Le pardon : un acte libérateur !

Il existe de nombreuses façons de cheminer pour demander pardon. L’écrivain et essayiste en développement personnel Olivier Clerc rappelle que le chemin commence d’abord par un travail sur soi-même. Une fois ce travail accompli, il s’agit de trouver la voie la plus adaptée pour que le pardon puisse se faire en paix.

Dans « Peut-on tout pardonner ? » (éd. Eyrolles), Olivier Clerc s’intéresse aux différents visages du pardon et aux voies pour y accéder. Ce spécialiste en développement personnel évoque et s’inspire de plusieurs méthodes, parmi lesquelles les « Neuf étapes du pardon » ou le « pardon radical ».


Les Neuf étapes du pardon de Fred Luskin

« Fred Luskin, c’est Monsieur Pardon aux États-Unis ». Chercheur à l’université de Stanford, Fred Luskin se distingue par son « étude du pardon comme un objet de recherche, avec des données scientifiques et une ouverture très large sur les différentes approches ».

Pour le chercheur, chacun crée un récit à partir de l’événement à partir duquel il doit (se faire) pardonner. « C’est un récit de doléance auquel on s’identifie », explique Olivier Clerc, qui estime que l’on « devient l’histoire que l’on raconte ». A force de raconter cette histoire, justement, on néglige la réalité première. Pour l’intervenant comme pour le chercheur américain, « le temps modèle notre vision des choses et il faut apprendre à prendre du recul sur ce qu’on a vécu », sans déformer la réalité. Prendre du recul par rapport à un événement vécu peut permettre de le transformer en « une bénédiction cachée ».

Fred Luskin invite ainsi à prendre conscience du récit et à s’en détacher. « Ce qui cimente nos histoires, ce sont nos émotions », schématise Olivier Clerc. Pour lui, il faut renoncer aux « ciments de la haine, de la tristesse ou du chagrin pour ne pas s’enfermer sur nous-mêmes ». Pardonner, en fait, c’est renaître en mettant à distance les récits.

Les travaux de Fred Luskin montrent aussi que les personnes qui ne pardonnent pas développent un éventail de pathologies, parmi lesquelles des maux de ventre ou de dos. « Leur espérance de vie est réduite d’environ cinq ans », affirme Olivier Clerc. Pardonner, donc, c’est lâcher prise et se « libérer de la rancune ». Dans le cas contraire, on « garde en soi des poisons. Ce qui ne s’exprime pas s’imprime dans le corps ». Et s’il est plus facile à certains de pardonner qu’à d’autres, Olivier Clerc estime que le pardon peut être enseigné : « c’est comme à l’école : certains sont plus forts en maths, d’autres en français, pourtant beaucoup obtiennent le baccalauréat à la fin ».


Le pardon radical pour une fin de vie en paix

« Le mot radical vient du latin et signifie « racine ». Le pardon radical, c’est aller à la racine même du problème », explique Olivier Clerc. Pour lui, c’est ce qui fait la particularité de cette approche.

L’anglais Colin Tipping questionne : « et si tout ce qui arrivait était juste ? Et s’il n’y avait rien à pardonner car rien n’était injuste ? ». Ce coach en développement personnel a beaucoup travaillé avec des personnes en fin de vie. « Face à l’échéance de la mort prochaine, ils veulent souvent expérimenter le pardon dans sa totalité », souligne Olivier Clerc. En fin de vie, « tout lâche : on touche à un tel niveau d’amour et d’inclusion que l’on n’arrive plus à trouver quelque chose à juger ».

« Ça peut paraître dur mais ça peut ouvrir des portes insoupçonnées », souligne Olivier Clerc quant au pardon radical. Colin Tipping aurait ainsi aidé des milliers de personnes à se réconcilier avec leur vie : « il leur a permis de mourir en paix ». Et de rappeler que sur leur lit de mort, de nombreuses personnes « s’ouvrent un espace de liberté intérieure » et expérimentent la cérémonie du pardon radical.

Le pape exhorte les religieux à la «patience courageuse»

Loin de rester «immobiles dans la nostalgie du passé» ou de se complaire dans les lamentations, les religieux doivent poursuivre leur route avec une «patience courageuse», a déclaré le pape François, lors d’une homélie prononcée le 2 février 2021 en la basilique Saint-Pierre de Rome à l’occasion de la 25e Journée mondiale de la vie consacrée.

L’Évangile racontant la Présentation de Jésus au Temple présente à travers la figure de Syméon en quoi consiste la patience, a soutenu le pape. Se montrer patient ne consiste pas à tolérer les difficultés et ne doit pas être perçu comme un «signe de faiblesse», a-t-il ajouté. Bien au contraire, la patience est «la force d’âme qui nous rend capables de porter le poids des problèmes personnels et communautaires, qui nous fait accueillir la diversité de l’autre, ou encore qui nous fait rester en chemin même quand l’ennui et l’acédie nous assaillent».

«La patience nous aide à nous regarder nous-mêmes, nos communautés et le monde avec miséricorde», a affirmé le pontife argentin en appelant les consacrés à se demander s’ils accueillaient cette vertu dans leur vie. «Nous ne pouvons pas rester immobiles dans la nostalgie du passé, nous limiter à répéter les choses de toujours» ou se complaire dans les lamentations du quotidien, a-t-il insisté. Les religieux ont «besoin de la patience courageuse», qui les rend capables «d’explorer de nouvelles routes, de chercher ce que l’Esprit Saint» suggère.

Vie communautaire: le Seigneur ne nous appelle pas à être solistes

Concrètement, il existe trois lieux dans lesquels cette patience doit s’incarner, a-t-il exprimé, le premier étant la vie personnelle. Dans la vie consacrée, «il peut arriver (…) que l’espérance s’use à cause des attentes déçues» car notre travail ne produit pas les fruits attendus. Dans un tel cas, «nous devons être patients avec nous-mêmes et attendre avec confiance les temps et les manières de Dieu», a suggéré le pontife. Dieu est fidèle à ses promesses, et en faire mémoire permet de se souvenir de nos rêves sans céder à la tristesse intérieure et au découragement. La tristesse intérieure est un ver qui nous ronge, a-t-il appuyé.

Cette patience doit également être pratiquée dans le cadre de la vie communautaire, a poursuivi le pape, les relations humaines n’étant pas toujours pacifiques au sein d’un couvent, d’une famille. Au lieu de vouloir trouver une solution immédiate à certains conflits, il faut parfois savoir «attendre un moment meilleur pour s’expliquer dans la charité et dans la vérité». Jamais nous ne pourrons faire un bon discernement si notre cœur est agité, a-t-il insisté.

«Dans nos communautés cette patience réciproque est nécessaire», a-t-il observé: supporter signifie en effet «porter sur ses épaules la vie du frère ou de la sœur, même ses faiblesses et ses défauts». Le Seigneur «ne nous appelle pas à être solistes», a déclaré le pontife, mais à faire partie d’un chœur, qui parfois détonne, mais doit toujours essayer de chanter ensemble».

Le pape a également préconisé cette vertu vis-à-vis du monde. La patience peut aider les religieux à ne pas «rester prisonniers» des lamentations sur le manque de vocations par exemple. Certains sont des «maîtres» dans l’art de se lamenter, a-t-il déploré.«Parfois il arrive qu’à la patience avec laquelle Dieu travaille le terrain de l’histoire et de notre cœur, nous opposions l’impatience de celui qui juge tout, tout de suite» et perdions l’espérance, a mis en garde le pape en jugeant que de nombreux religieux étaient touchés par ce mal.

Le Saint-Père a enfin rappelé que le motif d’espérance des chrétiens est de savoir que Dieu attend chacun sans jamais se lasser: «quand nous nous éloignons il vient nous chercher, quand nous tombons à terre il nous relève» . Il nous enseigne la résilience, a expliqué le pontife. La patience est une manière par laquelle Dieu répond à notre faiblesse pour nous donner le temps de changer, a-t-il résumé en citant l’un de ses théologiens préférés, Romano Guardini.

Article paru sur cath.ch, site du Centre catholique des médias suisses, le 03.02.2021

Qu’est-ce que la générosité chrétienne ?

La générosité est la disposition de cœur qui conduit à donner ou à se donner, ainsi que l’acte, ou les actes, qui concrétisent cette disposition. Il y a générosité lorsqu’un don exprime une largesse et qu’il est librement consenti, dans le souci de l’autre. Une personne est généreuse de cœur ou dans ses jugements si elle fait une large part à autrui. Un acte est généreux si, par-delà tout calcul, il privilégie l’autre. Il le sera aussi s’il dépasse la mesure de ce qui, dans une situation donnée, est considéré comme normalement requis ou attendu.

La générosité, pour exister, doit exprimer une liberté: c’est ce qu’exprime le mot proche de «libéralité». Donner par contrainte extérieure n’est pas faire acte de générosité, même si le don est important. Il faut un minimum de choix personnel pour qu’il y ait générosité. La générosité peut cependant procéder d’un sens du devoir, ou d’une obligation intérieure, pour peu que le don qui en résulte exprime un choix assumé. La générosité, pour subsister comme telle, doit être orientée vers l’autre. Un don effectué comme un investissement personnel, ou dans le but d’en obtenir un retour, n’est pas une générosité. La générosité requiert une dimension de gratuité, même si un retour peut en résulter.

La générosité peut être motivée par le souci de la justice. Mais les deux ne se confondent pas. La justice vise à attribuer à chacun ce qui lui revient, ou qui lui est dû. La générosité donne ce qui appartient à celui qui donne, ou qui manque à celui qui reçoit. « Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles.» La justice a un aspect objectif, universel et réfléchi; elle s’impose à tous. La générosité est plus subjective, plus singulière, plus spontanée ; elle doit procéder d’une libre décision. La générosité est souvent une expression de l’amour. Mais on peut être généreux sans aimer: par refus de l’injustice, par dégoût du malheur, par mauvaise conscience. Certains se demandent si l’on peut qualifier de générosité les actes accomplis en faveur de ceux que l’on aime déjà : aimer ses enfants, ses amis, est-ce être généreux? Tout le monde n’est-il pas capable de générosité, quand il est porté vers l’autre dans la joie et la plénitude qu’apporte l’amour?

Ces questionnements traduisent le fait que l’amour contient, en lui-même, toutes les vertus: être parfait dans l’amour, c’est être parfait dans toutes les vertus. La générosité est ainsi contenue dans l’amour: le don fait partie de l’amour au point qu’il semble que là où il y a amour, on n’a plus à souligner la générosité. Par contre, sans générosité, l’amour s’affaiblit et s’étiole. L’amour, pour exister, a besoin de s’exprimer par le don, et il s’y renouvelle. La générosité a donc sa place dans l’amour, en tant que «supplément d’âme» et que langage relationnel. Dieu, dans sa grâce, préserve pour ceux qui l’aiment, des espaces pour la générosité. S’il nous demande de l’aimer de tout notre cœur, il ne prescrit pas toutes les modalités de cet amour. Il y a place, ainsi, pour de libres expressions de l’amour, pour un langage de générosité envers Dieu et le prochain qui s’oppose à un service calculateur et minimaliste (2 Cor. 8: 1-5). Mais cette libre expression de l’amour pour Dieu et le prochain se vit toujours dans l’humilité et la conscience que la générosité de Dieu est absolument première et englobante : nous ne pouvons offrir que ce que nous avons d’abord reçu (1 Chr. 29: 14).

Il y a place, aussi, pour une générosité du peuple de Dieu qui dépasse les comportements personnels. Certaines lois instituées par Dieu pour Israël, en faveur des plus faibles, sont très généreuses, au regard des pratiques des autres peuples contemporains. Si Dieu invite l’individu à la générosité, il veut aussi que son peuple, en tant que peuple, soit généreux.

Extrait du livre Une approche biblique de la générosité (CNEF)

Personne ne peut se sauver tout seul

« Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre. Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit » (Première Lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 5, 1-2).

L’Apôtre Paul invitait par ces mots la communauté de Thessalonique à rester ferme dans l’attente de la rencontre avec le Seigneur, les pieds et le cœur sur terre, capable de porter un regard attentif sur la réalité et les événements de l’histoire. C’est pourquoi, même si les événements de notre existence semblent tragiques et que nous nous sentons poussés dans le tunnel sombre et pénible de l’injustice et de la souffrance, nous sommes appelés à garder le cœur ouvert à l’espérance, en faisant confiance à Dieu qui se rend présent, nous accompagne avec tendresse, nous soutient dans notre fatigue et, surtout, guide notre chemin. C’est pourquoi saint Paul exhorte constamment la communauté à veiller, en recherchant le bien, la justice et la vérité : «Ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres» (5, 6). C’est une invitation à rester en éveil, à ne pas nous enfermer dans la peur, la souffrance ou la résignation, à ne pas céder à la distraction, à ne pas nous décourager, mais à être au contraire comme des sentinelles capables de veiller et de saisir les premières lueurs de l’aube, surtout aux heures les plus sombres.

(…) Après trois années de pandémie, l’heure est venue de prendre le temps de nous interroger, d’apprendre, de grandir et de nous laisser transformer, tant individuellement que communautairement ; un temps privilégié pour se préparer au « jour du Seigneur ». J’ai déjà eu l’occasion de répéter qu’on ne sort jamais identiques des moments de crise : on en sort soit meilleur, soit pire. Aujourd’hui, nous sommes appelés à nous demander : qu’avons-nous appris de cette situation de pandémie ? Quels chemins nouveaux devons-nous emprunter pour nous défaire des chaînes de nos vieilles habitudes, pour être mieux préparés, pour oser la nouveauté ? Quels signes de vie et d’espérance pouvons-nous saisir pour aller de l’avant et essayer de rendre notre monde meilleur ?

Après avoir touché du doigt la fragilité qui caractérise la réalité humaine ainsi que notre existence personnelle, nous pouvons dire avec certitude que la plus grande leçon léguée par la Covid-19 est la conscience du fait que nous avons tous besoin les uns des autres, que notre plus grand trésor, et aussi le plus fragile, est la fraternité humaine fondée sur notre filiation divine commune, et que personne ne peut se sauver tout seul. Il est donc urgent de rechercher et de promouvoir ensemble les valeurs universelles qui tracent le chemin de cette fraternité humaine. Nous avons également appris que la confiance dans le progrès, la technologie et les effets de la mondialisation n’a pas seulement été excessive, mais s’est transformée en un poison individualiste et idolâtre, menaçant la garantie souhaitée de justice, de concorde et de paix. Dans notre monde qui court très vite, les problèmes généralisés de déséquilibres, d’injustices, de pauvretés et de marginalisations alimentent très souvent des troubles et des conflits, et engendrent des violences voire des guerres.

Tandis que, d’une part, la pandémie a fait émerger tout cela, nous avons fait d’autre part des découvertes positives : un retour bénéfique à l’humilité ; une réduction de certaines prétentions consuméristes ; un sens renouvelé de la solidarité qui nous incite à sortir de notre égoïsme pour nous ouvrir à la souffrance des autres et à leurs besoins ; un engagement, parfois vraiment héroïque, de tant de personnes qui se sont dépensées pour que tous puissent mieux surmonter le drame de l’urgence.

Il a résulté de cette expérience une conscience plus forte qui invite chacun, peuples et nations, à remettre au centre le mot « ensemble ». En effet, c’est ensemble, dans la fraternité et la solidarité, que nous construisons la paix, que nous garantissons la justice et que nous surmontons les événements les plus douloureux. En effet, les réponses les plus efficaces à la pandémie ont été celles qui ont vu des groupes sociaux, des institutions publiques et privées, des organisations internationales, s’unir pour relever le défi en laissant de côté les intérêts particuliers. Seule la paix qui naît de l’amour fraternel et désintéressé peut nous aider à surmonter les crises personnelles, sociales et mondiales.

Dans le même temps, au moment où nous osions espérer que le pire de la nuit de la pandémie de Covid-19 avait été surmonté, une nouvelle calamité terrible s’est abattue sur l’humanité. Nous avons assisté à l’apparition d’un autre fléau : une guerre de plus, en partie comparable à la Covid-19 mais cependant motivée par des choix humains coupables. La guerre en Ukraine sème des victimes innocentes et répand l’incertitude, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour tout le monde, de manière étendue et indiscriminée, y compris pour tous ceux qui, à des milliers de kilomètres de distance, souffrent des effet collatéraux – il suffit de penser aux problèmes du blé et du prix du carburant.

Ce n’est certes pas l’ère post-Covid que nous espérions ou attendions. En effet, cette guerre, comme tous les autres conflits répandus de par le monde, est une défaite pour l’humanité entière et pas seulement pour les parties directement impliquées. Alors qu’un vaccin a été trouvé pour la Covid-19, des solutions adéquates n’ont pas encore été trouvées pour la guerre. Le virus de la guerre est certainement plus difficile à vaincre que ceux qui affectent l’organisme humain, car il ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur, du cœur humain, corrompu par le péché (cf. Évangile de Marc 7, 17-23).

Que nous est-il donc demandé de faire? Tout d’abord, de nous laisser changer le cœur par l’urgence que nous avons vécue, c’est-à-dire permettre à Dieu, à travers ce moment historique, de transformer nos critères habituels d’interprétation du monde et de la réalité. Nous ne pouvons plus penser seulement à préserver l’espace de nos intérêts personnels ou nationaux, mais nous devons y penser à la lumière du bien commun, avec un sens communautaire c’est-à-dire comme un « nous » ouvert à la fraternité universelle. Nous ne pouvons pas continuer à nous protéger seulement nous-mêmes, mais il est temps de nous engager tous pour guérir notre société et notre planète, en créant les bases d’un monde plus juste et plus pacifique, effectivement engagé dans la poursuite d’un bien qui soit vraiment commun.

Pour y parvenir et vivre mieux après l’urgence de la Covid-19, nous ne pouvons pas ignorer un fait fondamental : les nombreuses crises morales, sociales, politiques et économiques que nous vivons sont toutes interconnectées. Ce que nous considérons comme étant des problèmes individuels sont en réalité causes ou conséquences les unes des autres. Nous sommes appelés à relever les défis de notre monde, avec responsabilité et compassion. Nous devons réexaminer la question de la garantie de la santé publique pour tous ; promouvoir des actions en faveur de la paix pour mettre fin aux conflits et aux guerres qui continuent à faire des victimes et à engendrer la pauvreté ; prendre soin, de manière concertée, de notre maison commune et mettre en œuvre des mesures claires et efficaces pour lutter contre le changement climatique ; combattre le virus des inégalités et garantir l’alimentation ainsi qu’un travail décent pour tous, en soutenant ceux qui n’ont pas même un salaire minimum et se trouvent en grande difficulté. Le scandale des peuples affamés nous blesse. Nous devons développer, avec des politiques appropriées, l’accueil et l’intégration, en particulier des migrants et de ceux qui vivent comme des rejetés dans nos sociétés. Ce n’est qu’en nous dépensant dans ces situations, avec un désir altruiste inspiré par l’amour infini et miséricordieux de Dieu, que nous pourrons construire un monde nouveau et contribuer à édifier le Royaume de Dieu qui est un Royaume d’amour, de justice et de paix.

En partageant ces réflexions, je souhaite qu’au cours de la nouvelle année, nous puissions marcher ensemble en conservant précieusement ce que l’histoire peut nous apprendre. Je présente mes meilleurs vœux aux Chefs d’État et de Gouvernement, aux Responsables des Organisations internationales, aux Leaders des différentes religions. À tous les hommes et femmes de bonne volonté, je leur souhaite de construire, jour après jour en artisans de la paix, une bonne année ! Que Marie Immaculée, Mère de Jésus et Reine de la Paix, intercède pour nous et pour le monde entier.

Pape François,
message à l’occasion de la 56e Journée de la Paix, le 1er janvier 2023.

Pape François : une lettre apostolique pour les 400 ans de Blaise Pascal

Le pape François a publié, lundi 19 juin, une lettre apostolique à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal. En rendant hommage à cet homme de science et de foi, le pape souligne la grandeur et la misère de l’être humain.

« Grandeur et misère de l’homme forment le paradoxe qui se trouve au cœur de la réflexion et du message de Blaise Pascal. » Tels sont les premiers mots du texte du pape François qui reprend à son compte les interrogations du philosophe français.

La lettre apostolique (1) Sublimitas et miseria hominis (Grandeur et misère de l’homme) publiée lundi 19 juin, est pétrie d’admiration et d’enthousiasme. Dans les écrits du philosophe, le pape puise des leçons pour le XXIe siècle, confronté tout à la fois au doute et à l’aspiration à la toute-puissance. Le quatrième centenaire de la naissance de Pascal est l’occasion pour François de « stimuler les chrétiens de notre temps et tous les hommes et femmes de bonne volonté dans la recherche du vrai bonheur ».

Avec cette huitième lettre apostolique du pape à visée pastorale, Pascal rejoint des figures qui ont pu inspirer François, telles que saint Jérôme, saint Joseph, mais aussi François de Sales ou Dante. Reconnaissant « l’intelligence prodigieuse » de Pascal, le pape appelle les fidèles à s’interroger : « Nous devons, comme chrétiens, nous tenir éloignés de la tentation de brandir notre foi comme une certitude incontestable qui s’imposerait à tous », rappelant que « l’acte du croyant est possible par la grâce de Dieu, reçue dans un cœur libre ».

Science et foi

Cette lettre est l’occasion de revenir une fois encore sur le débat entre foi et raison : « Blaise Pascal a cela d’extrêmement stimulant qu’il nous rappelle la grandeur de la raison humaine et nous invite à nous en servir pour déchiffrer le monde qui nous entoure ». Citant ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI, François insiste : « Notre Dieu est un Dieu caché, (…) de sorte que notre raison, illuminée par la grâce, n’aura jamais fini de le découvrir. »

Radicalité évangélique

Le pape s’attache à montrer que cet intellectuel était aussi un homme d’action : « L’amour éperdu pour le Christ et le service des pauvres ne furent pas tant la marque d’une rupture dans l’esprit de ce disciple audacieux, que celle d’un approfondissement vers la radicalité évangélique. »

Méditant les Pensées de Pascal, le pape y trouve la confirmation de ce qu’il a déjà évoqué dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, à savoir que « la réalité est supérieure à l’idée ». Pointant les « purismes angéliques » jusqu’aux « intellectualismes sans sagesse », il dénonce « les idéologies mortifères dont nous continuons de souffrir dans les domaines économiques, sociaux, anthropologiques ou moraux [qui] tiennent ceux qui les suivent dans des bulles de croyance où l’idée s’est substituée au réel ».

Le pape s’arrête longuement sur la « nuit de feu » vécue par Pascal le 23 novembre 1654, expérience mystique bouleversante dont le philosophe a fait le récit, dans un texte retrouvé à sa mort, cousu dans son habit. « Pascal en témoigne à toute l’Église ainsi qu’à tout chercheur de Dieu : ce n’est pas le Dieu abstrait ou le Dieu cosmique. C’est le Dieu d’une personne, d’un appel, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui est certitude, qui est sentiment, qui est joie », rappelle le pape qui avait déjà évoqué la conversion de Pascal lors d’une catéchèse, le 3 juin 2020.

Port-Royal

Le pape ne pouvait manquer d’évoquer la crise ayant opposé les jésuites de l’époque aux jansénistes de Port-Royal, soutenus par Pascal. Sans vouloir « rouvrir la question », François dénonce avec Pascal « le néo-pélagianisme qui voudrait que tout dépende de l’effort humain (…) se reconnaît à ce qu’il nous enivre de la présomption d’un salut gagné par nos propres efforts », formule déjà usité dans la lettre à propos de Dante.

Avec cette lettre apostolique, le pape François – qui enseigna la littérature à ses débuts dans la Compagnie de Jésus – confirme son attrait pour les auteurs français tels que Léon Bloy, Bernanos ou Péguy. Cette lettre consacrée à Pascal n’est pas la première occasion pour François de se référer au philosophe mathématicien. En 2017, lors d’un entretien dans le quotidien italien La Repubblica, le pape argentin estimait que Pascal pourrait être béatifié. La procédure, qui devrait être menée par le diocèse de Paris, n’a pas encore été lancée.

Christophe Henning, La Croix du 19/06/2023.

Extrait

« La philosophie de Pascal, toute en paradoxes, procède d’un regard aussi humble que lucide, qui cherche à atteindre « la réalité éclairée par le raisonnement ». Il part du constat que l’homme est comme un étranger à lui-même, grand et misérable. Grand par sa raison, par sa capacité à dompter ses passions, grand même « en ce qu’il se connaît misérable ». Notamment, il aspire à autre chose qu’à assouvir ses instincts ou à leur résister, « car ce qui est nature aux animaux nous l’appelons misère en l’homme ». Il existe une disproportion insupportable entre d’un côté notre volonté infinie d’être heureux et de connaître la vérité, et de l’autre côté notre raison limitée et notre faiblesse physique, qui aboutit à la mort. »

(1) Grandeur et misère de l’homme, lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis, Le Cerf, 52 p., 4,90 €.

Neuvaine au Saint-Esprit

« Jésus ressuscité dit à ses disciples : «  Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous : vous serez alors mes témoins à Jérusalem et jusqu’aux extrémités de la terre »

Quittant la colline du mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem. Ils montèrent dans la chambre haute où ils se retrouvèrent. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et André ; Philippe et Thomas ; Barthélemy et Matthieu ; Jacques, fils d’Alphée, Simon le zélote et Jude, fils de Jacques.

Tous unanimes étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus.

…Quand le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble…Comme un violent coup de vent survint…Une flamme de feu se posa sur chacun deux. Ils furent tous remplis d’Esprit-Saint …Ils sortirent et tous étaient émerveillés de les entendre annoncer les merveilles de Dieu » ( Actes des Apôtres 1, 8-14…2,1-13)

Bien que la liturgie ait privilégié la période de 40 jours de carême, préparation à Pâques, c’est bien les neuf jours de prière qui préparent le don essentiel de l’Esprit, prélude à l’envoi en mission.

Nous vous proposons un moment de prière et de méditation pour chacune des étapes.



LA PREMIERE PENTECÔTE CHRÉTIENNE

1er jour : Non pas faire mais recevoir

On nous apprend à nous préparer à la fête de Pâques en faisant un bon carême : pendant 40 jours, faire des petits sacrifices, nous priver de friandises et d’apéritifs, manger du poisson le vendredi. Hélas ce programme de conversion n’apporte guère de changement à notre vie habituelle et nous retombons dans nos travers.

Les premiers apôtres ont été contraints à davantage de privations car la vie itinérante à la suite de Jésus entraînait bien des renoncements. Pourtant ils aimaient beaucoup leur maître, ils écoutaient avec attention son enseignement, ils assuraient qu’ils lui resteraient toujours fidèles. Même saint Pierre affirmait de façon péremptoire : « Je donnerais ma vie pour toi » et il demeurait sceptique quand Jésus lui répliquait : « Cette nuit même tu me renieras trois fois »(Jean 13, 38). Or en effet lorsque Jésus fut arrêté, ce fut la grande débandade des Douze et Pierre le téméraire jura même ne pas connaitre ce prisonnier.

Vouloir se changer, s’échiner à faire sa statue est une illusion partout répandue et s’appelle pharisaïsme, lequel n’est pas un défaut juif mais universel. Croire qu’à coup de décisions, on va finir par s’améliorer, à correspondre à son idéal, à se rendre meilleurs que les autres, cela ne cache-t-il pas un orgueil caché ?

Mais voici la merveille ! Ce Jésus qui avait été exécuté de la façon la plus horrible et la plus humiliante revient vivant vers ses amis. Il ne déchaîne pas sa colère contre eux, il ne les foudroie pas pour châtier leur lâcheté, il ne les rejette pas pour choisir d’autres hommes plus courageux. Au contraire, plein de douceur, il les salue : « Paix à vous » et il leur montre ses plaies : voici la source de mon pardon.

Pendant quelques jours, Jésus leur apparaît, les persuade qu’il est bien vivant, qu’ils ne sont pas victimes d’une illusion, qu’il est bien le Fils de Dieu son Père qui l’a ressuscité et a fait de lui le Sauveur du monde. En effet les hommes sont prisonniers du mal et ils ont besoin d’être sauvés, d’être libérés du péché et de recevoir la vie divine.

Alors que les Apôtres guettent l’apparition foudroyante et subite du Royaume de Dieu, Jésus les dissuade : « Vous n’avez pas à connaître les temps que Dieu a fixés mais vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem puis jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 7).

Jésus les emmène au mont des Oliviers et il disparaît. Les apôtres reviennent en ville avec des certitudes : Jésus est le Fils qui est entré dans la communion éternelle du Père, il reviendra à un moment inconnu. L’œuvre capitale de l’histoire s’est accomplie : nous allons attendre la force de l’Esprit pour la diffuser.

En ce premier jour de la Neuvaine, nous nous retrouvons dans la même situation. Oui nous nous sommes souvent trompés, nous vivons dans une Église qui pèche parfois gravement, nous avons manqué d’élan, nous avons trop cru en nous-mêmes. Mais le Seigneur croit en nous et ne nous rejettera jamais. Compatissons aux immenses souffrances d’un monde qui oublie Dieu et adore des idoles. Soyons certains que seule la puissance de l’Esprit peut sauver l’humanité du mal. Mais à condition que des femmes et des hommes le demandent, l’accueillent, deviennent ses instruments.

2ème jour : Unis dans la prière

Impossible d’imaginer l’état dans lequel se trouvaient ces premiers disciples lorsque Jésus a disparu. Quelle aventure ils avaient vécu en si peu de temps ! Toutes leurs conceptions s’étaient effondrées comme château de cartes. Nul n’aurait imaginé pareille histoire : mais elle était vraie. Comme Jésus leur avait recommandé : il fallait attendre la venue de la puissance de l’Esprit de Dieu.

« Quittant le mont des Oliviers, ils regagnèrent Jérusalem. A leur retour, ils montèrent dans la chambre haute où ils se retrouvèrent. Il y avait là Pierre, Jean, Jacques et les autres… Tous unanimes étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec les frères de Jésus » (Ac 1, 12)

Saint Luc ne dit pas qu’ils s’enfoncent dans la solitude, qu’ils sortent de cette ville qui a tué leur Maître, ni qu’ils jeûnent ou demeurent en silence. Non. ils prient. Non pas chacun dans son coin. Non pas en intercalant de petits moments de méditation au sein de la vie ordinaire. Mais ensemble et dans une pièce à l’étage, à l’écart du brouhaha. « Tous unanimes » : une âme, un seul coeur. Luc répétera ce mot à plusieurs reprises. Finies leurs chamailleries, leurs rivalités sur les préséances, leurs rêves de grandeur humaine. Ils sont ensemble. Et comme Judas a disparu, on élit Matthias afin de reconstituer le groupe des Douze, symbole des 12 tribus d’Israël.

Il y a là également quelques femmes, sans doute celles qui accompagnaient déjà Jésus sur les routes, qui étaient présentes à la croix, qui découvrirent le tombeau vide et reçurent les premières le message de sa résurrection…sans être crues par les Douze. Des frères et des membres de la famille de Jésus qui au début croyaient que Jésus avait perdu la tête (Mc 3,21) sont là aussi.

Et surtout Luc note la présence de Marie, la mère de Jésus. C’est par elle que tout avait commencé : elle pouvait raconter l’Annonciation, comment elle s’était donnée et, par la force de l’Esprit, avait reçu la présence en elle de Jésus. Que de choses elle put apprendre aux disciples.

Nous aussi maintenant nous attendons dans la prière, assurés sur le fondement des Douze, protégés par l’amour de Marie, tous les cœurs unis dans la même tension. Aucun délai n’a été fixé. Nous méditons sur ce que nous avons vécu, nous nous rappelons les enseignements de Jésus. Et nos cœurs répètent : « Viens Esprit Saint ».

3ème jour : Le souffle de l’Esprit

Or, au 10ème jour de l’attente, Israël fête justement le don de la Loi à Moïse au mont Sinaï. Comme c’est le 50ème jour après la Pâque, on l’appelle « Pentecôte » qui, en grec, signifie « 50ème ». Précisément c’est alors que l’événement extraordinaire s’accomplit: l’Esprit-Saint vient saisir le petit groupe réuni dans la chambre haute.

Tout à coup un coup de vent violent surgit et comme des flammes de feu apparaissent sur chacun d’eux. « Ils furent tous remplis de l’Esprit-Saint et se mirent à parler d’autres langues…A la rumeur, la foule se rassembla et on s’interrogeait : « Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ?…Qu’est-ce que cela veut dire ?…Certains ricanaient : « Ils sont pleins de vin doux ! ».

Que fait donc l’Esprit ? On ne peut le décrire mais seulement évoquer son action par des images. Il est une force telle un coup de vent violent qui soulève et emporte ceux qui le reçoivent, il est un feu qui se manifeste par des flammes, des langues de feu, signes qu’il donne la force de parler. Il ouvre les portes du local, il fait dégringoler les retraitants et il les projette dehors, en pleine rue, au milieu de la foule.

Des Juifs de tous pays sont venus en pèlerinage et Luc s’amuse à souligner leur stupeur – « …en plein désarroi…déconcertés…émerveillés…tous déconcertés…dans leur perplexité… » – car chacun entend ces disciples dans sa langue. Luc veut montrer que dès l’abord l’Église est universelle. Jésus est l’unique Sauveur du monde, il faut l’annoncer dans toutes les nations, il ne faut surtout pas attendre un individu ou un système qui sauverait l’humanité – ni Hitler, ni Mao, ni la science, ni la société de consommation, ni la fortune.

« Ils proclamaient les merveilles de Dieu » : l’Esprit permet de proclamer sans peur toutes les merveilles que Dieu accomplit pour nous en Jésus.

Cherchant une explication, certains supposaient qu’ils avaient bu du vin doux. Signe que l’Esprit n’assomme pas comme l’alcool mais fait jubiler d’une douce allégresse.

Certes l’Esprit ne nous évitera jamais de suivre des cours de langue. Mais attendons qu’il nous bouge, nous fasse sortir, nous comble de joie pour rencontrer tous les hommes dans le dialogue de la paix offerte par Jésus.

Il nous guérit de tout racisme et de tout repli sur nous-mêmes.

4ème jour : L’Esprit fait lancer l’Évangile

L’Esprit-Saint donne une joie nouvelle et il fait parler. Au nom du groupe bienheureux, Pierre, le chef, explique aux gens ce que l’Esprit vient de leur faire comprendre : c’est la proclamation pleine d’assurance de la bonne Nouvelle.

« Comprenez ce qui se passe. Par le prophète Joël, Dieu avait jadis annoncé que, dans les derniers jours, il répandrait son Esprit sur toute chair : quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Eh bien, Jésus, cet homme, selon le plan de Dieu, vous l’avez livré en le faisant crucifier par les païens. Mais Dieu l’a ressuscité. David, dans un psaume, disait déjà : « Tu n’abandonneras pas ma vie au séjour des morts ». Or David est mort et son tombeau est chez nous mais il était prophète et il a vu d’avance la résurrection du Christ.

Oui Jésus est ressuscité, nous en sommes tous témoins. Glorifié par Dieu, il a reçu du Père l’Esprit-Saint promis et il l’a répandu comme vous le voyez et entendez….Que tout Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié ».

On se rappelait bien ce Jésus condamné, comme blasphémateur, crucifié par Pilate, et enseveli au Golgotha. Mais son aventure était finie. Or voici que nous assistons à une scène jamais vue. Au lieu de s’enfuir par crainte des poursuites, au lieu de se lamenter sur l’horrible mise à mort de leur maître, les anciens disciples de ce Jésus bondissent de joie. L’inimaginable plan de Dieu s’est ainsi réalisé : les Écritures sont accomplies. Jésus est vivant, dans la gloire de Dieu, il est le Messie, le Seigneur.

A cette annonce, beaucoup d’auditeurs se sont éloignés, incrédules. Mais quelques-uns ont été bouleversés : « Ce Pierre n’a pas l’air fou ! Que devons-nous faire ? ».Pierre répond : « Convertissez-vous et recevez le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de vos péchés, et vous recevrez le don du Saint-Esprit. La promesse est pour vous et tous ceux que Dieu appellera. »

Ainsi d’emblée l’Église témoigne, dans la concorde, la joie, et avec une totale assurance. Telle est l’œuvre majeure de l’Esprit : unir et illuminer les esprits, conduire à la compréhension du plan de Dieu, donner la force de parler. Et tout cela dans une visée universelle. Tenons bon dans l’attente. L’Esprit est un don.

5ème jour : Les quatre piliers de la Communauté

Comment vit-on lorsque l’on a reçu l’Esprit ? On demeure là où l’on est, on poursuit sa vie familiale et ses activités professionnelles mais chaque nouvelle communauté « persévérait dans l’enseignement des apôtres, la communion fraternelle, la fraction du Pain et les Prières ». Selon Luc, ce sont les 4 piliers indispensables sur lesquels nous allons réfléchir ces derniers jours.

La foi chrétienne ne se réduit pas à croire en Dieu ni en un sentiment religieux ni en une vague croyance héritée en famille. Elle naît et s’entretient par la confiance en la prédication de Pierre et des Apôtres : ils demeurent à jamais les témoins dont il faut écouter le message. C’est l’Évangile, la Bonne Nouvelle qui nous comble de certitude, de clarté, d’admiration, de Vérité et de Vie.

Jamais personne au monde n’a parlé comme Jésus : il éclaire le chemin de la vie, il donne un sens à notre existence. A la suite des Apôtres, nous sommes scandalisés par sa mort ignominieuse sur la croix mais l’Esprit nous donne d’entrer dans ce mystère de Pâques, de comprendre que Jésus a donné sa vie et que son Père l’a ressuscité. Grâce à l’Esprit, Jésus est présent en chacun de nous, il nous pardonne nos péchés et il nous remplit de la Vie divine.

La lecture des évangiles n’est pas une répétition fastidieuse d’épisodes connus mais la source inépuisable de découvertes nouvelles, la découverte du Bon Berger qui nous conduit sur les chemins de la vie, qui nous cherche lorsque nous nous nous égarons, qui nous ramène à l’Église pour être un avec le Christ.

En ces temps de crise où prolifèrent les mensonges et où des multitudes disent ne plus avoir la foi, il est capital que nous demandions l’Esprit : lui seul nous donnera confiance, certitude, l’audace de parler. L’Évangile est le trésor que beaucoup attendent.

6ème jour : Persévérer dans la charité

La foi en l’Évangile provoque la communion des croyants car le commandement essentiel de Jésus est « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et pour distinguer cet amour de l’affection amicale et plus encore de l’attrait érotique, les chrétiens ont appelé « agapè », cette charité qui les liait en une commune-union. « Celui qui veut être grand qu’il soit comme un enfant…Mettez-vous au service les uns des autres… ».

Au début, à Jérusalem, certains allaient même jusqu’à vendre leurs biens afin de partager avec leurs frères démunis, d’autres ne travaillaient plus, car ils étaient persuadés que Jésus allait revenir bientôt. Ce système fit faillite et la petite communauté tomba dans le désastre si bien que Paul fut obligé d’effectuer de longs voyages pour aller demander aux communautés de Grèce et de Macédoine de venir en aide à leurs frères d’origine.

Jésus n’a pas précisé la date de son retour : le travail et la propriété privée restent nécessaires. A condition que les frères pratiquent le soutien effectif des plus démunis d’entre eux. Attention au danger de l’argent et de la cupidité qui brisent la communion.

Cet impératif de communion nécessaire n’est pas facile à observer. On le remarque d’emblée dans les lettres de Paul qui abondent en exhortations répétées. Sans cesse il supplie ses correspondants à se réconcilier, de ne pas garder de rancune, de reprendre le dialogue, d’accepter leurs divergences, de ne pas rivaliser pour occuper les places de commandement, de respecter les plus petits. Oui la communion fraternelle est un travail permanent, une construction toujours à reprendre mais indispensable. « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur » dit Jean ( I Jn 4,20).

C’est pourquoi l’Esprit-Saint est indispensable : il est la force divine qui nous libère de nos égoïsmes et peut nous unir dans une réelle communion. « Frères vous avez été appelés à la liberté. Mais par l’amour mettez-vous au service les uns des autres…Car le fruit de l’Esprit est amour, paix, patience, bonté, bienveillance…Conduisons-nous sous l’impulsion de l’Esprit » ( Gal 5,13).

Esprit-Saint, donne-nous la liberté de l’amour fraternel.

7ème jour : Persévérer dans la Fraction du Pain

Après le week-end (qui est vendredi/samedi), les chrétiens ont donné un nom au premier jour de la semaine : en latin « domenica dies », qui a donné notre mot « DIMANCHE », Jour du Seigneur. C’est en ce jour en effet que Jésus ressuscité est apparu aux disciples. Dans la nouvelle mesure du temps, la semaine commence donc par la réunion des chrétiens qui, dans l’allégresse, se rassemblent pour écouter la Parole de Jésus, prier et partager son Pain de Vie. Réconciliés, comblés de sa miséricorde, ils peuvent alors s’engager dans les jours suivants afin de travailler à former des familles fidèles et de développer le monde sur les chemins de la paix.

Si, au contraire, nous considérons que le travail est l’occupation principale, avec ses recherches de confort, le poids pesant de ses soucis et de ses échecs, nous finissons la semaine éreintés, nous nous hâtons d’avoir une petite messe monotone, sans joie, sans vraies rencontres ; et comme les autres, nous courons éperdument à la recherche de divertissements et de restaurants gastronomiques.

Dimanche est le phare, la Source, le Jour du Ressuscité, la communion des frères et sœurs. Ensemble, nous manifestons à tout le monde que le Christ est vivant, que nous sommes les membres de son Corps, que sa Parole enseigne le chemin de la Vérité, que le partage de son Pain nous rend UN. L’Esprit nous comble d’assurance, de joie, de la fierté de croire et nous devenons une Église qui évangélise.

Depuis quelques années, des multitudes de baptisés ont abandonné la pratique dominicale. Ne les critiquons pas, remettons-nous en question. Si peu que nous soyons, cherchons ensemble à sortir de nos routines, perdons notre piété morose et individualiste. Notre grand jour n’est pas le vendredi de la croix mais le Dimanche de la Vie et de la paix.

8ème jour : Être assidus aux prières

Le dernier pilier – non moins important que les autres – est de persévérer dans la prière, thème que Luc a fortement souligné dans ses deux livres.

Jésus priait beaucoup, surtout lorsqu’il devait prendre une décision grave : il voulait absolument obéir aux ordres de son Père. Il a appris à ses disciples le magnifique « Notre Père ».

Donc nous serions bien mufles de ne pas nous adresser à notre Père dans la confiance et de le réduire à un St. Nicolas pour recevoir des cadeaux. Un baptisé serait bien goujat de ne pas s’adresser à Jésus qui a offert sa vie pour lui pardonner tous ses péchés. Un chrétien serait bien médiocre s’il n’obéissait pas à l’ordre ultime du Ressuscité : « Priez et attendez l’Esprit qui vous remplira de la force divine ».

La prière n’est pas un rabâchage de formules, un appel pour quémander une grâce. Elle est relation filiale, christique, spirituelle, l’âme de notre âme, un dialogue comme nous en avons en couple. Ou en famille. Elle est d’abord louange, adoration. Et aussi reconnaissance, gratitude, remerciement. Et aussi demande.

Remarquons que la messe du dimanche est le déroulement de ces quatre actions : écouter la Parole, vivre la communion fraternelle, partager le Pain de vie, prier pour l’Église et le monde.

9ème jour : Avec l’Esprit, témoins de Jésus

Nous voici à la veille de la grande célébration. Ne frétillons pas d’impatience dans l’espoir que surviennent demain des miracles ou des changements spectaculaires. La journée sera sans doute la même que les autres. Mais la prière n’est jamais perdue et elle a des effets que l’on ne remarque pas tout de suite.

Le don de l’Esprit n’a pas effacé le souvenir de la trahison des disciples mais il leur a donné la force de pardonner à leur tour. Ils vont comprendre qu’ils sont les membres du Corps du Christ : tous différents mais ne faisant qu’un. Ils vont être critiqués, jugés, condamnés : nul ne pourra éteindre leur joie. L’élan universel les emportera : il faut annoncer la victoire de la vie par le Ressuscité.

Et répéter sans cesse : « Viens Esprit-Saint ».

Raphaël Devillers, dominicain, Liège

Que nous offre la vie selon l’Esprit ?

P. Sylvain Gasser, assomptionniste

De nombreux chrétiens, notamment issus de la mouvance charismatique, proclament haut et fort la présence de l’Esprit. Ils aiment à en confesser l’effusion dans leur vie et dans leurs groupes de prière. Là où se tisse la communion, là où s’élève la prière, là où surgit la guérison, là où abondent les prophéties, là où s’émancipent les langues, là est l’Esprit de Dieu. Mais la vie selon l’­Esprit nécessite-t-elle de connaître chacune de ces expériences?

Tirer l’Esprit uniquement du côté de la présence et de l’évidence est une façon de biaiser son identité et sa mission véritables. Le Souffle saint est « l’inobjectivable » par excellence. Il réalise la communion mais il marque aussi les écarts. Il maintient la distance entre Dieu et l’homme, entre l’homme et le cosmos. Il invite à respecter les différences. Sa présence n’est pas interférence. Attention au fusionnel et au confusionnel !

Quand nous essayons de comprendre le monde, nous sommes en droit de nous demander si l’Esprit y a sa place. Nous souhaiterions des signes évidents et nous ne recueillons que de maigres indices. Et nous entendons s’élever la petite musique de Jean : « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va » (3, 8). Insaisissable Esprit au souffle nomade! La liberté de l’Esprit ne finit pas d’étonner et de déjouer toute planification. Elle rompt la propension de l’homme à n’ouvrir ses oreilles qu’aux manifestations bruyantes et spectaculaires, elle brise la croyance accordée aux puissances de toute sorte qui empêchent d’ouïr « le murmure d’un fin silence » (1 R 19, 12). Ainsi le Souffle aiguise la soif.

Résistant à la fringale d’une expérience sensible de Dieu, nous avons cependant besoin de l’Esprit pour marcher vers la vérité. La venue du Règne de Dieu est le travail de l’Esprit, si bien que ce que nous découvrons comme vérité est toujours l’impact de l’Esprit dans l’histoire. Mais, selon la tradition biblique, cette vérité est de l’ordre de la promesse, non de l’évidence possédée. Dans cette épreuve du repérage de l’Esprit, « le premier de tous les vicaires du Christ » (cardinal Newman) est la conscience. Le problème moral d’aujourd’hui n’est pas le nombre de ceux qui n’écoutent pas le pape ou ne suivent pas les commandements de l’Église, mais le nombre de ceux qui ne suivent pas leur conscience, souffle de Dieu intérieur à leur expérience.

Une telle vie discernée dans l’Esprit offre à la conscience un chemin de liberté. Elle sonde et interroge le forum intime de la conscience sous la vigilance du Verbe, elle permet à l’homme de se livrer à l’énergie ténue mais bien réelle de l’Esprit de Dieu en soi. « Il vient un temps où l’homme doit prendre une position qui n’est ni prudente, ni politique, ni populaire mais doit la prendre parce que sa conscience dit qu’elle est juste » (Martin Luther King). Le supplément d’âme et d’esprit que nous appelons pour notre société n’est peut-être que le sursaut enflammé de notre conscience.

Etty Hillesum

Née à Middelburg (Pays-Bas) en janvier 1914. Famille juive libérale, non pratiquante. Père professeur, proviseur de lycée ; 2 frères. Elle réussit aisément une maîtrise de Droit.

Relation avec son logeur, un veuf âgé. Mène une vie libre dans les milieux contestataires de gauche. En mai 1940 : invasion des troupes allemandes, arrestation des Juifs. Thérapie avec un psychologue Julius Spier, émigré juif allemand : il devient son amant mais lui fait découvrir la Bible et St Augustin. Elle dira : « Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi…l’accoucheur de mon âme ». Il meurt en septembre 1942. Etty entre au camp de transit de Westerbork pour aider les Juifs internés avant d’être envoyés en Allemagne. En 1941 elle a commencé à tenir son journal. Avec ses lettres, il montre son étonnante évolution spirituelle : présence indéfectible de Dieu en elle, sans Eglise ni dogmes, ni pratiques, foi inébranlable en l’homme, refus de toute haine, amour de la vie et de tout homme.

La persécution se durcit. Toute la famille est internée à Westerbork puis déportée à Auschwitz : des 1000 personnes du convoi seules 8 survivront. Etty y serait morte le 30 novembre 1942.

En 1981, on publie enfin le Journal et les lettres d’Etty : le succès est immédiat, les éditions, les commentaires et les traductions se succèdent.

Une vie bouleversée – Lettres de Westerbork ( Seuil – 8 €)
Faire la paix avec soi : 365 méditations ( 7, 10 €)
E. Hillesum : Les Ecrits : journaux et lettres ( 37 €)

C. de Villeneuve : E. Hillesum, la paix dans l’enfer ( 6, 50 €)
Paul Lebeau : E. Hillesum, un itinéraire spirituel ( éd. Fidélité – 8 €)
C. Dutter : E.H. Une voix dans la nuit (éd. R. Laffont)
Sylvie Germain : E. Hillesum (éd. Pygmalion)
C. Chalier : Le désir de conversion (éd. Seuil, 19 €) : (1 chap. sur E.H.)

Ce récent Mercredi des Cendres, Benoît XVI a évoqué sa personnalité :

« Je pense aussi à la figure d’Etty Hillesum…Initialement éloignée de Dieu, elle le découvre en regardant en profondeur à l’intérieur d’elle-même et elle écrit : « Un puits très profond est en moi. Et Dieu est dans ce puits. Parfois, j’arrive à le rejoindre, le plus souvent la pierre et le sable le recouvrent : alors Dieu est enterré. Il faut à nouveau le déterrer » (Journal, 97). Dans sa vie dispersée et inquiète, elle retrouve Dieu au beau milieu de la grande tragédie du XXe siècle, la Shoah. Cette jeune fille fragile et insatisfaite, transfigurée par la foi, se transforme en une femme pleine d’amour et de paix intérieure, capable d’affirmer : « Je vis constamment en intimité avec Dieu ».

Citations d’Etty Hillesum

Angoisse devant la vie à tout point de vue. Dépression totale. Manque de confiance en moi. Dégoût. Angoisse. (10 11 1941)

Notre unique obligation morale, c’est de défricher en nous de vastes clairières de paix et de les étendre de proche en proche jusqu’à ce que cette paix irradie vers les autres. Et plus il y aura de paix dans les êtres, plus il y en aura aussi dans ce monde en ébullition.

Dieu je te remercie pour toute cette force que tu me donnes : le centre intérieur à partir duquel ma vie est régie gagne continuellement en force et en rayonnement.
Les nombreuses impressions contradictoires qui viennent de l’extérieur se concilient merveilleusement bien entre elles. L’espace intérieur ne cesse d’augmenter sa capacité et les nombreuses contradictions ont cessé de s’en prendre mutuellement à leur vie, elles ne se font même plus obstacle. Et après une journée comme celle d’hier, j’ose dire avec une certaine conviction : mon royaume intérieur connait la paix parce qu’il dispose d’un pouvoir central puissant.

Il me semble, Dieu, que je travaille bien avec toi, que nous travaillons bien ensemble. Je te donne un espace de plus en plus vaste à habiter et je commence aussi à t’être fidèle. Je n’ai presque plus à te renier.  Je n’ai plus jamais à renier, pleine de honte, ma vie profonde dans mes moments plus frivoles et plus superficiels. Le puissant centre lance ses rayons jusqu’aux points les plus reculés de la périphérie. Je n’ai plus honte de mes moments de profondeur, j’ai cessé de faire périodiquement semblant de ne pas les connaitre.

La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie, […], il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toutes normes […] il faut oser faire le grand bond dans le cosmos : alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse.

On a parfois le plus grand mal à concevoir et admettre, mon Dieu, tout ce que tes créatures terrestres s’infligent les unes aux autres en ces temps déchaînés. . Je regarde ton monde au fond des yeux, mon Dieu, je ne fuis pas la réalité pour me réfugier dans de beaux rêves – je veux dire qu’il y a de la place pour de beaux rêves à côté de la plus cruelle réalité – et je m’ entête à louer ta création, mon Dieu, en dépit de tout !

Ce sont des temps d’effroi, mon Dieu. Cette nuit, pour la première fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi. Je vais te promettre mon Dieu, oh ! une broutille : je me garderai de suspendre au jour présent, comme autant de poids, les angoisses que m’inspire l’avenir ; mais cela demande un certain entrainement. Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir à l’avance.

Vendr. 3 juillet 1942 : Bon, on veut notre extermination complète. : cette certitude nouvelle, je l’accepte. Je le sais maintenant. Je n’imposerai pas aux autres mes angoisses et je me garderai de toute rancœur s’ils ne comprennent pas ce qui nous arrive à nous, les Juifs. Mais une certitude acquise ne doit pas être rongée ou affaiblie par une autre. Je travaille et je vis avec la même conviction et je trouve la vie pleine de sens, oui, pleine de sens- malgré tout.

Quelle est la meilleure manière de s’aimer soi-même ?

S’aimer soi-même, ce n’est pas si facile. Le plus sûr chemin est de s’aimer sans complexe, en choisissant le bien que Dieu désire pour nous.

La forte propension au narcissisme, très contemporaine, pousse à une quête toujours plus effrénée de reconnaissance. La prégnance de cet affect se heurte toutefois aux limites de notre condition, ainsi qu’à la fatuité des motifs de notre complaisance envers nous-mêmes. Un selfie posté sur les réseaux sociaux, et liké des centaines de fois, n’étanchera jamais notre attente à ce sujet. Notre intuition nous dit que nous valons plus que cette image. Et si c’était en Dieu que résidait la raison principale de s’aimer soi-même ?

Notre époque, fortement marquée par l’individualisme, semble a priori fournir un terreau favorable à l’amour de soi. Pourtant, on ne compte plus les cas d’autodépréciation, de mépris de soi. Combien de personnes estiment ne pas être à la hauteur de l’image de soi qu’elles aimeraient donner à la fois aux autres mais aussi à elles-mêmes ? Comment expliquer une telle faillite de l’amour de soi, alors que jamais nous n’avons été autant poussés par l’idéologie dominante à nous pencher sur les heurts et malheurs de notre petit ego, à cultiver et entretenir nos penchants et notre intériorité ?

Manquerions-nous d’ambition pour nous-mêmes ?

En fait, si nous éprouvons les pires difficultés à nous aimer nous-mêmes, cela ne tient pas à ce que nous fixions la barre de notre idéal du moi trop haut, à ce que poursuivions un objectif disproportionné avec nos moyens et avec ce que nous sommes en réalité. Non, notre échec n’est pas imputable à notre trop grande ambition, mais plutôt à ce que nous n’en ayons pas assez !

Car la viabilité de l’amour que nous nous portons à nous-mêmes ne dépend pas seulement de son intensité. Nous pouvons être obsédés par l’amour de nous-mêmes, et rester néanmoins malheureux. La force de cet amour, qui peut d’ailleurs se révéler dangereuse en dégénérant en égoïsme et en indifférence envers les autres, n’est qu’une composante de la bienveillance plus générale que nous devons nous porter à nous-mêmes. L’autre facette de cet amour réside dans le but que nous poursuivons et que nous désirons atteindre pour nous-mêmes. Car il ne suffit pas de s’aimer : encore faut-il savoir ce que nous voulons pour nous, ce que nous désirons devenir et posséder.

Souvent, c’est à ce niveau que la machine s’enraye. Si l’individu, soumis à un matraquage idéologique insidieux, finit par souscrire à la vision de l’homme idéal et épanoui que la société « liquide » lui propose en guise de but à atteindre, il existe de fortes chances pour que la déception soit au rendez-vous à moyenne échéance. Le consumérisme nous laisse croire en effet que le bonheur, comme les autres marchandises, se trouve sur le marché, et qu’il est facilement disponible pour toutes les bourses. C’est la raison pour laquelle le but poursuivi par l’amour de soi, but dont l’atteinte est censée nous réconcilier avec nous-mêmes, finit la plupart du temps par nous décevoir. Ce bonheur au rabais s’est révélé être une marchandise frelatée, simple hochet dont l’acquisition a été trop facile pour véritablement combler en nous la soif qui demandait à s’étancher à une source plus substantielle.

Poursuivre sans orgueil une finalité élevée

La foi chrétienne nous prémunit contre un tel règne de la facilité et le miroir aux alouettes du mimétisme. Courir après les petites satisfactions que le Marché nous met devant les yeux finit à la longue par diminuer notre estime de soi. Si nous désirons que le but poursuivi soit en adéquation avec le bien que nous nous voulons à nous-mêmes, il est nécessaire qu’il soit à la fois suffisamment substantiel pour nourrir les exigences des êtres spirituels que nous sommes, tout en restant à l’abri, malgré la hauteur à laquelle il nous hisse, de la morsure de l’orgueil. Or, le seul bien capable de concilier ces deux caractéristiques apparemment contradictoires est celui que Dieu nous désigne comme étant le bien après lequel nous devons tendre, et qu’il nous donnera si nous L’en prions.

Autrement dit, la meilleure manière de nous aimer et de nous faire du bien, consiste à rechercher à nous aimer en Dieu. Par-là, nous ne risquons ni d’être déçus, ni de trébucher pour avoir voulu voler trop haut, puisque c’est Lui-même qui nous mènera vers l’accomplissement gratifiant après lequel nous soupirions.

Vouloir pour nous ce que Dieu veut

Il est légitime de s’aimer soi-même : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et notre premier « prochain » c’est nous-même ! Aimer son prochain consiste à lui vouloir le plus de bien possible. Il en va pareillement pour nous. Il s’agit de nous vouloir du bien. Mais lequel ? Le plus sûr est de choisir le bien que désire pour nous Celui qui nous a créés, et qui connaît la finalité pour laquelle Il nous a appelés à l’existence. Or Dieu nous a créés pour que nous devenions Ses fils. Aussi est-ce dans cette filiation divine que nous trouverons notre bien propre.

Nous ne nous aimerons vraiment qu’en nous aimant tels que Dieu nous aime, c’est-à-dire comme Ses enfants. Nous devons aimer en nous la qualité de fils de Dieu, ce qui signifie nous aimer en Dieu, avec Dieu et par Dieu. Cette qualité contribuera à la fois à nous donner une image gratifiante de nous-mêmes, tout en nous gardant de nous enfler d’orgueil et de fatuité, puisqu’elle ne dépend pas de nos mérites, mais de Dieu seul. En effet, la Trinité nous aime gratuitement et a fait de nous des filles et des fils de Dieu par pure grâce, non parce que nous aurions été aimables et méritants.

Aimer en nous la personne pour laquelle le Christ est mort

En nous aimant en Dieu, nous jouissons des biens que le Père nous réserve. Dans le même temps, nous ne risquons pas de courir après des chimères. Car comme nous l’avons souligné plus haut, il ne suffit pas de se porter beaucoup d’attention à soi-même. L’amour de soi dépend surtout des biens dont je veux profiter ainsi que de la qualité d’être à laquelle je désire accéder. Or, ceux que Dieu nous propose restent hors d’atteinte de la péremption. Quant à la qualité d’être à laquelle il nous propose d’accéder est celle qui nous rend semblables à son Fils ! Rien de moins ! Il s’agit donc d’aimer en nous la personne pour laquelle le Christ est mort sur la croix. Jésus savait qu’en se sacrifiant pour nous, il allait faire de nous des fils de son Père, nous gagner l’adoption filiale divine.

S’aimer en se décentrant de soi

Vouloir pour nous ce que Dieu a voulu pour nous : telle est la recette d’un authentique amour de soi qui ne s’expose pas au danger de dégénérer en égoïsme. En effet, dès lors que je projette de devenir fils de Dieu, ou du moins de m’accepter comme tel (car c’est une qualité que le Créateur nous offre sans condition préalable), je constate que je partage ce statut avec tous mes frères humains ! Voilà une qualité bien gratifiante, mais qui m’apprend dans le même temps l’humilité et le sens du service ! L’amour de soi n’est plus alors exclusif de l’amour des autres.

Et si la clé de l’amour de soi consistait à s’oublier pour s’occuper davantage de ses frères ? Ce ne serait pas le moindre paradoxe du christianisme !

Jean-Michel Castaing pour Aleteia.