Évangile de Jean 18, 33-37
« Je suis venu pour témoigner de la Vérité »
Quelque temps avant l’année civile, l’Église termine ce jour son année liturgique par la grande proclamation de sa foi : Jésus de Nazareth est bien le Roi Seigneur de l’univers. Et, paradoxe suprême, l’évangile de ce dimanche raconte comment Jésus affirme sa royauté au moment même où il va être condamné à mort.
Les autorités religieuses du temple de Jérusalem étaient en effet de plus en plus excédées par ce Galiléen depuis sa joyeuse entrée en ville, surtout suite à sa colère contre le marché aux bestiaux, ses débats où il l’emportait sur les experts, sa popularité de plus en plus grande. Quoi qu’il dise de sa douceur, la foule, enflammée par l’effervescence pascale, n’allait-elle pas se soulever derrière lui dans une révolution violente ? Cet homme était dangereux : il fallait le supprimer au plus vite. Puisque Rome, seule, avait pouvoir de condamner à mort, on réussit à capturer Jésus dans la nuit au mont des Oliviers et dès le petit matin, on livra le prisonnier à la résidence de Ponce Pilate, le gouverneur.
Les Juifs refusèrent d’entrer dans une maison païenne afin de rester purs et pouvoir consommer bientôt la Pâque : c’est pourquoi ils demeurèrent dehors. Cela va obliger Pilate à un va et vient et 7 scènes vont se succéder : à l’extérieur, il se heurte aux Juifs qui vocifèrent et exigent la condamnation à mort de cet homme ; à l’intérieur, Pilate interroge ce curieux prisonnier dont il ne voit pas la culpabilité. Qui a raison ?
1ère Scène : Dehors : Pilate et les Juifs
« Ceux qui avaient amené Jésus n’entrèrent pas dans le prétoire. Pilate vint donc les trouver à l’extérieur :
- « Quelle accusation portez-vous contre cet homme »
- « Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ? ».
- « Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre Loi ».
- « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ».
C’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir ».
« Ceux qui avaient amené Jésus n’entrèrent pas dans le prétoire. Pilate vint donc les trouver à l’extérieur :
« Quelle accusation portez-vous contre cet homme »
« Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ? ».
« Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre Loi ».
« Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ».
C’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir ».
On voit l’embarras : les Juifs accusent Jésus pour des raisons religieuses. Pilate rétorque que ce n’est pas son rayon, qu’il est là pour juger les troubles politiques. Sa police qui surveille la ville a dû l’assurer que ce Galiléen était inoffensif. Les Juifs auraient pu faire exécuter Jésus par lapidation mais ils tiennent à ce que Rome porte la responsabilité et donc l’exécutent sur la croix.
Or Jésus déjà avait annoncé qu’il mourrait de cette façon : « Comme Moïse a élevé le serpent, il faut que le Fils de l’homme soit élevé » (3, 14). Et : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »(12, 32). La croix, qui est un écrasement dans l’horreur, sera donc « une élévation » comme on est élevé sur un trône et une pancarte portera l’inscription « Jésus Roi des Juifs ». Elle sera comme la représentation de l’offrande que l’humanité fait à Dieu afin d’obtenir son pardon. Les deux poutres transversales manifesteront l’union retrouvée entre ciel et terre, entre miséricorde du Dieu transcendant et amour des hommes de toutes origines. Les premières représentations de Jésus en croix seront glorieuses ; c’est l’occident qui insistera de plus en plus – trop ! – sur l’horreur de la souffrance.
2ème Scène : Dehors : Pilate interroge Jésus
Pilate rentra dans la résidence. Il appela Jésus :
- « Tu es le roi des juifs ? ».
- « Dis-tu cela de toi- même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? ».
- « Est-ce que je suis Juif moi ? Ta propre nation, tes grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu fait ? ».
- « Ma royauté ne vient pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais ma royauté maintenant n’est pas d’ici ».
- « Tu es donc roi ?
- « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
- « Qu’est-ce que la vérité ? »
Sur ces mots Pilate alla trouver les Juifs dehors…
Pilate est très perplexe devant cette situation inédite : des Juifs qui insistent pour que l’un de leurs compatriotes soit mis à mort et il ne parvient pas à comprendre leur raison. Il a entendu le mot « messie » dont il ne saisit pas la signification : chef de guerre ? révolutionnaire ?….roi ?…Jésus lui demande d’où il tient ce mot et quel sens il lui donne. Il lance : Finalement qu’as-tu fait pour que tes chefs veuillent ton exécution ?…C’est alors que Jésus peut ouvertement parler de sa royauté et comment il faut entendre cette affirmation.
Donc Jésus affirme bien qu’il est roi, il parle de « ma royauté »par trois fois. Mais celle-ci « n’est pas de ce monde ». Attention : cela ne signifie pas que cette royauté ne s’exercera que plus tard, dans un autre monde ultra-terrestre. Son Royaume est bien là, ici, maintenant mais il ne s’établit pas, il ne s’exerce pas à la manière des royaumes du monde. Ceux-ci ont un territoire limité, le roi siège dans des palais somptueux, il impose son pouvoir par succession ou par la force, il dirige tous ses sujets, il déploie sa puissance par l’apparat, la force, les grandeurs, le luxe. Il dirige une police et une armée qui sévissent sans pitié.
Le royaume de Jésus contredit de bout en bout cette conception : il ne s’établit pas sur un territoire délimité, ne dispose pas d’une force qui le défend. A Gethsémani, les pauvres apôtres ont bien tenté un essai mais Jésus les en a dissuadés sur le champ : « Celui qui emploie l’épée périra par l’épée ». Il n’a pas de trône, n’étale aucun faste, n’appelle que les volontaires.
En quoi donc consiste cette mystérieuse royauté ?
- Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix.
Tout ne s’éclaire que si l’on croit que Jésus, comme il l’affirme, a son origine près de son Père ainsi que l’affirmait d’emblée le prologue : « Au commencement était le Verbe, le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu …Il était dans le monde et le monde fut par lui, il est venu chez les siens …Et le Verbe fut chair et il a habité parmi nous » (1, 1-14). Il n’est pas venu comme déflagration fulgurante, ni pour montrer Dieu, ni pour l’expliquer, ni seulement pour transmettre sa Loi comme Moïse. Il est venu et il a été et il est par son être, ses paroles et ses actes « Témoin de la Vérité ».
Comment établit-il son royaume ? Non sur un peuple ni sur un territoire. Non par la force ni par la séduction.« Il PARLE ». Selon la parabole, Il lance des messages comme des graines à tout vent. Comme le Bon Pasteur, il hèle ses brebis, dont le cœur est ouvert à la lumière ; celles qui le connaissent, qui le reconnaissent, accourent vers lui et marchent à sa suite. Celui dont le cœur est faussé par des désirs mauvais – se réaliser dans l’orgueil, l’avidité des biens, la dureté…- n’entend pas cette voix, refuse de l’écouter, s’en moque.
Pilate a fait des études, il a étudié les philosophes grecs et latins, il a participé à des débats sur les grandes questions qui agitent l’humanité. Il est parvenu au scepticisme, à la conviction que l’on ne saura jamais la vérité. C’est pourquoi excédé par ce curieux prisonnier, il se lève brusquement pour rejoindre le groupe dehors : « Bah qu’est-ce que la vérité ? ». Un mythe, un rêve. Et il se détourne de ce Juif ridicule qui était devant lui « la Vérité » (14, 6)
Il est gravissime de capituler devant la recherche de la lumière. Peu après, alors même que, par trois fois, Pilate vient d’affirmer qu’il ne trouve aucune raison de condamner cet homme, les Juifs le menaceront de déclencher une émeute et de l’en déclarer coupable à Rome. Sa carrière est en jeu : Pilate craque et signe l’arrêt de mort de Jésus qu’il a déclaré innocent !!. Qui tourne le dos à la lumière bascule dans la trahison et le crime.
3ème Scène : Dehors : Pilate libère Barabbas
4ème Scène : Dedans : Flagellation et parodie du couronnement impérial
5ème Scène : Dehors : Jésus exhibé : On exige sa mort
6ème scène : Dedans : Jésus devant Pilate décidé à le relâcher
7ème Scène : Dehors : Jésus exhibé : la foule exige sa mort ; Pilate cède.
Conclusion
Deux remarques importantes. Il serait faux (comme on la fait) d’accuser l’ensemble du peuple juif. L’immense foule des pèlerins ne connaissait pas Jésus ; pris par tous les préparatifs de Pâque, ils n’ont même rien su de cette scène.
Pilate représente la multitude partagée devant ce personnage de Jésus. On ressent pour lui une certaine sympathie mais les confrères, les médias, les désirs de réussir sa carrière, l’acharnement au travail, le goût des divertissements font qu’on se laisse entraîner….Chers parents, vous verrez sans doute de vos enfants quitter cette foi que vous avez tenté de leur transmettre. Dites-leur une chose essentielle : On ne badine pas avec la vérité ; « Il faut aller à la Vérité avec toute son âme » (Simone Weil)
Fr. Raphaël Devillers, dominicain.