16ème dimanche – 23 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 13, 24-43

Évangile de Matthieu 13, 24-43

L’éclat de la patience

Au sens littéraire, une parabole c’est la projection dans des réalités concrètes – des troupeaux, des récoltes, des petites histoires du quotidien – non pas de notions abstraites, mais de réalités spirituelles proprement indicibles : le Royaume de Dieu est comme un banquet de noces ; la foi comme une graine de moutarde ou comme la volonté de voir une montagne se jeter dans la mer. Il est ultimement vain de chercher à poser un regard spéculatif sur les réalités divines. Le Royaume de Dieu, la foi ne sont finalement pas objets de science. On ne peut en parler qu’à travers des images. En nous plongeant dans des réalités quotidiennes et éminemment concrètes, comme aime tant à le faire la culture hébraïque, la parabole nous dit l’actualité du Royaume de Dieu – lui aussi : quotidien et éminemment concret. Ainsi, la parabole nous dit quelque chose de la réalité du Royaume – son caractère actuel et concret – autant que son caractère proprement indicible – elle reste une image qu’il faut interpréter.

La Parabole du bon grain et de l’ivraie aborde le thème de la patience de Dieu. On a, par le passé, torturé des générations de chrétiens avec le fait que Dieu voit tout. On trouve encore, dans nos églises, la représentation d’un œil inséré dans un triangle : Dieu – le triangle symbolise ici la Trinité –, Dieu voit tout. Et je crois que c’est vrai : Dieu sonde en permanence les cœurs et les reins. Il voit tout. Mais c’est trop peu de dire cela. Dieu certes voit tout, mais il ne pose sur nous qu’un regard de tendresse et de patience. Oui, toujours, mon péché l’affecte mais Lui ne voit en moi que l’espérance. Voilà le caractère indicible de la parabole : le jugement de Dieu n’est pas comme le jugement des hommes.

Pour tous, il y aura finalement une sentence qui tombe. Il y aura pour chacun de nous une fin des temps, un moment où nous n’aurons plus la capacité d’agir, et donc d’encore nous convertir. Mais tant que dure la vie, dure la patience de Dieu.

Ce n’est pas comme ça que nous-mêmes nous jugeons. Notre tendance est plutôt de vouloir directement arracher du sol la mauvaise herbe, d’extirper le mal – l’ivraie qui pousse au milieu de nous. Face au mal et à la souffrance, nous sommes impatients. Nous cherchons bien souvent à punir, ou à nous punir. Nous posons sur celles et ceux qui nous entourent – sur nous-mêmes aussi – des jugements que nous peinons à réviser, à mesure d’ailleurs du mal qui est fait. C’est le temps de l’impatience. Et trop vite nous condamnons, nous-mêmes ou autrui. Nous perdons patience. Dieu jamais.

Dieu n’oublie jamais que nous ne sommes pas les seuls responsables du mal qui passe à travers nous. La parabole dit que c’est l’ennemi du semeur qui répand l’ivraie. Nous ne sommes pas responsables de tout le mal qui nous affecte ; nous sommes simplement responsables de le laisser passer à travers nous, de le laisser croître en nous, de lui donner de l’ampleur voire de le répercuter sur d’autres. Nous ne sommes pas la cause première du mal. Pour le dire avec des mots enfantins : c’est Adam qui a commencé. Ceci déjà, donne à tout le monde des circonstances atténuantes. A cet égard, le récit du Péché originel est autant celui de la condamnation de l’homme à mourir que le récit de notre exonération partielle : nous ne sommes jamais les seuls responsables des maux que nous affectent.

Dieu n’oublie jamais non plus que, pour une part, nous faisons rempart au mal. Nous sommes capables d’affronter une part de souffrance ; tous nous avons une certaine endurance, une capacité de résistance et même de résilience. Tous, face au mal, nous sommes capables de patience. D’une certaine patience …

La patience de Dieu est le reflet de sa force. C’est parce qu’il domine tout que Dieu est patient. « Ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose » dit le Livre de la Sagesse (12, 16). Notre impatience vient du sentiment que nous avons de ne pas maîtriser la situation. Notre impatience est le reflet de notre faiblesse. Elle survient lorsque le mal a dépassé la limite – notre limite. Alors nous préférons arracher les épis d’ivraie avant qu’ils ne germent encore.

La patience est la mesure du temps que nous accordons à la conversion. « Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain – le texte grec dit « philanthrope » – à tes fils tu as donné une belle espérance : après la faute tu accordes la conversion » (Sg 12, 19). Ainsi, l’impatience est signe de désespérance.

Ceci nous donne des jalons pour notre propre progression spirituelle. Là où je suis impatient, là se loge mon désespoir. Quels sont les comportements que je ne tolère pas ? Et pourquoi particulièrement ceux-là alors que je parviens à en accepter d’autres ? Parce que là se loge mon désespoir. Quels types de personnes ai-je tendance à juger et condamner, à vouloir extirper ? Là se loge mon désespoir. Quel sont les maux du monde que j’ai tendance à ne pas supporter ? Là se loge mon désespoir.

On apprend beaucoup sur soi-même d’une réflexion sur la patience. Nos lieux d’impatiences sont précisément les endroits qui sont appelés à la conversion, les événements sur lesquels nous avons perdu le regard bienveillant de Dieu ; ce qui nous affecte intimement, les maux qui nous rongent.

A contrario, la patience est le signe de la présence en nous du règne de Dieu. C’est dans la patience que nous voyons le mieux, par contraste avec le mal que nous subissons, que le regard de Dieu passe à travers nous. La patience est le signe que le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à nous ; qu’il vit déjà en nous et qu’il rayonne en nous vers les ténèbres.

Une attitude spirituelle prudente me semble être de considérer avec une certaine objectivité nos lieux d’impatiences, parce qu’ils définissent concrètement, pour nous, une zone de conversion.

Mais l’attitude spirituelle nécessaire est de nous réjouir de la capacité de patience dont nous disposons tous. Certes à des degrés divers, mais résolument là. La quête des trésors de patience que nous pouvons trouver en nous est un des plus beaux regards que nous puissions poser sur nos vies.

Car la patience est le signe le plus contrasté de l’Amour qui s’affronte au mal. Et qu’en notre patience ultime, se trouve le témoignage le plus éclatant du règne de Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Le pape exhorte les religieux à la «patience courageuse»

Loin de rester «immobiles dans la nostalgie du passé» ou de se complaire dans les lamentations, les religieux doivent poursuivre leur route avec une «patience courageuse», a déclaré le pape François, lors d’une homélie prononcée le 2 février 2021 en la basilique Saint-Pierre de Rome à l’occasion de la 25e Journée mondiale de la vie consacrée.

L’Évangile racontant la Présentation de Jésus au Temple présente à travers la figure de Syméon en quoi consiste la patience, a soutenu le pape. Se montrer patient ne consiste pas à tolérer les difficultés et ne doit pas être perçu comme un «signe de faiblesse», a-t-il ajouté. Bien au contraire, la patience est «la force d’âme qui nous rend capables de porter le poids des problèmes personnels et communautaires, qui nous fait accueillir la diversité de l’autre, ou encore qui nous fait rester en chemin même quand l’ennui et l’acédie nous assaillent».

«La patience nous aide à nous regarder nous-mêmes, nos communautés et le monde avec miséricorde», a affirmé le pontife argentin en appelant les consacrés à se demander s’ils accueillaient cette vertu dans leur vie. «Nous ne pouvons pas rester immobiles dans la nostalgie du passé, nous limiter à répéter les choses de toujours» ou se complaire dans les lamentations du quotidien, a-t-il insisté. Les religieux ont «besoin de la patience courageuse», qui les rend capables «d’explorer de nouvelles routes, de chercher ce que l’Esprit Saint» suggère.

Vie communautaire: le Seigneur ne nous appelle pas à être solistes

Concrètement, il existe trois lieux dans lesquels cette patience doit s’incarner, a-t-il exprimé, le premier étant la vie personnelle. Dans la vie consacrée, «il peut arriver (…) que l’espérance s’use à cause des attentes déçues» car notre travail ne produit pas les fruits attendus. Dans un tel cas, «nous devons être patients avec nous-mêmes et attendre avec confiance les temps et les manières de Dieu», a suggéré le pontife. Dieu est fidèle à ses promesses, et en faire mémoire permet de se souvenir de nos rêves sans céder à la tristesse intérieure et au découragement. La tristesse intérieure est un ver qui nous ronge, a-t-il appuyé.

Cette patience doit également être pratiquée dans le cadre de la vie communautaire, a poursuivi le pape, les relations humaines n’étant pas toujours pacifiques au sein d’un couvent, d’une famille. Au lieu de vouloir trouver une solution immédiate à certains conflits, il faut parfois savoir «attendre un moment meilleur pour s’expliquer dans la charité et dans la vérité». Jamais nous ne pourrons faire un bon discernement si notre cœur est agité, a-t-il insisté.

«Dans nos communautés cette patience réciproque est nécessaire», a-t-il observé: supporter signifie en effet «porter sur ses épaules la vie du frère ou de la sœur, même ses faiblesses et ses défauts». Le Seigneur «ne nous appelle pas à être solistes», a déclaré le pontife, mais à faire partie d’un chœur, qui parfois détonne, mais doit toujours essayer de chanter ensemble».

Le pape a également préconisé cette vertu vis-à-vis du monde. La patience peut aider les religieux à ne pas «rester prisonniers» des lamentations sur le manque de vocations par exemple. Certains sont des «maîtres» dans l’art de se lamenter, a-t-il déploré.«Parfois il arrive qu’à la patience avec laquelle Dieu travaille le terrain de l’histoire et de notre cœur, nous opposions l’impatience de celui qui juge tout, tout de suite» et perdions l’espérance, a mis en garde le pape en jugeant que de nombreux religieux étaient touchés par ce mal.

Le Saint-Père a enfin rappelé que le motif d’espérance des chrétiens est de savoir que Dieu attend chacun sans jamais se lasser: «quand nous nous éloignons il vient nous chercher, quand nous tombons à terre il nous relève» . Il nous enseigne la résilience, a expliqué le pontife. La patience est une manière par laquelle Dieu répond à notre faiblesse pour nous donner le temps de changer, a-t-il résumé en citant l’un de ses théologiens préférés, Romano Guardini.

Article paru sur cath.ch, site du Centre catholique des médias suisses, le 03.02.2021

Qu’est-ce que la générosité chrétienne ?

La générosité est la disposition de cœur qui conduit à donner ou à se donner, ainsi que l’acte, ou les actes, qui concrétisent cette disposition. Il y a générosité lorsqu’un don exprime une largesse et qu’il est librement consenti, dans le souci de l’autre. Une personne est généreuse de cœur ou dans ses jugements si elle fait une large part à autrui. Un acte est généreux si, par-delà tout calcul, il privilégie l’autre. Il le sera aussi s’il dépasse la mesure de ce qui, dans une situation donnée, est considéré comme normalement requis ou attendu.

La générosité, pour exister, doit exprimer une liberté: c’est ce qu’exprime le mot proche de «libéralité». Donner par contrainte extérieure n’est pas faire acte de générosité, même si le don est important. Il faut un minimum de choix personnel pour qu’il y ait générosité. La générosité peut cependant procéder d’un sens du devoir, ou d’une obligation intérieure, pour peu que le don qui en résulte exprime un choix assumé. La générosité, pour subsister comme telle, doit être orientée vers l’autre. Un don effectué comme un investissement personnel, ou dans le but d’en obtenir un retour, n’est pas une générosité. La générosité requiert une dimension de gratuité, même si un retour peut en résulter.

La générosité peut être motivée par le souci de la justice. Mais les deux ne se confondent pas. La justice vise à attribuer à chacun ce qui lui revient, ou qui lui est dû. La générosité donne ce qui appartient à celui qui donne, ou qui manque à celui qui reçoit. « Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles.» La justice a un aspect objectif, universel et réfléchi; elle s’impose à tous. La générosité est plus subjective, plus singulière, plus spontanée ; elle doit procéder d’une libre décision. La générosité est souvent une expression de l’amour. Mais on peut être généreux sans aimer: par refus de l’injustice, par dégoût du malheur, par mauvaise conscience. Certains se demandent si l’on peut qualifier de générosité les actes accomplis en faveur de ceux que l’on aime déjà : aimer ses enfants, ses amis, est-ce être généreux? Tout le monde n’est-il pas capable de générosité, quand il est porté vers l’autre dans la joie et la plénitude qu’apporte l’amour?

Ces questionnements traduisent le fait que l’amour contient, en lui-même, toutes les vertus: être parfait dans l’amour, c’est être parfait dans toutes les vertus. La générosité est ainsi contenue dans l’amour: le don fait partie de l’amour au point qu’il semble que là où il y a amour, on n’a plus à souligner la générosité. Par contre, sans générosité, l’amour s’affaiblit et s’étiole. L’amour, pour exister, a besoin de s’exprimer par le don, et il s’y renouvelle. La générosité a donc sa place dans l’amour, en tant que «supplément d’âme» et que langage relationnel. Dieu, dans sa grâce, préserve pour ceux qui l’aiment, des espaces pour la générosité. S’il nous demande de l’aimer de tout notre cœur, il ne prescrit pas toutes les modalités de cet amour. Il y a place, ainsi, pour de libres expressions de l’amour, pour un langage de générosité envers Dieu et le prochain qui s’oppose à un service calculateur et minimaliste (2 Cor. 8: 1-5). Mais cette libre expression de l’amour pour Dieu et le prochain se vit toujours dans l’humilité et la conscience que la générosité de Dieu est absolument première et englobante : nous ne pouvons offrir que ce que nous avons d’abord reçu (1 Chr. 29: 14).

Il y a place, aussi, pour une générosité du peuple de Dieu qui dépasse les comportements personnels. Certaines lois instituées par Dieu pour Israël, en faveur des plus faibles, sont très généreuses, au regard des pratiques des autres peuples contemporains. Si Dieu invite l’individu à la générosité, il veut aussi que son peuple, en tant que peuple, soit généreux.

Extrait du livre Une approche biblique de la générosité (CNEF)

15ème dimanche – 16 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 13, 1-9

Évangile de Matthieu 13, 1-9

Les grandes semailles inutiles

Vous avez compris, dans cette parabole, que celui qui sème, c’est Dieu ; ce qu’il sème c’est sa Parole et que l’endroit où il sème, c’est en nous.

Dieu sème en dehors du champ, sur le chemin et les oiseaux viennent picorer les graines ; comme en nous, parfois, un esprit mauvais détruit sa parole d’Amour. Qui ne se souvent pas avoir dit des méchancetés alors qu’il n’était plus lui-même ? véritablement hors de lui ?

Dieu sème là où il n’y avait pas beaucoup de terre ; comme nous disons parfois qu’une parole entre par une oreille et sort par l’autre. Dieu a beau nous donner des signes d’Amour, nous ne les percevons pas. Et peut-être avons-nous déjà été confrontés à des gens dont nous avons voulu le bien et qui ne l’ont pas compris.

Dieu sème là où il y a des ronces ; on l’écoute, mais que surviennent les difficultés, les drames et, parfois, on étouffe en nous le commandement d’aimer. C’est la cas des gens qui souffrent, qui ont peur, qui voient tout en noir et ne parviennent à plus rien aimer le monde. Parfois même plus leur propre vie.

Dieu sème aussi dans la bonne terre. Alors sa Parole s’incarne véritablement en nous et son Amour, à travers nous, donne du fruit. C’est le cas des personnes rayonnant de l’Amour de Dieu, des personnes heureuses dans leur foi.

A lire cette parabole, ne peut-on pas penser que Dieu est un très mauvais semeur ? Il sait qu’il sème sur le chemin, là où il n’y a pas assez de terre et parmi les ronces. C’est ce que Jésus nous dit.

Je ne sais pas si vous vous souvenez d’une émission qui s’appelait « Les grands travaux inutiles » de Jean-Claude Defossé ? C’est un peu l’impression que nous avons : Dieu fait de grandes semailles inutiles ! A quoi bon semer parmi les ronces ou là où on sait que rien ne poussera ? A quoi bon gaspiller des graines dans des endroits qui ne donneront aucune récolte ? A quoi bon aimer ceux qui ne nous aiment pas ?

Bien sûr, à semer partout, on finit bien par récolter quelque chose. C’est ce que nous dit la première lecture : comme la pluie ne retourne pas aux cieux sans avoir fécondé la terre « ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat. » Mais à quoi bon arroser en dehors de la bonne terre ? Dans ce même évangile de Matthieu, plutôt (Mt 5, 45), il est dit : « Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » et c’est avec cette image qu’il nous demande d’aimer nos ennemis. Pourquoi ?

Pourquoi être gentil avec les méchants ? Pourquoi rester doux avec les sévères ? Pourquoi encore aimer ceux qui ne sont pas aimables ? Pourquoi encore donner de l’attention et du soin quand, humainement, tout semble perdu ? A quoi bon aimer puisque nous n’en retirerons rien ?

Parce que l’amour qui fonctionnerait sur un principe de donnant-donnant, un amour qui ne se donnerait que lorsque c’est utile, un amour qui chercherait toujours son profit – je t’aime lorsque tu m’aimes et je ne t’aime pas lorsque tu ne m’aimes pas – ce n’est pas vraiment de l’amour ; c’est du commerce, de l’échange, un amour calculateur, sans générosité.

Que Dieu sème parmi les ronces ou là où il n’y a pas de bonne terre est le signe de son abondante générosité. Dieu aime ceux qui ne l’aiment pas. Dieu aime ceux qui font le mal. Dieu aime ceux qui sont perdus. Dieu aime ceux qu’il ne sert à rien d’aimer. Dieu nous aime, même lorsque nous ne nous aimons pas.

Et cette absolue générosité de Dieu, ces grandes semailles parfois inutiles, sont pour nous le signe d’une immense espérance. Parce que la mauvaise terre c’est parfois nous. C’est vrai que nous sommes parfois sourds, incapables d’apprécier l’amour que d’autres nous donnent. C’est vrai que nous sommes parfois parmi les ronces, pris d’un esprit mauvais qui rejette les paroles aimables. C’est vrai que nous sommes parfois submergés par la souffrance et que l’amour ne prend plus en nous racines.

Ce que nous enseigne la parabole du semeur c’est que dans toutes ces situations, nous sommes aimés par Dieu. Ce que nous enseigne la parabole du semeur c’est de garder espoir, même si nous ne percevons plus rien de lui. Garder espoir si la souffrance nous fait parfois oublier son amour. Garder espoir même si nous pensons que c’est inutile et que nous sommes perdus.

Dieu est le champion des grands travaux inutiles : il sème là où personne ne pense qu’il puisse encore y avoir du fruit. Alors même que tout semble voué à l’échec, Dieu, lui, garde espoir et sème encore l’Amour.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

14ème dimanche – 9 juillet 2023 – Évangile de Matthieu 11, 25-30

Évangile de Matthieu 11, 25-30

Trouver la paix

Le propos des lectures de ce dimanche est certainement de trouver la paix. Dans l’Évangile, Jésus dit : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » Dans la première lecture , le prophète Zacharie annonce la venue d’un roi libérateur qui « brisera l’arc de guerre, et proclamera la paix aux nations. » (Zacharie 9, 10) – ce roi que nous le discernons comme le Christ. Enfin, nous verrons que dans l’Épître au Romains, s. Paul nous donne le moyen de la paix.

L’évangile de Mathieu introduit le passage que nous venons de lire par toute une série de guérisons : le serviteur d’un centurion, un paralytique, deux possédés. L’évangéliste a précédemment montré que Jésus apaisait les éléments : la tempête, la mer. Enfin, juste avant la lecture d’aujourd’hui, Jésus a comparé la rencontre avec Dieu à un banquet de noces. Enfin, voici la paix : « devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. » En substance, le Christ nous dit : le Royaume de Dieu est plus accessibles aux humbles qu’aux sages et aux savants ; je suis cette présence divine, venez à moi et vous trouverez la paix.

Matthieu lui-même a été guéri par le Christ. Il était, en effet, collecteur d’imports – ces gens sont alors détestés comme le sont les traîtres en temps de guerre – et Jésus l’a ressuscité socialement. Même riche, il est de ces tout-petits, de ces gens méprisés, auxquels Jésus propose de faire banquet. « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. »

Décodons donc toute cette dynamique de l’Évangile de Matthieu pour notre vie spirituelle aujourd’hui.

Les éléments que Jésus apaise représentent ici les causes de nos peurs : la mer est agitée comme notre cœur ; la tempête est celle de notre esprit. Ce que l’Évangéliste nous dit : c’est que Jésus est maître des éléments qui parfois nous effrayent et que, si parfois ils se déchaînent, néanmoins ils lui obéissent. Jésus, par sa parole, apaise en nous les tempêtes.

Dès lors, il guérit toutes les infirmités : les possédés qui sont évidement des réprouvés, mais aussi les maladies honteuses comme les lèpres ou la paralysie que tous considéraient comme le signe du péché. Enfin, il sauve même le serviteur d’un centurion, ç’est-à-dire d’un oppresseur, ce qui est un sacrilège aux yeux de beaucoup. Peut-être pouvons-nous ici trouver quelque similitude avec Jésus qui lave les pieds de Judas. Le centurion le reconnaît lui-même : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri » – paroles que nous redisons tous au moment de communier. Jésus, en effet, se préoccupe des gens « indignes ».

Plus que par de grands discours savants et sages, c’est parce qu’on a été relevé par le Christ, parce qu’il nous a, quelque part, touché dans notre indignité que la rencontre avec Dieu nous apparaît comme une fête, un banquet de noces. S’épouser, c’est se sentir aimé malgré ses défauts, d’un amour qui les guérit. L’amour de Dieu n’est pas moindre. On mesure l’exaltation d’un lépreux, d’un possédé, d’un collecteur d’impôts qui reviennent à la vie.

Alors comment trouver cette paix, ce sentiment de noces éternelles que donne le Christ. S. Paul l’explique aux Romains : il s’agit de ne plus vivre selon la chair, mais selon l’Esprit. Ce que l’Église a trop longtemps interprété comme la nécessité de tuer les passions de la chair, promouvant une fausse image de la paix comme celle d’une absence de sentiments, calme et paisible comme une mer d’huile.

Il ne s’agit pas de frustrer les passions, les sentiments qui nous viennent, ni même le plaisir que nous ressentons – tout cela sont aussi des dons de Dieu. Il ne s’agit pas de frustrer nos désirs et nos sens, il s’agit qu’il y ait en nous un esprit supérieur qui les gouverne et domine nos passions. La frustration ne fait qu’augmenter l’errance des passions. Ce n’est pas la frustration de nos désirs, mais leur accomplissement par le Christ que nous espérons. Comme il gouverne la mer, la tempête et les vents, Il est possible que nos passions lui obéissent, à mesure d’ailleurs que l’Esprit Saint vivra en nous et c’est alors que nous trouverons la paix.

Le joug le Christ nous demande de porter, le fardeau sous lequel parfois nous peinons, c’est tout simplement la vie, avec ses désirs et ses passions. Et c’est la croissance spirituelle – la vie en plénitude – qui rend ce joug facile à porter, ce fardeau léger.

Viens, Seigneur, toucher nos désirs et de nos passions. Fais que ce soit ton esprit qui les gouverne et rends-nous, comme toi, doux et humbles de cœur. Alors nous trouverons la paix.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain

Personne ne peut se sauver tout seul

« Pour ce qui est des temps et des moments de la venue du Seigneur, vous n’avez pas besoin, frères, que je vous en parle dans ma lettre. Vous savez très bien que le jour du Seigneur vient comme un voleur dans la nuit » (Première Lettre de Saint Paul aux Thessaloniciens 5, 1-2).

L’Apôtre Paul invitait par ces mots la communauté de Thessalonique à rester ferme dans l’attente de la rencontre avec le Seigneur, les pieds et le cœur sur terre, capable de porter un regard attentif sur la réalité et les événements de l’histoire. C’est pourquoi, même si les événements de notre existence semblent tragiques et que nous nous sentons poussés dans le tunnel sombre et pénible de l’injustice et de la souffrance, nous sommes appelés à garder le cœur ouvert à l’espérance, en faisant confiance à Dieu qui se rend présent, nous accompagne avec tendresse, nous soutient dans notre fatigue et, surtout, guide notre chemin. C’est pourquoi saint Paul exhorte constamment la communauté à veiller, en recherchant le bien, la justice et la vérité : «Ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres» (5, 6). C’est une invitation à rester en éveil, à ne pas nous enfermer dans la peur, la souffrance ou la résignation, à ne pas céder à la distraction, à ne pas nous décourager, mais à être au contraire comme des sentinelles capables de veiller et de saisir les premières lueurs de l’aube, surtout aux heures les plus sombres.

(…) Après trois années de pandémie, l’heure est venue de prendre le temps de nous interroger, d’apprendre, de grandir et de nous laisser transformer, tant individuellement que communautairement ; un temps privilégié pour se préparer au « jour du Seigneur ». J’ai déjà eu l’occasion de répéter qu’on ne sort jamais identiques des moments de crise : on en sort soit meilleur, soit pire. Aujourd’hui, nous sommes appelés à nous demander : qu’avons-nous appris de cette situation de pandémie ? Quels chemins nouveaux devons-nous emprunter pour nous défaire des chaînes de nos vieilles habitudes, pour être mieux préparés, pour oser la nouveauté ? Quels signes de vie et d’espérance pouvons-nous saisir pour aller de l’avant et essayer de rendre notre monde meilleur ?

Après avoir touché du doigt la fragilité qui caractérise la réalité humaine ainsi que notre existence personnelle, nous pouvons dire avec certitude que la plus grande leçon léguée par la Covid-19 est la conscience du fait que nous avons tous besoin les uns des autres, que notre plus grand trésor, et aussi le plus fragile, est la fraternité humaine fondée sur notre filiation divine commune, et que personne ne peut se sauver tout seul. Il est donc urgent de rechercher et de promouvoir ensemble les valeurs universelles qui tracent le chemin de cette fraternité humaine. Nous avons également appris que la confiance dans le progrès, la technologie et les effets de la mondialisation n’a pas seulement été excessive, mais s’est transformée en un poison individualiste et idolâtre, menaçant la garantie souhaitée de justice, de concorde et de paix. Dans notre monde qui court très vite, les problèmes généralisés de déséquilibres, d’injustices, de pauvretés et de marginalisations alimentent très souvent des troubles et des conflits, et engendrent des violences voire des guerres.

Tandis que, d’une part, la pandémie a fait émerger tout cela, nous avons fait d’autre part des découvertes positives : un retour bénéfique à l’humilité ; une réduction de certaines prétentions consuméristes ; un sens renouvelé de la solidarité qui nous incite à sortir de notre égoïsme pour nous ouvrir à la souffrance des autres et à leurs besoins ; un engagement, parfois vraiment héroïque, de tant de personnes qui se sont dépensées pour que tous puissent mieux surmonter le drame de l’urgence.

Il a résulté de cette expérience une conscience plus forte qui invite chacun, peuples et nations, à remettre au centre le mot « ensemble ». En effet, c’est ensemble, dans la fraternité et la solidarité, que nous construisons la paix, que nous garantissons la justice et que nous surmontons les événements les plus douloureux. En effet, les réponses les plus efficaces à la pandémie ont été celles qui ont vu des groupes sociaux, des institutions publiques et privées, des organisations internationales, s’unir pour relever le défi en laissant de côté les intérêts particuliers. Seule la paix qui naît de l’amour fraternel et désintéressé peut nous aider à surmonter les crises personnelles, sociales et mondiales.

Dans le même temps, au moment où nous osions espérer que le pire de la nuit de la pandémie de Covid-19 avait été surmonté, une nouvelle calamité terrible s’est abattue sur l’humanité. Nous avons assisté à l’apparition d’un autre fléau : une guerre de plus, en partie comparable à la Covid-19 mais cependant motivée par des choix humains coupables. La guerre en Ukraine sème des victimes innocentes et répand l’incertitude, non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour tout le monde, de manière étendue et indiscriminée, y compris pour tous ceux qui, à des milliers de kilomètres de distance, souffrent des effet collatéraux – il suffit de penser aux problèmes du blé et du prix du carburant.

Ce n’est certes pas l’ère post-Covid que nous espérions ou attendions. En effet, cette guerre, comme tous les autres conflits répandus de par le monde, est une défaite pour l’humanité entière et pas seulement pour les parties directement impliquées. Alors qu’un vaccin a été trouvé pour la Covid-19, des solutions adéquates n’ont pas encore été trouvées pour la guerre. Le virus de la guerre est certainement plus difficile à vaincre que ceux qui affectent l’organisme humain, car il ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur, du cœur humain, corrompu par le péché (cf. Évangile de Marc 7, 17-23).

Que nous est-il donc demandé de faire? Tout d’abord, de nous laisser changer le cœur par l’urgence que nous avons vécue, c’est-à-dire permettre à Dieu, à travers ce moment historique, de transformer nos critères habituels d’interprétation du monde et de la réalité. Nous ne pouvons plus penser seulement à préserver l’espace de nos intérêts personnels ou nationaux, mais nous devons y penser à la lumière du bien commun, avec un sens communautaire c’est-à-dire comme un « nous » ouvert à la fraternité universelle. Nous ne pouvons pas continuer à nous protéger seulement nous-mêmes, mais il est temps de nous engager tous pour guérir notre société et notre planète, en créant les bases d’un monde plus juste et plus pacifique, effectivement engagé dans la poursuite d’un bien qui soit vraiment commun.

Pour y parvenir et vivre mieux après l’urgence de la Covid-19, nous ne pouvons pas ignorer un fait fondamental : les nombreuses crises morales, sociales, politiques et économiques que nous vivons sont toutes interconnectées. Ce que nous considérons comme étant des problèmes individuels sont en réalité causes ou conséquences les unes des autres. Nous sommes appelés à relever les défis de notre monde, avec responsabilité et compassion. Nous devons réexaminer la question de la garantie de la santé publique pour tous ; promouvoir des actions en faveur de la paix pour mettre fin aux conflits et aux guerres qui continuent à faire des victimes et à engendrer la pauvreté ; prendre soin, de manière concertée, de notre maison commune et mettre en œuvre des mesures claires et efficaces pour lutter contre le changement climatique ; combattre le virus des inégalités et garantir l’alimentation ainsi qu’un travail décent pour tous, en soutenant ceux qui n’ont pas même un salaire minimum et se trouvent en grande difficulté. Le scandale des peuples affamés nous blesse. Nous devons développer, avec des politiques appropriées, l’accueil et l’intégration, en particulier des migrants et de ceux qui vivent comme des rejetés dans nos sociétés. Ce n’est qu’en nous dépensant dans ces situations, avec un désir altruiste inspiré par l’amour infini et miséricordieux de Dieu, que nous pourrons construire un monde nouveau et contribuer à édifier le Royaume de Dieu qui est un Royaume d’amour, de justice et de paix.

En partageant ces réflexions, je souhaite qu’au cours de la nouvelle année, nous puissions marcher ensemble en conservant précieusement ce que l’histoire peut nous apprendre. Je présente mes meilleurs vœux aux Chefs d’État et de Gouvernement, aux Responsables des Organisations internationales, aux Leaders des différentes religions. À tous les hommes et femmes de bonne volonté, je leur souhaite de construire, jour après jour en artisans de la paix, une bonne année ! Que Marie Immaculée, Mère de Jésus et Reine de la Paix, intercède pour nous et pour le monde entier.

Pape François,
message à l’occasion de la 56e Journée de la Paix, le 1er janvier 2023.

12ème dimanche – 25 juin 2023 – Évangile de Matthieu 10, 26-33

Évangile de Matthieu 10, 26-33

L’enfouissement de la foi

Je ne sais pas si vous vous êtes déjà senti persécuté, moqué, critiqué à cause de votre foi. La persécution et le mépris sont le lot de beaucoup de chrétiens. On pense en premier lieu à ceux qui donnent leur vie au Nigeria où des massacres et des enlèvements ont régulièrement lieu. On pense au Gouvernement du Nicaragua qui persécute l’Église et emprisonne les chrétiens qui parlent. On pense à tous ceux pour lesquels prier, se rassembler représente une menace réelle dans bien des endroits du monde.

En second vient l’inégalité des chances, là où les chrétiens sont des citoyens de seconde zone, dont l’accès à l’éducation, à certains emplois ou responsabilités sont freinés ou empêchés.

Enfin, il y a le mépris que certains subissent, dès qu’ils affirment leur foi. C’est plutôt à ce genre de cas que nous nous trouvons ici confrontés. Je me souviens de cette dame âgée qui, en maison de repos, s’est vue refusée l’installation de KTO sur sa télévision par le technicien : « Vous ne croyez pas à ces bêtises ? ». Le mépris est, chez nous, plutôt intellectuel : la foi serait le signe des peureux et des faibles, des simples qui ont besoin de l’idée de Dieu pour se rassurer … Ce mépris n’est pas nécessairement moins violent.

Autre persécution encore que celle que subit Jérémie. : la persécution interne. Par ses contemporains auxquels il annonce la destruction du Temple et l’exil à Babylone, Jérémie est vu comme un prophète de malheur. Il est mis à l’écart de la société, brutalisé, jeté en prison puis exilé en Égypte. Jérusalem et le Temple seront pourtant détruits en 586 av. J.-C.. C’est la clairvoyance de la foi qui fait les prophètes et c’est le refus du témoignage de cette foi qui fait les persécuteurs.

Dans tous les cas, qu’elle soit externe ou interne, la persécution fait du croyant le bouc-émissaire de Dieu. C’est en tant qu’agent de Dieu que les Chrétiens sont persécutés, parce qu’ils témoignent d’une foi que les autres n’ont pas et qui les indispose.

La foi, comme l’amour, est une petite plante fragile que le moindre mépris a vite fait de piétiner. Le réflexe est alors grand de s’auto-protéger, de taire l’élan de la foi qui surgit en nous, de nous enfouir religieusement, jusqu’à nous enfermer dans une spiritualité de catacombes ou de citadelle assiégée.

Le martyre n’est pas toujours sanglant, d’ailleurs qui serions-nous pour juger celui qui craint effectivement pour sa vie et veut protéger les siens ? Mais nous vivons ici tout de même dans une culture de mépris général des religions et de la religion chrétienne en particulier. Heureusement ici personne n’a encore à craindre pour sa vie. Par contre, à mesure qu’il investira l’espace public pour témoigner de sa foi, le croyant s’affrontera douloureusement au mépris. La société occidentale veut à tout prix cantonner la religion à la sphère privée. Il est désolant que l’Église s’y soumette.

Le témoignage public de foi, sa célébration communautaire sont essentiels à notre religion sinon elle meurt. La foi chrétienne ne peut en aucun cas être une affaire privée puisqu’elle est témoignage de l’amour de Dieu pour l’Humanité.

Et c’est le terrible constat d’échec que l’on dresse aujourd’hui. L’Église a cédé à cet enfouissement de la foi qui lui était imposé. Par crainte du mépris, reflet sans doute de la laideur qu’elle voit en elle-même, l’Église s’est tue et a perdu son élan missionnaire. Conséquence : nos églises sont vides. Et le paroxysme de cet auto-enfouissement de l’Église, de cette mentalité de citadelle assiégée qui paralyse tout, aura été l’absence de réponse ecclésiale au surgissement de la pandémie de Covid alors que c’était précisément sur ce terrain-là qu’on l’attendait. L’Église n’est-elle pas aujourd’hui prisonnière de son auto-enfouissement ?

Le Christ, dans l’Évangile d’aujourd’hui, tient le discours inverse : « Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. » Ensuite, il avertit sur les conséquences de l’enfouissement : vous mourrez corps et âme. Et c’est ce que nous constatons de nos communautés. Le corps du Christ qu’est l’Église s’étiole et succombe, à mesure que son élan d’amour pour le monde est empêché.

Une autre dynamique est cependant possible, celle qui voit la crainte des persécutions et du mépris comme une occasion de creuser sa foi, de l’affermir et de trouver là un élan nouveau pour aller embrasser le monde.

La semaine passée le Christ nous exhortait à la mission, aujourd’hui il nous prévient que l’immobilisme est plus mortel que les persécutions. C’est aussi le constat que nous faisons, au regard de nos communautés actuelles.

Ainsi, c’est un vibrant appel à l’audace missionnaire qui nous est lancé, un appel à transcender la crainte du mépris du monde pour témoigner à nouveau publiquement de notre foi en l’amour divin, d’autant que le monde d’aujourd’hui, pétri lui-même de craintes quant à l’avenir, en a cruellement besoin.

Il n’est plus temps de se désoler sur l’état de l’Église. Il est temps d’agir, d’aller redire au monde que Dieu l’aime, chacun à notre façon.

— Fr. Laurent Mathelot OP

Pape François : une lettre apostolique pour les 400 ans de Blaise Pascal

Le pape François a publié, lundi 19 juin, une lettre apostolique à l’occasion du quatrième centenaire de la naissance de Blaise Pascal. En rendant hommage à cet homme de science et de foi, le pape souligne la grandeur et la misère de l’être humain.

« Grandeur et misère de l’homme forment le paradoxe qui se trouve au cœur de la réflexion et du message de Blaise Pascal. » Tels sont les premiers mots du texte du pape François qui reprend à son compte les interrogations du philosophe français.

La lettre apostolique (1) Sublimitas et miseria hominis (Grandeur et misère de l’homme) publiée lundi 19 juin, est pétrie d’admiration et d’enthousiasme. Dans les écrits du philosophe, le pape puise des leçons pour le XXIe siècle, confronté tout à la fois au doute et à l’aspiration à la toute-puissance. Le quatrième centenaire de la naissance de Pascal est l’occasion pour François de « stimuler les chrétiens de notre temps et tous les hommes et femmes de bonne volonté dans la recherche du vrai bonheur ».

Avec cette huitième lettre apostolique du pape à visée pastorale, Pascal rejoint des figures qui ont pu inspirer François, telles que saint Jérôme, saint Joseph, mais aussi François de Sales ou Dante. Reconnaissant « l’intelligence prodigieuse » de Pascal, le pape appelle les fidèles à s’interroger : « Nous devons, comme chrétiens, nous tenir éloignés de la tentation de brandir notre foi comme une certitude incontestable qui s’imposerait à tous », rappelant que « l’acte du croyant est possible par la grâce de Dieu, reçue dans un cœur libre ».

Science et foi

Cette lettre est l’occasion de revenir une fois encore sur le débat entre foi et raison : « Blaise Pascal a cela d’extrêmement stimulant qu’il nous rappelle la grandeur de la raison humaine et nous invite à nous en servir pour déchiffrer le monde qui nous entoure ». Citant ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI, François insiste : « Notre Dieu est un Dieu caché, (…) de sorte que notre raison, illuminée par la grâce, n’aura jamais fini de le découvrir. »

Radicalité évangélique

Le pape s’attache à montrer que cet intellectuel était aussi un homme d’action : « L’amour éperdu pour le Christ et le service des pauvres ne furent pas tant la marque d’une rupture dans l’esprit de ce disciple audacieux, que celle d’un approfondissement vers la radicalité évangélique. »

Méditant les Pensées de Pascal, le pape y trouve la confirmation de ce qu’il a déjà évoqué dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, à savoir que « la réalité est supérieure à l’idée ». Pointant les « purismes angéliques » jusqu’aux « intellectualismes sans sagesse », il dénonce « les idéologies mortifères dont nous continuons de souffrir dans les domaines économiques, sociaux, anthropologiques ou moraux [qui] tiennent ceux qui les suivent dans des bulles de croyance où l’idée s’est substituée au réel ».

Le pape s’arrête longuement sur la « nuit de feu » vécue par Pascal le 23 novembre 1654, expérience mystique bouleversante dont le philosophe a fait le récit, dans un texte retrouvé à sa mort, cousu dans son habit. « Pascal en témoigne à toute l’Église ainsi qu’à tout chercheur de Dieu : ce n’est pas le Dieu abstrait ou le Dieu cosmique. C’est le Dieu d’une personne, d’un appel, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui est certitude, qui est sentiment, qui est joie », rappelle le pape qui avait déjà évoqué la conversion de Pascal lors d’une catéchèse, le 3 juin 2020.

Port-Royal

Le pape ne pouvait manquer d’évoquer la crise ayant opposé les jésuites de l’époque aux jansénistes de Port-Royal, soutenus par Pascal. Sans vouloir « rouvrir la question », François dénonce avec Pascal « le néo-pélagianisme qui voudrait que tout dépende de l’effort humain (…) se reconnaît à ce qu’il nous enivre de la présomption d’un salut gagné par nos propres efforts », formule déjà usité dans la lettre à propos de Dante.

Avec cette lettre apostolique, le pape François – qui enseigna la littérature à ses débuts dans la Compagnie de Jésus – confirme son attrait pour les auteurs français tels que Léon Bloy, Bernanos ou Péguy. Cette lettre consacrée à Pascal n’est pas la première occasion pour François de se référer au philosophe mathématicien. En 2017, lors d’un entretien dans le quotidien italien La Repubblica, le pape argentin estimait que Pascal pourrait être béatifié. La procédure, qui devrait être menée par le diocèse de Paris, n’a pas encore été lancée.

Christophe Henning, La Croix du 19/06/2023.

Extrait

« La philosophie de Pascal, toute en paradoxes, procède d’un regard aussi humble que lucide, qui cherche à atteindre « la réalité éclairée par le raisonnement ». Il part du constat que l’homme est comme un étranger à lui-même, grand et misérable. Grand par sa raison, par sa capacité à dompter ses passions, grand même « en ce qu’il se connaît misérable ». Notamment, il aspire à autre chose qu’à assouvir ses instincts ou à leur résister, « car ce qui est nature aux animaux nous l’appelons misère en l’homme ». Il existe une disproportion insupportable entre d’un côté notre volonté infinie d’être heureux et de connaître la vérité, et de l’autre côté notre raison limitée et notre faiblesse physique, qui aboutit à la mort. »

(1) Grandeur et misère de l’homme, lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis, Le Cerf, 52 p., 4,90 €.

Fête du Saint Sacrement – 11 juin 2023 – Évangile de Jean 6, 51-58

Évangile de Jean 6, 51-58

Le Sacrement de soi

Vous savez que la fête du Saint-Sacrement – la Fête-Dieu – a été pour la première fois instituée à Liège. L’histoire est d’abord celle de la vision de Julienne de Cornillon, en 1209, d’une lune échancrée, dont il manque un morceau, comme s’il manquait quelque chose au rayonnement eucharistique de l’Église.

Sainte Julienne de Cornillon

C’est la grande préoccupation du XIIIe siècle : la présence réelle de Dieu dans l’hostie consacrée et dans le monde. On est au temps des Cathares, une secte chrétienne prétendant que le monde est fondamentalement mauvais, créé non par Dieu mais par le Diable, que le corps humain est mauvais, corruptible et mortel, que le Christ n’est qu’un être spirituel. Ce que proposent les Cathares c’est tout bonnement un désenchantement du monde : pour eux, Dieu a déserté la Création.

C’est d’ailleurs pour contrer cette idéologie que saint François écrira le Cantique des Créatures ; pour dire que le Soleil, la Lune, les pluies et les vents sont des créations de Dieu, qu’ils sont nos frères et nos sœurs. Et c’est encore pour répondre aux Cathares qu’il invente la crèche. Peut-être ne le savez-vous pas mais, dans la première crèche, saint François n’avait pas mis d’enfant dans la mangeoire. Il y avait mis un pain, expressément pour affirmer la présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie et donc dans le monde d’aujourd’hui.

A l’instar des Cathares, notre époque a évacué la présence réelle de Dieu. Si pour beaucoup de nos contemporains Dieu existe encore, il a été repoussé bien loin dans le ciel. Aujourd’hui, pour beaucoup, Dieu est un Dieu qu’on rencontrera éventuellement au moment de la mort, mais il n’a plus vraiment de présence réelle dans la vie de nos contemporains.

Même la Nature nous apparaît malade et polluée. Notre monde est à nouveau gouverné par un mauvais génie et ce diable responsable de tous les maux de la Terre, c’est désormais l’homme. Pour les Cathares, Dieu avait déserté la Création ; pour notre époque, il a déserté l’Humanité. Ils sont de plus en plus nombreux à penser l’homme intrinsèquement nuisible, responsable de toutes les pollutions, de tous les maux.

Il est urgent de reproposer une « Église Saint-Sacrement », une Église qui offre la présence de Dieu aussi simplement, aussi humblement, que s’offre le pain ; une Église qui visiblement se nourrit et vit de la présence actuelle de Dieu ; une Église qui témoigne de cette présence réelle, incarnée, donnée aujourd’hui au monde.

C’est d’abord par notre propre sacrement, notre propre sanctification que nous pourrons participer à ce réenchantement de l’Humanité. Où sont les saints d’aujourd’hui, les hosties vivantes données au monde pour l’amour de Dieu ? Plus que nous effrayer, l’état actuel de l’Église, le mépris croissant des religions devraient nous inciter à endosser la responsabilité de mieux incarner la présence eucharistique aujourd’hui.

Seigneur, fais de nous des hosties vivantes, ta présence nourrissante offerte à notre monde. Amen.

— Fr. Laurent Mathelot OP,
à paraître dans le journal Dimanche.

C’est l’homme religieux qui prépare l’avenir

par Jeanne Larghero

Sans la religion, l’homme aurait-il l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain ? Privée de Dieu, constate la philosophe Jeanne Larghero, l’humanité est livrée à l’angoisse et au repli sur soi.


L’éco-anxiété est un phénomène galopant, les psychologues et pédopsychiatres ne cessent d’en témoigner. Ne feignons pas de nous étonner : en effet, le principal ressort de la prise de conscience écologique a été pendant des décennies le langage de la peur. Description de l’extinction des espèces, de l’assèchement des espaces naturels, de la fonte des glaciers : depuis Hans Jonas et le Principe de responsabilité en 1979, « l’heuristique de la peur » s’est répandue.

Un remède à l’individualisme et à l’égoïsme

Cependant la conscience qu’a l’homme de sa vulnérabilité n’est pas nouvelle. Ainsi Bergson soulignait dans Les deux sources de la morale et de la religion (1932) la chose suivante : « L’homme est le seul animal qui hésite et qui tâtonne, […] le seul qui se sente sujet à la maladie, le seul aussi qui sache qu’il doit mourir. » C’est également le seul qui puisse « céder à des préoccupations égoïstes quand le bien commun est en cause ». Les deux sont liés : nous savons que l’avenir est incertain, nous savons que nous pouvons échouer, alors la tentation du chacun pour soi est grande. Nous savons que nous allons mourir, alors la tentation du « après moi le déluge » est grande. Cela se vérifie : nous avons consommé et pollué autant par imprévoyance que par égoïsme.

C’est pourquoi Bergson voyait dans la religion un effet de l’intelligence humaine : penser la vie après la mort, miser sur la continuité de la vie, contrer l’inévitable par l’espérance est un élan naturel religieux. La nature, en conférant à l’être humain une intelligence dotée de fonction religieuse, a contrebalancé la lucidité dont elle a par ailleurs doté l’espèce humaine. Elle lui offre une défense contre ce que l’exercice de l’intelligence pourrait avoir de déprimant. En dotant les humains d’une capacité religieuse, la nature a apporté à l’humanité une défense contre la dissolution du lien social : les commandements religieux, les principes moraux qui découlent de la relation à Dieu, la conscience morale de la faute ou du péché, les rites collectifs sont autant de remèdes à l’individualisme et à l’égoïsme.

Une défense naturelle

Dès lors on comprend qu’une génération coupée d’un héritage et de pratiques religieuses, se trouve alors privée des défenses naturelles contre l’angoisse de notre fragilité, contre l’angoisse de la vulnérabilité du système Terre (Earth system) dans son ensemble, contre le sentiment d’impuissance face à une société indifférente. Certes la religion n’est pas une béquille pour les faibles ou les inconséquents, on sait qu’elle apporte également son lot d’inquiétude : la relation à Dieu, dans l’intime du cœur, est faite de moments de grâce comme de moments de doute.

Cependant elle est le lieu où s’expérimente l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain. Pour celui qui croit à la communion des saints, la notion de générations futures n’est pas qu’un concept très incertain et teinté de pessimisme, elle est au contraire une promesse d’avenir : nous rencontrerons un jour tous ceux dont nous avons aujourd’hui préparé l’avenir. Loin de nous désoler, rendons grâce : notre engagement, si petit soit-il, a un sens dès aujourd’hui, et pour toujours.

Aleteia, publié le 02/06/23

Dimanche de Pentecôte – 28 mai 2023 – Évangile de Jean 20, 19-23

Évangile de Jean 20, 19-23

L’Esprit qui brûle en nous

Il y a des chrétiens pour qui l’Esprit-Saint n’est jamais comme une langue de feu, c’est-à-dire un langage que nous percevons, et qui nous enflamme.

Nous savons tous qu’en nous, il y a des mots et des idées qui se bousculent. Et nous savons tous aussi que parmi ces idées certaines nous attristent, d’autres nous réjouissent, d’autre encore nous emportent le cœur et l’âme. Il y a des mots, des phrases, des sons que nous percevons et qui nous portent vers la plénitude, l’élévation de tout notre être et parfois même l’extase ; des mots qui provoquent une jubilation esthétique intense – déjà les mots « Je t’aime » sont de ceux-là.

Et bien, il y a des chrétiens pour qui les mots qui émanent de l’Esprit même de Dieu ne sont jamais de telles langues de feu, ne suscitent en eux aucun embrasement, ni même de joie particulière.

Certainement, ils ont des désirs, des êtres et des passions qui les enflamment … mais pas Dieu. Ce sont des chrétiens purement rationnels, pour qui Dieu est finalement toujours une idée, un concept et jamais une rencontre, une personne qui les aime, quelqu’un dans leur vie. Ils ont la foi, ils croient en un être suprême, mais ce Dieu n’est jamais un « tu » auquel ils s’adressent. Il est trop loin.

Il y a aussi des chrétiens pour qui le seul esprit qui leur parle c’est le leur ; des chrétiens qui n’écoutent qu’eux-mêmes, des chrétiens qui croient que Dieu parle comme eux – et qui ont même tendance à l’affirmer – des chrétiens qui pensent détenir la vérité – bien sûr, la leur.

Et puis il y a les chrétiens pour qui la religion est spiritualité : c’est-à-dire un embrasement de l’esprit, par un Esprit avec lequel on dialogue. Un « tu » qui nous parle dans le cœur et auquel on répond ; un « tu » que l’on retrouve quand on lit la Bible, un « tu » que l’on sait voir présent dans ceux qu’on aime, un « tu » qui, lui-même, s’exprime parfois à travers nous.

Il y a des chrétiens que le « Je t’aime » entendu de Dieu embrase et comble de joie ; qui jubilent de l’Amour de Dieu qui s’exprime ; qui non seulement ont conscience de cet Amour mais bien plus le ressentent et l’éprouvent ; un peu comme l’amour s’éprouve entre ceux qui s’aiment : des langues de feu brûlantes comme le sont les mots des amoureux entre eux ; ceux que se chuchotent parents et enfants quand ils s’embrassent.

L’Esprit de Dieu cherche à tous nous parler. Pas à nous tenir un discours ; pas à nous donner des leçons ; pas simplement à exprimer une pensée que nous pourrions trouver intéressante ou belle ou adéquate. Non ! à nous parler de la manière la plus complète qui soit ; avec des mots qui changent et emportent celles et ceux à qui ils s’adressent ; avec des mots brûlants qui nous attirent. Dieu veut nous attirer à lui avec une Parole qui touche à l’essentiel de nous-mêmes. A notre profond désir d’aimer et d’être aimés.

On ne comprend bien l’image des langues de feu qui tombent sur les disciples que si l’on sait soi-même à quel point on peut brûler du désir d’amour et à quel point Dieu désire rencontrer ce désir. On ne comprend bien l’image des apôtres qui parlent désormais toutes les langues que si l’on se rend compte de l’universalité de ce désir d’amour et aussi de l’universalité des réponses qui y sont apportées. Quelle que soit notre langue maternelle, partout dans le monde, l’amour et la tendresse s’expriment de la même manière, avec les mêmes gestes, les mêmes élans du cœur, les mêmes marques d’affections.

Alors certains me diront, c’est très bien tout ce discours sur l’Esprit Saint qui nous parle d’Amour mais moi je ne l’entends pas comme ça. Pire, repensons au cas de Mère Teresa pour qui Dieu était bel et bien un « tu » auquel elle s’adressait mais qui, toute sa vie, est restée dans la nuit, sans percevoir de réponse de la part de Dieu … Et qui est pourtant devenue sainte !

Je crois en effet qu’une extrême confrontation à la souffrance, une vie qui s’affronte au malheur au point de concevoir – à juste titre – un profond sentiment personnel d’impuissance, peuvent nous empêcher de voir l’amour de Dieu à l’œuvre parmi les hommes. C’est difficile, dans la souffrance ultime, de ressentir encore l’Amour de Dieu.

Mais c’est alors peut-être, comme Sainte Teresa – et comme le Christ sur la croix qui a aussi vécu ce sentiment d’abandon – c’est peut-être qu’on devient un être non plus qui entend Dieu mais un être qui ne fait plus que dire Dieu par sa vie. Finalement Teresa, comme le Christ, ne sont plus que le cri d’Amour de Dieu face à la souffrance ultime.

La Pentecôte c’est le don fait à l’Humanité de pouvoir véritablement entendre Dieu comme le Christ a entendu son Père. Et le fruit de la Pentecôte c’est de pouvoir exprimer à notre entourage cet amour infini de Dieu pour l’Humanité. S’il le faut, en n’étant seulement plus qu’un cri.

La Pentecôte c’est recevoir l’Esprit d’Amour qui permet de se relever en toutes circonstances.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.

Pourquoi Jésus donne-t-il à l’Église le « pouvoir des clés » ?

Jean-Thomas de Beauregard, op

Le privilège divin confié à des hommes pécheurs d’ouvrir ou de fermer les portes du Ciel paraît exorbitant. Par ce « pouvoir des clés », Jésus donne à l’Église une réponse de confiance à un acte de foi.

Au serviteur de Dieu qui doit remplacer le gouverneur indigne, le prophète Isaïe promet la clef de la maison de David (Is 22, 19-23). S’il ouvre, personne ne fermera ; s’il ferme, personne n’ouvrira. Quelques siècles plus tard, Jésus confie à Pierre les clés du Royaume des Cieux. Tout ce que Pierre aura lié sur la terre sera lié dans les cieux ; tout ce qu’il aura délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 13-20). La tradition de l’Église a toujours lu ces deux textes ensemble. Dans les deux cas, Dieu transfère une prérogative proprement divine à un homme. Ce privilège divin transféré à un homme et à ses successeurs, c’est ce qu’on appelle le pouvoir des clés : Pierre et ses successeurs peuvent donner l’accès au Ciel ou le refuser. En particulier, les ministres de l’Église ont le pouvoir de pardonner les péchés au nom de Dieu, et peuvent aussi refuser l’absolution ou prononcer l’excommunication le cas échéant.

Un pouvoir exorbitant

Cela paraît un pouvoir exorbitant. Comment Dieu qui, seul, sonde les reins et les cœurs, peut-il confier à des hommes, pécheurs de surcroît, une responsabilité aussi écrasante ? Pardonner les péchés et donc donner l’accès au Ciel, mais aussi fermer les portes du Ciel à certains en refusant l’absolution ou en prononçant l’excommunication ? Aucun homme ne semble capable de juger de ces choses aussi bien que Dieu !

Et il est bien vrai que si ça n’avait tenu qu’aux Apôtres, et aux premiers chrétiens, jamais l’Église ne se serait accordée à elle-même un tel pouvoir. C’était d’ailleurs totalement inconcevable dans l’univers mental d’un juif de l’époque. Mais précisément, l’Église n’y est pour rien ! L’Évangile ne laisse aucun doute : c’est Jésus qui, par un acte solennel, a voulu remettre à Pierre et à ses successeurs le pouvoir des clés. Si Jésus n’avait pas pris cette initiative surprenante, il ne serait venu à personne l’idée incongrue de réclamer un tel pouvoir. Mais il faut bien comprendre ce dont il s’agit.

Le choix de l’incarnation et de la miséricorde

D’abord, c’est la logique même de l’Incarnation. Dieu se donne par et dans l’humanité du Christ. Et le temps de l’Église est celui de la présence du Christ et de l’Esprit médiatisée par des hommes. On peut trouver ça fou, et imprudent. Mais c’est le choix de Dieu que d’avoir voulu communiquer sa grâce, de manière ordinaire, en passant par des hommes, faillibles et pécheurs. Par amour, Dieu a voulu associer les hommes à son dessein de salut, en prenant le risque d’une coopération très imparfaite. Et le trésor des sacrements est ainsi livré aux mains des hommes. C’est un risque, mais c’est un beau risque.

Ensuite, il faut remarquer qu’il y a une asymétrie complète entre le pouvoir de pardonner d’une part, et le pouvoir de refuser l’absolution ou le pouvoir d’excommunier d’autre part. Tous les confesseurs le savent : quelle que soit la gravité du péché, et même si le repentir du pénitent est imparfait, la règle générale est la miséricorde. Le pardon est presque toujours donné. L’absolution accordée est la norme, et le refus d’absolution l’exception. Aucun confesseur ne refuse l’absolution sans la conviction ferme, fondée sur des éléments probants, qu’il n’y a de la part du pénitent aucun repentir réel ni désir de conversion. Et dans le doute, c’est toujours la miséricorde qui prime.

Au service de la vie

Le pouvoir des clés que Jésus a voulu remettre entre les mains de l’Église ressemble donc bien plus aux bras ouverts d’une mère aimante, ou aux bras ouverts de Jésus en Croix, qu’à l’œil sourcilleux d’un douanier ou d’un gendarme. La main du prêtre est faite pour bénir et pour pardonner. Au demeurant, l’Église sait trop, et les prêtres en son sein, que nul ne saurait se considérer le propriétaire d’un tel pouvoir, que nul ne saurait en disposer selon un bon plaisir despotique et arbitraire. Le pouvoir des clés est au service de la vie : il s’agit de communiquer la vie divine autant qu’elle peut l’être, autant que les hommes sont capables de la recevoir.

Un acte de foi

À la vérité, l’expression traditionnelle de « pouvoir des clés » gagnerait à être purifiée. On y sent toute l’influence du droit romain, et de la société médiévale. Bien sûr, le droit a toute sa place dans l’Église : c’est la garantie de la justice. Et il y a un anti-juridisme prétendument évangélique qui n’est qu’une naïveté sans rapport avec l’enseignement de Jésus. C’est une des leçons que les scandales des dernières années au sein de l’Église nous auront apprises : le droit, lorsqu’il est clair et vraiment appliqué, protège le faible et fournit un cadre pour que l’Esprit-Saint puisse se déployer et souffler là où il veut ; l’absence de droit, au contraire, livre le faible à la tyrannie de l’arbitraire, de la subjectivité et de l’affectivité, et favorise toutes les contrefaçons de l’Esprit-Saint par lesquelles Satan fait son œuvre parmi les chrétiens.

Mais lorsque Jésus remet les clés à Pierre, la portée juridique évidente de l’acte ne doit pas faire oublier son contexte et sa symbolique. Jésus ne remet les clés à Pierre qu’après que celui-ci l’a confessé comme « le Christ, le fils du Dieu vivant ». Le pouvoir des clés n’est donné que parce qu’il y a eu un acte de foi, et un acte de foi fondé sur l’amour. La remise des clés est une réponse d’amour à une déclaration d’amour,une réponse de confiance à une confession de foi. La remise des clés, c’est d’abord la reconnaissance d’une intimité inouïe, d’un amour plus fort que tout. 

Le signe d’une intimité profonde

Même les couples de notre postmodernité déboussolée le savent : lorsque Cunégonde choisit de donner un double des clés de son appartement à Gontran, c’est le signe qu’une étape a été franchie dans l’intimité mutuelle, c’est un acte de confiance totale. Certes, Jésus n’est pas un adolescent attardé qui se cherche des étapes intermédiaires avant l’engagement du mariage, mais la symbolique de la remise des clés reste la même : c’est d’abord le signe d’une intimité profonde. Donner les clés de sa maison, c’est toujours un peu donner les clés de son cœur. En donnant à Pierre les clés du royaume des Cieux, en confiant à l’Église l’accès à sa propre demeure éternelle, Jésus manifeste sa confiance et son amour.

Autrement dit, la remise des clés, qui est un pouvoir, est un signe d’amour au service de la vie. En confiant le pouvoir des clés à l’Église, Jésus manifeste que l’Église n’est pas une réalité qui lui est extérieure : elle est le prolongement visible de son action dans le monde ; elle est son Épouse qui partage donc avec lui toute sa vie et toutes ses prérogatives ; elle est un autre Lui-même, ce Christ-total dont parlait saint Augustin.

Les mains de l’Église comme les mains du Christ

Là encore, cela paraît fou ! À ne poser qu’un regard sociologique sur l’Église, on voit mal ce qui pourrait justifier une telle confiance. Mais le Christ et son Esprit travaillent au cœur même de l’Église, de l’intérieur. Les clés du Royaume n’ont pas été remises à l’Église comme une conséquence d’un retrait du Christ et de l’Esprit, comme si le Christ et l’Esprit avaient déserté ce monde et laissé l’Église orpheline. Non, les clés du Royaume sont entre les mains de l’Église comme entre les mains mêmes du Christ et de son Esprit, qui continuent d’agir à travers elle et en elle pour communiquer aux hommes la vie même de Dieu.