Année C — 3ème dimanche de l’Avent — 15 décembre 2024
Évangile selon saint Luc 3, 10-18
Nous voici au troisième dimanche de l’avent, le dimanche de Gaudete. Gaudete est le premier mot du chant d’entrée de la messe latine de ce dimanche. Il signifie « Réjouissez-vous ». Partout, dans l’Église, on célèbre aujourd’hui la joie.
Le premier dimanche de l’avent nous invitait à nous tenir sur nos gardes face au malheur, de crainte que notre cœur ne s’alourdisse ; à rester éveillés et à prier quand surgit la ténèbre. Le deuxième nous recommandait de préparer le chemin du Seigneur, de rendre droit ses sentiers, de convertir notre cœur, d’aplanir dans notre esprit ce qui est escarpé et de redresser ce qui est tordu. C’est à une nouvelle entrée en Terre promise que nous invitait Jean le Baptiste, à un nouveau surgissement de la vie divine en nous, littéralement à une nouvelle vie.
Et donc se pose aujourd’hui la question « Que devons-nous faire ? » Comment incarner cette nouvelle vie ? Dimanche prochain, le quatrième de l’avent, comme Élisabeth, la vie en nous tressaillira d’allégresse de la proximité avec le Christ qui vient à notre rencontre. On voit se dessiner, tout au long de l’avent, une progression spirituelle qui va de la ténèbre, du sentiment que tout s’effondre, à l’incarnation en nous de la présence de Dieu et au retour de la joie profonde.
Réjouissez-vous donc, notre marche au désert prend fin et bientôt nous serons sauvés. C’est un peu le point où nous en sommes aujourd’hui. Dès lors, l’Évangile pose cette question : « Et maintenant, que devons-nous faire ? » pour incarner cette nouvelle espérance ? Ce à quoi Jean le Baptiste répond : Soyez justes, agissez désormais avec justice. « Celui qui a deux vêtements, qu’il partage avec celui qui n’en a pas (…) Ne faites violence à personne, n’accusez personne à tort ; et contentez-vous de votre solde. », c’est-à-dire de ce qu’il est juste que vous receviez.
La Terre promise, c’est la vie joyeuse, la vie paisible, la vie aimante et aimable. Le moyen de cette vie joyeuse, c’est le règne de Dieu, le salut que nous apporte son Incarnation, la joie de son Amour quand il vient à nous. Et le lieu de cette venue, de cette incarnation de Dieu aujourd’hui c’est notre vie, notre corps que Jésus définira comme un Temple – le Temple de l’Esprit Saint – et que Jean le Baptiste purifie déjà de son baptême de conversion.
Nous sommes précisément entre le baptême de l’eau – notre préparation à accueillir le Christ dans notre vie – et le baptême de feu – l’incarnation vivante en nous de son Esprit. Au fond, l’avent revient à faire de notre vie une crèche où vient au monde le Christ et de notre corps une nouvelle Terre promise où vient au monde l’amour de Dieu pour l’humanité.
Que faire donc, après s’être converti à cette nouvelle espérance qu’un amour divin puisse surgir de nous, après avoir aplani en nous les tensions et redressé, dans notre cœur, ce qui était tordu pour que cette venue se fasse à travers nous ? « Que devons-nous faire maintenant ? » demandent à Jean ceux qu’il vient de baptiser. Il leur répond de désormais faire régner la justice.
On ne prêche plus beaucoup de nos jours sur la justice de Dieu – sans doute, par le passé, a-t-on fait peur avec l’image d’un Dieu juge implacable, surveillant tout – ; on prêche aujourd’hui d’avantage sur sa miséricorde et c’est en soi un bien. Mais la miséricorde sans la justice n’est qu’un favoritisme. La miséricorde sans la justice, c’est hiérarchiser la souffrance, évidemment au regard de sa propre souffrance ; c’est choisir ses pauvres face à d’autres que l’on méprise ; c’est, au fond, choisir qui sera sauvé et qui ne le sera pas, qui sera aimé et qui sera rejeté. La miséricorde sans la justice, c’est finalement un égoïsme du cœur, une appropriation de la souffrance d’autrui comme exutoire à sa propre souffrance, une instrumentalisation de l’amour de Dieu à son profit, un confinement de l’Esprit Saint à ses propres vues. Et donc une prédilection, un choix partisan. Et donc une injustice. Sans doute la plus terrible des injustices, celle qui prétend agir par amour, voire au nom de Dieu.
La miséricorde sans la justice, c’est notamment penser que, pour sauver les pauvres, il faille s’attaquer aux riches ; pour libérer les esclaves, il faille tuer leurs oppresseurs. Dans le Nouveau Testament, ceux qui envisagent la miséricorde sans la justice, ce sont les Zélotes, qui prônent la libération d’Israël par la lutte armée et les assassinats. De nos jours, ce sont les partisans de l’idéologie « woke ».
Savez-vous ce qu’est le wokisme ? Le terme est le prétérit du verbe anglais to wake up, s’éveiller. Le woke est quelqu’un qui se prétend particulièrement éveillé sur les questions actuelles de justice sociale. Le problème c’est que ce mouvement, qui d’abord prônait la prise de conscience des injustices, est devenu aujourd’hui radical, intégriste et fondamentalement injuste. Le wokisme, c’est par exemple lutter contre le racisme en s’attaquant à la civilisation occidentale devenue le nouveau réceptacle de tous les maux, notamment en déboulonnant des statues ou en censurant des livres. Le wokisme, c’est détourner la cause féministe pour s’en prendre aux hommes, définir la masculinité comme toxique et la paternité comme obsolète. Le wokisme, c’est fondamentalement un combat pour la justice par l’injustice.
La partialité du cœur, c’est, au nom de l’amour, maintenir en soi une part de mépris. La partialité du cœur, c’est dire moi d’abord, les miens ensuite, et puis ceux pour lesquels j’ai de l’affection, et les autres tant pis. Comment atteindre ainsi la joie ? La partialité du cœur c’est garder une rancœur voire une haine personnelles, une peur intime, une part de ténèbre en soi, un petit enfer où Dieu ne pourra jamais s’incarner. La partialité du cœur, c’est finalement renoncer au plein surgissement de la joie divine en soi.
La justice du cœur est un prérequis au surgissement de cette joie. Nous devons aimer tout le monde, de la même intensité, avec la même attention et le même désir de rencontre. Nous n’avons pas à faire élection de personnes, à choisir nos combats. Prenons soin de déceler toutes les petites injustices dans notre manière d’aimer le monde, nos petites inégalités affectives, elles sont le signe que nous avons encore le cœur fragmenté.
Unissez votre cœur, c’est le mot d’ordre aujourd’hui. En y faisant régner la justice, vous le préparez à la joie, celle de votre propre proximité avec l’enfant qui vient sauver le monde dans la crèche, ne faisant élection de personne. Au contraire, débordant d’amour pour tous.
Réjouissons-nous ! Noël est tout proche. Faisons régner dans notre cœur autant la miséricorde que la justice. C’est ainsi que nous trouverons la vraie joie, celle d’un amour tellement débordant qu’il désire rejoindre la moindre parcelle humanité.
Réjouissez-vous, l’amour de Dieu veut surgir en vous.
— Fr. Laurent Mathelot OP