13ème dimanche ordinaires – Année C – 30 juin 2019 – Évangile de Luc 9, 51-62

ÉVANGILE DE LUC 9, 51-62

LE GRAND TOURNANT

L’Eglise a cru qu’elle pouvait faire une Europe chrétienne. Le centre était le Vatican ; les plus grands artistes avaient réalisé des chefs-d’œuvre inspirés par la foi chrétienne ; au cœur de tous les villages, l’église paroissiale accueillait chaque dimanche les pratiquants assez nombreux ; elle était le lieu des grands événements de la vie : naissance, adolescence, mariage, enterrement ; un immense réseau d’écoles et de cliniques étendait partout ses ramifications ; des missionnaires revenaient solliciter notre aide pour étendre l’Eglise jusque dans les coins les plus reculés du globe.

Au 18ème siècle, les philosophes des Lumières et la Révolution ont ébranlé le bel édifice ; au 19ème, la raison et les sciences ont prétendu évacuer les mystères; le 20ème a vu s’imposer la sécularisation. Enfin notre 21ème siècle voit le prolongement de ce tsunami séculaire: en Europe les statistiques chrétiennes sont en chute libre, des églises sont en vente, la religion paraît désuète, inutile. Des jeunes confrères viennent de nous arriver de l’Inde : ils disent leur stupeur de découvrir une société aussi païenne.

Critiquer nos ancêtres, dénoncer la conduite des jeunes, comptabiliser les vices de notre société seraient des moyens subtils de nous démobiliser. Le monde change, la modernité apporte des changements radicaux. Ne soyons pas les rescapés d’une Eglise musée et cherchons à comprendre ce que l’Esprit nous inspire de changer et d’entreprendre. Un tournant est à prendre.

Justement aujourd’hui, après la succession des grandes fêtes, la liturgie nous fait reprendre le déroulement de la vie de Jésus au moment où il effectue un tournant radical.

LE GRAND TOURNANT DE LA VIE DE JESUS

Le 1er verset du jour est capital : le voici en traduction littérale :

Il arriva qu’étaient accomplis les jours de son enlèvement,
alors il durcit sa face pour aller à Jérusalem.

Lors de son baptême, Jésus ayant reçu la vocation de son Père avait commencé sa mission en circulant à travers les villages de Galilée. Il proclamait que le Règne de Dieu s’approchait, prêchait dans les synagogues, faisait quelques guérisons de malades, rassemblait autour de lui quelques apôtres. Or, un jour, contemplant la ville païenne de Césarée, il eut une certitude : Jérusalem devait s’ouvrir, il lui fallait monter à Jérusalem. Il en était sûr : les autorités du Temple ne l’accepteraient pas et le feraient mettre à mort. Mais son Père ne l’abandonnerait jamais et lui rendrait la vie. A ses disciples sidérés par cette nouvelle, il annonçait qu’ils devaient eux aussi prendre ce même chemin.

Aujourd’hui donc sonne l’heure de ce départ qui aboutira, dit Luc, à son « enlèvement ». De même que jadis le prophète Elie avait été enlevé dans le ciel, Jésus le sera aussi mais par la mort la plus cruelle.

Jésus ne va donc pas à Jérusalem pour obéir à un Dieu qui exigerait une victime d’expiation des péchés : il y va pour poursuivre la même mission : proclamer qu’avec lui Dieu vient régner parmi les hommes. Effet immédiat : les autorités du temple trouveront cette affirmation blasphématoire et le tueront. Paradoxalement c’est ainsi que s’accomplira le projet de Dieu : élevé en croix, Jésus sera enlevé près de son Père. Mais la certitude de sa réussite n’adoucit en rien, que du contraire, la perspective du supplice: Jésus « durcit sa face », il serre les dents, il lutte contre son épouvante.

Qu’attendait-on de lui ? Les résistants zélotes espéraient que ce prédicateur populaire montait dans la capitale pour y lancer le signal de l’insurrection armée ; les pharisiens souhaitaient que Jésus vitupère contre les grands pécheurs et les presse à se convertir sous peine du feu éternel ; les prêtres auraient voulu qu’il incite les tièdes à plus de générosité dans les sacrifices.

Or pour Jésus le problème n’est pas d’abord Pilate et la politique, ni la morale et les bonnes mœurs, ni le culte et les rites. Le problème, c’est de le reconnaître, lui, comme le Fils qui recentre tout sur l’amour. Et qui vient par conséquent appeler le temple à être la Maison de son Père, donc la demeure des pauvres et de tous les peuples et pas celle de Caïphe et des prélats.

Etonnante révélation. Aujourd’hui nous croyons que les périls du monde viennent des arsenaux d’armes ou des géants de l’informatique ou des apprentis sorciers de la biologie ou des mœurs dépravées ou de l’abus du plastique, etc. Et voilà que l’Evangile nous renvoie en priorité à nous, chrétiens. Le changement doit d’abord commencer dans l’Eglise. A Rome pour se répercuter dans toutes nos églises. François l’a bien compris.

LE ROYAUME VIENT SANS VIOLENCE

Jésus envoya des messagers devant sa face pour préparer sa venue. Un village samaritain refusa de le recevoir. Les disciples Jacques et Jean intervinrent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu du ciel tombe et les détruise ? ». Jésus les réprimanda très vertement. Ils partirent pour un autre village.

Au contraire d’Elie qui jadis déchaînait le feu du ciel contre ceux qui lui résistaient, Jésus s’oppose farouchement à toute violence au nom de Dieu. Son Règne ne s’impose pas, il se propose à la liberté. Refusé ici, l’appel rebondit ailleurs. Son échec d’un côté ne suscite pas la colère mais lui permet de retentir près d’un autre auditoire. La surdité actuelle de votre enfant ne le damne pas : elle vous provoque à trouver les oreilles de votre collègue de bureau. L’essentiel est de poursuivre les démarches, sans jamais se lasser, sans amertume d’échec ni triomphe de réussite. Car il ne s’agit pas de nos performances : ce n’est pas nous qui sommes accueillis ou renvoyés mais le Christ Seigneur. Nous ne faisons que « préparer sa venue ». En douceur.

ARRACHEMENT ET URGENCE

Trois exemples d’appels éclairent les exigences de la nouvelle aventure qui est d’abord décision de « suivre le Christ » c.à.d. lien profond avec ce Jésus découvert dans l’Evangile et désir de vivre comme il l’exige. Cette décision profonde entraîne l’adhésion à la communauté.

Cette aventure doit consentir à des détachements profonds : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête ». La vie de foi n’est pas une gestion paisible bercée par une piété émolliente. On ne repose pas sa tête ou son cœur dans le luxe ou les certitudes. On se heurte à des oppositions. Parfois même manque l’épaule amicale où l’on trouverait douceur et repos, la communauté fraternelle qui panserait nos plaies.

Elle fait basculer dans un nouveau temps, oblige à tourner la page, à perdre tout regret du passé et même à renoncer à des liens sacrés. Au jeune qui voudrait d’abord aller enterrer son père, Jésus donne une réponse scandaleuse: « Laisse les morts enterrer les morts : va annoncer le Règne de Dieu ». Or les honneurs de sépulture des parents étaient parmi les devoirs les plus sacrés. Le choc de l’exagération souligne l’urgence de l’évangélisation ! Le temps presse.

La 3ème scène rappelle celle avec le prophète Elie (cf. la 1ère lecture) mais la radicalise encore : « Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ». Pas de place pour la nostalgie, le regret du bon vieux temps. Par l’espérance, le disciple se laisse « enlever » avec le Fils vers son Père.

CONCLUSION

Comme Jésus, l’Eglise prend conscience qu’elle doit perdre ses illusions, changer d’auditoire, secouer ses membres qui s’accrochent à un passé révolu. Le temps de l’Évangile est toujours neuf, il bouscule, envoie vers un avenir périlleux : il nous faut serrer les dents pour entrer dans un chemin difficile. C’est de la sorte que nous « enlèverons » l’humanité vers le Père.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Pape François

PAPE FRANCOIS — LA LUMIERE DE LA FOI

La lumière de la foi (Lumen Fidei) : Par cette expression, la tradition de l’Église a désigné le grand don apporté par Jésus, qui, dans l’Évangile de Jean, se présente ainsi : « Moi, lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres » (Jn 12, 46).

Celui qui croit, voit ; il voit avec une lumière qui illumine tout le parcours de la route, parce qu’elle nous vient du Christ ressuscité, étoile du matin qui ne se couche pas.

Une lumière illusoire ?

2. Cependant nous pouvons entendre l’objection de tant de nos contemporains. À l’époque moderne on a pensé qu’une telle lumière était suffisante pour les sociétés anciennes, mais qu’elle ne servirait pas pour les temps nouveaux, pour l’homme devenu adulte, fier de sa raison, désireux d’explorer l’avenir de façon nouvelle.

En ce sens, la foi apparaissait comme une lumière illusoire qui empêchait l’homme de cultiver l’audace du savoir… La foi serait alors comme une illusion de lumière qui empêche notre cheminement d’hommes libres vers l’avenir.

3. Dans ce processus, la foi a fini par être associée à l’obscurité. On a pensé pouvoir la conserver, trouver pour elle un espace pour la faire cohabiter avec la lumière de la raison. L’espace pour la foi s’ouvrait là où la raison ne pouvait pas éclairer, là où l’homme ne pouvait plus avoir de certitudes.

Alors la foi a été comprise comme un saut dans le vide que nous accomplissons par manque de lumière, poussés par un sentiment aveugle ; ou comme une lumière subjective, capable peut-être de réchauffer le cœur, d’apporter une consolation privée, mais qui ne peut se proposer aux autres comme lumière objective et commune pour éclairer le chemin.

Peu à peu, cependant, on a vu que la lumière de la raison autonome ne réussissait pas à éclairer assez l’avenir ; elle reste en fin de compte dans son obscurité et laisse l’homme dans la peur de l’inconnu.

Ainsi l’homme a-t-il renoncé à la recherche d’une grande lumière, d’une grande vérité, pour se contenter des petites lumières qui éclairent l’immédiat, mais qui sont incapables de montrer la route. Quand manque la lumière, tout devient confus, il est impossible de distinguer le bien du mal, la route qui conduit à destination de celle qui nous fait tourner en rond, sans direction.

Une lumière à redécouvrir

4. Aussi il est urgent de récupérer le caractère particulier de lumière de la foi parce que, lorsque sa flamme s’éteint, toutes les autres lumières finissent par perdre leur vigueur.

La lumière de la foi possède, en effet, un caractère singulier, étant capable d’éclairer toute l’existence de l’homme.

Pour qu’une lumière soit aussi puissante, elle ne peut provenir de nous-mêmes, elle doit venir d’une source plus originaire, elle doit venir, en définitive, de Dieu.

La foi naît de la rencontre avec le Dieu vivant, qui nous appelle et nous révèle son amour, un amour qui nous précède et sur lequel nous pouvons nous appuyer pour être solides et construire notre vie.

Transformés par cet amour nous recevons des yeux nouveaux, nous faisons l’expérience qu’en lui se trouve une grande promesse de plénitude et le regard de l’avenir s’ouvre à nous. La foi que nous recevons de Dieu comme un don surnaturel, apparaît comme une lumière pour la route, qui oriente notre marche dans le temps.

5. … La conviction d’une foi qui rend la vie grande et pleine, centrée sur le Christ et sur la force de sa grâce, animait la mission des premiers chrétiens.

Dans les « Actes des martyrs », nous lisons ce dialogue entre le préfet romain Rusticus et le chrétien Hiérax : « Où sont tes parents ? » demandait le juge au martyr, et celui-ci répondit : « Notre vrai père est le Christ, et notre mère la foi en lui ».

Pour ces chrétiens la foi, en tant que rencontre avec le Dieu vivant manifesté dans le  Christ, était une « mère », parce qu’elle les faisait venir à la lumière, engendrait en eux la vie divine, une nouvelle expérience, une vision lumineuse de l’existence pour laquelle on était prêt à rendre un témoignage public jusqu’au bout.

6.. L’Église, en effet, ne suppose jamais la foi comme un fait acquis, mais elle sait que ce don de Dieu doit être nourri et renforcé pour qu’il continue à conduire sa marche….De cette façon, a été mise en évidence la manière dont la foi enrichit l’existence humaine dans toutes ses dimensions.

Dans la foi, vertu surnaturelle donnée par Dieu, nous reconnaissons qu’un grand Amour nous a été offert, qu’une bonne Parole nous a été adressée et que, en accueillant cette Parole, qui est Jésus Christ, Parole incarnée, l’Esprit Saint nous transforme, éclaire le chemin de l’avenir et fait grandir en nous les ailes de l’espérance pour le parcourir avec joie.

Dans un admirable entrecroisement, la foi, l’espérance et la charité constituent le dynamisme de l’existence chrétienne vers la pleine communion avec Dieu.

Pape François - La lumière de la foi

Pape François – La lumière de la foi.
Encyclique Juin 2013

Fête du Corps et du Sang du Christ – Année C – Dimanche 23 juin 2019

ÉVANGILE DE LUC 9, 11b-17

AU CENTRE DE LA VIE DE L’EGLISE :
L’EUCHARISTIE

En finale de la série des grandes fêtes pascales, l’Eglise célèbre aujourd’hui le don suprême de son Seigneur qui lui a légué son Corps et son Sang. L’Eucharistie est vraiment sa présence qui appelle son peuple à l’adorer dans le tabernacle, à le manifester dans l’ostensoir porté en processions solennelles.

Toutefois l’Eucharistie n’est pas d’abord un objet à contempler mais un Pain à manger, une célébration sous forme de repas. Elle revêt une importance absolument capitale puisqu’elle est l’ultime cadeau offert par son Seigneur, son ordre ultime : « Faites cela en mémoire de moi ». Alors que ses ennemis vont prendre son corps pour le tuer et le mettre au tombeau, Jésus confie à ses disciples qu’en réalité il leur donne son corps en toute conscience afin qu’ils le prennent en eux et en vivent. Son corps charnel va disparaître pour réapparaître dans le corps que les disciples vont former ensemble.

Tout de suite l’Eglise primitive va reconnaître son Seigneur dans la fraction du pain et toute nouvelle communauté se constituera autour de la célébration de l’Eucharistie.

Or depuis quelques dizaines d’années, dans les pays occidentaux, nous assistons à une chute sinon à un effondrement spectaculaire de la pratique dominicale. Dans des régions où la majorité de la population allait à la messe le dimanche, les prêtres manquent, les jeunes sont absents et les assemblées se réduisent à une pincée de personnes âgées. L’Eglise qui tenait une telle place semble peu à peu disparaître.

La société moderne avec sa pression sur les besoins à assouvir, la course aux plaisirs et le culte de l’argent réussit à réaliser, avec douceur, ce que le communisme avait entrepris avec violence. Elle semble même plus efficace.

Que faire ? Nous ne pouvons nous contenter de nous plaindre, de brandir des obligations, de maudire notre monde, de critiquer les jeunes, de fulminer des menaces, d’attendre passivement un changement. Toute crise est une secousse qui éveille et qui peut provoquer la réflexion. Et si nous nous demandions comment se déroulent nos messes ?

Partons d’un principe : l’Eucharistie est un repas communautaire, et un repas symbolique c.à.d. qui porte une signification dans tous ses éléments.

Son moment est important. Jésus a fondé l’Eucharistie « la nuit où il fut livré » (1 Cor 11, 23) mais tout de suite les disciples l’ont célébrée, « le premier jour de la semaine », le jour où Jésus est apparu ressuscité. Le repas est mémoire du don jusqu’à la mort et de la victoire de l’amour sur la mort.

La messe est essentiellement passage, pâque : passage de Jésus à Seigneur, de mort à vie, de péché à pardon, de séparations en communion, d’une semaine à l’autre. Le week-end est une invention païenne. La messe marque la « re-création » d’une nouvelle étape du temps, elle nous renouvelle, elle est exode, elle nous fait sortir du vieux pour entrer dans le tout neuf.

Elle est fête (la dernière Cène a eu lieu dans une chambre garnie). Quelle horreur quand elle devient une routine expédiée en hâte par des gens décidés à rester peinards sur leur chaise.

La facilité des transports, la passion des divertissements et le refus très moderne d’être dérangé ont habitué beaucoup de chrétiens à choisir leur lieu de culte selon leurs désirs et leurs agendas. On va ici puis là, à l’heure qui plaît, si bien que la paroisse se réduit aux vieux qui n’ont pas d’autre alternative.
Or quel est le but de la Croix, pourquoi Jésus a-t-il donné sa vie, pourquoi a-t-il inventé l’Eucharistie ? Pour montrer que nous n’étions pas condamnés à l’indifférence, aux disputes et aux guerres. Pour manifester que partout sur terre, des voisins que tout sépare (niveau social, professions, options politiques, pays, âge, sexe, fortune…) pouvaient se retrouver, chanter de concert leur même foi, partager ensemble la même nourriture, expérimenter qu’ils sont frères et sœurs en Christ. Non par piété hypocrite mais de façon très réelle, réaliste.

« Voyez comme ils s’aiment » disaient les païens suffoqués de voir que des personnes différentes en tout pouvaient être UN ! Comment était-ce possible ?

Bouleversés par cet amour qui pardonnait leurs fautes, balayait leurs préjugés, enjambait toute frontière, les premiers chrétiens apprenaient à vivre ensemble dans la complémentarité de leurs différences. Et tout commençait par l’accueil réciproque. Un jeune m’a raconté : «L’autre dimanche, je suis allé à la messe. Personne ne m’a salué. Chacun dans son coin tirait une mine morose. Et personne ne m’a dit au-revoir. Comment voulez-vous que j’aie envie d’y retourner ? »

1ère PARTIE : L’ENSEIGNEMENT ET L’ECOUTE

On ne vient pas à la messe pour s’enfermer dans une prière personnelle ou goûter une sensation de sacré grâce au faste des rites ou à la beauté de l’architecture. Si le Christ nous appelle, c’est évidemment pour nous parler, pour faire ce qu’il a fait pendant des années en circulant dans les villes de Galilée. Il faut apprendre aux gens à vivre. Dans la cacophonie des médias qui nous abêtissent et des menteurs qui nous égarent, où donc entendre une parole de Vérité ? Les prophètes bibliques et les Evangiles ne nous évadent pas dans un autre monde. Jésus débusque nos péchés mais c’est pour les pardonner ; il dénonce notre mauvaise conduite mais c’est pour la rectifier ; il nous extrait de notre désespoir pour nous rendre un avenir ; il nous assure que l’impossible, avec lui, devient possible.

Mais pour réaliser cela, il faudrait, je crois, procéder à des changements. En général, les lectures de la bible restent incompréhensibles et le prédicateur ne parvient pas à montrer comment ces textes éclairent notre comportement aujourd’hui. Une réforme est urgente. La messe doit être intéressante.

Dans toute réception, il y a dialogue. Donc l’assemblée qui a bien écouté son Seigneur, en retour s’exprime. Puisqu’elle dans la joie d’avoir entendu une Bonne Nouvelle, elle chante : certes il ya des voix pas très justes mais on n’est pas là pour écouter des concertistes mais pour chanter ensemble. Ensuite l’assemblée, ressuscitée par la Parole de Vie, se met debout et répond à son Seigneur en proclamant sa FOI. Ensuite elle prend conscience qu’elle est un peuple privilégié mais qui a mission pour le monde, qui pense à tous les malheureux, au tragique de l’existence de beaucoup, et d’une même voix, elle intercède, elle lance des intentions de prière, elle exprime son ESPERANCE du salut de tous.

Et parce que la foi est victoire sur l’égoïsme et devoir de partage, on procède à la quête. Non pour récolter quelques piécettes mais pour montrer que l’on a compris l’évangile et que l’on se veut membre d’une Eglise qui imite son Seigneur en soignant malades et pauvres.

2ème PARTIE : PARTAGE DU PAIN ET DU VIN.

Instruite par la Parole, amenée à la conviction de « foi – espérance – charité », l’assemblée est prête à partager la présence de son Seigneur dans son acte de donation totale d’amour : « Prenez, mangez, buvez ». Ce don n’est pas récompense mais assimilation totale : l’Eglise devient Corps du Christ, manifestation du Messie pour aujourd’hui, chargée de prolonger la mission de salut des hommes.

Tout est accompli et ne peut aboutir à une fuite en toutes directions mais à une répartition des tâches. « Missa est » : allez en mission. La paroisse exprime ses besoins urgents, sollicite les bonnes volontés, propose des activités : prière, catéchèse, soins…

CONCLUSION

Restituée à sa vérité, la messe n’est plus une habitude pieuse mais apparaît dans son dynamisme. C’est le Christ lui-même qui l’a voulue : sa présence réelle doit devenir présence réelle de l’Eglise son Corps, son Epouse.

Car que voulons-nous ? Le pardon des fautes, la réconciliation entre nous, la richesse des différences, la paix, un monde qui comprend que le bonheur n’est pas dans l’accumulation et la destruction mais dans la joie d’un repas frugal. La messe débouche en plein cœur de nos vies, dans le social et l’écologie. Dieu est là. Nous sommes avec Lui.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

HOMELIE DE Mgr AUPETIT, ARCHEVEQUE DE PARIS

Dédicace vient de « dédicatio » qui signifie consécration. La dédicace est la consécration d’une église au culte divin. Ce que nous célébrons par la dédicace chaque année, c’est la raison profonde pour laquelle la cathédrale Notre-Dame a été édifiée : manifester l’élan de l’homme vers Dieu.

La cathédrale est née de la foi de nos aïeux. Elle manifeste la confiance en la bonté du Christ, son amour plus fort que la haine, de sa vie plus forte que la mort ainsi que la tendresse de nos parents pour la Vierge Marie, sa mère, qu’il nous a confiée comme son bien le plus précieux juste avant de mourir sur la croix.

Cette cathédrale est née de l’espérance chrétienne qui perçoit bien au-delà d’une petite vie personnelle centrée sur soi pour entrer dans un projet magnifique au service de tous, en se projetant bien au-delà d’une seule génération.

Elle est née aussi de la charité, puisque ouverte à tous, elle est le refuge des pauvres et des exclus qui trouvaient là leur protection. D’ailleurs, l’Hôtel-Dieu, qui fût toujours associé à la cathédrale, était le signe de cet accueil inconditionnel des pauvres et des malades.

Avons-nous honte de la foi de nos ancêtres ? Avons-nous honte du Christ ?

Oui, cette cathédrale est un lieu de culte, c’est sa finalité propre et unique. Il n’y a pas de touristes à Notre-Dame, car ce terme est souvent péjoratif et ne fait pas droit à ce mystère qui pousse l’humanité à venir chercher un au-delà de soi.

Ce bien cultuel, cette richesse spirituelle, ne peuvent être réduits à un bien patrimonial. Cette cathédrale, œuvre commune au service de tous, n’est que le reflet des pierres vivantes que sont tous ceux qui y pénètrent.

CULTE ET CULTURE

Peut-on vraiment par ignorance ou par idéologie séparer la culture et le culte ? L’étymologie elle-même montre le lien fort qui existe entre les deux.

Je le dis avec force : une culture sans culte devient une inculture. Il n’est qu’à voir l’ignorance religieuse abyssale de nos contemporains en raison de l’exclusion de la notion divine et du Nom même de Dieu dans la sphère publique en invoquant une laïcité qui exclut toute dimension spirituelle visible.

Comme tout édifice, la cathédrale comprend une pierre angulaire qui porte l’ensemble du bâtiment. Cette pierre angulaire, c’est le Christ. Si nous retirions cette pierre, cette cathédrale s’effondrerait. Elle serait une coquille vide, un écrin sans bijou, un squelette sans vie, un corps sans âme.

La cathédrale est le fruit du génie humain, c’est le chef-d’œuvre de l’homme.

La personne humaine est le fruit du génie divin. C’est le chef-d’œuvre de Dieu.

Quand les deux se rejoignent en la personne de Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme, s’accomplit alors véritablement l’Alliance entre le transcendant et l’immanent (Ciel et terre). C’est ici et maintenant dans cette cathédrale, à chacune de nos eucharisties célébrées, que se réalise cette Alliance, quand la chair du Christ, partagée par tous, nous ouvre à la vie éternelle.

C’est peu de dire que nous sommes heureux de célébrer cette messe pour rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à l’homme sa vocation sublime.

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris

Fête de la Trinité – Année C – Dimanche 16 juin 2019 – Évangile de Jean 16, 12-15

ÉVANGILE DE JEAN 16, 12-15

LA SAINTE TRI-HUMANITÉ

A la seule condition de faire allégeance à l’Empereur, tous les peuples de l’immense Empire romain étaient libres de rendre un culte à leurs dieux et d’adorer leurs idoles. Tous sauf un : Israël avait obtenu le droit de confesser un Dieu unique, ne tolérant aucune représentation, n’ayant qu’un temple, à Jérusalem, et dont le nom même, YHWH, ne pouvait être prononcé. Matin et soir, depuis des siècles, chaque Juif récitait la confession de foi fondamentale : « Ecoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ».

Peuple singulier, noyé dans cet océan d’idolâtrie, Israël ne pouvait résister à la contagion ambiante qu’en renforçant son identité. L’étude permanente de la Torah, la circoncision des premiers-nés, le régime d’alimentation casher, le rythme hebdomadaire avec le repos du shabbat, les innombrables pratiques surajoutées, les 3 pèlerinages annuels à Jérusalem : tout cela marquait la religion dans la vie quotidienne.

Or Dieu avait donné sa Loi à Israël avec mission de la répandre dans le monde. Son particularisme éveillait la méfiance des autres, le séparait des autres peuples. Il y avait comme un mur qui empêchait la mission. On admirait la grandeur de la morale juive mais on renâclait devant le poids des observances qu’il fallait adopter en cas de conversion.

QUI DONC EST JÉSUS ?

Un jour survient Jésus de Nazareth. Il restera toujours fidèle à la confession du Dieu UN mais il l’appelle son Père. Il se présente comme un prophète mais il bouscule plusieurs piliers de la religion : il dénonce le poids insupportable des pratiques, la cupidité des riches et des hauts prélats, un temple devenu un lieu de commerce, un culte hypocrite. Il a l’audace de pardonner aux pécheurs. Il recentre toute la Loi sur le précepte de l’amour de Dieu et du prochain. Il annonce la venue imminente du Royaume de Dieu et il tient des propos ambigus sur son identité : il est plus qu’un prophète, Dieu est son Père, il est le Messie…

Jugé comme dangereux et blasphémateur, Jésus est dénoncé, condamné, exécuté en croix, mis au tombeau. L’affaire est classée.
Mais très vite elle rebondit de manière stupéfiante : les disciples assurent que Jésus leur est apparu vivant. Il est ressuscité, il est bien le Messie, ils le proclament « SEIGNEUR » et ils prétendent qu’il leur a envoyé l’Esprit de Dieu.

LA GRANDE ÉNIGME

C’est la grande énigme qui va parcourir tous les livres du Nouveau Testament et susciter d’immenses débats pendant des siècles : comment concilier l’affirmation monothéiste du Dieu UN avec la foi en un Jésus Seigneur et un Esprit Seigneur lui aussi ? La discussion n’aura jamais de fin.

Les affrontements entre évêques, théologiens et communautés seront âpres, les conclusions tirailleront dans tous les sens, les condamnations et les anathèmes pleuvront jusqu’à ce que les premiers conciles tentent d’exprimer la foi qui demeure celle de l’Eglise : « Je crois en Dieu…Je crois en Jésus-Christ son Fils notre Seigneur…Je crois en l’Esprit-Saint… ». Et on trouvera le mot Trinité pour exprimer le mystère de Trois en Un.

Si ces affrontements ont été si longs et si durs, c’est parce qu’ils ne se limitaient pas à des discussions intellectuelles réservées aux prélats et aux théologiens : il s’agissait bien de l’homme, de son rapport essentiel à Dieu, de la manière de vivre sur terre et du but de la vie humaine.

Il a été très dur aux premiers convertis à Jésus Seigneur de proposer et de défendre la foi nouvelle qui semblait miner le monothéisme strict d’Israël. S’ils assuraient que l’Evangile accomplissait, c.à.d. menait à bout la recherche séculaire des Hébreux, Israël les considérait de plus en plus comme des renégats qu’il fallait chasser des synagogues. De l’autre côté, eux-mêmes, comme Juifs, continuaient de dénoncer l’idolâtrie et les débordements du monde païen. Si bien que de tous côtés ils restaient suspects dans la société.

Critiques, injures, hostilité, prison, coups et même condamnations à mort furent le prix à payer pour ceux et celles qui s’obstinaient à confesser Jésus Seigneur.

Que disent-ils, quelles étaient leurs convictions fondamentales et la force qui les motivait ?

JOIE DE LA LIBERTÉ CHRÉTIENNE

Les chrétiens éprouvaient un immense sentiment de libération. Le Ressuscité n’avait-il pas rejoint ses apôtres sans déchaîner contre eux sa colère mais en leur montrant ses plaies comme source de sa miséricorde : « Je vous donne ma Paix » ?

Il n’était plus besoin d’implorer le pardon en se tordant les mains, en offrant des sacrifices d’animaux, en multipliant des offrandes. Jésus était le véritable Agneau pascal qui avait donné sa vie pour libérer tous les pécheurs de l’esclavage du péché, de la lâcheté, des scrupules, de la culpabilité morbide. Le péché de Judas n’était pas d’avoir trahi son maître mais de n’avoir pas attendu sa miséricorde. Aimé de Dieu, l’homme pouvait enfin s’aimer. Et donc rendu capable d’aimer son prochain.

On était libéré du joug des préceptes de la Loi que les Pharisiens, pleins de zèle et de bonne volonté, avaient accumulé pour préserver le souvenir de Dieu dans les moindres circonstances de la vie : ablutions d’une certaine façon, telles formules de prière à réciter, telles postures à prendre…Tout cela, pour le petit peuple, pesait de manière insupportable.

On était libéré d’une conception juridique stricte du shabbat. Tout en vénérant la sainteté de ce grand jour, Jésus, comme d’autres maîtres d’ailleurs, avait fait sauter le verrou d’une observance contraignante. « Le shabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le shabbat ».

On était libéré de l’interdiction de certains aliments et du régime alimentaire casher (porc, charcuterie…). « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui. Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur » (Marc 7, 15). Dieu nous a donné le monde pour que nous en goûtions tous les fruits avec délices et avec action de grâce. Ce qui nous souille, ce sont les injures, les médisances, les propos racistes et haineux qui sortent de notre bouche. Dieu nous laisse manger de tout mais il ne veut pas que nous disions n’importe quoi.

On était libéré des interdits que les scribes avaient fixé pour empêcher tous contacts avec les gens dits impurs : pécheurs notoires, publicains, handicapés…Jésus était allé vers ces personnes, il les avait touchées, leur avait parlé avec affection, les avait aimées, guéries. Il ne fallait plus craindre de contacter une souillure mais au contraire tenter de les rejoindre avec sainteté. La mission primait sur l’obsession de la pureté.

On était libéré de la séparation que la Loi avait édictée pour empêcher tout contact entre les membres du peuple élu et les païens et qui était marquée dans la chair par la circoncision. « Le Christ est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation ; il a aboli la Loi et ses observances. A partir du Juif et du païen, il a voulu créer, en lui, un seul homme nouveau en les réconciliant avec Dieu en un seul corps…» (Ephésiens 2, 14)

Tous interdits levés, Juifs et païens pouvaient donc enfin prendre leurs repas ensemble : tous réconciliés par le sang du Christ, ils partageaient le Corps et le Sang du Christ le premier jour de la semaine c.à.d. le lendemain du shabbat.

Bref la foi n’était pas une habitude mais une expérience toute nouvelle : avec le Christ, remplis de l’Esprit, ces hommes expérimentaient une nouvelle manière de vivre avec le Père. La joie permettait d’affronter tous les combats et envoyait par-delà toute frontière.

LIBÉRÉS POUR AIMER

Par Jésus vivant, reconnu comme Messie, Fils de Dieu, les nouveaux croyants recevaient l’Esprit-Saint qui les libéraient afin qu’ils s’aiment. Paul, l’ancien pharisien, exprime l’allégresse de sa libération :

Nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ qui nous a donné, par la foi, l’accès au monde de la grâce….Notre fierté, c’est d’espérer avoir part à la Gloire de Dieu … Et l’espérance ne trompe pas puisque l’Amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (Romains 5 – 2ème lecture)

La Trinité n’est pas un rébus, une équation à résoudre. Père, Fils, Esprit : Origine, Parole et Souffle sont UN. Si elle est vérité de Dieu, elle fait la vérité de l’homme et de l’humanité.
Jacques LACAN disait : « Si vous n’interrogez pas comme il convient le vrai de la Trinité, vous êtes faits comme des rats… » (Séminaire du 9.4.1974).

Frère Raphaël Devillers, dominicain

NOTRE ÉCONOMIE DANS UNE LOGIQUE DE COLLABORATION ET NON DE COMPÉTITION

Ce 28 mai, l’auditorium d’Axa, avenue de Matignon à Paris (8e), était comble. Dans la salle : 350 professionnels de la finance et de l’économie, dont Bertrand Badre, ancien directeur général de la Banque mondiale, Denis Duverne, président du conseil d’administration d’Axa, et Philippe Royer, président des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC).

Face à eux : le cardinal Peter Turkson, préfet du Dicastère pour le Service du développement humain intégral. Lors d’une longue allocution, le cardinal n’a cessé d’effectuer un parallèle entre les enjeux économiques actuels et la préservation de l’environnement. Son objectif ? Alerter sur les dérives de la finance spéculative et affirmer qu’une économie centrée sur la personne humaine est possible, « à partir du moment où elle se développe dans une logique de collaboration et non de compétition », a ensuite précisé le cardinal lors d’un point presse.

La visite du cardinal Peter Turkson en France n’est pas un hasard. Elle intervient un an après la publication par le Dicastère d’ « Œconomicæ et pecuniaræ questionnes » (« Considérations pour un raisonnement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel »).

Le texte alertait sur les dérives financières de « l’égoïsme aveugle, limité au court terme, faisant fi du bien commun, excluant de ses horizons la préoccupation non seulement de créer mais aussi de partager la richesse ». Sitôt le document paru, des associations chrétiennes de professionnels de la finance français, telles que Pro Persona, le groupe « Ora et Labora » et l’Association des économistes catholiques (AEC) se sont regroupées en groupes de travail.

L’enjeu de cette initiative ? Approfondir certaines parties et apporter des précisions à Œconomicæ et pecuniaræ questionnes. Le fruit de ce travail a donné lieu à deux textes.

Le premier porte sur les critères éthiques de l’investissement. Le second, sur la vocation de l’investisseur. Après relecture par Rome, les deux documents seront prochainement publiés par le dicastère, dans toutes les langues.

NOUS VIVONS UNE CRISE SOCIO-ECOLOGIQUE SANS PRECEDENT.

– Mgr Peter Turkson

Lors du point presse organisé à l’occasion de cette conférence, le Cardinal Peter Turkson n’a cessé d’établir un parallèle entre l’encyclique Laudato si’ et le document sur l’économie. Face aux enjeux environnementaux et économiques : même credo.

Dans les deux cas, l’Église pointe du doigt les inégalités créées par une mauvaise utilisation des ressources. « Nous vivons une crise socio-écologique sans précédent. Cela nécessite une profonde réforme de la manière dont nous gérons notre maison (économie), de la manière dont nous prenons soin de notre maison commune (écologie) », a notamment détaillé Peter Turkson.

Reconnue sur la scène internationale pour son engagement écologique , l’Église entend bien désormais être audible sur la scène économique et financière.

Or, pour être crédible, il s’agit d’être force de proposition.

Dans cette optique, le pape François a invité les jeunes du monde entier à venir travailler avec lui en mars 2020, à Assise, pour réfléchir à la création d’une économie alternative.

« Pour le pape, l’inclusion doit être la visée de l’économie actuelle », précise Peter Turkson. Et il y a urgence. « Dans certaines entreprises, les travailleurs sont considérés comme les objets d’une société du profit », alerte le cardinal, avant d’ajouter : « En France, la crise des Gilets jaunes a démontré l’importance d’axer la politique sur le bien commun ».

Autant d’éléments qui encouragent l’Église à faire de l’économie, un nouvel enjeu apostolique.

Fête de la Pentecôte – Année C – Dimanche 9 juin 2019 – Évangile de Jean 14, 15-26

ÉVANGILE DE JEAN 14, 15-26

LE VENT SOUFFLE OU IL VEUT

En l’année 30 de notre ère, à Jérusalem, un homme a été condamné à la crucifixion, il est mort devant de nombreux témoins et son cadavre a été déposé dans un tombeau. Or quelque temps plus tard, ses disciples qui s’étaient enfui sans rien faire pour le défendre, réapparaissent sur la scène publique et annoncent l’incroyable : ce Jésus mort n’est pas un admirable prophète à regretter, il n’est pas réanimé, il ne jouit pas d’une prolongation de vie mais il est, disent-ils, « relevé, réveillé, ressuscité » ( ? …) Il nous est apparu, assurent-ils, et il est effectivement le Messie dont les Ecritures d’Israël promettaient la venue, il est même le Seigneur qui apporte le salut de l’humanité.

Evidemment cette annonce époustouflante, inouïe, sidérante a buté tout de suite sur un mur de sarcasmes, de rires et d’incrédulité massive. Comment croire pareille nouvelle ? Ces hommes étaient tombés sur la tête, la mort de leur maître les avait tellement abattus qu’ils avaient eu une hallucination et inventé cette baliverne pour se consoler. Pour beaucoup il s’agissait d’un feu de paille promis à l’extinction rapide.

Se consoler ? Ils vont tout de suite apprendre ce qu’il en coûte de lancer pareille proclamation.

Le peuple va se détourner d’eux et même leurs familles vont se déchirer. Les autorités juives ne supporteront pas d’être accusées d’avoir monté un procès inique et condamné le Messie qui était innocent ; les autorités romaines se méfieront de ces agitateurs dont le chef avait été justement condamné par Pilate, et qui préparaient peut-être une sédition. Un jeune homme appelé Saül bouillonnait de rage et projetait de supprimer cette secte au plus vite.

Raconter le message des béatitudes ou la mort d’un prophète était admissible mais annoncer la croix et la résurrection, appeler à croire en Jésus Seigneur des vivants et des morts ne pouvait qu’entraîner avanies, ricanements, injures et conduire à la prison et même à la mort.

A part les disciples, personne n’a vu le Ressuscité. On a vu des hommes et des femmes qui étaient complètement changés et c’est ce fait qu’il importe d’expliquer. Leur ancienne lâcheté faisait place au courage, leur silence à la parole, leur éparpillement à la réunion, leur tristesse à la joie. Jamais on n’avait vu les collaborateurs d’un prophète manifester l’allégresse après la disparition de leur maître.

Ces disciples ont fourni l’unique explication plausible : s’ils osaient témoigner de Jésus Vivant jusqu’à accepter de donner leur vie, c’est parce qu’ils avaient reçu l’Esprit de Dieu.

Si, en français, le mot « esprit » évoque quelque chose d’immatériel, d’intellectuel, en hébreu il se dit « ROUAH » et signifie le souffle, le vent, donc une force dynamique qui chasse les brouillards, permet de discerner et pousse à agir. C’est la dynamique de Dieu qu’il communique à l’homme.

1ère PROMESSE DE L’ESPRIT

Dans son grand discours d’adieu, Jésus annonce, à 5 reprises, l’envoi de l’Esprit : l’évangile de ce jour nous fait écouter les deux premières promesses.

Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous.  Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.

Donc condition préliminaire: aimer Jésus. Ne pas se contenter d’une religion héritée, pratiquée par habitude et réduite aux bonnes mœurs mais lire et relire les évangiles pour y découvrir une personne. Qui est Jésus ? On peut rester sceptique et indifférent ou être frappé, intrigué par ce personnage qui continue à interpeler le lecteur. Une admiration puis un attrait puis un certain amour se développe librement et pousse à obéir, à désirer vivre comme ce Jésus le propose.

Cette bonne volonté – avec ses erreurs, ses peurs, ses lâchetés – rapproche du Christ et provoque ainsi le don du Père. L’Esprit n’est pas une récompense aux mérites mais demeure un don gratuit. L’Esprit s’appelle le Paraclet, mot grec qui signifie l’avocat. Jésus a été le premier défenseur mais il ne l’a été que pour un temps : l’Esprit sera le Défenseur ultime, indépassable qui assurera la défense des disciples jusqu’à la fin des temps.

Ce n’est pas tout : l’engagement à aimer Jésus, donc à mettre son Evangile en pratique, entraînera en outre la venue du Père et du Fils au cœur du croyant. Le vrai disciple n’est pas qu’un bon élève qui suit un programme, ni un pratiquant qui observe des rites, ni un membre d’une organisation religieuse (l’Eglise) : il est habité par le Dieu unique qui est Père, Fils et Esprit.

Il ne s’agit en rien d’une performance rationnelle ni d’une expérience de sensations mystérieuses ni d’une vie moralement parfaite. L’Esprit ne donne pas d’auréole ni ne détache de la terre. Jésus, habité par la plénitude, ressemblait à un artisan juif de la campagne.

Le disciple évangélique cesse de chercher Dieu au ciel : dans son miroir, il en devine les traces d’un des visages possibles. Et il commence à respecter et à aimer tous ses prochains qui lui présentent d’autres visages.

Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.

Attention aux fausses spiritualités, aux vagues frémissements, aux envolées mystiques, aux déclarations poético-spirituelles. Tout part, tout tient, tout se vérifie dans une mise en pratique des enseignements de Jésus. Car l’Evangile est bien la Parole de Dieu même. Et il ne nous transporte pas dans un monde éthéré mais au cœur des contraintes quotidiennes. A une Sœur qui voulait échapper à la vaisselle sous prétexte, disait-elle, que c’était l’heure de son adoration à la chapelle, Mère Thérèse d’Avila lançait : « Ma Sœur, Dieu est dans les casseroles ».

2ème PROMESSE

Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.

Jésus n’ayant rien écrit, les disciples ne vont-ils pas oublier ses enseignements ? Pouvons-nous nous fier aux Evangiles ? Il les rassure : l’Esprit vous éclairera, il vous remettra en mémoire mes actes et paroles et même il les actualisera, il vous montrera ce qu’ils signifient et engagent pour votre époque. C’est pourquoi il n’y a pas qu’un évangile, qu’une seule vie de Jésus. En effet les évangélistes ne se veulent pas, au sens moderne, des historiens qui tiennent à reconstituer avec précision discours et circonstances du passé. Chacun a sa vision et présente le même Jésus selon son point de vue et pour répondre aux problèmes concrets de ses communautés. Ce qui écarte la théorie du complot, de l’unanimité qui voudrait imposer l’authenticité.

Chaque enseignant d’Eglise a pour mission de montrer à ses auditeurs comment l’Evangile doit se vivre dans leur aujourd’hui. Et chaque baptisé doit sans cesse croiser événement et Evangile sous l’éclairage de l’Esprit afin de prendre la décision adéquate à la foi.

CONCLUSION

L’Esprit de Dieu enflamme les cœurs, nous chasse dehors, nous fait sortir, délie les langues, rassemble dans une joie nouvelle, permet l’ouverture aux autres, pousse au franchissement de toute frontière. Jésus est vivant à la Gloire du Père.

Frère Raphaël Devillers, dominicain