Dimanche de Pentecôte – 28 mai 2023 – Évangile de Jean 20, 19-23

Évangile de Jean 20, 19-23

L’Esprit qui brûle en nous

Il y a des chrétiens pour qui l’Esprit-Saint n’est jamais comme une langue de feu, c’est-à-dire un langage que nous percevons, et qui nous enflamme.

Nous savons tous qu’en nous, il y a des mots et des idées qui se bousculent. Et nous savons tous aussi que parmi ces idées certaines nous attristent, d’autres nous réjouissent, d’autre encore nous emportent le cœur et l’âme. Il y a des mots, des phrases, des sons que nous percevons et qui nous portent vers la plénitude, l’élévation de tout notre être et parfois même l’extase ; des mots qui provoquent une jubilation esthétique intense – déjà les mots « Je t’aime » sont de ceux-là.

Et bien, il y a des chrétiens pour qui les mots qui émanent de l’Esprit même de Dieu ne sont jamais de telles langues de feu, ne suscitent en eux aucun embrasement, ni même de joie particulière.

Certainement, ils ont des désirs, des êtres et des passions qui les enflamment … mais pas Dieu. Ce sont des chrétiens purement rationnels, pour qui Dieu est finalement toujours une idée, un concept et jamais une rencontre, une personne qui les aime, quelqu’un dans leur vie. Ils ont la foi, ils croient en un être suprême, mais ce Dieu n’est jamais un « tu » auquel ils s’adressent. Il est trop loin.

Il y a aussi des chrétiens pour qui le seul esprit qui leur parle c’est le leur ; des chrétiens qui n’écoutent qu’eux-mêmes, des chrétiens qui croient que Dieu parle comme eux – et qui ont même tendance à l’affirmer – des chrétiens qui pensent détenir la vérité – bien sûr, la leur.

Et puis il y a les chrétiens pour qui la religion est spiritualité : c’est-à-dire un embrasement de l’esprit, par un Esprit avec lequel on dialogue. Un « tu » qui nous parle dans le cœur et auquel on répond ; un « tu » que l’on retrouve quand on lit la Bible, un « tu » que l’on sait voir présent dans ceux qu’on aime, un « tu » qui, lui-même, s’exprime parfois à travers nous.

Il y a des chrétiens que le « Je t’aime » entendu de Dieu embrase et comble de joie ; qui jubilent de l’Amour de Dieu qui s’exprime ; qui non seulement ont conscience de cet Amour mais bien plus le ressentent et l’éprouvent ; un peu comme l’amour s’éprouve entre ceux qui s’aiment : des langues de feu brûlantes comme le sont les mots des amoureux entre eux ; ceux que se chuchotent parents et enfants quand ils s’embrassent.

L’Esprit de Dieu cherche à tous nous parler. Pas à nous tenir un discours ; pas à nous donner des leçons ; pas simplement à exprimer une pensée que nous pourrions trouver intéressante ou belle ou adéquate. Non ! à nous parler de la manière la plus complète qui soit ; avec des mots qui changent et emportent celles et ceux à qui ils s’adressent ; avec des mots brûlants qui nous attirent. Dieu veut nous attirer à lui avec une Parole qui touche à l’essentiel de nous-mêmes. A notre profond désir d’aimer et d’être aimés.

On ne comprend bien l’image des langues de feu qui tombent sur les disciples que si l’on sait soi-même à quel point on peut brûler du désir d’amour et à quel point Dieu désire rencontrer ce désir. On ne comprend bien l’image des apôtres qui parlent désormais toutes les langues que si l’on se rend compte de l’universalité de ce désir d’amour et aussi de l’universalité des réponses qui y sont apportées. Quelle que soit notre langue maternelle, partout dans le monde, l’amour et la tendresse s’expriment de la même manière, avec les mêmes gestes, les mêmes élans du cœur, les mêmes marques d’affections.

Alors certains me diront, c’est très bien tout ce discours sur l’Esprit Saint qui nous parle d’Amour mais moi je ne l’entends pas comme ça. Pire, repensons au cas de Mère Teresa pour qui Dieu était bel et bien un « tu » auquel elle s’adressait mais qui, toute sa vie, est restée dans la nuit, sans percevoir de réponse de la part de Dieu … Et qui est pourtant devenue sainte !

Je crois en effet qu’une extrême confrontation à la souffrance, une vie qui s’affronte au malheur au point de concevoir – à juste titre – un profond sentiment personnel d’impuissance, peuvent nous empêcher de voir l’amour de Dieu à l’œuvre parmi les hommes. C’est difficile, dans la souffrance ultime, de ressentir encore l’Amour de Dieu.

Mais c’est alors peut-être, comme Sainte Teresa – et comme le Christ sur la croix qui a aussi vécu ce sentiment d’abandon – c’est peut-être qu’on devient un être non plus qui entend Dieu mais un être qui ne fait plus que dire Dieu par sa vie. Finalement Teresa, comme le Christ, ne sont plus que le cri d’Amour de Dieu face à la souffrance ultime.

La Pentecôte c’est le don fait à l’Humanité de pouvoir véritablement entendre Dieu comme le Christ a entendu son Père. Et le fruit de la Pentecôte c’est de pouvoir exprimer à notre entourage cet amour infini de Dieu pour l’Humanité. S’il le faut, en n’étant seulement plus qu’un cri.

La Pentecôte c’est recevoir l’Esprit d’Amour qui permet de se relever en toutes circonstances.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Pourquoi Jésus donne-t-il à l’Église le « pouvoir des clés » ?

Jean-Thomas de Beauregard, op

Le privilège divin confié à des hommes pécheurs d’ouvrir ou de fermer les portes du Ciel paraît exorbitant. Par ce « pouvoir des clés », Jésus donne à l’Église une réponse de confiance à un acte de foi.

Au serviteur de Dieu qui doit remplacer le gouverneur indigne, le prophète Isaïe promet la clef de la maison de David (Is 22, 19-23). S’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Quelques siècles plus tard, Jésus confie à Pierre les clés du Royaume des Cieux. Tout ce que Pierre aura lié sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce qu’il aura délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 13-20). La tradition de l’Église a toujours lu ces deux textes ensemble. Dans les deux cas, Dieu transfère une prérogative proprement divine à un homme. Ce privilège divin transféré à un homme et à ses successeurs, c’est ce qu’on appelle le pouvoir des clés : Pierre et ses successeurs peuvent donner l’accès au Ciel ou le refuser. En particulier, les ministres de l’Église ont le pouvoir de pardonner les péchés au nom de Dieu, et peuvent aussi refuser l’absolution ou prononcer l’excommunication le cas échéant.

Un pouvoir exorbitant

Cela paraît un pouvoir exorbitant. Comment Dieu qui, seul, sonde les reins et les cœurs, peut-il confier à des hommes, pécheurs de surcroît, une responsabilité aussi écrasante ? Pardonner les péchés et donc donner l’accès au Ciel, mais aussi fermer les portes du Ciel à certains en refusant l’absolution ou en prononçant l’excommunication ? Aucun homme ne semble capable de juger de ces choses aussi bien que Dieu !

Et il est bien vrai que si ça n’avait tenu qu’aux Apôtres, et aux premiers chrétiens, jamais l’Église ne se serait accordée à elle-même un tel pouvoir. C’était d’ailleurs totalement inconcevable dans l’univers mental d’un juif de l’époque. Mais précisément, l’Église n’y est pour rien ! L’Évangile ne laisse aucun doute : c’est Jésus qui, par un acte solennel, a voulu remettre à Pierre et à ses successeurs le pouvoir des clés. Si Jésus n’avait pas pris cette initiative surprenante, il ne serait venu à personne l’idée incongrue de réclamer un tel pouvoir. Mais il faut bien comprendre ce dont il s’agit.

Le choix de l’incarnation et de la miséricorde

D’abord, c’est la logique même de l’Incarnation. Dieu se donne par et dans l’humanité du Christ. Et le temps de l’Église est celui de la présence du Christ et de l’Esprit médiatisée par des hommes. On peut trouver ça fou, et imprudent. Mais c’est le choix de Dieu que d’avoir voulu communiquer sa grâce, de manière ordinaire, en passant par des hommes, faillibles et pécheurs. Par amour, Dieu a voulu associer les hommes à son dessein de salut, en prenant le risque d’une coopération très imparfaite. Et le trésor des sacrements est ainsi livré aux mains des hommes. C’est un risque, mais c’est un beau risque.

Ensuite, il faut remarquer qu’il y a une asymétrie complète entre le pouvoir de pardonner d’une part, et le pouvoir de refuser l’absolution ou le pouvoir d’excommunier d’autre part. Tous les confesseurs le savent : quelle que soit la gravité du péché, et même si le repentir du pénitent est imparfait, la règle générale est la miséricorde. Le pardon est presque toujours donné. L’absolution accordée est la norme, et le refus d’absolution l’exception. Aucun confesseur ne refuse l’absolution sans la conviction ferme, fondée sur des éléments probants, qu’il n’y a de la part du pénitent aucun repentir réel ni désir de conversion. Et dans le doute, c’est toujours la miséricorde qui prime.

Au service de la vie

Le pouvoir des clés que Jésus a voulu remettre entre les mains de l’Église ressemble donc bien plus aux bras ouverts d’une mère aimante, ou aux bras ouverts de Jésus en Croix, qu’à l’œil sourcilleux d’un douanier ou d’un gendarme. La main du prêtre est faite pour bénir et pour pardonner. Au demeurant, l’Église sait trop, et les prêtres en son sein, que nul ne saurait se considérer le propriétaire d’un tel pouvoir, que nul ne saurait en disposer selon un bon plaisir despotique et arbitraire. Le pouvoir des clés est au service de la vie : il s’agit de communiquer la vie divine autant qu’elle peut l’être, autant que les hommes sont capables de la recevoir.

Un acte de foi

À la vérité, l’expression traditionnelle de « pouvoir des clés » gagnerait à être purifiée. On y sent toute l’influence du droit romain, et de la société médiévale. Bien sûr, le droit a toute sa place dans l’Église : c’est la garantie de la justice. Et il y a un anti-juridisme prétendument évangélique qui n’est qu’une naïveté sans rapport avec l’enseignement de Jésus. C’est une des leçons que les scandales des dernières années au sein de l’Église nous auront apprises : le droit, lorsqu’il est clair et vraiment appliqué, protège le faible et fournit un cadre pour que l’Esprit-Saint puisse se déployer et souffler là où il veut ; l’absence de droit, au contraire, livre le faible à la tyrannie de l’arbitraire, de la subjectivité et de l’affectivité, et favorise toutes les contrefaçons de l’Esprit-Saint par lesquelles Satan fait son œuvre parmi les chrétiens.

Mais lorsque Jésus remet les clés à Pierre, la portée juridique évidente de l’acte ne doit pas faire oublier son contexte et sa symbolique. Jésus ne remet les clés à Pierre qu’après que celui-ci l’a confessé comme « le Christ, le fils du Dieu vivant ». Le pouvoir des clés n’est donné que parce qu’il y a eu un acte de foi, et un acte de foi fondé sur l’amour. La remise des clés est une réponse d’amour à une déclaration d’amour,une réponse de confiance à une confession de foi. La remise des clés, c’est d’abord la reconnaissance d’une intimité inouïe, d’un amour plus fort que tout. 

Le signe d’une intimité profonde

Même les couples de notre postmodernité déboussolée le savent : lorsque Cunégonde choisit de donner un double des clés de son appartement à Gontran, c’est le signe qu’une étape a été franchie dans l’intimité mutuelle, c’est un acte de confiance totale. Certes, Jésus n’est pas un adolescent attardé qui se cherche des étapes intermédiaires avant l’engagement du mariage, mais la symbolique de la remise des clés reste la même : c’est d’abord le signe d’une intimité profonde. Donner les clés de sa maison, c’est toujours un peu donner les clés de son cœur. En donnant à Pierre les clés du royaume des Cieux, en confiant à l’Église l’accès à sa propre demeure éternelle, Jésus manifeste sa confiance et son amour.

Autrement dit, la remise des clés, qui est un pouvoir, est un signe d’amour au service de la vie. En confiant le pouvoir des clés à l’Église, Jésus manifeste que l’Église n’est pas une réalité qui lui est extérieure : elle est le prolongement visible de son action dans le monde ; elle est son Épouse qui partage donc avec lui toute sa vie et toutes ses prérogatives ; elle est un autre Lui-même, ce Christ-total dont parlait saint Augustin.

Les mains de l’Église comme les mains du Christ

Là encore, cela paraît fou ! À ne poser qu’un regard sociologique sur l’Église, on voit mal ce qui pourrait justifier une telle confiance. Mais le Christ et son Esprit travaillent au cœur même de l’Église, de l’intérieur. Les clés du Royaume n’ont pas été remises à l’Église comme une conséquence d’un retrait du Christ et de l’Esprit, comme si le Christ et l’Esprit avaient déserté ce monde et laissé l’Église orpheline. Non, les clés du Royaume sont entre les mains de l’Église comme entre les mains mêmes du Christ et de son Esprit, qui continuent d’agir à travers elle et en elle pour communiquer aux hommes la vie même de Dieu. 

6ème dimanche de Pâques – 14 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 15-21

Évangile de Jean 14, 15-21

Les voix intérieures

Au début de son discours d’adieu et comme nous l’avions découvert les dimanches précédents, Jésus a appelé tous ses disciples à croire en lui ; à croire qu’il est dans le Père et que le Père est en lui. Ensuite il les a exhortés à avoir une confiance absolue, à espérer toujours : oui, il va nous préparer une place dans la demeure de son Père. Et il continue maintenant en invitant vivre de son amour. « Croire en moi, c’est m’aimer » : dit Jésus. Cet amour n’est pas un sentiment éphémère, qui va et qui vient, mais c’est l’accueil des commandements qu’il nous a donnés. Il est donc important, essentiel même, de s’informer, de connaître l’enseignement de Jésus, de nous plonger dans sa vie et donc dans l’Évangile, de se mettre encore et toujours à l’écoute de la Parole.

Souvent, Jésus a donné des commandements à ses disciples : priez… veillez… ne cherchez ni l’argent, ni les premières places. Et encore : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi » ou « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voilà le cœur de ce que Jésus nous demande. Et il nous le demande tout en nous laissant une liberté totale : « si vous m’aimez » … Jésus ne force pas, n’impose pas, mais il nous invite. À chacun de répondre selon sa générosité de cœur envers lui.

Certains d’ailleurs vont refuser, comme le jeune homme riche de la parabole, et Jésus le laissera partir … Des disciples vont décider de se séparer de Jésus. Certains, comme Judas, vont même le trahir. Et pensons à Pierre qui, par trois fois, le reniera. Cependant, toujours, comme le Père dans la parabole du Fils prodigue, Jésus accueille celui qui revient à lui : l’amour de Jésus est un amour parfaitement libre et donc libérateur.

Et pour nous venir en aide, pour nous aider au commandement d’aimer, toujours au cœur de son discours d’adieux, Jésus nous fait une promesse, celle de nous envoyer un défenseur. À tous les disciples inquiets, fragilisés, incapables de se défendre, de rester fidèles jusqu’au bout – et il y a là quelques ressemblances avec nous-mêmes –, Dieu va envoyer le Paraclet, qui est un terme issu de la Bible en grec, d’un verbe qui signifie ‘appeler quelqu’un auprès de soi’. C’est donc un Esprit conseiller, un avocat ou encore un interprète que Dieu nous envoie et que Jésus promet.

Voici l’Esprit, le Souffle d’amour entre Jésus et son Père qui vient vers nous, auprès de nous, en nous. C’est lui que notre foi appelle ; c’est lui qu’il convient d’accueillir de tout notre cœur. Nous devenons ainsi des hommes et des femmes animés par une force extraordinaire, capables de reconnaître que Jésus est en son Père autant qu’il est en nous et nous en lui. Jésus est plus qu’une grande figure du passé : il est l’incarnation de l’Amour parfait. Avec les Apôtres, nous pouvons affirmer que Jésus vivant est revenu vers nous, non pas comme un prophète que l’on suit ou comme un maître de sagesse que l’on écoute, mais comme une présence réelle intérieure qui, à son tour, nous donne la Vie nouvelle en abondance, nous réjouit et nous emporte. Depuis Pâques, nous avons découvert que, plus qu’un grand prophète ou un messie politique, Jésus est le Fils vivant en son Père : que c’est parce qu’il vit en nous que nous, nous vivons vraiment.

Mais comment reconnaître en nous la voix de l’Esprit Saint ? Parce que, parmi toutes les petites voix qui nous parlent intérieurement, certaines nous trompent et nous égarent ? Comment discerner la voix de Dieu ? C’est tout de même un peu plus compliqué que ce que nous donnent à voir les dessins animés : un petit ange à gauche ; un petit diable à droite qui nous parlent à l’oreille.

Bien sûr, quand survient en nous une parole qui évoque l’Évangile – et c’est d’ailleurs pour ça qu’il faut bien s’en imprégner – nous pouvons nous y fier. Dans le même ordre d’idée, lorsque surgit en nous une pensée qui nous donne un sentiment de grande paix, nous pouvons la suivre. Si le conseil des voix intérieures nous incite à mieux aimer, là aussi, il est assurément bon.

Mais parfois la petite voix de l’Esprit Saint est une voix qui bouscule, qui dérange et même nous perturbe ; une voix qui va à l’encontre de nos propres idées ou désirs ; une voix qui veut nous emmener là où nous ne souhaiterions peut-être pas forcément aller ; une voix qui nous invite à faire ce que nous ne ferions peut-être pas. C’est alors plus difficile de l’entendre, de la comprendre et de l’accepter. Et nous pourrions facilement l’étouffer. L’Esprit nous laisse libre, y compris libre de nous tromper.

On parvient à discerner la voix de l’Esprit-Saint en prenant l’habitude d’écouter nos petites voix intérieures et en prenant le temps de réfléchir à leur propos. Pourquoi telle idée me vient-elle ? Et pourquoi me vient-elle si souvent ? C’est à force de chercher à comprendre ce qui motive les voix qui nous parlent intérieurement que nous parvenons à discerner celles qui viennent de Dieu, de celles qui viennent de nous-mêmes ou celles qui viennent d’un esprit encore plus mauvais. Enfin, nous pouvons prier Dieu de nous éclairer sur les intentions de nos petites voix intérieures.

Prenons dès lors le temps de l’écoute, créons cet espace qui va permettre à l’Esprit Saint d’agir en nous, de déployer ses dons de sagesse, de conseil et de force, ses dons d’intelligence et de piété. Habités par le désir de nous transformer de l’intérieur, nous entrerons alors en dialogue avec celui qui veut faire en nous sa demeure, un lieu de rencontre et de dialogue intimes.

C’est ainsi, par cette œuvre de l’Esprit en nous, que la vie et les paroles de Jésus resteront actuelles, toujours personnelles, et que nous reconnaîtrons qu’il vit en nous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Que nous offre la vie selon l’Esprit ?

P. Sylvain Gasser, assomptionniste

De nombreux chrétiens, notamment issus de la mouvance charismatique, proclament haut et fort la présence de l’Esprit. Ils aiment à en confesser l’effusion dans leur vie et dans leurs groupes de prière. Là où se tisse la communion, là où s’élève la prière, là où surgit la guérison, là où abondent les prophéties, là où s’émancipent les langues, là est l’Esprit de Dieu. Mais la vie selon l’­Esprit nécessite-t-elle de connaître chacune de ces expériences?

Tirer l’Esprit uniquement du côté de la présence et de l’évidence est une façon de biaiser son identité et sa mission véritables. Le Souffle saint est « l’inobjectivable » par excellence. Il réalise la communion mais il marque aussi les écarts. Il maintient la distance entre Dieu et l’homme, entre l’homme et le cosmos. Il invite à respecter les différences. Sa présence n’est pas interférence. Attention au fusionnel et au confusionnel !

Quand nous essayons de comprendre le monde, nous sommes en droit de nous demander si l’Esprit y a sa place. Nous souhaiterions des signes évidents et nous ne recueillons que de maigres indices. Et nous entendons s’élever la petite musique de Jean : « Le vent souffle où il veut, tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va » (3, 8). Insaisissable Esprit au souffle nomade! La liberté de l’Esprit ne finit pas d’étonner et de déjouer toute planification. Elle rompt la propension de l’homme à n’ouvrir ses oreilles qu’aux manifestations bruyantes et spectaculaires, elle brise la croyance accordée aux puissances de toute sorte qui empêchent d’ouïr « le murmure d’un fin silence » (1 R 19, 12). Ainsi le Souffle aiguise la soif.

Résistant à la fringale d’une expérience sensible de Dieu, nous avons cependant besoin de l’Esprit pour marcher vers la vérité. La venue du Règne de Dieu est le travail de l’Esprit, si bien que ce que nous découvrons comme vérité est toujours l’impact de l’Esprit dans l’histoire. Mais, selon la tradition biblique, cette vérité est de l’ordre de la promesse, non de l’évidence possédée. Dans cette épreuve du repérage de l’Esprit, « le premier de tous les vicaires du Christ » (cardinal Newman) est la conscience. Le problème moral d’aujourd’hui n’est pas le nombre de ceux qui n’écoutent pas le pape ou ne suivent pas les commandements de l’Église, mais le nombre de ceux qui ne suivent pas leur conscience, souffle de Dieu intérieur à leur expérience.

Une telle vie discernée dans l’Esprit offre à la conscience un chemin de liberté. Elle sonde et interroge le forum intime de la conscience sous la vigilance du Verbe, elle permet à l’homme de se livrer à l’énergie ténue mais bien réelle de l’Esprit de Dieu en soi. « Il vient un temps où l’homme doit prendre une position qui n’est ni prudente, ni politique, ni populaire mais doit la prendre parce que sa conscience dit qu’elle est juste » (Martin Luther King). Le supplément d’âme et d’esprit que nous appelons pour notre société n’est peut-être que le sursaut enflammé de notre conscience.

5ème dimanche de Pâques – 7 mai 2023 – Évangile de Jean 14, 1-12

Évangile de Jean 14, 1-12

Tous prêtres

Le 5ème dimanche de Pâques est, chaque année, l’occasion de réfléchir, méditer et prier pour les ministères dans l’Église. La première lecture nous racontait l’institution des sept premiers diacres, la lettre de Pierre nous parlait du sacerdoce chrétien et l’Évangile nous explique que, grâce au Christ, nous avons tous notre demeure auprès de Dieu.

Le diacre est celui qui est chargé par l’Église de ce qu’on appelle le « service des tables ». Et sans doute son rôle le plus visible est-il celui de dresser l’autel pour célébrer la messe. Et puisque nous disons que la Parole de Dieu est, pour nous, une nourriture, il convient que ce soit lui aussi qui lise l’Évangile. Mais le diacre a aussi un rôle moins visible et tout aussi important : le service de la charité de l’Église. Le livre des Actes des Apôtres raconte que « les frères de langue grecque récriminèrent contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées ». Dans l’antiquité, être veuve était un drame parce que seuls les hommes pouvaient accéder à un salaire. Être veuve signifiait devoir mendier et ne pouvoir vivre que de la générosité des autres. En fait, l’institution des diacres, c’est l’institution du tout premier service social de l’Histoire. Et c’est sans doute surtout à cause de ce service – qu’on appelle la diaconie – que l’Église a eu beaucoup de succès dans les premiers temps. Ce n’est pas tant parce qu’elle avait de belles idées ou un joli message – bien que ce soit important – mais c’est parce qu’elle s’est fait tout de suite un devoir de s’occuper des petites gens. Le diacre est à l’image du Christ qui prend soin des pauvres, des malades et de ceux qui ont faim. C’est tout cela qu’on appelle le service des tables.

Le prêtre, lui, est chargé de « présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ » dit la Lettre de Pierre. D’abord le sacrifice de lui-même dans la prière. Le rôle essentiel du prêtre c’est de prier pour la partie du peuple de Dieu qui lui est confiée. Au fond, le prêtre c’est celui qui vit en permanence dans la demeure de Dieu, qui parle de Dieu au peuple ou du peuple avec Dieu.

A bien y regarder, si on se borne à cette définition, elle convient à tous les baptisés. Nous sommes tous invités à offrir des prières et à sacrifier de nous-même pour tous ceux qui nous sont confiés. Nous sommes tous appelés à vivre dans la « demeure de Dieu ». Nous pouvons tous diriger la prière au sein de nos familles, groupes d’amis, etc. Nous pouvons tous bénir ceux qui nous entourent. Nous pouvons tous faire du catéchisme à ceux qui voudraient grandir dans la foi. Nous pouvons tous lire, méditer, nous former et prier pour ceux que Dieu nous confie. On peut lire l’Évangile en famille, on peut simplement montrer à ses enfants, à ses proches qu’on prie pour eux. Voilà ce qu’est « être prêtre ».

L’onction baptismale a fait de nous des Christs, c’est à dire des prêtres, des prophètes et des rois. Prêtres dans le sens que le baptême nous rends aptes d’offrir nous-mêmes des sacrifices et à conduire la prière ; prophètes parce qu’il nous permet, des signes actuels, de mieux entrevoir l’avenir ; rois parce qu’une foi adulte rend capable de se gouverner soi-même. La perspective de l’avenir et le gouvernement adulte, nous les envisageons assez bien. Mais la prêtrise de tout baptisé ?

Remarquons enfin que la distinction prêtre, prophète et roi implique que le gouvernement ou le discernement de l’avenir n’appartiennent pas qu’aux prêtres.

Ainsi, à coté du sacerdoce commun à tous, il y a aussi les prêtres ordonnés, ceux dont la mission est toute entière d’offrir des « sacrifices spirituels, agréables à Dieu », ceux dont la vocation est de faire de leur vie une incessante prière pour le peuple. C’est pourquoi l’Église attend d’eux un certain professionnalisme religieux dont elle pose les conditions, notamment celle du célibat, comme signe d’un cœur à demeure au près de Dieu.

Je gage que toutes les questions qui agitent fort l’Église en ce moment, notamment relatives au statut des prêtres seraient bien vite apaisées si chacun voulait bien se souvenir que chaque baptisé est en soi prêtre. On ne résoudra pas les problèmes d’emprise ou de vocations par le mariage des prêtres, ces réponses sont trop simplistes et assurément fausses. De même, les revendications pour l’ordination des femmes, qui ne sont que des revendications de pouvoir – lesquelles sont légitimes mais confondent ici prêtre et roi, dans ce qui reste une vision cléricale du sacerdoce. Quiconque revendique l’ordination sacerdotale l’envisage sous l’angle du prestige et du pouvoir alors qu’en réalité il s’agit, à la suite du Christ, de s’offrir soi-même en sacrifice, de choisir la position de serviteur jusqu’au don de sa vie, laquelle n’est certainement pas une position enviable.

Le seul véritable prêtre c’est le Christ : « personne ne va vers le Père sans passer par [lui] » et, à sa suite, nous sommes tous prêtres, appelés à lui rendre un culte par nos vies. Aux prêtres ordonnés, il ne reste finalement que l’intendance des sacrements. Le reste – le gouvernement, les perspectives d’avenir, le témoignage de foi apporté au monde – tout cela appartient au peuple de Dieu. « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. »

Je vous en prie, soyez tous prêtres dans la vie de tous les jours : allez dire aux gens que vous priez pour eux, que vous êtes prêts à vous sacrifier pour eux.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Baptisés – Tous prêtres, prophètes et rois

Lettre pastorale de Mgr Jean Legrez, op.,
Archevêque d’Albi
Extraits

Le sacerdoce du Seigneur Jésus consiste à s’offrir lui-même : « Quand il s’offre pour notre salut, il est à lui seul l’autel, le prêtre et la victime » (Préface de Pâques, V). Configuré au Christ par le baptême, être prêtre devient l’apanage de chaque baptisé. « Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont « re-nés » non d’un germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la Parole du Dieu vivant (cf. 1P 1, 23), non de la chair, mais de l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3, 5-6), ceux-là constituent finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant maintenant le Peuple de Dieu. » (1P 2, 9-10) » (LG n°9) Saint Jean- Paul II, développant la pensée du Concile, a précisé dans son exhortation apostolique Christifideles Laici : « Le baptême signifie et produit une incorporation mystique mais réelle au Corps crucifié et glorieux de Jésus. Par le moyen du sacrement, Jésus unit le baptisé à sa mort pour l’unir à sa résurrection, le dépouille du « vieil homme » et le revêt « de l’homme nouveau », c’est-à-dire de Lui-même. » (CL n°12) Déjà dans sa première épître, l’apôtre Pierre s’adressant aux baptisés écrivait : « Soyez les pierres vivantes qui servent à construire le Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus. » (1P 2, 5)

Saint Jean-Paul II décrit avec précision le sacerdoce commun des fidèles dans la même exhortation : « Les fidèles laïcs participent à l’office sacerdotal, par lequel Jésus s’est offert Lui-même sur la Croix et continue encore à s’offrir dans la célébration de l’Eucharistie à la gloire du Père pour le salut de l’humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l’offrande d’eux-mêmes et de toutes leurs activités (cf. Rm 12, 1-2). Parlant des fidèles laïcs, le Concile déclare : « Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, s’ils sont vécus dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1P 2, 5) ; et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l’oblation du Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la sainteté de leur vie un culte d’adoration. » » (CL n° 14)

Ainsi, il est clair qu’il ne s’agit pas pour les fidèles laïcs d’imiter tel ou tel aspect des activités d’un ministre ordonné. Comme le prêtre dans l’Ancienne Alliance est celui qui offre au Temple le sacrifice, l’office sacerdotal de chaque baptisé consiste d’abord et avant tout dans l’offrande de toute son existence en union avec le Christ. Par le baptême, nous sommes devenus enfants de Dieu, appelés à vivre à la manière du Fils premier-né, le Christ, en imitant donc son obéissance au Père jusque dans sa passion et sa mort sur une croix. Jésus est le grand prêtre parfait qui, par son offrande, a obtenu pour l’humanité une libération définitive : « Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie » (He 10, 14). C’est l’Esprit Saint, obtenu en faveur des croyants par la Pâque du Christ, qui les rend capables d’entrer dans les sentiments de Jésus et d’offrir à leur tour leur vie au Père en union avec lui et comme lui.

Cet acte d’offrande, auquel chaque baptisé est appelé, embrasse tous les aspects de son existence, se vit dans la prière et culmine dans une participation active à chaque eucharistie spécialement lors de l’eucharistie dominicale. « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, les fidèles offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle ; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas indifféremment mais chacun à sa manière, prennent une part originale dans l’action liturgique. » (LG n° 11) Chaque jour, au Temple de Jérusalem, le prêtre, matin et soir, offrait un sacrifice et laissait brûler l’encens dont la fumée parfumée montant vers le Ciel était l’expression de la confiance d’Israël en son Dieu et de son abandon à sa Providence. Le Christ offrant sa vie sur la croix s’inscrit pour une part dans la tradition des sacrifices de l’Ancienne Alliance, mais d’une manière tout à fait nouvelle puisque par le don de son propre sang, non plus celui d’animaux, son sacrifice est d’une efficacité absolue.

Être prêtre consiste à s’unir de tout son être aux sentiments du Christ accomplissant la volonté du Père sur la croix pour le salut du monde. À vue humaine, cela paraît impossible, mais je constate dans la vie des saints que lorsqu’ils choisissent de remettre totalement leur vie à Dieu, ils vivent dans la joie et portent du fruit. « Père, entre tes mains je remets mon esprit » : la dernière parole de Jésus en croix, devient le maître mot de tout baptisé et exprime parfaitement l’exercice du sacerdoce commun des fidèles.

Saint Pierre l’écrit dans sa première épître « à ceux qui sont choisis par Dieu » ; c’est-à-dire les fidèles du Christ : « Vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » (1P 2, 9) Par une vie offerte, le baptisé exerce le sacerdoce commun des fidèles et, simultanément, il fait déjà connaître le salut accordé par l’unique grand prêtre, Jésus-Christ.

3ème dimanche de Pâques – 23 avril 2023 – Évangile de Luc 24, 13-35

Évangile de Luc 24, 13-35

L’enfant égaré

Et si la meilleure image du Christ que nous ayons était en nous ?

Et si le petit enfant que nous étions, qui ne demandait – souvenez-vous en – qu’à aimer, à témoigner de tendresse et d’affection, et si cet enfant au cœur pur que nous étions était la meilleure image du Christ en nous ? A l’origine, n’y avait-il pas en nous un désir pur d’aimer ?

Parce qu’il se pourrait bien qu’il ait été « cloué sur le bois par la main des impies » ce petit enfant qui ne demandait qu’à aimer, lui que nous étions et que nous ne sommes peut-être plus. Il se pourrait qu’elle soit morte l’innocence affective de notre enfance ; et peut-être qu’elle ait été crucifiée par le mal.

« Tu m’as appris des chemins de vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence » chante le roi David. N’avions-nous pas, enfants, le cœur brûlant d’une présence d’amour comme le ressentent les disciples d’Emmaüs lorsqu’ils retrouvent le Christ.

Avez-vous le souvenir d’avoir été un enfant innocent et pur ; et où est-il aujourd’hui cet enfant ? Mort ? Crucifié ? Enseveli ?

Le mal auquel nous avons été confrontés nous a endurcis ; faisant peu à peu de nos cœurs d’enfant, des cœurs de pierre, tuant petit à petit l’innocence aimable qui était la notre. Peut-être est-ce le fait de « la conduite superficielle héritée de vos pères » comme le dit la lettre de Pierre. La résurrection nous concerne très pratiquement ; parce que cette innocence d’aimer, au fond de notre cœur, nous souhaitons qu’elle revive.

Ne s’est-il pas égaré l’enfant que nous étions et qui ne désirait qu’aimer ? Égaré comme le sont les disciples sur le chemin d’Emmaüs.

Car Emmaüs c’est nulle part. Si vous allez voir sur Wikipédia vous trouverez une dizaine d’hypothèses, mais archéologiquement, on ne l’a pas trouvée. Et même l’étymologie – la signification du nom – reste incertaine. Je crois qu’il faut garder cette définition : Emmaüs c’est nulle part.

Ils sont là, désespérés : on a mis à mort comme un vulgaire criminel ce Jésus en qui ils avaient mis leur espérance. Oh, des femmes leur ont bien rapporté qu’elles avaient eu la vision d’anges proclamant qu’il était toujours vivant, mais ils n’y croient plus vraiment. Ils ne croient plus qu’il sera leur sauveur, ni peut-être même qu’il y aura un sauveur. Ils sont désemparés, perdus, errants vers nulle part : Emmaüs. Et il faudra que ces disciples fassent une rencontre avec le Ressuscité pour qu’ils retournent vers Jérusalem, vers l’espérance, vers quelque part.

Nos veillées pascales, nos célébrations, la commémoration de l’Eucharistie ne sont pas grand chose s’il n’y a pas dans notre vie une véritable rencontre avec le Ressuscité à laquelle elles font référence. Il y a quelque chose de concret – dans votre histoire – qui résonne avec ces mystères.

Et ne croyez-vous pas que ce qui résonne le mieux avec ce mystère de l’amour incarné plus fort que la mort, c’est justement ce petit enfant que nous étions et qui ne demandait qu’à aimer ?

Ne croyez-vous pas que cette innocence de l’enfance qui était la nôtre a été quelque peu mise à mort, quelque part crucifiée par le péché – celui des autres qui nous ont fait du mal et aussi peut-être le mal que nous nous sommes fait à nous-mêmes ?

Enfin ne croyez-vous pas que ce petit enfant que nous étions, n’a pas été abandonné à la mort par Dieu, et qu’il peut le ressusciter, par le don de l’Esprit Saint que Jésus a promis et qui a été effectivement répandu sur nous à la Pentecôte ?

Je crois que tout être humain est né bon et animé du seul désir d’aimer. Je crois que c’est le mal que nous rencontrons qui met peu à peu cette innocence de l’enfance à mort. Je crois que chaque adulte aspire à retrouver cette pureté d’amour qu’il avait enfant. Et je crois que Dieu peut la ressusciter.

Laissons-nous envahir par la Résurrection de Jésus ; prions Dieu de rendre à nouveau vivant le désir d’aimer que nous avions en naissant. Alors, comme les disciples d’Emmaüs, nous comprendrons que toute l’Écriture parle de nous.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Blaise Pascal – Pensée 138

400ème anniversaire de sa naissance
19 juin 1623 – 19 août 1662

Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre.

Et cependant depuis un si grand nombre d’années jamais personne n’est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de toutes conditions. Une épreuve, si continuelle et si uniforme devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il n’y ait quelque délicate différence, et c’est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l’autre et ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur en malheur nous mène jusqu’à la mort qui en est le comble éternel.

Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance, sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’environne, recherchant dans les choses absentes le secours qu’il n’obtient pas des présentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que par un objet infini et immuable, c’est-à-dire que par Dieu lui même. 

Pascal, Pensée 138, édition Michel Le Guern

Explication de texte proposée par Guillaume Morano, professeur agrégé de philosophie.

Introduction

Le texte a pour objet le bonheur, et la thèse de Pascal consiste à poser que les hommes ne peuvent être heureux que par Dieu. Les enjeux sont doubles. Il s’agit d’abord montrer qu’aucun athéisme ne peut être véritablement heureux. L’athée libertin peut bien se moquer de Dieu, mais c’est pour s’être rendu aveugle à la détresse de sa condition. En ce sens, sa quête de jouissances relève d’une insouciance coupable et d’une indifférence déraisonnable plus que d’un véritable bonheur. Mais il s’agit également de penser le remède à la détresse des hommes, qui ne peut résider que dans la foi. C’est là la dimension apologétique du texte, dont la finalité n’est pas seulement de faire penser mais de convertir.

Le texte se découpe en trois moments : dans une première partie, Pascal décrit la condition humaine, qui s’identifie à une condition essentiellement malheureuse. Dans la seconde, il explique pourquoi toute l’histoire n’a pas suffit à instruire les hommes de leur condition. Dans la dernière, il rend compte de cette condition et pose la nécessité de sa résolution en Dieu.

Première partie : la contradiction de la condition humaine

  • a. Le désir universel d’être heureux (lignes 1 à 5)

Le texte s’ouvre sur l’affirmation d’un désir universel d’être heureux. Dans ce cadre, la diversité infinie des moyens d’y parvenir est moins signifiante que l’universalité de la fin poursuivie : si les hommes empruntent une infinité de chemins, tous visent la même destination.

  • b. L’impuissance universelle à le devenir (lignes 6 à 9)

Il y a cependant une contradiction entre un désir universel de bonheur et une impuissance toute aussi universelle à l’atteindre. Cette contradiction constitue le fond de la condition humaine, et aucune condition particulière, de la plus basse à la plus haute, ne parvient à la résoudre. Toutes les conditions particulières sont englobées dans l’universelle condition humaine, qui est une condition essentiellement malheureuse.

Deuxième partie : le cours aveugle de la vie

  • a. L’expérience nous instruit peu (lignes 10 à 12)

Une si longue expérience du malheur aurait dû nous instruire de la vanité des biens terrestres et de l’impossibilité de parvenir au bonheur par nos seules forces : si ces biens n’ont jamais garanti à quiconque le bonheur, pourquoi perdons-nous encore notre vie à les acquérir ? L’expérience nous instruit peu, nous dit Pascal, et il convient alors de comprendre pourquoi nous demeurons sourds à ses leçons.

  • b. La mort comme sanction de l’échec (lignes 12 à 14)

C’est alors la mort, et non le bonheur, qui vient clore cette existence d’efforts aveugles et infructueux.

Troisième partie : le désir de Dieu

  • a. Le désir comme trace (lignes 14 à 18)

Il s’agit enfin de résoudre la contradiction constatée, en repartant de son point de départ. Si les hommes cherchent à être heureux, c’est faute de l’être, mais s’ils peuvent chercher à l’être, c’est parce qu’ils savent ce qu’ils cherchent. Autrement dit, les hommes ne peuvent désirer le bonheur que parce qu’ils l’ont déjà connu.

  • b. Le Dieu perdu (lignes 18 à 19)

C’est alors le désir lui-même qui nous éclaire sur la nature de ce bonheur tant cherché : si le désir est l’expérience d’un manque infini, c’est qu’il ne peut être comblé que par un être lui-même infini. Ainsi les hommes, à travers tous les objets de leurs désirs, ne désirent jamais rien d’autre que Dieu.

La résurrection de Jésus, simple légende ou fait historique ?

D’après les Évangiles, Jésus-Christ est mort à la croix, puis il est ressuscité trois jours après.

La « résurrection », c’est le fait de revenir corporellement à la vie. Ainsi, Jésus-Christ est mort à la croix, son cadavre a été placé dans un tombeau, puis il est revenu corporellement à la vie. C’est l’un des faits les plus importants de la foi chrétienne. L’apôtre Paul affirme que sans la résurrection de Jésus-Christ, la foi serait vaine (1 Corinthiens 15.14-19). En effet, sa résurrection est le fondement de l’espérance des chrétiens en leur propre résurrection future.

Il y a un certain de nombre de faits admis par les historiens qui vont dans le sens de la résurrection de Jésus-Christ.

Tout d’abord, il a existé et il est mort. Des sources chrétiennes, mais également juives et romaines le confirment. Ensuite, son tombeau a été retrouvé vide, alors qu’il était gardé par des soldats. Son cadavre a disparu. Enfin, de nombreuses personnes, disciples et adversaires, ont témoigné d’apparitions corporelles de Jésus-Christ. Ces témoignages ne semblent pas frauduleux, puisque des témoins sont morts en martyr à cause de leurs témoignages. Personne ne serait prêt à mourir pour quelque chose qu’il sait être faux.

Comment expliquer l’ensemble de ces faits ?

Si Jésus-Christ est mort, que son cadavre a disparu et qu’il est apparu corporellement à plusieurs personnes, la meilleure explication possible de ces faits semble être que Jésus est effectivement ressuscité. Cependant, il est important d’évaluer les hypothèses alternatives, afin de s’assurer qu’il s’agit bien de l’explication la plus raisonnable.

La résurrection peut-elle être une légende ?

Cette explication pourrait sembler raisonnable, mais elle soulève trop de difficultés. Une simple légende est incapable d’expliquer pourquoi le tombeau était vide. Si la résurrection n’était qu’une légende, le cadavre serait resté dans le tombeau et sa seule présence aurait permis aux autorités juives, désireuses de le faire, de démontrer la supercherie. L’absence de cadavre pose une réelle difficulté. La légende est également incapable d’expliquer l’existence de témoins aux apparitions du Christ ressuscité. Si la résurrection de Jésus-Christ n’était qu’une légende, il ne devrait pas y avoir de témoins, et encore moins des témoins prêts à mourir à cause du témoignage de ce qu’ils avaient vu.

Peut-être y a-t-il eu erreur sur le tombeau ?

Le problème, c’est que le tombeau était parfaitement identifiable. Les femmes disciples de Jésus avaient vu où le corps avait été déposé. De plus, son propriétaire était connu : il s’agissait de Joseph d’Arimathée. Il aurait pu indiquer le véritable emplacement du tombeau. Enfin, le tombeau était gardé par des soldats romains. Cela permettait d’autant plus de le reconnaître. Dans ces conditions, une erreur sur le tombeau semble peu probable.

Et si le cadavre avait été volé ?

Cela expliquerait la disparition du corps. Mais le tombeau était gardé par des soldats. Comment aurait-on pu voler le corps ? Et surtout, qui aurait pu en avoir l’intention ? Si les chrétiens l’avaient volé, ils ne seraient pas ensuite morts en martyr à cause de ce qu’ils auraient su être un mensonge. Pour les autorités juives, la présence du cadavre dans le tombeau prouvait que le Christ n’était pas le Messie. Quant au Romains, ils s’étaient associés au Juifs. Enfin, si des voleurs étaient parvenus à voler le corps, malgré la présence des soldats, ils auraient pu en tirer un bon prix en le vendant aux autorités juives qui avaient déjà acheté la capture de Jésus-Christ.

Peut-être le Christ s’était-il simplement évanoui et était-il revenu à lui par la suite ?

Le problème, c’est que le Christ a subi une violence inouïe, il a été flagellé et crucifié. Les condamnés ne survivaient pas à un tel traitement. Sa mort a été constatée en transperçant l’une de ses côtes, touchant des organes vitaux. Même s’il avait survécu, il serait rapidement mort dans sa tombe. Qui plus est, il aurait dû déplacer la pierre de plus d’une tonne qui fermait la tombe et passer entre les soldats. Ce n’est pas crédible. Enfin, son état de santé n’aurait pas correspondu au Christ glorieux vu par les disciples.

Dernière hypothèse : Et si les apparitions du Christ ressuscité n’étaient que des hallucinations ?

On pourrait le supposer si les disciples avaient été prédisposés et prompts à croire. Cependant, les disciples ne s’attendaient pas à la résurrection et n’ont pas cru les premiers témoignages. Ils ont dû voir et toucher le Christ pour le croire. L’expérience devait être tangible et contraignante. Même des incroyants ont vécu cette expérience (Paul et Jacques, par exemple). Des hallucinations n’expliqueraient pas qu’autant de personnes aient eu des expériences similaires (environ 500) et l’objectivité temporelle des apparitions (40 jours). Enfin, comment des hallucinations pourraient-elles expliquer le fait que le tombeau était vide ?

Il apparaît donc que seule la résurrection de Jésus-Christ soit capable d’expliquer ces faits : qu’il soit mort, que son tombeau ait été retrouvé vide et que des personnes aient fait l’expérience d’apparitions du Christ ressuscité. Les hypothèses de la légende, du mauvais tombeau, du vol, de l’évanouissement et de l’hallucination ne parviennent pas à rendre aussi bien compte des faits. La résurrection de Jésus-Christ est la meilleure explication et la plus raisonnable. Or si Jésus-Christ est effectivement mort et ressuscité, cela signifie que c’est un homme extraordinaire. Son message ne peut être que tout aussi extraordinaire. Voudriez-vous le connaître ?

Alexis Masson — Conférencier en philosophie de la religion

La résurrection du Seigneur – 9 avril 2023 – Évangile de Jean 20, 1-9

Évangile de Jean 20, 1-9

La résurrection du Seigneur

Il y a toutes sortes de morts en nous. Il y a bien sûr les deuils que nous portons, ces êtres chers dont la présence nous manque. Il y a aussi les deuils que nous avons dû faire de nous-mêmes, tous ces espoirs que nous avions et auxquels nous avons dû renoncer, toutes ces vies rêvées, ou simplement envisagées, que nous n’avons pas eues. Il y a aussi toutes les blessures, les méchancetés, les indifférences, les humiliations que nous avons subies et qui nous ont changés. Il y a aussi quelque part Dieu qui est mort en nous, à l’image de cette spontanéité d’aimer que nous avions tous enfant. Aujourd’hui, nous sommes plus méfiants voire endurcis.

Il y a encore d’autres morts en nous : ce qui nous fait honte, le mal que nous avons fait, les pensées méprisantes, nos jugements qui condamnent. Tout ce qui, petit à petit, met à mort la personne juste et aimante que nous voudrions être.

Certaines personnes sont tellement confrontées à la mort, notamment par la perte d’un enfant, qu’elles finissent par perdre la foi. La foi en elles-mêmes, la foi en l’humanité, la foi en la vie, la foi en l’amour, la foi en Dieu. C’était le cas de Mère Teresa, qui confessait à Jean-Paul II ne plus voir Dieu à force d’avoir enterré des morts. Elle disait mentir sur sa foi avec son sourire.

Qu’est-ce que la Résurrection ?

Bien sûr, on pourra toujours dire que nos grand-parents, nos parents défunts continuent à vivre en nous, à travers l’amour que nous continuons à leur porter ; on pourra penser que nous incarnons, à notre tour, tout ce qu’ils nous ont transmis : des valeurs, un esprit, une manière de vivre et d’aimer. Au fond, ça rejoint l’ancienne croyance qui voulait que, pour que quelqu’un vive éternellement, il suffisait que l’on se souvienne perpétuellement de lui et rende hommage à son nom. A tel point que, dans l’Égypte ancienne, lorsqu’on voulait damner quelqu’un, on effaçait simplement son nom de tous les monuments, pour en perdre la mémoire ou à Rome, le Sénat pouvait condamner à la damnatio memoriae, à l’effacement d’un nom de toutes les archives.

Et peut-être nous-même cela nous suffirait-il : qu’au-delà de la mort, on se souvienne simplement de nous avec amour, affection et tendresse ? Mais ça ne suffit pas à expliquer la Résurrection des corps. Que la mémoire de quelqu’un ressuscite lorsque l’on pense à lui, nous le concevons fort bien. Mais les corps ?

D’autant que les Évangiles ne sont pas très explicites à ce sujet. Ils insistent même pour affirmer que les disciples peinent à reconnaître Jésus ressuscité. Pour Marie-Madeleine, il faudra qu’il l’appelle par son prénom, pour d’autres il faudra qu’il partage du pain, pour les disciples d’Emmaüs, il faudra qu’ils aient le cœur brûlant. Le seul point sur lequel les Évangiles tiennent à être clairs, c’est pour dire que le Christ ressuscité n’est pas un pur esprit, qu’il mange, qu’il marche, qu’on peut le toucher.

Je ne vais pas vous révéler aujourd’hui la clé du mystère, qui le pourrait ? … Saint Paul parle de « corps spirituel » ce qui n’est pas tellement plus clair, et même en soi paradoxal. Le propre d’un mystère c’est qu’on peut toujours intellectuellement y réfléchir, mais qu’on ne pourra jamais l’épuiser. Il y a entre la Résurrection et nous la barrière de la mort que nous n’avons pas franchie. Et même si les expériences de mort imminente, dont on a désormais de nombreux témoignages, restent à cet égard parlantes, elles ne sont pas à proprement parler une Résurrection des corps mais bien un retour à la vie teinté de visions de l’Au-delà. Le mystère restera mystère tant que nous-mêmes ne l’aurons pas vécu. Seul le Ressuscité, quand il vient à nous, peut nous révéler ce qu’est la résurrection. Mais on tombe alors sur d’autres mystères, celui de la Présence réelle dans l’Eucharistie ou celui de l’Église comme Corps du Christ.

On n’épuisera pas ici le mystère de la Résurrection, mais nous savons que les mauvaises pensées tuent le corps, que la chair souffre d’idées sombres, que nos corps s’affaiblissent sous le poids de la douleur et du chagrin, que certains meurent de malheurs et de dépression. Tous, nous nous rendons compte de l’incidence d’esprits mauvais sur notre corps ; tous nous savons qu’il y a des mots qui blessent et tuent.

Si tout ce qui nous plonge dans la ténèbre a un réel impact sur notre santé, sur notre corps, alors je crois aussi que toute parole d’amour nous ressuscite, nous redonne de la vigueur et nous retisse de l’intérieur. Je crois que les corps se régénèrent et finalement ressuscitent à force d’amour.

Je crois que toutes ces morts qui sont en nous – tous nos chagrins, nos deuils, nos souffrances, nos blessures et aussi notre propre péché – peuvent se voir ressuscitées à force d’amour. Et je crois en l’absolue force d’amour de Dieu.

Comme d’autres ici, j’y crois parce que le Christ m’a déjà ressuscité de ténèbres abyssales. Alors que je dépérissais de chagrin, il m’a ramené à la vie – une toute autre vie. Alors oui, je crois que Dieu peut nous ressusciter d’entre les morts. Corps et âme. Par amour et pour l’éternité.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

5ème dimanche de Carême – 26 mars 2023 – Évangile de Jean 11, 1-45

Évangile de Jean 11, 1-45

Lazare

Vous savez sans doute que l’Évangile de Jean est un récit très construit : à la fois une œuvre littéraire, un traité de théologie et un témoignage. Pour le comprendre, il faut apprendre à décoder les nombreuses figures de styles, quantité d’images et autres structures rythmiques. Alors seulement on peut en appréhender le sens et le voir comme une œuvre unifiée, un tout. Vous savez aussi qu’il est le plus tardif des quatre évangiles et qu’il offre donc un regard plus distancié. Plus spirituel aussi.

Parmi les figures de styles, il y a les sept signes que Jésus accomplit avant la Pâque, qui vont de l’eau changée en vin à Cana à la résurrection de Lazare qui en est le point d’orgue – sept étapes qui développent, en croissant, la compréhension de l’événement pascal.

Ce récit de la résurrection de Lazare est lui-même très construit. Et il offre un enseignement théologique particulièrement dense. Par ses similitudes avec la mort et la résurrection de Jésus, il éveille les disciples à la compréhension de ce qui va suivre. Une question se pose dès lors : est-ce, de la part de Jean, une image – une sorte de parabole – ou Lazare est-il véritablement revenu de la mort ?

Il vous apparaîtra peut-être évident que Marthe, Marie et Lazare – frère et sœurs – préfigurent la toute première « communauté chrétienne », les premiers croyants, avec les apôtres, à être cités par leur nom. Ensemble, ils forment l’embryon de l’Église. Dès lors, la résurrection de Lazare n’est-elle pas un récit imagé, là pour enseigner que le salut à venir concerne toute l’Église ?

Nous savons que le judaïsme aime les images concrètes – le chameau qui passe par le chas d’une aiguille – et ces images particulièrement concrètes sont là pour nous faire prendre la mesure de ce qui se joue. Personne pourtant, n’envisage concrètement de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Cette idée du récit comme une parabole est renforcée par les nombreuses incises théologiques évoquées plus haut. Clairement, Jésus apparaît ici comme un théologien qui délivre un enseignement, au centre duquel se trouve la phrase : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. » Ainsi, au cœur du récit, se trouve ce qu’on appelle le kérygme, le centre de la foi chrétienne, ce que nous rappelons dans chaque Credo : Jésus est mort et ressuscité et quiconque croit en lui vivra de même.

Mais d’autre part, il n’y a pas de doute que Marthe et Marie soient des personnes concrètes. Elles sont citées par les quatre évangiles. Par ailleurs, le récit met très fort l’accent sur les sentiments qui traversent Jésus : il est saisi d’émotion ; il est bouleversé ; il se met à pleurer. C’est, de tout l’évangile, l’endroit où l’on voit le Jésus le plus concret, le plus humain face à la mort. Alors ? Image ou réalité ?

Déblayons donc, dans notre archéologie du texte, la couche théologique supérieure pour mettre à jour le récit lui-même ; penchons-nous concrètement sur l’histoire.

Certes, elle offre quelques parallèles avec la résurrection du Christ qu’elle annonce, mais ils ne sont pas si nombreux que cela : il s’agit bien entendu du relèvement d’un mort ; il y a la pierre roulée devant la tombe, mais c’est à peu près tout.

Les différences sont plus nombreuses. Les événements se déroulent sur quatre jours contre trois pour la résurrection du Christ ; et surtout, Lazare finira par mourir de nouveau. En outre, il faut encore le débarrasser des bandelettes et du suaire qui le recouvrent, alors que linge funéraire du Christ apparaîtra soigneusement plié. La résurrection de Lazare, finalement, ressemble à une résurrection inachevée.

Maintenant posons-nous la question : pourquoi Jésus pleure-t-il ? On apprend pourtant dès le début du récit qu’il sait que Lazare ressuscitera. Il dit d’emblée : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. » et, plus loin : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Quel sens y a-t-il donc à penser que Jésus pleure son ami mort ? Aucun !

Jésus ne doute pas que Lazare vivra, mais il est le seul. La lamentation de Marie se présente comme une constante tout au long du texte « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Et c’est alors que Jésus pleure. Et qu’il ressuscite Lazare. Partiellement.

J’ose une hypothèse : Jésus pleure, non pas parce que Lazare est mort, mais parce que la foi de ses disciples les plus proches est encore dramatiquement incertaine – théologique, certes, mais pas encore pratique – parce qu’ils doutent encore de leur propre salut. Jésus réalise alors qu’il faudra qu’il meure et qu’il ressuscite lui-même ; que seule sa présence aimante et son enseignement n’ont pas suffit ; qu’il faudra la Pâque pour qu’on le croie.

Ensuite il scande : « Enlevez la pierre » ; « Lazare, viens dehors ! » ; « Déliez-le, et laissez-le aller » comme pour dire : il vous reste à faire pour être délivrés de la mort. N’enfermez personne dans un tombeau ; ne prononcez la mort d’aucun !

Dans son encyclique « Laudato Si », au paragraphe 199, le Pape écrit : « On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs frontières méthodologiques limitées. » On ne peut pas plus soutenir avoir compris la mort, pouvoir en juger. Nos pensées là aussi sont limitées.

Alors finalement répondons à notre question : ce récit présente-t-il des faits ou s’agit-il d’une illustration imagée du Credo ? Je crois qu’il faut tenir les deux : c’est à la fois une image très concrète comme aime en invoquer la culture juive, une illustration de l’enseignement théologique de Jésus. Mais croire qu’il est impossible qu’existe un Lazare qui réellement ressuscite, c’est préserver l’aspect purement théorique de notre foi. Ce pourquoi, justement, Jésus pleurait.

N’enfermons jamais personne dans la mort – et surtout pas nous-même –, c’est le signe le plus tragique de la désespérance. Au contraire, ouvrons tout ce que nous avons pu concevoir comme tombeaux, délions nos morts – y compris ce qui est mort en nous – et laissons-les aller vers Dieu.

C’est l’heure de déposer au pied de la Croix, nos deuils qui doivent encore ressusciter.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

La résurrection de Jésus donne sens à l’histoire

P. Michel Rondet, jésuite

La résurrection de Jésus est un événement qui échappe à l’histoire, mais qui a laissé dans l’histoire des traces exceptionnelles. Plus encore, c’est la Résurrection qui donne sens à l’histoire.


Personne n’a été témoin de la résurrection du Christ, mais le tombeau vide, le témoignage des disciples et surtout l’existence d’une communauté bâtie sur la foi en cette résurrection ont depuis deux mille ans marqué d’une façon profonde notre histoire. Que nous en disent les Évangiles ? L’annonce la plus explicite est celle que saint Matthieu met dans la bouche de l’Ange du Seigneur.

Que veut dire « ressusciter » ?

S’adressant aux femmes venues au tombeau au matin de Pâques, il leur dit : « Ne craignez point, vous ; je sais bien que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n’est pas ici car il est ressuscité comme il l’avait dit. Venez voir le lieu où il gisait, et vite allez dire à ses disciples : « Il est ressuscité d’entre les morts, et voilà qu’il vous précède en Galilée, c’est là que vous le verrez. » Voilà, je vous l’ai dit » (Matthieu 28,5-8). Le ton est bien celui d’un oracle divin, il rejoint les femmes dans leur recherche, leur annonce la Résurrection et leur donne une mission. Saint Pierre dans sa première prise de parole au jour de la Pentecôte reprendra et complétera ce message : « Dieu l’a ressuscité, ce Jésus ; nous en sommes témoins. Et maintenant, exalté par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit saint, objet de la promesse, et l’a répandu. C’est là ce que vous voyez et entendez » (Actes 2,32).

Dieu l’a ressuscité… L’expression ne peut pas être comprise à la lumière des miracles de Jésus, les trois résurrections : du fils de la veuve de Naïm, de la fille de Jaïre et de Lazare. Dans tous ces cas, il s’agit d’un rappel à la vie, on pourrait dire de la guérison d’une maladie ayant entraîné la mort, d’une réanimation. Jésus ressuscité n’est pas rendu à une vie mortelle. Il n’a pas connu la corruption (le tombeau vide) et il est définitivement vainqueur de la mort.

Renaître d’en haut

Le mot résurrection peut avoir deux consonances : se réveiller, se lever. « Éveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi luira le Christ ! » (Éphésiens 5,14). Images évocatrices qui cependant restent en deçà de la signification profonde de la résurrection, et lorsque Jésus annonce à ses disciples sa mort et sa Résurrection ils ne comprennent pas son langage. Pour nous la meilleure introduction serait peut-être de revenir à l’entretien de Jésus avec Nicodème (Jean 3,3) sur la nouvelle naissance dans l’Esprit. C’est bien de cela en effet qu’il s’agit : renaître d’en haut dans la force de l’Esprit.

« Dieu l’a exalté »

Les Évangiles complètent le mot ressuscité par une autre expression essentielle : exalté. Il a été exalté à la droite du Père. C’est indiquer le mouvement de la résurrection qui n’est pas une fin en soi mais un retour vers le Père. « Va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jésus à Madeleine, Jean 20,16). C’est l’humanité de Jésus qui est accueillie dans la vie trinitaire. De ce point de vue Résurrection et Ascension sont un même mystère, la Résurrection s’achève dans l’Ascension comme le souligne la parole mystérieuse de Jésus à Madeleine : « Je ne suis pas encore monté vers le Père » (Jean 20,17). Et quand nous parlons de notre résurrection, c’est donc bien à une exaltation dans la gloire du Père qu’il faut penser.

Le Christ s’est manifesté

Enfin, les Évangiles et saint Paul témoignent que Jésus est apparu, s’est manifesté, à un certain nombre de disciples. « Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois la plupart d’entre eux demeurent jusqu’à présent et quelques-uns se sont endormis ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton » (I Corinthiens 15,3-8).

Il s’est fait reconnaître

Les mots employés renvoient bien à une action du Christ, c’est lui qui s’est manifesté, qui s’est fait reconnaître vivant à ses disciples, pas à la foule. La plupart des apparitions à part quelques-unes, Pierre, Jacques, Madeleine, Paul, concernent des groupes de disciples rassemblés : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18,20).

C’est dire que Jésus se fait reconnaître à ceux qui sont ouverts à une démarche de foi. Chacune des apparitions dont les Évangiles nous ont gardé le témoignage comporte ce cheminement qui va de l’étonnement à la joie, en ménageant le temps nécessaire à la naissance de la foi. Ainsi la rencontre d’Emmaüs (Luc 24,13) : les disciples ne reconnaissent pas celui qui les rejoint sur la route, Jésus leur laisse le temps d’exprimer leur désarroi. Il explique pour eux les Écritures avant de se révéler dans la fraction du pain. Reconnu, il disparaît, laissant à leur liberté la décision de retourner à Jérusalem partager avec leurs frères la bonne nouvelle de sa Résurrection.

On peut noter aussi que Jésus se fait reconnaître de ses disciples en les renvoyant chaque fois à un souvenir de leur vie commune antérieure : Madeleine en l’appelant par son nom (Jean 20,10), les disciples partis à la pêche avec Pierre en renouvelant pour eux le geste de la pêche miraculeuse qui avait précédé leur premier appel (Jean 21,8). La manière dont Jésus se manifeste renouvelle la relation qu’ils avaient avec lui. C’est bien lui, proche et familier, et pourtant rien n’est plus comme avant. Il apparaît de manière inattendue et il disparaît tout aussi mystérieusement, sans qu’ils se sentent pour autant abandonnés. Il ne les quitte pas sans leur donner rendez-vous dans la mission qu’il leur laisse : annoncer l’Évangile à toutes les nations. C’est là qu’ils le retrouveront, qu’il sera avec eux jusqu’à la fin des temps (Matthieu 28,19-20). La finale de l’Évangile de Marc étend cette mission à toute la création : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création » (Marc 16,15).

Sa Résurrection transfigure le monde entier

Ainsi la bonne nouvelle de la Résurrection manifestée à quelques-uns concerne-t-elle la création tout entière. Saint Paul l’a souligné dans l’Épître aux Romains : « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ; si elle fut assujettie à la vanité non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Romains 8,19-21).

Ceci nous renvoie au lien entre création et rédemption dans l’histoire de notre salut. Ayant pris notre condition d’homme, le Verbe l’a assumée tout entière jusque dans sa dimension charnelle : il est entré dans ce monde dans lequel nous sommes nés et dont nous faisons partie. Il en reste membre dans son Ascension, même s’il n’en porte plus les limites spatio-temporelles. Son humanité glorifiée introduit dans la gloire du Père une figure transfigurée de notre monde. C’est dans la certitude de cette universalité de la Rédemption répondant à celle de l’Incarnation, que Paul peut affirmer sa foi en la résurrection de la chair. Répondant aux objections des Corinthiens qui voulaient bien croire à la Résurrection du Christ, mais refusaient d’ajouter foi à notre résurrection, il ose affirmer : « S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité » (I Corinthiens 15,16). Comment lier plus étroitement notre résurrection à la Résurrection du Christ ! Au Fils qui a livré sa vie pour nous, le Père répond en accédant à son vœu le plus profond et en nous glorifiant avec lui. Sinon l’offrande du Fils et son œuvre tout entière ne seraient pas reconnues. La foi en notre résurrection n’est donc pas un aspect secondaire de notre foi au Christ, elle en est un élément essentiel. Elle fait partie de notre foi en l’amour qui lie le Père et le Fils dans la vie trinitaire. L’Esprit qui est le fruit de cette communion va transfigurer nos corps mortels en corps spirituels pour la gloire du Père et du Fils.

Dans la Résurrection, corps et esprit indissociables

Habitués par la pensée grecque à concevoir l’immortalité de l’esprit, nous avons plus de difficultés à penser la résurrection de la chair, impressionnés que nous sommes par la décomposition du cadavre. Que ce soit pour nous l’occasion de réfléchir sur ce qu’est le corps dans la pensée biblique. Quand l’Évangile de Jean écrit : « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean 1,14), il affirme certes qu’il a pris un corps biologique semblable au notre, mais il dit beaucoup plus, c’est notre condition humaine dans son unité indissoluble qui est visée par ce mot chair. L’Évangile ne dit pas qu’il prit un corps et une âme, mais notre humanité dans sa condition charnelle. C’est cette humanité qui est appelée à la Résurrection avec le Christ.

Une brèche dans l’histoire du monde

La Résurrection de Jésus n’est donc pas un événement ponctuel qui n’intéresserait que la personne de Jésus et sa survie. C’est l’Événement qui donne sens à notre histoire et à notre monde. Il introduit dans l’évolution une brèche qui révèle qu’elle est tout entière sous le signe de l’amour de Dieu. On peut discerner dans le cosmos des signes qui annoncent la désagrégation de l’univers, on ne peut pas douter de l’avenir du monde dont fait partie le corps du Christ ressuscité. Les liens qui nous unissent à lui ne permettent pas que nous ayons un avenir différent. Saint Paul l’a exprimé avec force : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,38-39). Rien, sauf le mystère de notre liberté, car l’amour ne se commande pas et exige une libre réponse, mais alors en nous séparant de Dieu qui est la Vie, nous créons notre propre néant.

Ce n’est pas seulement l’avenir de notre monde qui est concerné par la Résurrection du Christ, mais aussi notre présent. Victoire sur la mort, elle est dès aujourd’hui, comme l’ont souligné des théologiens contemporains (par exemple Jürgen Moltmann), dénonciation par Dieu de toutes les forces de destruction (cf. texte ci-dessous). Au cœur même de notre histoire, Dieu s’est manifesté comme celui qui assure le triomphe de la vie, de l’amour et du pardon sur les forces du mal. Mis à mort en haine de tout ce qu’il représentait, Jésus dans sa Résurrection consacre la victoire d’une humanité qui a fait confiance au Père et à la réussite de son projet de divinisation de l’homme. Du même coup apparaît en pleine lumière ce qui peut être notre péché essentiel : le refus de l’avenir que Dieu nous offre.