3ème dimanche de Pâques – Année C – 5 mai 2019 – Évangile de Jean 21

ÉVANGILE DE JEAN 21

JETEZ LE FILET : VOUS TROUVEREZ

Le chapitre 20 de Jean, lu dimanche passé, semblait bien marquer la conclusion de son Evangile. Or curieusement le récit repart avec un chapitre 21 qui paraît donc comme un ajout au texte primitif, œuvre d’un disciple anonyme. D’une admirable beauté, la scène est, à la manière juive, un « midrash » c.à.d. une histoire qui, mieux que des explications abstraites, répond aux problèmes qui agitaient la communauté à la fin du premier siècle (cf. note ci-dessous)

LA MISSION PASSE A TOUTES LES NATIONS

Mené par Pierre, un groupe de 7 apôtres pêche toute une nuit sur le lac de Galilée mais sans rien prendre. Au soleil levant, la silhouette d’un homme se dresse là-bas sur le rivage : « Vous n’avez pas un peu de poisson ? – Non » répondent les pêcheurs dépités et fatigués. « Jetez le filet du côté droit et vous trouverez ». Ils obéissent et voilà que le filet est tellement rempli qu’ils peinent à le tirer. Le disciple que Jésus aimait tressaille : « C’est le Seigneur ! ». Pierre se jette à l’eau et arrive le premier. La barque aborde et on tire le filet lequel, rempli de 153 gros poissons, cependant ne se déchirait pas.

Comprenons. Les apôtres continuent à annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus à leurs compatriotes juifs : comme les pêcheurs qui effectuaient des cercles en tirant et fermant au centre un grand filet, les apôtres « tournent en rond » sans grand résultat.

Le disciple aimé (sans doute Jean), qui, au matin de Pâques, avait été le premier à croire que Jésus était ressuscité demeure encore celui qui est le plus sensible à percevoir sa présence permanente.

Le Seigneur demande aux hommes de jeter le filet du côté droit, c.à.d. vers l’extérieur. La mission ne doit pas se limiter aux frontières d’Israël, elle doit s’élargir au monde entier car l’Evangile a pour but d’apporter la paix à toutes les nations. Saint Jérôme expliquait déjà le symbole : les zoologistes de l’antiquité avaient répertorié 153 espèces de poissons. Jusqu’à la fin du monde, tous les humains, avec leur pays, leur culture, leur couleur de peau, tous sont appelés par un unique Seigneur à former son peuple.

Et le filet ne se déchire pas : la prière de Jésus s’accomplit : « Père, que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en Toi. Qu’ils soient un afin que le monde croie » (Jn 17, 21). Jésus a offert sa vie pour le pardon universel et, vivant, il œuvre par son Eglise pour nous retirer tous du marasme, des eaux du désespoir, de l’abîme de l’absurdité, de la tyrannie de la mort, des ouragans meurtriers de nos racismes et de nos haines. La pêche miraculeuse est signe et promesse de la mission mondiale.

NOUS REUNIR DANS LE REPAS DU SEIGNEUR

La mission christique d’unir l’humanité en Dieu est une œuvre prodigieuse. Après 20 siècles on voit son immense difficulté puisque les disciples de Jésus demeurent encore séparés, puisque des nations à majorité chrétienne s’entretuent, puisque le règne des idoles du pouvoir semble parfois indestructible. La tentation est grande de trouver l’Evangile utopique, irréalisable.

Comment faire ? Notre évangile répond.

Surmonter les découragements, contempler les ruines de nos beaux projets, traverser des nuits d’échecs. Et le matin suivant écouter l’appel : « Jetez encore le filet, ne démissionnez pas. On vous refuse ici ? Allez ailleurs. Vos abattements ici deviendront réussites là-bas. Toute nuit conduit à l’aube nouvelle.

Et surtout rassemblez-vous sur le rivage de vos vies, le 1er jour de chaque semaine, pour partager le Repas du Seigneur Vivant. Il pansera nos plaies, nous réconfortera, nous donnera le courage de changer de méthode, d’entrer dans de nouveaux territoires, d’aborder d’autres personnes.

Pas de routine. Encore et toujours re-commencer.

Car c’est au Seigneur, et pas à nous-mêmes, que nous devons conduire les hommes. Les missionnaires n’ont pas à se vanter de leurs talents, à faire leur show devant leurs fans. Leur but, c’est que le Seigneur soit reconnu, aimé et suivi. Que l’assemblée eucharistique soit plus nombreuse, plus fraternelle, plus unie dans le chant d’action de grâce.

LA PIERRE FELEE ET RECONSTITUEE

Dès le départ, les premiers missionnaires chrétiens ont proclamé toute la vérité: ils ont raconté les doutes, les incompréhensions, les lâchetés des Apôtres et ils n’ont pas caché que le premier d’entre eux avait même renié publiquement son maître.

Mais alors, comment le chef des Douze pouvait-il encore prétendre diriger l’Eglise et annoncer l’Evangile ? La scène de ce jour répond par le dialogue pathétique.

Sur le rivage, le Seigneur accueille les pêcheurs près d’un « feu de braise » – semblable donc à celui qui brûlait dans la cour, chez le Grand Prêtre qui était en train d’interroger Jésus. Alors que Simon Pierre s’y réchauffait, reconnu par les servantes, il avait affirmé, par trois fois, ne même pas connaître Jésus (Jn 18, 18).

Ici le Ressuscité va – et avec quelle délicatesse ! – libérer son disciple. Il ne l’accable pas, ne le rejette pas comme indigne. Trois fois il le questionne doucement : « Pierre, m’aimes-tu ? ». Ne désespère pas, ne t’effondre pas de honte : simplement dis-moi ton amour.

Pierre ne se vante plus d’être le plus fort, d’aimer le maître plus et mieux que ses collègues : simplement il se réfugie dans son Seigneur : « Tu sais que je t’aime ».

Alors Pierre est investi dans sa charge : « Paix mes brebis ». Maintenant tu peux guider tes frères parce que tu as perdu ta jactance, parce que tu as fait l’expérience de ta faiblesse, parce que tu ne comptes plus sur toi-même, parce que tu n’es plus « une pierre » dure et intransigeante mais un pauvre Pierre dont le cœur fragile est cicatricé par la miséricorde de son Seigneur. Dorénavant tu pourras accepter tes frères et sœurs vulnérables, souillés, lâches et leur offrir ce pardon que tu as reçu le premier.

Mais n’oublie jamais, Pierre, que je te confie « mes brebis ». Elles ne seront jamais tes disciples ni ceux de Jean ou de Paul mais uniquement du Bon Pasteur qui a donné sa vie pour que ses brebis vivent.

ON A TUE LE PAPE

Quand l’auteur anonyme rédige ce chapitre 21, Pierre est mort martyr. Jésus l’avait prédit :

« Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture et tu allais où tu voulais. Quand tu seras vieux, tu étendras les mains, un autre te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Jésus signifiait par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Et il lui dit : « Suis-moi ».

Pierre aurait donc été mis à mort, lui aussi, les bras ouverts : crucifié ? « Car le serviteur n’est pas plus grand que son maître : s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi » (Jn 15, 20). Plus vieux, Pierre n’a plus cherché à sauver sa vie : il l’a donnée, sûr de retrouver son Seigneur.

CONCLUSIONS

Les explications sont peut-être un peu utiles mais il reste ce chapitre 21. Un chef d’œuvre à relire, à méditer et à prier. Car il nous apporte, en images, des révélations essentielles.

  • Le pape François le répète sans cesse : Sortez ! Ne demeurez pas dans vos huis-clos, vos habitudes douillettes. Prenez la tangente, allez au large, jetez les filets ailleurs. Chassez vos découragements, vos tristesses. Recommencez.
    • Que le déjeuner sur l’herbe inspire vos assemblées du dimanche où vous pouvez partager le modeste pain du Seigneur. Répétez-lui que vous l’aimez, sûrs que le feu de son amour consume toutes vos fautes.
  • Et surmontez le scandale de vos responsables qui, trois fois hélas, sont tombés lourdement. Qu’ils demandent pardon, perdent tout orgueil et se laissent emmener là où ils ne voulaient pas aller.
    • Que chacun écoute l’appel : « Suis-moi ».

Frère Raphaël Devillers, dominicain

SRI LANKA — UNE EPOUVANTABLE TRAGEDIE

« Ce n’est pas l’Islam » dites-vous. Alors pourquoi n’organisez-vous pas d’immenses manifestations dans les grandes capitales occidentales pour hurler contre ces sauvages qui blasphèment votre religion et pour proclamer la liberté religieuse ?

Pourquoi les médias occidentaux parlent-ils si peu des attentats, des attaques qui se multiplient partout contre les lieux chrétiens ? Au point que J.L. Mélanchon, qui se dit athée, en est scandalisé comme il vient de le dire :

« Les chrétiens du Sri Lanka n’ont jamais affronté qui que ce soit. Les victimes n’étaient ni en meeting politique ni en quoi que ce soit d’agressif contre qui que ce soit. Ils étaient réunis dans un lieu de culte et priaient. Leurs assassins sont des lâches absolus et la cause qui est servie de cette façon doit être mise au ban de la société.

Plus généralement, il y a une sous évaluation dans les médias français des agressions spécifiques dont font l’objet des chrétiens dans le monde […] C’est pourquoi on ne saurait se taire ou noyer le poisson dans les explications qui nieraient ce fait central : les chrétiens du Sri Lanka ont été assassinés parce qu’ils étaient chrétiens et pratiquants de cette foi. »

L’Ère du peuple, blog de Jean-Luc Mélanchon, 23 avril 2019.

RELIGION : LES MOTS INTERDITS

APRES L’INCENDIE DE NOTRE-DAME DE PARIS

A l’époque de Molière et des Précieuses, il était des mots que l’on ne prononçait pas par bienséance ou pour tâcher d’embellir le prosaïsme déprimant du quotidien ; ainsi un miroir devenait un « conseiller des grâces », et la lune « le flambeau de la nuit ».

Aujourd’hui, dans le verbiage de la France de 2019, il n’y a plus rien de précieux, mais il y a beaucoup de ridicule. Comme au pays d’Alice, les choses sont ce qu’elles ne sont pas, ou plutôt, elles ne sont pas ce qu’elles sont.

Le ministre de l’intérieur (et des cultes, ne l’oublions pas), nous a récemment expliqué que Notre-Dame n’était pas une cathédrale. Grâce à un nouvel  usage du dictionnaire des synonymes, les croyants sont assimilés à des « citoyens », des « touristes », des « visiteurs » ou des « amoureux anonymes » de la grande Dame de pierre.

Lors des attentats du dimanche de Pâques, on découvrit que c’était le Sri Lanka qui était frappé, mais non la communauté catholique, et que les hôtels appartenaient à la même catégorie de bâtiments publics que les églises. Quant aux auteurs des attentats, il a vraiment fallu fouiller dans les déclarations officielles pour y lire qu’ils étaient musulmans.

Les prises de parole publiques se transforment en une sorte de concours grotesque où la prime reviendra à celui qui mettra le plus d’application à ne parler ni de religion ni de foi.

ERADIQUER LA RELIGION ? …

Le problème est plus profond que celui d’un anticatholicisme primaire, comme on pourrait être tenté de le croire de prime abord. Journalistes et hommes politiques, sociologues et éditorialistes sont comme tétanisés devant cette réalité à leurs yeux curieuse et totalement incongrue, la foi. Elle est conçue et appréhendée comme une bizarrerie, la survivance anachronique d’un réflexe archaïque en ce début de XXIème siècle.

Ainsi, des pans entiers de la réalité humaine, de l’étoffe spirituelle des êtres et des civilisations leur échappent totalement, avec des conséquences gravissimes.

Dans l’appréhension du terrorisme islamiste, il existe un préjugé systématique à l’encontre des auteurs des actes de violence. On nous explique que ce sont des « déséquilibrés », et qu’il n’y a aucune raison de chercher une raison religieuse à leurs actes meurtriers.

Dans un tout autre domaine, récemment encore, à l’occasion d’une enquête sociologique sur les prénoms, Libération nous expliquait qu’il n’y avait aucune espèce de motivation religieuse dans le fait de choisir d’appeler son fils « Mohammed » : ce n’est qu’une affaire de goût, et comme chacun sait, les goûts cela ne se discute pas ! Si l’étendard de Daesh brandit « Il n’y a de Dieu qu’Allah », c’est certainement pour faire joli.

Terrible tendance que celle qui tend à éradiquer avec obstination la religion de la vie publique, comme d’ailleurs de la vie privée. Emerge sous nos yeux un monde desséchant de matérialité, sans esprit, sans âme.

Les effets secondaires peuvent être inattendus : quelle ne fut pas la stupéfaction de votre honorable servante, en visite à la grande exposition consacrée au pharaon Toutankhamon, de découvrir que pour les concepteurs de cette manifestation,  tout était affaire de « magie » dans l’Egypte ancienne : le Royaume des morts, la survie de l’âme pour l’éternité, les divinités du Bien et celles du mal, tout cela relèverait d’un folklore amélioré à la Harry Potter.

Les mots : rites, rituels, croyances, religion, sacré n’ont tout simplement jamais été évoqués, le mot de divinité à peine suggéré, dans une gigantesque opération marketing destinée à éradiquer tout ce qui peut évoquer la transcendance.

Bernanos définissait le monde moderne comme une « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » La société qui se déploie sous nos yeux est le triste aboutissement de ce processus, qui nous emmène plus loin encore.

La vie intérieure de l’Occident s’étiole depuis longtemps déjà, et avec une application acharnée toute forme de vie spirituelle est patiemment minimisée ou niée dans un projet de transformation du réel et du langage d’ordre totalitaire.

Quand un mot n’est plus prononcé, on finit par oublier la réalité qu’il était censé désigner : à nous de répéter sans relâche, haut et fort, les beaux mots de croyant, de Français et de catholique.

 

Constance Prazel

Déléguée générale de Liberté politique -26 avril 2019 – paru sur le site de « Liberté politique »

2ème dimanche de Pâques – Année C – 28 avril 2019 – Évangile de Jean 20, 19-31

ÉVANGILE DE JEAN 20, 19-31

RECONSTRUIRE L’EGLISE

Tout un peuple sidéré a immédiatement réagi : au cœur de Paris, au cœur de la France, il faut reconstituer Notre-Dame. Dès le lendemain du drame, les dons affluaient par millions et les experts se mettaient à l’œuvre. Etonnant et merveilleux sursaut d’une société qui semblait pourtant, depuis deux siècles, s’écarter de sa foi millénaire jusqu’à prédire l’effondrement prochain de l’Eglise.

Mais pour les catholiques, il ne s’agit pas seulement de sauver un chef-d’œuvre du patrimoine mais de s’enflammer eux-mêmes pour réparer, consolider, embellir l’Eglise qui, en son sens premier, signifie la communauté de foi bien avant qu’elle ne désigne un bâtiment.

Et « Notre-Dame », pour nous, n’est pas d’abord un nom d’édifice mais le nom de quelqu’un : la petite Marie de Nazareth pour qui les hommes ont bâti les plus beaux monuments du monde.

« Il nous faut relever l’Eglise » clame l’archevêque de Paris. Le temps est propice

Après l’incendie, il y a eu Pâques, la fête de la résurrection et nous sommes entrés maintenant dans le TEMPS PASCAL, les 50 jours, les 7 semaines qui nous conduisent à la Pentecôte. Ce temps d’après Pâques est bien plus important que le temps de carême qui l’a précédé (7 marque une perfection sur 6) et que d’ailleurs les apôtres et les premiers siècles n’ont jamais connu.

Car il ne s’agit pas tant de faire des sacrifices pour Dieu que de laisser Dieu nous rendre saints. L’aimer n’est pas lui proposer nos programmes mesquins mais accepter les siens. Prier avec nos mots, c’est bien : écouter ses paroles c’est mieux. Ainsi aujourd’hui cherchons les révélations dans les trois lectures qui nous indiqueront notre chemin de relevailles.

L’EVANGILE : UNE COMMUNAUTE DE FOI

Soyons francs : avons-nous consenti beaucoup d’efforts lors de ce carême dernier ? Avons-nous eu le culot d’oser prétendre être meilleurs grâce à nos sacrifices ? Que Dieu nous garde du pharisaïsme et de l’orgueil de faire notre statue. Saint Pierre nous rappellerait qu’après avoir juré à son maître de donner sa vie pour lui, il avait juré à une servante qu’il ne le connaissait même pas et il s’était enfui dans la nuit.

Mais, enthousiaste, il nous rappellerait la suite de l’histoire : Jésus ressuscité est revenu vers lui et les autres apôtres. Sans reproches contre leur lâcheté, il leur a montré ses plaies comme source même de sa miséricorde : « La Paix soit avec vous ». Et il les a comblés de la force de l’Esprit-Saint : « Faites de même avec les gens : ils vous lâcheront, vous critiqueront mais transmettez-leur mon pardon. Dites-leur que s’ils brûlent de rage contre moi, je brûle d’amour pour chacun d’eux. »

Et en effet, les apôtres, enfermés dans la crainte, sont sortis ; muets, ils se sont mis à parler ; lâches, ils ont bravé les autorités. Fouettés, condamnés, emprisonnés, ils ont paradoxalement été heureux de souffrir comme et avec Jésus.

Ils ont rencontré des incrédules comme Thomas, des gens braqués dans leurs certitudes et exigeant des preuves. Et ils leur ont répondu qu’ils n’auront pas de preuves mais un signe et ils leur ont proposé de les rejoindre le premier jour de la semaine, le dimanche, le Jour du Seigneur. Là ils n’auraient pas d’apparition miraculeuse mais ils verraient une modeste communauté s’imprégnant de son Sauveur par le partage de son corps et de son sang, transformée par la paix et rayonnant de joie.

Car on ne voit pas Jésus ressuscité mais on peut voir des hommes et des femmes relevés par l’Esprit.  « Heureux ceux qui croient sans voir ».

PREMIERE LECTURE : UNE CHARITE THERAPEUTIQUE

Là est l’événement qui a marqué les habitants de Jérusalem. Puisque leur maître avait été condamné à mort et exécuté, on s’attendait à ce que ses adeptes, effondrés par l’échec d’un faux Messie, disparaissent de la scène. Or on rencontrait en plein cœur du temple ses disciples pleins de joie, s’accueillant par de chaudes embrassades, plus heureux que s’ils avaient gagné à la loterie :

« Tous les croyants, d’un seul cœur, se réunissaient sous la colonnade…On amenait des malades et ils étaient guéris ».

Luc évidemment enjolive la scène : les lettres de Paul, Pierre et Jean témoigneront à suffisance des difficultés de vivre ensemble dans une harmonie parfaite. Oui il y avait des différends, des avis se heurtaient, des tempéraments bouillonnaient : il n’était pas simple de faire un peuple avec des plus riches et des plus pauvres, des gens cultivés et des incultes, des citadins et des paysans, des juifs et des païens. Mais toujours le souvenir du crucifié, le pardon du ressuscité, la puissance de l’Esprit éteignaient les flammes des colères et rassemblaient les cœurs dans le cœur du Seigneur.

Et cette charité nouvelle n’était pas un monopole à vivre en huis clos. Si on ne parvenait à convertir que certains, malgré tout on montrait à tous la force de guérison du Seigneur : la puissance guérisseuse qui l’animait était passée dans ses apôtres et eux aussi désormais opéraient des guérisons.

Les miracles ne se commandent pas mais toute communauté chrétienne a le devoir de rayonner sa foi à travers le souci des malades. L’Evangile ne se cantonne pas dans les âmes. Si le Christ s’est incarné, c’est bien d’abord pour nous montrer que la vie ici-bas tout de suite a valeur. Qu’avant de prononcer de beaux sermons, il importe au préalable d’écouter les plaintes, les cris, les souffrances des pauvres. La piété sans pitié est mensongère. La foi gratuite se manifeste en charité coûteuse. Avant d’aller voir les anges, il faut d’abord voir les hommes, surtout les plus abîmés.

LA DEUXIEME LECTURE : UNE ESPERANCE INDEFECTIBLE

Pâques nous fait enfin un cadeau inestimable : le livre de l’Apocalypse. Ce mot fait peur parce qu’il a pris le sens de catastrophe et de désastre : or décalqué du grec, il signifie « Révélation ». L’Apocalypse est une bonne Nouvelle et le livre de Jean est un chef-d’œuvre qui nous montre la vision de l’histoire enfin clarifiée par la résurrection du Christ.

Oui les incendies des guerres ravagent, les destructions s’accumulent, la mort semble tout renvoyer en cendres. Mais Jean a eu la grâce d’une vision : le Christ vainqueur lui est apparu comme le Fils de l’homme majestueux qui lui a affirmé : « Je suis le Vivant ; j’étais mort mais me voici vivant pour les siècles des siècles et je détiens les clefs du séjour des morts ».

Nous traversons des horreurs épouvantables mais, invisible au cœur de cette histoire tragique, se dresse le Christ. Il est venu, il vient et il reviendra. Le bien, le vrai, le droit, le juste si souvent bafoués triompheront. En prison mais fortifié par cette révélation, Jean pouvait écrire son épopée de l’espérance qui permet aux croyants de ne jamais se laisser abattre.

FOI, ESPERANCE ET CHARITE POUR RECONSTRUIRE

L’archevêque de Paris l’assure : « Ensemble, frères et sœurs, avec le don de l’Esprit-Saint qui nous vient du Père par le Fils, nous rebâtirons notre Église ».

L’élan unanime d’un peuple pour redresser sa cathédrale nous sert d’exemple pour nous atteler, séance tenante, à écarter les ruines dues à nos inerties et nos tiédeurs, à reprendre conscience de notre devoir de vivre et proclamer l’Evangile. Nos trois lectures du jour pointent l’essentiel de notre comportement : FOI, ESPERANCE et CHARITE :

  • « Ne sois pas incrédule mais croyant » et redis : « Mon Seigneur et mon Dieu »
  • Par le feu de l’amour, luttons contre la désintégration et créons des communions fraternelles et attentives aux malheureux.
  • Au milieu des catastrophes et des ruines, regardons l’Agneau vainqueur, le Vivant.

Tout ce temps pascal qui nous conduit à la Pentecôte n’a d’autre but que de nous communiquer l’Esprit de Vie et de Pardon qui nous permet d’animer notre existence par la foi, l’espérance et la charité.

AVEC NOTRE DAME INDESTRUCTIBLE

Pour vivre déjà de la sorte, les premiers apôtres avaient près d’eux Marie qui leur apprenait comment, avec elle, l’aventure extraordinaire avait commencé. Et ils prenaient exemple sur elle.

La première, elle avait cru et elle s’était donnée au projet de Dieu.

Tout de suite elle avait aimé en courant chez sa cousine pour être sa servante.

A Pâques, elle espérait avec certitude que son Fils allait répandre la victoire de son amour dans le monde entier.

OUI, NOTRE-DAME DE PARIS, PRIEZ POUR NOUS.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

“ NOTRE-DAME SERA REBATIE PLUS BELLE ENCORE ”

INTERVIEW DE D. PONNAU,
EX-DIRECTEUR DE L’ECOLE DU LOUVRE

Que représente pour vous la cathédrale ?

Dans cet édifice construit à la gloire de Dieu sont réunies toutes les grandeurs et les beautés de la France et du monde chrétien. Il y a une musique de la pierre. Un esprit y souffle. Notre-Dame a subi un outrage comme jamais dans son histoire. Pourtant, elle en a connu d’autres, notamment lors de la Révolution française où elle avait été transformée en écurie – du fumier avait été répandu dans la nef –, en temple de la déesse Raison, puis en dépôt… Cette cathédrale est un condensé du génie artistique et spirituel de l’homme et de l’humanité. Nous aurions tous perdu à ce qu’elle disparaisse : croyants, mal-croyants, incroyants !

Tous réagissent, d’ailleurs…

… Ce drame nous le prouve encore : alors que le religieux ne cesse de diminuer en France, les Français sont encore capables de manifester leur attachement à un monument chrétien.

Est-on capable de restaurer à l’identique ?

Notre-Dame sera rebâtie comme naguère, et plus belle encore. Architectes, artisans, ouvriers, maîtres-peintres et maîtres-verriers seront capables de lui restituer sa splendeur, j’en suis convaincu. Il faudra y mettre beaucoup de doigté et de fidélité, de foi et d’ardeur. Il faut que ce fleuron dévolu au culte de Dieu en son Christ, par sa Mère, soit restauré, dans une fidélité artistique et spirituelle. Qu’il soit traité comme il sied et non par la fantaisie d’artistes qui chercheraient à se glorifier eux-mêmes, à se montrer, au lieu d’être au service de leur tâche. Ce sera un chantier colossal, de plusieurs décennies. Mes yeux de chair ne verront pas le chœur de Notre-Dame rebâti.

N’est-il pas un peu aventureux de voir dans cet incendie une portée spirituelle ?

…Pour moi, cet événement est une leçon spirituelle. Symboliquement, cet incendie s’apparente à un passage de l’Apocalypse, le combat de la Femme et du Dragon. Revenons à Dieu par Marie : voilà le signe qui nous est donné. Ayons l’audace de remettre nos pas dans ceux de la Vierge Marie, de Nazareth à Bethléem, de Jérusalem au Golgotha… Afin qu’à sa suite nous reprenions ce chemin si souvent abandonné de la foi en Dieu. Alors nous nous retrouverons frères et sœurs, en vérité.

Cet effondrement matériel serait un mal pour un bien plus grand, spirituel, c’est là votre conviction ?

….. Il nous appartient de saisir ce défi lancé par le mal (j’aurais tendance à mettre un M majuscule…). Sans doute faut-il y voir un avertissement, une invitation à choisir de nouveau le Christ, comme naguère Péguy, Bernanos, Claudel qui s’y convertît… De cette tragédie qui nous foudroie peut naître une nouvelle source de jouvence.
Les chrétiens ne sont pas de vieilles gens percluses, c’est un vieillard de presque 82 ans qui vous le dit ! Dieu est éternellement jeune. Il transcende et transfigure la dévastation de nos cœurs.

Paru dans LA VIE 17 avril 2019.

“ CE N’EST PAS UN EFFONDREMENT, MAIS UN REVEIL ! ”

Par MARTIN STEFFENS, PHILOSOPHE

Le philosophe et chroniqueur à La Vie estime que l’incendie qui a frappé la cathédrale Notre-Dame de Paris doit pousser les chrétiens à renouer avec le prophétisme. Elle permet au peuple de Dieu de s’incarner, aux croyants de se rassembler.

Voyez-vous une symbolique spirituelle dans cet événement ?

Ce qui m’a d’abord frappé, c’est qu’il s’agit d’un symbole au sens littéral. D’ordinaire, un symbole, c’est toujours au second degré ; ici, c’est au pied de la lettre. C’est bien le cœur de l’Église qui brûle ! Et nous sommes sidérés, non pas par une absence de sens, mais par un surcroît de sens. Un sens devenu très sensible. « Les pierres crieront », disait Jésus dans l’Évangile de dimanche des Rameaux (Luc 19, 40). À Notre-Dame, lundi soir, elles hurlaient ! Notre parole était coupée ; les choses parlaient d’elles-mêmes.

En outre, le fait que la Vierge Marie soit atteinte, à travers cette cathédrale, a une très forte résonance avec l’histoire de notre pays, lieu de multiples apparitions mariales. Marie est celle qui pleure au pied de la Croix ; et voilà qu’elle était celle qui brûle. C’est cela, la semaine sainte : pleurer en Jésus, devant le monde incendié par le mal.

Je pense enfin que cet événement sidérant est un double affront pour l’homme occidental. Non, la domination technique n’est pas absolue, car elle n’a pu arrêter l’incendie assez tôt. Non, l’histoire, dans toute sa tragédie, n’est pas terminée. Elle redémarre et redonne vie à des symboles, des objets, des édifices, que l’on avait muséifiés

Paru dans LA VIE 18 avril 2019.

CHRETIENS PERSECUTES EN INDE

Témoignage de Mgr Theodore Mascarenhas

secrétaire général de la conférence épiscopale en Inde, et évêque auxiliaire de Ranchi

L’Église catholique en Inde, c’est simplement 2% de la population, ce qui représente 20 millions de personnes. Nous gérons 54 000 établissements scolaires qui accueillent à peu près 60 millions d’étudiants. Nous servons l’Église, les pauvres, spécialement les plus pauvres, à travers des hôpitaux, des cliniques et d’autres œuvres sociales. Jusqu’ici, nous n’avons jamais eu de problème en Inde.

Mais plus récemment, les chrétiens ont été confrontés à une campagne de haine. Et nous avons affaire à ce que je pourrais appeler une forme moderne de persécution où les lois sont utilisées contre l’Église catholique pour l’empêcher d’être au service des plus pauvres.

En Inde nous avons des lois appelées « anti-conversion ». En vertu de celles-ci, si quelqu’un veut changer de religion, il doit d’abord demander l’autorisation à la police.

En 1998, on a eu le premier incident de haine. Un pasteur protestant australien, qui était au service des plus pauvres dans l’État d’Orissa, avait l’habitude de dormir dans sa voiture. Il était accompagné de ses deux fils, 10 et 12 ans. Une nuit, une foule a entouré la voiture et y a mis le feu. Et malgré le fait que les garçons pleuraient et criaient, ils ne les ont pas laissé sortir.

Dix ans plus tard, en 2008, plus d’une centaine de chrétiens ont été tués et leurs maisons brûlées. Cela s’est produit au même endroit et plus de 50 000 personnes ont dû trouver refuge dans la forêt. C’était le lendemain de Noël. Ils sont restés dans la forêt pendant plus d’un an.

Beaucoup de moyens légaux sont utilisés pour nos empêcher de travailler dans nos écoles, nos dispensaires, et même pour le financement de nos activités.

En 2017, deux prêtres et trente séminaristes qui chantaient des chants de Noël dans les villages ont été entourés par une foule qui les a battus, livrés à la police, et a brûlé leur voiture. Au lieu d’arrêter les agresseurs, la police a mis les prêtres et les séminaristes en prison

Un autre incident : 40 jeunes hommes violents sont entrés dans une école où se trouvent 8500 élèves, dont 80 chrétiens à peu près. Ce groupe d’hommes a exigé du directeur de l’école, un prêtre, qu’il vénère une déesse hindoue, la « Mère Inde ». Lorsqu’il a refusé, ils ont dit qu’ils reviendraient huit jours plus tard, le 4 janvier. J’en ai informé le ministère de l’intérieur et 300 policiers armés sont venus garder l’école. Le 4 janvier, ils sont donc revenus : plus de 800 jeunes hommes violents armés sont revenus. C’est uniquement grâce à la présence de la police que l’école a été sauvée.

Le gouverneur du Jharkhand, l’État d’où je viens, a payé toute une publicité, en première page des journaux, dans laquelle il était écrit que les missionnaires chrétiens étaient en train de convertir les dalits et les populations tribales. Il était dit que ces populations étaient stupides comme des vaches, ignorantes, et qu’elles ne savaient pas faire la différence entre Mahomet et Jésus. Une semaine plus tard, il a adopté une loi anti-conversion dans cet État.

Il y a des organisations hindoues qui ont déclaré que d’ici 2025 l’Inde deviendra une nation purement hindoue. Et ils disent que les musulmans doivent aller au Pakistan et les chrétiens doivent tous aller au Vatican ou dans un autre pays chrétien.

L’Église en Inde est jeune et pleine d’espérance. Nous n’avons pas peur et nous n’aurons pas peur. Nous sommes conscients de nos droits constitutionnels, nous avons le droit de pratiquer notre foi et de prêcher l’Évangile. Je suis heureux de vous dire que nous avons beaucoup de vocations sacerdotales et religieuses ; le plus grand nombre d’entre elles vient de cet État d’Orissa où il y a eu ce massacre il y a dix ans. Le sang des martyrs nous a donné le don des vocations.

Nous sommes heureux aussi que les missionnaires indiens soient en train de servir un peu partout dans le monde, dans beaucoup de pays. Nous sommes heureux de pouvoir rapporter la foi à vous qui nous l’avez apportée. Merci pour tout ce que vous faites pour nous. Merci pour le soutien que vous apportez à l’Aide à l’Église en Détresse. De notre côté, nous ne pouvons que vous offrir nos prières ; Que Dieu vous bénisse et soit avec vous et vous protège toujours.

Mgr Mascarenhas, évêque auxiliaire de Ranchi
Secrétaire général de la conférence épiscopale indienne.

« Et je louerai le nom de Dieu par un cantique, je vais le magnifier, lui rendre grâce.
Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! »
Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. »

Psaume 69(68) 33-34, Mercredi Saint

AIDE SOUHAITEE : cf le site AIDE A L’EGLISE EN DETRESSE.

Fête de Pâques – Année C – 21 avril 2019

SI CHRIST N’EST PAS RESSUSCITÉ,VOTRE FOI EST VIDE

CHRIST EST RESSUSCITE. Moquée, critiquée, combattue, la nouvelle traverse les siècles. Nous-mêmes qui la proclamons, parfois nous la mettons en doute et toujours nous la vivons si mal.

Pourtant elle est le cœur et le fondement de la foi chrétienne.

Paul, qui d’abord voulait exterminer ceux qui la confessaient, brûlait du désir de la faire retentir jusqu’au bout du monde : « Christ est ressuscité…il est apparu à Pierre et aux Douze…Et il est aussi apparu à moi…Si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, votre foi est illusoire, vous êtes encore dans vos péchés » (1 Cor 15).

En effet, s’il n’est pas ressuscité, l’histoire de Jésus se termine par son procès, son exécution et son ensevelissement. Comme Jean-Baptiste, Maximilien Kolbe, Gandhi, M.L. King, il n’est qu’un martyr, victime de ses ennemis. Et nous restons sous le régime de la Loi.

D’ailleurs, sans Pâques, nous ne le connaîtrions sans doute pas car ses disciples n’auraient pas rédigé les Evangiles. Nous porterions toujours le poids de nos fautes qu’aucun rite ne pourrait nous enlever et le désir de l’amour éternel que nous portons tous resterait un mirage, une incurable maladie de l’âme.

Nous continuerions à cheminer sur cette terre où Judas qui trahit son maître se pend par désespoir. Où des systèmes politiques et religieux tombent dans le fanatisme meurtrier. Où les puissants installés dans leur hypocrisie condamnent sans vergogne le juste qui dénonce leur mensonge. Où le juge signe un arrêt de mort pour un pauvre homme dont il a reconnu l’innocence. Où Pierre pleure sa lâcheté de n’avoir pas le courage de confesser sa foi.
Où les pierres nous enferment dans la mort.

Si c’est cela la vie, mangeons et buvons car demain nous mourrons. Consommons vite et beaucoup avant d’être consumés pour rien. Car nous n’avons d’autre horizon que la croix. Ou Hiroshima ou Auschwitz.

VOIR LES TEMOINS TRANSFORMES PAR LA FOI PASCALE

Que signifie « être ressuscité » ? Les évangiles eux-mêmes peinent à nous le dire, ils ne parviennent pas à situer un ancien mort qui n’est pas réanimé, qui ne jouit pas d’un prolongement de vie mais qui est, comme ils disent, « relevé…réveillé…debout », qui échappe à nos conditions spatio-temporelles. Comment exprimer l’indicible ?

Mais ce qui ne peut que frapper et interroger le lecteur honnête, c’est la transformation radicale des premiers disciples. Loin d’en tracer un portrait flatteur, les évangiles les montraient lourdauds, perplexes, bégayant des questions inadaptées, lâches devant la mort, fuyant le danger et abandonnant à son sort leur maître prisonnier.

Et même à Pâques, lorsqu’il a commencé à leur apparaître, que de réticences, de doutes, d’interrogations.

Mais lorsque la lumière de l’Esprit les a convaincus, quel retournement, quelle joie, quelle fraternité, quel élan pour porter la Bonne Nouvelle au monde entier !

Et pourtant la foi au Christ ressuscité les engageait sur un sentier dangereux.

La foi nouvelle des convertis n’en faisait pas des dignitaires que l’on admire, des hommes d’affaires fondant une nouvelle religion et faisant fortune avec un nouveau programme.

Aujourd’hui nous, chrétiens d’Europe, nous sommes désarçonnés de nous heurter à une société qui ne veut plus de nous, étonnés de ne pouvoir transmettre nos traditions aux nouvelles générations, soucieux devant nos églises de plus en plus vides.

Mais relisons le Nouveau Testament. Pour les premiers convertis, le danger était partout.

Du côté de leurs frères juifs qui étaient scandalisés : les familles se déchiraient, des liens se rompaient, les synagogues leur refusaient l’entrée, le temple les chassait, les grands maîtres ouvraient des procès, menaçaient, flagellaient, emprisonnaient, tuaient.

Du côté romain, on se méfiait de ces hommes dont le maître avait été condamné à la croix, donc comme un dangereux révolutionnaire. Ses disciples ne préparaient-ils pas une sédition ?

Ni juifs ni païens, ultra minoritaires, les chrétiens étaient une question insoluble. Et c’est bien ce que nous devons continuer d’être.

LA RESURRECTION ABOUTISSEMENT

Et cependant ils étaient ancrés dans une certitude : Christ est mort pour moi et il est vivant. Ils brûlaient d’une joie toute neuve, indicible, comprenant que la libération n’était pas d’abord politique mais spirituelle.

Si Jésus était vivant, c’est donc que sa mort n’était pas que la fin d’un martyr. Qui donc était-il ? En lui convergeaient toutes les grandes promesses des Ecritures et le dessein de Dieu enfin s’éclairait.

Jésus était le mystérieux Serviteur souffrant : « Méprisé, homme douloureux,…En fait ce sont nos souffrances qu’il porte…il est transpercé à cause nos révoltes… Mais dans ses plaies se trouve notre guérison…Sa vie est un sacrifice de réparation et il verra une descendance…il dispensera la justice aux multitudes…puisqu’il s’est dépouillé jusqu’à la mort » ( Isaïe 53)

Il était l’Agneau préfiguré par celui que les esclaves hébreux avaient immolé et consommé en Egypte à la fête de Pessah (Pâque), sacrifice qui avait donné le signal de leur fuite sur les chemins de la liberté (Exode 12). Grâce à lui, on était libéré des chaînes de la culpabilité et on pouvait marcher en toute confiance à la rencontre de Dieu.

Il était le Bon Pasteur à qui chaque fidèle peut dire : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien. Sur de bons pâturages, il me fait reposer…Même si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi… ». ( Psaume 23)

Grâce à lui était inaugurée la nouvelle relation que Dieu avait jadis promise : « Je conclurai une Nouvelle Alliance ; je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes…Je vous donnerai un cœur nouveau … Je mettrai en vous mon propre Esprit… Je vous ferai marcher selon mes lois … Je vous délivrerai de toutes vos souillures… » (Jérémie 31 et Ezéchiel 36)

DIMANCHE ACTUALITE DE PÂQUES

Quand on se mettait à croire à la Résurrection de Jésus, que fallait-il faire ? Comment cet événement allait-il changer le monde ?

En le célébrant chaque semaine. Le lendemain du shabbat qui clôturait la semaine juive, donc le 1er jour de la semaine, les disciples se rassemblaient chez l’un d’entre eux qui disposait d’une maison plus spacieuse. Femmes et hommes, juifs et païens, riches et dockers, notables et esclaves s’accueillaient les uns les autres par des baisers ; ils partageaient leurs joies et leurs peines, les échecs et les réussites de la mission. Puis ils écoutaient des lectures d’Ecritures qui étaient ensuite commentées et discutées. Enfin le président bénissait le pain et la coupe de vin que l’on se partageait. La communion reconstituait le Corps du Christ vivant.

C’était en même temps jour de l’assemblée, jour de la Parole, jour de la réconciliation, jour de l’Eucharistie, jour d’allégresse et de paix. C’était le JOUR DU SEIGNEUR, le DIMANCHE.

Chaque dimanche, le Christ ressuscité vient à nous. ALLELUIA. ALLELUIA. ALLELUIA.


Frère Raphaël Devillers, dominicain

LE CHRIST RESSUSCITE : L’ESPERANCE QUI NE TROMPE PAS

PAPE FRANCOIS : AUDIENCE GÉNÉRALE MERCREDI 10 AVRIL 2013

Avec la Résurrection de Jésus, quelque chose d’absolument nouveau a lieu : nous sommes libérés de l’esclavage du péché et nous devenons fils de Dieu, c’est-à-dire que nous sommes engendrés à nouveau à une vie nouvelle.

L’Esprit Saint réalise en nous cette nouvelle condition de fils de Dieu. Et cela est le plus grand don que nous recevons du Mystère pascal de Jésus.

Et Dieu nous traite comme ses enfants, il nous comprend, nous pardonne, nous embrasse, nous aime, même lorsque nous nous trompons.

LA FOI DOIT SE VIVRE

Toutefois, cette relation filiale avec Dieu n’est pas comme un trésor que nous conservons dans un coin de notre vie, mais elle doit croître, elle doit être nourrie chaque jour par l’écoute de la Parole de Dieu, la prière, la participation aux sacrements, en particulier de la pénitence et de l’Eucharistie, et la charité.

Nous pouvons vivre en fils ! Telle est notre dignité — nous avons la dignité de fils. Nous comporter comme de véritables fils ! Cela signifie que chaque jour, nous devons laisser le Christ nous transformer et nous configurer à Lui; cela signifie vivre en chrétiens, chercher à le suivre, même si nous voyons nos limites et nos faiblesses.

La tentation de laisser Dieu de côté pour nous mettre nous-mêmes au centre est toujours présente et l’expérience du péché blesse notre vie chrétienne, notre condition d’enfants de Dieu. C’est pourquoi nous devons avoir le courage de la foi et ne pas nous laisser guider par la mentalité qui nous dit : « Dieu ne sert pas, il n’est pas important pour toi », et ainsi de suite.

Etre chrétien ne se réduit pas à suivre des commandements, mais veut dire être en Christ, penser comme Lui, agir comme Lui, aimer comme Lui ; c’est Le laisser prendre possession de notre vie et la changer, la transformer, la libérer des ténèbres du mal et du péché.

Chers frères et sœurs, à ceux qui nous demandent raison de l’espérance qui est en nous (cf. 1 P 3, 15), nous montrons le Christ Ressuscité. Nous le montrons à travers l’annonce de la Parole, mais surtout à travers notre vie de ressuscités.

Nous montrons la joie d’être des enfants de Dieu, la liberté que nous donne la vie en Christ, qui est la véritable liberté, celle qui nous sauve de l’esclavage du mal, du péché, de la mort !

Tournons-nous vers la Patrie céleste, nous aurons une lumière et une force nouvelles également dans notre engagement et dans nos difficultés quotidiennes.

C’est un service précieux que nous devons rendre à notre monde, qui souvent ne réussit plus à lever les yeux vers le haut, qui ne réussit plus à lever les yeux vers Dieu. »

PAPE FRANCOIS

TEMOIGNAGE DE MGR AMBONGO, ARCHEVEQUE DE KINSHASA

Je suis ici comme témoin des tribulations d’un peuple, mon peuple, qui réclame juste le droit de vivre digne. C’est une situation qui malheureusement dure depuis des années.

La République démocratique du Congo est un pays immensément riche, un scandale géologique, mais aussi un pays saturé de problèmes. Elle peut être comparée à l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains de brigands qui le dépouillèrent, le rouèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à demi mort.

Mon témoignage s’inscrit dans le contexte d’un pays dont l’histoire est émaillée d’humiliation et de frustration pour le peuple. L’Église dans ce contexte d’obscurité, apparaît comme une pourvoyeuse de lumière.

Le Congo est en proie au mauvais cœur de l’homme. Les grandes entreprises s’y comportent comme des prédateurs.

L’Église a fait le choix d’être du côté de ceux qui souffrent. Elle gère au moins 50% des structures éducationnelles et sanitaires. Sur le plan socio-politique, c’est encore l’Église catholique qui est parvenu à obtenir des dirigeants un accord, celui de la saint Sylvestre, qui a rendu possible les élections présidentielles qui viennent de se dérouler.

Cette situation, ces choix de l’Église, lui attirent énormément d’ennuis. Ceux qui font souffrir le peuple n’acceptent pas ses positions. Nous avons enregistré des morts lors de manifestations pacifiques réclamant simplement le droit de voter.

La position de l’Église manifeste que la foi est d’abord un engagement. Un engagement au côté de ceux qui souffrent, au côté de ceux qui sont déconsidérés, de ceux qui crient leur détresse vers le Seigneur.

Et le Seigneur écoute plus le cri des malheureux que la belle musique des puissants de ce monde. Dans cet engagement, l’Église à travers les prêtres, les laïcs, donne le témoignage d’une foi qui porte des fruits.

Beaucoup de sang a coulé au Congo, et vous avez entendu ces histoires de jeunes gens tués devant les églises, tout simplement parce qu’au nom de leur foi, ils réclament le droit de vivre en tant qu’être humain, de vivre comme Dieu le veut. Je suis ici au milieu de vous pour demander de continuer à nous soutenir dans notre combat pour plus de dignité pour l’homme congolais. J’implore votre prière sur l’ensemble du peuple. En sachant que ce qui se passe au Congo ressemble à la situation de beaucoup d’autres pays de part le monde, particulièrement en Afrique.

Priez en priorité pour les pasteurs. Notre prise de position nous met directement en confrontation avec les puissants de ce monde, surtout dans notre pays. Parce que notre foi nous dit que quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finira par se lever. Nous prions le Seigneur pour que le soleil arrive au plus tôt pour notre peuple. Merci aux organisations qui nous prêtent main forte dans notre combat. Merci en particulier ce soir à l’Aide à l’Église en Détresse. Votre soutien est une façon d’aider vos frères et sœurs qui souffrent en raison du mauvais cœur de l’être humain.

+ Fridolin AMBONGO, ofm cap
Archevêque Métropolitain de Kinshasa,

Pour soutenir son œuvre, cf le site AIDE A L’EGLISE EN DETRESSE

Dimanche des Rameaux – Année C – 14 avril 2019 – Évangile de Luc 22, 14 – 23, 56

ÉVANGILE DE LUC 22, 14 – 23, 56

ACCUEILLIR LE LIBERATEUR

Impossible de l’ignorer. Nous en sommes alertés depuis quelques semaines déjà par les grandes surfaces et les pâtissiers : Pâques approche. C’est écrit en grand au-dessus des rayons où des monceaux d’œufs au chocolat, petits ou gros, nus ou enrubannés, entourés de flopées de lapins et de mignons poussins jaunes, s’offrent à notre convoitise. Quant aux agences de voyage, faisant fi de toutes les recommandations sur le réchauffement climatique, elles remplissent les avions pour des vacances à destination des palmiers.

De même que Noël est maintenant la fête du père rubicond et du sapin enguirlandé, Pâques est la fête du printemps et du chocolat. L’humanité préfère célébrer des rythmes naturels alors que Noël et Pâques sont des fêtes historiques. Elle aime jouir des bienfaits naturels et des cadeaux plutôt que de s’engager dans un temps où son véritable bonheur lui vient de la crèche misérable et de la croix du condamné. Pâques ne pourra jamais être un slogan publicitaire.

Après la vague du communisme qui voulait anéantir Noël et Pâques et ceux qui y croyaient, maintenant le capitalisme séduit même les croyants en pervertissant leurs fêtes et en les noyant dans des mensonges. Violence et séduction usent de méthodes radicalement différentes mais en vue d’un même résultat

Nous prenons conscience qu’avec l’évolution occidentale moderne, des idées et des comportements qui nous paraissaient compatibles avec la foi ne le sont plus. Les gilets jaunes (dans leur inspiration première non violente), les marches des jeunes pour le climat, d’autres initiatives personnelles révèlent un malaise grandissant.

Ce qui étonne, c’est que nous, chrétiens, nous n’ayons pas, depuis longtemps, saisi la mesure de la dérive et osé prendre certains virages. Certes lorsque l’Eglise devient vraie c.à.d. prophétique, ses rangs s’éclaircissent. Beaucoup qui étaient consolés par une religion somnifère ont peur quand on précise les exigences de la foi.

Avec l’entrée des Rameaux aujourd’hui, allons-nous réfléchir à notre entrée dans la vérité de l’Evangile ?

L’ENTREE DE JESUS A JERUSALEM

Quand Jésus a décidé de monter à Jérusalem, il prévoyait bien d’y parvenir pour la grande fête de printemps, la Pâque. Sur la route, un flux incessant de caravanes amenait par milliers des pèlerins venus de tout le pays mais aussi d’Egypte, de Syrie, de Grèce, de Rome. Quel bonheur de revenir sur la terre promise, de retrouver sa famille, d’admirer le magnifique temple dont les travaux d’embellissement se poursuivaient et de se préparer à célébrer l’exode des ancêtres hébreux.

Dieu avait libéré son peuple donc il le libérerait encore. N’est-ce pas cette année qu’il va nous envoyer le Messie, le roi qu’il a promis et qui chassera ces damnés païens de Romains qui nous occupent depuis 90 ans ?

Dès l’approche de la ville, à Béthanie, des Galiléens ont reconnu Jésus qui arrive lui aussi avec ses disciples : ils se mettent à l’escorter et à le montrer à la foule : « Il annonce la venue du royaume de Dieu, nous l’avons vu accomplir des miracles ». On amène un âne et Jésus fait son entrée parmi les vivats d’une foule exubérante qui chante en agitant des rameaux : « Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire aux cieux ».

Et on ne comprend pas que Jésus survenait comme le Roi annoncé par un prophète :

« Pousse des acclamations, Jérusalem.
Voici que ton roi s’avance vers toi, il est juste et victorieux ;
il est humble, monté sur un âne.
Il supprimera les chars de combat, les arcs de guerre,
et il proclamera la paix pour les nations… » (Zacharie 9, 9)

Le malentendu est total. Jésus est porté par un triomphe qu’il ne veut pas et qui va causer sa perte. Car les autorités vont être prises de panique devant l’éventualité d’une insurrection populaire qui provoquerait la répression des Romains, le désastre, des morts, des destructions, des ruines. Cet homme est dangereux.

QUE VA FAIRE JÉSUS ? ET QUE NE VA-T-IL PAS FAIRE ?

Grand étonnement. En montant sur l’humble monture des premiers rois d’Israël, Jésus se prétend bien le Messie. Mais un Messie doux et désarmé, qui ne croit pas au recours à la violence. Il ne veut pas un affrontement sanglant entre son peuple et un autre : il vient faire la paix universelle. Au pas de l’âne, c.à.d. lentement, patiemment, il veut réaliser la réconciliation des peuples, il n’est pas un libérateur d’un peuple contre un autre.

Utopie absurde pour beaucoup. Du coup on lâchera ce poète inefficace, cet homme aux belles paroles inutiles. Et 40 ans plus tard, Jérusalem explosera dans la guerre et, avec son temple, elle disparaîtra dans les flammes. Jésus avait pressenti cet avenir et il pleurait sur l’écrasement futur de sa ville tant aimée (Luc 19, 41).

Autre étonnement. Jésus n’est pas un Messie Juge qui, au nom de Dieu, dénonce les péchés, les turpitudes, les infidélités de beaucoup. Il n’est pas un Pharisien qui transforme la foi en code de préceptes et d’observances, qui pointe les infractions à la Loi, admoneste, reproche, menace, range en deux colonnes les bons et les mauvais, les vertueux et les impies. Son Royaume n’a rien d’une morale figée.

Autre étonnement. Jésus n’opère plus de guérisons physiques. Car il ne veut pas que le peuple soit subjugué par des prodiges et cherche son salut dans des miracles. Et surtout il s’attelle à la guérison plus profonde, la plus nécessaire, celle des cœurs.

Etonnement suprême. Alors que le peuple guettait un chef qui lance ses troupes à l’assaut de la citadelle de Pilate, alors que les Pharisiens attendaient un juge qui condamnerait les pécheurs, Jésus tout au contraire se dirige vers le temple et en chasse les vendeurs. Il tonne : «  Vous en avez fait une caverne de bandits ». Ce cri ne visait pas les marchands mais Caïphe et les Grands Prêtres, organisateurs de ce marché, qui louaient les emplacements et s’octroyaient des bénéfices plantureux. L’édifice majestueux était devenu un système, « une caverne » où l’on se croyait à l’abri en achetant son salut par le faste des cérémonies. C’est cette attaque frontale de Jésus qui va mettre en furie les autorités religieuses : on ne touche jamais impunément au portefeuille. Son sort est joué, il faut supprimer ce perturbateur.

LE TEMPLE DU MESSIE : ENSEIGNEMENT ET ECOUTE

Déjà en décidant de sa montée à Jérusalem, Jésus avait annoncé le sort qui l’attendait. Que va-t-il faire ? Luc nous le dit :

Il était chaque jour à enseigner dans le temple. Les grands prêtres, les anciens et les scribes cherchaient à le faire périr. Mais ils ne trouvaient pas ce qu’ils pourraient faire, car tout le peuple, suspendu à ses lèvres, l’écoutait.

Le temple retrouve sa vocation première : être le lieu central où retentit la Parole de Dieu. Avant de bâtir des édifices majestueux et de célébrer des cérémonies solennelles et des sacrifices, il faut d’abord et sans arrêt que nous écoutions. Croire, ce n’est pas faire mais recevoir. La vie de Marie a commencé par l’annonciation : « Que ta Parole s’accomplisse en moi ». La mission de Jésus a commencé par l’écoute du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé ».

Ecouter mieux et longuement l’Évangile nous apprendrait que nous faisons des choses qu’il ne nous demande pas et que nous ne pratiquons pas des directives qu’il a clairement exposées.

LA PASSION

L’allégresse populaire de l’entrée de Jésus à Jérusalem va faire long feu. Le peuple qui se pressait pour accueillir Jésus et l’écouter ne va pas pour autant se convertir à son enseignement et découvrir le mystérieux Messie qu’il était. Les autorités religieuses parviendront bientôt à leur fin. Et la foule demandera la mort de celui qu’elle avait applaudi comme son roi.

Déjà aujourd’hui nous allons écouter le récit de la Passion que tous les évangélistes nous racontent en détail. Pendant toute la semaine, nous le relirons, nous méditerons ce moment extraordinaire de l’histoire où se sont croisés la haine des prélats et la vérité de Dieu, l’aveuglement des foules et la lumière de Dieu, la lâcheté des disciples et la miséricorde du Seigneur.

Et nous nous retrouverons pour la plus grande des Fêtes, pour l’entrée de Jésus dans l’Eglise, pour son accueil lumineux dans nos cœurs souillés. Sa croix nous le prouve à jamais : Oui il est exact qu’il est notre Roi, il est vrai qu’il apporte la paix à tous les hommes de tous les peuples. Mais c’est par le passage obligé par la mort. Soyons des ânes dociles et têtus, aux grandes oreilles pour bien écouter.


Frère Raphaël Devillers, dominicain

SA MAJESTÉ L’ARGENT

Par Jean-Claude GUILLEBAUD

Quoi que l’on dise, la crise des « gilets jaunes » aura remis au premier plan la précarité, la vie pauvre, l’inégalité. Il était temps. En effet, tandis que la misère s’accroît en Europe, les Bourses s’envolent et, chez nous, les entreprises du CAC 40 affichent des profits record. La frivolité des riches est aussi détestable que leur arrogance.

Oh, je sais ! Dès qu’il est question d’argent et de finance, la petite société politico-médiatique entre en ébullition. Les réquisitoires indignés contre la finance et ses bénéficiaires ne provoquent chez elle qu’un tohu-bohu de remontrances. Il serait ridicule de dénoncer le tout-fric, imprudent de se mettre à dos les marchés financiers, démagogique de flatter les pauvres.

Ces invectives me font penser au film de Bertrand Tavernier Que la fête commence ! (1975), superbe charge contre la surdité des petits marquis d’ancien régime au début du XVIIIe siècle, sous la régence du duc d’Orléans. Et tableau acide d’une élite emmurée dans ses privilèges et ses vanités.

Dans ce film, l’argent s’allie au cynisme dans un tourbillon enrubanné, tandis que le pays gronde d’une colère qui explosera quelques décennies plus tard, en 1789. Entre le climat crépusculaire du XVIIIe et l’aveuglement d’aujourd’hui, le cousinage saute aux yeux. Aujourd’hui comme au XVIIIe, les hyper-riches perdent tout simplement la raison. Il suffirait d’ajouter quelques plumes, hauts-de-chausses ou perruques pour reconnaître les mêmes protagonistes.

Désigner l’argent comme un mauvais maître serait pourtant la moindre des choses en ces temps de misère montante, de Bourse en fête et d’inégalités en marche. Or, on n’ose plus le faire comme le fit Bossuet en 1662 quand il s’en prit sans détour (dans le Sermon sur le mauvais riche) aux puissants de son temps : « Se peut-il faire que vous entendiez la voix languissante des pauvres qui tremblent devant vous ? »

S’attaquer aux riches ? Comme c’est imprudent, répète-t-on aujourd’hui ! Certains croient déceler derrière tout cela les traces d’un archaïsme venu des « cathos », que l’on prétend « coincés » » au sujet de l’argent. Les sots ! Ne savent-ils pas que la mise en garde contre l’argent roi est une longue plainte qui chemine dans toutes les cultures et toutes les confessions ?

Simone Weil écrivait dans l’Enracinement, publié en 1949 :« En faisant de l’argent le mobile unique ou presque de tous les actes, la mesure unique ou presque de toutes choses, on a mis le poison de l’inégalité partout. »

Peut-être songeait-elle au prophète Ézéchiel (28, 5) : « Tu t’es gonflé d’orgueil à force de richesses. » Ou à Isaïe (1, 23) : « Tous aiment les dons corrupteurs et courent après les gains illicites. »

Clairvoyant, George Steiner s’écriait en 2000 : « L’odeur de l’argent empeste chaque pays ». Quant à Charles Péguy, il écrivait dans l’Argent, en 1913 : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, l’argent est maître sans limitation ni mesure. »

On trouve des admonestations identiques chez les bouddhistes, les musulmans ou les athées résolus. Je pense à André Gorz, prestigieuse figure intellectuelle des années 1980 : « L’argent est devenu un parasite qui dévore l’économie. »

Faites passer le message à ceux qui nous gouvernent.

 
Jean-Claude Guillebaud, journaliste, essayiste

La Vie – 2 avril 2019