ÉVANGILE DE LUC 22, 14 – 23, 56
ACCUEILLIR LE LIBERATEUR
Impossible de l’ignorer. Nous en sommes alertés depuis quelques semaines déjà par les grandes surfaces et les pâtissiers : Pâques approche. C’est écrit en grand au-dessus des rayons où des monceaux d’œufs au chocolat, petits ou gros, nus ou enrubannés, entourés de flopées de lapins et de mignons poussins jaunes, s’offrent à notre convoitise. Quant aux agences de voyage, faisant fi de toutes les recommandations sur le réchauffement climatique, elles remplissent les avions pour des vacances à destination des palmiers.
De même que Noël est maintenant la fête du père rubicond et du sapin enguirlandé, Pâques est la fête du printemps et du chocolat. L’humanité préfère célébrer des rythmes naturels alors que Noël et Pâques sont des fêtes historiques. Elle aime jouir des bienfaits naturels et des cadeaux plutôt que de s’engager dans un temps où son véritable bonheur lui vient de la crèche misérable et de la croix du condamné. Pâques ne pourra jamais être un slogan publicitaire.
Après la vague du communisme qui voulait anéantir Noël et Pâques et ceux qui y croyaient, maintenant le capitalisme séduit même les croyants en pervertissant leurs fêtes et en les noyant dans des mensonges. Violence et séduction usent de méthodes radicalement différentes mais en vue d’un même résultat
Nous prenons conscience qu’avec l’évolution occidentale moderne, des idées et des comportements qui nous paraissaient compatibles avec la foi ne le sont plus. Les gilets jaunes (dans leur inspiration première non violente), les marches des jeunes pour le climat, d’autres initiatives personnelles révèlent un malaise grandissant.
Ce qui étonne, c’est que nous, chrétiens, nous n’ayons pas, depuis longtemps, saisi la mesure de la dérive et osé prendre certains virages. Certes lorsque l’Eglise devient vraie c.à.d. prophétique, ses rangs s’éclaircissent. Beaucoup qui étaient consolés par une religion somnifère ont peur quand on précise les exigences de la foi.
Avec l’entrée des Rameaux aujourd’hui, allons-nous réfléchir à notre entrée dans la vérité de l’Evangile ?
L’ENTREE DE JESUS A JERUSALEM
Quand Jésus a décidé de monter à Jérusalem, il prévoyait bien d’y parvenir pour la grande fête de printemps, la Pâque. Sur la route, un flux incessant de caravanes amenait par milliers des pèlerins venus de tout le pays mais aussi d’Egypte, de Syrie, de Grèce, de Rome. Quel bonheur de revenir sur la terre promise, de retrouver sa famille, d’admirer le magnifique temple dont les travaux d’embellissement se poursuivaient et de se préparer à célébrer l’exode des ancêtres hébreux.
Dieu avait libéré son peuple donc il le libérerait encore. N’est-ce pas cette année qu’il va nous envoyer le Messie, le roi qu’il a promis et qui chassera ces damnés païens de Romains qui nous occupent depuis 90 ans ?
Dès l’approche de la ville, à Béthanie, des Galiléens ont reconnu Jésus qui arrive lui aussi avec ses disciples : ils se mettent à l’escorter et à le montrer à la foule : « Il annonce la venue du royaume de Dieu, nous l’avons vu accomplir des miracles ». On amène un âne et Jésus fait son entrée parmi les vivats d’une foule exubérante qui chante en agitant des rameaux : « Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire aux cieux ».
Et on ne comprend pas que Jésus survenait comme le Roi annoncé par un prophète :
« Pousse des acclamations, Jérusalem.
Voici que ton roi s’avance vers toi, il est juste et victorieux ;
il est humble, monté sur un âne.
Il supprimera les chars de combat, les arcs de guerre,
et il proclamera la paix pour les nations… » (Zacharie 9, 9)
Le malentendu est total. Jésus est porté par un triomphe qu’il ne veut pas et qui va causer sa perte. Car les autorités vont être prises de panique devant l’éventualité d’une insurrection populaire qui provoquerait la répression des Romains, le désastre, des morts, des destructions, des ruines. Cet homme est dangereux.
QUE VA FAIRE JÉSUS ? ET QUE NE VA-T-IL PAS FAIRE ?
Grand étonnement. En montant sur l’humble monture des premiers rois d’Israël, Jésus se prétend bien le Messie. Mais un Messie doux et désarmé, qui ne croit pas au recours à la violence. Il ne veut pas un affrontement sanglant entre son peuple et un autre : il vient faire la paix universelle. Au pas de l’âne, c.à.d. lentement, patiemment, il veut réaliser la réconciliation des peuples, il n’est pas un libérateur d’un peuple contre un autre.
Utopie absurde pour beaucoup. Du coup on lâchera ce poète inefficace, cet homme aux belles paroles inutiles. Et 40 ans plus tard, Jérusalem explosera dans la guerre et, avec son temple, elle disparaîtra dans les flammes. Jésus avait pressenti cet avenir et il pleurait sur l’écrasement futur de sa ville tant aimée (Luc 19, 41).
Autre étonnement. Jésus n’est pas un Messie Juge qui, au nom de Dieu, dénonce les péchés, les turpitudes, les infidélités de beaucoup. Il n’est pas un Pharisien qui transforme la foi en code de préceptes et d’observances, qui pointe les infractions à la Loi, admoneste, reproche, menace, range en deux colonnes les bons et les mauvais, les vertueux et les impies. Son Royaume n’a rien d’une morale figée.
Autre étonnement. Jésus n’opère plus de guérisons physiques. Car il ne veut pas que le peuple soit subjugué par des prodiges et cherche son salut dans des miracles. Et surtout il s’attelle à la guérison plus profonde, la plus nécessaire, celle des cœurs.
Etonnement suprême. Alors que le peuple guettait un chef qui lance ses troupes à l’assaut de la citadelle de Pilate, alors que les Pharisiens attendaient un juge qui condamnerait les pécheurs, Jésus tout au contraire se dirige vers le temple et en chasse les vendeurs. Il tonne : « Vous en avez fait une caverne de bandits ». Ce cri ne visait pas les marchands mais Caïphe et les Grands Prêtres, organisateurs de ce marché, qui louaient les emplacements et s’octroyaient des bénéfices plantureux. L’édifice majestueux était devenu un système, « une caverne » où l’on se croyait à l’abri en achetant son salut par le faste des cérémonies. C’est cette attaque frontale de Jésus qui va mettre en furie les autorités religieuses : on ne touche jamais impunément au portefeuille. Son sort est joué, il faut supprimer ce perturbateur.
LE TEMPLE DU MESSIE : ENSEIGNEMENT ET ECOUTE
Déjà en décidant de sa montée à Jérusalem, Jésus avait annoncé le sort qui l’attendait. Que va-t-il faire ? Luc nous le dit :
Il était chaque jour à enseigner dans le temple. Les grands prêtres, les anciens et les scribes cherchaient à le faire périr. Mais ils ne trouvaient pas ce qu’ils pourraient faire, car tout le peuple, suspendu à ses lèvres, l’écoutait.
Le temple retrouve sa vocation première : être le lieu central où retentit la Parole de Dieu. Avant de bâtir des édifices majestueux et de célébrer des cérémonies solennelles et des sacrifices, il faut d’abord et sans arrêt que nous écoutions. Croire, ce n’est pas faire mais recevoir. La vie de Marie a commencé par l’annonciation : « Que ta Parole s’accomplisse en moi ». La mission de Jésus a commencé par l’écoute du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé ».
Ecouter mieux et longuement l’Évangile nous apprendrait que nous faisons des choses qu’il ne nous demande pas et que nous ne pratiquons pas des directives qu’il a clairement exposées.
LA PASSION
L’allégresse populaire de l’entrée de Jésus à Jérusalem va faire long feu. Le peuple qui se pressait pour accueillir Jésus et l’écouter ne va pas pour autant se convertir à son enseignement et découvrir le mystérieux Messie qu’il était. Les autorités religieuses parviendront bientôt à leur fin. Et la foule demandera la mort de celui qu’elle avait applaudi comme son roi.
Déjà aujourd’hui nous allons écouter le récit de la Passion que tous les évangélistes nous racontent en détail. Pendant toute la semaine, nous le relirons, nous méditerons ce moment extraordinaire de l’histoire où se sont croisés la haine des prélats et la vérité de Dieu, l’aveuglement des foules et la lumière de Dieu, la lâcheté des disciples et la miséricorde du Seigneur.
Et nous nous retrouverons pour la plus grande des Fêtes, pour l’entrée de Jésus dans l’Eglise, pour son accueil lumineux dans nos cœurs souillés. Sa croix nous le prouve à jamais : Oui il est exact qu’il est notre Roi, il est vrai qu’il apporte la paix à tous les hommes de tous les peuples. Mais c’est par le passage obligé par la mort. Soyons des ânes dociles et têtus, aux grandes oreilles pour bien écouter.
Frère Raphaël Devillers, dominicain