14ème Dimanche – Année A – 5 juillet 2020 – Évangile de Matthieu 11, 25-30

Évangile de Matthieu 11, 25-30

Venez à moi car je suis doux et humble de cœur

Matthieu, l’ancien employé des douanes donc habitué à faire des rapports bien réglés, a soigné la construction de son livre où alternent scènes de mouvement et pauses d’enseignement. Donc après le discours de mission, les chapitres suivants nous plongent dans une suite d’actions très bousculées. Je vous invite à lire d’un coup ces chapitres 11 et 12 où Jésus se heurte à l’incompréhension et à une opposition violente mais où il montre qu’il est bien le Messie qui accomplit les Écritures.

Mais ce curieux Messie  embarrasse tout le monde ! D’abord Jean-Baptiste lui-même. Lui, le premier qui avait désigné Jésus, maintenant il est arrêté, jeté en prison. Angoissé, il lui envoie de ses disciples : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ». Jésus leur répond d’aller rapporter à Jean ce qu’il est en train d’accomplir : des guérisons et l’annonce de l’Évangile. Mais il ne tente aucune action pour libérer son maître. Il ne faut pas attendre du Messie des interventions prodigieuses pour échapper toujours à la mort. Plus tard Jésus ne fera rien pour se sauver lui-même de ses ennemis.

Des guérisons, Jésus en a réalisé plusieurs dans la région du lac de Galilée et à Capharnaüm où il réside d’habitude. Les gens en ont été émerveillés mais ils n’ont pas changé de vie. Ce qui excite la colère du prophète : « Si les miracles accomplis dans vos murs avaient eu lieu dans les villes païennes, elles se seraient converties ! Au jour du Jugement Sodome sera traitée avec moins de rigueur que toi, Capharnaüm ! ». En effet les guérisons corporelles sont œuvre de miséricorde mais elles sont surtout des signes : elles appellent à obéir à celui qui les effectue et qui cherche le rétablissement de la personne. A quoi bon retrouver une bonne santé corporelle si l’on reste animé par la méchanceté, le racisme, la cupidité, la jalousie, la haine ?

Jésus prie dans la joie

Matthieu nous racontait un Jésus excédé, vraiment en colère, menaçant du jugement et voilà que tout à coup il enchaîne en nous le montrant exultant dans la prière : c’est l’Évangile de ce dimanche.

« A cet instant, Jésus prit la parole : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance.

Le texte liturgique introduit par un vague : « En ce temps-là » mais Matthieu précise bien « à cet instant ». Car Jésus n’est pas emporté par ses invectives. Certes il est énervé et triste de constater l’incompréhension et le refus de ses compatriotes mais dans le même élan il reconnaît que tout est bien car le dessein de Dieu s’accomplit non par groupe, par ville, mais de façon individuelle.

Il rend grâce à Dieu qui est le créateur de l’univers et surtout son Père. Non pas parce que de façon arbitraire il cacherait à certains ce qu’il révèlerait à d’autres. Mais parce que Dieu projette, en toute justice, d’établir son règne sur la terre par amour des hommes et par respect pour leur liberté. Cela est un « mystère », c.à.d. une réalité qui déborde nos concepts et notre imagination.

Les « sages et les intelligents » ne désignent pas les intellectuels et les premiers de classe mais les esprits qui prétendent tout savoir, qui sont enfermés dans leur système de pensée, ceux « à qui on ne la fait pas ». Ici ce sera les scribes et les pharisiens, spécialistes des Écritures, qui ne parviennent pas à saisir ce que Jésus apporte ni qui il est. Et d’autre part « les tout petits » ne sont pas les niais, les paumés, les imbéciles crédules qui acceptent n’importe quoi. Mais ceux qui, comme les enfants, sont avides d’apprendre, restent ouverts à des nouveautés qu’ils ne rejettent pas d’emblée. Ce sont des humbles prêts à se remettre en question.

Le Père et le Fils

Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler ».

Bien au-dessus des prophètes qui avaient conscience de transmettre des messages reçus de Dieu, Jésus a avec Dieu un lien unique, d’une profondeur et d’une intimité sans égales. Au plus profond du mystère du Royaume, il y a cette connaissance du Fils par le Père, du Père par le Fils. Et c’est la révélation suprême que Jésus, le Fils, apporte : que nous connaissions le Créateur comme notre Père et que nous puissions lui parler en lui disant de façon réelle, non symbolique : « Notre Père qui es aux cieux… ».
C’est pour recevoir cette révélation que Jésus appelle chacun.

Venez à moi …

« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau et moi je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Oui mon joug est facile à porter et mon fardeau léger ».

S’engager à vivre selon les préceptes de la Loi se disait parfois en image : « prendre le joug de la Torah ». Le joug en effet est un poids mais il permet à l’homme qui obéit à la Loi de « bien labourer » sa vie et de tracer des chemins droits. Mais les légistes, acharnés à préciser sans fin des détails et à accumuler des prescriptions pointilleuses, rendaient l’obéissance à la Torah insupportable car au lieu de libérer, elle provoquait le sentiment de culpabilité. On n’était jamais en règle.

Jésus aime bien les petites gens et il lance un appel joyeux. Devenir son disciple, se mettre à l’écoute de la Bonne Nouvelle n’écrase pas. Jésus n’est pas un maître de discipline, un inspecteur tatillon, un donneur de notes et son enseignement n’est pas un catéchisme. Son Évangile, c’est lui, « doux et humble de cœur ». Ses exigences sont empreintes de miséricorde, il est un bon Berger qui veille sur chacune de ses brebis. Pas de jeûnes excessifs, pas de pèlerinages obligatoires, pas de régime alimentaire. Une seule prière, et très courte.

La religion du « permis – défendu »

Les épisodes suivants illustrent le choc entre les deux conceptions du joug.

Un jour de shabbat, les disciples de Jésus avaient faim : passant près d’un champ de blé, ils arrachent quelques épis (les pauvres pouvaient grappiller) et les froissent (travail interdit). Des pharisiens ont vu et attaquent : « Sabbat ! Pas permis ». Jésus réplique : Un jour le roi David et ses compagnons avaient faim : entrés dans le temple, ils ont mangé les pains consacrés pour les prêtres. D’autre part, en sabbat, les prêtres travaillent dans le temple en faisant des sacrifices. Et il ajoute : « Il y a ici plus grand que le temple ! Et le prophète Osée a dit : « C’est la miséricorde que Dieu veut et non le sacrifice ». Le Fils de l’homme est maître du sabbat ».

De là le groupe entre dans la synagogue. Un homme avait une main paralysée. Jésus interpelle les pharisiens : Si vous avez une brebis et qu’un jour de sabbat, elle tombe dans un trou, n’irez-vous pas l’en retirer ?. Or un homme vaut bien plus qu’un animal. Donc il est permis de faire le bien en sabbat. Et il guérit l’homme.

La conclusion du récit est sidérante et fait entrevoir la fin tragique de Jésus :

« Une fois sortis, les pharisiens tinrent conseil contre Jésus, sur les moyens de le faire mourir ».

Pour ces esprits fondamentalistes, la moindre obligation est intouchable, toute infraction fait vaciller l’édifice. Jésus n’est pas un fou mais un blasphémateur dangereux. Donc à supprimer.

Suite et fin de la section

Jésus circule, il demande à ses disciples de ne pas proclamer son identité (source de malentendus) : ainsi est-il le Serviteur bien-aimé de Dieu qui apportera le droit aux nations (Isaïe 42). Il guérit un handicapé si bien que les foules se demandent s’il n’est pas le fils de David (donc le Messie) mais les pharisiens, eux, l’accusent d’avoir fait un pacte avec le diable. Terrible blasphème contre l’Esprit et qui ne peut être pardonné, réplique Jésus qui dénonce leur cœur mauvais.

Et la section se clôture par une autre rupture : Jésus en train de prêcher refuse de sortir pour rencontrer sa mère et ses frères : « Ma famille ? C’est ceux qui font la volonté de mon Père ».

Conclusion

Qui est Jésus ? La question traverse les siècles et interpelle les libertés. Messie, oui, mais incompris, ne correspondant en rien à l’image que l’on s’en faisait. Jean-Baptiste doute de lui, sa ville ne l’écoute pas, les gens le réduisent au rôle d’un bienfaiteur, les pratiquants les plus pieux l’accusent de détruire la Loi, d’être un diable qu’il faut tuer au plus tôt. Et enfin il refuse d’être enfermé dans les liens familiaux.

Au milieu de cette tempête, son appel retentit : « Venez à moi car je suis doux et humble de cœur…Je suis le Fils de Dieu mon Père ». Acceptons- nous cette révélation ? Voulons-nous le suivre sur le chemin de la liberté ?

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Dialoguer avec Dieu

« Acclamons la Parole de Dieu ».
Mais d’abord a-t-elle été proclamée distinctement et avec respect ?
A-t-elle été interprétée, approfondie, actualisée par l’homélie ? L’acoustique du lieu a-t-elle permis une audition parfaite ? Des retardataires n’ont-ils pas brouillé l’attention ?

Et moi ai-je vraiment écouté ? Ne me suis-je pas évadé dans des distractions ? N’ai-je pas ruminé des soucis qui me tracassent ces derniers jours ? Est-ce que je n’écoute pas les nouvelles du jour ou mon chanteur préféré avec plus d’intérêt ? Quand je sors de l’église, suis-je capable de dire le sujet de l’Évangile ?

L’Évangile du dimanche est un message, une Parole qui nous est adressée. Non pour nous rappeler un fait passé ni nous informer. Elle n’est pas une parenthèse religieuse. Elle a pour but d’éclairer notre vie présente, de nous montrer le chemin de la vérité, de purifier nos fausses images de Dieu, de clarifier notre cœur.

Dans la lecture Dieu me parle : il ne peut s’agir que de l’essentiel de ma vie. Dans l’écoute et la réflexion, j’approfondis l’écoute. Dans la prière, je réponds à Dieu : je lui rends grâce de m’accueillir, de me pardonner mes erreurs, de vouloir me rendre heureux.

Mon commentaire hebdomadaire a pour but d’aider à méditer le texte : voici un complément pour approfondir le sens, susciter questions et prières. A chacun d’inventer et de poursuivre sa quête.

Je prends mon Nouveau Testament. Je demande à l’Esprit de m’éclairer.

Évangile de Matthieu :
Chapitres 11 et 12

11, 2 : Jean-Baptiste emprisonné et menacé de mort est pris de doute. Il n’a d’autre réponse que de savoir que l’œuvre de Jésus se poursuit.
Si un malheureux se plaint de n’être pas exaucé, que puis-je dire ?

11, 20 : Jésus invective les villes où il a vécu et fait des guérisons sans qu’elles se convertissent. Des païens, eux, auraient changé de vie.
On peut être catholique, connaître Jésus, voir un miracle : seule importe l’obéissance à l’Évangile. Parfois des païens pratiqueraient mieux l’Évangile que des baptisés.

11, 25 : Les uns s’ouvrent à la révélation : d’autres restent fermés.
La foi est-elle un don arbitraire ? Dieu peut-il forcer l’assentiment ?

11, 28 : « Venez à moi…mon joug est léger… Je suis doux et humble de cœur ».
Suis-je conscient de la libération apportée par Jésus ? Des multitudes cherchent : quête du sacré, religion, méthodes de développement, régimes alimentaires, pratiques, encens, relaxation… Tout ce poids est enlevé. Il ne faut pas chercher à se construire mais aller à la rencontre d’un Messie doux et humble. Mais Jésus dira aussi : « Prenez votre croix ».

12, 14 : Jésus guérit un handicapé le jour du sabbat. Conciliabule de pharisiens : « Il faut le supprimer ».
Quand la religion devient une idéologie, elle peut même exciter au meurtre de celui qui la perturbe en vérité.

12, 22 : Jésus opère une guérison. Réaction des pharisiens : « C’est par le démon ! ». 
Jésus sanctionne : « Péché contre l’Esprit : impardonnable ». Car c’est « leur cœur » qui est endurci (12, 14)

12, 46 : Devant le danger qui le menace, sa mère et sa famille veulent récupérer Jésus. Il refuse.
Le Royaume ne s’adresse ni à une ville (Capharnaüm), ni à un groupe (les pharisiens), ni à ceux qui ne demandent que la santé (foule), ni à une famille mais à chaque personne. « Venez à moi, lance Jésus à tout le monde. Faisons la volonté de mon Père. Vous serez ma famille ». On ne naît pas chrétien : on le devient.

———– Chacun peut prolonger sa réflexion à sa guise. La Parole de Dieu est d’une profondeur infinie.

13ème Dimanche – Année A – 28 juin 2020 – Évangile de Matthieu 10, 37-42

Évangile de Matthieu 10, 37-42

L’Évangile pour le monde

A la suite de dimanche passé, nous écoutons aujourd’hui la dernière partie du discours dans lequel Jésus présente ses directives de mission. Et d’abord nous rétablissons les 3 premiers versets que la liturgie a sautés.

Jésus cause de paix ou de guerre ?

N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre : je ne suis pas venu apporter la paix mais bien le glaive. Oui je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle fille de sa belle-mère ; on aura pour ennemis les gens de sa maison »

La déclaration est paradoxale et il serait idiot d’en conclure que Jésus a voulu le conflit et que sa religion est source de violence. Mais d’autre part il serait naïf d’imaginer que l’Évangile provoque l’unanimité et le bonheur d’un accord général.

Jésus est un doux mais il ne biaise pas avec la vérité, son message bouscule nos arrangements égoïstes, il sape nos idées toutes faites, il dissout nos rêves infantiles. Il appelle sans lésiner à un changement radical et nécessaire mais il ne force pas les libertés. Si bien que celui-ci accepte et l’autre refuse. Et les disputes éclatent déjà au sein même des familles. Un membre décide de ne plus être un baptisé conventionnel et d’appliquer les préceptes évidents de son Évangile : très vite il se heurte aux critiques, aux moqueries, aux colères des autres. Il espérait vivre dans la concorde et partager sa paix : voilà que des orages éclatent.

Grande alors est la tentation de céder, de faire des concessions ou de se taire afin de retrouver la paix du ménage. Danger très grave contre lequel Jésus va mettre en garde.

Conflits familiaux

« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.

L’Évangile n’est pas un credo, ni une liste de lois, ni un catéchisme, ni un manuel liturgique, ni une méthode pour expériences mystiques. Il raconte l’histoire d’un homme qui révèle son identité mystérieuse à travers ses enseignements, ses actions et surtout par sa mort et sa résurrection. Et qui appelle à croire en lui pour avoir la Vie. Celui qui devient son disciple n’adhère pas à une idéologie religieuse mais se laisse prendre par l’amour que Jésus lui porte. Avant il croyait peut-être en Dieu : désormais il fait confiance, il aime celui qui le comble et qui est son Seigneur bien-aimé. La foi chrétienne est l’accueil d’une personne.

Cet amour vécu dans la foi ne supprime évidemment pas les liens affectifs les plus chers : au contraire la foi accroît la capacité d’aimer davantage. Mais si un proche très aimé, un parent ou un enfant, est crispé par cette foi en Jésus et propose des décisions contraires à l’Évangile, le disciple ne peut céder sous peine de trahir le lien créé par sa foi. Il souffrira de cette discordance mais elle sera parfois inévitable. Amour humain et amour divin ne consonent pas toujours. Ce sera la croix.

Où est la vraie vie ?

Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. Car celui qui veut sauver sa vie pour soi la perdra ; qui perdra sa vie pour moi la gardera ».

La foi chrétienne n’est absolument pas un appel à la souffrance : elle est appel à « suivre Jésus » c.à.d. à prendre le chemin discerné par l’évangile. L’intention première de Jésus était de transformer l’humanité et de la libérer du mal : les hommes lui ont très vite signifié qu’ils ne voulaient pas de ses méthodes. Et Jésus a compris qu’il n’accomplirait le projet d’amour de son Père que par la croix qui lui était imposée et dont il ferait le foyer de son amour universel. Sur tout projet de vivre l’Évangile et de suivre Jésus plane immanquablement l’ombre de la croix.

Or plus que jamais la société nous martèle la nécessité d’être heureux : il faut profiter de la vie, goûter à tous les plaisirs, luxe, gastronomie, bateau, voyages, moyens de communication…L’égoïsme n’est pas un chemin d’épanouissement mais de mort : l’actualité nous rappelle encore ce que l’Évangile essaie de nous apprendre depuis des siècles.
« Celui qui perd sa vie pour moi la gardera ». Le disciple aime la vie, il sait apprécier les merveilles de la création mais s’il essaie vraiment, il fait l’expérience que le chemin des Béatitudes – folie aux yeux du grand nombre – lui apporte le véritable bonheur. Par sa vie donnée et crucifiée, il vit de la Vie éternelle.

« Nous qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été plongés…pour que nous menions une vie nouvelle…Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui …Pensez que vous êtes morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ »
(Paul aux Romains 6 – 2ème lecture)

Accueillir les disciples

« Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé. Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste recevra une récompense d’homme juste. Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis, il ne perdra pas sa récompense »

Après avoir longuement parlé des rejets et même de la haine que rencontreront les disciples, le discours s’achève en soulignant l’honneur de ceux qui les accueilleront.

Car l’évangélisation va réussir. Certes elle se heurtera, partout et encore aujourd’hui, à des refus catégoriques, elle introduira des divisions au cœur des familles, elle se payera d’injures, de coups, de sang versé, mais toujours des cœurs s’ouvriront à ce message inattendu.

Des personnes de toutes conditions, parfois au parcours chaotique, s’émerveilleront d’entendre ceux qui leur annoncent la Bonne Nouvelle du pardon et de la Vie. Et il leur sera révélé, prêcheurs et auditeurs, tous pécheurs, qu’ils communient dans le même mystère du Christ Sauveur et de Dieu. Car la foi n’est pas devenir disciple d’une grande personnalité, ni même seulement de Jésus mais, par lui, devenir enfant du Père des cieux.

Celui qui reconnaîtra dans le disciple un prophète, c.à.d. un porte-parole de Dieu, sera lui-même comme un prophète. Idem celui qui percevra dans un disciple un homme juste, ajusté et justifié par Dieu, sera lui-même justifié.

Et le discours se termine magnifiquement. L’envoyé de Jésus ne survient pas comme un Ange étincelant, il n’est pas un génie bardé de diplômes, souvent il ne paye pas de mine, il ne se targue d’aucune supériorité : il est « un petit » qui sait qu’il a tout reçu. Pauvre, inconnu, méprisé, il est parfois assoiffé comme jadis Jésus au puits de Samarie. Mais celui ou celle qui noue une relation avec lui et qui lui offre un simple verre d’eau, sera récompensé au centuple. Ainsi le discours ne s’achève pas sur une note d’intolérance mais ouvre la porte du salut à tous ceux qui ne savent pas encore très bien se décider mais qui au moins ont bon cœur. Avec une joyeuse stupeur, ils apprendront qu’un jour ils ont offert à boire à Dieu.

Conclusion

Il semble que nous soyons en train de sortir de la crise sanitaire. Mais nous découvrons les ravages causés à l’économie mondiale et les perspectives de désastres immenses. Les chiffres d’infection du covits sont remplacés par les annonces de fermetures d’entreprises, de faillites et de mises au chômage de milliers sinon de millions de travailleurs. Beaucoup de voix se sont élevées pour appeler à un changement radical et ne pas retomber dans les erreurs passées. Mr Emmanuel Macron s’écrie : « Chacun de nous doit se réinventer ». Chacun en a-t-il envie ? Si oui comment le peut-il ?

Le discours de mission de Jésus n’a rien perdu de sa pertinence. Il est essentiel que nous vivions et fassions connaître l’Évangile, que nous le proclamions sans crainte, que nous attaquions les idoles de l’argent, de la cupidité, du repli sur soi. La foi en Jésus Seigneur n’enferme pas dans une piété douceâtre, dans le ronronnement de rites routiniers, dans l’enceinte protégée d’une Église inoffensive. Sans arrêt le pape nous presse de modifier notre style de vie, de rompre avec le gaspillage, de lutter contre l’écrasement des pauvres et la destruction de la planète. Les chrétiens osent-ils le changement indispensable ?

Jésus nous a prévenus : si vous faites ce que je vous dis, vous serez la cible de moqueries et de menaces sérieuses. Là est bien la preuve de notre efficacité. Comme des brebis au milieu des loups, au cœur du combat, témoignons du Christ. Car n’oublions jamais : c’est lorsqu’il a été abattu par les hommes que Jésus a ouvert le Royaume et envoyé l’Esprit, seul capable de nous « réinventer » et d’opérer le renouveau indispensable.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire

Quand François nous parle de la mission

Dans un ouvrage paru aux éditions Bayard, le pape François échange avec le journaliste italien Gianni Valente sur une thématique qui lui tient à cœur depuis le début de son pontificat: être missionnaire aujourd’hui dans le monde. Et selon François, « sans Jésus, nous ne pouvons rien faire ».

Extraits choisis

Éprouver le vertige

Que devient une Église si elle n’annonce pas et ne sort pas? demande le journaliste. Ce à quoi François répond: « Elle devient une association spirituelle. Une multinationale destinée à lancer des initiatives et des messages au contenu éthique et religieux. Il n’y a là rien de mal, mais ce n’est pas l’Église. Il s’agit d’un risque lié à toute organisation statique dans l’Église. On finit par domestiquer le Christ. Vous ne portez plus témoignage de ce que fait le Christ, mais vous parlez au nom d’une certaine idée du Christ. »

François insiste sur cette idée, plus loin dans le livre: « La mission n’est pas un projet d’entreprise bien réglé. » C’est avant tout l’Esprit Saint qui doit inspirer le missionnaire. Cela peut provoquer un certain ‘vertige’, en présence des paroles du Christ, mais c’est ce vertige qui confère toute sa fécondité à la mission: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire », dit Jésus à ses disciples (Jean 15, 5)

L’attraction du Christ

Comment définir et comprendre la mission et l’annonce de l’Évangile?
Pour François, la seule phrase « Attire-moi » éclaire tout. « […] Si c’est le Christ qui vous attire et que vous agissez parce que vous êtes attiré par le Christ, les autres n’ont aucune peine à s’en rendre compte » . Il n’est pas nécessaire de le démontrer et encore moins d’en faire parade, ajoute le saint Père. Il souligne aussi que c’est toujours le Seigneur qui prend l’initiative, « c’est toujours lui qui commence ».

« Il y a du prosélytisme partout où se trouve l’idée de faire croître l’Église en se passant de l’attraction du Christ et de l’œuvre de l’Esprit […]. » Il condamne à nouveau cette manière d’agir: « Il [le prosélytisme] ne supporte pas la liberté et la gratuité avec lesquels la foi peut se transmettre, par la grâce, de personne à personne. »

État permanent

Que veut dire annoncer l’Évangile?

« Annoncer l’Évangile signifie transmettre à l’aide de mots sobres et précis le témoignage du Christ comme le firent les apôtres ». Mais « la répétition littérale de l’annonce n’a pas d’efficacité en elle-même et peut tomber dans le vide si les personnes à qui elle s’adresse n’ont pas l’occasion de rencontrer et de goûter d’une manière ou d’une autre la tendresse de Dieu pour eux […] ».

Dans « Evangelii Gaudium » (La joie de l’Évangile), François écrivait que même les activités ordinaires pouvaient être vécues de manière missionnaire. « La condition ordinaire est pour tous le lieu où l’on peut vivre la vocation missionnaire de chaque baptisé. […] Cela signifie être en ‘état permanent’ de mission. […] Il suffit de vivre la vie comme elle vient, de vivre de manière missionnaire les gestes les plus habituels, les occupations les plus ordinaires, au milieu des personnes que le Seigneur nous fait rencontrer. »

Évangile et cultures

François s’exprime également sur la notion d’inculturation et sur la mondialisation. En adoptant les valeurs des différentes cultures, l’Église ne peut que s’embellir en devenant « l’épouse qui se pare de ses bijoux, comme l’évoque le prophète Isaïe ». Et nous devons garder à l’esprit que le message révélé ne s’identifie à aucune culture. Et les chrétiens n’ont pas à imposer une forme culturelle déterminée en même temps que la proposition évangélique. Dès lors, un missionnaire doit s’alléger de sa propre culture pour rencontrer celle de l’autre.

Sur la mondialisation, François explique: « En soi, elle n’est pas une mauvaise chose. Elle peut devenir une menace si on la met en avant avec l’intention de tout aplatir, de tout uniformiser, comme s’il s’agissait d’une sphère où sont effacées les richesses et les particularités de chacun des peuples. »

A cette image, le pape préfère celle d’un polyèdre où toutes les facettes sont unies mais où chacune conserve sa spécificité. Et face aux mouvements de population induits par la mondialisation, « les chrétiens ne devraient pas avoir peur de ces phénomènes qui ouvrent de nouveaux chemins et de nouvelles possibilités à l’annonce de l’Évangile » .

Enfin, aujourd’hui, il semble urgent de préserver le cœur de la mission en évitant de la présenter comme une forme de colonisation idéologique, même masquée. « Il ne s’agit en fait que de proposer le Christ. Dire qu’aujourd’hui, nous avons la possibilité de le suivre. »

 

Sophie DELHALLE – Cathobel –   4 mai 2020

 

« Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire. Être missionnaire aujourd’hui dans le monde » – Pape François avec Gianni Valente, éd. Bayard, 2020, 13 euros.

12ème Dimanche – Année A – 21 juin 2020 – Évangile de Matthieu 10, 26-33

Évangile de Matthieu 10, 26-33

Évangéliser parmi les contradictions

Après la longue série de dimanches de préparation et célébration du mystère central de Pâques, nous reprenons aujourd’hui la route ordinaire balisée par la lecture suivie de l’évangile de Matthieu. Celui-ci a bien structuré son livre en alternant des scènes de mouvements, où Jésus circule et agit, et des moments d’arrêts où il livre un grand enseignement. Rappelons donc le début.

Le nouveau prophète issu de Nazareth a rencontré très vite le succès et les foules se pressaient pour demander des guérisons. Aussi, dans son premier enseignement appelé « sermon sur la montagne », Jésus appelle au bonheur du Royaume mais à condition d’écouter sa Parole et de changer sa propre manière de vivre, ce qui signifie devenir disciple (chap.5-7). Ce mot n’a rien à voir avec discipline mais désigne celui ou celle qui accepte « d’apprendre », qui se met à l’école de Jésus et décide de suivre son enseignement.

Là-dessus Jésus reprend son itinérance à travers les villages de Galilée et partout il rencontre le malheur des hommes. Au point que Matthieu écrit cette très belle phrase : « Voyant les foules, il fut bouleversé aux entrailles parce qu’elles étaient harassées comme des brebis sans berger. Alors il dit à ses disciples : « La moisson est abondante mais les ouvriers peu nombreux. Priez… ! » (9, 36). Cette réaction profonde de miséricorde permet d’introduire au 2ème grand discours qui est le « discours de mission » (chap.10).

Le projet de Jésus est donc d’emblée missionnaire. Il ne cherche pas à recruter le plus de gens possible, il n’est animé par aucun prosélytisme. L’unique motivation de la mission est le bouleversement du cœur devant l’épouvantable misère de l’humanité. Nous ne sommes pas une organisation religieuse avide d’accroître ses effectifs sous prétexte de faire du bien. N’est missionnaire que le disciple qui participe au cœur plein de tendresse de Jésus. « Les hommes meurent et ne sont pas heureux ».

La mission et les 12 Apôtres (10, 1-15)

Le texte lu aujourd’hui constitue la 2ème partie du Discours : aussi importe-t-il au préalable de rappeler le début.

Parmi les disciples qui s’étaient mis à le suivre, Jésus décide d’en appeler 12 selon le nombre des tribus d’Israël et, après leur avoir communiqué son pouvoir d’exorcisme et de guérison, il les envoie pour prolonger sa mission. Leur nom d’apôtre signifie « envoyé » et leur rappelle qu’ils sont des ambassadeurs tenus de faire exactement ce que leur Envoyeur leur a ordonné. Ils constituent l’unique niveau d’organisation voulue par Jésus.

Rappelons en bref les directives principales :

« En chemin » : comme leur Maître, les apôtres marchent, ils vont à la rencontre des gens.

« Proclamez que le Règne de Dieu s’est approché » : c’est la Bonne Nouvelle, la tâche essentielle. Comme Jésus, ils sont les hérauts qui annoncent la venue d’une réalité mystérieuse.

« Guérissez, purifiez, chassez les démons » : la mission est une lutte contre les forces maléfiques qui déchirent, rongent et tuent les hommes. Corps et âmes sont concernés. La mission n’appelle pas à souffrir pour gagner des mérites, ni à se résigner pieusement ni à « sauver les âmes ». Selon l’expression célèbre du pape François, « l’Église est un hôpital de campagne » : elle s’occupe des urgences, elle ne pose pas des conditions, elle se salit les mains. S’il faut dénoncer les scandales qui y éclatent, il est juste de rappeler l’œuvre colossale effectuée par des chrétiens contre toutes les maladies et les fléaux. Le monde reste en état d’appel en permanence. Il sera toujours fatiguant d’être chrétien et inadmissible d’être « un pratiquant » inerte.

« Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement ». Comme le maître, les apôtres ne peuvent exiger aucune rétribution. Tout est grâce.

« Pas d’argent, pas de sac, pas de réserve car l’ouvrier a droit à sa nourriture ». L’apôtre doit être un pauvre non par ascèse mais comme confiant dans la providence de son Père. Des cœurs s’ouvriront à sa parole et du coup ils ouvriront leur maison au missionnaire démuni. Ainsi d’emblée l’Évangile sera vécu en acte, dans l’hospitalité et le partage avec le pauvre. Le missionnaire offre le Pain de la parole de Vie et il reçoit son pain du jour.

Annonce des persécutions (10, 16-25)

Quel paradoxe tragique ! Ces hommes annoncent la Bonne Nouvelle, ils offrent le pardon, ils réconcilient, ils guérissent les malades et ils agissent avec un désintéressement total. ils devraient donc être accueillis à bras ouverts, félicités, remerciés. Pas du tout ! Certes ici et là ils seront écoutés, ils feront des conversions mais Jésus les prévient : maintes fois ils seront rejetés, détestés, arrêtés, livrés au tribunal. Au sein même des familles éclateront des disputes acharnées au point que certains dénonceront leurs proches jusqu’à les faire condamner à mort. « Vous serez haïs de tous à cause de mon Nom »…« A cause de moi » répète Jésus. Le disciple doit s’attendre à ne pas subir d’autre sort que celui de son maître.

« Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups : soyez rusés comme les serpents et candides comme les colombes ».
La comparaison nous fait prendre conscience de notre vulnérabilité : la brebis est un animal sans aucune défense. Son salut est de demeurer dans le troupeau qui se regroupe autour du bon berger. Malheur à celui qui se fie à ses qualités et qui veut faire cavalier seul.

Ne pas craindre (Évangile de ce dimanche 10,26-33)

Devant la perspective de menaces aussi dangereuses, la tentation sera évidemment de se taire, de réduire la foi à une opinion privée, à une vie de gentillesse et de service. Pour aider ses disciples à persévérer et à tenir bon jusqu’au bout, Jésus présente 4 arguments.

« Ne les craignez pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez, proclamez-le ».
Notre société sécularisée voudrait que la foi soit réduite à des mœurs convenables, à une conduite honnête, à quelques bienfaits au service des pauvres. Or l’Évangile est d’abord un message entendu de la bouche de Jésus, proclamé avec conviction, répercuté par tous les moyens de communication. Il ne faut pas céder à la pression de la dérision moderne et le réduire à une morale mesquine, aux droits de l’homme, aux liturgies, à la piété.

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps : craignez plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne ».
La crainte d’être tué ne peut être vaincue que par une crainte plus grande : la crainte de Dieu. L’amour d’obéissance à Dieu permet d’avoir le courage d’affronter les périls corporels. C’est notre Vie éternelle qu’il faut sauver.

« On vend deux moineaux pour un sou ; or pas un ne tombe sans que votre Père le sache. Soyez sans crainte : vous valez mieux que tous les moineaux ».
Voyez la nature et toutes ces réalités à qui Dieu donne la vie. Si des hommes vous ridiculisent, veulent vous faire taire, décident de vous supprimer, n’oubliez jamais que vous avez une valeur unique aux yeux de votre Père. Il vous connaît et n’ignore rien de ce qui vous arrive. Lorsque les hommes exécutent son Fils, il en fait le Seigneur du monde

« Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père des cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai devant mon Père des cieux ».
Le missionnaire proclame avec assurance la certitude de l’Évangile, il se présente comme l’avocat de Jésus, il refait son procès en cassation en démontrant qu’il n’était pas juste de le crucifier et que la victime innocente du Golgotha est maintenant le juge vivant qui pardonne. C’est pourquoi, lorsqu’il comparaîtra devant le Père, Jésus sera à son tour son défenseur.

S’il n’oublie pas ces 4 affirmations, le disciple pourra bien connaître la peur et même trembler d’angoisse (comme Jésus) mais il parachèvera la mission qu’il a reçue parce qu’il en connaît l’enjeu vital.

Conclusion

« Nous parvenons à être pleinement humains quand nous sommes plus qu’humains, quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Car si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? …

La vie s’obtient et se mûrit dans la mesure où elle est livrée pour donner la vie aux autres. C’est cela la mission.

…Que le monde de notre temps puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui ont, les premiers, reçu en eux la vie du Christ … » (Pape François – La Joie de l’Evangile – § 8-10)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Paul Clavier : L’argent doit être un lien, pas un bien !

Dans Par ici la monnaie ! Petite métaphysique du fric (Cerf), le philosophe Paul Clavier s’interroge sur le rôle de la monnaie et notre rapport à l’argent. Alors que nous en avons fait un bien en lui-même, que nous voulons faire fructifier à tout prix, il nous invite à lui rendre sa mission première d’outil d’échange de biens et de services. – Extrait de son interview dans LA VIE du 5 juin 2020

Dans votre livre, vous prenez d’emblée le parti de ne pas accuser « la finance » mais d’inviter à l’examen de conscience. Pourquoi ?

L’esprit d’accusation sert souvent à se donner bonne conscience : on pointe du doigt le coupable, qu’on charge de tous les maux, sans se remettre en cause. À quoi bon accuser « la finance » ? Mais c’est nous aussi, la finance ! Notre mode de consommation, notre gestion de l’épargne, notre exigence de rendement monétaire coûte que coûte, notre peu d’enthousiasme pour des placements vraiment respectueux du travail humain et des ressources de la planète… Cessons de regarder la paille dans l’œil du financier et essayons de bouger la poutre qui obstrue notre regard sur l’argent.

Qu’est-ce qui ne va pas avec l’argent aujourd’hui ?

Chacun est conscient que nos choix sanitaires, écologiques, sociaux sont arbitrés par la gestion des déficits publics et privés. L’argent décide de tout, alors que, par destination, l’argent ne devrait être qu’un moyen d’échange des services et des biens réellement utiles. L’argent est un lien, indispensable dans toute économie qui dépasse l’autosubsistance, mais ce n’est pas un bien. Je n’ai pas dit : « l’argent ce n’est pas bien » ! Simplement, ce n’est pas un bien, ni une fin en soi : c’est un moyen. Machiavel l’avait bien vu : « L’homme ne croit s’assurer de ce qu’il possède qu’en acquérant davantage. » Sous prétexte de sécurité financière, nous réclamons toujours davantage de moyens, et nous perdons de vue la finalités de l’activité économique.

(…)

Il y a aujourd’hui un débat au sujet de l’annulation possible de la dette. Est-ce un simple jeu d’écriture qui ne change rien ou bien, au contraire, une occasion de remettre les compteurs à zéro ? Vous donnez notamment de l’économie chabbatique…

C’est une intuition assez remarquable, qui permet d’ailleurs de couper court aux odieux amalgames sur la « finance juive ». Dans l’institution du Jubilé, les Hébreux prévoyaient la remise périodique des dettes, tous les sept ans, lors d’une année de rémission, la shmitta. Et tous les 50 ans, c’est-à-dire toutes les sept fois sept ans, le Jobel, ou Grand Jubilé, prévoyait la redistribution des terres (ou des moyens de production). Autrement dit, vous étiez incité à tirer parti de ce que vous receviez, à développer votre activité, sans pour autant vous laisser tenter par un rêve d’empire économique indestructible. Inutile de songer à bâtir des entrepôts à l’abri desquels vous couleriez des jours solitaires dans l’abondance en oubliant vos frères humains.

Cette vision de l’argent, non plus comme une propriété mais comme un « commun », est-elle vraiment possible ?

Je consacre un chapitre entier à Simone Weil qui nous invite à « déconsidérer » l’argent, et suggère de « garder la monnaie comme comptable, mais de l’éliminer comme juge et bourreau ». Gaël Giraud, lui, préconise que la monnaie soit gérée comme une ressource commune dont l’usager est responsable, mais pas propriétaire. Cette ressource a bel et bien un usage privé (l’argent qui est dans ma poche ou sur mon compte n’est pas le vôtre) mais pas exclusif. Un peu comme l’eau dans un système d’irrigation agricole. Chaque parcelle reçoit et utilise une portion, au détriment des autres, mais l’ensemble est géré en commun. De même la monnaie peut être une ressource gérée en commun, même si elle est consommée individuellement.

Le rôle du système financier est justement d’allouer la monnaie en fonction de besoins réels de chacun et des intérêts de la collectivité, et non d’en faire un simple bien dans le commerce, soumis à la seule loi du marché.

Inutile de crier à l’utopie ! Le succès des monnaies sociales, ou même la pratique déjà répandue des chèques-repas et des chèques-vacances le montre. Ils rendent à la monnaie sa vraie vocation, qui n’est pas de construire des bulles en forme de pyramide, mais de mettre en rapport des besoins et des ressources.

L’argent ce n’est pas comme le vent : notre responsabilité est de savoir d’où il vient et où il va. Alors l’argent n’asservit plus et peut servir le bien commun.

À lire :
Par ici la monnaie ! Petite métaphysique du fric
de Paul Clavier
Cerf, 14€

Fête de l’Eucharistie – Année A – 14 juin 2020 – Évangile de Jean 6, 51-58

Évangile de Jean 6, 51-58

Le Repas du Seigneur

 

Cette longue période de dimanches sans messe ne va-t-elle pas inciter beaucoup à abandonner la pratique dominicale ainsi que l’ont fait déjà, en ces dernières années, des multitudes qui déclarent: « Je suis croyant mais non pratiquant » (Croyant à qui ? Qu’est-ce que la pratique chrétienne ?). Ou bien au contraire allons-nous cesser de nous résigner à cette hémorragie de nos assemblées pour réinventer des célébrations authentiques en lien avec la vie ? Aujourd’hui, au terme des grandes festivités du mystère pascal, la fête du «  Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ » nous invite à y réfléchir.

L’ordre ultime de Jésus

Conscient de sa mort toute proche, Jésus ne laisse pas un livre ni un portrait, il ne demande pas de lui ériger un monument, d’organiser des pèlerinages sur sa tombe. Sa mémoire ne sera pas un souvenir historique mais un acte efficace, un repas : « Prenez, buvez : ceci est mon corps, ceci est mon sang ». Ses ennemis vont tuer son corps : trop tard, il l’a donné et il vivra pour toujours dans le corps de ses disciples. Ce qu’on appellera son échec sera en fait sa victoire. Ce repas est donc comme la synthèse de son œuvre et les disciples reçoivent deux ordres : « Faites cela en mémoire de moi » et « Aimez-vous les uns les autres ».

L’Eucharistie n’est donc pas une chose, aussi sainte soit-elle, mais un acte mobilisateur. A faire et à refaire pour assimiler cette victoire de l’amour et l’étendre jusqu’à la fin de l’espace et du temps. Ce n’est pas une cérémonie solennelle, un moment de recueillement, une réunion de prières. Mais un repas. Repas unique dans son genre. D’abord parce que c’est lui, le Seigneur – et non un prêtre ni même le pape – qui y invite. Il ne force pas : il appelle les libertés.

Un temps de paroles

Comme tout repas communautaire, l’Eucharistie commence par l’accueil et les échanges de paroles. Le Seigneur nous parle et nous lui répondons. Par les différentes lectures, Il nous explique son projet, nous situe dans la longue histoire et, avec l’aide de l’homélie, nous apprend comment y être des acteurs. Nous écoutons donc ce qui est le message le plus essentiel pour notre existence et nous parlons à Dieu par nos prières et nos chants. Cet aspect fondamental du Repas du Seigneur est sans doute celui qui devrait être revu pour ne plus qu’il soit une entrée facultative, un moment d’ennui dont on ne comprend pas la portée. L’arrivée tardive encore coutumière est plus qu’une impolitesse anodine.

Une assemblée fraternelle sans distinctions

Ce Repas n’est pas réservé à une élite pieuse et distinguée, l’Eucharistie n’est pas une récompense pour services rendus, pour qualités acquises, pour une moralité impeccable. Par sa miséricorde, le Seigneur nous guérit de nos scrupules, nous sort de nos ornières, apaise nos découragements, fait tomber les chaînes de nos péchés.

Beaucoup n’ont pas conscience de la singularité de ce repas spécial. D’habitude nous nous retrouvons selon les liens familiaux ou les niveaux sociaux, par attrait de sympathie ou de voisinage, comme collègues de travail, membres d’un mouvement, supporters d’un même club, partageant les mêmes goûts musicaux. Ces réceptions « mondaines » peuvent être très réussies, elles offrent l’occasion de partages plus intimes, de confidences. Mais immanquablement elles séparent telle famille, tel niveau culturel ou social, tel goût artistique…..de tous les autres, différents.

Au contraire à la messe, personne ne choisit ses convives. L’Eucharistie bouscule toutes les barrières derrière lesquelles nous nous protégeons. Le Seigneur invite le tout-venant. Il n’y a pas de tri à l’entrée, pas de cotisation exigée, pas de tenue recommandée, pas de diplôme requis. On ne se targue pas de ses progrès, on ne promet pas de ne plus pécher. Tous les présents sont des enfants de Dieu, des prodigues qui, hélas, trop souvent gaspillent les grâces reçues mais viennent se jeter dans les bras de leur Père qui sait mieux qu’eux que leurs péchés n’étaient pas tant des plaisirs défendus que des blessures parfois mortelles.

C’est pourquoi la reconstitution des barrières mondaines à la messe est inadmissible. Inviter les personnes titrées et puissantes à trôner à l’avant de l’assemblée dans des bancs de chêne marqués à leurs noms et confiner les pauvres dans le fond de l’église a eu des conséquences désastreuses. Un jour les minables ne sont plus venus.

Atelier de la paix du monde

La messe dominicale n’est pas une habitude inculquée dès l’enfance, une routine subie avec ennui, une parenthèse dans la vie ordinaire. Et les cantiques ne sont pas une berceuse pour nous endormir. Si Jésus a donné sa vie sur la croix, s’il a ordonné à ses disciples de ne jamais cesser de faire son repas, c’est bien pour qu’ils soient unis et ainsi manifestent en acte que Jésus Seigneur a bien commencé à accomplir le salut du monde. Dans toutes ses lettres, Paul revient sur ce point essentiel :

« Frères, la coupe que nous buvons n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps car nous avons part à un seul pain » ( 1 Cor 11 – 2ème lecture du jour)

Nos premiers frères n’auraient pas inventé les hosties individuelles (pratiques, dit-on, mais qui dissolvent la force du symbole et l’argument de Paul. Originairement le repas du Seigneur s’appelait « la fraction du pain ». Le problème n’était pas de veiller au respect des miettes sur l’autel mais d’expérimenter que les convives, venus comme émiettés dans leur individualité, devenaient un par le partage d’un pain fractionné.

Il faut bannir l’expression idiote « faire sa communion » et accepter d’entrer dans la communion que Jésus a voulue en allant sur la croix. Projet en effet « crucifiant » car il exige de tuer nos jalousies, nos rivalités, notre racisme larvé. Projet extrêmement ardu et toujours à reprendre : ce n’est pas pour rien que toutes les lettres de Paul et de Jean reviennent sans cesse sur la lutte permanente contre tous les obstacles qui nous séparent.

Ce repas réalise donc cette paix que l’on nous promet partout et qui est sans cesse torpillée. Il a pour mission de constituer ses convives en artisans de la paix. « Allez dans la Paix du Christ » signifie que nous retournons dans la société pour y faire pénétrer cette paix reçue.

Le salut de la planète

Une bouchée de pain sec et une goutte de vin : le repas de Jésus est tout sauf gastronomique. Sa simplicité radicale signifie qu’il n’a pas pour but de satisfaire nos besoins corporels mais de combler le désir le plus profond de notre âme : le désir de Dieu. Mais en répondant à ce désir secret par le recours à la banalité de notre digestion, l’Eucharistie montre bien que la foi n’est pas une connaissance d’idées religieuses mais réellement une entrée du Seigneur en nous.

Je suis le Pain vivant, descendu du ciel…Le pain que je donnerai, c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie…Ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi, je demeure en lui « ( Jean 6 – Évangile de ce jour)

C’est pourquoi il y a un lien nécessaire entre nos repas et le repas eucharistique. Celui-ci nous met en garde contre « la malbouffe », le gaspillage éhonté, les débordements et les abus. La crise actuelle fait entendre beaucoup de voix qui dénoncent les mensonges d’une publicité excitant la cupidité et qui appellent à « une sobriété heureuse ». L’Eucharistie éclaire notre relecture urgente de l’encyclique du pape sur l’écologie, le climat et la multitude des pauvres.

Le premier jour de la semaine

Les premiers disciples n’ont pas décidé de faire le repas de Jésus chaque année mais chaque semaine. Ni jeudi ni vendredi (jour de sa mort) mais le lendemain du sabbat, le premier jour de la semaine suivante où il est revenu à eux, ressuscité. Et ils l’ont dénommé « domenica dies », en français dimanche, Jour du Seigneur.

Ainsi la puissance pascale traverse le temps. En son jour, le Vivant revient vers ses frères assemblés ; il leur montre ses plaies, source de leur pardon ; par le partage de son repas, il habite en eux et les comble de son Esprit ; il les envoie dans le monde entier.

Résurrection, assemblée, Eucharistie, Miséricorde, amour fraternel, communion, mission pour apporter au monde paix, justice, partage, respect de la création. Comment détailler les richesses inouïes du Dimanche ?

Conclusion

« Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » : ce portrait de la 1ère communauté chrétienne par Luc (Ac 2, 42) est à savoir par cœur. Certes il y avait sans doute des difficultés mais tel était l’idéal à vivre que Jésus avait voulu pour eux et qu’enfin ils comprenaient. Tel était le but de la création, de la venue du Fils et de l’Esprit. Tel était l’idéal à transmettre dans le monde entier. L’Eucharistie est d’emblée un pilier fondamental de la nouvelle humanité.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Pape François

A la messe, élevons nos cœurs, pas nos téléphones

Pape François : Audience du 8 septembre 2017

Nous commençons aujourd’hui une nouvelle série de catéchèses, qui portera le regard sur le « cœur » de l’Eglise, c’est-à-dire l’Eucharistie. Il est fondamental pour nous chrétiens de bien comprendre la valeur et la signification de la Messe, pour vivre toujours plus pleinement notre relation avec Dieu.

Nous ne pouvons oublier le grand nombre de chrétiens qui, dans le monde entier, en deux mille ans d’histoire, ont résisté jusqu’à la mort pour défendre l’Eucharistie; et ceux qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour participer à la Messe du dimanche.

En l’an 304, au cours des persécutions de Dioclétien, un groupe de chrétiens, d’Afrique du Nord, furent surpris alors qu’ils célébraient la Messe dans une maison et furent arrêtés. Le proconsul romain leur demanda, au cours de l’interrogatoire, pourquoi ils l’avaient fait, sachant que cela était absolument interdit. Et ils répondirent : « Nous ne pouvons pas vivre sans le dimanche », ce qui voulait dire: si nous ne pouvons pas célébrer l’Eucharistie, nous ne pouvons pas vivre, notre vie chrétienne mourrait.

En effet, Jésus dit à ses disciples : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6, 53-54).

Ces chrétiens ont laissé le témoignage que l’on peut renoncer à la vie terrestre pour l’Eucharistie, parce que celle-ci nous donne la vie éternelle, en nous faisant participer à la victoire du Christ sur la mort. Un témoignage qui nous interpelle tous et exige une réponse sur ce que signifie pour chacun de nous de participer au sacrifice de la Messe et de nous approcher de la Table du Seigneur.

Cherchons-nous cette source «jaillissante d’eau vive» pour la vie éternelle et qui fait de notre vie un sacrifice spirituel de louange et d’action de grâce et fait de nous un seul corps avec le Christ ?

Tel est le sens le plus profond de la sainte Eucharistie, qui signifie «action de grâce»: action de grâce à Dieu le Père, Fils et Saint-Esprit qui nous englobe et nous transforme dans sa communion d’amour.

Au cours des prochaines catéchèses, je voudrais apporter une réponse à certaines questions importantes sur l’Eucharistie et la Messe, pour redécouvrir, ou découvrir, comment à travers ce mystère de la foi resplendit l’amour de Dieu.

L’Eucharistie un événement merveilleux

L’Eucharistie est un événement merveilleux dans lequel Jésus Christ, notre vie, se fait présent. Participer à la Messe signifie «vivre encore une fois la passion et la mort rédemptrice du Seigneur. C’est une théophanie: le Seigneur se fait présent sur l’autel pour être offert au Père pour le salut du monde». Le Seigneur est là avec nous, présent.

Souvent, nous allons là, nous regardons les choses, nous bavardons entre nous et le prêtre célèbre l’Eucharistie… et nous ne célébrons pas à ses côtés. Mais c’est le Seigneur !

Si le président de la République ou une personne très importante dans le monde venait ici aujourd’hui, il est certain que nous serions tous près de lui, que nous voudrions le saluer. Mais réfléchis: quand tu vas à la Messe, c’est le Seigneur qui est présent ! Et tu es distrait. Nous devons penser à cela.

«Père, c’est que les Messes sont ennuyeuses»
— «Mais que dis-tu, le Seigneur est ennuyeux ?»
— «Non, non, pas la Messe, les prêtres »
— « Ah, que les prêtres se convertissent, mais c’est le Seigneur qui est présent !». Compris ? Ne l’oubliez pas.

«Participer à la Messe signifie vivre à nouveau la passion et la mort rédemptrice du Seigneur».

Posons quelques questions simples

Par exemple, pourquoi fait-on le signe de la croix et l’acte de pénitence au début de la Messe?. Vous avez vu comment les enfants font le signe de la croix? On ne comprend pas ce qu’ils font, si c’est le signe de la croix ou un dessin. Ils font comme cela [le Pape fait un geste confus]. Il faut enseigner aux enfants à bien faire le signe de la croix.

C’est ainsi que commence la Messe, c’est ainsi que commence la vie, c’est ainsi que commence la journée. Cela veut dire que nous sommes rachetés par la croix du Seigneur. Regardez les enfants et enseignez-leur à bien faire le signe de la croix.

Et ces lectures, pendant la Messe, pourquoi sont-elles là? Pourquoi lit-on trois lectures le dimanche et deux les autres jours ? Pourquoi sont-elles là, que signifie la lecture de la Messe? Pourquoi les lit-on et quel rapport ont-elles avec la Messe?

Ou encore, pourquoi à un certain moment, le prêtre qui préside la célébration dit-il: « Élevons nos cœurs? ». Il ne dit pas: « Élevons nos téléphones portables pour prendre une photo ! ». Non, c’est une chose laide ! Et je vous dis que je trouve cela très triste quand je célèbre ici, sur la place, ou dans la basilique, et je vois tant de portables levés, pas seulement ceux des fidèles, mais aussi de certains prêtres et également d’évêques. Mais tout de même ! La Messe n’est pas un spectacle : c’est aller à la rencontre de la passion et de la résurrection du Seigneur. C’est pourquoi le prêtre dit: « Élevons nos cœurs ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Rappelez-vous : pas de téléphones portables.

Redécouvrir l’essentiel

Il est très important de revenir aux fondements, de redécouvrir ce qui est l’essentiel, à travers ce que l’on touche et ce que l’on voit dans la célébration des sacrements. La question de l’apôtre saint Thomas (cf. Jn 20, 25), de pouvoir voir et toucher les blessures des clous dans le corps de Jésus, est le désir de pouvoir d’une certaine façon «toucher Dieu» pour y croire. Ce que saint Thomas demande au Seigneur est ce dont nous avons tous besoin: le voir, et le toucher pour le reconnaître. Les sacrements répondent à cette exigence humaine. Les sacrements, et la célébration eucharistique de façon particulière, sont les signes de l’amour de Dieu, les voies privilégiées pour le rencontrer.

Ainsi, à travers ces catéchèses que nous commençons aujourd’hui, je voudrais redécouvrir avec vous la beauté qui se cache dans la célébration eucharistique et qui, une fois dévoilée, donne tout son sens à la vie de chaque personne. Que la Vierge nous accompagne sur ce nouveau bout de chemin. Merci.

A travers ce nouveau cycle de catéchèses, que le Seigneur nous aide à redécouvrir la valeur et la signification de la Sainte Messe, pour vivre toujours plus pleinement notre relation avec Lui. Que Dieu vous bénisse !

Pape François

Cette catéchèse est le première d’une série à lire sur le net.

Fête de la Sainte Trinité – Année A – 7 juin 2020 – Évangile de Jean 3, 16 – 18

Évangile de Jean 3, 16 – 18

Liberté par le Père,
Egalité par le Fils,
Fraternité dans l’Esprit

 
“Dieu”: le mot le plus énigmatique. Personne ne sait dire exactement ce qu’il signifie. A placer dans le dictionnaire des noms propres ou celui des noms communs ? A écrire avec ou sans majuscule ? Le charretier le crache comme un juron qui le soulage alors que le mystique murmure qu’Il est celui dont on ne peut rien dire. Les trois grands maîtres de notre temps ont proclamé sa disparition: Nietzsche crie qu’il est mort; Freud dénonce dans la religion “une illusion” et Marx “l’opium du peuple”.

“Je crois en Dieu. Je suis incroyant. J’ai perdu la foi”: que signifient ces déclarations si finalement on ne peut dire de quoi ou de qui il est question ? Pourtant n’est-ce pas la question la plus importante qui se pose à l’homme ? Loin d’être une occupation théologique réservée à certains penseurs, la question de Dieu commande la destinée de l’homme et des peuples, et donc la marche de l’histoire. Risquons donc un rapide tour d’horizon.

« Si Dieu n’existe pas, tout est permis » : cette réplique d’un personnage de Dostoïevski est fausse évidemment. Des hommes qui se disent athées sont capables de vivre une morale de grande valeur : leur conscience les incite à lutter contre les injustices, à défendre la vie des misérables et des esclaves. Ils s’attribuent même plus de mérites puisque leur engagement est désintéressé, sans espoir d’une récompense du côté du ciel.

Néanmoins l’histoire de tous les peuples montre l’omniprésence de la religion : partout et toujours on remarque la quête du sacré, la recherche, au moins vague, d’une transcendance, la pratique de certains rites, de la prière, de pèlerinages, la construction d’édifices religieux, la délimitation entre profane et sacré.

Tous les peuples de l’antiquité étaient polythéistes et les vestiges de leurs temples et de leurs statues nous impressionnent encore. Mais à travers le panthéon innombrable de Ra, Thot, Zeus, Vénus et tant d’autres, n’adoraient-ils pas les forces de la nature qui les angoissaient et dont dépendait leur subsistance ? Ou ne projetaient-ils pas sur ces dieux leurs passions trop humaines : la toute puissance paternelle, la séduction du corps féminin, le racisme, l’envie de meurtre ?

Or, dans un coin de cet univers rempli de dieux, un phénomène curieux apparaît : au Proche-Orient, un petit peuple, à la surprise générale, se distingue de tous les autres. Perdu au milieu des grands empires qui souvent l’envahissent, le briment, l’écrasent, Israël proclame que tous les dieux sont des idoles vides et qu’il n’y a qu’un seul Dieu qui a créé le monde et qui s’est révélé à lui. On ne peut le représenter d’aucune façon, ni image ni statue. A sa demande, on lui a bâti une Maison somptueuse mais le cœur de cette demeure n’est accessible à personne sauf au Grand Prêtre qui ne peut pénétrer derrière le voile du Saint des Saints qu’une fois par an. Dans cet espace vide se trouve l’arche d’Alliance qui contient l’essentiel de la Loi que Dieu a donné à son peuple pour qu’il soit son code de vie : les Dix Commandements.

Le Dieu suprême que les peuples de cette région de Canaan appelaient El ou Elohim (au pluriel) a révélé son vrai nom à Israël : YHWH. 4 consonnes donc nom imprononçable. Il semble être la forme du verbe être aux trois temps, passé, présent et futur. « J’étais – Je suis – Je serai ». Matin et soir, tous les jours de sa vie, tout fils d’Israël doit proclamer la profession de foi fondamentale : « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est Seigneur unique ». Tout Juif espère mourir en prononçant le dernier mot : EHAD = UN. Et il doit accepter le martyre si on veut l’obliger à renier cette foi.

Cette révélation du Dieu unique a des conséquences infinies : il n’y a qu’un monde qui nous a été confié et dont nous devons prendre soin ; il n’y a qu’une humanité donc aucune supériorité d’un homme sur l’autre, d’un peuple sur l’autre ; l’amour de l’homme et de la femme est la merveilleuse image de ce Dieu ; l’histoire n’est pas un éternel retour, une fatalité dictée par les caprices des dieux mais l’accomplissement du projet de Dieu qui propose à l’humanité de vivre selon sa Loi. Car le choix d’Israël n’est pas un privilège mais une mission, une vocation.

Un jour surgit Jésus de Nazareth

Toute sa vie, il a été fidèle au « shema », il prie tous les psaumes à Dieu avec lequel il entretient une relation toute particulière : il l’appelle « abba- papa » ; il est son Fils bien-aimé, chargé d’inaugurer son règne sur terre. Il observe fidèlement tous les commandements de la Loi car il ne vient pas l’abolir mais l’accomplir. Méconnu par les autorités, considéré comme un blasphémateur, il est condamné et mis à mort sur une croix.

Mais peu après, ses disciples réapparaissent complètement changés et ils affirment que Jésus leur est apparu vivant, qu’il les a comblés de l’Esprit de Dieu afin d’annoncer cette Bonne Nouvelle à Israël et au monde entier.

Devant cette Révélation ahurissante, on peine à imaginer l’ébullition des esprits, l’échauffement des débats, la joie de certains, la colère des autres. Comment penser l’impensable ? Oui il n’y a qu’un Dieu, mais l’homme Jésus est plus qu’un prophète. On ne peut le reléguer dans la liste des grands prophètes. Il est Fils : qu’est-ce à dire ? En outre l’Esprit qu’il a envoyé ne peut plus être seulement considéré comme une inspiration temporaire, un coup de vent, une aide. Qu’est donc au fond l’Esprit de Dieu ?

La Torah certifiait que Dieu YHWH est unique, invisible, indicible. Mais également qu’il communique avec les hommes par « la Parole de Dieu ». Et qu’il est doué d’une sagesse, d’un Esprit extraordinaire. Maintenant les premiers disciples arrivent à la conclusion que Parole et Esprit de Dieu ne sont pas que des métaphores. Que Dieu est UN mais en même temps Père, Fils et Esprit.

Cette ouverture de la foi – inacceptable et refusée par la grosse majorité d’Israël – s’est répandue à une vitesse étonnante. Jésus étant mort au printemps 30 (selon notre calcul actuel), déjà en l’an 57, Paul termine sa 2ème Lettre à la communauté de Corinthe par une salutation restée célèbre puisqu’elle ouvre désormais nos célébrations eucharistiques : «  La grâce de notre Seigneur Jésus, l’amour de Dieu et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous » (2 Cor 13, 13).

Et l’évangile de Matthieu (années 80) témoigne de la pratique de l’Eglise qui applique le discours d’envoi du Ressuscité disant aux apôtres :

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez : dans toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Matt 28, 18)

Au milieu du 2ème siècle, Théophile d’Antioche parlera en grec de « trias », que Tertullien, au siècle suivant, traduira en latin « Trinitas ». D’où notre mot Tri-Unité, qui a le malheur d’apparaître comme une abstraction alors qu’il s’agit de Vivants, de Super-Vivants.

Sans la Trinité, que dire ?

Notre raison évidemment achoppe sur un mystère qui lui échappera toujours. Des sceptiques nous écoutent avec un sourire narquois ; on nous accuse de retomber dans le polythéisme ; même des chrétiens ne voient pas en quoi cela les concerne. Et pourtant !…

  • S’il y a des dieux, l’humanité retombe dans l’idolâtrie. On le voit aujourd’hui dans la mythologie moderne : le culte du veau d’or, de la puissance de l’argent et du sexe, l’obsession des objets, le culte des vedettes(« Johnny c’est mon dieu » hurle un fan à la sortie d’un concert), les liturgies de la Coupe d’Europe dans les temples du sport, le gaspillage effréné qui détruit la création et affame des centaines de millions de misérables. La puissance des idoles est telle qu’elle séduit les multitudes qui n’en remarquent même pas la perversité. Vous ne voyez pas que l’effritement de l’Eglise occidentale n’est pas dû à la persécution violente ?
  • S’il n’y a qu’un Dieu, le danger est le fondamentalisme, l’intolérance , l’élitisme des clercs, le désir de puissance, la tentation de la croisade, la pourpre, le faste et le blocage dans des formules sacrées.

  • Si Jésus n’est qu’un grand homme, un prophète, nous l’admirons pour la beauté de sa doctrine, son amour des pauvres, sa dénonciation des puissants, son courage devant la mort. Il nous a donné de grandes leçons. Mais, comme dit saint Augustin, si son Evangile n’est qu’un texte, il nous écrase car « la lettre tue ». Il ne nous sauve pas. Pas plus que Jean-Baptiste ni Martin Luther King. Ces héros de la vérité, ces martyrs, ces prophètes sont admirables, ils ont ouvert des chemins de libération des pauvres. Mais ils nous laissent seuls comme des disciples devant leur maître disparu. C’est parce que Jésus est Fils de Dieu que sa mort enlève nos péchés, que sa résurrection nous fait vivre et qu’il a pu inventer l’Eucharistie.

  • Si l’Esprit n’est qu’une inspiration qui pénètre notre intériorité et apaise nos troubles, il n’est qu’un moment de génie comme Bach, Mozart ou Michel-Ange ont eu des inspirations pour produire leurs chefs-d’œuvre. Ou la spiritualité est un effort de maîtrise de soi, une méthode longue et ardue afin d’atteindre des états inaccessibles à la foule. C’est parce que l’Esprit est Seigneur qu’il nous transforme par simple don gratuit, accueilli par les cœurs pauvres. L’Esprit nous transforme en fils de Dieu, il nous met en communion les uns avec les autres, il nous fait aimer comme Jésus nous a aimés.

Conclusion

Le grand philosophe Kant écrivait: « De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Démontrez-lui le contraire.

Comment la devise républicaine « Liberté – Egalité – Fraternité » est-elle un décalque laïc de la Trinité ?

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Trinité et Création

Finale de l’exhortation du pape François «Laudato Si»

5ème anniversaire

238. Le Père est l’ultime source de tout, fondement aimant et communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par qui tout a été créé, s’est uni à cette terre quand il a été formé dans le sein de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement présent au cœur de l’univers en l’animant et en suscitant de nouveaux chemins.

Le monde a été créé par les trois Personnes comme un unique principe divin, mais chacune d’elles réalise cette œuvre commune selon ses propriétés personnelles. C’est pourquoi « lorsque […] nous contemplons avec admiration l’univers dans sa grandeur et sa beauté, nous devons louer la Trinité tout entière » (Jean-Paul II).

239. Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion trinitaire, incite à penser que toute la réalité contient en son sein une marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure nous enseigne que toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée si le regard de l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire.

240. Les Personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les créatures tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui s’entrelacent secrètement (S. Thomas d’Aquin).

Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui existent entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre propre épanouissement.

En effet, plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création.

Tout est lié, et cela nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité.

Marchons en chantant

243. A la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin.

Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau ». La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés.

244. Entre-temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son Créateur » (St Basile).

Marchons en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.

245. Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.

Chaque génération se croit vouée à refaire le monde.
La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas.
Mais sa tâche est peut-être plus grande.
Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.

Albert Camus – Discours de réception du Prix Nobel – 10 12 1957

246. Après cette longue réflexion, à la fois joyeuse et dramatique, je propose deux prières : l’une que nous pourrons partager, nous tous qui croyons en un Dieu Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que nous, chrétiens, nous sachions assumer les engagements que nous propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la création.

Prière chrétienne avec la création

Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures, qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.

Fils de Dieu, Jésus, toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie, tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.

Esprit-Saint, qui par ta lumière orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.

Ô Dieu, Un et Trine, communauté sublime d’amour infini, apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers, où tout nous parle de toi.

Éveille notre louange et notre gratitude pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.

Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.

Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles, et prennent soin de ce monde que nous habitons.

Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.

Donné à Rome, le 24 mai 2015, solennité de Pentecôte,
Pape François