, faussement généreuse, est aussitôt démentie par Dieu lui-même qui envoie, sous le symbole de la Nuée, son Esprit qui prend tous les personnages sous son ombre. L’homme voulait se dévouer en faisant une maison à Dieu : c’est Dieu lui-même qui offre un abri, une demeure qui protège prophètes et disciples et les rassemble tous autour de Jésus.

Ensuite Pierre était tout « heureux » de voir Jésus en gloire, il souhaitait éterniser ce moment lumineux. Dieu lui répond que l’essentiel n’est pas de voir mais d’entendre. La Voix divine lui dit ce qu’elle avait dit à Jésus seul au baptême : « Celui-ci est mon fils bien-aimé » et elle ajoute « Ecoutez-le ».

Or Jésus est demeuré silencieux pendant toute la scène. Dieu renvoie donc à tout ce qu’il leur enseigne depuis le début et surtout ce qu’il leur a dit « six jours avant » : sa mort prochaine et sa résurrection. Cette annonce qui leur paraissait folie est la vérité. Puisque les hommes veulent supprimer le messager de la Bonne Nouvelle, il donnera sa vie afin de leur pardonner. Et c’est par ce paradoxe que le Royaume de Dieu viendra.

Jésus seul

« Les disciples tombèrent face à terre, saisis d’une grande frayeur. Jésus s’approcha, les toucha : « Relevez-vous, n’ayez pas peur ». Ils ne virent plus que Jésus seul. »

Devant la manifestation de Dieu, les hommes s’effondrent comme morts mais Jésus les touche et sa voix les relève et les calme. Il y a là comme un mime du mystère pascal auquel les disciples vont participer : tomber et se laisser relever. La vision furtive a disparu. Il ne leur reste plus que l’essentiel : regarder l’homme Jésus, descendre avec lui de la montagne et le suivre sur la route vers Jérusalem où tout se déroulera comme Jésus l’avait dit.

Il est remarquable que ce moment divin de transfiguration n’empêchera pas Jésus de trembler d’angoisse au jardin des Oliviers et de hurler sa souffrance sur la croix du Golgotha. Pas plus qu’elle n’empêchera Pierre de renier son Maître et les apôtres de s’enfuir en l’abandonnant.

Les plus hautes grâces mystiques ne briment pas notre liberté et nous laissent dans la faiblesse de notre condition. L’homme ne peut par ses propres forces construire un au-delà de l’homme – un transhumanisme.

Il est homme pour être divinisé : ce ne peut être qu’un don divin. Depuis la Transfiguration, tout visage humain – fût-il horriblement défiguré – est divinement respectable.

Conclusions

La 1ère étape du carême nous rappelait les trois grandes options de vie.

La 2ème aujourd’hui nous pousse à la retraite, à la méditation de la personne de Jésus. Heureux sommes-nous de jouir de moments de lumière, d’entrevoir son mystère. Mais plus encore d’obéir au Père qui nous offre la maison de la communion dans l’Esprit et nous encourage à suivre son Fils.

La réelle beauté du visage n’est pas cosmétique mais l’épiphanie d’un cœur qui aime.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Message de carême 2020 du pape François

(texte complet)

Chers frères et sœurs!

Cette année encore, le Seigneur nous accorde un temps favorable pour nous préparer à célébrer avec un cœur renouvelé le grand Mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, pierre angulaire de la vie chrétienne personnelle et communautaire.

Il nous faut constamment revenir à ce Mystère, avec notre esprit et notre cœur. En effet, ce Mystère ne cesse de grandir en nous, dans la mesure où nous nous laissons entraîner par son dynamisme spirituel et y adhérons par une réponse libre et généreuse.

Le Mystère pascal, fondement de la conversion

La joie du chrétien découle de l’écoute et de l’accueil de la Bonne Nouvelle de la mort et de la résurrection de Jésus : le kérygme.

Il résume le Mystère d’un amour « si réel, si vrai, si concret qu’il nous offre une relation faite de dialogue sincère et fécond » (Exhort. ap. Christus vivit, n. 117). Celui qui croit en cette annonce rejette le mensonge selon lequel notre vie aurait son origine en nous-mêmes, alors qu’en réalité elle jaillit de l’amour de Dieu le Père, de sa volonté de donner la vie en abondance (cf. Jn 10, 10).

En revanche, si nous écoutons la voix envoûtante du “père du mensonge” (cf. Jn 8, 45), nous risquons de sombrer dans l’abîme du non-sens, de vivre l’enfer dès ici-bas sur terre, comme en témoignent malheureusement de nombreux événements dramatiques de l’expérience humaine personnelle et collective.

En ce Carême de l’année 2020, je voudrais donc étendre à tous les chrétiens ce que j’ai déjà écrit aux jeunes dans l’Exhortation Apostolique Christus vivit: « Regarde les bras ouverts du Christ crucifié, laisse-toi sauver encore et encore. Et quand tu t’approches pour confesser tes péchés, crois fermement en sa miséricorde qui te libère de la faute. Contemple son sang répandu avec tant d’amour et laisse-toi purifier par lui. Tu pourras ainsi renaître de nouveau » (n. 123). La Pâque de Jésus n’est pas un événement du passé : par la puissance de l’Esprit Saint, elle est toujours actuelle et nous permet de regarder et de toucher avec foi la chair du Christ chez tant de personnes souffrantes.

Urgence de la conversion

Il est salutaire de contempler plus profondément le Mystère pascal, grâce auquel la miséricorde de Dieu nous a été donnée. L’expérience de la miséricorde, en effet, n’est possible que dans un ‘‘face à face’’ avec le Seigneur crucifié et ressuscité « qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Un dialogue cœur à cœur, d’ami à ami.

C’est pourquoi la prière est si importante en ce temps de Carême.

Avant d’être un devoir, elle exprime le besoin de correspondre à l’amour de Dieu qui nous précède et nous soutient toujours. En effet, le chrétien prie tout en ayant conscience d’être aimé malgré son indignité.

La prière peut prendre différentes formes, mais ce qui compte vraiment aux yeux de Dieu, c’est qu’elle creuse en nous jusqu’à réussir à entamer la dureté de notre cœur, afin de le convertir toujours plus à lui et à sa volonté.

En ce temps favorable, laissons-nous donc conduire comme Israël dans le désert (cf. Os 2, 16), afin que nous puissions enfin entendre la voix de notre Époux, pour la faire résonner en nous avec plus de profondeur et de disponibilité. Plus nous nous laisserons impliquer par sa Parole, plus nous pourrons expérimenter sa miséricorde gratuite envers nous. Ne laissons donc pas passer ce temps de grâce en vain, dans l’illusion présomptueuse d’être nous-mêmes les maîtres du temps et des modes de notre conversion à lui.

La volonté passionnée de Dieu de dialoguer avec ses enfants

Le fait que le Seigneur nous offre, une fois de plus, un temps favorable pour notre conversion, ne doit jamais être tenu pour acquis. Cette nouvelle opportunité devrait éveiller en nous un sentiment de gratitude et nous secouer de notre torpeur.

Malgré la présence, parfois dramatique, du mal dans nos vies ainsi que dans la vie de l’Église et du monde, cet espace offert pour un changement de cap exprime la volonté tenace de Dieu de ne pas interrompre le dialogue du salut avec nous.

En Jésus crucifié, qu’il «a fait péché pour nous» (2Co 5, 21), cette volonté est arrivée au point de faire retomber tous nos péchés sur son Fils au point de « retourner Dieu contre lui-même », comme le dit le Pape Benoît XVI (cf. Enc. Deus caritas est, n. 12). En effet, Dieu aime aussi ses ennemis (cf. Mt 5, 43-48).

Le dialogue que Dieu par le Mystère pascal de son Fils veut établir avec chaque homme n’est pas comme celui attribué aux habitants d’Athènes, qui «n’avaient d’autre passe-temps que de dire ou écouter les dernières nouveautés» (Ac 17, 21). Ce genre de bavardage, dicté par une curiosité vide et superficielle, caractérise la mondanité de tous les temps et, de nos jours, il peut aussi se faufiler dans un usage trompeur des moyens de communication.

Une richesse à partager et non pas à accumuler seulement pour soi

Mettre le Mystère pascal au centre de la vie signifie éprouver de la compassion pour les plaies du Christ crucifié perceptibles chez les nombreuses victimes innocentes des guerres, dans les atteintes à la vie, depuis le sein maternel jusqu’au troisième âge, sous les innombrables formes de violence, de catastrophes environnementales, de distribution inégale des biens de la terre, de traite des êtres humains dans tous aspects et d’appât du gain effréné qui est une forme d’idolâtrie.

Aujourd’hui encore, il est important de faire appel aux hommes et aux femmes de bonne volonté pour qu’ils partagent leurs biens avec ceux qui en ont le plus besoin en faisant l’aumône, comme une forme de participation personnelle à la construction d’un monde plus équitable.

Le partage dans la charité rend l’homme plus humain, alors que l’accumulation risque de l’abrutir, en l’enfermant dans son propre égoïsme. Nous pouvons et nous devons aller encore plus loin, compte tenu des dimensions structurelles de l’économie.

C’est pourquoi, en ce Carême 2020, du 26 au 28 mars, j’ai convoqué à Assise de jeunes économistes, entrepreneurs et porteurs de changement, dans le but de contribuer à l’esquisse d’une économie plus juste et plus inclusive que l’actuelle.

Comme le Magistère de l’Église l’a répété à plusieurs reprises, la politique est une forme éminente de charité (cf. Pie XI, Discours aux Membres de la Fédération Universitaire Catholique Italienne, 18 décembre 1927). Ainsi en sera-t-il de la gestion de l’économie, basée sur ce même esprit évangélique qui est l’esprit des Béatitudes.

J’invoque l’intercession de la Très Sainte Vierge Marie pour ce Carême , afin que nous accueillions l’appel à nous laisser réconcilier avec Dieu, pour fixer le regard du cœur sur le Mystère pascal et nous convertir à un dialogue ouvert et sincère avec Dieu.

C’est ainsi que nous pourrons devenir ce que le Christ dit de ses disciples : sel de la terre et lumière du monde (cf. Mt 5, 13-14).

FRANÇOIS
Fête de Notre-Dame du Rosaire