Le Christ Roi de l’Univers – Année C – 20 novembre 2022 – Évangile de Luc 23, 35-43

Évangile de Luc 23, 35-43

Le Roi de l’Univers

Nous célébrons ce dimanche le Christ Roi de l’Univers. De nos jours, « Christ » apparaît comme un nom propre, presqu’un second prénom de Jésus : il est Jésus-Christ. C’est commode d’autant qu’il y a plusieurs Jésus dans la Bible, qui est notamment le prénom de celui que nous appelons Barabbas.

Étymologiquement, « Christ » – du grec « Khristós » – signifie celui qui a reçu l’onction d’huile, littéralement « le badigeonné ». On trouve, par exemple, dans la Bible, l’usage du mot « christ » à propos d’un mur couvert d’enduit. Pour les personnes, il s’agit de l’onction divine, traduction du terme hébreu « Mashia’h », dont dérive le mot français « Messie ». Le Christ est ainsi celui que Dieu a consacré.

Le titre n’appartient pas qu’à Jésus. Dans l’Ancien Testament, les rois d’Israël sont christs ; Sirius, le roi perse qui libère les Hébreux de la captivité à Babylone est, lui-aussi, appelé christ. On le voit, c’est un terme général qui qualifie ceux qui dirigent le peuple vers la délivrance et le salut. A notre baptême, nous avons tous reçu l’onction sainte qui fait de nous des christs, des personnes aptes à se diriger elles-mêmes vers le salut.

C’est l’occasion de nous poser la question : qui gouverne ? Qui gouverne notre cœur, notre vie ?

Le roi est celui qui incarne le gouvernement. C’est là sa définition. Gouverner c’est avant tout prendre des décisions, donner une direction à une action et finalement un sens à l’existence, au moins l’inscrire dans une certaine perspective. Et convenons d’appeler roi ou reine celui qui tient la barre, qui décide, qui gouverne.

Évacuons d’emblée le cas maladif de celui qui se prend pour le roi, qui considère le gouvernement essentiellement sous l’angle de la reconnaissance et des égards qu’il reçoit parfois – « ceux qui aiment les premiers rangs dans les assemblées » dira l’Écriture – qui demandent avant tout à être reconnus, à être servis, à être obéis ; qui veulent le pouvoir non pour ce qu’il permet mais pour ce qu’il représente. Se prendre pour le roi dénote une stratégie immature pour compenser une médiocrité que l’on se connaît. C’est du camouflage.

Qui gouverne ma vie ? Quelles sont la ou les personnes qui m’incitent à telle ou telle direction ? Qui dirige le sens que prend mon existence ? Qui lui donne son sens ultime ?

Beaucoup diront peut-être : finalement, le roi c’est moi. Je suis le maître de mon existence. Je me sens fondamentalement libre ; je fais ce que je veux ; je suis le roi. C’est moi qui gouverne ma vie.

C’est un peu simple, je trouve, de s’affirmer le roi, de se penser pleinement en charge de sa destinée, d’espérer avoir totalement le gouvernail de sa vie en main. Il y a des choix libres pour tous, c’est certain – et Dieu nous veut libres. Mais il y a des choix contingentés, des choix orientés – par d’autres ou par les événements – et il y a aussi des directions qui nous sont imposées, parfois contre notre gré.

Qui gouverne ?

Le monde, l’État, la société, notre entourage exercent sur nous une influence, parfois avec poids. Beaucoup de décisions que nous prenons le sont en fonction de notre environnement et même de la pensée d’autrui.

Qu’est-ce qui oriente mon affectivité ? Moi ? Qui détermine la direction que prend mon cœur ? D’où me viennent tel ou tel attrait ? De ma propre décision ? D’où viennent mes centres d’intérêts, mes préoccupations ? De ma seule liberté ou la vie qui a été la mienne, les personnes qui ont eu sur moi une influence les ont-elles contingentées, orientées ? Les opportunités qui me sont offertes dépendent en grande partie des circonstances : on ne choisit ni ses parents, ni sa famille, ni la culture dans laquelle on naît.

Qui gouverne ma vie ? Qui gouverne mes choix ?

Si les marques font de la publicité c’est que ça marche. C’est d’ailleurs prouvé. Les discours que nous recevons ont pour but de nous convaincre ; pas toujours en dialogue. Beaucoup d’idées, de concepts, de stéréotypes nous sont imposés. Par la culture ambiante, par les médias, aussi par nos proches. La fabrication du consentement – en fait son orientation – est devenue une science dont se servent désormais les politiciens, les économistes, les stratèges.

Qui gouverne ce à quoi je pense ?

Les idées sur lesquelles votre cerveau sautille actuellement : ce sont les miennes. Ce sont mes mots auxquels votre cerveau attache son attention. Le fil de pensée qui est le vôtre pour l’instant qui le dirige ? Vous ? Moi ? Les deux ?

Et même lorsque je me prends personnellement en charge, il m’arrive de m’aveugler, de me tromper, de me mentir même parfois. Qui gouverne alors ? Mon inconscient ?

Alors répondons à toutes ces questions.

Dieu nous a créés libres et la liberté que je prends est celle de vouloir le bien. Comme nous tous ici, je l’espère, je me donne la direction du bien – de manière presqu’abstraite et ainsi plus librement.

Le bien que je désire : c’est l’amour. Et je le désire tellement que je l’érige en puissance de gouvernement pour ma vie. C’est l’amour – ici aussi dans ce qu’il a d’absolu, et libre – qui oriente et dirige ma vie.

Il se trouve que l’amour est toujours une personne.

Dans le mesure où le Christ, incarne pour nous, l’amour personnel de Dieu qui vient à notre rencontre, alors oui : je souhaite qu’il soit pour moi le roi, cette personne qui gouverne ma vie avec une puissance qui me dépasse. Avant tout autre – la société, l’époque ou celles et ceux qui m’entourent – c’est lui, l’amour parfaitement incarné de Dieu, que je souhaite voir orienter tout mon univers.

Notre baptême a fait de nous des « christ-roi », des personnes qui, munies de l’Esprit-Saint, sont capables de se gouverner elles-mêmes. Ainsi la personne qui gouverne le chrétien c’est lui-même, en dialogue avec Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Le Christ Roi de l’Univers – Année B – 21 novembre 2021 – Évangile de Jean 18, 33-37

Évangile de Jean 18, 33-37

« Je suis venu pour témoigner de la Vérité »

Quelque temps avant l’année civile, l’Église termine ce jour son année liturgique par la grande proclamation de sa foi : Jésus de Nazareth est bien le Roi Seigneur de l’univers. Et, paradoxe suprême, l’évangile de ce dimanche raconte comment Jésus affirme sa royauté au moment même où il va être condamné à mort.

Les autorités religieuses du temple de Jérusalem étaient en effet de plus en plus excédées par ce Galiléen depuis sa joyeuse entrée en ville, surtout suite à sa colère contre le marché aux bestiaux, ses débats où il l’emportait sur les experts, sa popularité de plus en plus grande. Quoi qu’il dise de sa douceur, la foule, enflammée par l’effervescence pascale, n’allait-elle pas se soulever derrière lui dans une révolution violente ? Cet homme était dangereux : il fallait le supprimer au plus vite. Puisque Rome, seule, avait pouvoir de condamner à mort, on réussit à capturer Jésus dans la nuit au mont des Oliviers et dès le petit matin, on livra le prisonnier à la résidence de Ponce Pilate, le gouverneur.

Les Juifs refusèrent d’entrer dans une maison païenne afin de rester purs et pouvoir consommer bientôt la Pâque : c’est pourquoi ils demeurèrent dehors. Cela va obliger Pilate à un va et vient et 7 scènes vont se succéder : à l’extérieur, il se heurte aux Juifs qui vocifèrent et exigent la condamnation à mort de cet homme ; à l’intérieur, Pilate interroge ce curieux prisonnier dont il ne voit pas la culpabilité. Qui a raison ?

1ère Scène : Dehors : Pilate et les Juifs

« Ceux qui avaient amené Jésus n’entrèrent pas dans le prétoire. Pilate vint donc les trouver à l’extérieur :

  • « Quelle accusation portez-vous contre cet homme »
  • «  Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ? ».
  • «  Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre Loi ».
  • « Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ».

C’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir ».

« Ceux qui avaient amené Jésus n’entrèrent pas dans le prétoire. Pilate vint donc les trouver à l’extérieur :
« Quelle accusation portez-vous contre cet homme »
« Si cet individu n’avait pas fait le mal, te l’aurions-nous livré ? ».
« Prenez-le et jugez-le vous-mêmes suivant votre Loi ».
« Il ne nous est pas permis de mettre quelqu’un à mort ».
C’est ainsi que devait s’accomplir la parole par laquelle Jésus avait signifié de quelle mort il devait mourir ».

On voit l’embarras : les Juifs accusent Jésus pour des raisons religieuses. Pilate rétorque que ce n’est pas son rayon, qu’il est là pour juger les troubles politiques. Sa police qui surveille la ville a dû l’assurer que ce Galiléen était inoffensif. Les Juifs auraient pu faire exécuter Jésus par lapidation mais ils tiennent à ce que Rome porte la responsabilité et donc l’exécutent sur la croix.

Or Jésus déjà avait annoncé qu’il mourrait de cette façon : « Comme Moïse a élevé le serpent, il faut que le Fils de l’homme soit élevé » (3, 14). Et : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »(12, 32). La croix, qui est un écrasement dans l’horreur, sera donc « une élévation » comme on est élevé sur un trône et une pancarte portera l’inscription « Jésus Roi des Juifs ». Elle sera comme la représentation de l’offrande que l’humanité fait à Dieu afin d’obtenir son pardon. Les deux poutres transversales manifesteront l’union retrouvée entre ciel et terre, entre miséricorde du Dieu transcendant et amour des hommes de toutes origines. Les premières représentations de Jésus en croix seront glorieuses ; c’est l’occident qui insistera de plus en plus – trop ! – sur l’horreur de la souffrance.

2ème Scène : Dehors : Pilate interroge Jésus

Pilate rentra dans la résidence. Il appela Jésus :

  • « Tu es le roi des juifs ? ».
  • « Dis-tu cela de toi- même ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? ».
  • « Est-ce que je suis Juif moi ? Ta propre nation, tes grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu fait ? ».
  • « Ma royauté ne vient pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais ma royauté maintenant n’est pas d’ici ».
  • « Tu es donc roi ?
  • « C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.
  • « Qu’est-ce que la vérité ? »

Sur ces mots Pilate alla trouver les Juifs dehors…

Pilate est très perplexe devant cette situation inédite : des Juifs qui insistent pour que l’un de leurs compatriotes soit mis à mort et il ne parvient pas à comprendre leur raison. Il a entendu le mot « messie » dont il ne saisit pas la signification : chef de guerre ? révolutionnaire ?….roi ?…Jésus lui demande d’où il tient ce mot et quel sens il lui donne. Il lance : Finalement qu’as-tu fait pour que tes chefs veuillent ton exécution ?…C’est alors que Jésus peut ouvertement parler de sa royauté et comment il faut entendre cette affirmation.

Donc Jésus affirme bien qu’il est roi, il parle de « ma royauté »par trois fois. Mais celle-ci « n’est pas de ce monde ». Attention : cela ne signifie pas que cette royauté ne s’exercera que plus tard, dans un autre monde ultra-terrestre. Son Royaume est bien là, ici, maintenant mais il ne s’établit pas, il ne s’exerce pas à la manière des royaumes du monde. Ceux-ci ont un territoire limité, le roi siège dans des palais somptueux, il impose son pouvoir par succession ou par la force, il dirige tous ses sujets, il déploie sa puissance par l’apparat, la force, les grandeurs, le luxe. Il dirige une police et une armée qui sévissent sans pitié.

Le royaume de Jésus contredit de bout en bout cette conception : il ne s’établit pas sur un territoire délimité, ne dispose pas d’une force qui le défend. A Gethsémani, les pauvres apôtres ont bien tenté un essai mais Jésus les en a dissuadés sur le champ : « Celui qui emploie l’épée périra par l’épée ». Il n’a pas de trône, n’étale aucun faste, n’appelle que les volontaires.

En quoi donc consiste cette mystérieuse royauté ?

  • Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité, écoute ma voix.

Tout ne s’éclaire que si l’on croit que Jésus, comme il l’affirme, a son origine près de son Père ainsi que l’affirmait d’emblée le prologue : « Au commencement était le Verbe, le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu …Il était dans le monde et le monde fut par lui, il est venu chez les siens …Et le Verbe fut chair et il a habité parmi nous » (1, 1-14). Il n’est pas venu comme déflagration fulgurante, ni pour montrer Dieu, ni pour l’expliquer, ni seulement pour transmettre sa Loi comme Moïse. Il est venu et il a été et il est par son être, ses paroles et ses actes « Témoin de la Vérité ».

Comment établit-il son royaume ? Non sur un peuple ni sur un territoire. Non par la force ni par la séduction.« Il PARLE ». Selon la parabole, Il lance des messages comme des graines à tout vent. Comme le Bon Pasteur, il hèle ses brebis, dont le cœur est ouvert à la lumière ; celles qui le connaissent, qui le reconnaissent, accourent vers lui et marchent à sa suite. Celui dont le cœur est faussé par des désirs mauvais – se réaliser dans l’orgueil, l’avidité des biens, la dureté…- n’entend pas cette voix, refuse de l’écouter, s’en moque.

Pilate a fait des études, il a étudié les philosophes grecs et latins, il a participé à des débats sur les grandes questions qui agitent l’humanité. Il est parvenu au scepticisme, à la conviction que l’on ne saura jamais la vérité. C’est pourquoi excédé par ce curieux prisonnier, il se lève brusquement pour rejoindre le groupe dehors : « Bah qu’est-ce que la vérité ? ». Un mythe, un rêve. Et il se détourne de ce Juif ridicule qui était devant lui « la Vérité » (14, 6)

Il est gravissime de capituler devant la recherche de la lumière. Peu après, alors même que, par trois fois, Pilate vient d’affirmer qu’il ne trouve aucune raison de condamner cet homme, les Juifs le menaceront de déclencher une émeute et de l’en déclarer coupable à Rome. Sa carrière est en jeu : Pilate craque et signe l’arrêt de mort de Jésus qu’il a déclaré innocent !!. Qui tourne le dos à la lumière bascule dans la trahison et le crime.

3ème Scène : Dehors : Pilate libère Barabbas

4ème Scène : Dedans : Flagellation et parodie du couronnement impérial

5ème Scène : Dehors : Jésus exhibé : On exige sa mort

6ème scène : Dedans : Jésus devant Pilate décidé à le relâcher

7ème Scène : Dehors : Jésus exhibé : la foule exige sa mort ; Pilate cède.

Conclusion

Deux remarques importantes. Il serait faux (comme on la fait) d’accuser l’ensemble du peuple juif. L’immense foule des pèlerins ne connaissait pas Jésus ; pris par tous les préparatifs de Pâque, ils n’ont même rien su de cette scène.

Pilate représente la multitude partagée devant ce personnage de Jésus. On ressent pour lui une certaine sympathie mais les confrères, les médias, les désirs de réussir sa carrière, l’acharnement au travail, le goût des divertissements font qu’on se laisse entraîner….Chers parents, vous verrez sans doute de vos enfants quitter cette foi que vous avez tenté de leur transmettre. Dites-leur une chose essentielle : On ne badine pas avec la vérité ; « Il faut aller à la Vérité avec toute son âme » (Simone Weil)

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.

« Nous serons jugés sur l’amour, pas sur le sentiment »

Pape François

Le Christ est le Seigneur de l’Histoire, le Roi de l’Univers et le « Juge de tous », a souligné le pape François lors de l’Angélus de ce dimanche 22 novembre 2020 prononcé depuis la fenêtre du Palais apostolique du Vatican.  Mais cette royauté n’est pas « effrayante », car le Christ est un juge plein de douceur et de miséricorde, a-t-il ajouté. Il est le Roi mais il s’identifie aussi à la « brebis perdue ». Tel est le « paradoxe chrétien ».

Cette « double identité » du Christ indique la voie à suivre et le « critère » du Jugement universel. « Nous serons jugés sur l’amour, pas sur le sentiment », sur la compassion, les œuvres et « la proximité » envers les plus pauvres.

À la fin des Temps, le Seigneur passera en revue son troupeau, en se positionnant du côté « des brebis avec lesquelles il s’est identifié ». Il posera cette question : « As-tu été capable de perdre du temps pour prendre soin de moi » à travers les plus pauvres ?

Site Aleteia 23.11.20

Le Christ Roi de l’Univers – Année A – 22 novembre 2020 – Évangile de Matthieu 25, 31-46

Évangile de Matthieu 25, 31-46

« … C’est à moi que vous l’avez fait »

Ce dimanche est le dernier de l’année liturgique. Et comme celle-ci célèbre la mémoire de l’histoire du monde, il est normal qu’aujourd’hui soit évoquée la page ultime de cette histoire : le Jugement dernier.

Qui aurait la prétention de se diriger, le cœur paisible, vers ce moment décisif ? Qui serait assez aveuglé par l’orgueil pour ne pas reconnaître ses fautes et ne pas trembler devant la perspective de cette comparution ? Nous avons tous vu, au moins en reproduction, des tympans de cathédrales détaillant les horreurs des supplices des condamnés : de quoi en perdre le sommeil ou à l’inverse de rejeter un Dieu impitoyable.

Et cependant, au contraire des animaux soumis à la loi de la jungle, les hommes ont toujours lutté pour endiguer les poussées anarchiques de la violence. Tout petits déjà, les enfants ont le sens de la justice, en tout cas quand ils se croient lésés ; toute entreprise, tout État ne peut fonctionner que par des lois auxquelles tout citoyen est tenu ; les victimes de méfaits exigent procès et condamnation des coupables ; la conscience tente de nous dire le bien et le mal. La justice est une revendication fondamentale.

Mais, en pratique, nous tolérons des injustices qui ne blessent que les autres ; certains bafouent les lois et vivent à leur guise ; des puissants abusent de leur force ; les dictateurs ragent de conquérir ; les calamités s’abattent sur des innocents ; nous devenons sourds à la voix de la conscience lorsque notre intérêt est en jeu ; nous sommes contaminés par la mentalité ambiante (« les autres le font bien »)…Sommes-nous donc condamnés à nous résigner à la fatalité, comme l’antilope qui contemple le lion en train de dévorer son petit  ? « Ainsi va le monde», dit-on : en ce cas notre aventure terrestre est-elle absurde, sans signification ?

A la suite de Moïse et des Prophètes, Jésus a refusé la fatalité et la résignation. Il a renoncé à son métier et au mariage pour se donner tout entier à l’amour des hommes. Il a vécu la non-violence, il est allé vers les plus pauvres, les handicapés et les souffrants. Annoncer le Royaume de Dieu, ce n’est pas consoler les hommes par de vagues promesses sur le futur : c’est, tout de suite, en un coin perdu du globe, rencontrer le tout-venant, s’approcher de tous, hommes, femmes ou enfants, juifs ou païens, paysan, employé, théologien, prêtre. Proposer à tous une autre manière de vivre, une autre façon de voir le prochain. Et aussi dénoncer tout ce qui détruit l’homme, même quand le mal se cache dans l’enceinte du temple et sous des apparences religieuses. Jésus était assoiffé de justice.

Mais si la guérison des corps est un bienfait qui suscite joie et acclamation des foules, la guérison des cœurs est une remise en question, une œuvre difficile, douloureuse et donc elle provoque colère et haine. Ces derniers dimanches, nous avons vu Jésus se heurter au mur du refus. Lui ne peut se taire : eux refusent de changer. Donc la croix est inéluctable. Mais le Père rétablit la justice et ressuscite son Fils : victoire de l’amour. Jésus annonce son départ et met en garde ses disciples : « Veillez ». Dans la nuit du mensonge, gardez la flamme de la foi, faites fructifier les talents reçus. Le moment en est inconnu mais le Fils de l’homme viendra. Que se passera-t-il ? C’est le dernier enseignement de Jésus. Il donne sens à l’histoire des hommes.

Le Jugement Dernier

« Quand le Fils de l’Homme viendra dans la gloire, et tous les anges avec lui, il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui et il séparera les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres ».

Magnifique assurance de Matthieu et autres évangélistes. Une quarantaine d’années après l’horrible crucifixion et la mort certaine de Jésus, alors que l’Église n’est encore qu’une petite secte suspecte et souvent persécutée, les chrétiens proclament leur certitude : le rebut écrasé au Golgotha sera le but de l’histoire, le condamné sera le juge, le serviteur humilié sera le Fils glorieux.

Quels que soient son siècle, son lieu, sa religion, tout être humain doit se laisser voir par la personne de Jésus, Seigneur, son Évangile, sa Pâque. Il n’y aura pas de Procureur général pour exacerber la culpabilité, ni d’avocat pour détailler les circonstances atténuantes. Toute réplique sera impossible car toute vie sera vue dans la lumière divine. Ce sera l’unique Jugement absolument clair. Albert Camus écrivait : « Je l’attends de pied ferme : j’ai connu ce qu’il y a de pire, qui est le jugement des hommes »

Sur quel critère ?

« Le Roi séparera les hommes. Aux uns il dira : « Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume préparé pour vous. Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez accueilli ; j’étais nu et vous m’avez habillé ; j’étais malade et vous m’avez visité ; j’étais en prison et vous êtes venu jusqu’à moi ».
Les justes lui répondront : « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu ? Tu avais faim et soif, tu étais étranger, nu, malade ou en prison ?…Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? ».
Le Roi leur répondra : « Amen je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ».
A l’inverse, il renverra les autres qui n’ont pas accompli ces actions. 

Quelle surprise ! On attendait que le jugement s’appuie sur la foi en Dieu et il porte sur la charité envers le prochain. Ce n’est pas contradictoire car la foi qui n’agit pas est une foi morte. La confession du premier commandement doit se concrétiser dans la pratique du deuxième. St Jacques écrit : « Si vous exécutez la loi royale : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » , vous agissez bien » (2, 8). Si Paul a lutté toute sa vie pour convaincre que l’homme est justifié par la foi et non par les œuvres » (Rom 3, 28), néanmoins il termine sa lettre en disant : « Tous les commandements se résument dans cette parole : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Rom 13, 9).

Les derniers dimanches nous ont rappelé l’ultime combat qui a opposé Jésus aux autorités religieuses. Il dénonçait un lieu sacré dont l’accès était interdit aux handicapés, un culte où l’excès de rites scrupuleux écrasaient les pécheurs. Dieu avait proclamé « C’est la miséricorde que je veux et non des sacrifices »(Matt 9, 13 et 12, 7).

Le jugement dernier est le triomphe de la vérité c.à.d. de la Miséricorde. La foi qui aime Dieu ne peut que vouloir la vie des hommes et elle s’applique aux besoins élémentaires : donner à manger à celui qui a faim, désaltérer celui qui a soif, accueillir celui qui est autre, vêtir celui qui est dépouillé, rendre visite au malade, aller consoler ceux qui sont enfermés dans les prisons, la solitude, le désespoir. « Les besoins matériels de mon prochain sont mes devoirs spirituels » disent les rabbins. Elie Wiesel écrit : « L’inverse de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence ».

A travers ces modestes pratiques profanes, se cache un stupéfiant mystère : « Quand vous avez fait ces actions, c’est à moi que vous les avez faites. Quand vous n’avez pas aidé tous ces pauvres, c’est moi que vous avez délaissé ». Auparavant Jésus s’était déjà identifié à ses missionnaires persécutés: « Qui vous accueille, m’accueille moi-même et qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé » (10, 40). Et il avait calmé le goût des grandeurs de ses apôtres en leur montrant un enfant : « Qui accueille en mon Nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même » (10, 5)

La miséricorde est l’amour purifié de tout égoïsme, de tout élan sentimental et éphémère, de tout racisme, de tout enfermement. Elle n’est pas pitié condescendante, aumône consentie par obéissance, obole offerte pour se donner bonne conscience. Dans la rencontre amicale de l’homme qui souffre et de celui qui a l’honneur de venir le soulager, se joue la rencontre de l’homme et de Dieu, donc de la foi qui est incarnation, donc de Jésus Messie. Et c’est là même que s’opère l’humanisation du monde car l’homme naît lorsqu’il aime.

« C’est à moi que vous l’avez fait »

De Charles de Foucauld à Mère Térésa, de l’Abbé Pierre à Sœur Emmanuelle, incalculables sont, depuis le 20ème siècle, les citations de ce texte devenu le slogan majeur des théologiens de la libération. Il est encore la grande référence de la récente encyclique du pape François au titre repris de François d’Assise: « Tous frères ».

Puisque la pandémie actuelle nous prive de la célébration dominicale, ne pouvons-nous pas réfléchir à l’expression « présence réelle du Christ » ? Elle est, croyons-nous, dans le pain consacré que nous mangeons, mais nous serons jugés sur la façon dont nous l’aurons reconnue dans ceux qui n’ont rien à manger. La communion sacramentelle est un foyer qui doit rayonner sur la communauté universelle de ceux qui manquent.

« Si tu veux rencontrer un Juge miséricordieux, sois miséricordieux avant qu’il vienne. Pardonne si on t’a offensé ; donne les biens que tu possèdes en abondance…Si tu donnais de ton bien, ce serait de la générosité. Mais puisque tu donnes ce que tu tiens de Lui, c’est de la restitution…

Voilà les sacrifices agréables à Dieu : miséricorde, humilité, reconnaissance, paix, charité. Si c’est cela que nous apportons, nous attendrons avec assurance l’avènement du Juge qui « jugera le monde avec justice et les peuples selon sa vérité ». ( St Augustin)

Frère Raphaël Devillers, dominicain