Année C — Nativité du Seigneur — 24 décembre 2024
Évangile selon saint Luc 2, 1-14
Le temps de Noël est un temps d’abondance et de fraternité, l’occasion de célébrer à nouveau frais le surgissement de la vie divine en notre Humanité, et donc en nos âme et cœur. Pour beaucoup d’entre nous, ce sera aussi un temps de préoccupation des plus pauvres, l’occasion d’un élan de générosité plus appuyé envers les plus défavorisés.
Dès lors se pose la question : quelle générosité et dans quelle mesure ? Les défis sont innombrables et colossaux. Il y la question des réfugiés, celles des familles démunies, des personnes sans logis ou isolées. Il y a la question des moyens : Comment agir pour un mieux ? Quoi donner ?
Depuis qu’en 1982, la Communauté de Sant’Egidio a accueilli un petit groupe de personnes pauvres autour de la table de Noël, dans la basilique Sainte-Marie-au-Transtevere, à Rome, c’est devenu une tradition que le Pape a repris et qui perdure jusque chez nous. C’est au fond une résurgence des sacrifices de Paix qui étaient offerts au Temple de Jérusalem, partagés entre Dieu, les prêtres et l’offrant, pour un repas sacré. Quelle part de notre budget de Noël serions-nous prêts à consacrer en offrande aux pauvres ?
L’esprit de Noël, qui célèbre le surgissement du divin en nos vies, nous invite en outre à réfléchir à notre regard sur les plus démunis : Comment puis-je mieux incarner la prédilection du Christ envers les plus pauvres ? Comment me convertir de surcroît à l’amour de ceux qui sont dépourvus de tout, parfois même de la plus élémentaire des considérations ?
A qui n’est-il jamais arrivé de détourner le regard d’un mendiant ? C’est pourtant notre propre mendicité d’espérance et d’amour que Dieu est venu combler en s’incarnant.
« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » C’est une réflexion que l’on entend souvent, a fortiori quand on évoque l’accueil des migrants. C’est une réflexion qui, par son exagération inappropriée, témoigne de dureté de cœur. A personne, pas même aux États, il n’est demandé d’accueillir toute la misère du monde. Il nous est simplement demandé d’envisager notre part. S’effrayer de toute la misère du monde pour prôner l’inaction sert ici de prétexte aux cœurs fermés. 8,5 % de la population mondiale vit sous le seuil international de pauvreté défini par la Banque mondiale. Éradiquer la pauvreté la plus criante est tout-à-fait soutenable, alors que nous déjetons 17 % de la nourriture que nous produisons.
Le pauvre est crasseux, vecteur de maladies, déprimé voire désespéré, violent parfois, alcoolisé souvent, « méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne ; et nous l’avons méprisé, compté pour rien » (Isaïe 53, 3).
Sans doute, le premier devoir chrétien est-il d’humaniser le pauvre, de le considérer comme une personne avant de le voir indigent. Une belle résolution de Noël serait ainsi de ne plus jamais laisser un pauvre auquel nous tendons quelqu’argent dans l’anonymat. Demander à un mendiant son prénom, c’est déjà le regarder autrement. C’est aussi engager un dialogue dont découlera peut-être une histoire, un partage d’humanité et de vie. Demander à un mendiant son prénom, son récit, prendre le temps de quelques mots de réconfort, c’est humaniser la pauvreté et ainsi mieux la comprendre.
« Il va aller s’acheter de l’alcool ou de la drogue. » Voici encore un stéréotype qui, pour certains, sert de principe à l’inaction. La force d’un stéréotype c’est qu’il contient quelque vérité : il y a en effet un risque indéniable de voir notre générosité détournée du bien que nous souhaitons prodiguer. Il reste cependant qu’un consommateur de drogues doit aussi se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner. Considérer que l’argent que l’on donne sera dépensé spécifiquement en stupéfiants plutôt qu’en biens utiles, c’est dévoiler un a priori qui n’est pas forcément vrai. On peut tout aussi bien penser contribuer à une nuit au chaud. Ainsi, on fait d’un risque un prétexte qui ne permettra jamais à la personne d’hiérarchiser ses priorités.
Il y a un risque à donner gratuitement, sans a priori. Prendre le risque de voir son don détourné de sa finalité bonne, c’est aussi assumer le risque que prend le Christ en s’incarnant, risque de l’offrande généreuse de soi que les hommes finalement mépriseront. Il convient, pour qu’il soit christique, que notre don soit gratuit, dégagé d’a priori et de conditions ; que notre don laisse libre celui qui le reçoit, notamment libre de choisir son repas.
On commence aujourd’hui à étudier l’impact positif du don en espèces sur le don en nature. Ainsi on découvre que la meilleure façon d’aider une personne indigente est de lui confier un petit budget à gérer, quitte à risquer qu’elle le gère mal. Tout en maintenant l’autonomie de la personne, on la responsabilise sur de petits montants. On témoigne ainsi d’une confiance qui élève – là encore, le propre de Dieu qui s’incarne.
Faut-il donner de l’argent aux pauvres ? La réponse est que le risque en vaut la chandelle. Non seulement, il assume une aide immédiate, mais il proclame aussi une espérance et une confiance. A contrario, le refus de donner de l’argent est toujours un pessimisme sur la nature humaine. De préférence, donner un billet : il n’est pas possible aujourd’hui de s’offrir un repas au chaud pour moins de 5 €, sans parler d’une chambre pour la nuit.
Faut-il donner de l’argent aux pauvres ? La réponse est oui si ce don nous change le regard et le cœur, a fortiori s’il nous est difficile. C’est alors une petite kénose, un exercice spirituel d’identification à Dieu qui s’offre au risque de l’humain et de ses errements.
Mais il faut surtout donner de l’humanité aux pauvres, outre leur témoigner de confiance par des dons, leur offrir attention et affection, à commencer par connaître leur prénom. Et – qui sait ? – peut-être initier une relation.
— Fr. Laurent Mathelot OP