26ème dimanche ordinaire – Année C – 29 septembre 2019 – Évangile de Luc 16, 19-31

ÉVANGILE DE LUC 16, 19-31

PARABOLE DU RICHE ET DU PAUVRE

« UN LINCEUL N’A PAS DE POCHES » (Pape FRANCOIS)

L’avertissement sévère de Jésus contre la déification de l’argent avec la parabole de l’intendant (lecture de dimanche passé) s’adressait aux disciples mais des pharisiens aux aguets l’ont entendu et se mettent à ricaner. Car, pour eux, cela n’était pas du tout conforme à ce qu’enseignaient leurs sages : Dieu, disaient-ils, récompense les justes en les comblant de bienfaits de sorte que la richesse est un signe de sa bénédiction.

Ces hommes au fond aimaient l’argent, commente Luc. Jésus dévoile leur duplicité et leur hypocrisie :

  • Vous semblez être des justes devant les gens mais Dieu connaît vos cœurs, votre intérieur. Ce qui pour les hommes paraît de grande valeur est une horreur à ses yeux.

Et après quelques remarques (omises par la liturgie), Jésus leur raconte une autre parabole :

Il y avait un homme extrêmement riche. Il portait des vêtements de pourpre et de linge fin et chaque jour, il faisait de somptueux festins.
Couché au porche de sa demeure, gisait un pauvre nommé Lazare, couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier des déchets qui restaient de la table du riche. Mais c’était plutôt les chiens qui léchaient ses ulcères.

Les traits sont à la limite de la caricature, forcés à l’extrême mais c’est dans le but d’accentuer l’ignominie de la situation et nous secouer. D’un côté un milliardaire qui a tout. Mais qui n’a pas de nom. Car est-on un vrai homme quand on s’enferme dans le luxe et que l’on ne voit pas le pauvre ? Et son anonymat ne peut-il inciter certains, encore aujourd’hui, à s’identifier à lui ?

De l’autre côté un sans-logis qui n’a rien. Mais il est le seul personnage de toutes les paraboles qui a un nom : Lazare, qui signifie en hébreu « Dieu aide ». Misérable, affamé, en haillons, il n’injurie pas, il ne hait pas, il ne crie pas : « Mort aux riches », il ne hurle pas à la révolution. Ainsi tous les misérables, exclus et méprisés, ont un trésor caché : le lien secret avec Dieu qui est leur père et qui ne les rejette jamais.

Un haut personnage admiré, envié, respecté et un paquet de loques dans le coin du porche où s’alignent Rolls Royce et Jaguar. Entre les deux, un mur invisible, impénétrable, créé par le cœur bétonné du nanti.

Mais qui que l’on soit, quoi que l’on possède, la vie sur terre, à un moment s’arrête. Ce qui ne veut pas dire qu’elle finit. Sinon nous ne serions que des animaux soumis à la loi de la jungle et au triomphe insolent de l’injustice.

Le pauvre mourut et les anges l’emmenèrent auprès d’Abraham. Le riche aussi mourut et on l’enterra !

RETOURNEMENT DES SITUATIONS

Luc est le seul évangéliste qui reprend ici certaines représentations juives : les morts sont tout de suite classés en diverses catégories qui anticipent béatitude et châtiment éternels. Le procédé permet d’ouvrir un dialogue tragique car, au séjour des morts, les places sont inversées. Le riche à la torture voit au loin Abraham avec Lazare.

  • Abraham, mon père, aie pitié de moi, envoie Lazare tremper son doigt dans l’eau pour me rafraîchir car je souffre dans ces flammes.
  • Mon enfant, souviens-toi : tu as reçu ton bonheur durant ta vie et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation et toi, la souffrance. Et d’ailleurs entre vous et nous, il y a un grand abîme qui empêche le passage d’un côté à l’autre.
  • Alors envoie Lazare dans la maison de mon père car j’ai 5 frères. Qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas dans ce lieu de torture.
  • Ils ont les Ecritures, la Loi et les Prophètes : qu’ils les écoutent.
  • Non, dit le riche : mais si quelqu’un de chez les morts venait chez eux, ils se convertiraient.
  • S’ils n’écoutent pas la Loi et les Prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus ».

Il faut bien comprendre : la mise en scène n’entend pas décrire une image précise de l’au-delà. Mais elle a pour but de faire saisir le prix immense de la vie humaine et l’urgence de changer de comportement.
Dans le Royaume, s’opère un retournement radical des situations. Dès le début Jésus l’avait dit dans le programme des Béatitudes : « Vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés … Vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim… » (6, 20).

Et Marie l’avait annoncé dans son cantique : « Dieu jette les puissants à bas de leurs trônes, il élève les humbles…Il comble de biens les affamés, il renvoie les nantis les mains vides » (1, 51)

Le riche n’est pas critiqué pour sa fortune mais pour sa dureté de cœur. Son avidité l’enferme dans ses palais, son opulence, sa recherche de jouissance tellement obsédée qu’il ne voit pas la misère de ce pauvre prostré devant sa maison, il n’entend pas ses plaintes, il devient incapable de lui offrir ses restes. Pour lui, ce sans-logis n’est pas un homme mais un objet, un raté, un inutile, un encombrant qui souille le paysage et qu’il faudrait évacuer.

Mais après la mort, ce fossé que le riche a créé entre lui et le pauvre et qu’il a voulu infranchissable, il le retrouve mais cette fois, c’est lui qui est du mauvais côté. Sur terre, il brûlait de l’amour de lui-même, du plaisir de satisfaire ses moindres envies : à présent cet amour continue à le brûler mais pour rien. Car le ciel est un monde sans objets mais uniquement de personnes. Et l’enfer, un état de frustration désespérée, un besoin qui se tord parce qu’il sait qu’il ne sera jamais un désir, une plénitude, une rencontre de personnes.

Quant au pauvre, il est « Lazare », celui que Dieu aide, que Dieu comble. En vrai fils d’Abraham, le modèle des croyants qui font confiance en leur Dieu, il peut rejoindre son père, le modèle de l’hospitalité.

LE TEMPS URGE

La vie terrestre est un chemin de recherches, de doutes, d’erreurs, de péchés mais notre liberté peut en faire un chemin de conversion, de changement d’orientations. Et la décision doit être prise d’urgence. Car, à un moment, inconnu, le temps s’arrête et les situations sont fixées.
« Un grand abîme » est creusé entre les deux états et il n’est plus possible de passer d’un côté à l’autre. Tristesse inconsolable de ne plus pouvoir rencontrer celui que j’ai rejeté et avec lequel j’aurais pu être infiniment heureux.

En ce cas, il n’y a rien de plus urgent, de plus impératif que de prévenir ceux et celles qui marchent encore sur cette terre pour que, tout de suite, ils prennent conscience de l’enjeu.

Mais il y a longtemps que les avertissements ont été donnés : ils sont clairement écrits dans le Livre de la Vie.

Moïse a donné les lois sur le droit et la justice, il a bien dit et redit comment recevoir les bénédictions de Dieu et comment éviter sa condamnation.

Et les Prophètes, pendant des siècles, se sont succédé pour répéter ces préceptes, pour pointer les déviations, pour corriger des péchés, pour indiquer clairement le chemin du bonheur et celui du malheur. Ainsi Amos qui nous parle dans la 1ère lecture :

« Malheur à ceux qui vivent tranquilles dans Jérusalem…Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les meilleurs agneaux, les veaux les plus tendres. Ils improvisent des chants au son de la harpe… ils dégustent du bon vin…ils se frottent avec des parfums de luxe. Mais ils ne se tourmentent aucunement du désastre d’Israël ! C’est pourquoi ils vont être déportés et la bande des vautrés n’existera plus » (Am 6, 1)

Il n’y avait pas besoin d’attendre mes paraboles, dit Jésus : moi-même je ne fais que répéter l’antique message.

Le riche acquiesce mais il est sans illusions : je connais mes frères et même s’ils se disent croyants, fils d’Abraham, s’ils fréquentent le temple et participent aux fêtes, ils ne mettent pas en pratique ces prescriptions des Ecritures. Il leur faudrait un choc, un grand miracle. Si un ressuscité venait, alors ils se convertiraient.

Absolument pas, répond Abraham :

« Même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus »

Jamais sans doute on n’a dénoncé avec une telle force la puissance de l’argent, ce dieu qui rend esclaves, qui tue et qui ruine toute société. Devant l’apparition d’un ressuscité, un pervers, un débauché peut se ressaisir : un avare, presque jamais !

CONCLUSION

L’aide aux pauvres est une obligation de l’Etat et un devoir essentiel de l’Eglise et de tout chrétien. Il faut reconnaître que c’est une œuvre difficile. Tant de misérables sont des victimes d’addiction (alcool, drogue). Tant d’œuvres humanitaires mal gérées. Tant de détournements de fonds.

Cela ne doit pas nous servir d’excuse pour justifier notre train de vie. Chaque paroisse doit s’interroger sérieusement et trouver des méthodes d’une charité efficace et intelligente. Les besoins sont tels qu’ils exigent l’engagement de tous. Les effarants profits de certains nous poussent à imiter le courage de Jésus qui dénonçait une fausse piété camouflant l’injustice.

Le rapport à l’argent est une dimension essentielle de la vie spirituelle car il y va de l’amour. Il est obscène de le réduire à jeter une piécette dans un gobelet.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE

La tradition chrétienne n’a jamais reconnu le droit à la propriété privée comme absolu ni intouchable.

« Au contraire, elle l’a toujours entendu dans le contexte plus vaste du droit commun de tous à utiliser les biens de la création. Le droit à la propriété privée est subordonné à celui de l’usage commun, à la destination universelle des biens » (Jean-Paul II: Encyclique sur le travail)

L’enseignement social de l’Eglise exhorte à reconnaître la fonction sociale de toute forme de possession privée…L’homme « ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres » (Concile Vatican II)

La destination universelle des biens comporte, pour leur usage, des obligations de la part de leurs propriétaires légitimes.

L’individu ne peut pas agir sans tenir compte des effets de l’usage de ses ressources, mais il doit agir de façon à poursuivre aussi, au-delà de son avantage personnel et familial, le bien commun.

Il s’en suit un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l’activité productive, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de les faire fructifier.

Le principe de la destination universelle des biens requiert d’accorder une sollicitude particulière aux pauvres, à ceux qui se trouvent dans des situations de marginalité et, en tout cas, aux personnes dont les conditions de vie entravent une croissance appropriée.

A ce propos, il faut réaffirmer, dans toute sa force, l’option préférentielle pour les pauvres.

« C’est là une option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Eglise.
Elle concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu’il imite la vie du Christ, mais elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage des biens.

Cet amour préférentiel ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans avenir d’un avenir meilleur »

25ème dimanche ordinaire – Année C – 22 septembre 2019 – Évangile de Luc 16, 1-13

ÉVANGILE DE LUC 16, 1-13

VOUS NE POUVEZ SERVIR A LA FOIS DIEU ET L’ARGENT

Tous les évangélistes racontent la même vie de Jésus mais chacun le fait à sa façon en insistant sur tel ou tel aspect de son enseignement. Ainsi Luc, que nous suivons cette année, rappelle fortement les mises en garde répétées du Seigneur à l’endroit de l’argent car il s’agit bien d’un péril mortel pour la foi.

Notamment trois paraboles célèbres traitent de ce sujet :
Celle de l’enrichi rêvant de nouvelles constructions mais que la mort surprend tout à coup (Luc 12, 13 lue le 18ème dimanche) ;
Celle de l’intendant (que nous écoutons aujourd’hui) ;
Celle du nanti qui n’aide pas le pauvre Lazare qui gît à sa porte (sera lue dimanche prochain)

LE GERANT CORROMPU MAIS HABILE

Un gros négociant apprend que l’intendant qui gère ses affaires est un homme malhonnête et corrompu qui mène des opérations à son détriment.
Il le convoque : « Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion car je te congédie ».
Effondré, l’homme réfléchit à son avenir : « Que vais-je faire ? Travailler la terre : je n’en ai pas la force. Mendier : j’aurai honte ! ».
Une idée tordue mais subtile surgit : « Ah oui, je sais ce que je vais faire pour qu’une fois renvoyé de mon poste, je trouve des gens qui m’accueilleront ».
Il fait venir, un par un, les débiteurs de son patron. « Combien dois-tu à mon maître ? – 100 barils d’huile – Voici ton reçu : assieds-toi et écrit 50 ». De même avec le suivant : « Combien dois-tu ? – 100 sacs de blé – Voici ton reçu, écris 80 ».

Par la suite, le grand patron fut mis au courant de cette escroquerie : non seulement son intendant avait mal géré ses affaires mais en outre, avant de partir, il lui avait fait perdre une petite fortune. Et cependant, dans sa colère, il ne put s’empêcher d’admirer l’astuce de ce malin bougre qui avait trouvé le moyen de se faire des amis qui allaient lui montrer leur reconnaissance en l’accueillant et en l’aidant à retrouver une place convenable.

Evidemment la parabole ne fait pas l’apologie d’un escroc. Il y a eu vol condamnable. Mais Jésus en tire une leçon pour ses disciples :

Car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de lumière. Moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l’argent trompeur afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

Les hommes qui sont enfermés dans les seuls intérêts de ce monde regorgent d’imagination et d’astuce pour toujours se tirer d’affaire. Sans scrupules, ils jouent des jeux dangereux, ils prennent de grands risques : aussi est-il capital pour eux d’avoir des relations bien placées, de graisser la patte de certains qui sauront les tirer d’affaire au cas où ils seront pincés.

Avoir un bon cabinet d’avocats madrés est indispensable pour se permettre des opérations bancaires à la limite de la criminalité, ou pour effectuer des transferts de sommes colossales dans les paradis fiscaux, ou pour échapper au fisc.

Régulièrement les médias nous apprennent que l’on a pincé tel politicien, tel financier pris en flagrant délit de corruption ou de malversation. Mais nul n’ignore qu’il ne s’agit là que de la pointe de l’iceberg et que de gros bonnets continuent à plastronner dans les ministères et les salons où ils paraissent les plus respectables gens du monde.

Jésus nous rappelle aujourd’hui que nous sommes, nous aussi, assis sur des sièges éjectables et sans parachute doré. Nous ne sommes au monde que pour un temps limité. Puisque nous avons reçu la lumière de la vérité, pendant qu’il en est temps, usons de l’argent, de façon honnête, pour nous faire des amis qui nous accueilleront lorsqu’à la mort, l’argent n’aura plus le pouvoir de nous sauver.

Qui sont ces amis ? Les pauvres. Ceux que Dieu accueille toujours dans ses demeures éternelles. Tous ceux que nous aurons sauvés de la famine, que nous aurons aidé à vivre sur terre, accueilleront leurs bienfaiteurs pour leur survie au ciel.

AUTRES ENSEIGNEMENTS SUR L’USAGE DE L’ARGENT

Et Jésus continue par quelques réflexions sur ce même sujet.

Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Si vous n’avez pas été dignes de confiance avec l’Argent trompeur, qui vous confiera le Bien véritable ? Et si vous n’avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, qui vous donnera le vôtre ?

Sur terre, l’argent est utile, nécessaire. Tout jeune Jésus a dû trimer dur pour gagner sa vie ; prophète il n’a exigé le dénuement que de certains disciples très proches ; et les premières Eglises ne sont pas devenues des communautés mendiantes. Se convertir n’était pas devenir chômeur.

Mais « la grande affaire », c’est la venue du Royaume qu’aucune force, aucune puissance ne peut relativiser ni encore moins remplacer. Si l’on croit en l’Evangile, si l’on veut vivre en disciple de Jésus, si les Béatitudes deviennent notre feuille de route, il nous faut consentir à ce que l’argent reste « une petite affaire ».

L’argent est « trompeur » puisque la mort lui enlève tout pouvoir, et il demeure un « bien étranger » à côté des véritables valeurs du cœur. L’avoir donne un pouvoir (limité) mais jamais l’être. Car l’amour n’est pas possession mais don.

Nous ne sommes que des gérants des dons de Dieu : sachons les partager.

L’ARGENT N’EST PAS UN DIEU

Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera le premier et aimera le second ; ou bien il s’attachera au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l’Argent.

Le terrible de l’argent, c’est qu’il peut devenir un dieu. Jésus d’ailleurs l’appelle « Mammôn », un mot proche de l’hébreu « aman » qui signifie confiance. On peut « croire »  en l’argent comme on croit en Dieu.

Ne voyons-nous pas aujourd’hui la puissance de son règne ? Les anciennes générations passaient leur vie au milieu des mêmes meubles, réparaient, ravaudaient vêtements et outils, vivaient confinées dans un espace restreint. Aujourd’hui une mode chasse l’autre, le bombardement publicitaire nous persuade qu’il faut changer de voiture, d’appareils ménagers, de portables, de décorations. Chaque nouveau modèle est plus performant, chaque ustensile améliore son rapport qualité/prix. Comment ne pas céder à la tentation quand nous divaguons au milieu des tonnes de marchandises belles, bonnes, appétissantes, affriolantes.

Il suffit d’une petite carte en plastique, un cliq et nous voilà heureux. Rien ne ressemble plus au paradis qu’un supermarché. Eve et Adam craqueront toujours en cédant au chuchotement de mammon : « Consommez, mes enfants ; faites comme tout le monde, la vie est si courte ».

Jésus lance une mise en garde sévère car le problème est éternel et subtil à pointer.
On remarque à peine qu’au lieu de se servir de l’argent, on le sert. Car il améliore l’existence, il offre des possibilités toujours neuves, il permet de nouveaux rêves. Et le pire : c’est que, malin comme un serpent, il nous assure que nous sommes de braves et honnêtes gens.

Vous pouvez avoir la foi tout en ayant des défauts, nous dit Jésus, et vous luttez contre eux parce qu’ils vous entraînent au péché. Et cette lutte vous aguerrit, vous fait grandir en résistance.

Mais l’argent insidieusement étend sa contagion sans que vous vous en rendiez compte. Ne dit-on pas que certains hauts prélats se prélassent sans scrupules dans des palais ?

Il est impossible de dire en même temps AMEN (qui signifie j’ai confiance, je remets ma vie) au Dieu Amour unique et à Mammôn. Le combat spirituel consiste à chercher à être plus et non à avoir davantage.

Un chrétien doit rester maître de l’argent. Ni le mépriser, ni le gaspiller, ni l’amasser à tout prix. Mais s’en servir. Imiter l’intendant astucieux qui a compris qu’en faisant des dons il assurait son avenir.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

LA JUSTICE SOCIALE

LE SHABBAT : le 7ème jour, repos complet. Non parce que le travail est une punition. Non pour récupérer ses forces. Mais pour permettre du repos aux ouvriers et au bétail, et ne pas devenir esclaves de la course au rendement. Les relations humaines priment sur l’exploitation du monde.

MOISSONS : Tu ne moissonneras jamais toute la surface de tes champs. Tu laisseras un coin où les pauvres pourront venir faucher.

ANNEE SHABBATIQUE : Chaque 50ème année, on remettra les dettes pour que chaque famille ne soit pas enlisée à jamais dans la misère.

CRIS DES PROPHETES : cette législation n’est hélas pas observée si bien que le fossé s’élargit entre riches et pauvres. Au nom de Dieu, les prophètes hurlent.

AMOS (-8ème siècle – 1ère lecture de ce dimanche) : « Ecoutez vous qui écrasez le pauvre, qui faussez vos balances, augmentez vos prix. Le Seigneur le jure : « Jamais je n’oublierai aucun de vos méfaits !…Je méprise vos pèlerinages, rien ne me plaît dans vos offrandes. Fais taire le brouhaha de tes cantiques. Mais que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent intarissable »

ISAÎE : « Que me fait la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur. Je déteste vos solennités. Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas car vos mains sont pleines de sang. Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien, recherchez la justice, faites droit aux pauvres ! J’attendais la justice et j’entends le cri des malheureux ! »

2ème LETTRE A TIMOTHEE : Nous n’avons rien apporté dans le monde et nous n’en pouvons rien emporter. Si donc nous avons nourriture et vêtement, nous nous en contenterons. Quant à ceux qui veulent s’enrichir, ils tombent dans le piège de la tentation, dans de multiples désirs pernicieux…La racine de tous les maux, en effet, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi. »

1ère LETTRE DE JEAN : « Jésus a donné sa vie pour nous : donc nous devons nous aussi donner notre vie pour nos frères. Si quelqu’un possède les biens de ce monde et voit son frère dans le besoin et qu’il se ferme à toute compassion, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Mes petits enfants, n’aimons pas en paroles mais en actes et dans la vérité »

PAPE FRANCOIS (La joie de l’Evangile) : … Une des causes de cette situation se trouve dans la relation que nous avons établie avec l’argent, puisque nous acceptons paisiblement sa prédominance sur nous et sur nos sociétés.

Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage …

S’ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales. L’appétit du pouvoir et de l’avoir ne connaît pas de limites. Non à l’argent qui gouverne au lieu de servir

J’exhorte les experts financiers et les gouvernants des différents pays à considérer les paroles d’un sage de l’antiquité : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs ».

L’argent doit servir et non pas gouverner ! Le Pape aime tout le monde, riches et pauvres, mais il a le devoir, au nom du Christ, de rappeler que les riches doivent aider les pauvres, les respecter et les promouvoir. Je vous exhorte à la solidarité désintéressée et à un retour de l’économie et de la finance à une éthique en faveur de l’être humain. »

24ème dimanche ordinaire – Année C – 15 septembre 2019 – Évangile de Luc 15

ÉVANGILE DE LUC 15

LE PERE DES DEUX FILS

La célèbre parabole dite du fils prodigue nous enchante par sa révélation d’un Dieu Père d’infinie tendresse. Mais ne nous rassure-t-elle pas à bon compte ? Car il ne s’agit pas seulement d’être pardonné mais d’accepter que l’autre le soit. Et cela c’est beaucoup plus difficile.

Repartons du contexte. Jésus se trouve devant un double auditoire. Il semble tout heureux de discuter et de partager un repas avec des pécheurs notoires, ce qui évidemment scandalise les bons pratiquants que sont les pharisiens. Jésus ne semble-t-il pas faire fi de la loi et des observances ? Jésus raconte donc la parabole pour justifier sa conduite. En fait il y a trois histoires qui font bloc.

DIEU EST PASSIONNE DE RECONSTITUER L’HUMANITE

Le berger qui a perdu une brebis s’affole : il court à sa recherche et, quand il l’a trouvée, il la rapporte sur ses épaules puis, plein de joie, il organise un banquet pour fêter l’événement. De même une femme qui a perdu une de ses 10 pièces d’argent fouille partout : dès qu’elle l’a retrouvée, pleine de joie, elle fait la fête avec ses voisines.

Voilà la raison profonde de mon comportement, explique Jésus : comme Dieu, je ne me résigne pas à la perte d’une seule personne. Certes je ne cautionne pas les déviances de ces pécheurs mais je suis venu pour les sauver de la perdition. Donc je cherche leur contact, je parle avec eux, je leur révèle que Dieu n’est pas un gendarme qui note les infractions et condamne mais qu’il aime ses créatures, qu’il fait tout pour les rejoindre, les aider à changer. Et lorsque l’un d’eux m’écoute, me fait confiance et se convertit, je suis tellement heureux que je l’invite à rejoindre mon repas communautaire.

Hélas les champions de la stricte observance qui font de la religion un code de préceptes et d’interdits sont scandalisés par ce pardon qui leur paraît trop facile et qui fait l’économie de tout le processus de repentance.

PLAISIRS ET MISERE DU PECHEUR

Pour montrer la puissance destructrice du péché et l’infinie profondeur de l’amour miséricordieux de Dieu, Jésus enchaîne en racontant la dramatique histoire des deux fils qui, on le voit tout de suite, représentent les deux groupes d’hommes devant lesquels il se trouve : justes et pécheurs.

L’histoire n’est pas rare dans des familles. Les enfants ont reçu la même éducation religieuse, ont fréquenté les établissements identiques puis, la jeunesse venue, l’un demeure fidèle aux convictions et aux pratiques reçues, tandis que l’autre annonce qu’il renonce à tout cela et qu’il a envie de mener sa vie à sa guise.

« Donne-moi la part d’héritage qui me revient ». J’en ai assez de recevoir, suivre, copier ; les cérémonies religieuses m’ennuient ; j’ai acquis d’autres certitudes ; je suis travaillé par de nouveaux désirs ; j’ai envie de découvrir d’autres horizons, de mordre dans la vie à belles dents, de m’épanouir, d’être adulte, libre.

« Et le père partagea son bien ». Cette revendication ne suscite aucune résistance, aucune colère de la part de Dieu. Car la foi ne peut être qu’adhésion libre. Tu veux un monde sans Dieu ? Va. Mais prends garde

« Le jeune rassembla tout son bien et s’en alla pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie dissolue ». Pouvoir de l’argent roi. Satisfaire ses envies, goûter à tous les plaisirs, acheter, jouir, profiter. Le monde est merveilleux à parcourir, les copains forment une belle bande joyeuse et les filles sont si belles. Ivresse de la liberté sans le carcan des croyances, le joug de la morale, l’ennui des rites répétitifs, l’hypocrisie des bien-pensants. La dolce vita.

« Il avait tout dépensé quand une grande famine survint. Tombé dans la misère, il dut accepter de devenir gardien de porcs. Il avait faim de leurs gousses mais personne ne lui donnait rien ».

Si on renonce à l’Infini, on ne peut que se casser la tête contre les murs du fini. L’argent, la puissance de départ s’épuise. Plus de fringues de luxe, plus de portable, plus de copains pour faire la fiesta, plus de filles. Les communications se tarissent et la société devient un champ de bataille. On peut être mis au rebut et si vous mourez de faim, quelle belle affaire !? On se préoccupe davantage du bétail que d’un misérable.

RETOUR ET MERVEILLE DE LA MISERICORDE

« Alors il réfléchit : Chez mon père, les ouvriers ont du pain, et moi ici je meurs de faim ! Je vais retourner chez mon père, je lui dirai : Père j’ai péché, je ne mérite même plus d’être appelé ton fils. Accepte-moi comme un ouvrier ».

Remarquons qu’il ne pense même pas à la peine qu’il a faite à son père et qu’il ne ressent aucun remords. Seules la faim et la peur de la mort réveillent en lui le souvenir de sa jeunesse. Dieu est celui qui donne la vie. Et le voilà qui se met en route, humilié par sa déchéance, avec des pieds de plomb, sur le chemin du retour. Quel accueil va-t-il recevoir ? Ne sera-t-il pas rejeté pour toujours, jugé impardonnable ?

On connaît tous la très célèbre scène représentée par Rembrandt. « Quand on l’entend pour la centième fois, c’est comme si c’était la première fois » dit magnifiquement Péguy.

« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut bouleversé. Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : « Père, j’ai péché contre toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils… ». Mais le père crie aux domestiques : « Vite apportez le plus beau vêtement, mettez-lui une bague et des sandales. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ». Et on commença la fête.

Le Père ne s’est jamais habitué à l’absence de son enfant et il n’a jamais cessé d’espérer en son retour. A peine distingue-t-il sa silhouette, qu’il est bouleversé au fond de son être. Ce n’est pas de la pitié : le verbe exprime un violent sentiment de la matrice – ce qui explique que l’on ne parle pas de la mère car Dieu est en même temps père et mère. Il / Elle court à sa rencontre, l’enlace et le couvre de baisers.

Encore faut-il que le revenant avoue : « J’ai péché contre toi » et qu’il reconnaisse ne plus mériter d’être son fils. Mais le Père l’empêche de dire la suite (« Traite-moi comme un ouvrier ») et il le traite comme un prince. Le péché l’avait défiguré, sali : son père ne souffre pas de le voir abîmé et souillé à ce point.

« Vite » la miséricorde ne tolère aucun délai, n’exige aucun moment de réflexion, n’impose aucune autopunition. Elle recrée, elle transfigure, elle restitue la beauté. Et vite que l’on organise un festin car ce traître est resté « mon fils ». Le péché le jetait dans la mort : mon amour lui rend la vie. Que la joie éclate ! Mon fils est ressuscité.

DIEU POUR MOI PAS POUR MON FRERE

Il ne faut surtout pas arrêter l’histoire ici : c’est la finale qui est importante. Car il y a l’autre. Le bon garçon, droit, pieux, observant, dévoué. Jamais il n’a quitté la maison de son père. Et le départ de son frère cadet ne l’a nullement affecté, il se passait très bien de son absence. Mais voilà qu’il apprend que l’autre est revenu et que son père a organisé un banquet en son honneur : sidérant ! Fêter un type qui a fait les 400 coups, qui a brûlé une fortune dans une vie de débauche ? Il aurait fallu le chasser ou au moins l’obliger à une longue et dure pénitence.

Le père apprend que son aîné refuse d’entrer et, comme il l’a fait pour le cadet, il sort à sa rencontre pour lui expliquer : « Toi, mon enfant, tu m’as fait la joie de demeurer avec moi. Mais c’est ton frère ! On le croyait mort et il est là, vivant ! Viens te réjouir avec nous ». Et l’histoire finit mal : l’aîné se braque dans son refus.

Et on imagine Jésus regardant ces pharisiens et se demandant s’ils vont enfin comprendre.

Il ne voulait pas dire que le péché n’a pas d’importance : au contraire il a montré à quel point il abîme l’homme, détruit les relations humaines, conduit dans le pire des malheurs. Le pécheur ne commet pas des infractions qu’il suffirait d’effacer par des actes de pénitence : il se perd et finalement glisse vers la mort. Et Dieu n’est pas une puissance outragée qui demeure insensible devant la perte d’un seul homme.

Mais l’homme est libre, il n’est pas qu’une brebis égarée que l’on cherche et que l’on ramène de force. Mais s’il prend conscience de son état, s’il ressent un désir de vie, il a en lui la merveille de faire conversion, de retourner sur ses pas. Dieu n’exige même pas de lui qu’il ressente une contrition parfaite, qu’il pleure ses fautes avec amertume, qu’il s’inflige des châtiments, qu’il glisse dans le désespoir.
A peine fait-il un pas, à peine bégaie-t-il une plainte que Dieu, qui n’a jamais cessé d’être son Père, accourt à sa rencontre. Car Dieu ne peut que pardonner, Dieu n’est que miséricorde. En offrant des sandales neuves à son fils, il semble même courir le risque de voir bientôt son fils attiré par d’autres tentations et le quitter à nouveau.

Mais à chaque fois que le perdu revient, qu’il murmure : « Père, j’ai péché, je ne mérite plus d’être appelé ton fils », le Père craque et l’accueille. « Et c’est le père qui pleurait le plus ».

Mais les bons croyants, les pieux, les observants, les fidèles, les bien élevés, les insoupçonnables, vont-ils enfin comprendre qu’eux aussi ne vivent que de l’amour du Père ? Qu’ils ne peuvent prétendre vivre avec lui que s’ils acceptent qu’il pardonne aux autres ? Que la Paternité ne peut être confessée que dans la pratique de la fraternité ? Que le pardon n’est pas un monopole ? Cette parabole n’est-elle pas un grand appel à la mission ? Un appel à célébrer l’Eucharistie comme une famille où tous sont pardonnés ?

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Ne sommes-nous pas des prodigues en train de détruire le monde ?

Pour la Journée de la Création,
le pape lance un cri d’alarme

Le pape François a publié une lettre aux termes forts, à l’occasion de la Journée de la Création, ce dimanche  1er septembre 2019. Pour le pontife, « l’heure est venue de redécouvrir notre vocation d’enfants de Dieu, de frères entre nous, de gardiens de la création ».

En reprenant les paroles du livre de la Genèse, « Dieu vit que cela était bon, François rappelle« le regard de Dieu, au début de la Bible, se pose doucement sur la création ». Et il poursuit en expliquant que la création est un don précieux à garder, mais que la réponse humaine à ce don a été tragique et marquée par le péché.

« Egoïsmes et intérêts ont fait de la création, lieu de rencontre et de partage, un théâtre de rivalités et de conflits. C’est ainsi qu’est mis en danger l’environnement même, chose bonne aux yeux de Dieu devenue chose à exploiter entre les mains des hommes », écrit le pape.

Il précise que « la dégradation s’est accentuée ces dernières décennies : la pollution permanente, l’usage incessant de combustibles fossiles, l’exploitation agricole intensive, la pratique de raser les forêts font que les températures globales augmentent jusqu’à des niveaux d’alerte ».

« A la racine, nous avons oublié qui nous sommes : des créatures à l’image de Dieu, appelées à habiter comme des frères et des sœurs la même maison commune. Nous n’avons pas été créés comme des individus qui se comportent en maîtres ; nous avons été pensés et voulus au centre d’un réseau de la vie constitué de millions d’espèces amoureusement rassemblées pour nous par notre Créateur ».

Et de marteler: « L’heure est venue de redécouvrir notre vocation d’enfants de Dieu, de frères entre nous, de gardiens de la création. Il est temps de se repentir et de se convertir, de revenir aux racines (…)

J’invite donc fortement les fidèles à se consacrer à la prière pendant ce temps, qui, à partir d’une opportune initiative née dans un cadre œcuménique a pris l’aspect d’un Temps de la Création : une période de prière plus intense et d’action au profit de la maison commune qui s’ouvre aujourd’hui, 1er septembre, Journée Mondiale de Prière pour la Sauvegarde de la Création, et qui se terminera le 4 octobre, dans le souvenir de saint François d’Assise.

C’est l’occasion de se sentir encore plus unis aux frères et sœurs des différentes confessions chrétiennes. Je pense, en particulier aux frères orthodoxes qui depuis trente ans déjà célèbrent cette Journée. Sentons-nous aussi en profonde syntonie avec les hommes et les femmes de bonne volonté, appelés ensemble à promouvoir, dans le contexte de la crise écologique qui concerne chacun, la sauvegarde du réseau de la vie dont nous faisons partie. »

CHOISIR LA VIE

Le pape nous invite ensuite à « réfléchir sur nos styles de vie et sur la façon dont nos choix quotidiens en matière d’alimentation, de consommation, de déplacements, d’utilisation de l’eau, de l’énergie et de nombreux biens matériels sont souvent inconsidérés et nuisibles. »
Et il met en évidence le fait que beaucoup de jeunes haussent la voix dans le monde entier, « déçus par trop de promesses non tenues, par des engagements pris et négligés pour des intérêts et des avantages partisans ».

« Nos prières et nos appels visent surtout à sensibiliser les responsables politiques et civils. Je pense en particulier aux gouvernements qui, dans les prochains mois, se réuniront en vue de renouveler des engagements décisifs pour orienter la planète vers la vie plutôt que vers la mort.

Viennent à l’esprit les paroles adressées par Moïse au peuple comme une sorte de testament spirituel avant l’entrée dans la Terre promise: ‘Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance’ (Dt 30, 19). Ce sont des paroles prophétiques que nous pourrions nous appliquer à nous-mêmes et à la situation de notre Terre. Choisissons donc la vie ! »

Et François de mettre en exergue l’importance spéciale que revêt le prochain Sommet des Nations Unies pour l’action sur le climat, « durant lequel les gouvernements auront la tâche de montrer la volonté politique d’accélérer drastiquement les mesures pour atteindre le plus tôt possible des émissions sans gaz à effet de serre équivalant à zéro et de contenir l’augmentation moyenne de la température globale à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris ».

Sans oublier en octobre prochain, l’Amazonie qui sera au centre d’une assemblée spéciale du Synode des évêques. Il Le pape conclut son message: « Saisissons cette occasion pour répondre au cri des pauvres et de la Terre! (…) Sentons- nous impliqués et responsables en ayant à cœur, par la prière et par l’engagement, la sauvegarde de la création”.

Yann Arthus-Bertrand — La solution pour sauver notre planète sera spirituelle

Yann Arthus-Bertrand vient de co-réaliser une Vidéo du Pape, initiative du Réseau mondial de prière qui diffuse chaque mois une intention de prière que le Saint-Père partage avec le monde entier pour relever les défis de l’humanité et de la mission de l’Église. En ce mois de septembre, la Vidéo du pape est déclinée sur le thème de la protection des océans à l’occasion de la Saison de la création.

Aleteia : Pourquoi vous êtes-vous associés au pape François pour porter votre message sur la protection des océans ?

Yann Arthus-Bertrand : Laudato Si’ m’a sincèrement touché. C’est un texte révolutionnaire. Je me suis senti tout de suite proche de cette Encyclique. J’ai constaté que le pape François et moi défendons les mêmes valeurs. J’ai même été surpris de voir que dans le milieu des activistes écologiques tout le monde connaissait cette lettre. À mes yeux, c’est un des plus grands textes sur l’écologie écrit par un chef d’État.
Je pense par ailleurs que la solution pour sauvegarder notre planète ne sera pas politique, ni scientifique ou économique mais spirituelle.

Pouvons-nous compter sur les dirigeants politiques pour surmonter les dangers qui guettent notre planète ?

D’après moi les gens prennent enfin conscience de l’importance de la question écologique et comprennent bien que nous ne devons plus rien espérer de nos leaders politiques. L’écologie politique n’a pas vocation à être humaniste car elle est aujourd’hui intrinsèquement liée à la croissance économique. C’est pour cette raison que seules les actions d’une société civile mondiale et pluraliste peuvent faire évoluer les choses dans le bon sens.

Que souhaitez-vous transmettre à travers vos images de la planète ?

Ma première passion, c’est la nature et les êtres vivants. Faire des films, c’est partager cette passion avec les autres mais c’est aussi tenter de comprendre toujours mieux notre Terre et ses habitants, tous ses habitants. C’est en travaillant sur le film Planète Océan avec Michael Pitiot que j’ai pu réaliser l’ampleur des dégâts causés aux océans et la situation d’urgence à laquelle nous devons faire face. Je suis donc particulièrement fier de collaborer avec le pape François sur cette question vitale des océans.

Vous restez optimiste pour l’avenir ?

Grâce au progrès, nous vivons certes beaucoup mieux et plus longtemps mais nous le faisons au détriment de la vie sur la Terre. Je suis persuadé que l’envie de participer à la protection de l’environnement et de lutter contre les inégalités est présente en chacun de nous. Le temps des indifférents et des cyniques est révolu. Nous devons prendre l’initiative et engager de réelles actions dans notre quotidien. Cela passe par réduire notre consommation et apprendre à vivre avec moins. ……………….

Paru dans ALETEIA 2 9 2019

23ème dimanche ordinaire – Année C – 8 septembre 2019 – Évangile de Luc 14, 25-33

ÉVANGILE DE LUC 14, 25-33

NE PAS SOLDER L’ÉVANGILE

En l’an 63 avant notre ère, le général Pompée avec son armée a conquis Israël et l’occupation impériale semble inexorable. Humiliation nationale pour le petit peuple écrasé mais surtout horrible blasphème de voir des païens idolâtres souiller une terre que Dieu a donnée à son peuple. A part quelques résistants surexcités qui rêvent encore de recouvrer l’indépendance par les armes, nul espoir de libération. Sauf si Dieu voulait exaucer les supplications de son peuple et envoyer ce mystérieux Messie annoncé par les anciens prophètes.

Et voilà qu’un homme soulève une immense espérance en parcourant la Galilée (année 28 ?). Le grand prophète Jean-Baptiste l’a désigné lors de son baptême ; il circule à travers la région en lançant une parole de feu qui enflamme les foules en annonçant la venue imminente du Royaume de Dieu ; sans recourir à des simagrées, il opère des guérisons extraordinaires dont beaucoup peuvent témoigner ; en outre il s’appelle Ieshouah, qui signifie « Dieu sauve » et il est un lointain descendant du grand roi David dont le Messie doit provenir.

Or en hiver de l’an 29, Jésus qui s’était toujours cantonné dans son district de Galilée, décide de monter à Jérusalem pour prendre part à la Pâque, grande fête de la libération. De partout par milliers les pèlerins convergent vers la capitale : un grand nombre se met à suivre Jésus.

Pour beaucoup, tous les indices convergent : il est manifeste que Jésus est le Messie et il suffit d’attendre le signal de son intervention. Le bonheur est à nos portes.

« De grandes foules faisaient route avec Jésus ».

Mais au contraire des vedettes qui font leur show pour exciter leurs fans, Jésus va lancer sur ses suiveurs une douche froide :

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple »

Sidérant ! Donc le Royaume n’est pas un pays, un programme, un code de morale, une organisation, une religion, une explosion finale : c’est fondamentalement le don total, libre, personnel, à la personne de Jésus que l’on décide de suivre c.à.d. d’être son disciple qui écoute son enseignement et qui le préfère à tout.

Qui donc est cet homme, certes admirable orateur, guérisseur efficace, et même prophète de Dieu, qui ose exiger un tel attachement à sa personne ? Certes il ne commande pas la rupture des liens familiaux, il n’exige pas d’abandonner sa famille. Mais il ne tolère pas que l’amour des siens et même l’amour de sa propre vie renvoient la confiance en lui au second rang.

On ne peut jamais renoncer à Jésus pour faire plaisir à quelqu’un, si aimé soit-il. Jésus premier servi, quoi qu’il en coûte, même si l’orage éclate dans la famille, même si la carrière doit en pâtir. Au point même de donner sa vie s’il le faut.

« Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi, ne peut pas être mon disciple ».

Jésus ne prône pas le masochisme, il ne diabolise pas le plaisir, il n’oblige pas au choix de la douleur. Car « porter sa croix » n’est pas une décision, un choix de sacrifices : c’est le dur châtiment imposé à un condamné. Et en premier lieu à Jésus lui-même.

Donc Jésus prévient ses disciples que, par la foi en lui et par leur pratique de son évangile, ils seront suspects aux yeux du monde. Ils paraitront insupportables, dangereux car ils contrediront radicalement les valeurs sur lesquelles le monde repose. Le disciple n’invente pas des supplices, il les craint, mais s’il persévère à vouloir « marcher derrière Jésus », s’il n’oublie pas le récit de la Passion, la souffrance tombe sur lui et il la porte.
Chaque disciple reçoit la sienne. A l’heure de Dieu.

DISCERNER AVANT DE DÉCIDER

Ces exigences imposées par Jésus Seigneur de la vie exigent évidemment une réflexion approfondie : deux petites paraboles expliquent la nécessité du discernement.

Celui qui veut bâtir une tour commence par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout. Car s’il pose les fondations et ne peut achever, on se moquera de lui.

Si un roi part en guerre contre un autre, il commence par s’asseoir pour voir s’il peut, avec 10.000 hommes, affronter l’autre qui l’attaque avec 20.000. S’il ne le peut, pendant que l’autre est encore loin, il envoie une délégation pour demander la paix.

De même, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.

Décider d’entreprendre une construction lourde ou se lancer dans une guerre ne se fait pas sur un coup de tête mais exige une réflexion approfondie. Il faut « s’asseoir », c.à.d. prendre le temps d’étudier la situation, d’évaluer ses ressources financières ou ses capacités d’armement. L’argent et la force constituent la base de la réussite.

Paradoxalement ces paraboles servent de contre-modèle à Jésus.
Pour lui l’engagement à devenir son disciple ne se base pas sur l’assurance de posséder les moyens adéquats mais sur la confiance en lui seul. Et cette confiance doit être telle qu’elle oblige au renoncement total à tous les biens. Non qu’il faille tout vendre pour partir à l’aventure (on ne voit jamais Jésus imposer pareille exigence à une famille) mais il faudra renoncer à penser à la façon des personnages des paraboles qui cherchaient l’assurance dans la possession des biens.

Ce que le disciple doit construire, c’est son existence dans le Royaume de Dieu; ce contre quoi il doit combattre s’appelle égoïsme, cupidité, orgueil, avarice. Il sera d’autant plus sûr de construire sa vie et de vaincre les ennemis s’il s’est assis pour lire l’Evangile, le méditer en profondeur, comprendre le projet de Jésus qui a réalisé la plus grande révolution de l’histoire en étant dépouillé de tous les avoirs, de toutes les compétences, de toutes les armes du monde.

Car le Royaume n’est pas une grande construction, une tour impressionnante comme le croient les nantis fous d’orgueil et d’arrogance. Et le Royaume ne s’établit pas dans un rapport de forces.

Chaque fois que l’Eglise veut éblouir par son faste et ses ressources, elle rassemble peut-être des foules mais pas des disciples. Et quand elle croit vaincre en jetant des anathèmes, en lançant des croisades, en allumant des bûchers, elle est vaincue.

PARABOLE DU SEL

L’enseignement se conclut par une autre parabole que le lectionnaire a omise et c’est dommage car elle met en garde contre la tentation qui surgit en nous précisément à ce moment.

Cet enseignement de Jésus est tellement raide, il nous appelle à des renoncements tellement radicaux qu’ils nous en paraissent impossibles, impraticables. On veut bien être chrétien, oui, mais pas à ce niveau ! C’est pourquoi Jésus nous appelle à ne pas affadir l’Evangile.

« Oui c’est une bonne chose que le sel. Mais si le sel lui-même perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il n’est bon ni pour la terre ni pour le fumier ; on le jette dehors. Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende »

Pour opérer le salut du monde, pour éviter l’écroulement qui le menace et pour le conduire à Dieu, un évangile light, édulcoré ne suffit pas. La société de consommation consent des soldes pour attirer des clients. Il n’y a pas de rabais dans l’Evangile. Devant le réchauffement climatique, les percées des neurosciences, le transhumanisme, les noyades des migrants, les multiples foyers de guerre, le tsunami de la pornographie, seul l’Evangile de la croix permettra à l’Eglise de remplir sa mission.

Il vaut mieux dire à Dieu : « Je n’y parviens pas : aide-moi » plutôt que de lui reprocher d’exagérer.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Une saison de la création

Créer un avenir pour la terre et tous ses habitants

Ce dimanche 1er septembre, c’est la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la création. Le pape François a recommandé que le mois de septembre soit considéré comme une Saison de la création, qui s’étend jusqu’à la fête de saint François, le 4 octobre.

Les évêques de Belgique se joignent à cet appel et ils encouragent la communauté catholique à le traduire en actes concrets.

LES ÉVÊQUES DE BELGIQUE

L’appel de Laudato si’

Dans son encyclique verte Laudato si’ (2015) le Pape François plaide pour un développement durable et intégral. Il parle de « conversion écologique » et dénonce en même temps les attitudes qui font obstacle aux voies de solutions, comme la négation du problème, l’indifférence, la résignation facile ou la foi aveugle dans les solutions techniques.

Il y mentionne également la peur liée aux incertitudes d’un changement si important. La peur d’une diminution du niveau de vie de notre société aisé que nous tenons pour acquis, malgré notre empreinte sur les écosystèmes et la vie des populations du Sud.

Des urgences actuelles

Un groupe d’experts intergouvernementaux sur le climat a calculé qu’il nous faut réduire les émissions mondiales de CO2 d’ici 2030 de moitié pour pouvoir atteindre des émissions nettes nulles vers 2050. Nos gouvernants en charge de la politique pour les cinq prochaines années détiennent donc une responsabilité majeure. Cinq ans, c’est la moitié du temps imparti pour réduire de 50 % les émissions mondiales de CO2.

Le 23 septembre 2019, les dirigeants du monde entier sont attendus à New York pour un sommet climatique extraordinaire. Nous appelons avec insistance à élaborer des plans climatiques courageux et ambitieux, tant dans notre pays qu’au sein de l’Union européenne, pour sauver la vie des générations actuelles et futures.

Des perspectives d’avenir

On souligne trop peu combien serait positive et porteuse d’espérance une transition menant à une prospérité nouvelle, différente et favorisant le bien être pour tous les peuples de la terre.

Cela se passera si nous bannissons la pauvreté, partageons le monde, transformons l’économie, protégeons la natuLes évêques de Belgiquere et si nous vivons tous dans les limites écologiques d’une planète saine.

Les scientifiques confirment qu’il n’est pas naïf de penser que nous pouvons sauver l’avenir de la planète. Même si le temps presse, nous pouvons encore sortir de la spirale de mort qui aspire notre monde.
Le Temps pour la création est une chance qui nous est offerte de soutenir cette perspective exigeante et de créer un avenir pour la terre et tous ses habitants.

Des actions concrètes

Aussi encourageons-nous chacun à progresser dans la conversion écologique et à vivre selon la sobriété heureuse (l’ « éthique du suffisant »).

Nous invitons les paroisses, associations, organisations et institutions à intensifier leurs efforts en établissant un plan climat pour faire de leurs immeubles des bâtiments passifs et à faible teneur en carbone, et à inclure le souci du soin de la création dans toute la vie de la communauté.

Il y a tant de choses que l’on peut faire ! (Laudato si § 180)

Les évêques de Belgique