Asia Bibi : « À chaque instant, j’ai gardé Dieu dans mon cœur »

Condamnée à mort pour avoir bu la même eau que des femmes musulmanes, elle aura passé dix ans en prison avant d’être acquittée.

Une Pakistanaise, mère de famille et chrétienne, un petit bout de femme d’une incroyable force, d’une grande résilience et d’une foi profonde. Asia Bibi va venir en France. Reçue par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui l’a faite citoyenne d’honneur de la Ville de Paris, Asia Bibi va rencontrer vendredi Emmanuel Macron, à la demande de l’Élysée, pour lui faire part de sa demande d’asile politique.
Filmée, sollicitée et photographiée sans relâche, Asia Bibi conserve des séquelles de son emprisonnement. Mais en dépit de la fatigue, elle sourit, inlassablement. Si ses réponses sont brèves et parfois laconiques, son visage avenant et chaleureux ainsi que son regard profond témoignent de ce qu’elle a traversé : de longues années de solitude et, parfois, de découragement. Mais aussi de sa foi, sur laquelle elle s’est reposée, sur sa confiance et sa simplicité.

Aleteia : Asia Bibi, quelle est votre histoire ?

Asia Bibi : Mon histoire, vous devez la connaître ! Mais encore aujourd’hui elle me paraît irréelle ! Chrétienne et mère de famille, mon métier était, entre autres, de faire la cueillette comme ouvrière agricole. Ce 14 juin 2009, je me souviens encore de la chaleur qu’il faisait, j’ai bu l’eau du puits dans le même gobelet que d’autres femmes. Deux d’entre elles m’ont accusée d’avoir souillé l’eau parce que j’étais chrétienne. Quelques jours plus tard, j’étais accusée de blasphème. Puis j’ai été jugée et condamnée à mort par pendaison pour blasphème en novembre 2009 et en octobre 2014 la Haute Cour de Lahore a confirmé ma condamnation.

Quand vous apprenez votre condamnation, qu’est-ce qui vous traverse l’esprit à ce moment-là ?

Mes enfants. Ils étaient très jeunes à l’époque, et j’ai ressenti une peine énorme. Je me disais intérieurement que ce n’était pas possible, que je n’avais rien fait.

Condamnée, vous allez passer dix ans en prison. Quel était votre quotidien ?

J’étais très isolée et je faisais tout pour être extrêmement silencieuse. Mais, surtout, à chaque instant j’ai gardé Dieu dans mon cœur. Je priais chaque jour.

Qu’est-ce qui vous a empêché de sombrer ?

J’ai vécu cela comme une épreuve envoyée par Dieu. Quand un être humain est éprouvé, le désir de réussir, de dépasser l’épreuve, est extrêmement fort. J’ai su que la prière allait m’aider en ce sens. Et de nombreux signes m’y ont encouragée. Par exemple, j’ai rêvé une nuit d’un prêtre qui me faisait réciter des versets de la Bible. Quand j’ai ouvert les yeux, je me souviens m’être étonnée de ne plus le voir. Je me suis dit que c’était peut-être Dieu qui m’envoyait un signe pour que j’essaye d’apprendre ces versets qui allaient me soutenir. C’est donc ce que j’ai fait. J’ai lu les Évangiles très régulièrement.

Un passage de la Bible vous a-t-il particulièrement soutenu ?

Oui, la parole qui me revenait sans cesse était : « Le Seigneur est ton refuge ». À chaque fois, c’était le premier psaume sur lequel je tombais. (cf. texte ci-dessous)

Votre mari, Ashiq, a également été un soutien fidèle…

Oui, il a été un pilier pour moi durant toutes ces années. Il ne m’a jamais lâché la main, malgré les menaces et les difficultés. C’est lui qui m’a appris qu’une journaliste, Anne-Isabelle Tollet, s’était exprimée la première en mon nom. C’est lui qui m’a dit que de nombreuses personnes s’intéressaient à mon cas. C’est lui aussi qui m’a appris que le Pape priait pour moi. Je me souviens en avoir ressenti une joie intense ! Nos enfants faisaient partie des sujets que nous évoquions le plus souvent. À cause des menaces qui pesaient sur eux, je n’ai pas pu les voir souvent.

Vous êtes finalement acquittée à l’automne 2019 mais une vague de manifestations sans précédent vous empêche de quitter le pays tout de suite. Que ressentez-vous face à ce déferlement de haine ?

Ma libération a exacerbé les tensions d’une manière effrayante. Mais le plus dur était que je pouvais les entendre. J’entendais tout ce qu’ils disaient. Je pouvais les entendre scander ma mise à mort. Par tous les moyens. Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai gardé ma force. Je n’avais pas peur.

Avez-vous pardonné à ceux qui vous ont condamné ?

Oui, je leur ai pardonné. J’ai pardonné ces dix années en prison, loin de ma famille. Du fond de mon cœur, je leur ai pardonné.

Dans la cellule que vous avez occupée pendant dix ans se trouve aujourd’hui une chrétienne, Shagufta Kousar, condamnée à mort à la suite d’une accusation de blasphème…

Shagufta Kausar est aussi mère de famille et elle est accusée avec son mari d’avoir envoyé des SMS blasphématoires. Une accusation d’autant plus invraisemblable qu’ils ne savent pas écrire. Au-delà de Shagufta, ce sont tous celles et ceux qui sont encore aujourd’hui en détention qui doivent être aidés. C’est mon combat aujourd’hui : la loi anti-blasphème doit être réformée. C’est à cela que je souhaite dédier ma vie désormais.

Vous avez reçu hier la citoyenneté d’honneur de la Ville de Paris et vous avez également indiqué vouloir demander l’asile politique à Emmanuel Macron. Pourquoi la France ?

La France m’est très chère parce que c’est à partir de la France qu’on a parlé en mon nom. C’est la France qui m’a donné l’identité d’Asia Bibi. Je dois dire aussi que les bâtiments anciens, notamment la cathédrale de Paris qui a traversé tant de siècles, m’ont beaucoup séduite. J’ai appris hier que Notre-Dame avait brûlé au printemps dernier, j’en ai nourri une peine inouïe.

 Comment envisagez-vous l’avenir ?

Je souhaiterais que nous puissions tous travailler main dans la main pour réformer la loi anti-blasphème au Pakistan. En ce qui concerne mon avenir personnel, mon souhait le plus ardent est que mes filles puissent avoir accès à l’instruction, qu’elles puissent grandir dans un milieu éduqué et qu’elles puissent se battre pour l’équité.

Vous sentez-vous libre ?

Je reçois toujours des menaces, mais oui, je suis libre.

Qu’est-ce qui vous attriste le plus aujourd’hui ?

J’ai eu une peine immense quand j’ai dû quitter le Pakistan, le pays où je suis née. C’était après ma libération et je sais que Dieu m’a montré la voie. Mais je garde fermement l’espoir qu’un jour je pourrai retourner sur ma terre.

À l’inverse, qu’est-ce qui vous apporte le plus de joie aujourd’hui ?

La plus grande joie, je la ressens lorsque je me prosterne devant la grandeur de Dieu.

Agnès Pinard Legry – 26. 2. 2020 – Aleteia

Le témoignage exceptionnel d’Asia Bibi sous la plume d’Anne-Isabelle Tollet

Condamnée à mort au Pakistan pour blasphème en novembre 2010, Asia Bibi aura passé neuf ans en prison avant d’être acquittée. Son histoire, c’est la journaliste Anne-Isabelle Tollet qui l’a fait connaître au monde entier. Elle est allée la retrouver au Canada pour recueillir son témoignage dans un livre à paraître le 29 janvier, « Enfin libre ! ». « Un bout de femme, pétillante et battante, qui nous enseigne une sacrée leçon de courage », confie-t-elle à Aleteia.

Nous sommes en novembre 2010. Asia Bibi, jeune mère de famille chrétienne pakistanaise, vient d’être condamnée à mort pour blasphème. Le pape Benoît XVI exprime dans la foulée sa « solidarité spirituelle » avec Asia Bibi et plaide pour que soient respectés ses droits fondamentaux. La sentence autant que la réaction rapide du souverain pontife de l’époque créent une petite onde de choc dans la communauté de journalistes et correspondants présents dans le pays, dont la française Anne-Isabelle Tollet.

« Je me souviens parfaitement de ce moment », confie-t-elle à Aleteia. « Juste après mon duplex, le ministre des minorités pakistanais, Shahbaz Bhatti, est venu me voir et m’a dit : “ J’ai vu que tu as parlé d’Asia Bibi et ça tombe bien parce que j’aimerais qu’on en parle plus sérieusement : s’il n’y a pas une grande mobilisation internationale, Asia Bibi va mourir” ».

Pendant près de dix ans, Anne-Isabelle Tollet va devenir la porte-voix d’Asia Bibi, se battant sans relâche pour sa libération. Le 31 octobre 2018, Asia Bibi est acquittée et exfiltrée de sa prison dans la nuit du 7 novembre.
Menacée de mort avec sa famille, elle quitte le Pakistan avec sa famille six mois plus tard et rejoint le Canada.

C’est dans un lieu tenu secret qu’Anne-Isabelle Tollet lui a rendu visite et l’a rencontrée, après tant d’années, pour la première fois. « Je connaissais bien son mari, Ashiq, ses enfants, mais elle, je n’avais pas pu la voir en prison, on me l’a toujours interdit », explique-t-elle. « En voyant ce petit bout de femme, vivante et pétillante, j’ai été très touchée. C’est une sacrée leçon de courage qu’elle nous donne : c’est une battante, je dirais même une combattante ».

Et une personne libre, enfin libre. Au cours de leur rencontre, les deux femmes ont décidé d’unir leurs voix, une nouvelle fois. Dans un livre intitulé Enfin libre ! à paraître mercredi 29 janvier aux éditions du Rocher, Anne-Isabelle Tollet a recueilli son témoignage exclusif. Elle en livre les coulisses à Aleteia.

Aleteia : Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’histoire d’Asia Bibi ? 

Anne-Isabelle Tollet : Dans la foulée de sa condamnation en novembre 2010, le pape Benoît XVI s’est exprimé en direct de la place Saint-Pierre en sa faveur. Dès lors, comme tous les correspondants sur place, j’ai couvert cette actualité. Mais juste après mon duplex, le ministre des Minorités, Shahbaz Bhatti, est venu me voir chez moi et m’a dit : « J’ai vu que tu as parlé d’Asia Bibi et ça tombe bien parce que j’aimerais qu’on en parle plus sérieusement : s’il n’y a pas une grande mobilisation internationale, Asia Bibi va mourir ». Il m’a présenté à la famille d’Asia Bibi qui était cachée sous sa responsabilité. S’en est alors suivi un travail d’enquête : je me suis rendue dans son village, j’ai rencontré ses accusatrice, le mollah… et j’ai réalisé qu’il s’agissait d’une véritable conspiration et absolument pas d’un blasphème. Là-dessus j’ai fait un premier reportage qui est passé au 20h de France 2. Mais j’ai aussi été touchée par la famille d’Asia Bibi qui était complètement démunie. J’ai pris conscience, à ce moment-là, que la loi du blasphème pouvait être une arme absolument redoutable. Et que tout citoyen pakistanais, quel que soit sa confession, vivait dans la terreur de cette loi qui pouvait, sur une simple accusation, mettre à mort un être humain.

Comment s’est passée votre rencontre avec Ashiq, le mari d’Asia Bibi, et ses enfants ?

J’ai rencontré Ashiq au domicile du ministre des Minorités. Il m’a demandé de venir un jour et il m’a présenté à la famille d’Asia Bibi. Ils étaient très démunis et j’ai bien vu que si on ne parlait pas de leur histoire ça allait se terminer comme souvent ces histoires se terminent : les familles sont lâchées dans la nature, assassinées. Quant à Asia Bibi, elle risquait à tout moment de mourir dans sa prison. J’ai été indignée par cette injustice et touchée par leur vulnérabilité.

Si vous n’avez jamais pu rencontrer Asia Bibi durant tout le temps où elle a été emprisonnée, vous vous êtes battue pour elle, pour faire connaître son histoire…

J’ai essayé d’aller la voir à de nombreuses reprises mais cela m’a toujours été interdit. J’aurais aimé pouvoir la rencontrer mais cela ne changeait rien au combat de fond. La mainmise des fanatiques et du fondamentalisme religieux sur la justice pakistanaise était contraire au droit du pays. Il n’était pas question de faire de l’ingérence dans cette république islamiste du Pakistan.

Asia Bibi est devenue un symbole. C’est au nom de toutes les victimes qui vivaient dans la terreur de cette loi du blasphème, maintenue par les fanatiques religieux, que j’ai mené ce combat. Le cas d’Asia Bibi est devenu d’autant plus emblématique au Pakistan qu’un gouverneur musulman, Salman Taseer, a été assassiné le 4 janvier 2011 pour avoir pris sa défense mais aussi le ministre des Minorités, Shahbaz Bhatti, qui a été assassiné par les talibans pakistanais le 2 mars pour les mêmes raisons.

Quelles ont été les grandes étapes de ces neuf années de combat pour sa liberté ?

C’est long, neuf ans. Moi qui suis journaliste, je sais à quel point une actualité en chasse une autre et qu’il ne faut pas qu’il y ait effet de lassitude. C’est un combat long avec assez peu de rebondissements, une histoire complexe et pas évidente médiatiquement parlant. Connaissant les rouages des médias, je savais à quel moment ça prendrait, sous quel angle, quelle accroche utiliser… Je savais quoi faire pour qu’il y ait des échos.

Il y a eu des articles dans la presse pour faire connaître son histoire, deux livres, des alertes régulières auprès de la communauté internationale pour qu’Asia Bibi ne tombe pas aux oubliettes et qu’elle puisse être protégée en prison, qu’elle ne soit pas assassinée.

J’ai aussi écrit avec Ashiq, le mari d’Asia Bibi, une lettre pour remercier Anne Hidalgo d’avoir fait d’Asia Bibi une citoyenne d’honneur de la ville de Paris. Une lettre qui a été largement relayée par des médias internationaux. Ça a fait le tour du monde et ça a remis Asia Bibi dans la lumière. Lors de l’ice bucket challenge, j’avais lancé sur les réseaux le challenge « un verre d’eau pour Asia Bibi ». En fait, c’est cette chaîne humaine qui a permis de maintenir cette histoire dans les médias.
 
Le 16 octobre 2014, la cour d’appel de Lahore confirme la condamnation à mort d’Asia Bibi qui fait un ultime recours devant la Cour suprême du Pakistan…

Après son deuxième jugement devant la cour d’appel de Lahore, elle aurait pu être pendue dans les quinze jours qui suivaient. Il y a eu à ce moment-là une pression sur le Pakistan de la part des médias et de la communauté internationale. En 2016, une résolution a été votée au Parlement européen visant à sanctionner financièrement le Pakistan s’il ne respectait pas les droits de l’Homme. C’est aussi passé par la médiatisation d’événements comme le fait que plusieurs maires aient fait d’Asia Bibi une citoyenne d’honneur. Chacun des trois derniers présidents de la République, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, ont tous décroché leur téléphone pour appeler leur homologue pakistanais pour lui dire qu’ils étaient inquiets de la situation d’Asia Bibi. Cela a évidemment exercé une pression sur le Pakistan qui a été regardé de près par la communauté internationale et qui ne pouvait pas ouvertement bafouer les droits de l’Homme.

Quel a été le rôle du pape François ?

Après sa deuxième condamnation, j’ai lu ici où là dans la presse beaucoup d’appels à ce que le pape François s’exprime en sa faveur. Quand j’ai lu ça je me suis : « Mon Dieu, si le pape François dit quoi que ce soit sur Asia Bibi on est cuit ». J’ai pris la liberté de lui écrire pour lui expliquer que ce serait contre-productif car, au Pakistan, ça aurait été perçu comme de l’ingérence de l’Église catholique dans une république islamique et que donc il valait mieux, pour le bien d’Asia Bibi et pour l’ensemble des chrétiens au Pakistan, que le Pape ne s’exprime pas publiquement. Ce message il l’a très bien entendu, très bien reçu, et il m’a dit que c’était un sujet complexe dans lequel il fallait savoir faire de la diplomatie même en tant que chef religieux et qu’en l’espèce cela était parfaitement justifié.

Prévu le 13 octobre 2016, le procès en appel est finalement reporté à une date ultérieure en raison des fortes pressions exercées par des fanatiques religieux. Vient finalement le temps de l’acquittement, le 31 octobre 2018, de l’exfiltration de sa prison et de son départ pour le Canada six mois plus tard. Qu’avez-vous ressenti ?

Un grand bonheur et le sentiment d’un devoir accompli. Asia Bibi libre, elle a pu retrouver son mari, ses enfants qui ont été privés de leur maman depuis dix ans. J’étais heureuse aussi de montrer à mes enfants, qui ont finalement grandi avec l’histoire d’Asia Bibi, qu’à force de ténacité, même si cela semble impossible, on peut déplacer des montagnes, atteindre ses objectifs.

Vous avez finalement pu la rencontrer, pour la première fois, au Canada. Qu’est-ce que cela vous a fait ?

Au bout de dix ans on finit par se demander si elle existe vraiment ! J’étais émue et intimidée : j’ai vu pour la première fois la personne pour laquelle j’étais devenue le porte-voix. Mais quelle joie de voir ce petit bout de femme, vivante et pétillante ! J’ai été encore plus heureuse de constater à quel point elle était une battante : elle n’était pas usée par ces dix années de prison, elle ne s’est pas apitoyée sur elle-même. C’est une femme battante, combattante.

Comment est Asia Bibi ?

Elle a une forme d’autorité naturelle. À la maison c’est elle la boss : on passe à table quand elle décide qu’on passe à table. Mais elle est aussi très rigolote : sans parler la même langue nous avons beaucoup ri de petites situations qui feraient sourire certaines personnes mais qui elle la font rire aux éclats. Elle est aussi vive et intelligente. Elle a pris beaucoup de recul sur toutes ces années et est capable de voir qui l’a vraiment aidée et qui s’est servi d’elle pour faire de la récupération politique. Elle est très lucide. Asia Bibi est triste d’avoir quitté le Pakistan mas elle veut continuer à se faire le porte-voix de toutes les personnes injustement accusées de blasphème, notamment les chrétiens. Et il y en a encore beaucoup : peu de temps après son départ de prison, c’est une nouvelle chrétienne, Kausar Shagufta, une maman de quatre enfants âgés de 5 à 13 ans, qui l’a remplacée dans sa cellule. Elle a été condamnée à mort pour blasphème. D’après l’imam d’une mosquée locale, elle aurait envoyé, avec son mari, des SMS en anglais insultant le prophète. Des faits d’autant plus inimaginables qu’ils sont tous les deux analphabètes. Oui, il y a encore beaucoup de travail !

(repris du site Aleteia 2 février 2020)


Enfin libre !
Asia Bibi avec Anne-Isabelle Tollet, Éditions du Rocher, 29 janvier 2020.

LA RESURRECTION D’ASIA BIBI

par J. CHANNAN, dominicain pakistanais

Quelle joie pour nous, en ce 29 janvier, d’apprendre qu’Asia Bibi était définitivement libre et que le recours contre son acquittement a été rejeté par le président de la Cour suprême du Pakistan.

Enfin, il est reconnu une fois pour toutes qu’elle n’a pas proféré de blasphème contre le prophète de l’Islam et que toutes les charges retenues contre elles sont fausses et sans fondement. Enfin, il est dit que ceux qui ont témoigné contre la chrétienne sont des menteurs et ont donné un faux témoignage.

Pour Asia Bibi, cette décision est une véritable résurrection des morts. Dieu l’a comme relevée du tombeau, sa cellule de prison dans le couloir de la mort où elle a passé huit ans. Cette femme pauvre et illettrée, qui était ouvrière agricole dans la périphérie de Lahore, n’a jamais faibli dans l’épreuve. Elle est pour nous l’exemple d’une foi forte dans le Christ ressuscité. Elle nous en a donné le témoignage pendant toutes ces années depuis le fond de sa cellule où planait l’ombre de la mort et maintenant elle est dans la joie d’une « résurrection ».

Elle s’est battue pour prouver son innocence avec la force de la foi, comme un roc qui ne peut être ébranlé, et c’est vraiment une satisfaction de la voir aujourd’hui victorieuse. Je ne peux qu’imaginer à quel point ses nuits ont dû être sombres et ses rêves épouvantables quand la peine de mort a été prononcée contre elle en novembre 2010 et qu’elle a craint d’être pendue. Mais Asia est une femme pleine d’espérance et elle a toujours cru qu’un jour elle se relèverait et pourrait vivre à nouveau une vie libre et « normale ».

Je veux saluer ici son avocat, Saif-ul-Malook, un musulman qui s’est battu pour elle et l’a défendue en risquant sa propre vie. Lui et sa famille ont reçu des menaces de mort de la part d’islamistes à tel point qu’ils ont dû fuir le pays… Mais cet homme courageux est retourné à Islamabad pour défendre une dernière fois la cause de la chrétienne, ce 29 janvier, et il a gagné. J’imagine sa joie profonde.

Le rejet de l’appel contre l’acquittement est une victoire de la justice. C’est la justice qui l’emporte au Pakistan.

Le procès d’Asia Bibi était un test pour le Pakistan. Il a montré au grand jour comment des esprits dérangés et des musulmans radicaux détournaient cette loi sur le blasphème pour s’en prendre à n’importe qui et spécialement aux chrétiens les plus pauvres et sans défense. Je me réjouis de la position audacieuse des juges de la Cour suprême du Pakistan et de leur décision. Ils ont rendu leur jugement librement, en conscience, sans se laisser influencer par les manifestations, les grèves et les menaces de la part de fanatiques islamistes qui ont accompagné chaque étape de l’interminable procès d’Asia Bibi.

Tous les chrétiens et, je le crois, une majorité de musulmans, se réjouissent de cet acquittement. J’espère qu’après cette décision les islamistes se garderont de toute fausse accusation et qu’ils craindront de faire de faux témoignages.

Maintenant, Asia Bibi est libre. Mon regret est qu’elle ne puisse malheureusement pas vivre librement dans son propre pays, celui qui l’a vu naître. Elle est forcée, de crainte d’être un jour victime d’un attentat, de quitter le Pakistan et de s’installer ailleurs pour recommencer une vie libre.

Que Dieu la bénisse, elle et sa famille, pour qu’elle puisse désormais vivre en paix et mener une vie de liberté.

 

LA VIE – 30 1 2019

LE NOËL D’ASIA BIBI …

« Asia a passé Noël dans une maison sécurisée d’Islamabad au Pakistan. J’espère que c’est la dernière fois que ma cliente, une catholique, devra passer cette fête sans pourvoir vivre et pratiquer son culte librement […] Le gouvernement du Premier ministre Imran Khan semble déterminé à assurer la sécurité d’Asia, de son mari, Ashiq Masih, et des deux filles du couple, jusqu’à ce qu’un autre pays accepte de les accueillir. Le Canada est leur plus probable destination […] Asia n’est pas une personne sophistiquée. Elle est née, voici 47 ans, au sein d’une famille pauvre d’un village poussiéreux d’agriculteurs de la province du Pendjab, et ne s’est jamais assise, de toute sa vie, dans une salle de classe ne serait-ce qu’un seul jour. Mais elle a été soutenue par sa forte foi religieuse lorsqu’elle a été confrontée à ces lois sur le blasphème qui sont souvent exploitées par des extrémistes religieux et de simples Pakistanais pour régler leurs comptes personnels […] Asia ne s’était jamais aventurée bien loin de son village avant de se retrouver en prison, et donc commencer une nouvelle vie dans un nouveau pays pourrait être un défi pour elle. Mais elle a manifesté une force remarquable tout au long de son épreuve, et je suis convaincu qu’elle le relèvera. »

“HURLER A L’ISLAMOPHOBIE ET SE TAIRE SUR ASIA BIBI” PAR KAMEL DAOUD

Cette tribune signée par le journaliste et écrivain algérien Kamel Daoud a été publiée par le Quotidien d’Oran, le 11 11 2018.

“Qui est Asia Bibi ? Inconnue en Algérie (…) Rappel donc : c’est une chrétienne du Pakistan, mère de famille, ouvrière agricole dans les champs. Son histoire est terrible. Accusée de blasphème, en 2009, sur la base des récits d’autres femmes qui se sont disputées avec elle pour un verre d’eau, elle est condamnée à mort par pendaison. La loi au Pakistan est claire, mortelle, tueuse et nette. La femme est dénoncée par un mollah, un autre offre une somme d’argent pour qui va la tuer. Même par empoisonnement dans la prison où elle est enfermée depuis des années. Hystérie, folie, barbarie.

D’ailleurs, des politiciens pakistanais qui l’ont défendue, seront assassinés. Simplement. 

Aujourd’hui, après son acquittement par la Cour suprême de ce pays, les islamistes paralysent le Pakistan, déferlent dans les rues, hurlent et se mobilisent. Non contre la misère, la soumission, le manque d’eau ou la pauvreté horrible et l’injustice, mais contre une femme, une ouvrière pour ramasser des fruits dans les champs. Les photos sur le net laissent sans voix sur cette déferlante de la haine. 

Le cas d’Asia Bibi résume cette pathologie envers la femme, l’Autre, l’altérité, le différent. Affaibli par ses concessions et ses compromissions, le Régime pakistanais en est à la phase de négociations avec ses propres barbares. 

Pourquoi en parler chez nous ? Pour deux ou trois raisons. 
La première est que l’Algérie se «pakistanaise» sous nos yeux. (…)

Suite …  “La seconde raison est plus scandaleuse. Un journal en Occident l’a déjà évoqué : pourquoi dans le monde dit «musulman» il n’y a eu aucune manifestation pour soutenir cette femme comme on le fait quand un évangéliste brûle quelques pages du Coran ? Parce que Bibi est une femme, elle est chrétienne et donc pas humaine. La solidarité s’arrête à la confession. Cela nous évite de partager le poids du monde et nous encourage à crier au complot international. Ensuite on pourra hurler au refus du monde fait aux musulmans tout en refusant d’en partager l’universelle condition.

Soutenir cette femme aurait pu distinguer le musulman de l’islamiste, affirmer notre universalité, notre humanité et le souci de l’humain qui passe avant l’idéologie. Et ce n’est pas possible : nos croyances passent avant notre humanité et surtout celle des autres.

Il est même plus facile d’accuser l’Occident de faire des caricatures du prophète que de manifester contre cette hideuse caricature de l’islam au Pakistan ou contre Daech qui, avec les mêmes versets, tue et massacre et porte «atteinte à l’image de l’Islam» avec le sang et les bombes. C’est plus rentable de jouer les victimes que d’en défendre une. Plus facile. (…)

Suite : “Il s’en trouvera qui vont crier au scandale et jurer qu’un texte comme cette chronique va être récupéré par l’extrême-droite en Occident et nourrir l’islamophobie. J’en ai rencontré récemment, dans des villes européennes. Maghrébins blessés, exilés ou théoriciens de l’islamisme sous-marin. Leur conseil est qu’il faut se taire sur Asia Bibi, n’en rien dire, sur elle et sur les autres, la laisser pourrir en prison, être pendue pour un verre d’eau, juste pour ne pas être inquiété dans ses croyances «culturelles» en Occident. Le souci de lutter, soi-disant, contre l’islamophobie passera avant une vie humaine, une femme, une injustice. Ce qui est important «c’est ce que pensera l’Occident de nous à cause d’une chronique, pas la vie d’une femme, un crime». Le confort passe avant l’humain et l’humain ne concerne que le musulman, celui-là précisément, soucieux de son image narcissique plus que de la vie et des morts. 

C’est une logique. On peut ne pas écrire, se taire et laisser cette femme mourir. Comme tant d‘autres. Cela fera plaisir à l’égo culturel. A la censure communautaire. On peut se taire sur tout, d’ailleurs. Au nom de l’obligation de ne pas altérer l’image que nous voulons donner de nous-mêmes et qui est fausse et délirante. La faute n’étant pas ce que nous avons fait de nous-mêmes et de notre monde, mais la faute est celle de ceux qui pensent mal de nous. Le miroir du monde devient coupable de notre nudité misérable. Alors on le casse ou on crie à l’islamophobie. Ou bien il faut écrire. Parler, dire et dénoncer nos propres misères et complicités. 

Que l’extrême-droite «récupère ou pas». L’essentiel est de sauver une vie, de témoigner d’une solidarité, de faire du bruit pour que le meurtre et le meurtrier ne passent pas inaperçus. C’est la plus faible des fois. Asia Bibi est un être vivant qui risque de mourir. Le reste c’est le blabla misérable d’idiots (ou pas) inutiles et de monstres qui se multiplient.”   

Kamel Daoud

QUI EST KAMEL DAOUD ?

Né en 1970 à Mesra en Algérie. Ecrivain et journaliste d’expression française. Pendant 8 ans, rédacteur en chef du journal « Quotidien d’Oran ». Son roman « Meursault, contre-enquête » a reçu le Prix du Premier roman 2015. En 2017 publie « Zabor ou les Psaumes ». En 2018 « Le peintre dévorant la femme ».

Le 13 décembre 2014, dans l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché sur France 2, Kamel Daoud déclare à propos de son rapport à l’islam : « Je persiste à le croire : si on ne tranche pas dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l’homme, on ne va pas avancer, a-t-il dit. La question religieuse devient vitale dans le monde arabe. Il faut qu’on la tranche, il faut qu’on la réfléchisse pour pouvoir avancer. »

Quelques jours plus tard, cela lui vaut d’être frappé d’une fatwa par Abdelfattah Hamadache Zeraoui, un imam salafiste officiant à l’époque sur Echourouk News, qui a appelé le 16 décembre sur Facebook à son exécution écrivant que « si la charia islamique était appliquée en Algérie, la sanction serait la mort pour apostasie et hérésie. » Il précise : « Il a mis le Coran en doute ainsi que l’islam sacré ; il a blessé les musulmans dans leur dignité et a fait des louanges à l’Occident et aux sionistes. Il s’est attaqué à la langue arabe […]. Nous appelons le régime algérien à le condamner à mort publiquement, à cause de sa guerre contre Dieu, son Prophète, son livre, les musulmans et leurs pays»

Cf le site sur le net.