Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

« Le fanatisme est la marque d’une absence de Dieu »

par Adrien Candiard, dominicain

Alors que la France a été secouée par le meurtre brutal de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, par un terroriste, frère Adrien Candiard, dominicain et membre de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, a publié au début du mois un essai sur le fanatisme. Un thème hélas on ne peut plus d’actualité.

Aleteia : De quoi le fanatisme est-il le fruit ?

Adrien Candiard : Quand j’ai commencé à travailler le sujet, je croyais, comme tout le monde il me semble, que le fanatisme venait d’une forme d’excès de religiosité. À présent, il m’apparaît que le fanatisme est au contraire la marque d’une absence de Dieu. Cela peut surprendre ! Mais le fanatique religieux est quelqu’un qui, tout en parlant de Dieu à tout bout de champ, l’a en réalité remplacé par un objet plus accessible, qu’il peut posséder, alors que Dieu est toujours plus grand que nos prises de contrôle et nos manipulations. Ce qui peut remplacer Dieu, c’est souvent des objets proches de Dieu : ses commandements, sa révélation, la liturgie, etc. Tous ces objets sont très bons en eux-mêmes, tant qu’ils restent ce qu’ils sont : des chemins vers Dieu. Quand on les prend comme une fin en soi, quand on les traite comme des absolus, alors que Dieu seul est absolu, on bascule dans l’idolâtrie.

Comment le fanatisme contemporain s’exprime-t-il par rapport au fanatisme des siècles précédents ? En quoi diffèrent-ils ?

Si le fanatisme est d’abord une tentation présente dans le cœur de l’homme, il y a une certaine permanence au fil des siècles. L’époque change les moyens de diffusion et les modes d’action, ce qui n’est pas rien, mais sur le fond, rien n’a changé depuis que les Hébreux, dans le désert, inquiets de ne pas voir Moïse redescendre du Sinaï, ont préféré adorer un veau d’or plutôt que l’étrange Dieu invisible qui les avait fait sortir d’Égypte.

Comment différencier les fanatismes ? Un fanatique chrétien est-il très différent d’un fanatique musulman ? 

Les fanatismes ont une base commune : ils affirment tous que Dieu n’est pas connaissable en lui-même, et ils le remplacent par autre chose. Mais ils vont se distinguer par ce qui devient l’objet de leur idolâtrie. Cela amène des formes de fanatisme très différentes : celui qui fera des versets bibliques un absolu définitif, au point de refuser qu’on enseigne à l’école la théorie de l’évolution, est évidemment très différent d’un taliban qui prépare un attentat-suicide !

Comment le fanatisme peut-il malgré tout nous dire quelque chose de Dieu ?     

Paradoxalement, le fanatisme nous dit quelque chose d’essentiel : il y a dans le cœur de l’homme une place très particulière pour Dieu. Quand cette place est occupée par quelque chose d’autre, que ce soit religieux (la Bible, le « vrai catholicisme », l’imitation du Prophète…) ou séculier (la race, la classe, le progrès, l’histoire, la nation…), alors cela tourne à la catastrophe.

Quels sont les risques du fanatisme ?

Au-delà des risques évidents, quand le fanatisme engendre une violence physique (ce qui n’est pas toujours le cas !), j’aimerais souligner combien le fanatisme est, pour celui qui le vit, une prison. Les idoles ne nous libèrent jamais. Elles créent de l’obsession, du scrupule, de la peur. Rien de surprenant à cela : elles sont limitées, et nous voulons les prendre pour un absolu.

N’y a-t-il pas une forme de fanatisme au fond de chacun ? Comment la combattre ? 

La tentation idolâtre, qui fait naître le fanatisme, nous concerne tous. Ce n’est pas pour rien que le premier des Dix commandements nous met en garde à son sujet ! La vie spirituelle n’est rien d’autre qu’une patiente destruction de nos idoles intérieures, sous la conduite de l’Esprit saint : prier, laisser Dieu être Dieu en nous, c’est donc progressivement désarmer en nous les tentations du fanatisme.

Propos recueillis par Domitille Farret d’Astiès, le 03/10/20.

Du fanatisme : quand la religion est malade, par Adrien Candiard, Editions du Cerf, octobre 2020, 10 euros. 


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