Échec de la transmission de la religion dans les familles chrétiennes

Le journal « La Croix » du 5 mai commente une récente enquête de l’INSEE.

Les résultats sont implacables : la part des catholiques continue de chuter en France : de 43 % en 2012 à 20 % en 2022. 51% de la population entre 18 et 59 ans déclarent ne pas avoir de religion. Le catholicisme reste la première religion ; l’Islam progresse de 10 %. La progression la plus spectaculaire est celle des évangéliques : 9 % en 10 ans.

76 % des musulmans disent que la religion a beaucoup ou assez d’importance pour eux – contre 27 % des catholiques et 39% des autres chrétiens.

Tandis que la reproduction familiale est forte dans l’Islam (91 %) et le judaïsme (84 %) , les familles chrétiennes transmettent moins leur croyance à leurs enfants.

« Si dans les familles, rien n’a été fait pour redonner de la valeur à la pratique, notamment celle de la messe, en trois générations les pratiquants font des enfants non pratiquants qui eux-mêmes ont des enfants non chrétiens » 

Les familles juives et musulmanes transmettent beaucoup mieux la religion à leurs enfants que les catholiques. 91 % des personnes élevées dans des familles musulmanes, et 84 % dans des familles juives, continuent à se revendiquer de la religion de leurs parents, contre seulement 67 % de celles élevées par des parents catholiques. Cette forte reproduction familiale s’expliquerait surtout par l’éducation religieuse au sein de la famille.

Comment allons-nous réagir à cette nouvelle ?

Thanatocapitalisme

Par Byung-Chul Han

Philosophe, professeur à l’université de Berlin,
auteur de « Dévitaliser le capitalisme » (éd. PUF, 14 €)


« Le capitalisme est possédé par la mort. L’angoisse inconsciente de la mort est son propulseur. Son obsession de l’accumulation et de la croissance s’éveille face à la mort qui menace ».

On retrouve dans ce livre les thèmes chers au philosophe : critique de la société de transparence et du « panoptique numérique », dénonciation d’un régime de la performance qui ravale la personne au rang d’objet ne pouvant plus que « fonctionner » ou « être en panne » (burn-out), procès de la commercialisation de toutes les dimensions de la vie. Et accélération qui fragilise ce qui relève du soi, de la relation et du rituel.

Il propose des remèdes : un retour à la raison, à la morale, à la responsabilité, à la politique qui se doit de « refouler la puissance de l’argent ». Seule la reconnaissance de l’altérité peut nous sauver de l’enfer du narcissisme que le capitalisme instrumentalise »

Journal La Croix 24 02 2023

La seule vidéo connue du père Lemaître, celui qui a théorisé le Big Bang

La chaîne d’informations belge VRT a publié fin décembre 2022 une vidéo d’archives dans laquelle on peut voir le père Georges Lemaître, père de la théorie dite du « Big Bang », donner une interview d’une vingtaine de minutes sur sa loi d’expansion de l’univers.

C’est un véritable bond dans le passé que propose la chaîne d’informations belge VRT news. Dans une vidéo d’archives inédite diffusée le 31 décembre 2022, on peut voir Georges Lemaître, qui n’est autre que le « père du Big Bang », donner une interview d’une vingtaine de minutes sur sa théorie fondatrice, qui avait tout simplement révolutionné l’astronomie.

Interviewé en 1964 à ce sujet, le chanoine Georges Lemaître, en col romain, répondait aux questions des journalistes de VRT. Mais la vidéo en intégralité était demeurée cachée dans les tréfonds des archives : mal référencée, son exploitation était impossible.

Georges Lemaître (1894-1966) est un chanoine belge, astronome et physicien, nommé président de l’Académie pontificale des Sciences en 1960 par le pape Jean XXIII. Il avait émis sa théorie de l’atome primitif en 1931, appelée ensuite du « Big Bang », selon laquelle l’univers est issu d’une grande explosion et est en constante expansion. Révolutionnaire, elle s’inscrit en opposition à la thèse communément acceptée, y compris par Albert Einstein, d’un univers statique. « On s’attendait à ce que l’univers soit statique, à ce que rien ne change », explique-t-il dans cet entretien. « Les faits liés à l’expansion de l’univers ont rendu cette théorie inadmissible, alors on s’est rendu compte qu’il fallait admettre un changement, mais beaucoup ont voulu le minimiser », développe le chanoine. Développée ensuite par plusieurs scientifiques anglo-saxons, notamment par Georges Gamow ou Robert Herman, elle n’en demeure pas moins le fruit du travail et de la réflexion de Georges Lemaître.

Il meurt le 20 juin 1966 après avoir lutté contre une leucémie. Peu de temps avant sa mort, il apprenait la découverte du rayonnement fossile, qu’il avait théorisé dans les années 1930. Un cratère lunaire et un astéroïde portent son nom.

Voir la vidéo

Cécile Séveirac, Aleteia, 01/02/23

Plus de milliardaires … Plus de pauvres

Rapport Oxfam sur l’état du monde

16 janvier 2023

La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie.

Depuis le début de la pandémie, le monde compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures. Mais des millions de personnes ont basculé dans la pauvreté.

Depuis le début de la pandémie, les dix hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune, tandis que plus de 160 millions de personnes auraient basculé dans la pauvreté. 

99 % de l’humanité a des revenus moins importants que prévu à cause de la COVID-19. L’augmentation des inégalités économiques, de race et de genre, ainsi que les inégalités entre pays, fragmentent notre monde. 

Oxfam pointe les responsables et propose des pistes d’action

Une situation due à la violence économique justifiée par la pandémie et encouragée par de nombreux états, dirigés par les plus riches, dénonce Oxfam dans son dernier rapport sur les inégalités dans le monde. Qui souligne aussi ce fait plus qu’interpellant : les inégalités contribuent à la mort d’au moins une personne toutes les quatre secondes.

Plusieurs institutions comme le FMI, la Banque mondiale, le Crédit Suisse et le Forum économique mondial ont, à l’instar d’Oxfam, estimé que la pandémie avait provoqué une flambée des inégalités partout dans le monde. Notons toutefois que le FMI soutient les politiques d’austérité, qui, selon Oxfam, risquent d’aggraver les inégalités. L’ONG craint notamment un recul des droits des femmes et des progrès en matière d’égalité de genre. 

Les inégalités contribuent chaque jour à la mort d’au moins 21 300 personnes – soit une personne toutes les 4 secondes

Toutefois, il est possible d’inverser cette tendance en s’attaquant à la concentration extrême des richesses grâce à une fiscalité progressive ; en investissant dans des mesures publiques luttant contre les inégalités ; en repensant la distribution du pouvoir dans l’économie et la société.

Le COVID tue les uns et enrichit les autres 

Au lieu de devenir un bien public mondial, et de sauver la vie de milliards d’êtres humains, les vaccins contre le COVID ont servi les intérêts des sociétés pharmaceutiques et permit l’enrichissement des milliardaires du vaccin. L’année 2021 a surtout été marquée par ce scandaleux apartheid vaccinal qui entachera à jamais l’histoire de notre espèce, estiment les rédacteurs du rapport d’Oxfam.

En ne vaccinant pas le monde, les gouvernements auraient créé les conditions pour que le virus de la COVID-19 mute dangereusement. Ils auraient dans le même temps permis l’émergence d’un tout nouveau variant : celui de la richesse des milliardaires. Ce variant milliardaire expose notre monde à un grand danger, alerte Oxfam. 

Notamment quand on constate que vingt des milliardaires les plus riches émettraient en moyenne 8 000 fois plus de carbone que le milliard de personnes les plus pauvres dans le monde.

Quelques chiffres clés du rapport

  • Selon les estimations, 5,6 millions de personnes meurent chaque année dans les pays pauvres par manque d’accès aux soins de santé.
  • Au moins 67 000 femmes meurent chaque année des suites de mutilations génitales féminines ou sous les coups de leur partenaire (ancien ou actuel)
  • Dans un monde d’abondance, la faim tue a minima plus de 2,1 millions de personnes chaque année
  • Selon une estimation prudente, la crise climatique pourrait faire 231 000 victimes par an dans les pays pauvres d’ici 2030

Cathobel, 16 janvier 202

Julia De Funès

Interview dans « La Croix » du 5/11/22
Extraits

Petite fille de l’acteur, née en 1979, ayant fait des études de philo à Nanterre, Julia De Funès vient de publier « Le siècle des égarés » où elle propose des ressources pour affronter ce paradoxe : comment faire sienne l’exigence contemporaine de « devenir soi » sans tomber dans le repli identitaire » ?

  • Quelle a été votre première rencontre avec la philosophie ?

J’ai été séduite par la manière de raisonner de ma professeure, son vocabulaire, ses arguments. Cela a été un éblouissement. Elle nous a fait commencer par le « Gorgias » de Platon. Ce vieux texte était furieusement d’actualité. De nombreuses mythologies millénaristes circulaient et on parlait de sectes, de scientologie, de Tom Cruise…Avec ce texte, j’ai découvert à quel point la philosophie pouvait être intemporelle et universelle. A Nanterre, je suis tombée sur des professeurs vraiment formidables et je me suis dit : « Je veux avoir un esprit comme ça ! »…

C’est pour cela que je me désole de voir l’autorité des enseignants perdre de sa superbe. L’autorité – à ne pas confondre avec l’autoritarisme – grandit celui qui l’accorde. Or l’autorité depuis mai 68 s’effondre dans tous les domaines…Notre pays égalitariste dérive vers une équivalence des compétences. Tous les points de vue se vaudraient sous prétexte que nous sommes égaux. Non ! tout le monde peut s’exprimer mais les points de vue ne se valent pas. Le relativisme mène au nivellement généralisé et conforte tout le monde dans sa propre ignorance.

  • L’exercice du travail semble en crise. Comment analysez-vous cette situation ?

Il se passe quelque chose de structurel, de profond. Le covid a accentué un questionnement sur la place et le sens du travail…Ma génération et les précédentes avaient une forte tendance à faire du travail une fin en soi, un marqueur identitaire. Le travail n’incarne plus cela. Il est perçu comme un moyen pour faire quelque chose de sa vie. La vie n’est pas simplement ce qui reste à 19 heures en sortant du bureau, et tant mieux ! Pour faire sens, le travail doit aujourd’hui se penser comme un moyen…Les plus jeunes ne sont pas plus flemmards ou moins engagés que nous.

– Pourquoi cet accomplissement de soi a-t-il malgré tout encore besoin de l’entreprise ?

Car c’est sécurisant…L’entreprise ne représente plus une finalité. Si, hier, les grandes marques, les belles entreprises justifiaient une carrière…ce n’est plus du tout le cas ! Toutes les entreprises souffrent d’une pénurie de candidats…Elle n’est plus voulue pour elle-même…mais envisagée pour ce qu’elle procure à l’individu…L’entreprise ne fait sens que si elle concède à n’être qu’un moyen au service de l’individu ou d’une raison d’être qui augmente l’individu en lui donnant le sentiment de contribuer à un projet d’envergure…

  • Vous parlez de la philosophie comme la seule spiritualité laïque. Est-ce une manière d’exclure les spiritualités du débat ?

Sûrement pas. La philosophie et la religion ont toujours été étroitement liées. La foi et la raison, c’est un débat antique. Je dis juste qu’ôter de la religion la mission identitaire permet d‘atténuer le radicalisme. La religion permet de répondre à la question existentielle du sens de la vie. Trouvant un sens à la vie et ayant le sentiment de devenir enfin quelqu’un, certains sont capables du pire. Le sentiment identitaire, que la religion peut particulièrement bien proposer, peut parfois mener aux pires actions. Ce que je questionne, ce n’est pas bien sûr le désir de croyance et de religiosité mais celui de l’identification à une religion. Soustraire à la religion sa fonction d’appel identitaire me semblerait salutaire.

  • Dans un monde de consommation qui nivelle tout, se référer à une identité religieuse n’est-il pas un atout pour transmettre quelque chose ?

La religion n’est pas un atout, c’est une croyance… Mieux vaut éviter de tomber dans une hiérarchie morale concernant les croyances, on sait où cela mène ..Les religions apportent à mon sens suffisamment de grandeur, de richesse de pensée, d’idées régulatrices pour ne pas avoir besoin de convoquer l’appel identitaire. Les pires offices sont toujours commis au nom d’une mission divine et surtout d’un accomplissement personnel. »


Julia De Funès a publié :
De l’identité personnelle à l’authenticité (éd. Flammarion).
La comédie (in)humaine (éd. de l’Observatoire)
Développement (im)personnel : les sources d’une imposture (id.)
Le siècle des égarés (id.)

Günther Anders : une vision prophétique

Gunther Anders, juif, (de son vrai nom, Stern) est né à Breslau en 1902. Il obtient son doctorat sous la direction de E. Husserl, et suit les cours de M. Heidegger. Il se tourne vers le journalisme. Devant la montée du nazisme, il fuit à Paris puis aux États-Unis. En 1950, il revient en Europe, refuse des postes de professeur en Allemagne et publie une œuvre abondante, beaucoup d’essais dont plusieurs reçoivent des prix. Il critique la philosophie qui s’intéresse trop à elle-même et pas suffisamment au monde où ont éclaté les deux grands événements majeurs : Auschwitz et Hiroshima.

A ceux qui lui reprochait son pessimisme sur notre temps, il répondait : « On nous a traités de « semeurs de panique ». C’est bien ce que nous cherchons à être. C’est un honneur de porter ce titre. La tâche morale la plus importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime ».

De son grand livre en deux volumes : « L’obsolescence de l’homme » paru en 1956, un critique écrivait : « 

« Dans ce texte magistral, le philosophe allemand s’alarmait de l’idolâtrie pour le progrès technologique au service d’une civilisation des loisirs où les machines auraient retiré aux hommes toute la pénibilité de l’existence. C’est un livre qui n’a pas la postérité qu’il mérite. A sa publication en 1956, il connut pourtant un très grand succès, comme en témoignent les nombreux retirages et nouvelles éditions de l’essai à l’époque, avec des ajouts de l’auteur justifiant la réimpression de ses thèses écrites plusieurs années auparavant.

Bravache, Anders écrit même ceci, en préface à la 5e édition : « Non seulement ce volume que j’ai achevé il y a plus d’un quart de siècle ne me semble pas avoir vieilli, mais il me paraît aujourd’hui encore plus actuel ». Et pourtant peu de nouvelles éditions sont à signaler depuis le début du 20ème s. – surtout aucune édition de poche permettant de démocratiser ce texte essentiel ». (V. Edin — 7 2019)

Günther Anders : 1956 : Une Vision prophétique (extrait)

« …Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes.

L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées. Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter.

Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux.

En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. »

Günther Anders, « L’Obsolescence de l’homme »
(Editions Ivréa), 1956

P.S. : Étonnante pré-vision !!!! Déjà les prophètes : Amos, Isaïe, Jérémie … ont été critiqués, combattus, persécutés …. Or ils avaient vu juste.

Religion et Foi

par Joseph Moingt, jésuite

…. « Il est certain que l’histoire ne revient pas en arrière, donc on ne fera pas revivre exactement les communautés chrétiennes de jadis, le contexte social est très différent.

Comment est né l’Évangile ? Dans des groupes de gens, de disciples autour de Jésus. Donc on peut penser que l’Église en se revitalisera qu’à partir de groupes de « disciples ». C’est l’idée qui avait été soulevée, il y a longtemps déjà, par Marcel Légaut, qui était vraiment un visionnaire…

Autrement dit, l’Église qui se sent en train de dépérir en tant que religion a tout intérêt à se rappeler qu’elle n’est pas seulement religion mais aussi – mais d’abord – Évangile.

Et pour moi, c’est à partir de l’Évangile qu’elle pourra se revivifier même comme religion, mais autrement qu’elle n’est actuellement ou qu’elle n’était dans le passé. (…) (p.98)

L’Évangile se définit largement par sa visée éthique : primat de l’amour du prochain et de la réconciliation avec ses ennemis, de la justice et du souci des pauvres et des petits, défense des valeurs d’humanité. S’orienter vers un pôle évangélique, et par conséquent éthique, ce n’est donc préconiser ni une restauration ni une reconquête religieuse.

Ce sera peut-être s’écarter du visage longtemps traditionnel du catholicisme, dominé par un ritualisme hiérarchique, ce sera forcément apprendre à penser sa foi autrement, à vivre autrement en Église, à parler un autre langage : ce n’en sera pas moins mettre en valeur le plus beau sens du mot « catholique » : sa visée de l’universel.

Je préfère souvent me dire « chrétien » pour signifier que l’essentiel de ma foi est de croire au Christ, que « catholique » (romain), un mot un peu trop marqué par l’impérialisme et le primat de la hiérarchie. Mais s’il s’agit d’exprimer l’ambition de l’Évangile à tout pénétrer pour servir partout sans rien asservir, alors j’aime me dire « catholique ». (p.126)

Joseph Moingt

Croire quand même – éd. Champ – poche

Société jouissive …et insensée

Au centre hospitalier Laborit à Poitiers, une unité pluridisciplinaire accueille en urgence des jeunes de 12 à 18 ans après une tentative de suicide. Alors que la crise sanitaire a révélé ou accentué les angoisses de nombreux adolescents, la petite équipe a de plus en plus de mal à répondre aux besoins.

« Quand dans une seule journée aux urgences, vous voyez passer jusqu’à 10 adolescents qui veulent se suicider, vous vous dites qu’il y a un problème. Jamais on n’avait vu cela avant. Et ce n’est que la partie immergée de l’iceberg : moins d’1/4 des tentatives de suicide arrivent aux urgences. La plupart du temps, ni les soignants ni mêmes les parents ne sont au courant » ( Dr Prof. L. Glequel)

En France on dénombre chaque année entre 300 et 350 décès par suicide chez les 15-24 ans. C’est la 2ème cause de mortalité dans cette tranche d’âge après les accidents de la route …

« La Croix » 9 5 22

Appel dramatique à vivre et annoncer
la Bonne Nouvelle qui donne sens.

Emmanuel Lévinas – La priorité de l’amour d’autrui : La Sainteté

Extrait de l’entretien avec B. Révillon : « De utilité des insomnies »
dans le livre d’E. Lévinas : « Les imprévus de l’histoire » (éd. poche)


  • Imaginons qu’un jeune élève vienne vous demander une définition de la philosophie.

Je lui dirais que la philosophe permet à l’homme de s’interroger sur ce qu’il dit et sur ce qu’on se dit en pensant. Ne plus se laisser bercer ni griser par le rythme des mots et les généralités qu’ils désignent mais s’ouvrir à l’unicité de l’unique dans ce réel, c.à.d. à l’unicité d’autrui, …c.à.d. en fin de compte, à l’amour.

Parler véritablement, … s’éveiller, se dégriser, se défaire des refrains. Déjà le philosophe Alain nous mettait en garde contre tout ce qui, dans notre civilisation prétendument lucide, nous venait des « marchands de sommeil ». Philosophie comme insomnie, comme éveil nouveau au sein des évidences (…)

  • Est-ce important d’avoir des insomnies ?

L’éveil est, je crois, le propre de l’homme. Recherche par l’éveillé d’un dégrisement nouveau, plus profond, philosophique. C’est précisément la rencontre de l’autre homme qui nous appelle au réveil (…)

  • C’est l’autre qui nous fait philosophe ?

Dans un certain sens. La rencontre de l’autre est la grande expérience ou le grand événement. La rencontre d’autrui ne se réduit pas à l’acquisition d’un savoir supplémentaire. Je ne peux jamais saisir totalement autrui certes, mais la responsabilité à son égard, où naît le langage, et la socialité avec lui, déborde le connaître (…)

  • Nous vivons dans une société de l’image, du son, du spectacle où il n’y a que peu de place pour le recul et la réflexion. Si une telle évolution s’accélérait, notre société perdrait-elle en humanité ?

Absolument. Je n’ai pas du tout la nostalgie du primitif. Quelles que soient les possibilités humaines qui y apparaissent, elles doivent être dites. Le danger du verbalisme existe, mais le langage qui est un appel à autrui est aussi la modalité essentielle du « se méfier-de-soi », qui est le propre de la philosophie. Mais je ne veux pas dénoncer l’image. Ce que je constate, est qu’il y a une grande part de distraction dans l’audiovisuel, c’est une forme de rêve qui nous plonge et nous maintient dans ce sommeil dont nous parlions à l’instant. (…)

  • Qu’est-ce que l’éthique ?

C’est la reconnaissance de la « sainteté ». Je m’explique : le trait fondamental de l’être est la préoccupation que tout être particulier a de son être même. Les plantes, les animaux, l’ensemble des vivants s’accrochent à leur existence. Pour chacun c’est la lutte pour la vie. Et la matière dans son essentielle dureté n’est-elle pas fermeture et choc ?

Et voilà dans l’humain l’apparition possible d’une absurdité ontologique : le souci d’autrui l’emportant sur le souci de soi. C’est cela que j’appelle « la sainteté ».

Notre humanité consiste à pouvoir reconnaître cette priorité de l’autre….Vous comprenez pourquoi je porte tant d’intérêt au langage : il s’adresse toujours à autrui, comme si on ne pouvait pas penser sans se soucier déjà d’autrui. D’ores et déjà ma pensée est dans un dire. Au plus profond de la pensée s’articule le « pour- l’autre », autrement dit la bonté, l’amour d’autrui plus spirituel que la science.

  • Cette attention à l’autre, est-ce que cela s’enseigne ?

A mon avis, cela se réveille devant « le visage » d’autrui.

  • L’autre dont vous parlez, est-ce aussi le tout-Autre, Dieu ?

C’est là, dans cette priorité de l’autre homme sur moi que, bien avant mon admiration pour la création, bien avant ma recherche de la première cause de l’univers, Dieu me vient à l’idée.

Lorsque je parle de l’autre, j’emploie le terme de « visage ». Le « visage », c’est ce qui est derrière la façade et sous la contenance que chacun se donne : la mortalité du prochain….Le « visage » dans sa nudité est la faiblesse d’un être unique exposé à la mort, mais en même temps l’énoncé d’un impératif qui m’oblige à ne pas le laisser seul. Cette obligation, c’est la première parole de Dieu. La théologie commence pour moi dans le visage du prochain. La divinité de Dieu se joue dans l’humain. Dieu descend dans le « visage » de l’autre.

Reconnaître Dieu, c’est entendre son commandement : « Tu ne tueras point », qui n’est pas seulement l’interdit de l’assassinat mais est un appel à une responsabilité incessante à l’égard d’autrui – être unique – comme si j’étais élu à cette responsabilité qui me donne, à moi aussi, la possibilité de me reconnaître unique, irremplaçable, et de dire « je ». Conscient que dans chacune de mes humaines démarches – dont autrui n’est jamais absent – je réponds de son existence d’être unique ( …)


E. LEVINAS : né d’une famille juive à Kaunas (Lituanie) en 1905 – Révolution communiste : fuite en France – Études à l’université de Strasbourg – Découverte du philosophe E. Husserl – Cours de M. Heidegger – Guerre 40 : prisonnier dans un camp en Allemagne ; épouse et enfants cachés chez des religieuses – La famille demeurée à l’est est exterminée dans les camps nazis – 1947 : Directeur de l’école normale israélite à Paris – Professeur à l’université de Poitiers puis Paris.

Auteur de très nombreux ouvrages (plusieurs reproduits en poche) – Reconnu comme un des plus grands philosophes du 20ème s. – Décédé le 25 12 1995 après « une vie dominée, dira-t-il, par le pressentiment et le souvenir de l’horreur nazie ».

Cf. Catherine Chalier : Lévinas : l’utopie de l’humain (éd. A. Michel)

La Guerre en Ukraine, Notre capacité à regarder le malheur

Née en 1947, Catherine Chalier est philosophe, professeur émérite à l’université de Paris. Ancienne élève d’Emmanuel Lévinas, elle est devenue spécialiste de son œuvre. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages et a publié récemment « Comme une clarté furtive. Naître, mourir » (éd Bayard 2021), « Découvrir l’asymétrie » (éd. Bayard 2020) ; « Lire la Torah »(éd. du Seuil » ; etc…). – Extraits de l’interview parue dans La Croix du 9 4 22)


« … La réflexion sur le mal est peu mobilisée dans les analyses actuelles de ce conflit et je le comprends. On ne voudrait pas, sous prétexte de réfléchir au mal, laisser croire qu’il s’agit d’une fatalité, contre laquelle on ne pourrait ni penser ni agir. Cela serait effectivement une erreur.

Quand la guerre est là, on ne peut que souhaiter que toute l’attention soit centrée sur la manière de contrer ce mal-là. Cela étant, je pense bien sûr qu’on est ici devant une expression du mal. Le mal comme une puissance extrême d’affirmation de son être. Sur ce point, un penseur comme Emmanuel Lévinas nous aide à raisonner. Selon lui, le mal équivaut à la dureté implacable de l’être qui cherche à s’accroître aux dépens des autres, contre eux, en mettant toute sa passion pour se développer. Il se distingue par cette approche, car la philosophie a très souvent pensé le mal comme un manque, une déficience, un néant. D’après Lévinas, la puissance d’être, passionnée, est une expression du mal.

  • Avons-nous cru qu’on pouvait en finir avec le mal extrême grâce au droit et aux relations économiques ?

Les démocraties et l’humanisme dont elles se prévalent sont fragiles. Faire du commerce, c’est mieux que de faire la guerre, mais ce n’est le tout de l’être humain. L’Europe a maintenu globalement la paix depuis 1945 mais le paysage européen est devenu spirituellement un peu désertique.

Sans doute est-ce une faute collective d’avoir laissé périr cette dimension spirituelle de l’être humain. La question du mal n’est pas seulement une question politique, elle concerne chacun d’entre nous. J’étudie beaucoup les textes de la tradition hassidique et je suis frappée par la manière dont ils insistent sur cette lutte qui doit être la nôtre avec notre « yetser hara », notre penchant au mal, notre manière d’être pour nous-mêmes. C’est une question profonde car on ne répond pas au mal par des slogans, tel « plus jamais ça » ni par des idéologies. On y répond par une réflexion approfondie et en commençant par soi-même.

  • Avez-vous le sentiment qu’on s’est privé de ressources spirituelles ?

….Ce qui me paraît fondamental dans la Bible juive – et la Bible chrétienne, le reprend – c’est l’affirmation que ce qui est bon précède ce qui est mauvais.

Aussi néfaste, aussi profond, aussi dévastateur soit le mal, il ne peut pas effacer l’alliance pré-originelle avec la bonté énoncée au début de la Genèse. C’est grâce à elle que l’on peut penser la repentance, la réconciliation, la réparation, ce « quelque chose » qui nous redonne de l’élan pour réparer le mal que nous avons fait ou que nous avons subi.

Nombreux sont les philosophes qui pensent, avec Freud, que la pulsion humaine est d’abord négative, agressive, mortelle. Mais comment arriver à la paix si l’on pense cela ? La Bible nous enseigne autre chose. Elle ne dit pas que nous sommes bons, mais qu’il y a en nous cette possibilité de renouer avec la bonté pré-originelle. C’est un travail quotidien pour chacun.

  • …Dans l’histoire et la pratique juives, quel rôle joue l’expression de la souffrance. ?

Dans la Bible, le rôle du prophète est d’abord de dénoncer le mal fait par les hommes, et en particulier le mal fait par les puissants à l’encontre de ceux qui sont faibles. Les prophètes dénoncent l’injustice, la violence et l’hypocrisie. Je pense en particulier au livre d’Isaïe, chapitre 8…Je me rappelle avoir discuté avec Emmanuel Lévinas du fait qu’il n’y a plus de prophète aujourd’hui. Il m’avait répondu que les prophètes, à présent, pouvaient être des journalistes, mais aussi chacun d’entre nous.

Nous sommes appelés à cette vocation prophétique, que le texte biblique réveille. La répétition des textes bibliques n’a de sens que pour chercher à les entendre autrement chaque fois. « Le texte nous lit » dit Kierkegaard. Il est comme un miroir dans lequel nous pouvons découvrir les mouvements intérieurs qui nous habitent….

Des Croyants qui changent leur Vie

Mgr Georges Pontier est l’ancien président la Conférence des évêques de France : il vient d’achever son mandat d’administrateur apostolique de Paris suite à la démission de Mgr Aupetit.
Extraits de son interview dans le journal « La Croix » du 15 04 2022.


  • L’avenir de l’Église passe-t-il par de grandes métropoles ?

… Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de croyants qui changent leur vie à cause de leur foi…Que nous réserve l’Esprit-Saint pour l’évangélisation d’un monde en mutation ?…Nul ne le sait. Je ne suis pas pessimiste mais interrogatif. Il y a plein de choses que je n’aurais pas imaginées.

  • Le vendredi saint, personne n’imaginait le matin de Pâques.

Oui, c’est pour cela que ce qui est au coeur de notre foi, ce n’est pas l’énergie venue de la foule qui entourait Jésus le jour des Rameaux mais l’énergie venue de l’amour de Dieu pour l’humanité. C’est Jésus et ce projet de Dieu qui sont à la source de tout. Il vient apporter une force nouvelle.

Le vendredi saint, il y avait une personne, Jésus de Nazareth, dans une situation où tout était signe de mort ou d’échec. Son action par petits gestes, était lisible pour Marie sa mère, quelques femmes, Jean le disciple, qui pouvaient voir la manière dont il insufflait de l’amour alors qu’il aurait pu vouloir se venger, dire du mal…Par exemple la manière dont il dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… »

Quand on voit l’énergie, la puissance de fidélité qui émane de lui, on se dit : « Voilà notre Dieu et il ne nous abandonnera pas ». Dans le vendredi saint il y avait déjà en germe la puissance de la Résurrection, et ce germe c’était lui, Jésus, et la manière dont il traversait ce drame…

Il y a des moments où à vue humaine on ne le perçoit plus. Comme sûrement en Ukraine aujourd’hui, les gens prient car c’est un peuple croyant. Et ce qui les soutient, c’est cette foi alors que tout est animé par la peur et par la mort.

  • Comment garder l’espérance dans l’humanité face aux atrocités commises là-bas ?

Nous assistons à un nombre incalculable de petite solidarités à l’œuvre, une puissance intérieure qui va finir par triompher. Parce qu’il y a des hommes et des femmes solidaires qui risquent leur vie.

  • Comment avez-vous conçu votre mission à Paris pour apaiser, retisser du lien après le départ de Mgr Aupetit ?

Quand on traverse une épreuve forte, si on continue à se regarder soi-même, on ne peut être que démoli. Donc il faut regarder vers le Christ et vers les plus pauvres. On est sûr de ne jamais se tromper quand on sert les pauvres. C’est ensemble, en se retournant vers le Seigneur, en évitant de se juger, de se diviser, de se prendre pour quelqu’un qui sait tout expliquer, que l’on peut avancer.

Nous sommes fragiles mais nous sommes forts si nous résistons à la tentation de donner des leçons. Ce n’est pas parce que l’autre ne voit pas les choses tout à fait comme moi qu’il est « idiot » ou « moins chrétien ». S’écouter, ne pas rester qu’entre semblables qui remuent leur soupe en rajoutant du vinaigre dans le plat qu’ils vont servir à tout le monde, se retourner vers le service des pauvres et vers la Parole de Dieu, c’est ce que nous avons fait avec les prêtres. (…)

« En lisant le journal »

(K.Barth, supra)

L’humanité vient d’épuiser toutes les ressources que la terre produit en cette année 2022. Et tous les savants continuent à lancer de dramatiques appels au changement pour enrayer le réchauffement climatique qui risque de détruire la planète. La faute en revient évidemment au petit pourcentage d’hommes – les Occidentaux – qui ont la possibilité de mener un train de vie intolérable pour la grosse majorité des autres et ce qui, en outre, provoque chez eux des catastrophes naturelles.

« 15 millions de personnes sont gravement touchées par la famine » au Kénya, Ethiopie et Somalie (rapport ONU). La situation ne cesse d’empirer dans un froid silence international. Il s’agirait de la pire sécheresse depuis 1981. Au Kenya, 1, 4 million de têtes de bétail sont mortes à cause de la sécheresse. Tout est réuni pour que cette situation perdure et s’aggrave au fil des années d’autant que l’invasion de l’Ukraine affecte les prix de certaines denrées alimentaires. Le Comité international de la Croix-Rouge a estimé à 346 millions le nombre d’Africains qui souffrent d’une faim alarmante – soit une personne sur 4 (Journal La Croix 19 4 22).

En Belgique, un des pays les plus riches du monde, les organisations d’aide sociale sont submergées par les appels et ne parviennent plus à répondre à tous. Des mamans, sans doute par centaines, disent qu’elles se privent de nourriture les derniers jours du mois afin de pouvoir nourrir leurs petits.

Le conseil d’administration de Stellantis (fusion de PSA et Fiat) a décidé d’accorder une rémunération de 19 millions d’euros à son CEO. Une polémique s’est quand même ouverte en France et M. Macron a estimé cela  « choquant et excessif ». — Idem en Belgique : 8, 2 millions d’euros au CEO d’AB InBev – 6, 25 millions d’euros au CEO d’UCB – 4, 37 millions au CEO de Solvay – etc….(« La Libre Belgique » 19 04 2022)

Ci-dessus Mgr Pottier dit : … « Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de croyants qui changent leur vie à cause de leur foi… ». Aller à l’église oblige à réguler ses achats, à lutter contre le gaspillage, à revoir ses investissements dans une autre optique que le profit maximum et carnivore, à résister au matraquage publicitaire, à payer honnêtement ses impôts, à lutter contre la fraude fiscale…

Le Ressuscité est « au centre de tout » – pas seulement de nos rites mais de nos activités les plus profanes.