Mgr Rolando Alvarez, évêque de Matagalpa et figure de l’opposition au régime de Daniel Ortega, a été libéré et expulsé vers le Vatican dimanche 14 janvier aux côtés d’un autre évêque, de quinze prêtres et de deux séminaristes. Cette issue résulte des négociations de la diplomatie vaticane.
Une négociation réussie entre le Vatican et le régime de Daniel Ortega. Le gouvernement du Nicaragua a annoncé dimanche 14 janvier la sortie de prison et l’expulsion vers Rome de Mgr Rolando Alvarez, d’un autre évêque, de quinze prêtres et de deux séminaristes.
Figure de l’Église nicaraguayenne et l’une des dernières voix d’opposition à la dictature encore présente sur le territoire, Mgr Alvarez, évêque de Matagalpa, avait été placé sous arrestation domiciliaire en août 2022. En février 2023, après avoir refusé de monter dans un avion en partance pour les États-Unis avec 222 prisonniers politiques, il avait été condamné à vingt-six ans de prison. Quelques mois plus tard, en juillet dernier, l’évêque résistant avait de nouveau refusé la possibilité d’un exil négocié avec le Vatican et, en octobre, il n’avait pas fait partie des douze prêtres expulsés vers Rome après un « accord » conclu entre le Saint-Siège et Managua.
Ce 14 janvier donc, près d’un an après sa condamnation, l’évêque de Matagalpa est cette fois expulsé aux côtés de Mgr Isidoro Mora, évêque de Siuna, arrêté le 20 décembre 2022 avec deux séminaristes après avoir demandé, lors d’une homélie, de prier pour l’évêque incarcéré. La plupart des dix-sept autres religieux renvoyés du pays avec eux avaient été interpellés les 29 et 30 décembre derniers.
« Très respectueuses et discrètes coordinations »
« La dictature sandiniste criminelle n’a rien pu faire contre le pouvoir de Dieu ! », s’est réjoui dimanche, depuis l’église Sainte-Agathe de Miami, Mgr Silvio Baez, évêque auxiliaire de Managua et voix de l’Église nicaraguayenne en exil. Annonçant la nouvelle, l’évêque, réfugié aux États-Unis depuis 2019, a tenu à remercier le pape François pour « son intérêt, sa proximité et son attention au Nicaragua », ainsi que pour l’efficacité de la diplomatie vaticane, avant de pleurer d’émotion.
Cette fois, les négociations diplomatiques du Saint-Siège ont donc abouti, comme le confirme le communiqué du gouvernement nicaraguayen publié dimanche, dont le ton très courtois interpelle. Il évoque les « très respectueuses et discrètes coordinations réalisées pour rendre possible le voyage vers le Vatican » des religieux. Plus loin, le gouvernement sandiniste salue « la possibilité d’un dialogue franc, direct, prudent et très sérieux » mais aussi « responsable et attentionné » avec le Saint-Siège.
Le Vatican a-t-il fait aboutir ces négociations au prix d’une plus grande réserve face au régime nicaraguayen, comme certains observateurs en font l’hypothèse ? Cette annonce intervient en tout cas deux semaines après que le pape a exprimé, lors de l’Angélus du 1er janvier, sa « profonde préoccupation » pour la situation du Nicaragua. Une semaine plus tard, devant le corps diplomatique, il avait également affirmé que le Saint-Siège « ne cessait d’appeler » à un « dialogue diplomatique respectueux » avec le gouvernement nicaraguayen.
Mince contact
Entre Rome et Managua, les tensions n’ont cessé de croître au fil des mois. L’expulsion du nonce par le régime, en mars 2022, avait créé une onde de choc au Vatican. En mars de l’année suivante, dans un entretien au site d’information argentin Infobae, le pape avait élevé la voix, qualifiant le Nicaragua de « dictature grossière ». Sept jours plus tard, le gouvernement nicaraguayen avait répliqué en demandant la fermeture du siège diplomatique du Saint-Siège au Nicaragua.
Le Vatican n’a pas pour autant renoncé à suivre les affaires du pays, mais il le fait désormais dans la plus grande discrétion, et observe le silence le plus complet, pour ne pas mettre en danger les communautés catholiques sur place. Comme ce fut le cas, notamment, lorsque le régime d’Ortega confisqua les biens de la prestigieuse Université centraméricaine jésuite en août dernier. Un silence observé par le pape lui-même, qui s’attire ainsi de nombreuses critiques de certaines chancelleries occidentales, où l’on estime qu’il devrait dénoncer franchement les persécutions touchant les catholiques dans le pays.
Le contact entre Rome et Managua – « semblable à un fil très mince », fait valoir une source vaticane – se fait désormais depuis le Costa Rica voisin du Nicaragua, où s’est installé en mars 2023 l’unique diplomate du Vatican encore en poste à Managua. C’est par ce biais, en s’appuyant sur des contacts locaux présents au Nicaragua, que le Vatican maintient de faibles liens avec le régime.
L’église catholique, cible privilégiée du régime Ortega
Le régime de Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo a pris l’Église catholique pour cible depuis la révolte de 2018, au cours de laquelle elle avait condamné la répression qui avait causé plus de 300 morts.
Depuis cette année, 151 prêtres et religieuses ont été expulsés, bannis du territoire ou interdits d’entrée au Nicaragua, selon l’avocate Martha Patricia Molina, exilée aux États-Unis. Pour la seule année 2023, 34 religieux ont dû quitter le pays.
Après l’expulsion de 19 religieux le 14 janvier, il reste aujourd’hui une centaine de prisonniers politiques au Nicaragua.
Marguerite de Lasa et Loup Besmond de Senneville,
pour le journal La Croix, le 15/01/2024.