18ème Dimanche – Année A – 2 août 2020 – Évangile de Matthieu 14, 13-2

Évangile de Matthieu 14, 13-21

Le Pique-Nique de Jésus

Après l’enseignement central des paraboles du Royaume de Dieu, Matthieu reprend le fil des événements et la section commence par un fait tragique : l’exécution de Jean-Baptiste. Celui-ci, au nom de la Loi de Dieu, avait eu le front de condamner la conduite du roi Hérode Antipas qui avait répudié sa femme pour épouser Hérodiade, la femme de son frère. Pour le faire taire, le roi avait fait jeter Jean en prison mais, pressentant en lui un prophète de Dieu admiré par le peuple, il n’osait attenter à sa vie. Arriva le moment.

Le Banquet du crime

Dans l’imposante forteresse de Machéronte perchée sur la colline orientale de la Mer Morte, le roi a organisé un grand banquet à l’occasion de son anniversaire. Têtes couronnées, notables, officiers de haut rang exhibent leurs plus beaux atours ; les femmes, parées de bijoux en or et des perles les plus fines, rivalisent en toilettes de luxe, châles du Cachemire, carrés de la maison Hermès à Lutèce. Au son endiablé de l’orchestre des Bitels, étendus sur les divans, les convives dégustent les plats succulents d’une cuisine raffinée et savourent les vins de grand cru. On raconte ses voyages, on conte les bonnes affaires que l’on a réussies. Le roi est très satisfait.

Tout à coup on annonce le sommet des réjouissances : Salomé, la fille de la reine, jeune, jolie, affriolante, peu vêtue, jaillit et se met à danser, toutes voiles dehors. Le roi, qui est déjà plus qu’à moitié pompette, est comme hypnotisé par tant de charme et il clame : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai, je le jure ».

« Poussée par sa mère, elle lui dit : « Donne-moi sur un plat la tête de Jean le Baptiste ». Le roi en fut attristé mais, à cause de son serment et des convives, il commanda de la lui donner. Il envoya décapiter Jean. Sa tête fut apportée sur un plat à la jeune fille qui l’apporta à sa mère ».

Voilà comment le monde s’amuse et se divertit. Puissance, armes, parures, luxe, opulence, gastronomie, alcools, érotisme, plaisirs. Mais malheur à celui qui élève la voix, rappelle la Loi de Dieu et dénonce la perversité. On se paie sa tête…non par le rire mais par le sabre. On tue celui que l’on sait pourtant innocent. Que se cache-t-il aujourd’hui derrière les photos de la presse people ??…

Jésus et ses convives

Après quelques jours, la rumeur de l’exécution de Jean parvient en Galilée où Jésus circule.

A cette nouvelle, Jésus se retira en barque dans un lieu désert, à l’écart. L’ayant appris, les foules le suivirent à pied de leurs diverses villes. En débarquant, il vit une grande foule : il fut bouleversé aux entrailles et guérit leurs infirmes.

Déjà Jésus avait pris un pareil recul quand il avait appris l’arrestation de Jean, comme s’il avait conscience que le destin de son précurseur présageait le sien à lui aussi (4, 12). Étreint d’émotion et de tristesse, il traverse le lac de Galilée en quête d’un coin tranquille avec ses disciples mais les gens des alentours le remarquent et viennent le harceler pour quémander des guérisons.

Jésus ne montre nul agacement devant ces troublions qui bousculent son projet, il ne les renvoie pas chez eux et il est même insuffisant de dire, comme le texte liturgique : « il fut saisi de pitié ». Matthieu emploie un verbe très fort qu’il réserve toujours à Jésus et dont la racine en hébreu est le mot « matrice ». Jésus a le cœur tordu comme une maman devant le fruit de son sein qui est malheureux. Il voudrait un moment de paix mais il y a les gens, les handicapés, les parents qui ont perdu un enfant, un peuple sous le joug de l’occupant romain et écrasé de taxes, les victimes des catastrophes, les esclaves meurtris de coups, les misérables tenaillés par la faim, les pauvres obligés d’émigrer. L’effroyable misère du monde prend Jésus « aux tripes ». Comment prendre du repos tant qu’un enfant pleure de souffrances ?

Alors il guérit les infirmes. Il ne dit pas: « Il y en a trop ». Ni « Résignez-vous ». Ni « Revenez un autre jour ». Que chacun, là où il est, soigne donc autant qu’il peut. Seigneur donne-nous de ressentir un peu de ta tendresse blessée. Ma blessure est ma souffrance : le mal de l’autre est un appel.

Et c’est alors que Jésus va inventer son propre repas, parallèle exactement contraire à celui du roi Hérode : ce sont les plus pauvres qui s’invitent.

Le Pique-nique de Jésus

Le soir venu, les disciples lui disent :

  • Le lieu est désert, l’heure est tardive : renvoie les gens pour qu’ils aillent acheter des vivres au village.
  • Non, ils n’ont pas besoin d’y aller : donnez-leur vous-mêmes à manger.
  • ??? …Nous n’avons que 5 pains et 2 poissons !
  • Apportez-les moi.

Il donna ordre aux gens de s’installer sur l’herbe, prit les 5 pains et les 2 poissons, leva son regard vers le ciel et prononça la bénédiction, il rompit les pains, les donna aux disciples et eux aux foules. Tous mangèrent et furent rassasiés. On emporta les morceaux : 12 couffins pleins. Or ils étaient environ 5000 hommes, sans compter femmes et enfants.

Les puissants comme Hérode s’invitent entre eux, ils se jugent du même monde. Pour Jésus il n’y a qu’un monde, celui de l’humanité. Il ne trie pas les gens selon les convenances, le niveau de vie, la culture, la moralité : il accueille ceux et celles qui viennent à lui et qui sont en manque. Il ne les reçoit pas dans un château ni dans un lieu sacré mais dans le palais de la nature de Dieu. Pas de tapis mais de l’herbe car « le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquer. Sur des prés d’herbe fraîche il me fait reposer » (Psaume 23)

La nuit tombe assez rapidement en Israël : les disciples n’ont pris des provisions que pour leur groupe et ils suggèrent au maître de renvoyer la foule. Que chacun se débrouille. Jésus n’est pas d’accord. Il demande aux siens de lui donner ce qu’ils ont. Puis il le présente au Père du ciel et lui rend grâce car c’est lui qui donne le pain à ses enfants de la terre. Alors la foi-confiance de Jésus est tellement grande, son amour des hommes est tellement ouvert que la fraction se démultiplie.

Et les gens font une expérience radicalement nouvelle. Jusqu’alors, pauvres villageois, ils enviaient les riches, leurs réceptions fastueuses, leurs mets raffinés. Et ce soir-là, ils découvrent que si personne ne monopolise pas tout l’avoir, si chacun cesse de vouloir davantage que les autres, tous peuvent commencer à comprendre que la valeur du repas n’est pas dans la qualité et la quantité de nourriture mais dans la personne du donateur.

Alors on quitte une société de concurrence et de jalousie pour entrer en communion. Non seulement on est heureux d’être rassasié mais au lieu d’accumuler des réserves, on récolte les restes pour la multitude des autres qui, un jour, seront aussi les invités de Jésus. Les siècles passent et nous en mangeons encore.

Naissance du nouveau peuple en exode : il traverse le désert du monde mais il est nourri de la manne offerte par Jésus le nouveau Moïse

Le repas de la Pâque

En contradiction avec la gabegie du banquet d’Hérode où des invités boivent de grands vins mais où on fait couler le sang du martyr, les pique-niques galiléens de Jésus sont aussi une annonce prophétique de son ultime repas à Jérusalem.

A la veille de la Pâque, quand l’étau se refermera sur lui, il rassemblera ses disciples à table. On ne me prend pas la vie : je la donne par amour. Prenez, mangez, buvez. Mon tombeau sera vide car je vivrai en vous. Faites cela en mémoire de moi. Vous aussi rassemblez les pauvres et apprenez-leur le partage indéfiniment fractionné par mon cœur bouleversé.

L’Eucharistie du Dimanche

Les premiers chrétiens ne se sont pas demandé comment Jésus avait pu jadis nourrir une foule. Ils ont compris qu’ils étaient dorénavant les nouveaux invités qui, au soir du jour de la Résurrection, se rassemblaient pour écouter la Parole du Seigneur, recevoir son pardon qui guérit les infirmités du péché et manger un morceau de son Pain.

D’étape en étape, ils se voyaient peuple de l’Exode, enseigné, nourri, guidé par le Bon Pasteur qui avait donné sa vie pour eux. Il leur apprenait à se méfier du luxe tapageur et à accueillir avec bonté tous ceux qui cherchaient un sens à leur vie.

Émerveillés, ils découvraient que le Repas du Seigneur, si simple, si frugal, les rassasiait, les comblait d’une joie toute neuve. Ils communiaient dans l’allégresse et leurs cœurs, peu à peu transformés, vibraient du bouleversement du cœur de Jésus devant le malheur des hommes.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

21 juillet 2020 : Fête nationale de la Belgique

Discours du Roi Philippe (extraits)

« …La pandémie a causé de grandes souffrances. Elle a eu et aura encore de lourdes conséquences. Vous qui avez perdu un être cher, sans avoir pu l’accompagner dans ses derniers moments et faire le deuil tellement nécessaire, je souhaite m‘adresser à vous pour vous dire à quel point la Reine et moi, et le pays tout entier, sommes en union de cœur avec vous…

Cette crise a dévoilé les fragilités et faiblesses de notre société. En touchant d’abord les plus vulnérables…

La crise a également aggravé des injustices sociales existantes, touchant durement ceux qui étaient déjà en situation précaire, moins bien logés ou formés. Le confinement a provoqué des tensions dans les foyers…Plus que jamais nous devons être à l’écoute de ceux qui souffrent en silence.

Mais l’épreuve a aussi révélé nos belles qualités…Nous avons vu à l’œuvre la force de l’entraide et du souci de l’autre. Je pense en premier lieu au personnel soignant mais aussi aux enseignants…

Nous avons redécouvert l’importance de l’intérêt général, du rôle de l’État et du service public…

Et maintenant ?

Il s’agit maintenant de reconstruire et de relancer nos activités dans une perspective de long terme. En y mettant toute notre énergie et toute notre inventivité.

La crise nous a ouvert les yeux. Elle nous a réveillés et sortis du confort de nos certitudes. Elle nous force à réfléchir à notre mode de vie, notre organisation du travail, notre façon d’enseigner, nos modes de production et de consommation, à la manière dont nous nous déplaçons et dont nous voyageons.

Nous avons maintenant une occasion unique de repenser notre économie et notre société. En construisant sur les valeurs humaines que nous avons vécues si intensément. En optant pour des solutions plus équitables et durables. Avec ambition et confiance en l’avenir…

Il y a des moments où l’histoire n’attend pas. Pour réussir le gigantesque défi de la relance, chacun de nous est indispensable. Pour mobiliser toutes nos forces, nous avons besoin d’une trajectoire clairement définie… »

L’Évangile nous donne les clefs d’une civilisation équitable.
La foi nous donne la force de l’engagement.
L’espérance nous ouvre l’horizon.
Les chrétiens se doivent d’être en première ligne « pour repenser l’économie et la société ».
Chacun est indispensable.

17ème Dimanche – Année A – 26 juillet 2020 – Évangile de Matthieu 13, 44-52

Évangile de Matthieu 13, 44-52

Le Trésor caché des Paraboles

Nous terminons aujourd’hui la série des 8 paraboles ( et non 7 comme j’avais écrit par erreur) : en plein centre de l’évangile de Matthieu, elles tentent de révéler ce qu’est ce mystérieux « Règne de Dieu » que Jésus annonce. Contrairement à ce que dit la lecture liturgique, les 4 dernières sont adressées non à la foule mais aux disciples, en privé, « à la maison » (13, 36) : la foule incrédule ne pourrait comprendre.

5ème Parabole : Le Trésor

Le Royaume de Dieu est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert. Il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète le champ.

Aujourd’hui encore, à l’occasion de fouilles ou de grands travaux, on met à jour des amas de pièces de monnaie que des propriétaires avaient jadis enfouies dans un coin de leur propriété pour les protéger des voleurs et dont ils n’avaient pas révélé l’endroit de la cachette à leurs descendants. C’est ainsi, raconte Jésus, qu’un ouvrier agricole a été engagé dans un domaine et tout à coup, alors qu’il est seul, sa charrue heurte une jarre contenant un trésor énorme. Fou de joie devant cette trouvaille exceptionnelle et imprévue, l’homme vend tout ce qu’il a et achète le champ.

La Loi prévoyait que, dans ce cas, découvreur et propriétaire du champ se partagent la valeur mais Jésus, sans l’approuver, écarte le problème de la malhonnêteté afin de centrer sur l’idée qui lui importe. Dans le flux des événements qui se bousculent, une réalité nouvelle est cachée, invisible, mais celui qui a la grâce de la découvrir, celui qui accueille la semence de la Parole de Jésus est bouleversé par cette valeur infinie qui le transporte d’une joie folle. Sa foi nouvelle ne se range pas, comme une opinion religieuse, à côté des autres. La plénitude qui le submerge le pousse à renoncer à tout. Il n’entre pas dans le Royaume de Dieu à coup de sacrifices et de renoncements : au contraire il découvre le Royaume au sein de son travail comme un don gratuit et il en est tellement comblé qu’il abandonne tout le reste.

Ainsi les pêcheurs du lac avaient écouté l’appel de Jésus : « Venez à ma suite… » et ils avaient tout laissé, famille et métier, pour le suivre (4, 20). Au contraire, plus tard, le jeune homme qui possédait de grands biens n’aura pas le courage de vendre ses biens et il se détournera de Jésus, l’air tout triste (19, 22). Respect scrupuleux de Dieu pour notre liberté.

Est-ce à dire que la conversion à l’Évangile oblige toujours au dépouillement total ? Tout le Nouveau Testament manifeste que, sauf l’exception des collaborateurs missionnaires, les convertis continuaient à assumer leurs obligations conjugales, familiales et professionnelles. Toutefois la parabole du semeur les mettait en garde contre la pression des sollicitations mondaines et l’obsession de la richesse qui empêchent la fructification du bon grain.

6ème Parabole : La Perle

Le Royaume de Dieu est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède et il achète la perle.

Cette parabole fait paire avec la précédente mais ici il s’agit d’un riche négociant qui tient un commerce de luxe pour la clientèle huppée et qui circule partout à la recherche des plus belles perles. Jusqu’au jour de la plus bluffante des découvertes : il en avait vu des belles, des admirables, mais jamais comme celle-ci. Extraordinaire. Évidemment le prix est astronomique ! Qu’importe. Emporté par l’enthousiasme, il décide de vendre tous ses biens afin de se procurer cette merveille.

Découvrir le Règne de Dieu dans la personne de Jésus, être empoigné au fond du cœur par la révélation des profondeurs infinies de l’Évangile, être appelé à recevoir la Vie du Père : seuls les convertis qui ont longtemps erré dans la boue et les ténèbres peuvent, dans les larmes et l’allégresse, bégayer leur stupeur devant la découverte des Béatitudes et de la croix glorieuse. La Bonne Nouvelle appelle au don total.

« Aussitôt que je crus qu’il y avait un Dieu, je compris que je ne pouvais faire autrement que de ne vivre que pour Lui …Dieu est si grand. Il y a une telle différence entre Dieu et tout ce qui n’est pas Lui ». (Charles de Foucauld)

Beau soufflet pour ceux qui considèrent la foi comme un peu de confiture pour adoucir les moments difficiles de la vie, avec des rites que l’on pratique sans raison et que l’on abandonne sans regret.

Damien qui débarque chez les lépreux, Kolbe qu’on laisse mourir de faim et de soif dans un bunker nazi, Soljenitsyne envoyé casser des cailloux dans l’hiver impitoyable de Sibérie, les 21 jeunes chrétiens coptes décapités parce qu’ils refusaient d’adhérer à l’islam, ne sont pas des héros. Celui qui a découvert la perle incomparable de Jésus est prêt à tout perdre car la mort la lui donne pour l’éternité.

7ème Parabole : Le Filet

Le Royaume est encore comparable à un filet qu’on jette dans la mer et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et on rejette ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les Anges viendront séparer les méchants des justes et les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Le Royaume est une réalité dynamique, en cours perpétuel de construction car Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tim 2, 4) et son projet est de nous rassembler tous ensemble dans son amour. Mais l’histoire sera toujours le lieu d’affrontements de nos tensions contraires. Les premières paraboles du semeur et de l’ivraie ont déjà expliqué que des hommes gardent leur cœur endurci, ne se laissent pas convertir par l’Évangile, qu’ils se livrent au travail destructeur, hostilité, haine, égoïsme. Bons et mauvais se côtoient, la liberté fait basculer d’un côté ou de l’autre. Le temps autorise vraie conversion ou dépérissement.

Jésus réitère sa mise en garde contre la tentation d’opérer le tri nous-mêmes et tout de suite. Nous n’en avons pas le droit. Le jugement aura bien lieu mais au moment fixé et selon un discernement dont nous sommes incapables. L’histoire reste le temps du travail de la pêche et non du rejet des pécheurs, le temps de la patience et non de la condamnation, le temps de la miséricorde et non du mépris. N’oublions pas que le bon Berger cherche sans relâche à retrouver la brebis égarée (18, 12), car il est venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (9, 13)

8ème Parabole. : Le Scribe du Royaume

Jésus dit aux disciples : « Avez-vous compris tout cela ? ». – Oui, répondent-ils. Et il ajoute : «  C’est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume de Dieu est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien ». Quand Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là.

Matthieu conclut ce chapitre par une 8ème comparaison non plus à propos du Royaume mais, très discrètement, à propos de son propre travail. Depuis la destruction du 1er temple et l’invasion des puissances étrangères, la Torah, le livre des Écritures, avait pris une importance centrale dans la foi d’Israël : des experts, appelés scribes, l’étudiaient sans arrêt et l’expliquaient au peuple afin qu’il la pratique fidèlement.

Matthieu serait donc un scribe, « devenu disciple du Royaume » et qui a mis toute son intelligence et sa perspicacité à montrer comment l’histoire d’Israël se prolonge bien dans celle de Jésus, comment celui-ci, loin d’être un blasphémateur qui démolit la Loi, au contraire « l’accomplit ». D’où les nombreuses citations de son évangile : « ..ceci arriva afin que s’accomplit… ». Torah, Prophètes, Jésus constituent ensemble un trésor inépuisable dont Matthieu est fier d’extraire des explications toujours nouvelles.

« Avez-vous compris ? » : ce verbe a une énorme importance chez Matthieu et il signifie beaucoup plus qu’une simple connaissance ou même une érudition intellectuelle. Il s’agit de prendre-en soi, comme un sillon accueille le grain, comme le levain pénètre la pâte, avec la volonté de se laisser travailler par le message. Si je me permets une nouvelle parabole : il ne suffit pas d’être au courant mais de se brancher sur un courant qui va changer la vie.

Conclusions

« Avez-vous compris ? » : à présent la question nous est adressée, à vous et à moi. Ces historiettes apprises au catéchisme et écoutées dans la routine liturgique n’ont pour beaucoup guère d’importance. Or il s’agit bien de l’annonce centrale de Jésus : « Convertissez-vous : le Règne de Dieu s’approche » et c’est pour cette raison que Matthieu les a placées au cœur même de son livre. Apprenez-en la liste, faites-vous une synthèse. Pas plus que Matthieu vous ne pourrez donner une définition précise du Règne de Dieu mais vous verrez que les projecteurs des paraboles éclairent le sens de l’histoire et la vôtre. Il nous faut encore et toujours écouter, ouvrir les sillons de nos cœurs endurcis, arracher le mal qui s’insinue, laisser croître les jeunes pousses de la foi et, pour cela, écarter tout ce qui nous encombre. Seul celui qui accepte le renouveau « comprend ». Car le Règne de Dieu est toujours en train de venir.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Devant la crise économique colossale

Évasion fiscale

Un rapport intitulé « Vote Watch Europe » vient d’être publié. Ce rapport examine comment les eurodéputés belges ont voté dans les domaines de la solidarité financière et de la justice fiscale.

Quelques thèmes abordés parmi d’autres : l’établissement d’une autorité européenne contre la fraude et l’évasion fiscale, l’instauration d’un taux d’imposition minimum de 20% sur les sociétés à l’intérieur de l’U.E., la lutte contre l’évasion fiscale par l’introduction d’une liste noire des paradis fiscaux européens et la publication des impôts payés par les multinationales. Si les hommes et les femmes politiques ont tendance à soutenir des politiques populaires lors des campagnes, certains d’entre eux se comportent autrement en tant que législateurs.

Pour plus d’informations : https ://www.votewatch.eu/blog/rapport-votewatch-comment-les-eurodeputes-belges-ont-ils-vote-sur-la-politique-fiscale/


Ne pas croquer dans la pomme

Apple n’aura pas à rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux à l’Irlande, selon la justice européenne.

La Commission européenne avait estimé en 2016 que le géant américain avait bénéficié d’une aide publique illégale de Dublin, où la marque a son siège européen.

La justice européenne a annulé une décision de la Commission sommant le groupe Apple de rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux jugés indus à l’Irlande, mercredi 15 juillet. La Commission européenne, qui essuie là un énorme revers, n’est pas parvenue à démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif », selon le Tribunal, la deuxième juridiction de l’UE, qui s’appuie sur les règles de concurrence au sein de l’UE.

La Commission européenne, qui a lancé une chasse contre les arrangements fiscaux, a déclaré il y a quatre ans qu’Apple avait profité d’une aide publique illégale en Irlande ayant permis au groupe américain de réduire drastiquement les impôts versés pendant plus de deux décennies. Mais l’Irlande, prête à tout pour garder le siège européen d’Apple à Dublin, avait d’abord contesté la décision. Le pays s’est d’ailleurs félicité de la décision des juges européens.

(Source : Franceinfo)

 

Avoir Faim

En France, 5, 5 millions de personnes bénéficient de l’aide alimentaire : leur nombre a plus que doublé par rapport à 2009…Avec la crise économique qui se profile, les associations craignent d’être débordées… Aux Restos du cœur à Tours, Sébastien, menuisier, 37 ans, fait la file, il ne touche pas le chômage : « Avec leur nouvelle réforme, pour l’avoir, il faudrait que j’aie travaillé 900 heures. J’en ai que 640, alors j’ai droit à rien. Vive la France ! ». Sans l’aide des Restos, il n’arriverait pas à se nourrir…

« On a eu une hausse des besoins…je dirais de l’ordre de 25 % » dit le président de la Banque alimentaire d’Indre-et-Loire. P. Niclot, président de la Conférence de S. Vincent de Paul confirme : « Beaucoup de familles qui ne parvenaient plus à nourrir leurs enfants qui n’allaient plus à la cantine, des gens qui ont perdu leur travail, des étudiants étrangers… ».

Jacques Bailet a été pendant 6 ans à la tête de la fédération des Banques alimentaires : « Avec la crise qui nous attend, le chômage va augmenter. Or la moitié de nos bénéficiaires disent avoir eu recours à une distribution de nourriture après une perte d’emploi. La précarité alimentaire va donc s’aggraver de façon importante dans les mois qui viennent…Nous allons être confrontés à 2 problèmes : on risque de manquer de denrées et de moyens humains pour trier, stocker et distribuer. Dans les associations, une partie des bénévoles de plus de 70 ans se sont mis en retrait, et on ne sait pas si les nouveaux bénévoles apparus pendant la crise vont rester… »

(La Croix – Hebdo – 3 7 2020)

 

Des millionnaires généreux (…et intéressés)

Un groupe de 83 millionnaires ( Millionaires for Humanity) a appelé ce lundi 13 juillet à ce qu’on taxe davantage les plus riches de la planète « immédiatement » et « de manière permanente » afin de contribuer à la reprise économique.

« Des millionnaires comme nous avons un rôle essentiel à jouer pour guérir le monde … Nous ne sommes pas ceux qui soignent les malades ; nous ne conduisons pas les ambulances …mais nous avons beaucoup d’argent. On a absolument besoin d’argent maintenant et dans les années à venir….L’impact de la crise durera des dizaines d’années…Elle pourrait pousser un demi-milliard de personnes dans la pauvreté »

(Journal La Libre – Bruxelles – 14.7.2020)

16ème Dimanche – Année A – 19 juillet 2020 – Évangile de Matthieu 13, 24-43

Évangile de Matthieu 13, 23-43

Le Royaume comparable à du levain

Au centre de l’évangile de Matthieu pétillent 7 paraboles par lesquelles Jésus essaie de nous faire comprendre ce qu’est le Royaume de Dieu qui, avec lui, s’approche des hommes. Dans la première, clef de l’ensemble, il se compare à un semeur : ses paroles et ses actions significatives sont comme des graines de vie que nous avons à bien écouter. Si nous les laissons pénétrer en nous, elles germent et rendent notre existence belle et féconde. L’Évangile prêché jadis devient l’Évangile manifesté aujourd’hui. Continuons.

2ème Parabole : Le bon grain et l’ivraie.

La parabole du semeur pointait nos trois fautes qui font échouer la Parole de Dieu : la dureté de cœur (on n’est pas intéressé, on ne veut même pas écouter), la versatilité (on écoute puis on abandonne), la contagion mondaine (les soucis et la séduction de l’argent étranglent la foi). La 2ème parabole va révéler qu’il y a surtout une force gigantesque et mystérieuse qui s’acharne à détruire l’avancée du Règne afin d’établir un autre règne.

Le Royaume de Dieu est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or pendant que les gens dormaient, son ennemi vint : il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla.

Rappelons-nous le début, la scène du baptême. Dieu avait institué son Fils pour sa mission et alors même qu’il réfléchissait à la façon de l’accomplir, tout de suite survint « l’ennemi ». On ne le décrit pas, il n’a pas de visage mais il reçoit trois noms qui disent sa ruse: le tentateur (il essaie de détourner vers des projets pervers), le diable (celui qui divise, sépare), le satan (celui qui accuse, dénonce, culpabilise). Mais Jésus est éveillé, vigilant et il rejette sèchement ces suggestions meurtrières. Plus tard, Jésus subira d’autres attaques, même de la part de son disciple Pierre qu’il renverra : « Arrière satan ».

Donc ici Jésus nous alerte sur notre 4ème défaut, le pire peut-être: la somnolence, l’assoupissement, la perte de l’éveil. « Pendant que les gens dormaient » : nous manquons de la vigilance de Jésus. Naïfs, nous ne restons pas sur nos gardes ; trop sûrs de nous, nous ne comptons que sur nos forces ; emportés par l’opinion, nous prêtons l’oreille à des messages enjôleurs sans voir qu’ils nous mènent à la catastrophe.

Ainsi naguère la quasi-totalité des baptisés allemands ont été hypnotisés par un führer fou qui promettait vengeance, gloire nationale, conquête du monde …et extermination des Juifs. Les graines de haine semées dans les discours de Nüremberg ont abouti à l’enfer : ruines, morts, Auschwitz. Et aujourd’hui, le pape François a lancé des graines de mobilisation urgente et d’engagement immédiat afin de sauver notre terre ravagée par l’exploitation démentielle, le gaspillage, la destruction. Depuis 5 ans, avons-nous écouté l’appel de « Laudato si », en avons-nous tiré les conséquences ?

Lorsque Jésus nous dit : « Pendant que vous dormez, l’ennemi sème de l’ivraie », il ne s’amuse pas avec des enfants : il évoque les tragédies de notre histoire. L’ennemi sème la mauvaise herbe, l’ivraie, la « zizania » : le mot est passé en français dans l’expression « semer la zizanie », manœuvre diabolique, destructrice pour faire naître la discorde, l’inimitié, les disputes. L’anti-royaume de Dieu. Cette œuvre de désintégration pour séparer les hommes en eux et avec Dieu est hélas partout répandue. Vatican, Curie, carmels : il n’y a pas de citadelle imprenable. « Là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie » (St François de Sales).

Alors quelle est notre réaction ?

« Les serviteurs du maître vinrent lui dire : Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? ». Il leur dit : « C’est un ennemi qui a fait cela ». Les serviteurs disent : « Alors veux-tu que nous allions l’enlever ? ». Il répond : « Non de peur qu’en enlevant l’ivraie, vous n’arrachiez le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson. Alors je dirai aux moissonneurs : « Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ; quant au blé, rentrez-le dans mon grenier ».

Voici notre 5ème défaut : notre impatience. Remarquant les scandales, certains esprits intégristes voudraient se précipiter pour éliminer ceux qui font le mal. Toujours prêts à partir en croisade, ils se croient chargés de faire le ménage partout, d’instaurer le Royaume au plus tôt. Sûrs de détenir la vérité, ils veulent arracher ce qu’ils taxent de mensonge. Ils prétendent détenir les clefs d’une Église pure.

Obsession d’une pureté dangereuse, comme disait B.H.L., que Jésus rejette par un argument curieux : « Arrêtez ! Vous risquez d’arracher en même temps ivraie et blé ». Bien et mal sont inextricablement entremêlés dans le cœur de l’homme. Le colérique secoue le tiède qui ronronne dans sa piété, l’entreprenant nerveux bouscule le timide qui refuse d’avancer, le miséricordieux tempère la rancœur du rancunier. Nos différences nous apprennent que nul ne détient la vérité, que chacun de nous a sa part d’ombre. Par le dialogue, nous devons reconnaître que nous sommes tous le champ où blé et ivraie se mêlent. N’est-ce pas dans cet affrontement permanent que nous nous aidons à grandir, à reconnaître nos limites et les qualités de l’autre ?

Laissez le temps au temps, dit Jésus à ses disciples. D’ailleurs ce n’est pas à vous qu’appartient le droit de faire le tri entre bien et mal. Viendra le jour du jugement que nul ne connaît et où les envoyés de Dieu exécuteront le seul jugement lucide. Vous serez alors très surpris de voir qu’il ne correspond en rien à ce que vous imaginiez. Au lieu de vous attribuer la fonction d’arracher le mal, semez plutôt davantage de bien.

3ème Parabole : La graine de moutarde

« Le Royaume de Dieu est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches ».

Sans titre et sans argent, un modeste charpentier d’un village insignifiant a prêché à quelques centaines de paysans étonnés de le voir accomplir quelques guérisons spectaculaires. Tenu pour un individu dangereux, il fut arrêté et condamné à la mort ignominieuse de la croix. Pilate et Caïphe étaient convaincus qu’il serait vite oublié, de même que son message qu’il n’avait même pas écrit. Quelques dizaines d’années plus tard, des communautés à son nom sont signalées à Chypre, à Athènes, à Rome. L’empereur Néron arrête et fait brûler les chrétiens. L’Évangile va se répandre à travers les nations du monde et tous les oiseaux, les pauvres, viennent s’y reposer.

Stupéfiante aventure de la minuscule graine ! Elle ridiculise empereurs, dictateurs, puissants de tous genres qui cherchent le succès par la violence, les ressources financières, le tam-tam publicitaire, le déchaînement des décibels. Elle nous remplit de joie et elle souligne notre 6ème défaut. Pourquoi n’osons-nous pas prendre des petites initiatives ? Pourquoi n’espérons-nous pas dans l’avenir d’une petite parole d’évangile ? Qui devinera la valeur d’une visite à un malade ou d’un temps de prière ?…

4ème Parabole : Le Levain

Le Royaume de Dieu est comparable à du levain qu’une femme enfouit dans trois grandes mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé ».

Le Royaume de Dieu n’est pas une utopie lointaine, un secteur spirituel pour jouir de consolations pieuses : il descend dans la vie, il s’incarne, il est une force qui s’insinue dans tous les secteurs de l’existence humaine, il est d’une formidable efficacité et il l’a prouvée dès les premiers jours. L’histoire du monde serait tout autre si Jésus n’avait pas lancé l’Évangile qui, sans bruit, a allumé des lumières nouvelles de vérité et a transformé les cœurs par un amour divin infini.

En affirmant la valeur de tout homme, même du plus pauvre, en renversant les barrières entre classes, en déboulonnant les idoles de l’orgueil et de la cupidité, en lançant ses disciples au-delà de toutes frontières, en nous libérant du carcan des règlements, de la crainte du sacré et du poids de la culpabilité, il nous a apporté une liberté toute nouvelle. Cultures, arts, sciences, politique, économie, vie conjugale et familiale : l’Évangile ne s’est pas imposé comme un pouvoir mais il s’est immiscé comme un levain qui a élevé l’humanité. Action révolutionnaire de Jésus et ses ennemis ne s’y sont pas trompés : s’il n’avait parlé que de Dieu, de piété, de cérémonies, ils ne l’auraient jamais éliminé.

Hélas des baptisés relèguent leur foi au statut d’opinion privée et à la pratique de quelques rites sans avoir de prise sur leur existence ordinaire et leurs décisions. Ils prétextent que les exigences radicales de l’Évangile ne sont praticables que par certains, saints ou prêtres. C’est là la 7ème défaillance qui nous guette : elle désamorce l’effet humanisateur de l’Évangile et elle défigure l’Église.

Conclusion

Ces 3 modestes histoires nous aident à réfléchir et à agir.

  1. Rester éveillé pour bien discerner blé et ivraie et laisser à Dieu le jugement définitif.
  2. Garder l’héroïsme de la petitesse : un geste d’amour discret a un avenir insoupçonné.
  3. Sortir la foi du tiroir de la piété, insérer les inspirations d’Évangile dans tous les secteurs de la vie du monde.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

« Comme si Dieu m’offrait une seconde vie… »

par Sœur Anne-Elisabeth

Sur les 13 religieuses carmélitaines que compte notre monastère, 11 ont été malades du coronavirus. J’ai fait partie des premières à ressentir les symptômes et j’ai alors pris la décision, en tant que responsable de la communauté, de procéder à des tests de dépistage du virus.

Tout a commencé, pour moi, par des symptômes légers comme le rhume, puis j’ai eu de très fortes fièvres, des problèmes de concentration, des palpitations et des maux de ventre. Je me déplaçais difficilement et tout ce que je mangeais avait le goût du sel.

Nous avons été placées en quarantaine et un bel esprit de solidarité s’est développé autour de notre communauté. Les deux sœurs qui n’étaient pas malades nous apportaient des repas avec de petites attentions, comme des fleurs ou des mots. Les gens de l’extérieur nous aidaient à faire nos courses et nous disaient : « Maintenant, c’est à notre tour de prier pour vous ». En tant que carmélites, nous ne nous sommes jamais autant senties en communion avec le monde que dans ces moments où les croyants priaient pour nous.

Un jour, lors de la visite quotidienne de la doctoresse, je me suis évanouie. J’ai alors été hospitalisée à l’hôpital cantonal de Fribourg, pendant la Semaine sainte, avec deux autres sœurs. Nous ne pouvions pas vivre la liturgie pascale ensemble, j’étais à bout de forces pour prier et je me demandais comment être en communion avec l’extérieur.

J’ai finalement compris que le Christ ressuscitait pour nous, sans avoir besoin de nos prières. Dans les moments où la maladie était la plus intense, il était à l’intérieur de moi.

La première grande expérience spirituelle que j’ai vécue est arrivée avant mon hospitalisation.

J’ai connu de très fortes poussées de fièvre pendant toute une nuit où je n’ai pas pu dormir ; c’était comme si une tempête s’abattait sur moi. J’étais mouillée de sueur mais aussi ébranlée en mon for intérieur. J’avais la sensation de m’accrocher à un roc, je me faisais toute petite au milieu des torrents comme la maison bâtie sur la pierre dans l’évangile de saint Matthieu, et j’ai pu traverser cette épreuve dans la paix.

Puis je suis entrée à l’hôpital, et j’ai vécu trois jours et trois nuits d’angoisse inimaginables. C’était comme si ma vie était suspendue à un fil, la mort rôdait autour de moi alors que je sentais que j’avais encore tellement de choses à accomplir.

C’est là que j’ai compris à quel point il était éprouvant de donner sa confiance à Dieu. S’attacher vraiment, jusqu’à la mort, c’est presque inhumain. Après une telle épreuve, j’ai accédé à une conscience plus claire de ma propre vie ; comme si Dieu m’offrait une nouvelle vie, dans un esprit de communion encore plus fort avec mes sœurs et le monde »


Sœur Anne-Élisabeth,
prieure du carmel du Pâquier ( Suisse)

– paru dans « La Croix » 3 juillet 2020

Les plus beaux textes du pape François écrits pendant le confinement

Les éditions Bayard publient « La force dans l’épreuve », un ouvrage qui rassemble les huit textes parmi les plus inspirants du pape François écrits ou prononcés au plus fort de la crise sanitaire en Europe provoquée par l’épidémie de Covid-19.

Entre le mois de mars et le mois de mai dernier, alors que l’Europe était engluée dans la crise du coronavirus, le pape François a délivré plusieurs homélies et discours qui ont marqué les esprits. C’est la raison pour laquelle le Vatican a accepté de publier certains d’entre eux dans un livre intitulé « La force dans l’épreuve ». Le lecteur pourra à cette occasion retrouver la très puissante méditation qu’il avait proposé le soir de sa bénédiction Urbi et Orbi historique, le 27 mars 2020, donnée depuis une place Saint-Pierre déserte, sa lettre aux mouvements populaires du 12 avril dernier ou encore son message aux vendeurs de journaux du 27 avril.

Figure en outre sa missive écrite à son ami juge de Buenos Aires (Argentine) dans laquelle il salue les gouvernements ayant pris des mesures exemplaires pour lutter contre le coronavirus.
 
Au travers de ce corpus de textes, le pape François « relie tout le monde dans une humanité et un esprit communs » et met « au défi d’oser faire le bien, de faire mieux », estime le cardinal Michael Czerny, dans la préface de cet ouvrage. « Parce que le monde post-COVID-19 doit être façonné » par tous, les messages du pontife ont selon lui une portée universelle.

Le Saint-Père encourage les catholiques dans leur foi et donne des clés pour envisager sereinement la période après la pandémie. Il plaide aussi pour l’assouplissement des sanctions internationales, l’allégement de la dette des pays pauvres et l’instauration d’un cessez-le-feu mondial.

Supplication au Seigneur pour la guérison d’un monde blessé et souffrant

A chaque fois, François parvient à exprimer la proximité et la tendresse de Dieu en un temps de douleur, de solitude et de peur, montrant par- là que «l’espérance est contagieuse», comme l’indique le bandeau du livre.  

«Le Pape parle des besoins et des souffrances des personnes dans leurs diverses situations locales d’une manière très personnelle, sincère, engagée et pleine d’espérance. Ce sont des messages « vraiment universels », non seulement parce que le « virus menace tout le monde » mais « surtout parce que le monde post-COVID-19 doit être façonné par tout le monde »». Ces textes présentent une approche «chaleureuse et inclusive». François, «relie tout le monde dans une humanité et un esprit communs», «met tout le monde au défi d’oser faire le bien, de faire mieux».

15ème Dimanche – Année A – 12 juillet 2020 – Évangile de Matthieu 13, 1-23

Évangile de Matthieu 13, 1-23

Mais qu’est donc le Royaume de Dieu ?

Dans l’eau du baptême, Jésus a reçu de Dieu son Père la mission la plus essentielle de l’histoire du monde : non envoyer les hommes dans le ciel (pour y préparer des guerres) mais les aider à accueillir le Règne pacifique de Dieu sur la terre. Sous le feu du désert, il a rejeté les conceptions mensongères qui mènent à la catastrophe (nourritures terrestres, prodiges, dictatures). Et un jour, seul, pauvre, démuni, vulnérable, il s’est lancé sur les routes de Galilée ainsi que Matthieu l’a noté dans une petite phrase capitale :

« A partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché »(4, 17).

Le jour et l’heure de ce départ restent dans l’ignorance de tous mais « ce moment » sonne chaque fois que retentit cette proclamation qui marque le nouveau commencement de l’humanité. Il s’agit d’un événement : avec Jésus Dieu va venir ici inaugurer son Règne (« cieux » évite d’employer le mot de « Dieu »). C’est la Bonne Nouvelle, l’Évangile dont Jésus est le héraut.

Ce Règne ne s’impose pas avec violence  mais il sollicite tout de suite notre décision libre pour l’accueillir. D’où la 2ème action de Jésus : il nous enseigne dans le sermon sur la montagne les grandes lignes du nouveau mode de vie à adopter (chap.5 à 7). En outre, Jésus accomplit quelques actions miraculeuses qui sont les signes qui doivent nous aider à croire à la vérité de son message (chap. 8 à 9). Enfin pour démultiplier son activité, Jésus envoie 12 apôtres avec la même consigne : « En chemin proclamez que le Règne des cieux s’est approché » (10, 7). Très vite Jésus se heurte non aux moqueries mais à une hostilité meurtrière (chap. 11-12).

Au point où nous sommes arrivés, le lecteur reste perplexe : ce fameux « Règne de Dieu », en quoi consiste-t-il ? Pourquoi Jésus ne nous en a-t-il pas donné la définition ?

Le Discours des Paraboles du Royaume

Patience, nous y arrivons avec le Discours des paraboles. Ce 3ème enseignement de Jésus constitue donc le centre de l’évangile de Matthieu (chap.13) : c’est dire son importance. Mais surprise : Jésus ne nous donne aucune définition de ce Règne. Parce qu’il est impossible d’enfermer cet événement dans des concepts. Parce qu’il est une histoire, parce qu’il se joue dans notre histoire, on ne peut l’esquisser que par plusieurs histoires. Il y aura 7 paraboles dans ce chapitre, et d’autres viendront ensuite.

Il ne faut surtout pas réduire ces paraboles à des historiettes pour enfants. Elles essaient de dire, en images, le mystère du projet de Dieu. Et tous les évangélistes racontent qu’elles ont fait problème pour les premiers auditeurs qui se sont mépris sur leur signification et que même les apôtres et les disciples ne les comprenaient pas toujours bien. Cependant il y a un accord général : tous admirent ces petites histoires géniales, d’une sobriété et d’une finesse inégalées. Elles étonnent, elles intriguent, elles choquent parfois mais elles demeurent d’une actualité stupéfiante. Petits et grands sont instruits, guidés, éclairés. Elles ne passeront jamais. Il importe de les méditer et de les prier longuement. Lisez les 7 d’un trait.

1ère Parabole : le Semeur

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison et il était assis au bord de la mer. Une foule immense se rassembla auprès de lui si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit : toute la foule se tenait sur le rivage. Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur est sorti pour semer… ».

Dès sa venue en Galilée, Jésus s’est installé à Capharnaüm (4, 13), sans doute dans la maison de Pierre et André. Ses prédications et surtout ses guérisons spectaculaires l’ont rendu célèbre : pressé de toutes parts, il monte dans une barque attachée au rivage et s’adresse à la foule. Rien n’est anodin dans la mise en scène.

Cet homme est sorti d’une maison mais son baptême lui a révélé son secret : il est sorti de Dieu son Père dont il est le Fils. Il semble tellement fragile, ballotté dans sa barque qui remue un peu. « Sur la mer » (et non le lac comme dit la liturgie) : dans ce pays où la majorité des gens sont des cultivateurs, la mer où l’on risque de couler est l’image du domaine du mal. Et Jésus la domine.
Israël étant écrasé depuis des siècles par les puissances païennes, beaucoup attendaient la venue d’un Messie qui triompherait des ennemis, comblerait son peuple d’un parfait bonheur. Or Jésus n’apporte pas la touche finale à l’histoire : il la recommence. Il n’achève pas : il débute.

Jésus parle, il lance des mots, des phrases comme un paysan sème des graines.. En début de saison, alors que les terres sont vides, qu’on ignore le temps qu’il va faire, le semeur est l’homme de l’espérance. Il ose, il jette des semences de vie sans avoir aucune prise sur leur destin. La Parole respecte la liberté : son avenir dépend de son écoute. Jésus prend 4 exemples.

Échecs et réussites de la Parole évangélique

« Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin et les oiseaux sont venus tout manger »

Si la terre est piétinée par les passants, elle est durcie et les grains demeurent en surface : belle aubaine pour les oiseaux qui se hâtent de les picorer. Donc échec total. Si notre cœur est endurci, si nous ne cessons de courir à gauche et à droite pour satisfaire notre curiosité, si nous nous laissons happer par tous les divertissements, sans prendre le temps de souffler et de descendre un peu en nous-mêmes, la Parole ne nous pénètre pas. Sitôt écoutée, elle s’envole. Impossible de la comprendre, de la « prendre-en nous ». Terrible travail de sape de notre société qui nous fait vivre à l’extérieur de nous-mêmes : il y a toujours à faire, plus à dépenser pour avoir plus que penser pour être plus.

« D’autres sont tombés sur le sol pierreux où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt mais le soleil s’est levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché ».

Des enfants sont émerveillés par la découverte de l’Évangile, emballés par la maman catéchiste, impressionnés par le sacré des églises, membres joyeux d’un mouvement de jeunes. Mais, en grandissant, s’ils se donnent à leurs études profanes, ils négligent d’approfondir leurs connaissances religieuses. Celles-ci, restées enfantines, ne résistent pas aux objections de la culture, aux sarcasmes de l’entourage qui trouve vraiment dépassé de croire en Dieu et d’aller à la messe. Une foi superficielle se dessèche quand « ça chauffe ». Matthieu répète sans cesse que Jésus « enseigne », que ceux qui lui font confiance deviennent ses « disciples » c.à.d. des élèves qui désirent approfondir leur lien au maître, qui s’appliquent à connaître toutes ses volontés. La religion peut se limiter à être une émotion religieuse : la foi doit s’enraciner au fond de nous.

« D’autres grains sont tombés dans les ronces : les ronces ont poussé et les ont étouffés ».

Nombreux sont ceux qui voudraient jouer sur les deux tableaux : chrétiens par tradition familiale, même pratiquants, ils restent très influencés par les mœurs générales. Désireux de réussite sociale, soucieux de leur réputation, matraqués par la publicité, contaminés par l’entourage, ils aiment suivre les modes, posséder le luxe offert, consommer à outrance, risquer des placements avantageux, accroître leur fortune. Or il y a incompatibilité, le choix est obligatoire : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ». Ce n’est pas la science mais le goût de la finance qui a vidé nos églises.

« D’autres sont tombés sur la bonne terre et ils ont donné du fruit à raison de 100 ou 60 ou 30 pour 1. »

La succession des échecs était vraiment accablante mais elle est loin de décourager Jésus. Il connaît les hommes, il ne se fie pas à leurs applaudissements, il sait que, chez la multitude, la grande partie de son enseignement « entrera par une oreille et sortira par l’autre ». Chercher le bonheur en entrant sur le chemin des béatitudes, se démarquer des idées courantes, accepter d’être la cible des critiques, oser contester les puissants, renoncer à la cupidité : faut-il s’étonner que beaucoup refusent cet engagement ?

Mais Jésus sait la puissance de vie contenue dans ses paroles, il connaît la force de l’Esprit, il ne doute pas que « des bons cœurs » accueilleront ces graines de vie nouvelle et porteront des fruits. Chacun selon ses possibilités, selon ses charismes. Paul de Tarse et Jean d’Ephese écriront des pages qui tracent un sillon de lumière dans la nuit du monde, François d’Assise sera le prototype de la joie parfaite, Giotto et Rembrandt transfigureront les graines d’Évangile en images de splendeur. Palestrina et Jean-Sébastien Bach chanteront l’Évangile de la beauté, des architectes et ouvriers de génie lanceront vers le ciel l’Évangile des cathédrales.

De Vincent de Paul à l’abbé Pierre, des artisans de la charité sauveront des multitudes infinies de pauvres. De la petite Blandine à Maximilien Kolbe, de Paul Miki à Martin Luther King des cohortes de martyrs proclameront par leur sang répandu qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour Jésus et ses frères.

S’il ne faut pas nier les crimes de l’Église, la vérité oblige à reconnaître que les graines d’Évangile ont fait naître d’exceptionnelles moissons de charité et de service, de bonté et de beauté.

Tout est parti d’un homme seul qui osait proclamer à des paysans que, contrairement aux apparences, Dieu vient avec son amour. Et c’était vrai.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Au commencement est la Parole

L’activité première de Jésus est la Parole. Et Matthieu précise bien que Jésus a deux manières de parler :

  1. Au point de départ, il « proclame », il annonce un événement : Dieu va venir régner chez les hommes (sans préciser les modalités). En ce temps d’avant nos médias, des crieurs circulaient dans tout le pays pour annoncer une nouvelle (naissance d’un prince, victoire de l’armée, …). Cela s’appelle « le kérygme ». Quand la nouvelle est bonne, elle s’appelle « évangile ».
  2. Ensuite il « enseigne », il explique en quoi consiste notre changement de vie nécessaire (la conversion). Cette école s’appelle « la catéchèse » : c’est ce que nous devons faire en réponse à l’annonce.

Donc l’Église doit en priorité annoncer qu’avec Jésus Dieu s’approche de nous. Il vient renverser le règne des idoles (égoïsme, indifférence aux autres, méchanceté, cupidité, racisme, …) pour proposer son règne d’amour et de paix. Jésus est l’approche de Dieu. Ce kérygme est promesse : cette espérance donne sens à la vie.

Ensuite seulement, on peut, à ceux qui le demandent, expliquer comment Jésus nous appelle à vivre, comment faire une Eglise-communauté. Morale et liturgie montrent comment être prémices du Royaume de Dieu.

En même temps, comme Jésus, il faut accomplir des actions significatives qui montrent que l’œuvre de Dieu commence déjà maintenant à se réaliser sur terre et qu’il ne s’agit pas seulement de piété, de salut des âmes, de vie outre-tombe. Dès les premiers jours, les apôtres ne se contentaient pas de prêcher mais ils soignaient malades et handicapés.

Il ne faut surtout pas croire que l’annonce première étant faite, l’Évangile se transmet par génération et qu’il suffit de construire des églises, de faire catéchisme, de donner les sacrements, d’apprendre une morale de bien-pensants.

Sans évangélisation toujours proclamée, toujours répétée, la foi se dissout, la prédication devient moralisante et la liturgie routinière. « Opium du peuple ».

Voilà pourquoi il importe beaucoup de se réjouir de l’annonce du coup de barre qui vient d’être donné et que présente l’article suivant. La catéchèse va-t-elle se convertir ?

L’évangélisation avant la catéchèse

Ce 25 juin le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation a présenté la nouvelle édition du « Directoire pour la catéchèse ». La précédente édition datait de 23 ans, sous le pontificat de Jean-Paul II. L’objectif est de sortir la catéchèse du modèle d’ « enseignement » pour la mettre dans le projet global d’une Église dont la vocation est l’ « annonce de l’Évangile ».

Le président du Conseil pour la nouvelle évangélisation a expliqué : « Pendant trop longtemps la catéchèse a concentré ses efforts sur la diffusion des contenus de la foi et sur la pédagogie, laissant de côté le moment le plus déterminant : celui de l’acte de choisir la foi ».

Le Directoire affirme : « Évangéliser, ce n’est pas d’abord apporter une doctrine, c’est plutôt rendre Jésus-Christ présent et l’annoncer …La catéchèse a pour but de faire connaître l’amour chrétien qui conduit ceux qui l’ont accueilli à devenir des disciples évangélisateurs ».

Cela est exigé par les profondes mutations culturelles, notamment face au numérique. « La vraie question est : comment devenir une présence évangélisatrice sur le continent numérique ». Il y a également le problème des migrants et la question environnementale. « La catéchèse doit aider les croyants à prendre conscience que l’engagement en faveur de la question écologique fait partie intégrante de la vie chrétienne ».

Le nouveau document appelle à la vigilance pour éviter tout type d’abus (sexuel ou de pouvoir) et souligne « la grande contribution des femmes dans la catéchèse ».
Une part importante est consacrée à la formation du catéchiste « expert dans l’art de l’accompagnement ». « Qu’il regarde avec réalisme les réalités familiales, hétérogènes, avec leurs lumières et leurs ombres….Il est important qu’à travers la catéchèse, chaque personne découvre que cela vaut la peine de croire ».

Pour le directeur de catéchèse de l’Institut catholique de Paris, cette nouvelle approche « va changer les pratiques catéchétiques ». il incombe aux évêques et paroisses de trouver de nouveaux modèles.

(article paru dans la journal La Croix du 26 juin)