C’est l’homme religieux qui prépare l’avenir

par Jeanne Larghero

Sans la religion, l’homme aurait-il l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain ? Privée de Dieu, constate la philosophe Jeanne Larghero, l’humanité est livrée à l’angoisse et au repli sur soi.


L’éco-anxiété est un phénomène galopant, les psychologues et pédopsychiatres ne cessent d’en témoigner. Ne feignons pas de nous étonner : en effet, le principal ressort de la prise de conscience écologique a été pendant des décennies le langage de la peur. Description de l’extinction des espèces, de l’assèchement des espaces naturels, de la fonte des glaciers : depuis Hans Jonas et le Principe de responsabilité en 1979, « l’heuristique de la peur » s’est répandue.

Un remède à l’individualisme et à l’égoïsme

Cependant la conscience qu’a l’homme de sa vulnérabilité n’est pas nouvelle. Ainsi Bergson soulignait dans Les deux sources de la morale et de la religion (1932) la chose suivante : « L’homme est le seul animal qui hésite et qui tâtonne, […] le seul qui se sente sujet à la maladie, le seul aussi qui sache qu’il doit mourir. » C’est également le seul qui puisse « céder à des préoccupations égoïstes quand le bien commun est en cause ». Les deux sont liés : nous savons que l’avenir est incertain, nous savons que nous pouvons échouer, alors la tentation du chacun pour soi est grande. Nous savons que nous allons mourir, alors la tentation du « après moi le déluge » est grande. Cela se vérifie : nous avons consommé et pollué autant par imprévoyance que par égoïsme.

C’est pourquoi Bergson voyait dans la religion un effet de l’intelligence humaine : penser la vie après la mort, miser sur la continuité de la vie, contrer l’inévitable par l’espérance est un élan naturel religieux. La nature, en conférant à l’être humain une intelligence dotée de fonction religieuse, a contrebalancé la lucidité dont elle a par ailleurs doté l’espèce humaine. Elle lui offre une défense contre ce que l’exercice de l’intelligence pourrait avoir de déprimant. En dotant les humains d’une capacité religieuse, la nature a apporté à l’humanité une défense contre la dissolution du lien social : les commandements religieux, les principes moraux qui découlent de la relation à Dieu, la conscience morale de la faute ou du péché, les rites collectifs sont autant de remèdes à l’individualisme et à l’égoïsme.

Une défense naturelle

Dès lors on comprend qu’une génération coupée d’un héritage et de pratiques religieuses, se trouve alors privée des défenses naturelles contre l’angoisse de notre fragilité, contre l’angoisse de la vulnérabilité du système Terre (Earth system) dans son ensemble, contre le sentiment d’impuissance face à une société indifférente. Certes la religion n’est pas une béquille pour les faibles ou les inconséquents, on sait qu’elle apporte également son lot d’inquiétude : la relation à Dieu, dans l’intime du cœur, est faite de moments de grâce comme de moments de doute.

Cependant elle est le lieu où s’expérimente l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain. Pour celui qui croit à la communion des saints, la notion de générations futures n’est pas qu’un concept très incertain et teinté de pessimisme, elle est au contraire une promesse d’avenir : nous rencontrerons un jour tous ceux dont nous avons aujourd’hui préparé l’avenir. Loin de nous désoler, rendons grâce : notre engagement, si petit soit-il, a un sens dès aujourd’hui, et pour toujours.

Aleteia, publié le 02/06/23

Échec de la transmission de la religion dans les familles chrétiennes

Le journal « La Croix » du 5 mai commente une récente enquête de l’INSEE.

Les résultats sont implacables : la part des catholiques continue de chuter en France : de 43 % en 2012 à 20 % en 2022. 51% de la population entre 18 et 59 ans déclarent ne pas avoir de religion. Le catholicisme reste la première religion ; l’Islam progresse de 10 %. La progression la plus spectaculaire est celle des évangéliques : 9 % en 10 ans.

76 % des musulmans disent que la religion a beaucoup ou assez d’importance pour eux – contre 27 % des catholiques et 39% des autres chrétiens.

Tandis que la reproduction familiale est forte dans l’Islam (91 %) et le judaïsme (84 %) , les familles chrétiennes transmettent moins leur croyance à leurs enfants.

« Si dans les familles, rien n’a été fait pour redonner de la valeur à la pratique, notamment celle de la messe, en trois générations les pratiquants font des enfants non pratiquants qui eux-mêmes ont des enfants non chrétiens » 

Les familles juives et musulmanes transmettent beaucoup mieux la religion à leurs enfants que les catholiques. 91 % des personnes élevées dans des familles musulmanes, et 84 % dans des familles juives, continuent à se revendiquer de la religion de leurs parents, contre seulement 67 % de celles élevées par des parents catholiques. Cette forte reproduction familiale s’expliquerait surtout par l’éducation religieuse au sein de la famille.

Comment allons-nous réagir à cette nouvelle ?

Pourquoi Jésus donne-t-il à l’Église le « pouvoir des clés » ?

Jean-Thomas de Beauregard, op

Le privilège divin confié à des hommes pécheurs d’ouvrir ou de fermer les portes du Ciel paraît exorbitant. Par ce « pouvoir des clés », Jésus donne à l’Église une réponse de confiance à un acte de foi.

Au serviteur de Dieu qui doit remplacer le gouverneur indigne, le prophète Isaïe promet la clef de la maison de David (Is 22, 19-23). S’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Quelques siècles plus tard, Jésus confie à Pierre les clés du Royaume des Cieux. Tout ce que Pierre aura lié sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce qu’il aura délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 13-20). La tradition de l’Église a toujours lu ces deux textes ensemble. Dans les deux cas, Dieu transfère une prérogative proprement divine à un homme. Ce privilège divin transféré à un homme et à ses successeurs, c’est ce qu’on appelle le pouvoir des clés : Pierre et ses successeurs peuvent donner l’accès au Ciel ou le refuser. En particulier, les ministres de l’Église ont le pouvoir de pardonner les péchés au nom de Dieu, et peuvent aussi refuser l’absolution ou prononcer l’excommunication le cas échéant.

Un pouvoir exorbitant

Cela paraît un pouvoir exorbitant. Comment Dieu qui, seul, sonde les reins et les cœurs, peut-il confier à des hommes, pécheurs de surcroît, une responsabilité aussi écrasante ? Pardonner les péchés et donc donner l’accès au Ciel, mais aussi fermer les portes du Ciel à certains en refusant l’absolution ou en prononçant l’excommunication ? Aucun homme ne semble capable de juger de ces choses aussi bien que Dieu !

Et il est bien vrai que si ça n’avait tenu qu’aux Apôtres, et aux premiers chrétiens, jamais l’Église ne se serait accordée à elle-même un tel pouvoir. C’était d’ailleurs totalement inconcevable dans l’univers mental d’un juif de l’époque. Mais précisément, l’Église n’y est pour rien ! L’Évangile ne laisse aucun doute : c’est Jésus qui, par un acte solennel, a voulu remettre à Pierre et à ses successeurs le pouvoir des clés. Si Jésus n’avait pas pris cette initiative surprenante, il ne serait venu à personne l’idée incongrue de réclamer un tel pouvoir. Mais il faut bien comprendre ce dont il s’agit.

Le choix de l’incarnation et de la miséricorde

D’abord, c’est la logique même de l’Incarnation. Dieu se donne par et dans l’humanité du Christ. Et le temps de l’Église est celui de la présence du Christ et de l’Esprit médiatisée par des hommes. On peut trouver ça fou, et imprudent. Mais c’est le choix de Dieu que d’avoir voulu communiquer sa grâce, de manière ordinaire, en passant par des hommes, faillibles et pécheurs. Par amour, Dieu a voulu associer les hommes à son dessein de salut, en prenant le risque d’une coopération très imparfaite. Et le trésor des sacrements est ainsi livré aux mains des hommes. C’est un risque, mais c’est un beau risque.

Ensuite, il faut remarquer qu’il y a une asymétrie complète entre le pouvoir de pardonner d’une part, et le pouvoir de refuser l’absolution ou le pouvoir d’excommunier d’autre part. Tous les confesseurs le savent : quelle que soit la gravité du péché, et même si le repentir du pénitent est imparfait, la règle générale est la miséricorde. Le pardon est presque toujours donné. L’absolution accordée est la norme, et le refus d’absolution l’exception. Aucun confesseur ne refuse l’absolution sans la conviction ferme, fondée sur des éléments probants, qu’il n’y a de la part du pénitent aucun repentir réel ni désir de conversion. Et dans le doute, c’est toujours la miséricorde qui prime.

Au service de la vie

Le pouvoir des clés que Jésus a voulu remettre entre les mains de l’Église ressemble donc bien plus aux bras ouverts d’une mère aimante, ou aux bras ouverts de Jésus en Croix, qu’à l’œil sourcilleux d’un douanier ou d’un gendarme. La main du prêtre est faite pour bénir et pour pardonner. Au demeurant, l’Église sait trop, et les prêtres en son sein, que nul ne saurait se considérer le propriétaire d’un tel pouvoir, que nul ne saurait en disposer selon un bon plaisir despotique et arbitraire. Le pouvoir des clés est au service de la vie : il s’agit de communiquer la vie divine autant qu’elle peut l’être, autant que les hommes sont capables de la recevoir.

Un acte de foi

À la vérité, l’expression traditionnelle de « pouvoir des clés » gagnerait à être purifiée. On y sent toute l’influence du droit romain, et de la société médiévale. Bien sûr, le droit a toute sa place dans l’Église : c’est la garantie de la justice. Et il y a un anti-juridisme prétendument évangélique qui n’est qu’une naïveté sans rapport avec l’enseignement de Jésus. C’est une des leçons que les scandales des dernières années au sein de l’Église nous auront apprises : le droit, lorsqu’il est clair et vraiment appliqué, protège le faible et fournit un cadre pour que l’Esprit-Saint puisse se déployer et souffler là où il veut ; l’absence de droit, au contraire, livre le faible à la tyrannie de l’arbitraire, de la subjectivité et de l’affectivité, et favorise toutes les contrefaçons de l’Esprit-Saint par lesquelles Satan fait son œuvre parmi les chrétiens.

Mais lorsque Jésus remet les clés à Pierre, la portée juridique évidente de l’acte ne doit pas faire oublier son contexte et sa symbolique. Jésus ne remet les clés à Pierre qu’après que celui-ci l’a confessé comme « le Christ, le fils du Dieu vivant ». Le pouvoir des clés n’est donné que parce qu’il y a eu un acte de foi, et un acte de foi fondé sur l’amour. La remise des clés est une réponse d’amour à une déclaration d’amour,une réponse de confiance à une confession de foi. La remise des clés, c’est d’abord la reconnaissance d’une intimité inouïe, d’un amour plus fort que tout. 

Le signe d’une intimité profonde

Même les couples de notre postmodernité déboussolée le savent : lorsque Cunégonde choisit de donner un double des clés de son appartement à Gontran, c’est le signe qu’une étape a été franchie dans l’intimité mutuelle, c’est un acte de confiance totale. Certes, Jésus n’est pas un adolescent attardé qui se cherche des étapes intermédiaires avant l’engagement du mariage, mais la symbolique de la remise des clés reste la même : c’est d’abord le signe d’une intimité profonde. Donner les clés de sa maison, c’est toujours un peu donner les clés de son cœur. En donnant à Pierre les clés du royaume des Cieux, en confiant à l’Église l’accès à sa propre demeure éternelle, Jésus manifeste sa confiance et son amour.

Autrement dit, la remise des clés, qui est un pouvoir, est un signe d’amour au service de la vie. En confiant le pouvoir des clés à l’Église, Jésus manifeste que l’Église n’est pas une réalité qui lui est extérieure : elle est le prolongement visible de son action dans le monde ; elle est son Épouse qui partage donc avec lui toute sa vie et toutes ses prérogatives ; elle est un autre Lui-même, ce Christ-total dont parlait saint Augustin.

Les mains de l’Église comme les mains du Christ

Là encore, cela paraît fou ! À ne poser qu’un regard sociologique sur l’Église, on voit mal ce qui pourrait justifier une telle confiance. Mais le Christ et son Esprit travaillent au cœur même de l’Église, de l’intérieur. Les clés du Royaume n’ont pas été remises à l’Église comme une conséquence d’un retrait du Christ et de l’Esprit, comme si le Christ et l’Esprit avaient déserté ce monde et laissé l’Église orpheline. Non, les clés du Royaume sont entre les mains de l’Église comme entre les mains mêmes du Christ et de son Esprit, qui continuent d’agir à travers elle et en elle pour communiquer aux hommes la vie même de Dieu. 

Henri de Lubac

1896 – 1991

Né à Cambrai. Blessé à la guerre (s’ensuivront de lourdes souffrances toute sa vie). Jésuite. Ordonné prêtre en 1927. Professeur de théologie fondamentale aux Facultés de Lyon. En 1938 paraît son grand livre « Catholicisme », prélude d’une œuvre immense qui comprendra une 50aine d’ouvrages dont « Surnaturel » qui suscitera débats et critiques. Lance avec le père Daniélou la célèbre collection des « Sources chrétiennes ». Enfin reconnu, il est nommé expert au concile. Cardinal en 1983. Mort le 4 9 1991.

Les évêques français ont demandé l’ouverture de la cause de sa béatification. Le Pape a approuvé.

A la suite de « Paradoxes », « Nouveaux Paradoxes » est une œuvre marginale de réflexions : en voici quelques extraits.

Nouveaux Paradoxes

Nos idées vieillissent avec nous, c’est pourquoi nous n’y prenons pas garde, et nous sommes tout étonnés que des esprits plus jeunes n’en tombent pas amoureux comme nous. (p.12)

La sincérité est comme le bonheur et peut-être comme la beauté : on ne la trouve qu’en ne la cherchant pas. On n’est sincère qu’en n’y pensant pas. (p.36)

En nous rappelant à l’intérieur, l’Evangile nous rappelle incessamment à la vérité des rapports humains, cette vérité que trahissent fatalement toutes les idéologies et toutes les politiques (p.41)

L’une des pires trahisons de l’Evangile : sous les dehors de la charité, couvrir et consommer l’injustice (p.57)

Vais-je refuser le verre d’eau à mon frère, en lui disant que je suis occupé à retrouver le sens de Dieu ? (p.60)

A chaque mouvement de charité sincère, l’Evangile triomphe, déjà le christianisme est efficace (p.61)

Un seul moyen d’être heureux : non pas ignorer la souffrance, et non pas la fuir : mais accepter sa transfiguration…Le vrai bonheur ne peut-être que le résultat d’une alchimie. (p.71)

« Si ton âme est troublée, va à l’église, prosterne-toi et prie. Si ton âme reste encore troublée , va trouver ton père spirituel, assieds-toi à ses pieds, et ouvre-lui ton âme. Et si ton âme est toujours troublée, alors retire-toi dans ta cellule, étends-toi sur ta natte, et dors » (p.72)

Quand vraiment on souffre, on souffre toujours mal (p.73)

Nouveaux Paradoxes – éd. du Seuil

Que nous offre la vie selon l’Esprit ?

P. Sylvain Gasser, assomptionniste

De nombreux chrétiens, notamment issus de la mouvance charismatique, proclament haut et fort la présence de l’Esprit. Ils aiment à en confesser l’effusion dans leur vie et dans leurs groupes de prière. Là où se tisse la communion, là où s’élève la prière, là où surgit la guérison, là où abondent les prophéties, là où s’émancipent les langues, là est l’Esprit de Dieu. Mais la vie selon l’­Esprit nécessite-t-elle de connaître chacune de ces expériences?

Tirer l’Esprit uniquement du côté de la présence et de l’évidence est une façon de biaiser son identité et sa mission véritables. Le Souffle saint est « l’inobjectivable » par excellence. Il réalise la communion mais il marque aussi les écarts. Il maintient la distance entre Dieu et l’homme, entre l’homme et le cosmos. Il invite à respecter les différences. Sa présence n’est pas interférence. Attention au fusionnel et au confusionnel !

Quand nous essayons de comprendre le monde, nous sommes en droit de nous demander si l’Esprit y a sa place. Nous souhaiterions des signes évidents et nous ne recueillons que de maigres indices. Et nous entendons s’élever la petite musique de Jean : « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va » (3, 8). Insaisissable Esprit au souffle nomade! La liberté de l’Esprit ne finit pas d’étonner et de déjouer toute planification. Elle rompt la propension de l’homme à n’ouvrir ses oreilles qu’aux manifestations bruyantes et spectaculaires, elle brise la croyance accordée aux puissances de toute sorte qui empêchent d’ouïr « le murmure d’un fin silence » (1 R 19, 12). Ainsi le Souffle aiguise la soif.

Résistant à la fringale d’une expérience sensible de Dieu, nous avons cependant besoin de l’Esprit pour marcher vers la vérité. La venue du Règne de Dieu est le travail de l’Esprit, si bien que ce que nous découvrons comme vérité est toujours l’impact de l’Esprit dans l’histoire. Mais, selon la tradition biblique, cette vérité est de l’ordre de la promesse, non de l’évidence possédée. Dans cette épreuve du repérage de l’Esprit, « le premier de tous les vicaires du Christ » (cardinal Newman) est la conscience. Le problème moral d’aujourd’hui n’est pas le nombre de ceux qui n’écoutent pas le pape ou ne suivent pas les commandements de l’Église, mais le nombre de ceux qui ne suivent pas leur conscience, souffle de Dieu intérieur à leur expérience.

Une telle vie discernée dans l’Esprit offre à la conscience un chemin de liberté. Elle sonde et interroge le forum intime de la conscience sous la vigilance du Verbe, elle permet à l’homme de se livrer à l’énergie ténue mais bien réelle de l’Esprit de Dieu en soi. « Il vient un temps où l’homme doit prendre une position qui n’est ni prudente, ni politique, ni populaire mais doit la prendre parce que sa conscience dit qu’elle est juste » (Martin Luther King). Le supplément d’âme et d’esprit que nous appelons pour notre société n’est peut-être que le sursaut enflammé de notre conscience.

Baptisés – Tous prêtres, prophètes et rois

Lettre pastorale de Mgr Jean Legrez, op.,
Archevêque d’Albi
Extraits

Le sacerdoce du Seigneur Jésus consiste à s’offrir lui-même : « Quand il s’offre pour notre salut, il est à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (Préface de Pâques, V). Configuré au Christ par le baptême, être prêtre devient l’apanage de chaque baptisé. « Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont « re-nés » non d’un germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la Parole du Dieu vivant (cf. 1P 1, 23), non de la chair, mais de l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3, 5-6), ceux-là constituent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant maintenant le Peuple de Dieu. » (1P 2, 9-10) » (LG n°9) Saint Jean- Paul II, développant la pensée du Concile, a précisé dans son exhortation apostolique Christifideles Laici : « Le baptême signifie et produit une incorporation mystique mais réelle au Corps crucifié et glorieux de Jésus. Par le moyen du sacrement, Jésus unit le baptisé à sa mort pour l’unir à sa résurrection, le dépouille du « vieil homme » et le revêt « de l’homme nouveau », c’est-à-dire de Lui-même. » (CL n°12) Déjà dans sa première épître, l’apôtre Pierre s’adressant aux baptisés écrivait : « Soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. » (1P 2, 5)

Saint Jean-Paul II décrit avec précision le sacerdoce commun des fidèles dans la même exhortation : « Les fidèles laïcs participent à l’office sacerdotal, par lequel Jésus s’est offert Lui-même sur la Croix et continue encore à s’offrir dans la célébration de l’Eucharistie à la gloire du Père pour le salut de l’humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l’offrande d’eux-mêmes et de toutes leurs activités (cf. Rm 12, 1-2). Parlant des fidèles laïcs, le Concile déclare : « Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1P 2, 5) ; et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l’oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d’adoration. » » (CL n° 14)

Ainsi, il est clair qu’il ne s’agit pas pour les fidèles laïcs d’imiter tel ou tel aspect des activités d’un ministre ordonné. Comme le prêtre dans l’Ancienne Alliance est celui qui offre au Temple le sacrifice, l’office sacerdotal de chaque baptisé consiste d’abord et avant tout dans l’offrande de toute son existence en union avec le Christ. Par le baptême, nous sommes devenus enfants de Dieu, appelés à vivre à la manière du Fils premier-né, le Christ, en imitant donc son obéissance au Père jusque dans sa passion et sa mort sur une croix. Jésus est le grand prêtre parfait qui, par son offrande, a obtenu pour l’humanité une libération définitive : « Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 14). C’est l’Esprit Saint, obtenu en faveur des croyants par la Pâque du Christ, qui les rend capables d’entrer dans les sentiments de Jésus et d’offrir à leur tour leur vie au Père en union avec lui et comme lui.

Cet acte d’offrande, auquel chaque baptisé est appelé, embrasse tous les aspects de son existence, se vit dans la prière et culmine dans une participation active à chaque eucharistie spécialement lors de l’eucharistie dominicale. « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, les fidèles offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent une part originale dans l’action liturgique. » (LG n° 11) Chaque jour, au Temple de Jérusalem, le prêtre, matin et soir, offrait un sacrifice et laissait brûler l’encens dont la fumée parfumée montant vers le Ciel était l’expression de la confiance d’Israël en son Dieu et de son abandon à sa Providence. Le Christ offrant sa vie sur la croix s’inscrit pour une part dans la tradition des sacrifices de l’Ancienne Alliance, mais d’une manière tout à fait nouvelle puisque par le don de son propre sang, non plus celui d’animaux, son sacrifice est d’une efficacité absolue.

Être prêtre consiste à s’unir de tout son être aux sentiments du Christ accomplissant la volonté du Père sur la croix pour le salut du monde. À vue humaine, cela paraît impossible, mais je constate dans la vie des saints que lorsqu’ils choisissent de remettre totalement leur vie à Dieu, ils vivent dans la joie et portent du fruit. « Père, entre tes mains je remets mon esprit » : la dernière parole de Jésus en croix, devient le maître mot de tout baptisé et exprime parfaitement l’exercice du sacerdoce commun des fidèles.

Saint Pierre l’écrit dans sa première épître « à ceux qui sont choisis par Dieu » ; c’est-à-dire les fidèles du Christ : « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1P 2, 9) Par une vie offerte, le baptisé exerce le sacerdoce commun des fidèles et, simultanément, il fait déjà connaître le salut accordé par l’unique grand prêtre, Jésus-Christ.

La Joie de l’Evangile

1ère Encyclique du Pape François

1. La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours.

Une joie qui se renouvelle et se communique

2. Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée.

Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus.

Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie. Ce n’est pas le choix d’une vie digne et pleine, ce n’est pas le désir de Dieu pour nous …

Faire de petits pas vers Jésus

3. J’invite chaque chrétien à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse.

Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclus de la joie que nous apporte le Seigneur ». 

Quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts.

C’est le moment pour dire à Jésus Christ : « Seigneur, je me suis laissé tromper, de mille manières j’ai fui ton amour, cependant je suis ici une fois encore pour renouveler mon alliance avec toi. J’ai besoin de toi. Rachète-moi de nouveau Seigneur, accepte-moi encore une fois entre tes bras rédempteurs ». Cela nous fait tant de bien de revenir à lui quand nous nous sommes perdus !

J’insiste encore une fois : Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander sa miséricorde. Celui qui nous a invités à pardonner « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22) nous donne l’exemple : il pardonne soixante-dix fois sept fois. Il revient nous charger sur ses épaules une fois après l’autre.

Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie.

Etre plus qu’humains

Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, ne nous donnons jamais pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie qui nous pousse en avant.

Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai.

Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ?

Ce discours programme du Pape
demeure fondamental.
A lire et à méditer.
Ed. Fidélité – 10 €.

L’Église doit subir une Réforme profonde

par le père TOMAS HALIK

Le père T. Halik, théologien tchèque, sociologue des religions a ouvert l’Assemblée synodale européenne à Prague par une Introduction spirituelle.

Comment l’Eglise peut-elle être plus pertinente en Europe. Doit-elle s’adapter aux évolutions sociales ou être au contraire de contre-culture ?

La mission principale de l’Eglise est l’évangélisation qui consiste en une inculturation, un effort pour insuffler l’esprit de l’Evangile dans la manière de penser et de vivre des gens d’aujourd’hui. Sans cela, l’évangélisation n’est qu’un endoctrinement superficiel. L’Eglise ne peut et ne doit faire partie de la contre-culture, ou être en résistance, si ce n’est face à des régimes répressifs tels que le nazisme, le fascisme et le communisme.

Les tentatives de faire du catholicisme – surtout entre le milieu du 19ème et le milieu du 20ème siècle – une contre-culture, contre la société, la culture, la science et la philosophie modernes ont conduit à une autocastration intellectuelle. Elles ont causé l’éloignement d’une grande partie de la classe ouvrière, des intellectuels et des jeunes. La peur et l’aversion pour la culture moderne ont mené à une ex-culturation et contribué sensiblement à la sécularisation des sociétés occidentales.

Les efforts de Vatican II pour dialoguer avec la modernité et l’humanisme laïc sont arrivés trop tard à un moment où la modernité touchait déjà à sa fin. La société post-moderne présente aux Eglises des opportunités et des défis très différents de ceux de la modernité. Pour devenir une voix crédible et intelligible à une époque de pluralité radicale, l’Eglise doit subir une réforme profonde – et j’espère que le processus synodal permettra de l’amorcer.

De telles transformations ne risquent-elles pas de dissoudre le message chrétien – comme ce que semble craindre le pape devant les positions les plus extrêmes du chemin synodal allemand ?

La voie allemande semble accorder une grande importance au changement des structures institutionnelles. Elle soulève avec audace des questions qui ne peuvent être taboues, et parle de problèmes dont la solution ne peut être reportée indéfiniment. J’insiste cependant sur le fait que les réformes institutionnelles – comme les questions autour des conditions d’exercice du ministère sacerdotal – doivent précéder et accompagner un approfondissement de la théologie et de la spiritualité.

Le processus de sécularisation s’est accéléré en Europe à cause de la crise des abus. En quoi celle-ci peut-elle être un « signe des temps » pour l’Eglise ?

Les abus sexuels jouent un rôle similaire au commerce des indulgences, juste avant la Réforme. Au début les deux phénomènes semblaient marginaux. Or tous deux ont révélé des problèmes systémiques bien plus profonds. Dans le cas des indulgences, cela interrogeait la relation entre l’Eglise et l’argent, l’Eglise et le Pouvoir, le clergé et les laïcs. Dans le cas des abus sexuels, psychologiques et spirituels, il s’agit de la maladie du système, que le pape a appelé « cléricalisme » ;

Le pape appelle à la transformation du système rigide du pouvoir clérical, en une Eglise qui soit un réseau dynamique de coopération mutuelle, un chemin commun (sun-odos). Ce voyage conduit nécessairement à transcender les frontières institutionnelles et mentales actuelles de l’Eglise : il doit mener à un œcuménisme plus profond et plus large – à une invitation adressée à tous à emprunter le chemin de « la fraternité universelle », qui est notre objectif eschatologique.

Le processus synodal montrera si l’Eglise aura le courage de l’ « auto transcendance ». L’identité du christianisme n’est pas quelque chose de statique et d’immuable : elle réside dans la participation au drame de Pâques.

Beaucoup de choses dans l’Eglise doivent mourir pour que la résurrection ait lieu – et celle-ci n’est pas une réanimation, un retour en arrière, mais une transformation radicale.

Interview dans « La Croix » du 6.2.2023.

Le cri de la souffrance

Véronique Margron, dominicaine

Présidente élue de la conférence des religieuses et religieux en France (CORREF)

Je ne suis pas catholique à cause des prêtres, y compris les meilleurs. Et ils sont nombreux.

Je ne suis pas catholique à cause des évêques, y compris tous les pasteurs authentiques, proches et serviteurs de leur communauté.

Je ne suis pas catholique à cause du pape, pas même le plus engagé auprès des déshérités de notre temps.

Je suis catholique à cause de l’amour de Dieu pour les plus vulnérables.

Je suis catholique à cause de Jésus, vrai homme, mortel, comme chacun.

Je suis catholique à cause de Jésus, le Christ, homme totalement vrai, accomplissant ce qu’il dit, donnant toute la vie pour ceux qu’il aime : notre humanité précaire, bouleversée et malmenée par le tragique de la vie. Notre humanité parfois fracassée par des prédateurs, au sein même de la maison qui devrait être la plus sûre : l’Église du Christ.

Je suis catholique à cause de l’Eucharistie, où nous devenons le corps que nous recevons. Où nous sommes convoqués à vivre de la vie du Christ, du creux de nos simples existences ordinaires. Sans banderole et sans publicité.

Je suis catholique parce que je crois la parole de Dieu, celle qui me raconte que mon Dieu a pris la décision de faire alliance avec l’humanité, de la sauver de l’esclavage et du désespoir. La Parole de Dieu qui me raconte un Dieu qui décide, gratuitement, par pur amour, de venir s’asseoir à la table de mon existence. De toute existence, pour la partager.

Je suis catholique, et du cœur de l’hiver de l’Église, où nous sommes de par la monstruosité des abus et des crimes et la façon dont ils ont été impunément dérobés à la vue de la justice et de la vérité, je tente décidément de devenir disciple du Christ jour après jour.

Je crois de toute mon âme, de tout mon cœur, de toute ma volonté et ma pauvre intelligence, que le mal et le mensonge ne l’emporteront pas.

Là est mon engagement de tous les jours et mon espérance. Je supplie qu’ils soient toujours plus forts que ma colère, mon accablement et mon immense chagrin. Une colère, un accablement et un chagrin qui sont peu de choses à côté de ceux des victimes.

L’édito de Sœur Véronique Margron 
Mouvement des chrétiens retraités – avril 2019

Quand l’expérience de Madeleine Delbrêl interroge le sens spirituel de la mission

On est frappé en lisant Madeleine Delbrêl par la dimension contemplative de sa vocation. Pourtant, cette femme est surtout connue pour sa proximité avec les incroyants, son engagement auprès des plus pauvres, sa disponibilité radicale au tout-venant à la maison de la Rue Raspail, à Ivry-sur-Seine, où l’aventure missionnaire avait commencé avec deux autres femmes, en 1933. Mais si l’on y regarde de plus près, sa fibre missionnaire est comme la face visible d’une autre face, plus cachée, celle de son expérience de Dieu, de la même manière qu’en cette femme si enjouée, la joie plonge ses racines dans la croix.

Dès sa jeunesse, Madeleine a connu les drames causés par la guerre, le fardeau d’un corps malade à répétition et les tensions familiales. Et surtout, de 16 à 20 ans, l’épreuve de l’athéisme, d’une vie sans but, sinon celle qu’inflige la mort. Les épreuves traversent la vie de Madeleine, jusqu’à sa mort et cependant, cette vie-là porte une marque d’éternité, le signe de « “l’Éternel missionnaireˮ qu’est le Saint-Esprit » (1).

En ce temps de pandémie et de guerre en Europe qui met l’homme devant sa vulnérabilité, dans un monde qu’il ne maîtrise pas, Madeleine n’aurait-elle pas à nous livrer un peu plus le secret de son bonheur forgé au creuset des épreuves ? L’expérience de conversion de Madeleine semble avoir marqué très fortement l’élan intérieur qui anima toute sa vie : « la conversion et sa violence durent toute la vie » (2). Cette phrase prononcée peu de temps avant sa mort, nous donne peut-être une clé de compréhension de la contemplation missionnaire chez Madeleine, du travail intérieur qui doit buriner le chrétien, le remodeler, le faire sortir de lui-même, solitaire et ouvert à l’autre, tendu entre le Royaume qui advient en lui et ce monde qui le méconnaît.

LA CONTEMPLATION COMME PASSIVITÉ

Après ce 29 mars 1924, jour de la “conversion” de Madeleine, où Dieu l’a “éblouie”, sa situation personnelle n’a apparemment pas changé : les santés fragiles du trio familial, l’instabilité affective du père, le fiancé de Madeleine qui ne revient pas, son avenir littéraire en suspens après des débuts prometteurs… Autant dire qu’en ces années 1925-1928, c’est plutôt la nuit qui domine sur la vie de Madeleine ; mais précisément, cette nuit semble s’éclairer d’une lumière nouvelle. Madeleine, d’abord, continue de prier, à la façon dont Thérèse d’Avila l’enseignait. Et cette prière s’exprime comme un acte passif, où elle se “laisse trouver” par Dieu :

« Dès la première fois je priai à genoux par crainte, encore, de l’idéalisme. Je l’ai fait ce jour-là et beaucoup d’autres jours et sans chronométrage. Depuis, lisant et réfléchissant, j’ai trouvé Dieu ; mais en priant j’ai cru que Dieu me trouvait et qu’il est la vérité vivante, et qu’on peut l’aimer comme on aime une personne » (3).

Ces mêmes années, la lecture de Jean de la Croix et des maîtres spirituels de l’école française semble la guider dans cette voie nouvelle qui s’est ouverte à elle, où le “rien” devient un tremplin pour le “tout”. La correspondance avec Louise Salonne de l’année 1928 peut en témoigner, par exemple lorsqu’elle soutient son amie, malade elle aussi, en lui expliquant que cette inactivité imposée peut devenir un lieu de transformation radicale :

« Comme je voudrais t’avoir près de moi pour essayer de te remonter en te racontant tout ce qu’on peut faire d’essentiellement actif en restant complètement passif. C’est une vérité extrêmement sévère (…) mais elle est la règle de la souveraine liberté. J’aimerais à t’en parler de cette liberté qui déchire les poignets en nous ôtant les fers » (4).

Mais de quelle liberté s’agit-il ? Elle n’impose pas sa foi à son amie incroyante, mais nous pouvons comprendre que Madeleine envisage cette “souveraine liberté” comme celle de Dieu lui-même ayant pris possession de son âme : elle est devenue libre de remettre entièrement sa vie à Dieu, avec toutes les capacités qui faisaient sa fierté, notamment son intelligence. À la lecture de Jean de la Croix, Madeleine comprend le travail d’émondage que les vertus théologales, la foi, l’espérance et l’amour opèrent sur les facultés humaines. Elle découvre que « nos zéros multiplient l’infini » et alors « nous prenons humblement la taille de la volonté de Dieu », une puissance infinie. Mais pour cela il faut consentir à de multiples morts, libres et joyeuses, car elles signent l’union d’amour offerte à celui qui se quitte pour se donner entièrement. L’épreuve trouve alors son sens dans la croix du Christ qui s’offre à nous, pour que nous le rejoignions (5). Ainsi conclut-elle une lettre à Louise Brunot en 1933 : « Je vous désire la mort de tout ce qui est encore vous, le chiendent du beau jardin. Tout notre travail, au fond, consiste à mourir : ceci fait, Dieu naît en nous. (…) La + n’a rien d’austère elle est une lumière et un cadeau d’amour. Elle est même infiniment plus qu’un cadeau d’amour : elle est une union d’amour » (6).

LA CONTEMPLATION COMME CONVERSION

La mission, en définitive, commence là, dans ce retournement intérieur, la metanoïa provoquée par la rencontre de Dieu et de l’âme, par ce plus grand amour qui fera renoncer à tout pour mieux le recevoir, Lui seul. C’est l’itinéraire qu’enseigne Jean de la Croix dans la Montée du Mont Carmel, chemin auquel Madeleine se réfère à plusieurs reprises. Se livrer constamment au face-à-face avec Dieu, c’est ce qu’opère en nous le baptême, encore faut-il que celui-ci reste vivant dans la conscience du baptisé, nous dit Madeleine. C’est sans doute la grâce des convertis de ne jamais pouvoir l’oublier :

« Le baptême a effectué ce retournement violent.
Mais en nous cette conversion peut être à peine ou pleinement consciente ; à peine ou pleinement volontaire ; à peine ou pleinement libre. (…)
La conversion est un moment décisif qui nous détourne de ce que nous savions de notre vie pour que, face à face avec Dieu, Dieu nous dise ce qu’il en pense et ce qu’il en veut faire. (…)
Sans cette primauté extrême, éblouissante d’un Dieu vivant, d’un Dieu qui nous interpelle, qui propose sa volonté à notre cœur libre de répondre oui ou de répondre non, il n’y a pas de foi vivace » (7).

Loin de limiter ici cette conversion à un moment unique, Madeleine exprime plutôt le ressort de toute vie chrétienne, d’une vie en croissance, car une foi qui ne grandit pas dépérit : être éveillé dans la foi, c’est discerner sans cesse l’appel de Dieu dans le quotidien de la vie, c’est unir en chaque acte notre liberté à celle de Dieu. Et dans ce quotidien, l’épreuve – de quelque ordre qu’elle soit – devient alors une occasion d’accroissement possible de la vie de Dieu en nous. « Dieu permet à notre foi de rester vraie “en l’éprouvantˮ » (8). L’athéisme est une de ces épreuves. Si Madeleine ose affirmer que « la vraie vie de foi, elle tient et se développe en milieu athée », c’est qu’elle a compris que la contradiction est une chance pour la foi, car elle permet, d’abord, de s’émerveiller du don reçu. Pourquoi ai-je la foi, moi, et non mon proche collègue qui se dévoue mieux que moi dans son travail ? La contradiction invite aussi à se resituer dans nos choix en réinterrogeant notre fondement : suis-je vraiment au Christ ? Lui suis-je fidèle dans tel acte ou dans telle parole ou bien je sauve ma face ? Madeleine nous dit que le pire danger pour le croyant, c’est de s’habituer à croire. La foi ne pénètre plus nos os, notre chair, elle devient un mot, une idée. L’Esprit s’en est allé. Le Christ n’est plus quelqu’un de réel, « qu’on peut aimer comme on aime une personne ». Bienheureux ceux qui nous délogent de nos commodités et nous rendent la jeunesse de la foi, sans cesse épurée, plus pauvre et vraie.

POUR UNE MISSION EN PROFONDEUR

Si la contemplation de Dieu devient conversion, transformation de la personne, alors la mission change de mesure. Elle prend la taille de Dieu en nous. Poursuivons, dans ce registre carmélitain, par l’évocation que Madeleine fait de Thérèse de Lisieux, à qui elle dédie son « petit livre », Missionnaire sans bateau, « pour qu’elle en fasse ce qu’elle veut ». Pour Madeleine, Thérèse illustre à merveille le paradoxe de la mission : plus celle-ci est “intérieure”, plus elle est à même de porter du fruit à l’extérieur. Alors que les abbés Daniel et Godin écrivaient quelques mois plus tôt, en septembre 1943, France, pays de mission ? en envisageant la mission en termes de reconquête territoriale, Madeleine veut redonner le sens spirituel de la mission, en montrant qu’il s’agit plutôt de vivre des “missions en profondeur” qui porteront un fruit plus sûr, car ce sera non pas celui de l’homme, mais celui de Dieu :

« Peut-être Thérèse de Lisieux, patronne de toutes les missions (9), fut-elle désignée pour vivre au début de ce siècle un destin où le temps était réduit au minimum, les actes ramenés au minuscule, (…), la mission ramenée à quelques mètres carrés, afin de nous enseigner que certaines efficacités échappent aux mesures d’horloge, que la visibilité des actes ne les recouvre pas toujours, qu’aux missions en étendue allaient se joindre des missions en profondeur au fond des masses humaines, en profondeur, là où l’esprit de l’homme interroge le monde et oscille entre le mystère d’un Dieu qui le veut petit et dépouillé ou le mystère du monde qui le veut puissant et grand » (10).

Et cette mission que Thérèse de Lisieux a si bien déployée depuis le périmètre limité de son Carmel, c’était d’être, au cœur de l’Église, l’Amour. C’est cette même charité que Madeleine et ses compagnes veulent être, dans l’Église et pour le monde. Non pas pour y faire, dit-elle « un certain travail visible mais pour nous consacrer totalement à son amour – je ne dis pas à son service – pour le laisser nous aimer jusqu’où le cœur lui en dira. Aimer c’est être un, c’est partager la vie de celui qu’on aime. » (11). Être un avec Dieu, voilà ce que désirent tous les mystiques du quotidien, lui être uni quelle que soit leur activité ; nous dirions aujourd’hui, être en “pleine conscience” de Celui qui est l’Amour vrai en nous, en l’autre, présent donné, en attente d’être accueilli. Alors, « la plus petite action devient un paradis immense où nous recevons le paradis, où nous pouvons donner le paradis » (12). L’acte le plus insignifiant rejoint ainsi l’œuvre du Christ, si l’intention qui le porte est pure, comme aimait le dire Thérèse de Lisieux, reprenant Jean de la Croix : « Le plus petit mouvement de pur amour est plus utile à l’Église que toutes les œuvres réunies » (13). En cela, Madeleine Delbrêl s’inscrit bien dans la lignée des saints du Carmel (14).

En définitive, Madeleine a su déployer en plénitude ce que chaque chrétien reçoit gratuitement, le don de la foi auquel elle ne s’est jamais habituée, reconnaissante envers ce Dieu qui rendait sa vie sans cesse nouvelle et la disposait à aimer l’autre, quel qu’il soit. Comment ne pas entendre son invitation à revisiter nos façons de faire, d’écouter, de regarder, de discerner ? N’est-ce pas ce que notre Église en synode nous invite à vivre ? Ne serait-ce pas un moment favorable pour entrer en résonance avec la Parole jusqu’à la blessure intérieure d’où le vrai “soi” jaillira, paisible en sa faiblesse, capable de relations humaines qui aient goût d’éternité ? Un appel à l’humilité, à la prière, à l’ouverture du cœur… pour que Sa joie en nous soit parfaite et qu’elle soit lumière pour tous nos frères. Alors, comme le dit le pape François, « à partir de l’intimité de chaque cœur, l’amour crée des liens et élargit l’existence s’il fait sortir la personne d’elle-même vers l’autre. Faits pour l’amour, nous avons en chacun d’entre nous « une loi d’“extaseˮ : sortir de soi-même pour trouver en autrui un accroissement d’être » (15). Car, comme le dit Madeleine, s’adressant à Dieu, « nous sommes tous appelés à l’extase, tous appelés à sortir de nos pauvres combinaisons pour surgir heure après heure dans votre plan » (16).

Sophie Mathis, Sœur de la Providence de la Pommeraye.
Article publié dans la revue Prêtres Diocésains, n. 1567/janvier 2021, pp. 31-36.

(1) Œuvres complètes de Madeleine Delbrêl (O. C.), Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, t. 7, La sainteté des gens ordinaires, « Missionnaires sans bateaux », p. 57.
(2) O.C., t. 10, La question des prêtres-ouvriers, La Leçon d’Ivry, p. 219.
(3) O.C., t. 11, Ville marxiste, terre de mission, p. 214.
(4) Correspondance de Madeleine Delbrêl, 1915-1949, vol.1, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2022, Lettre du 11 janvier 1927 à L. Salonne, p. 49.
(5) Voir à ce propos l’étude éclairante de Bernard Pitaud et Gilles François, Souffrance et joie chez Madeleine Delbrêl, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2020.
(6) Correspondance de Madeleine Delbrêl, 1915-1949, op.cit., Lettre du 4 janvier 1933 à L. Brunot, p. 201.
(7) O.C., t. 10, op. cit., pp. 218-219.
(8) Ibid., p. 219. Souligné dans le texte.
(9) Thérèse est béatifiée en 1923, puis canonisée le 17 mai 1925 par Pie XI. Le 14 décembre 1927, Pie XI proclamait Thérèse patronne des missions et des missionnaires.
(10) O.C., t. 11, op. cit., pp. 148-149.
(11) O.C., t. 13, La vocation de La Charité, « Le douzième an » (1945), p. 135.
(12) O.C., t. 7, op. cit., « Nous autres gens des rues » (1938), p. 29.
(13) Thérèse de Lisieux, Œuvres complètes, Paris, Cerf/DDB, 1996, LT 221 au P. Roulland du 19 mars 1897. cf. Jean de la Croix, Cantique spirituel B 29,3 ou encore Thérèse d’Avila, Fondations 29, 32, Exclamations 5.
(14) Sophie Mathis, Madeleine Delbrêl et les saints du Carmel, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2021.
(15) Pape François, Lettre encyclique Fratelli Tutti, 3 octobre 2020, n. 66.
(16) O.C., t. 3, Humour dans l’amour, « L’extase de vos volontés », pp. 43-44.

Le Pape exhorte à se convertir à l’écologie du cœur

Le Pape François a adressé, en 2021, un message aux participants à la 49e Semaine sociale des catholiques italiens, convoquée à Tarente dans les Pouilles en Italie. Il y développe sa vision de l’engagement social chrétien, appelant à créer «des réseaux de rédemption».

«La pandémie a mis à jour l’illusion de notre époque selon laquelle nous pouvons nous croire omnipotents, en foulant aux pieds les territoires que nous habitons et l’environnement dans lequel nous vivons», a affirmé le Saint-Père, préconisant que «pour nous remettre sur pied, nous devons nous convertir à Dieu et apprendre à faire bon usage de ses dons, en premier lieu la création».

Le visage et l’histoire des souffrants

Pour cela, il faut écouter les souffrances des pauvres, des derniers, des désespérés, des familles fatiguées de vivre dans des lieux pollués, exploités, brûlés, dévastés par la corruption et la dégradation, a plaidé l’évêque de Rome, rappelant le titre significatif choisi pour cette semaine sociale à Tarente, ville qui symbolise les espoirs et les contradictions de notre époque: «La planète que nous espérons. Environnement, travail, avenir. Tout est lié». «Il y a un désir de vie, une soif de justice, une aspiration à la plénitude qui jaillit des communautés touchées par la pandémie», a-t-il en effet relevé.

Le Pape a souhaité partager plusieurs réflexions, la première étant l’attention portée «aux croisements». Il a déploré les situations suivantes: «Trop de gens traversent nos vies alors qu’ils sont désespérés: des jeunes contraints de quitter leur pays d’origine pour émigrer ailleurs; des femmes qui ont perdu leur emploi en période de pandémie ou qui sont obligées de choisir entre maternité et profession; des travailleurs laissés à la maison sans opportunités; des pauvres et des migrants non accueillis et non intégrés; des personnes âgées abandonnées à leur solitude; des familles victimes de l’usure, des jeux d’argent et de la corruption; des entrepreneurs en difficulté et soumis aux abus de la mafia; des communautés détruites par les incendies…»

Ce sont des visages et des histoires qui interpellent: nous ne pouvons pas rester indifférents. Nos frères et sœurs sont crucifiés et attendent la résurrection, a poursuivi François.

Des chrétiens en mouvement

Second point évoqué, quand nous voyons des diocèses, des paroisses, des communautés, des associations, des mouvements, des groupes ecclésiaux fatigués et découragés, parfois résignés face à des situations complexes, «nous voyons un Évangile qui tend à s’effacer», a-t-il constaté. «Au contraire, l’amour de Dieu n’est jamais statique ou renonçant, « tout croit, tout espère » (1 Co 13,7): il nous pousse à avancer et nous interdit de nous arrêter.»

Et le Saint-Père d’exhorter à ne pas rester dans les sacristies, ne pas former des groupes élitistes qui s’isolent et se referment sur eux-mêmes. «Comme il serait merveilleux que, dans les zones les plus marquées par la pollution et la dégradation, les chrétiens ne se limitent pas à dénoncer, mais prennent la responsabilité de créer des réseaux de rédemption. Il s’agit de redéfinir le progrès», a-t-il souligné, ajoutant que le développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie totalement supérieure ne peut être considéré comme un progrès » (n° 194).

Troisième point, «l’obligation du tournant», imposé par lecri des pauvres et de la Terre. «L’espoir nous invite à reconnaître que nous pouvons toujours changer de cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes». (n. 61). Mgr Tonino Bello, évêque prophète de la terre des Pouilles, aimait à répéter: «Nous ne pouvons pas nous limiter à l’espérance. Nous devons organiser l’espoir!». Ainsi une conversion profonde nous attend, qui touche l’écologie humaine, l’écologie du cœur, avant même l’écologie environnementale, a plaidé le Souverain Pontife, rappelant combien le changement d’époque que nous traversons exige un tournant.

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Benoît XVI, foi et raison

Le pape Benoit XVI affirme la haute valeur de la raison humaine

La foi chrétienne tient en haute estime la raison humaine. Benoît XVI, après son prédécesseur Jean-Paul II (encyclique Fides et ratio de 1998), est souvent intervenu sur la relation profonde entre la foi et la raison.

Il affirme la haute valeur de la raison humaine qui participe à la recherche de la vérité, en particulier dans les sciences. A Ratisbonne, en septembre 2006, le Pape rappelait que « la foi de l’Eglise s’est toujours tenue à la conviction qu’entre Dieu et nous, entre son Esprit créateur éternel et notre raison créée », s’il existe des dissemblances, « il existe une vraie analogie ». Cela veut dire que le travail de la raison vaut par lui-même et aussi qu’il peut et doit être lié à la vie de la foi.

Joseph Ratzinger l’avait expliqué à la Sorbonne en 1999 : quand les premiers auteurs chrétiens ont présenté leur religion à des païens, ils l’ont située non dans le cadre du monde religieux ambiant (mythes, religion officielle), mais dans la continuité de la philosophie. Pourquoi ? Parce que les religions païennes ne sortaient pas de la sphère humaine, alors que la philosophie se présentait comme une recherche exigeante de la vérité, conduisant à dépasser ce qui est purement humain. Le Dieu qui s’est révélé, survenant dans l’histoire singulière d’Israël, se fait connaître comme vérité toujours plus haute, toujours à chercher. La foi chrétienne, qui est une suite du Christ, fait entrer dans cette recherche. Saint Justin, au IIe siècle, n’hésite pas à parler du christianisme comme de la vraie philosophie.

La rationalité de la foi

Benoît XVI accorde une grande importance à l’héritage hellénique. Dans la ferveur d’une heureuse redécouverte de la Bible et plus précisément du monde sémitique dans lequel celle-ci a été composée, on en est venu souvent à opposer la révélation juive et la philosophie grecque. On reproche aux premiers conciles chrétiens, qui ont usé du vocabulaire philosophique grec pour exprimer la foi en la divinité du Christ, d’appartenir à un univers de pensée révolu et étranger à celui de la révélation et dont il conviendrait de se libérer. Dans un souci de retour aux sources et pour une meilleure annonce de l’Evangile, notamment dans des pays dont la culture diffère de la culture gréco-latine, comme l’Inde ou la Chine, on écarte l’héritage des premiers siècles pour revenir à une « pureté » du texte biblique.

C’est en réalité une erreur sur la révélation elle-même. Car si celle-ci nous a été donnée dans un univers bien précis (le peuple d’Israël), elle a été transmise dans un monde marqué par l’hellénisme. Une rencontre s’est opérée à l’intérieur de la Bible, notamment dans les écrits de Sagesse (les Psaumes, etc.), et dans la traduction de la Bible en grec par 70 savants juifs à Alexandrie (la Septante). Cette traduction de la Bible aux IIIe-Ier s. avant l’ère chrétienne, est plus qu’une simple traduction : c’est « une avancée importante de l’histoire de la révélation ». En traduisant des notions (comme torah par Loi, tsedaqah par justice), la Septante situait les énoncés bibliques dans le langage de la philosophie et ouvrait un débat possible de la pensée biblique avec la pensée hellénique. Dans l’Evangile, saint Jean écrit que « au commencement était le Logos, et le Logos est Dieu ». La Parole de Dieu est comprise comme Logos, ce qui veut dire « parole » mais aussi « raison ».

La remarque de Benoît XVI sur cette question de la « des-hellénisation » du christianisme n’est pas une coquetterie d’universitaire. Elle nous redit qu’il y a une rationalité de la foi. Négliger l’apport philosophique dans le christianisme reviendrait à ne plus comprendre le lien de la foi avec la recherche de la vérité.

L’autonomie de la raison et de la foi

Benoît XVI est également attentif à l’autonomie de la raison et de la foi. Il l’a dit dans le discours qu’il aurait dû prononcer en janvier 2008 à l’université d’Etat la Sapienza à Rome, université précisément fondée par un Pape ! L’ancien professeur sait mieux que quiconque qu’il ne s’agit pas de confondre les niveaux. Il ne s’agit pas par exemple de mettre un peu de piété dans la science pour sauver la raison ou pour faire de la bonne théologie. Concordisme et fondamentalisme nuisent à la foi et à la raison.

Il rappelle que la véritable grandeur de la raison est de chercher la vérité, y compris la vérité concernant la religion. La vérité ne se cherche que par le dialogue, le travail, dans un climat de respect et de liberté (Vatican II, Déclaration sur la Liberté religieuse). C’est là que la raison humaine apparaît dans toute son ampleur et qu’elle révèle ses potentialités. Il y a là un enjeu non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour tous dans une société sécularisée qui risque de ne plus se poser les questions métaphysiques essentielles. C’est la mission de l’Eglise que de « maintenir vive la sensibilité pour la vérité » et « d’inviter toujours la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu ». Sans quoi elle perd sa grandeur et se dénature.