ÉVANGILE DE LUC 13, 1-9
LE FUMIER DE JESUS
Des expressions courantes manifestent encore de fausses conceptions de Dieu : il importe de les rectifier.
Ainsi l’enfant emporté par l’envie de faire une chose défendue se fait mal et éclate en cris et en larmes. Réaction des parents : « C’est bien fait : le Bon Dieu t’a puni ». Dieu serait-il un surveillant à la solde des adultes ? Dans les annonces nécrologiques, il n’est pas rare de remarquer une expression traditionnelle : « Il a plu au Seigneur de rappeler à Lui l’âme de Mr X…. ». Dieu tirerait-il les fils des marionnettes pour les rappeler une à une quand bon lui semble? Ou encore à l’arrêt du bus, nous trépignons d’impatience. « Quand est-ce que ce bus va enfin arriver ? » râle quelqu’un. Une dame voilée soupire : « Inch’Allah. Quand Dieu le veut ». Dieu serait-il le grand ordonnateur du trafic routier?
Toujours et partout il a été tentant de lier Dieu avec le mal pour essayer de trouver des explications à nos malheurs. Et il en allait déjà de même jadis en Israël.
QUI EST COUPABLE ?
Deux faits-divers tragiques survenus récemment faisaient l’objet de toutes les conversations : un groupe de résistants galiléens avait été surpris et exécuté par les Romains au moment même où ils offraient un sacrifice à Dieu. Et à Jérusalem, une tour en voie de construction s’était écroulée faisant 18 victimes.
Le peuple discutait ferme : Pourquoi Dieu permet-il de tels malheurs ? N’a-t-il pas voulu châtier ces hommes dont il n’approuvait pas les projets ? Ils étaient coupables et Dieu les a punis. Ce genre de réflexion énerve Jésus et il rejette ces explications grossières :
Pensez-vous que ces Galiléens étaient plus pécheurs que les autres ? Que ces ouvriers étaient plus coupables que les autres habitants de Jérusalem ? Non je vous le dis ! Et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière.
Jésus disculpe son Père, il refuse qu’on le voie en juge impitoyable. Il est faux de croire qu’un accident est une punition. Ce qui signifie d’ailleurs, à l’inverse, qu’il est tout aussi erroné de confondre bonheur et bénédiction divine.
Donc, dit Jésus, plutôt que de chercher des explications dans la culpabilité des autres et dans la colère de Dieu, demandez-vous d’abord comment vous-mêmes vous êtes en train de vivre. Et hâtez-vous de répondre puisque vous ignorez le terme de votre itinéraire terrestre.
Jésus nous apprend ainsi à avoir une lecture chrétienne de l’actualité: comme l’Evangile, les médias peuvent nous provoquer à avoir la réaction essentielle : accidents, catastrophes, morts subites nous pressent à nous interroger sur notre propre conversion.
LA CONVERSION
Aujourd’hui ce mot désigne l’entrée d’un incroyant dans la foi ou bien le passage d’une religion à l’autre. Mais, dans la bible, « conversion » traduit le mot grec « meta-noïa » qui signifie : se rendre compte que l’on s’est trompé et se retourner, rompre avec une certaine manière de voir, adopter le comportement que Dieu demande, corriger radicalement ses idées et sa conduite.
En quoi donc consiste cette conversion exigée de tous et à entreprendre d’urgence ? La lecture des pages précédentes de Luc nous en indique les actes essentiels. J’en retiens quelques-uns.
L’AMOUR – La célèbre parabole du bon Samaritain a tout centré sur le double amour : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ». Au point que le prêtre en route vers le temple doit s’arrêter et se faire proche de l’homme souffrant.
LA PRIERE – Ton amour de Dieu se ressourcera toujours dans la rencontre avec Dieu, dans les moments de solitude et de silence où tu te mets en prière. En toute confiance, comme un enfant, tourne-toi vers Celui que Jésus t’a permis d’appeler « Père ».
ECOUTER L’EVANGILE Comme Marie de Béthanie, approche-toi de Jésus et écoute-le ; nourris-toi de son Evangile. C’est « la meilleure part ». L’amour de Jésus te rendra heureux : « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l’observent ». Alors ton cœur sera illuminé par sa Lumière : tu éclaireras ainsi ceux qui errent dans la nuit.
DANGER MORTEL DE L’ARGENT- Un très grave avertissement résonne comme un leitmotiv dans tout l’évangile de Luc : « Attention ! Gardez-vous de toute avidité. La vie d’un homme n’est pas garantie par ses biens ». N’oublie pas la parabole de ce riche qui élaborait mille projets de croissance et de jouissance pour l’avenir et qui, cette nuit-là même, est mort.
PAS SE NOYER DANS LES SOUCIS – De la même façon, ne te torture pas dans des inquiétudes obsessionnelles, cesse de te ronger au sujet de la nourriture, la mode, la voiture, le confort… « Cherchez plutôt le Royaume : cela vous sera donné par surcroît ».
EN ETAT D’EVEIL – Et enfin restez vigilants : « Soyez comme des serviteurs qui attendent leur Maître et qui accomplissent sans faiblir la tâche qu’il a confiée à chacun. Son heure est inconnue de tous mais son retour est certain : le Fils de l’homme viendra juger ». Cet état d’éveil te permet d’apprécier toute chose à sa juste valeur ; tu assumes ton existence comme une vocation ; et, sans angoisse, tu restes disponible pour accueillir Celui qui vient te sauver.
LA PARABOLE DU FIGUIER
Et Jésus conclut son enseignement par une parabole qui peut éclairer tout notre carême.
Un homme dit à son vigneron : « Voilà 3 ans que le figuier ne donne pas de fruit : il faut le couper ». Mais le vigneron répond : « Seigneur, laisse-le encore cette année : je vais bêcher tout autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir … Sinon alors tu le couperas ».
Comme les prophètes avaient comparé Israël à la vigne de Dieu (Isaïe 5…), les rabbins ajoutèrent que le temple de Jérusalem était semblable au figuier qui se dressait au milieu de la vigne. Jésus ferait donc ici allusion à cet édifice grandiose fait de marbre et de cèdre où des prélats en grand apparat présidaient d’impeccables liturgies.
A la suite des anciens prophètes, comme Amos et Isaïe, Jésus dénonce l’hypocrisie de tout ce décorum. On se vante de chanter la Gloire de Dieu mais le culte ne produit pas une société juste et droite. Car la vérité de la liturgie ne consiste pas dans la majesté des édifices et le faste des cérémonies mais dans ses fruits : le culte doit équiper les acteurs d’une société telle que Dieu la veut. Chanter la foi dans le Père doit susciter plus d’amour pour le frère. Sinon le rite est une parenthèse pieuse dans la vie ordinaire. Les modernes avec raison dénoncent l’aliénation religieuse.
Jésus – à qui son Père a confié la vigne – ne se résigne pas à cette stérilité qui voue à la mort. Il aime la Maison de son Père, il est attristé et révolté par l’incurie des grands prêtres qui n’accomplissent pas leur mission. Aussi il demande un sursis, il décide de prolonger et d’accentuer sa tâche. Inlassablement il se propose de tout faire pour qu’enfin le temple-figuier donne les fruits de fraternité et de paix.
Laisse-le encore cette année : je vais bêcher tout autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir … Sinon alors tu le couperas ».
Si le temple défaille, si l’Eglise ne produit pas le fruit exigé par Dieu, Jésus va travailler en profondeur, aérer les racines pour que les croyants approfondissent leur foi et y « déposer du fumier » pour accroître la fertilité.
Ainsi les épreuves, les secousses, les embarras qui nous surprennent, nous dérangent, nous empoisonnent la vie, et que nous appelons vulgairement « les emm… » sont sans doute ce « fumier » nécessaire pour que nous puisions davantage de forces dans le terreau de la foi afin de donner des fruits de charité.
Pathétique finale : « Peut-être donnera-t-il du fruit… ? ».
Nous restons libres, nous pouvons résister à ce travail de la grâce. Mais la merveille est que le Seigneur espère toujours en nous. Il n’y a pas pour lui de situation désespérée, de blocage définitif. Demain, à travers les événements scandaleux et douloureux qui la tordent, « peut-être » l’Eglise va-t-elle connaitre une purification majeure.
Il est capital de remarquer que Jésus ne lance pas l’anathème contre les païens ni ne fulmine contre les grands pécheurs (prostituées, voleurs…) mais vise directement l’édifice sacré, ceux qui y président, ceux et celles qui le fréquentent. La vérité du culte est beaucoup plus en lien avec le sort du monde que nous ne l’imaginons. C’est l’Eglise qui, en priorité, est appelée à la conversion.
Frère Raphaël Devillers, dominicain