Le Baptême du Seigneur – Année C – Dimanche 9 janvier 2022

Le Baptême dans l’Esprit

Luc ne dit rien des plus de trente années où Joseph et Marie, à Nazareth, élèvent l’enfant que Dieu leur a donné. Sauf l’épisode étonnant de la fugue du garçon de 12 ans qui étonne les maîtres par sa connaissance des Écritures et qui se justifie devant ses parents en alléguant qu’il « doit être chez son Père ». Ensuite la vie reprend son cours normal : Joseph transmet à Jésus son métier d’artisan avant de disparaître un jour – ce que Luc ne mentionne pas.

Dans ces longues années de vie ordinaire, deux choses à retenir : à la synagogue, aux fêtes liturgiques, dans le silence, Jésus entretient et approfondit sa liaison d’amour filial pour Dieu son Père. Dans le village, il apprend la valeur du travail manuel, il entretient et approfondit ses relations avec les hommes, non seulement les fils d’Israël mais aussi les païens. Car il a sans doute travaillé sur le chantier proche de la magnifique ville de Séphoris, « la perle », qui était en cours d’édification, modèle de la culture grecque en train d’envahir tout le pays.

Le temps passe mais le Fils ne décide rien par lui-même : il attend un signal de Dieu. Et un jour en effet il survient. La rumeur parvient au village : enfin un prophète s’est levé. Il s’appelle Jean, exhorte à la conversion, baptise dans le Jourdain. Jésus range son atelier, embrasse sa maman et s’en va. Sa vie bascule.

Jean s’efface

Le peuple venu auprès de Jean-Baptiste était en attente, et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie. Jean répondit à tous : « Moi je vous baptise d’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi et je ne suis pas digne de délier la lanière de sa sandale. Lui il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu …Hérode, que Jean blâmait parce qu’il avait épousé Hérodiade, la femme de son frère, et à cause de tous ses forfaits, fit enfermer Jean en prison.

Nous avions entendu ce texte pendant l’Avent : Jean avait conscience que ses exhortations et sa prédication morale ne suffisaient pas à sauver le peuple et il pressentait la venue d’un Messie, d’une force infiniment supérieure à la sienne, qui plongerait les hommes dans le feu de l’Esprit seul capable de les changer.

Ici Luc emploie un procédé curieux : alors que Jean va continuer à plonger les gens (et Jésus) dans l’eau, Luc anticipe son emprisonnement qui aura effectivement lieu peu après car ses attaques gênaient le roi. Luc comme les autres évangélistes sont en effet gênés car, en leur temps, des communautés assuraient que Jean était le messie puisque Jésus avait accepté son baptême. C’est pourquoi Luc, obligé de reconnaître le fait, essaie de faire comprendre que Jean n’est qu’une charnière, que son ministère marque la fin d’une époque.

Le baptême est un passage

Le mot baptême nous fait tout de suite penser à une ablution ou une immersion dans l’eau, à un rite statique. Or ici il n’en est rien. Dans le but de gros bénéfices touristiques, les autorités d’Israël et de Trans-Jordanie se sont longtemps affrontées pour prouver que Jean-Baptiste était installé de leur côté : les archéologues ont tranché il n’y a guère, d’après les vestiges retrouvés, c’est bien sur la rive orientale, c.à.d. du côté de la Jordanie, que Jean s’était posté. L’enjeu n’est pas financier mais théologique. Jean obligeait donc ses compatriotes à le rejoindre sur l’autre rive, à y écouter ses enseignements en compagnie éventuellement de païens, puis à accepter de retraverser le Jourdain.

L’endroit est maintenant reconnu : peu avant que le Jourdain se jette dans la Mer morte, les terres boueuses constituent l’endroit le plus bas de la planète, plus de 300 mètres en-dessous du niveau de la mer.

Quelle richesse de signification ! Jean-Baptiste se trouve à peu près à l’endroit ou Moïse, lors de l’Exode plusieurs siècles auparavant, était parvenu en conduisant les esclaves hébreux libérés d’Égypte. Et c’est là qu’il était mort (comme Jean, en prison, va l’être) en chargeant son lieutenant Josué de guider le peuple pour traverser l’eau et occuper la Terre donnée par Dieu. Or, en hébreu, Josué s’écrit comme Jésus : « Iéshouah » = Sauveur.

Plus qu’un bain, le baptême est un passage, une traversée, une « pâque », un exode (= chemin hors de)

Le baptême de Jésus ouvre une ère nouvelle

Comme tout le peuple était baptisé et que Jésus priait, après avoir été baptisé, lui aussi, alors le ciel s’ouvrit. L’Esprit-Saint descendit sur Jésus, sous une apparence corporelle, comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre : « Tu es mon Fils : Moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ».

Tous les gens ont passé le fleuve. Ils ont bien écouté et approuvé les exhortations de Jean, ils sont disposés à faire leur possible pour les mettre en pratique et changer de vie (partager la nourriture et les vêtements, ne faire ni tort ni violence à personne …). Ils rentrent à la maison, reprennent leur travail … mais ils n’ont pas la force d’agir à cette hauteur. Et ils attendent un autre prophète.

Au contraire, Jésus, lui, après avoir plongé dans l’eau, plonge ensuite dans la prière : ici est son véritable baptême dans lequel son Père lui donne son Esprit et où il peut écouter sa Parole qui reprend le verset du psaume 2 pour lui donner maintenant, « aujourd’hui », son investiture messianique. Le Fils reçoit sa mission messianique. Ce que Jean était impuissant à réaliser, aujourd’hui, Jésus est chargé de l’accomplir.

La comparaison de la colombe n’est pas que poétique. Dans les Écritures, notamment le Cantique des Cantiques, Israël est nommée la colombe, la fiancée aimée de Dieu. Jésus, le roi messie bien-aimé, assume le peuple bien-aimé pour le conduire dans le cœur du Père. Par son baptême, Jésus prend en charge le peuple pour lui apprendre à servir Dieu et à chanter son allégresse de peuple sauvé.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

Baptême du Seigneur – Année B – 10 janvier 2021 – Évangile de Marc 1, 7-11

Évangile de Marc 1, 7-11

Le Baptême

Ce dimanche nous fait faire un saut dans le temps : de la naissance de Jésus à sa première manifestation publique lorsqu’il se présente au baptême de Jean. Plus de trente ans se sont passés dont les évangiles ne disent rien mais qui méritent un temps de méditation. Ne menons-nous pas tous de longues périodes où, semble-t-il, « il ne se passe rien » ?

En ces années obscures, un événement important a certainement eu lieu et il n’est même pas mentionné : le père est décédé. L’humble et silencieux Joseph a rempli sa mission et s’est effacé sans laisser de trace. Il a gardé la mère et l’enfant, il a peiné pour assurer leur subsistance, il a accompli son premier rôle de papa juif : apprendre à son enfant à prier, le conduire à la synagogue, lui expliquer les Écritures, lui transmettre les manières de vivre. C’est par lui que Jésus a peu à peu perçu la figure du Dieu Père des miséricordes. Joseph lui a appris son métier : la beauté de l’artisanat, la joie de rendre service aux clients, le devoir de soutenir les plus pauvres, même s’ils tardent à s’acquitter de leur dû. Le travail est la première vocation de l’homme (Genèse 1) et il ne s’effectue pas pour s’enrichir au détriment des autres.

Vie sobre, silence, prière, travail, tendresse, chaleur du foyer, ouverture aux voisins : vraiment quand notre pape François nous propose une année avec Joseph, il ne prône pas une Église confite dans une piété ringarde. Et si la crise nous réapprenait la simplicité, le « sublime du quotidien » (Peyriguère), la profondeur des liens familiaux ?

Un Prophète s’est levé

Depuis des siècles, Israël était écrasé et occupé par les grandes puissances, Babylone, Perse, Grèce, Rome. Il était loin le temps des grandes voix d’Isaïe, Jérémie, Ézéchiel….et Dieu semblait se taire. Les génies dont on parlait partout dans le monde s’appelaient Platon, Aristote, Sophocle, Virgile. La civilisation dite gréco-romaine imprimait partout son style de vie prestigieux, sa civilisation, ses modes de pensée. L’armée romaine imposait la paix, le peuple admirait l’architecture des villes nouvelles, il découvrait les plaisirs du théâtre et des jeux du stade. La foule craquait devant « les vedettes ». Certains en Israël se demandaient si la vieille religion de Moïse n’allait pas disparaître. N’en va-t-il pas de même de nos jours ?

Un jour, la rumeur parvient au village reculé de Nazareth : on dit qu’un prophète s’est levé près du Jourdain. Dieu enfin interviendrait-il ? Les uns doutent ; d’autres disent qu’ils n’ont pas le temps. Jésus décide d’aller voir : il fait ses adieux à sa maman et s’en va en descendant la route de la vallée du fleuve. Son existence va basculer complètement.

L’intervention de Dieu n’arrive pas au cœur des grandes places politiques et intellectuelles : elle semble anodine, sans importance. Dans un recoin insignifiant de l’Empire, à l’écart, Jean s’est posté sur la rive du fleuve et il interpelle avec véhémence les passants. Il les presse de se convertir, de changer de vie au plus tôt, il plonge dans l’eau ceux qui le demandent, il assure qu’un événement capital se prépare. Jean n’est pas un champion d’éloquence, il est pauvrement vécu, se nourrit des ressources du désert proche, ne quémande aucune rétribution. Le contre-type des grandes figures de la culture. D’un coup d’œil, on sait : cet homme est un envoyé de Dieu.

Le baptême-passage par Jean-Baptiste

Le lieu choisi est important : pour être entendu, Jean oblige les pèlerins à sortir d’Israël et à traverser l’eau pour le rejoindre en Transjordanie. Il succède ainsi à Moïse qui, par la grâce de Dieu, avait libéré les hébreux esclaves en Égypte, les avait emmenés au Sinaï où Dieu avait fait alliance avec ce peuple en leur donnant sa Loi puis il leur avait fait traverser le désert pour les conduire sur cette rive orientale du Jourdain. Moïse y était mort et c’est son adjoint, Josué – en hébreu Iéhoshua qui se traduit aussi Jésus ! – qui avait dirigé la traversée du fleuve et fait entrer le peuple dans la terre promise.

Ainsi donc Moïse, c.à.d. la Loi, ne conduit qu’à l’orée du Royaume ; et Jean, son prophète, a compris que lui aussi doit rester sur l’autre rive. Ce qu’il peut faire, c’est faire prendre conscience aux gens qu’ils sont pécheurs, qu’ils ont enfreint la Loi de Dieu, et qu’ils ne peuvent « passer » qu’en se laissant plonger, baptiser par lui dans l’eau. Paul écrira que la Loi ne peut que donner la conscience du mal : elle ne peut libérer.

Et la grandeur unique de Jean est de reconnaître qu’il est l’homme de la frontière. Moïse jadis avait accompli la libération politique, l’exode, « la pâque », le passage de la mer hors de l’exil ; Jean maintenant essaie d’accomplir la libération, la pâque morale mais avouer ses fautes, demander pardon et se laver dans l’eau est nécessaire mais insuffisant. La valeur de Jean n’est pas son baptême mais son humilité, son effacement devant un « autre » qui lui succèdera immédiatement et sera infiniment supérieur à lui :

Jean Baptiste proclamait dans le désert : « Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis même pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi je vous ai baptisés dans l’eau : lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint ».
Or, à cette époque, Jésus vint de Nazareth, ville de Galilée, et se fit baptiser par Jean dans le Jourdain.

Que Jésus demande à Jean de le baptiser a toujours fait problème. N’est-il pas dès lors inférieur à Jean qui serait le vrai Messie ? Et comment comprendre que le Seigneur, fils de Dieu, accepte ce rite de purification des péchés ? Justement parce qu’il ne l’est pas. Comme notre peau est imperméable, notre cœur est tellement endurci qu’il ne peut être transformé par des exhortations extérieures. Les baptisés de Jean sont sincères, ils avouent avec larmes leurs péchés, ils se laissent plonger dans l’eau par Jean pour être nettoyés, ils retournent dans leur vie en ruisselant de bonnes résolutions, décidés à ne plus tomber. Mais pas plus que les sacrifices d’animaux immolés au temple et les bains répétés des Esséniens de Qumran, les ablutions demeurent impuissantes à réaliser ce qu’elles cherchent.

La Révélation de Jésus

Au moment où il sortait de l’eau, Jésus vit le ciel se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe. Du ciel une voix se fit entendre : « Tu es mon Fils bien-aimé : en toi j’ai mis tout mon amour.

Jésus fait une expérience personnelle et la foule n’a rien remarqué. Tandis que Jean, comme Moïse, reste de l’autre côté, Jésus, nouveau Josué, va guider les croyants dans le royaume qui s’ouvre et que symbolise « la déchirure du ciel ». Avec lui la communication directe entre Dieu et les hommes va être rétablie. L’Esprit c.à.d. la force, la dynamique, le souffle de Dieu descend sur lui pour l’investir : il est le Messie, le Sauveur promis par les prophètes (Isaïe 11, 2 ; 42, 1).

A l’origine l’Esprit de Dieu planait sur le magma, le tohu-bohu pour créer le monde (Genèse 1) : ici une nouvelle création s’inaugure. L’image de la colombe rappelle celle que Noé avait lâché à la fin du déluge : maintenant donc s’ouvre le temps de la réconciliation, de la paix de Dieu. Et Jésus reçoit pour lui l’oracle célèbre du psaume 2 qui est la formule d’investiture royale : « Le Seigneur Dieu m’a dit : Tu es mon Fils ». Il est l’Élu choisi par amour : le temps de maturation est terminé et la mission messianique doit commencer sur le champ.

Et tandis que les autres baptisés retournent chacun chez soi pour reprendre la vie, Jésus s’enfonce dans le désert de Juda afin de réfléchir aux options à prendre. Le Père lui a confié la mission mais n’a rien précisé. Jésus, le fils baptisé doit inventer sa conduite. Le choix amoureux du Père ne manipule pas le baptisé : à chacun de décider de ses engagements.

Le baptême définitif

Rien n’a changé dans l’apparence humaine de Jésus : tout l’évangile va tourner autour de la question : « Qui donc est-il, celui-là ? ». Son comportement, ses critiques du culte hypocrite et de la vanité des hauts prélats vont exacerber leur hostilité. Il comprend qu’il va être baptisé d’un nouveau baptême (Mc 10, 38). Ses ennemis le jettent dans le torrent de la mort, mais son Père opère « le passage » et le relève vivant. L’ultime Pâque est accomplie.

Sur ses disciples maintenant le Souffle de Dieu descend, les recrée et les envoie dans le monde. « Convertissez-vous, crie Pierre, que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint Esprit » (Ac 1, 38). Pour entrer dans l’Église, la nouvelle communauté du Seigneur, chacun est appelé à se laisser baptiser mais désormais l’ancien rite de Jean prend des dimensions infinies : « Ensevelis avec le Christ dans le baptême, avec lui encore vous avez été ressuscités puisque vous avez cru en la force de Dieu qui l’a ressuscité des morts. Vous étiez morts à cause de vos péchés : Dieu vous a donné la vie avec Lui » (Col 2, 12)

La coutume du baptême des enfants s’étiole mais de plus en plus de jeunes et adultes demandent à recevoir le baptême. Allons-nous avec eux reconstituer l’Église ancienne ou, aux appels répétés de François, laisserons-nous les nouveaux baptisés nous conduire sur de nouveaux chemins afin de former des communautés débarrassées des virus du cléricalisme, de la médiocrité, de la résignation aux malheurs des hommes ?

Le baptême en Jésus restera toujours nouveauté et recréation de l’homme.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Fête du Baptême de Jésus – Année C – 13 janvier 2019 – Évangile de Luc 3, 15-22

ÉVANGILE DE LUC 3, 15-22

NAITRE DE LA MERE POUR DECOUVRIR LE PERE

Un jour la nouvelle traverse le pays et parvient à Nazareth : après des siècles de silence de Dieu, enfin un prophète vient de se lever. Il s’appelle Jean et il baptise les gens dans le fleuve Jourdain.
C’est le signal. Jésus décide d’aller voir. Il fait ses adieux à sa mère. Sait-il ce qui l’attend ?

MISSION DE JEAN DIT LE BAPTISTE

Il descend dans la vallée et suit la petite route qui longe le Jourdain jusqu’à ce qu’il tombe sur une foule en train d’écouter un prédicateur. Les autorités israéliennes et jordaniennes se sont longtemps disputées pour s’attribuer le lieu où Jean-Baptiste s’était installé (le tourisme religieux rapporte gros !). Aujourd’hui les archéologues ont tranché : les plus anciens vestiges d’un culte au Baptiste sont situés sur la rive jordanienne, donc orientale du Jourdain. Cela n’est pas anodin. C’est de ce côté-là, dit la bible, que jadis les Hébreux, libérés de l’esclavage en Egypte, sont arrivés. Moïse y est mort après avoir nommé son successeur pour entrer dans la terre promise par Dieu. Or ce nouveau chef s’appelait Josué, équivalent en hébreu de Jésus = « Dieu sauve ».

Que fait ce prophète ? Il lance de véhéments appels à une conversion des mœurs, il exige des changements de vie, et il conduit les hommes dans les eaux du gué en annonçant le pardon des péchés. Curieuse prétention car depuis toujours le pardon s’obtient en allant offrir des sacrifices au Temple.
Ainsi donc ce Jean qui, selon Luc, est fils de prêtre donc prêtre lui-même, a tourné le dos au sacerdoce de Jérusalem pour devenir Prophète et instaurer un nouveau rite. Et ce rite est évidemment copié sur l’antique passage des Hébreux. Donc le baptême, qui signifie « plongée », n’est pas une ablution pour être purifié d’une tache mais un passage.

Il s’agit donc du 3e passage, de la 3ème « pâque ». La 1ère fut la sortie d’un pays tyrannique pour posséder son propre pays. La 2ème fut le retour de la déportation en Babylonie, provoqué par le roi Cyrus, nommé « Messie » mais qui maintint la domination perse en Israël. Maintenant voici la 3ème pâque. Mais Jean avoue son impuissance à la mener lui-même à bien. Comme Moïse et tous les anciens prophètes, il constate qu’il ne peut que tonitruer contre le péché, exhorter au changement et même conduire dans le passage de l’eau mais pas davantage. La parole est forte, vraie, véhémente : elle peut émouvoir mais pas mouvoir. Etre admirée mais pas obéie. C’est pourquoi Jean reconnaît :

Moi je vous baptise avec de l’eau mais il vient, celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le feu.

Jean-Baptiste est donc formel : il est faux de ramener Jésus dans la lignée des prophètes, des philosophes, des défenseurs des droits de l’homme, et de ne voir dans son baptême qu’une ablution, un rite symbolique de purification morale, comme on pourrait le faire dans le Gange par exemple.

Entre lui et moi, proclame Jean, il y a infiniment plus qu’une différence entre un maître et son esclave, il y a un abîme. Car lui, et lui seul, va accomplir l’irréalisable : plonger l’homme dans l’Esprit, le Souffle, l’Energie, le Feu d’amour infini de Dieu.
Perplexes les gens s’interrogent : qui donc est celui-là qui va venir ? quand viendra-t-il ? que signifie « plonger dans l’Esprit » ? L’un après l’autre, les baptisés retournent chez eux, satisfaits d’avoir accompli le rite. Jésus attend. L’événement essentiel va survenir.

LA THEOPHANIE

Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. L’Esprit Saint, sous une apparence corporelle, comme une colombe, descendit sur Jésus, et il y eut une voix venant du ciel: « Tu es mon Fils : aujourd’hui je t’ai engendré »

JESUS PRIE. A 15 reprises, Luc notera cette prière de Jésus dans son évangile. Après l’écoute de la parole prophétique et la pratique d’un rite, il importe de se rendre disponible à Dieu. Sinon on se croit capable de pratiquer ce que l’on a entendu et on considère le rite comme un acte magique. Tentations de toujours dans toutes les religions y compris le catholicisme.
Jésus prie : comme sa mère à l’Annonciation, il peut dire : « Je suis le serviteur du Seigneur : que sa Parole s’accomplisse ». Car le rite est vocation à réaliser.
Grâce à la Bible, Luc tente de montrer l’immensité de l’événement.

Il s’agit d’une nouvelle création car à la genèse du monde : « Dieu créa le ciel et la terre et l’Esprit de Dieu planait à la surface des eaux » (Gen 1, 1) et il va pouvoir vivifier et féconder le chaos primitif.

Il rappelle la fin du déluge : Noé lâche une colombe et elle revient le soir avec, au bec, un frais rameau d’olivier » (Gen 8, 11). Jésus va réconcilier l’homme avec Dieu et réconcilier les hommes entre eux.

La colombe est aussi le nom de la chérie du Cantique des Cantiques : elle évoquerait la communauté longtemps éloignée par son péché mais que son Dieu revirginise par son amour. Ce qui voudrait dire que Jésus assume sa communauté, il la porte, il l’aime, il lui permet de se retrouver dans les bras de son Dieu amoureux (Cant 2, 14 ; 6, 9…).

Certains en ont conclu que le baptême est un acte d’adoption de Jésus qui deviendrait un homme divinisé par Dieu. Or, Luc a raconté dans la scène de l’annonciation que Jésus était bien, de naissance, Fils de Dieu. Ici la formule est celle de l’investiture royale : « YHWH m’a dit : Tu es mon fils ; moi aujourd’hui je t’ai engendré ; je te donne toutes les nations en patrimoine » (Psaume 2, 7). Jésus Fils, après avoir vécu dans l’ombre pendant des années, doit maintenant, sans plus attendre, ouvrir son Royaume messianique.

De quelle façon, par quels moyens ? L’Esprit de Dieu ne fait pas de l’homme un robot : tout de suite après Jésus va s’enfoncer tout seul dans le désert afin de réfléchir. Et on sait qu’après la Parole du Père, c’est celle du satan qui va s’insinuer : « Si tu es le Fils de Dieu….. ». Le baptême ouvre un combat contre le mal.

RICHESSES DU BAPTEME

Les documents du Nouveau Testament puis la littérature des Pères des premiers siècles montrent l’importance fondatrice du baptême.

Il est toujours précédé par la proclamation de la Bonne Nouvelle de Pâques : par sa croix et sa résurrection, Jésus est le Seigneur qui donne l’Esprit.

Ensuite il est proposé à l’adhésion libre des auditeurs. Pas de contrainte, pas de coutume religieuse. Il est un acte d’adulte qui se décide en toute conscience : « Le baptême vous sauve : il n’est pas la purification des souillures du corps, mais l’engagement envers Dieu d’une bonne conscience. Il vous sauve par la résurrection de Jésus Christ… » (1 Pierre 3, 21).

Il va remplacer la circoncision, rite qui renforçait l’identité juive mais restait un obstacle pour les païens. Il va permettre l’extension fulgurante de l’Evangile qui devient une foi universelle, œcuménique.

Il est passage dans l’eau mais il est donné « au nom du Seigneur Jésus » (Actes 2, 38), « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28, 19). Il offre une nouvelle identité : devenir fils adoptif de Dieu. « Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni juif ni Grec ; ni esclave ni homme libre ; ni l’homme et la femme. Tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Gal 3, 27)
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Il n’est pas un rite privé et familial, une sacralisation de la naissance mais un rite public, festif, solennel qui scelle l’entrée dans une cellule d’Eglise bien concrète. Donc il présuppose une communauté qui déjà vit les conséquences de la foi et du baptême, qui fête l’entrée de nouveaux membres, les soutient dans leur cheminement, les enseigne, accepte leurs différences, est patiente envers leurs fautes.

Le baptême n’est pas moralisateur mais créatif : « S’il ne naît d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » dit Jésus à Nicodème, le brave pharisien qui voulait se rendre parfait à coup de pratiques (Jean 3, 5). Le baptême est la sortie du sein maternel pour découvrir le Père et devenir frère ou sœur de Jésus, fils premier-né.

Il confère une mission : qui a compris que le baptême le sauve ne peut se confiner dans un privilège ; il ne peut que désirer de toutes ses forces partager cette communion de Dieu avec d’autres.

Le baptême inaugure un combat féroce, intérieur et extérieur, dont la vie de Jésus témoigne. D’où l’importance de se nourrir de sa Parole. La communauté baptisée ressoude sa communion et sa joie dans le repas hebdomadaire de l’Eucharistie et elle chante : « Notre Père… ».

La méditation de ces brèves notices ne nous amène-t-elle pas à la conviction : « Il y a beaucoup à faire dans nos paroisses » ?


Frère Raphaël Devillers, dominicain