Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

1er dimanche de l’Avent – Année B – 29 novembre 2020 – Évangile de Marc 13, 33-37

Évangile de Marc 13, 33-37

La Foi et le Temps

Nous, chrétiens, nous suivons deux calendriers. En tant que citoyens d’une nation, le 1er janvier, nous nous engagerons dans l’année civile 2021 ; comme membres de l’Église, dès aujourd’hui, nous inaugurons une nouvelle année liturgique. Ce décalage est très intéressant à méditer. Le confinement qui nous interdit les rassemblements nous donne l’occasion de réfléchir à ce que nous pratiquons parfois de façon machinale.

Car qu’est-ce qu’une année ? C’est la durée d’une révolution de la terre autour du soleil, avec la succession des saisons qui permettront la vie des végétaux et des animaux. Mais l’humanité peut-elle se contenter d’être emportée par le temps des astres ? De monter sur un carrousel qui n’en finit pas de tourner jusqu’au moment où l’on en est éjecté ? Un couple qui s’aime, une maman qui contemple son bébé, un adagio de Mozart, une peinture de Van Gogh, le récit des vies de Gandhi, de Mandela, de l’abbé Pierre…tout transpire l’appel profond de notre cœur, le refus d’une fatalité absurde, d’un enfermement dans la cage de la répétition.

L’expérience de l’amour, le ravissement de la beauté, la grandeur unique de la liberté, l’exigence viscérale de la justice nous révèlent que notre vie n’est pas enfermée dans un événement biologique mais qu’elle est réponse à un appel, qu’elle est vocation, qu’elle se réalise dans une signification. Malgré la peur de la mort, il nous est dit que la vie est un don qui doit s’offrir pour aller au bout d’elle-même.

L’Année Liturgique

Voilà pourquoi nous commençons à l’avance une année liturgique. Non parce que nous sommes des gens crédules qui croient encore aux vieilles légendes. Ni parce que nous suivons, comme des moutons dociles, des clercs qui nous manœuvrent. Mais parce que la foi donne un sens à la vie : le temps n’est plus un retour éternel des saisons mais une flèche. L’histoire est la durée d’accomplissement du projet de Dieu. Par son Messie, Dieu appelle les hommes à être libérés du mal pour devenir, par l’amour, en communion avec lui. En nous éclairant sur le chemin de l’humanité, l’Évangile nous donne mission : celle de nous envoyer, les premiers, en avant-garde, dans la nouvelle étape où elle s’engage.

Avec crainte et tremblement, l’humanité a basculé dans une crise aux enjeux gigantesques que les médias nous détaillent tous les jours : pandémie, réchauffement climatique, pollution, destruction des ressources, économie vacillante, menace atomique, etc. Il est urgent, il est essentiel que nous, chrétiens, décidions de prendre des engagements nouveaux qui soient à la mesure des dangers qui menacent. Nous ne pouvons nous limiter à une pieuse gentillesse, à une attente passive. Hommes et femmes de toutes nationalités et de tous niveaux sociaux, orientés en diverses positions politiques et culturelles, nous n’avons évidemment pas la solution des problèmes mais nous constituons une force d’entraînement et d’exemple.

Pour cela nous avons besoin d’une foi éclairée, d’une espérance sans faille, d’une charité efficace. Le déroulement de l’année liturgique, loin d’être une fantaisie cultuelle, offre la formation continue au peuple croyant. C’est le catéchisme continuel qui replace toujours l’Église dans sa vérité et qui renouvelle ses énergies. Tentons un panorama rapide.

Eglise en Avent

D’emblée il faut remarquer que, dans le calendrier le plus répandu dans le monde, l’année est référée au Christ : « 2021 » après son passage sur terre. Mais il a promis de revenir comme Seigneur. Donc l’attitude première qui nous est inculquée est l’ « Avent », c.à.d. l’attente d’un avènement. 2021 n’est pas qu’un souvenir historique : le déroulement des siècles s’ouvre sur un avenir. Le chrétien en avent ignore les événements qui vont survenir, il n’est pas obnubilé par les catastrophes mais il est certain d’aller à la rencontre de ce Seigneur qui l’aime et qui fera triompher la justice, comme la fête du Christ-Roi vient de nous l’assurer.

Un verbe caractérise cette attitude et il est répété à 4 reprises dans l’évangile du jour : « Veiller ». Jésus ne nous invite pas à l’insomnie angoissée mais à la prise de conscience. La société nous pousse à la consommation sans retenue, au divertissement perpétuel, au repli sur soi : Jésus nous invite à la solidarité, à la retenue. Le chrétien en avent se doit de creuser sa sollicitude envers les multitudes infinies d’hommes qui n’ont pas découvert le Christ. Est-ce que nous soupçonnons la grande misère des vies recroquevillées dans leur égoïsme étouffant ? La pauvreté spirituelle est tragique qui s’abîme dans le désespoir.

Vivre l’Avent ce n’est pas faire semblant d’attendre le petit Jésus : c’est ouvrir une brèche dans le mur de l’avenir, c’est éclairer les ténèbres du présent par la lumière de Dieu qui vient de l’avenir.

Église de Noël

Le confinement va sans doute détruire « la magie de Noël » et son barnum. Cela nous aidera à percevoir les signes de la venue de Dieu dans la pauvreté, le silence de la marginalité. Nous accueillons le Dieu faible et silencieux dans le Bethléem de l’Église ; nos poings prêts à la violence s’ouvrent pour devenir la crèche de l’accueil et du partage.

Église de Carême

Au printemps de l’année, nous nous recueillons pour préparer les fruits de l’avenir. Le carême n’est pas une suite morose de sacrifices mais le temps de la méditation. Quelles options de vie prendre ? Être soucieux de manger mieux ou de nourrir les autres ? Séduire par le spectacle ou marcher dans l’humilité ? Écraser par la puissance ou chercher la Gloire de Dieu ? Les trois tentations exigent des décisions radicales.

Église de Pâques

Les hommes qui veulent faire une croix sur Dieu reçoivent, de cette croix, son pardon et sa vie. Au mont chauve du Golgotha jaillit la source de la Miséricorde infinie. « Dieu est Amour ». Après la quarantaine du désert, la cinquantaine de l’Esprit chasse nos tristesses, défait nos liens d’esclaves du péché pour nous unir dans la concorde de la communion. nous libère, nous envoie jusqu’au bout du monde pour annoncer la Bonne Nouvelle.

Église d’après Pentecôte

En plein monde et en pleine foi, nous assumons nos responsabilités dans le temps qui se poursuit. Au jour de sa résurrection -dimanche -, nous commençons chaque semaine en nous laissant recueillir par notre Berger. Il nous offre son pardon sans condition, il nous explique les Écritures. Chaque page de son Évangile nous éclaire sur tous les aspects de la vie. Le partage de son Corps eucharistique nous consolide pour devenir la communion de son corps qui est l’Église.

Église de la fin

Hélas des multitudes refusent l’Évangile. Pire : bien des croyants se détournent de la pratique liturgique. Et le monde reste le champ de bataille où s’affrontent les intérêts égoïstes. Mais l’Esprit continue à accomplir des hommes : la Toussaint chante le bonheur de la foule innombrable des inconnus qui, souvent dans l’ombre, ont pratiqué le chemin des béatitudes. La valeur d’une vie est jugée par son service des pauvres. Le cycle se termine par la louange du Christ Seigneur et la victoire de la justice. Les hurlements des idoles s’éteignent tandis que rejaillit pour toujours l’Alléluia.

Religion et foi

On le voit : nos célébrations hebdomadaires ne sont pas des parenthèses pieuses dans le déroulement des activités mondaines. Elles ont – si nous le voulons – un impact sur les conceptions de la vie, sur les décisions à prendre, sur les gouffres à éviter. Le mystère du Christ continue à se déployer par la communauté universelle de ses disciples. On peut certes vivre la messe comme une routine fastidieuse, un devoir à accomplir, un contact avec le sacré. En rester à cette conception amène un jour à l’abandon de la pratique rituelle – ce que des multitudes innombrables ont accompli.

L’instinct religieux est fortement attaqué par la sécularisation galopante. « La religion s’efface et l’Église s’effondre » titre un magazine. La vérité de l’Église n’est pas dans les chiffres mais dans sa fidélité à l’Évangile. Tous ces derniers dimanches nous ont montré que l’ultime combat de Jésus était de dénoncer un culte qui tablait sur la majesté de l’édifice du temple et sur la régularité des rites, mais qui était comme un beau figuier qui ne donnait pas les fruits que Dieu exigeait.

« Veillez, veillez, veillez… » : l’exhortation de Jésus ouvre notre nouvelle année et elle veut nous ouvrir les yeux sur la réalité que nous vivons. Dieu ne sauvera pas le monde sans nous.

« Le Maître reviendra le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Attention qu’il ne vous trouve assoupis ». La foi nous donne la mission d’être les vigiles du monde. Même si nos églises sont fermées, l’Avent nous secoue, nous réveille.

C’est un péché grave de « tuer le temps » : le Fils de Dieu y est venu pour le sauver.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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