3ème dimanche de Pâques – Année C – 1er mai 2022 – Évangile de Jean 21

Évangile de Jean 21

« Simon, m’aimes-tu ?
– Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime »

La grande confession de foi de Thomas et la conclusion qui la suivait signaient pour Jean la fin de son évangile. Par la suite ses disciples ont ajouté un ultime chapitre pour éclairer les problèmes de l’Église primitive : sa lecture aujourd’hui nous révèle un petit chef-d’œuvre qui, sous des apparences très simples, cache une grande richesse théologique.

Changer de méthode

Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord du lac de Tibériade. Il y avait là Simon-Pierre, Thomas, Nathanaël de Cana, les fils de Zébédée et deux autres disciples. Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche ». Ils lui répondent : « Nous allons avec toi ». Ils partirent, montèrent dans la barque mais ils passèrent la nuit sans rien prendre.

Les apôtres n’ont à pas à dépendre seulement de leurs communautés. Comme Paul exerçait encore son métier de tisseur de tentes, Pierre et les 6 autres reprennent le travail au lac de Galilée. Le soir, on met à l’eau la grande barque portant un fanal de lumière pour attirer les poissons et on effectue de grands cercles en tirant le long et pesant filet, appelé senne. Hélas à chaque tour, c’est la déception : rien. Au loin sur les hauteurs du Golan, les premières lueurs de l’aube apparaissent : recrus de fatigue et découragés, les hommes s’apprêtent à rentrer bredouilles.

Tout à coup, de là-bas au loin sur le rivage, une voix leur parvient : dans la brume du matin, une petite silhouette.

Au lever du jour, Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Il les appelle : « Les enfants, auriez-vous un peu de poisson ? – Non – Jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez ». Ils jetèrent le filet et cette fois ils n’arrivaient pas à le ramener, tellement il y avait de poisson ».

Quelle belle disponibilité chez les disciples : un inconnu les hèle et ils avouent leur échec. Il leur conseille de changer leur méthode – eux qui sont des hommes du métier – et ils acceptent. Après tout ils auraient pu faire la sourde oreille, ne pas reprendre un labeur qu’ils avaient décidé d’arrêter. La foi ne commence-t-elle pas en écoutant l’appel d’un pauvre, en reprenant les outils qu’on vient d’abandonner, en entrant dans un chemin que l’on n’a jamais pris, en surmontant sa lassitude ?

Il est probable que les pêcheurs effectuaient leurs rondes dans le sens opposé aux aiguilles d’une montre, en tirant leur filet dans le centre. Le jeter à droite signifiait qu’il fallait donc changer de tactique, chercher vers l’extérieur. Et voilà l’explication du symbole : depuis leur conversion, les apôtres annoncent l’évangile à leurs compatriotes, aux voisins et aux gens qu’ils connaissent le mieux. Mais les fils d’Israël, surtout ceux de tendance pharisienne, demeurent en grande partie incrédules à l’annonce d’un messie condamné par leurs grands prêtres et soi-disant ressuscité. C’est maintenant à Thomas de buter sur ses « jumeaux » : « Je ne croirai pas si je ne voie pas ». En invitant les pêcheurs à jeter le filet à droite, l’inconnu les pousse à se tourner vers l’extérieur, vers les païens comme Paul l’avait déjà fait. Et comme lui, ils vont être ébahis de rencontrer des personnes qu’ils jugeaient engluées dans le péché et qui vont s’ouvrir à la Bonne Nouvelle.

La mission fructueuse et le Repas du Seigneur

Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! »…Du coup Pierre passa un vêtement car il n’avait rien sur lui et se jeta à l’eau. Les autres arrivent en barque, tirant le filet plein de poissons (la terre n’était qu’à une centaine de mètres).

En débarquant sur le rivage, ils voient un feu de braises avec du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : « Apportez de ce poisson que vous venez de prendre ». Simon-Pierre monta dans la barque et amena à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait 153 ! Et malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré. Jésus dit : « Venez déjeuner ». Aucun n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » : ils savaient que c’était le Seigneur. Jésus s’approche, prend le pain et le leur donne, ainsi que le poisson.

C’est la 3ème fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

Comme toujours dans l’évangile, Jean est « le disciple aimé » et il sert d’intermédiaire entre Jésus et Pierre. Celui-ci est dit nu pour signifier sa honte d’avoir péché et on le reconnaît à nouveau à sa fougue habituelle : c’est lui qui mène l’opération. Les zoologistes de l’antiquité avaient dénombré 153 sortes de poissons. Ce chiffre signifie donc que, en obéissant à l’ordre du Seigneur, les apôtres seront vraiment « des pêcheurs d’hommes » de toutes les nations et ils les rassembleront dans une Église universelle aux couleurs variées mais qui ne doit pas se déchirer.

Et comment se forgera et se maintiendra cette communauté ? Parce que tous les membres seront invités à partager « le repas du Seigneur », pain rompu dont chacun reçoit un fragment. Et si le vin ici n’est pas mentionné, on sait que très vite le poisson est devenu le symbole du Seigneur puisque son nom grec ( ichthus) rassemble les initiales de « Jésus – Christ – de Dieu – le Fils – Sauveur ».

Nul repas n’est plus frugal mais nul n’est aussi riche puisqu’il offre la communion au Pain de la Vie éternelle, la communion au Seigneur, la communion avec tous les disciples du monde. C’est ainsi, et non dans les luxueux banquets diplomatiques, que se construit la paix universelle que tous les participants ont mission de répandre.

La Mission de Simon-Pierre

Pierre n’a pas pu ne pas être frappé immédiatement en découvrant ce brasero : n’est-ce pas devant un même feu de braises allumé dans la cour du palais du grand prêtre qu’il tentait de se réchauffer tout en regardant son maître ligoté, soumis à l’interrogatoire et giflé par un garde. A la lueur de ce feu, certains avaient cru reconnaître le disciple de Jésus mais, à trois reprises, avec véhémence, Pierre avait nié avoir jamais connu cet homme. Et le coq avait chanté. Et le pauvre Simon n’avait jamais été transis de froid à ce point. Souvenir atroce qui le torturait depuis ce jour : « Je suis un traître » (Jn 18, 17-28)

Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? – Oui, Seigneur, je t’aime, tu le sais – Sois le berger de mes agneaux ». Une deuxième fois : « Simon, m’aimes-tu ? – Oui, Seigneur, je t’aime, tu le sais – Sois le pasteur de mes brebis ».

Troisième fois : « Simon, est-ce que tu m’aimes ? ». Pierre fut peiné et il répondit : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime – Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais. Quand tu seras vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui te mettra ta ceinture pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ».

Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Puis il lui dit encore : « Suis-moi ».

Quelle scène émouvante, magnifique ! Quelle manière délicate d’offrir la miséricorde ! La triple demande reconnaît évidemment le lourd péché de Pierre, lui fait entendre qu’il croyait aimer Jésus plus que les autres et que c’est pour cela qu’il avait été élu à leur tête. Maintenant il ne se compare plus, il ne prétend plus « aimer plus que ». Et sans l’accabler de reproches pour sa lâcheté, le Seigneur le presse de répéter ce qui, au fond, restait vrai : Oui il aimait Jésus…mais la peur devant la menace de mort l’a fait basculer dans le mensonge. Ici sur le rivage, le feu de l’amour de Jésus fait brûler le coeur de Pierre d’une flamme inextinguible.

Oui, dit le Seigneur, je sais que tu m’aimes, je te pardonne, comme à tous les autres, et je te confie mes brebis. Mais n’oublie jamais : ce sont les miennes. Que ton expérience inspire ton comportement à l’égard des autres : comprends leurs faiblesses et, à mon exemple, reconduis-les sur le chemin de l’amour. Et plus tard tu prendras toi aussi le chemin de la mort.

Au moment où ce chapitre est écrit, Pierre, déjà âgé, est demeuré fidèle et est mort du martyre à Rome. Déjà, lors de la soirée d’adieu, à la veille de la croix, Jésus lui avait annoncé qu’il était incapable alors de le suivre et même qu’il le renierait trois fois mais qu’il le suivrait plus tard.(13, 36)

L’Évangile de Jean demeure

La liturgie ne rapporte pas la fin de l’évangile. Le disciple anonyme qui est dit « bien aimé », c’est Jean. Si Pierre a disparu, d’autres lui succèderont tout au long de l’histoire pour guider le troupeau. Mais Jean, lui, vit encore : la tradition dit en effet qu’il est mort très âgé. Mais Jésus, en disant « je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne » parlait évidemment non de sa personne mais de son œuvre qui éclairera l’Église pour toujours.

Conclusion

On comprend pourquoi ce chapitre a été ajouté : afin d’éclairer les gros problèmes qui se posaient à l’Église primitive et que nous avons encore aujourd’hui. Comment faire la mission à de nouveaux auditoires ? Comment garder tous les disciples dans l’unité ? Comment surmonter le scandale des responsables pécheurs ? Comment peut-on dire que l’on aime Jésus même si on l’a trahi ? Comment la miséricorde permet-elle la guidance de l’Église ? Comment célébrer avec simplicité le repas du Seigneur ? Comment le feu de la lâcheté peut devenir le feu d’un nouvel amour ? Si les dirigeants changent, au coeur de l’Église l’évangile de Jean « demeure », Parole de Vie qui donne l’Esprit. Que de méditations à faire cette semaine !

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Des Croyants qui changent leur Vie

Mgr Georges Pontier est l’ancien président la Conférence des évêques de France : il vient d’achever son mandat d’administrateur apostolique de Paris suite à la démission de Mgr Aupetit.
Extraits de son interview dans le journal « La Croix » du 15 04 2022.


  • L’avenir de l’Église passe-t-il par de grandes métropoles ?

… Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de croyants qui changent leur vie à cause de leur foi…Que nous réserve l’Esprit-Saint pour l’évangélisation d’un monde en mutation ?…Nul ne le sait. Je ne suis pas pessimiste mais interrogatif. Il y a plein de choses que je n’aurais pas imaginées.

  • Le vendredi saint, personne n’imaginait le matin de Pâques.

Oui, c’est pour cela que ce qui est au coeur de notre foi, ce n’est pas l’énergie venue de la foule qui entourait Jésus le jour des Rameaux mais l’énergie venue de l’amour de Dieu pour l’humanité. C’est Jésus et ce projet de Dieu qui sont à la source de tout. Il vient apporter une force nouvelle.

Le vendredi saint, il y avait une personne, Jésus de Nazareth, dans une situation où tout était signe de mort ou d’échec. Son action par petits gestes, était lisible pour Marie sa mère, quelques femmes, Jean le disciple, qui pouvaient voir la manière dont il insufflait de l’amour alors qu’il aurait pu vouloir se venger, dire du mal…Par exemple la manière dont il dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font… »

Quand on voit l’énergie, la puissance de fidélité qui émane de lui, on se dit : « Voilà notre Dieu et il ne nous abandonnera pas ». Dans le vendredi saint il y avait déjà en germe la puissance de la Résurrection, et ce germe c’était lui, Jésus, et la manière dont il traversait ce drame…

Il y a des moments où à vue humaine on ne le perçoit plus. Comme sûrement en Ukraine aujourd’hui, les gens prient car c’est un peuple croyant. Et ce qui les soutient, c’est cette foi alors que tout est animé par la peur et par la mort.

  • Comment garder l’espérance dans l’humanité face aux atrocités commises là-bas ?

Nous assistons à un nombre incalculable de petite solidarités à l’œuvre, une puissance intérieure qui va finir par triompher. Parce qu’il y a des hommes et des femmes solidaires qui risquent leur vie.

  • Comment avez-vous conçu votre mission à Paris pour apaiser, retisser du lien après le départ de Mgr Aupetit ?

Quand on traverse une épreuve forte, si on continue à se regarder soi-même, on ne peut être que démoli. Donc il faut regarder vers le Christ et vers les plus pauvres. On est sûr de ne jamais se tromper quand on sert les pauvres. C’est ensemble, en se retournant vers le Seigneur, en évitant de se juger, de se diviser, de se prendre pour quelqu’un qui sait tout expliquer, que l’on peut avancer.

Nous sommes fragiles mais nous sommes forts si nous résistons à la tentation de donner des leçons. Ce n’est pas parce que l’autre ne voit pas les choses tout à fait comme moi qu’il est « idiot » ou « moins chrétien ». S’écouter, ne pas rester qu’entre semblables qui remuent leur soupe en rajoutant du vinaigre dans le plat qu’ils vont servir à tout le monde, se retourner vers le service des pauvres et vers la Parole de Dieu, c’est ce que nous avons fait avec les prêtres. (…)

« En lisant le journal »

(K.Barth, supra)

L’humanité vient d’épuiser toutes les ressources que la terre produit en cette année 2022. Et tous les savants continuent à lancer de dramatiques appels au changement pour enrayer le réchauffement climatique qui risque de détruire la planète. La faute en revient évidemment au petit pourcentage d’hommes – les Occidentaux – qui ont la possibilité de mener un train de vie intolérable pour la grosse majorité des autres et ce qui, en outre, provoque chez eux des catastrophes naturelles.

« 15 millions de personnes sont gravement touchées par la famine » au Kénya, Ethiopie et Somalie (rapport ONU). La situation ne cesse d’empirer dans un froid silence international. Il s’agirait de la pire sécheresse depuis 1981. Au Kenya, 1, 4 million de têtes de bétail sont mortes à cause de la sécheresse. Tout est réuni pour que cette situation perdure et s’aggrave au fil des années d’autant que l’invasion de l’Ukraine affecte les prix de certaines denrées alimentaires. Le Comité international de la Croix-Rouge a estimé à 346 millions le nombre d’Africains qui souffrent d’une faim alarmante – soit une personne sur 4 (Journal La Croix 19 4 22).

En Belgique, un des pays les plus riches du monde, les organisations d’aide sociale sont submergées par les appels et ne parviennent plus à répondre à tous. Des mamans, sans doute par centaines, disent qu’elles se privent de nourriture les derniers jours du mois afin de pouvoir nourrir leurs petits.

Le conseil d’administration de Stellantis (fusion de PSA et Fiat) a décidé d’accorder une rémunération de 19 millions d’euros à son CEO. Une polémique s’est quand même ouverte en France et M. Macron a estimé cela  « choquant et excessif ». — Idem en Belgique : 8, 2 millions d’euros au CEO d’AB InBev – 6, 25 millions d’euros au CEO d’UCB – 4, 37 millions au CEO de Solvay – etc….(« La Libre Belgique » 19 04 2022)

Ci-dessus Mgr Pottier dit : … « Ce dont nous avons le plus besoin, c’est de croyants qui changent leur vie à cause de leur foi… ». Aller à l’église oblige à réguler ses achats, à lutter contre le gaspillage, à revoir ses investissements dans une autre optique que le profit maximum et carnivore, à résister au matraquage publicitaire, à payer honnêtement ses impôts, à lutter contre la fraude fiscale…

Le Ressuscité est « au centre de tout » – pas seulement de nos rites mais de nos activités les plus profanes.

2ème dimanche de Pâques – Année C – 24 avril 2022 – Évangile de Jean 20, 19 – 31

Évangile de Jean 20, 19 – 31

Heureux ceux qui croient sans avoir vu

Il est sans doute très dommageable que l’Église ait allongé le jeûne initial du vendredi-saint en un long carême voué à 40 jours d’ascèse préparatoire – ce dont les Évangiles ne parlaient pas. Au contraire Luc et les Actes insistent fortement sur la cinquantaine postpascale où il s’agit moins d’accomplir des actes pour Dieu que de recevoir son Esprit qui, seul, a la force de nous accomplir en Dieu. Plus qu’un faire pour Dieu, la foi est un laisse faire.

La Cinquantaine après Pâques

Ainsi les apôtres ont eu beau multiplier les affirmations de leur fidélité à leur maître, devant la croix ils ont tous craqué et l’ont lâchement abandonné. Après la fête de la Pâque qui tombait en ce sabbat où leur foi était anéantie, tout à coup, le lendemain, le 3ème jour, Marie-Madeleine rapporte l’incroyable nouvelle : la pierre a roulé, la tombe est vide. Pierre et Jean confirment le fait. Le soir venu, le groupe s’est enfermé, toute porte cadenassée, crispé sur sa stupeur, étreint d’angoisse. Qua va-t-il se passer ? Après le maître, les autorités ne vont-elles pas tout tenter pour retrouver et arrêter ses disciples ? Ou si le Seigneur vit comme on l’assure, ne va-t-il pas surgir afin de châtier et condamner ceux qui l’ont renié ?

C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils se trouvaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix avec vous ». Il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.

Il ne s’agit donc pas d’une hallucination, d’une fabulation inventée par le groupe pour compenser sa désillusion. « Jésus vient et il est au milieu » : c’est bien lui, ils le reconnaissent. Mais son état est tout autre, libéré des contraintes spatio-temporelles. Il n’éclate pas en reproches, ne déchaîne pas sa colère, n’exige pas des prosternements et des demandes de pardon.

« Shalom » : le Ressuscité chasse les peurs et donne sa paix. Et tout de suite il indique la source de cette paix : « il leur montre ses plaies et son côté ». Les hommes m’ont livré à un supplice épouvantable mais c’est ainsi que je me suis livré par amour pour vous, pour vous pardonner vos péchés, vous combler de ma miséricorde.

D’un coup, les affres des peurs et des angoisses des disciples se dissipent . Les plaies deviennent source de vie et d’une joie toute nouvelle qui plus jamais ne les quittera ainsi qu’il leur avait promis lors de son discours d’adieu: « Maintenant vous êtes dans l’affliction, mais je vous verrai à nouveau, votre coeur alors se réjouira et cette joie, nul ne vous la ravira » (Jean 16, 22)

La Recréation par l’Esprit

Jésus leur dit de nouveau : « Paix à vous. De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : «  Recevez l’Esprit-Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ».

La venue de Jésus sur terre n’était pas une simple manifestation mais une tâche, une mission reçue du Père : loin d’être achevée par la croix, cette mission va se poursuivre par les disciples et s’étendre dans le monde entier jusqu’à la fin des temps. Elle consiste à transmettre le Souffle, le Dynamisme, l’Amour du Père qui a animé le Fils.

L’Église est donc missionnaire par nature et elle ne peut l’être qu’à la façon du Fils, non en étalant sa splendeur, non en s’imposant de force mais en proposant d’enlever le péché, l’obstacle qui sépare l’homme de Dieu, et en lui offrant l’Esprit qui le restitue enfant du Père. Cette mission évidemment s’effectue dans la liberté, elle se propose, elle persiste avec une infinie patience, ne s’étonne pas des réticences, des doutes, des colères. Rejetée pendant un temps, elle revient avec douceur ; elle ne condamne jamais ; elle fait comprendre la tristesse du plus grand malheur : être séparé de Dieu. Elle est contagieuse dans la mesure où elle se manifeste dans la joie des disciples. Le sérieux de la foi ne transparaît pas dans des cérémonies ennuyeuses ni sur la morosité des visages fermés. Ne refermons pas les cadenas que le Ressuscité a fait sauter.

L’incroyance de Thomas

L’un des Douze, Thomas (dont le nom signifie « jumeau ») n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres lui disent : » Nous avons vu le Seigneur ! ». Mais il répliqua : «  Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ».

Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient alors que les portes étaient verrouillées et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ». Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt et vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté ; cesse d’être incrédule, sois croyant ». Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu ».

L’épisode de Thomas a pour but de corriger la multitude indéfinie de ses « jumeaux » qui continuent à affirmer : « Je ne croirai pas si je ne vois pas ! ». D’abord il souligne l’énorme difficulté de faire accepter le message de la Résurrection. Tous les apôtres ont beau asséner leur certitude et manifester leur joie nouvelle : rien n’y fait, Thomas reste inébranlable. Ne nous étonnons donc pas de nos échecs dans la transmission mais toutefois ne cessons pas d’essayer et d’affirmer notre foi.

Ensuite le fait qu’il faille attendre 8 jours pour retrouver le groupe au complet montre qu’à l’époque de Jean, les chrétiens ont adopté le nouveau rythme de la semaine. Le 3ème jour après la crucifixion, le lendemain du sabbat, jour où Jésus est apparu vivant, est devenu le pivot de la vie de l’Église. C’est le Jour du Seigneur, domenica dies en latin, dimanche en français : jour de la réunion de la communauté, jour de l’Église qui n’exige pas de voir mais reconnaît son Seigneur dans le partage du Pain eucharistique.

Il est remarquable que le Ressuscité ne condamne pas vertement son disciple incrédule, comme s’il comprenait sa résistance. Et contrairement à la peinture hyperréaliste du Caravage, il n’est pas dit que Thomas obéisse à l’invitation de Jésus et touche les plaies. Bien plutôt il proclame la plus haute des confessions de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu » : ainsi il couronne toute la recherche de l’évangile qui s’interroge sur la personnalité de Jésus et il fait écho au Prologue : « Au commencement était le Logos, et le Logos était Dieu…Tout fut par lui…en lui était la vie et la vie était la lumière des hommes… ».

Et tout le récit se termine sur une béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu ». Après des siècles, les croyants ont une foi de même valeur que les apôtres. Alors comment recevoir ce bonheur ?: en lisant et relisant l’évangile. C’est ce que Jean proclame dans la conclusion de son livre.

La conclusion finale de l’Évangile de Jean

Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là y ont été mis pour que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que par votre foi vous ayez la Vie en son nom. »

A la différence des autres évangiles, Jean n’emploie jamais les mots miracles ou actes de puissance. Jésus a fait des « signes » c.à.d. que le lecteur ne doit pas s’arrêter au côté spectaculaire qui l’arrête dans l’admiration stérile ou le perd dans le dédale des doutes mais il doit s’interroger sur la personnalité de l’auteur de ces actions.

Jean n’a pas écrit une biographie complète : il a opéré un choix de 7 signes qui conduisent à la réflexion et peuvent faire naître la foi. Tel est le but : le récit ne s’impose pas, il porte « une signification » qui oriente la décision. Celle-ci est essentielle puisque par la foi, le lecteur aura la vraie Vie au nom de Jésus vivant reconnu comme Messie, Fils de Dieu.

Il y a certes à la suite un chapitre 21 mais il a été ajouté par des disciples.

Le Dimanche de la Miséricorde

Le pape François a instauré ce 2ème dimanche après Pâques comme « Dimanche de la Miséricorde ». En effet

le Ressuscité apparaît immédiatement non comme le juge implacable de ses apôtres lâches et infidèles mais il leur montre ses plaies comme le signe authentique de son pardon. Ma croix est votre pardon : croyez-le et vous serez comblés de ma Paix, libérés de la prison de vos scrupules et de votre honte. Alors cette paix vous remplira de la joie pascale et vous deviendrez une communauté missionnaire.

A tout homme, vous offrirez cette paix et cette joie. Vous ne condamnerez plus vos confrères incrédules, vous aurez à leur égard la patience que le Seigneur a eue pour vous. En approfondissant les signes écrits dans l’évangile, vous deviendrez serviteurs à l’image du Seigneur : la miséricorde vous rapprochera des petits, des pauvres, des malades.

Votre joie dans le service de la miséricorde témoignera de la vérité de la croix libératrice et de la révélation de la Résurrection.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Pape François : La Joie de l’Évangile

§ 49

Sortons, sortons pour offrir à tous la vie de Jésus-Christ.

Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités.

Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures.

Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie.

Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37).

Pâques : Dimanche des Résurrection – Année C – 17 avril 2022

Pâques : Fête de la libération

Ce soir du samedi 16 avril, dans le monde entier, des millions de familles juives se réunissent dans la joie pour fêter le repas du seder et commémorer le premier des 8 jours de la fête de la Pâque. Dans un ordre bien précis, les vins et les aliments vont se succéder, chacun portant un sens symbolique et l’essentiel indispensable sera de raconter l’histoire de la Pâque. Les enfants poseront des questions et les adultes pourront ainsi opérer la transmission selon l’ordre biblique : « En ce jour-là, tu expliqueras à ton fils en disant : c’est à cause de ce que m’a fait l’Éternel quand je sortais d’Égypte » (Ex 13, 8).

En effet la libération de l’esclavage ne demeure pas un événement figé dans un passé révolu : chaque fils d’Israël doit se considérer comme sorti de l’esclavage. L’Exode est un événement éternellement présent. L’homme né esclave est libéré par l’amour de son Seigneur. La puissance de cet amour a permis à Israël de survivre à toutes les tentatives de destruction dont la pire est signifiée par Auschwitz.

La Pâque est libération de l’homme

Les pasteurs descendus en Égypte pour y trouver des pâtures avaient été réduits par Pharaon aux travaux forcés. Sans issue. Or un jour un certain Moïse répandit chez ses frères la surprenante nouvelle : les dieux d’Égypte n’étaient rien mais le Dieu unique avait promis de les faire sortir sans combat la première nuit de printemps. Chaque famille immolerait et consommerait un jeune agneau et on ne mangerait que des pains azymes, en hâte et en tenue de route. Une tradition rapporte que beaucoup refusèrent l’aventure. Seuls 25 % des gens crurent en cette opération risquée mais des membres d’autres peuplades acceptèrent de se joindre à eux. Au signal, on se mit en route et en effet, grâce à la protection de Dieu, on sortit de la terre d’esclavage. Le seul qui avait versé son sang, c’était le jeune agneau innocent

Dans le désert, Dieu leur donna rendez-vous au mont Sinaï et fit alliance avec ce peuple : par l’entremise de Moïse Il leur transmit les 10 Paroles, charte fondamentale. Les Hébreux devenaient le peuple élu non au sens de groupe privilégié et mis à part comme meilleur mais comme choisi pour vivre et transmettre à toutes les nations la façon de vivre telle que Dieu l’avait précisée. La grâce devenait mission.

Pendant 40 ans, dit-on, le peuple erra dans le désert. Ils y découvrirent une nourriture mystérieuse qui les surprit : « Man hû ? Qu’est-ce que c’est ?) et ils l’appelèrent la manne. Enfin ils parvinrent à l’orée de la terre que Dieu avait promise de leur donner : la mort empêcha Moïse d’y entrer et ils la conquirent sous la conduite de Josué (en hébreu Iéhoshuah …qui est le même nom que Ieshouah = Jésus !!).

L’Alliance proclamée mais non vécue

L’histoire d’Israël commençait. Elle allait être chaotique. Coincé entre les grand empires d’Égypte et de Mésopotamie, objet de leurs ambitions conquérantes, dirigé trop souvent par de mauvais rois plus soucieux de leur prestige que de vouloir guider un peuple soumis à la Loi de Dieu, Israël fut battu et occupé par les Babyloniens puis les Perses puis les Grecs puis les Romains. La prestigieuse civilisation païenne gréco-romaine s’imposait alors dans le monde entier comme l’idéal de la société.

Séduits par tous les attraits « modernes », emportés par les flux commerciaux et financiers, bien des fils d’Israël avaient réduit la religion de leurs ancêtres à la pratique de quelques rites. Mais le petit peuple pauvre subsistait, fidèle à observer le sabbat, à fréquenter la synagogue, à célébrer la Pâque et les autres fêtes.

Jésus l’Agneau de la dernière Pâque

Parmi eux, dans le petit village galiléen de Nazareth, un couple Joseph et Marie et leur aîné Jésus. La seule anecdote que Luc raconte de son adolescence, c’est la scène typique avec les docteurs du temple. Jésus les écoute avec passion même sans tout comprendre. Parfois un maître interroge ce jeune à l’air si curieux et est stupéfait de ses réponses. L’Écriture, pour Jésus, c’est son monde, c’est ainsi qu’il est « chez son Père ». Il est le Fils : l’histoire de son peuple n’est pas seulement à connaître mais à faire : elle n’est pas étude, érudition mais projet moteur de Dieu. Il faut en être acteur, guide, messie.

Un jour l’appel de Dieu l’atteint par la bouche de Jean-Baptiste : « L’heure a sonné ». Il commença à annoncer la venue du Royaume et à opérer quelques guérisons mais sans guère de résultat. Il s’en prit aux autorités du temple qui décidèrent sa perte. Conscient, refusant la fuite ou le silence, il fut livré à la mort. Mais en fait il se livrait à l’amour de son Père et à la miséricorde pour tous les hommes. Son Père lui fit « passer » la mort et le ressuscita : c’était Pâque.

La Pâque ultime. La mort, obstacle ultime, pouvait être traversée. Du cœur ouvert jaillit l’Esprit qui libéra l’humanité de l’esclavage du péché. Un peuple nouveau se leva, chantant sa libération et invitant tous les autres à le rejoindre : « Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ».

Difficultés de la foi

La Résurrection n’écarte pas toutes les questions. Quand le Ressuscité rejoint les disciples sur la montagne de Galilée, ils se prosternèrent mais quelques-uns eurent des doutes » (Matt 28,17).

Les affirmations les plus fortes des témoins peuvent se heurter au scepticisme absolu : « Les disciples dirent à Thomas : « Nous avons vu le Seigneur » mais l’homme se braque : « Si je ne vois pas….je ne croirai pas » (Jean 20, 25).

La Résurrection de Jésus n’est pas une foi privée : elle provoque la communion concrète des croyants. « Pierre proclame : « Que tout Israël le sache avec certitude : Dieu a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié ». Bouleversés, les gens demandent : « Que devons-nous faire ? ». Pierre répondit : « Convertissez-vous : que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Actes 2, 35)

La résurrection de Jésus proclamée et mise en pratique éveille soupçons, moqueries, insultes, hostilité.

La résurrection de Jésus interdit tout racisme, toute brisure en classes : « Baptisés en Christ, il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, Car tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ » (Gal 3, 27)

Pâques n’est pas la fête du printemps

Dans l’ambiance païenne qui imprègne maintenant toute notre société, il est essentiel que les chrétiens voient bien le fossé entre les fêtes. Le monde rythme le temps par le retour cyclique des faits de nature : ainsi Pâques célèbre le retour du printemps, la douceur du temps par l’onctuosité du chocolat, la renaissance de la vie avec poussins, œufs et petits lapins. Mais cette vie est passagère, éphémère, ses couleurs pastels se déliteront en noir de chagrin.

Tandis que la foi nous fait vivre des fêtes liées à l’histoire, à l’histoire des relations de Dieu avec son peuple, et avec chaque croyant. Pâques alors n’est plus sucrerie enfantine mais histoire de la libération de l’homme, découverte d’un Dieu qui ne nous abandonne jamais dans les geôles de la servitude, des addictions, du désespoir et qui nous offre un but au-delà du temps.

Pâques est la grande fête de la Liberté, la grande fête de l’Espérance, la grande fête de la possibilité d’une humanité fraternelle qui, par la miséricorde infinie de son Dieu, peut oser croire en la paix. Certes nos différences demeurent et comme jadis les Hébreux dans le désert, nous sommes en butte à des tentations. Mais la miséricorde du Père rend toujours possible la réconciliation entre ses enfants.

Pour persévérer, une mystérieuse nourriture nous est présentée : « Qu’est-ce que c’est ? » : l’Eucharistie nous permet de poursuivre notre passage et d’accomplir notre mission : faire passer tous les hommes en Dieu.

Église et Israël

La coïncidence des dates cette année nous permet de réfléchir aux relations entre Israël et l’Église d’autant que l’antisémitisme continue ses brimades et ses crimes. Nous pouvons méditer la réflexion de Paul dans les chapitres 9-11 de sa Lettre aux Romains. « Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Certes non ! …Car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables … »

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Le Jour de l’Homme

par Jacques Leclercq

Nous savons désormais que la Croix, la souffrance, ne sont pas des échecs.
Elles sont le plus sûr jalon planté sur notre route,
pour que toute vie d’homme, pour que tout amour,
rebondissent au-delà des tombeaux,
dans cette grande explosion de vie, fervente et généreuse,
gerbe vivante de lumière, d’amour et de joie,
qui ruisselle sur nous dans ce matin de Pâques,
pour faire chanter la terre et célébrer la vie.

Je suis la Résurrection et la vie, dit Jésus,
Qui croit en moi, fût-il mort, vivra.

Et je crois, oui, je crois qu’un jour, Ton Jour, ô mon Dieu,
je m’avancerai vers Toi,
Avec mes pas titubants,
Avec toutes mes larmes dans mes mains,
Et ce cœur merveilleux que tu nous as donné,
Ce coeur trop grand pour nous puisqu’il est fait pour Toi …

Un jour, je viendrai,
Et tu liras sur mon visage
Toute la détresse, tous les combats,
tous les échecs des chemins de la liberté,

Et tu verras tout mon péché.
mais je sais, ô mon Dieu, que ce n’est pas grave le péché,
quand on est devant Toi.
Car c’est devant les hommes que l’on est humilié.
Mais devant Toi, c’est merveilleux d’être si pauvres,
Puisqu’on est tant aimé !

Un jour, ton jour, ô mon Dieu, je viendrai vers Toi,
Et dans. la formidable explosion de ma résurrection,
Je saurai enfin
Que la tendresse, c’est Toi,
Que ma liberté, c’est encore Toi.

Je viendrai vers Toi, ô mon Dieu, et Tu me donneras Ton Visage.
Je viendrai vers Toi avec mon rêve le plus fou :
T’apporter le monde dans mes bras.
Je viendrai vers Toi, et je crierai à pleine voix
Toute la vérité de la vie sur la terre.

Je te crierai mon cri qui vient du fond des âges :

« Père ! J’ai tenté d’être un Homme, et je suis ton enfant… »

(« Le jour de l’homme » – éd. du Seuil – dernière page)

Dimanche des Rameaux – Année C – 10 avril 2022 – Évangile de Luc 10, 28 – 40

Évangile de Luc 10, 28 – 40

La Joyeuse Entrée du Roi

Aujourd’hui Jésus parvient au terme de cette longue montée qu’il a décidée il y a plusieurs semaines à Césarée, tout au nord-est, à la frontière du monde juif avec la civilisation païenne et qu’il a annoncée aux disciples. Il est très conscient : je souffrirai beaucoup, ils me mettront à mort mais mon Père me rendra la vie. Pâle, les traits tirés, mais résolu, il s’est mis en route en prévenant : quiconque veut être mon disciple doit prendre le même chemin. En route il poursuit sa mission : enseigner, guérir quelques malades. Un soir, dans sa prière, son Père lui donne un signe lumineux de la future transfiguration de ce pauvre corps qui va être défiguré. Les disciples ne comprennent toujours pas mais ils le suivent quand même.

Au moment où nous allons commémorer ce drame qui a changé la face du monde, nous restons, avouons-le et n’en soyons pas surpris, perplexes, assaillis de questions. Ne vivons pas des liturgies routinières, osons rompre avec la multitude des tentations mondaines, prenons le temps de réfléchir, de méditer le récit de la Passion de Luc, battons-nous avec les obscurités du texte.

N’oublions pas que notre vie a valeur et est sauvée dans la mesure où nous aurons essayé de vivre cet enseignement car « Celui qui veut être mon disciple … ». Cette histoire n’est pas une lecture mais un itinéraire à prendre.

Pourquoi aller à la mort ? Qui est coupable ? Pas Jésus

Jésus n’est pas monté à Jérusalem pour y souffrir. Il n’est pas suicidaire et est libre de cette « pulsion de mort » que le Dr Freud a décelée en nous. Butant très vite contre la résistance des scribes, des pharisiens et des grands prêtres qui l’épiaient, il a expérimenté la montée de la haine. Il est monté pour dénoncer la fausseté d’un temple dont la splendeur était le fruit des exactions et des crimes d’Hérode. Il avait vu depuis longtemps, à la suite des prophètes Amos et Isaïe, que le culte fastueux avec ses sacrifices rigoureusement célébrés, était stérile. Il déployait son faste mais son spectacle ne changeait pas le mode de vie des participants, il ne convertissait pas les cœurs.

Faussement vrai, il était donc dangereux en donnant des assurances factices. En outre, Jésus, comme tout le monde, savait la vanité, la cupidité de certaines grandes familles sacerdotales. Et il ne supportait plus un temple qui refusait son entrée à des malades sous prétexte qu’ils étaient pécheurs, et qui bannissait « les autres », les païens. Ce n’est pas la nécessité de la souffrance qui a jeté Jésus dans le combat mais la volonté d’accomplir la mission de son Père : faire sauter ce verrou qui l’empêchait de se réaliser dans les temps nouveaux qui s’ouvraient alors.

Pas Dieu

Ce n’est pas Dieu qui a voulu la mort de son fils, lui qui a strictement interdit ce sacrifice à Abraham ainsi que tout sacrifice d’êtres humains. YHWH n’est pas un Moloch implacable qui exige réparation de toute faute à son égard. Son dessein, confié à Jésus, est de faire advenir son Royaume. Et dès le désert, Jésus a rejeté les procédés diaboliques pour choisir ceux de Dieu : pauvreté, douceur, refus de la violence armée. Mais l’obstacle majeur était le système du temple, tel qu’il fonctionnait, et ses responsables. C’est cela qu’il fallait donc dénoncer, ce qui par conséquent ne pouvait entraîner que le durcissement et la haine. Jésus a choisi la mission jusqu’au bout plutôt que la démission. « Qui perd sa vie la gagne ».

Pas les Juifs

Ce n’est pas le peuple de Jérusalem qui est responsable. A l’approche de la Pâque la ville était surchargée par l’arrivée continuelle de dizaines de milliers de pèlerins ravis de retrouver leur ville sainte. Ces gens de Corinthe, d’Alexandrie, de Rome, de Syrie ne connaissaient absolument pas ce Jésus et leurs familles avaient fort à faire pour les accueillir, veiller à l’hospitalité et les nourrir. Combien de personnes ont-elles participé à la Joyeuse Entrée du Galiléen ? Des zélotes qui attendaient le signal de la révolution, des spectateurs emballés par les miracles, des gens manipulés par les grands-prêtres…

Pas « Les Grands Prêtres »

Par convention et habitude, on parle des « grands prêtres ». Mais les récits montrent que le procès n’a pas respecté les normes juridiques et a été expédié en hâte par Caïphe et quelques autres. Les rabbins d’aujourd’hui disent que la sentence n’était absolument pas valable. Et les évangiles racontent que certains prélats, comme Nicodème ou Thomas d’Arimathie, sympathisaient avec Jésus. On ne peut pas dire que « le sanhédrin » a condamné Jésus.

Pas les Romains

Et les Romains ? Dans les années 70-80, lorsque les premiers évangiles paraissent et évoquent les souvenirs, les pharisiens, qui dirigent la foi après la destruction du temple et la disparition du clergé, sont les grands adversaires de leurs compatriotes qui se sont convertis à la foi nouvelle. C’est pourquoi les évangélistes noircissent leur portrait jusqu’à la caricature et ils chargent « les Juifs » de la responsabilité de la mort de Jésus.

D’autre part, comme les nouvelles communautés se répandent partout et se présentent comme les héritières d’un juif très contesté qui a été condamné à la mort ignominieuse de la croix (supplice réservé aux révolutionnaires) par le préfet Pilate, les évangiles insistent fortement sur la pression des prêtres juifs. De même ils insistent fortement sur les réticences de Pilate qui refusait l’exécution de ce Jésus. Car partout les Romains restaient perplexes et méfiants vis-à-vis de cette nouvelle secte qui se présentait comme fondée par un crucifié : ces nouveaux chrétiens n’étaient-ils pas aussi des révolutionnaires ? Il fallait donc insister sur leur obéissance à l’ordre.

La Croix est le passage dans l’amour de la Vie

Tout cela n’explique pas tout mais permet de rejeter des idées et des pratiques qui ont gangrené le message évangélique.

Le christianisme n’est pas une apologie de la souffrance. Les récits de la Passion montrent les horribles tortures infligées à Jésus mais sans y insister de façon masochiste. La première représentation de la croix date du 4ème siècle ; dans les catacombes, on montre Jésus le Bon Pasteur conduisant son troupeau, ou rapportant la brebis perdue, ou s’entretenant avec la Samaritaine, ou partageant les pains. Il est Source d’Eau Vive, Lumière divine. « Soyez toujours dans la joie, réjouissez-vous » répétait Paul.

Hélas plus tard des Saints et des Saintes vont développer une dévotion des plaies, s’infliger des souffrances, exhiber des crucifiés sanglants. Des chefs d’œuvre de peintures vont devenir populaires …dans l’oubli de la résurrection. La psychologie moderne a mis à nu ces tendances perverses qui nous tentent mais ce dolorisme a fait des ravages.

Conclusion

Jésus, le fils ayant reçu la mission essentielle, obéit aux indications de son Père qui les donne dans les Écritures. On y raconte qu’après des siècles d’esclavage, Dieu a décidé de libérer son peuple :

« Ce mois de Nissan sera pour vous le premier des mois…Le 10 de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille : une bête sans défaut, mâle, âgée d’un an. Vous la garderez jusqu’au 14ème jour (pour tester sa bonne santé). On l’égorgera au crépuscule. On prendra du sang, on en mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons. On mangera la chair cette nuit-là, cuite au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères…Vous la mangerez en hâte, la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. C’est la pâque du Seigneur. Je « passerai » par-dessus vous. Ce jour vous servira de mémorial… » (Ex 12).

Jésus vIent accomplir les Écritures : il sait qu’il est l’Agneau. Donc il a calculé son voyage afin d’entrer à Jérusalem le 10 nissan. De même que l’on devait examiner l’agneau pendant 3 jours afin de constater son parfait état, Jésus va être criblé de questions par tous les spécialistes et nul ne parviendra à le prendre en défaut. Aussi le 14, il se donnera à manger à ses disciples comme pain sans levain. Puis il se livrera et ses ennemis le mettront à mort.

Ce qui signifie qu’il faudrait sans doute célébrer « le lundi des rameaux »

Son sang répandu sera pour les disciples le grand signe : ils seront libérés de l’esclavage des observances, du légalisme, de la culpabilité, du nationalisme étroit, du péché qui les rendaient esclaves et ils pourront s’élancer dans le monde entier annoncer la bonne Nouvelle du Royaume universel de la liberté.

Comment n’être pas ébloui par cet accomplissement historique ? Mais Jérusalem n’a pas reconnu celui qui entrait. Il voulait un chef libérateur et il était monté sur un âne. Comme au baptême une colombe était descendue sur lui. Aussi le 14, la foule a rejeté les rameaux, serré les poings et hurlé « A mort ».

Cette année encore, nous entendrons : Nous voulons des œufs, des poussins et du chocolat.

Fr Raphael Devillers, dominicain.

Dictionnaire Jésus

Préface par Renaud Silly et T. Vénard, o.p. (extraits)

« …Les révolutionnaires l’ont singé dans leurs « petits livres », rouges du sang de leurs victimes, mais le seul « petit livre » vraiment révolutionnaire de Jésus est l’Évangile.

La Parole qu’il recèle est puissance active. Jésus semble être le premier Juif qui ait comparé sa parole à une semence, dans ses paraboles orales : il se compare à un semeur sortant pour semer. Il ne veut pas qu’on répète servilement sa parole à l’identique, mais qu’on la développe et qu’on la fasse fructifier en la mettant en pratique (Mt 25, 26). L’Évangile qui en garde la mémoire devient une puissance d’engendrement plus forte encore que n’importe quelle semence créée (Jn 1, 12). L’écoute et la mise en pratique de son enseignement créent des liens « familiaux » plus profonds que n’importe quelle génération humaine. (Mt 12, 49)

Il contient les paroles définitives dont le contenu marque à jamais ceux qui les comprennent. Plus encore, dans sa forme, il recèle le secret du fonctionnement même de la conscience : sa puissance poétique prend possession du cœur de ceux qui écoutent cette Parole, au point de refonder leur désir de dire et de faire ce qui est vrai et bon et juste. Rencontrer Jésus n’est pas rencontrer un enseignement de plus, c’est rencontrer le Logos ou Verbe divin lui-même.

Jésus et Politique

Si le projet de Jésus ne fut pas politique, la révolution qu’il représente pour la conscience humaine ne put pas être sans effets politiques. Promoteur de l’amour inconditionnel, l’Église favorise à la fois un certain conservatisme, plein de sagesse ou d’ironie, comme celui de Jésus qui respectait même les grands prêtres iniques qui le condamnèrent, et une révolution déclenchée par le respect absolu des droits de chaque personne humaine, quelle que soit sa condition.

Surtout il a une puissance subversive intacte. : face au Gouverneur Pilate, en se proclamant roi de ceux qui cherchent la vérité (Jn 18, 37), Jésus relativise à jamais tout pouvoir humain, y compris ceux de nos populocraties aujourd’hui menacées par des États qui se substituent aux consciences individuelles ; y compris, et c’est libérateur à notre époque de massive trahison des clercs jusqu’aux plus hauts niveaux – celui des ecclésiastiques dans sa propre Église.

Le seul devant qui le disciple de Jésus se mette à genoux est Dieu. Lui seul a pouvoir sur les consciences. Jésus ne fait pas la révolution, Jésus n’est pas un révolutionnaire de plus. Il est le principe de la seule révolution qui vaille, celle de la charité. La figure d’un Jésus révolutionnaire politique a fait long feu depuis longtemps…

La seule révolution que l’on puisse prêter à Jésus en est une qui doit être compatible avec l’orthodoxie juive : une révolution religieuse qui atteint chacun dans ce qu’il a de plus précieux et à quoi il est prêt à tout livrer, jusqu’à a sa propre vie, jusqu’au refoulé principal de l’homme contemporain : le désir de Dieu…. ».